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VICTOR CORD’HOMME JÉRÉMY LIRON HYACINTHE OUATTARA DES OBJETS À SOI BARBARA LECLERCQ PANORAMA DES EXPOSITIONS AU SEUIL DE L’OMBRE MAËLLE DUFOUR HUMBERTO POBLETE-BUSTAMANTE FAIRE HISTOIRE MAXIME VERDIER

REVUE POINT CONTEMPORAIN #29

juin-juillet-août 2023 - 6,50 €

Point contemporain

Numéro #29 - trimestriel - juin-juillet-août 2023

Prochain numéro #30 - septembre-octobre-novembre 2023

www.pointcontemporain.com

ÉDITO

Dans son Histoire naturelle, Pline raconte que les raisins peints par Zeuxis étaient si réalistes que les oiseaux tentaient de les picorer. Le peintre lança le défi à Parrhasios de peindre un tableau plus « vrai » que le sien. Lorsque Parrhasios présenta son tableau à Zeuxis, celui-ci, dupé par la qualité du rideau peint en trompe-l’œil qui le couvrait, lui demanda de l’enlever, et il perdit son pari. En juillet 2019 à la Galerie du Crous de Paris nous avons engagé un cycle d’expositions explorant les liens entre peinture et image en regard avec l’actualité des sociétés et des arts avec un premier opus intitulé Pour une peinture sans image. Nous poursuivons aujourd’hui cette réflexion par une Carte blanche à la H Gallery rue Chapon à Paris. Sur une invitation d’Hélianthe Bourdeaux-Maurin, nous avons rassemblé pour l’exposition Faire histoire des artistes peintres et plasticiens dont les œuvres donnent une existence physique aux motifs peints ou, tout au contraire dont les travaux, utilisant des éléments réels de nos environnements, font peinture. Un jeu d’illusions à vivre comme la traversée d’un territoire mouvant, celui d’un « il était une fois » qui prend forme devant vous.

À la même période, à Lyon, nous sommes invités par la Galerie Henri Chartier à prolonger l’exploration des « Curiosités contemporaines » et à sonder les mystères qui nous entourent et qui résistent aux avancées d’une science qui nous laisse Au seuil de l’ombre. Dans cette exposition, nous avons regroupé les travaux d’artistes qui nous donnent à déchiffrer l’ordre du monde régi par des lois encore méconnues, celles des propriétés alchimiques de la matière, des connaissances occultes, des ars magna de la numérologie, ou de l’ésotérisme. Ce numéro #29 de la revue Point contemporain vous donne aussi à revoir l’exposition des artistes sélectionnés pour le premier Prix Sheds de l’art contemporain 2023 à Pantin.

Il est également une invitation à découvrir l’exposition personnelle de Victor Cord’homme aux Tanneries d’Amilly et bien d’autres événements incontournables dans le panorama des expositions.

Un numéro de saison qui inaugure les beaux jours de l’art contemporain !

Cette revue auto-éditée et auto-financée par l’association Point contemporain, association à but non lucratif, n’a pas vocation à être commercialisée.

Sa présence éventuelle en librairie ou en galerie a pour objectif de partager avec nos lecteurs une approche sur l’art contemporain. Son achat est un soutien à cette démarche désintéressée.

ISSN 2652-531X

Dépôt légal juin 2023

Tirage limité à 500 exemplaires - Valeur 6,50 euros

Direction de la publication, relecture, maquette et design graphique

Valérie Toubas

Co direction de la publication et rédaction

Daniel Guionnet, critique d’art indépendant

SOMMAIRE

4 - Victor Cord’homme

7 - Jérémy Liron

10 - Hyacinthe Ouattara

13 - Des objets à soi

16 - Barbara Leclercq

18 - Panorama des expositions

20 - Au seuil de l’ombre

22 - Maëlle Dufour

25 - Humberto Poblete-Bustamante

28 - Faire Histoire

30 - Maxime Verdier

Tous les textes et entretiens (sauf mention contraire) sont signés de Valérie Toubas et Daniel Guionnet et sont la propriété exclusive de ©Point contemporain

Nous contacter : contact@pointcontemporain.com

Abonnement et anciens numéros disponibles sur le kiosque www.lekiosque-pointcontemporain.com ou en scannant le QR Code

Remerciements à nos soutiens pour la diffusion de la revue dans leur lieu :

193 Gallery Paris, L’Ahah Paris, Analix Forever Genève, Backslash Paris, BILY (Brussels I love You), CAC La Traverse Centre d’art contemporain d’Alfortville, CACN - Centre d’Art Contemporain de Nîmes, CAPA Centre d’arts plastiques d’Aubervilliers, Centre d’arts plastiques Fernand Léger Port-de-Bouc, Centre Wallonie-Bruxelles Paris, Galerie C Neuchâtel Paris, Galerie Julien

Cadet Paris, Galerie Valeria Cetraro Paris, Galerie Dix9 Paris, Galerie Double V Gallery Paris-Marseille, Filigranes Bruxelles, Galerie Isabelle Gounod Paris, La Graineterie Houilles, H Gallery Paris, LooLooLook Gallery Paris, Atelier Martel Paris, Galerie Eric Mouchet Paris et Bruxelles, Le MUR espace de création Moret-Loing-et-Orvanne, Galerie PARIS-B Paris, Prix ICART Artistik Rezo, Galerie Eko Sato Paris, Les Sheds Pantin, Galerie Slika Lyon, Les Tanneries - Centre d’art contemporain Amilly, Tropismes Bruxelles, Université libre de Bruxelles, Les Ateliers Vortex Dijon.

En couverture : Victor Cord’homme, Le panier de basket compteur, 2023. Encres acryliques sur toile, 150 x 100 cm. Courtesy artiste

PORTRAIT D’ARTISTE

VICTOR CORD’HOMME

Le travail de Victor Cord’homme nous inscrit de plain-pied dans un monde formaté au mapping des idées nouvelles, à la technologie embarquée et connectée, où la conscience écologique, le renouveau énergétique et la réinterprétation des définitions de l’humain se vivent en actes. Au centre d’art Les Tanneries d’Amilly, il invite les visiteurs à embarquer dans ce qu’il définit comme « une arche » autonome et autosuffisante qui s’apparente, dans une forme d’anticipation poétique, à une ville flottante prête à lever l’ancre pour nous donner à explorer ces changements de paradigmes. À la manière de ces artistes, de Brunelleschi à Léonard de Vinci, mais aussi d’Albert Robida à Marcel Duchamp, qui ont vécu

des mouvements de renouveaux culturels et technologiques, il prend lui-même une part active aux changements que connaît la société actuelle, se nourrissant des nouveaux systèmes de pensée et se montrant curieux des découvertes scientifiques, technologiques ou environnementales. Il aborde dans ses œuvres les nombreux changements qui modifient notre perception de l’environnement, de la ville et des nouvelles mobilités de manière scientifique, notant dans des carnets ses réflexions qu’il illustre par des croquis. Artiste-inventeur, il donne à son atelier le nom de Cord’hommerie, le transformant en une fabrique totale où se modélisent les espaces de vie qui seront bientôt les nôtres.

4 Revue Point contemporain #29
La centrale, 2023. Encres acryliques sur toile,150 x 100 cm. Photo et Courtesy artiste

PORTRAIT D’ARTISTE - VICTOR CORD’HOMME

Victor Cord’homme envisage ses nouvelles peintures comme une cartographie de l’exposition N.O.É. (Nacelle Observant les Étoiles). Introduisant les sculptures et installations qui prennent place dans l’espace de la Verrière, elles se caractérisent par une vue isométrique 2D, à la manière des jeux vidéos, dévoilant ainsi aux visiteurs le parcours dans lequel ils s’apprêtent à entrer. Inspiré nous dit-il par la disposition de l’espace, « situé à l’étage, suspendu entre terre et ciel », il entend donner au visiteur le sentiment de prendre place à bord d’un de ces mobiles aériens qui parsèment l’exposition. Les peintures peuvent ainsi être abordées comme un plan de vol. Elles illustrent également le protocole d’alimentation électrique de l’exposition entièrement régie par l’énergie solaire, par la représentation d’un réseau câblé qui passe de toile en toile jusqu’à une centrale électrique alimentée par un dispositif de panneaux solaires. Cette vue omnisciente qu’offrent les peintures, engage les visiteurs à réfléchir sur l’impact énergétique et au-delà, écologique, de leur présence. Tenant compte de la quantité que peut développer un être humain en joules, elle-même quantifiable en électricité, l’exposition est amenée à évoluer tout au long de la journée selon le nombre de visiteurs présents. Des capteurs comptant le nombre de personnes activent plus ou moins de sculptures. L’exposition peut même, nous dit Victor Cord’homme, « être épuisée à la fin de la journée donnant ainsi conscience à chacun de l’énergie qu’il utilise ».

Des préoccupations écologiques qui sont abordées par l’artiste sous des formes poétiques, à la fois par les titres des œuvres (Goldylateur) et l’origine des matériaux employés. Il s’interroge sur le respect et la place du vivant dans la redéfinition de nos environnements transformant les engins de chantier et outils mécaniques de destruction, en générateurs d’espaces safe, dépourvus des modes d’agression qui ont, il y a encore peu, défini les rapports entre humain et nature, entre ville et territoire. Les mondes construits par Victor Cord’homme ne sont jamais cloisonnés mais sont au contraire expansifs, pouvant s’étendre dans un infini que le visiteur peut parcourir en suivant des allées de pots de fleurs ou des outils de signalisation réinventés en céramique et par association de matériaux de récupération. Ces objets de l’espace urbain auxquels se rajoutent le mobilier comme les chaises ou les lampadaires, sont pour l’artiste des « sculptures figuratives » car elles existent matériellement avant de trouver leur place sur la toile. Elles donnent des informations aux visiteurs, créent des chemins de déambulation, jusqu’à acquérir le statut de « symboles ».

Victor Cord’homme porte une attention « individualisée » à ces éléments de notre environnement, faisant confiance en chacun de nous pour en enrichir la lecture, donnant lui-même littéralement vie au métal, à la porcelaine par la fabrication de modules alimentés par des moteurs à énergie solaire. Les œuvres vivent, bourdonnent, s’agitent et sous l’influence des courants d’air qu’elles génèrent, s’animent ensemble. Le mouvement n’est pas qu’unitaire, car comme le suggèrent ses peintures, il naît d’un lien, d’une communauté, d’une attitude participative. Si ses toiles sont dépourvues de personnages humains, ce sont la représentation de chaises avec leurs attitudes anthropomorphiques qui viennent le représenter. Ce qui unit est autant action que sensoriel. Ses œuvrent mettent en évidence une mécanique universelle issue des éléments comme le soleil et le vent, mais aussi de la force conjuguée des visiteurs soulignant le caractère vital du rapport interactif des uns aux autres.

5 Revue Point contemporain #29
Goldylateur vacances, 2021 Laiton, cuivre, acier, encres acryliques sur toile, moteur 220v, 45 x 70 x 40 cm Courtesy artiste Dessin de projet « la Balançoire », 2022 Encre de chine sur papier, 30 x 40 cm. Courtesy artiste

PORTRAIT D’ARTISTE - VICTOR CORD’HOMME

Avec N.O.É. Victor Cord’homme installe une nouvelle forme de circulation dans l’espace d’exposition, à la fois responsable et ludique. Une manière de réinvestir poétiquement ces espaces où la nature est artificielle et où tout est maîtrisé comme pour la performance Le Bulldozer et la Marguerite (2021) dans laquelle il conduit un bulldozer à pédales aux couleurs vives jusqu’à son ancien atelier des Grandes Serres à Pantin pour y récupérer une marguerite géante (Marguerite domestique) qu’il va pousser à travers la Capitale. Le bulldozer, machine sensible, a cette capacité à réinterpréter le décor urbain et les machines de chantier par un effet de contamination poétique. Le film de la performance1 se construit en séquences qui opèrent des contrastes avec l’environnement de la ville, des engins de nettoyage qui participent à un ballet, au TGV cette « bête humaine » des temps modernes tendant à devenir un jouet électrique grandeur nature. À la fois solaire et fantaisiste, l’action est une ode à la beauté d’une ville qui se trouve réenchantée. Le bulldozer atteint une sorte de toute-puissance métamorphique apte avec sa lame à retourner sur son passage une réalité déceptive pour en faire un champ fertile à l’imaginaire. Un projet qui résonne aujourd’hui aux Tanneries par la création d’une déambulation poétique dans l’espace de la Verrière.

Cette mise en mouvement du corps et de la pensée, cette action de déplacer et non d’écraser qu’opère le bulldozer, se retrouve dans le projet N.O.É., exposition dans laquelle les visiteurs, à la manière d’un équipage, s’apprêtent à effectuer la traversée d’un monde qui doit se reconstruire tout en préservant le vivant et en se propulsant grâce à ses propres potentialités énergétiques, vers un territoire pacifié. Victor Cord’homme réussit à dépasser, par une vision cohérente du monde et de ses transformations à venir, cette difficulté des arts à s’inscrire dans le monde moderne où domine l’industrie toute puissante et le règne absolu de la productivité qu’anticipait déjà Jules Verne dans Paris au XXe siècle (1863). Il nous dit être sensible aux propositions du solar punk qui envisagent le futur de manière optimiste, celles du steam-punk qui défendent une ingéniosité dans la construction, ou encore à celles de la low culture qui s’ancrent dans les modes de vie éco-responsables, qui ont toujours favorisé le recyclage et l’emploi d’énergies propres. Des modes alternatifs, complètement détachés de toutes les « machines à gouverner » (Hobbes) qui dominent nos environnements, que l’artiste expérimente en utilisant par exemple des panneaux solaires provenant du recyclage des horodateurs de la ville de Pantin pour produire l’énergie nécessaire à l’animation de ses modules. Il avoue préférer « se débrouiller et réinventer plutôt que d’utiliser des matières ou substances polluantes » afin de créer un écosystème viable. Les travaux de Victor Cord’homme placent l’humain dans une énergie positive et nous rappellent en cela les mots d’Antonin Artaud sur le fait qu’il n’y a pas la vie d’un côté et de l’autre la culture, mais que celle-ci est « un moyen raffiné de comprendre et d’exercer la vie2 ».

Né en 1991 à Paris Vit et travaille à Montreuil www.victorcordhomme.com

Diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2017 avec les félicitations du jury

Expositions récentes (sélection) 2022

No Man’s Land, Galerie Porte B., Paris Urbanisme, exposition personnelle, Tour Orion, Montreuil 2021

Le Bulldozer et la Marguerite, exposition personnelle, POUSH Manifesto, Clichy 2020

Plaine d’artistes, festival, La Villette, Paris 2019 Carrousel, exposition personnelle, Maison des arts de Grand Quevilly

Actualités

Du 24 juin au 24 septembre 2023 N.O.É., exposition personnelle Les Tanneries, Amilly

6 Revue Point contemporain #29
1 réalisé par Nanoville film. Réalisation sonore Tanguy Roussel 2 Antonin Artaud, Le théâtre et son double, éditions Gallimard, 1936 Le Bulldozer et la Marguerite, 2021 Photo prise lors du tournage du film « le Bulldozer et la Marguerite » par Olivier Montay Courtesy artiste et Nanoville film et Tanguy Roussel

JÉRÉMY LIRON

PAR THIBAULT BISSIRIER

7 Revue Point contemporain #29 FOCUS
AD0219, Archives du désastre Pierre noire et huile sur papier, 40 x 30 cm Photo Cyrille Cauvet. Courtesy artiste et Galerie Isabelle Gounod

Rivé au vague

À propos des Archives du désastre de Jérémy Liron

Saisir le temps qui nous sépare des choses. Entre elles et nous s’écoulent les heures, les ans, les siècles et l’inquiétude de n’être ici que de passage, l’indice d’un devenir auquel ni elles, ni nous, ne saurions nous soustraire, qui est celui de la ruine.

Dés-astre : mauvaise étoile. Un revers de fortune. La roue tourne et des mondes chavirent.

Lorsque j’ai découvert les premières Archives du désastre en janvier 20161, nous sortions à peine de la sidération. L’année qui venait de s’écouler avait été marquée par l’attentat contre Charlie Hebdo et celui du musée du Bardo à Tunis, l’avancée de Daech en Syrie et la destruction des temples de Palmyre, puis de nouveau les attentats, dans les rues de Paris, au Bataclan. Quelque chose s’effondrait, avec violence, avec fureur. Fureur des événements, bien sûr, mais aussi des médias qui ressassaient la peine, et partant, l’amplifiaient.

C’est au milieu de cette stupeur, ainsi que Jérémy Liron l’a déjà confié à plusieurs reprises2, qu’est né le besoin d’entamer cette série, un peu comme on chercherait un abri au milieu de l’orage. Et je me souviens qu’en découvrant ses premières Archives, ce qui m’a d’abord frappé, ce fut la distance qu’elles imposaient et qui n’appelait que le silence, le recueillement. Elles n’avaient rien d’une évidence, elles demandaient qu’on se concentre, ce dont nous étions devenus incapables. Depuis, sept années ont passé et quelque chose continue de s’effondrer.

À vrai dire, quelque chose s’effondre depuis la nuit des temps. De ce qu’il reste, Liron fait collection : masques mortuaires, sculptures et bas-reliefs, des visages et des corps, des lieux. Une mise à plat sans hiérarchie de ce que l’humanité lègue à la mémoire, la collecte entêtée de ce qui jusqu’à nous tient bon au milieu des champs de ruines. ***

Il m’est arrivé quelques fois, en parcourant les vitrines des musées, de m’étonner du zèle avec lequel nous conservons le moindre petit bout d’amphore, le plus petit éclat de marbre. Trier, étiqueter, consigner. Qu’attendons-nous des œuvres du passé ? Qu’espérons-nous y deviner ? Et souvent, cette autre question : d’où les regardons-nous et d’où se présentent-elles ?

Il me semble que le saisissement est plus grand encore, lorsqu’en déambulant dans les ruelles de Pompéi, le long de ce qu’il reste de Carthage, ou parmi la multitude de colonnes, de temples et de théâtres antiques que Rome conserve, nous mesurons tout ce qui nous sépare de ces vestiges. Promeneur, on frôle, sans pouvoir adhérer. On regarde toujours de loin.

Crayon noir. Dessiner. Apprivoiser ces heures qui nous séparent des choses. Retenir le temps d’un geste captivé, comme une caresse. Dessiner pour se consoler, pour sauver, prendre soin, pour redonner du corps en déposant les ombres.

On sait Jérémy Liron peintre, d’aucuns le connaissent écrivain. Au fond, que l’on dépeigne, que l’on décrive, il s’agit toujours de hisser les choses vers nous, de les convoquer. Il suffit parfois de peu de chose. Un tout petit accroc, une intuition, on tire le fil, on redéploie des vies, des empires : « je veux faire quelque chose de pourpre », disait Flaubert à propos de Salammbô3. C’est ainsi que le poète ravive des mondes.

L’archive n’est pas très différente. Elle aussi permet de tirer des fils, de convoquer, d’ouvrir des mondes. Ce qu’elle récolte, elle le transmet, et ce qui s’est transmis se raconte à nouveau. Seulement, l’archive manque d’imagination, elle ne sait pas combler les lacunes, et c’est là son malheur. Car il y a ce qu’elle sauve, et tout le reste, qui manque. Toutes ces pages blanches contre lesquelles la raison bute, bégaye, hésite. On cherche à faire parler les choses, mais ce qui pèse le plus, c’est ce qu’elles taisent.

C’est cette tension, ce clignement de l’esprit, que Jérémy Liron signale par le dispositif qu’il met en œuvre. D’abord, donc, collecter, dessiner, déposer ; puis recouvrir, aveugler ; enfin, cerner de vide et de silence. Le cadre est là pour circonscrire, la vitre pour éloigner encore. De loin, on n’y voit rien, sinon quelques percées obscures, des images comme des seuils, dont on s’approche, des trous de serrures par où l’on scrute pour voir ce qui se cache derrière. Ici, en l’occurrence, nuit verte. Et au milieu de cette nuit, un crâne, un sein, une tête hurlante ; là une pudeur, la main posée sur l’entrejambe ; chevaux cabrés, des gueules cassées ; des dieux, des hommes et un sourire. On voudrait s’approcher, mais on n’y arrive pas. La clarté manque, l’œil lutte, essaie de retenir. À peine on se détourne et l’horizon recule.

Images-rivages que l’on aborde sans pouvoir accoster. Alors on reste là, rivé au vague.

1 C’était à l’occasion de l’exposition que la Galerie Isabelle Gounod consacrait pour la première fois à cette série.

2 Voir notamment : Arman Dupuy, Jérémy Liron, récits, pensées, dérives et chutes, 2020, éd. L’atelier contemporain.

3 Ces propos de Flaubert sont rapportés par les frères Goncourt dans leur Journal à la date 17 mars 1861.

8 Revue Point contemporain #29 FOCUS
- JÉRÉMY LIRON
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Né en 1980 à Marseille Vit et travaille actuellement à Lyon www.lironjeremy.com

Référencé par Documents d’Artistes Rhône Alpes Représenté par Galerie Isabelle Gounod, Paris (www.galerie-gounod.com)

Expositions récentes (sélection) 2023

Voir en peinture, la jeune figuration en France, MASC Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonnes Pendant que la nuit tombe, exposition personnelle Fondation Salomon, Annecy le Vieux Sur le fil, URDLA, Villeurbanne

Actualités

Du 11 mars au 04 juin 2023

Immortelle, commissariat Numa Hambursin et Amélie Adamo, MO.CO., Montpellier

De gauche à droite : AD0919, AD1019, AD12216 AD141115 et AD171115 Archives du désastre Pierre noire et huile sur papier, 40 x 30 cm Photo Cyrille Cauvet Courtesy artiste et Galerie Isabelle Gounod

Du 18 mars au 17 septembre 2023

Le toucher du monde, dialogue entre les collections du Frac Auvergne et le musée Paul Dini Musée Paul Dini, Villefranche sur Saône

Du 15 avril au 23 juillet 2023

Mythologies contemporaines (collection Jacques Font), Casra Restany

Amélie les Bains

Du 03 juin au 15 juillet 2023

Et c’est assez, pour l’instant, qu’une si jolie ombre danse au bord de la fenêtre exposition personnelle, Galerie Isabelle Gounod, Paris

Du 10 juin au 17 septembre 2023

Voir en peinture, la jeune figuration en France, Musée Estrine Saint-Rémy-de-Provence

Du 08 juillet au 17 septembre 2023

Voir la mer, exposition personnelle, Maison du Cygne, Six Four les Plages

9 Revue Point contemporain #29 FOCUS - JÉRÉMY LIRON

HYACINTHE OUATTARA

Premier artiste invité à investir la résidence d’artistes de la 193 Gallery, Hyacinthe Ouattara a profité de cette opportunité pour « s’obliger à faire les choses différemment » plutôt que de poursuivre la production d’une même série d’œuvres. Il a envisagé cet espace-atelier comme un laboratoire en engageant un processus d’élaboration permanente afin d’enrichir de nouvelles ramifications son corpus d’œuvres dessinées, peintes ou textiles des Cartographies humaines Il a su activer de nouvelles mécaniques de création en modifiant ses propres gestes afin de provoquer l’inattendu. Il a eu le sentiment d’ « habiter » ce nouveau lieu de production qui a été une sorte « d’atelier à ciel ouvert », comme s’il avait œuvré sur une place ou dans la rue, au contact des passants, par le fait que les visiteurs de la galerie adjacente, pris par leur curiosité et surpris de voir là un artiste en plein travail, sont venus échanger avec lui. Un contexte idéal pour cet artiste qui travaille sur l’interconnexion entre les êtres et appréhende la ville comme une entité vivante, quasi organique. Au cœur de Paris, rue Béranger, à deux pas de la toujours très animée place de la République, Hyacinthe Ouattara a expérimenté la ville, son effervescence, sa vie chaotique et bruyante, pour chercher tout ce qui peut unir les individus qui la composent. Plus qu’un artiste, il se considère comme « un archiviste » réalisant dans chacune de ses productions l’inventaire d’un fragment de la population. Elles rendent toutes compte de ce territoire de partage que constitue l’espace urbain, où coexiste une multitude d’êtres riches de leur individualité. Il a composé, pendant les quelques semaines qu’a duré la résidence, de véritables mondes d’où émanent « beaucoup d’émotions dans leur infinie matérialité ».

L’ensemble d’œuvres Les Grandes Ombres dominent par leur taille le visiteur et le mettent, par le réseau de ramifications veineuses et viscérales qu’elles exposent à son regard, « en connexion avec quelque chose de plus grand ». Elles lui font prendre conscience que les fonctions vitales qui l’animent sont aussi celles de la Nature. Il peut en reconnaître les manifestations dans tout être et se trouve de ce fait connecté à eux, et avoir le sentiment d’appartenir à la grande famille du vivant, qu’il vive au fin fond d’une forêt ou au cœur d’une immense mégapole. Commencés en 2015, ces premiers travaux sur papier ouvriront sur le corpus des « cartographies humaines », projet centralisateur de l’ensemble de son travail, dans lequel l’artiste reconsidère l’humain dans sa dimension organique en mettant en avant ses propriétés naturelles, cellulaires, digestives, sa capacité à produire de la chaleur, à communiquer et à vivre dans l’émotion. Car rien n’est figé dans le travail d’Hyacinthe Ouattara, même dans la plus absolue immobilité, la nature accomplit son œuvre, le corps travaille, se régénère, la pensée se meut, l’esprit reste connecté aux événements de son environnement. Il se décrit toujours être dans un état de perception ouvrant « son corps et les oreilles de son corps » avec patience et humilité pour, dans une forme d’abstraction de soi, être capable d’observer et de comprendre et même de recevoir ce qui se passe autour de lui, et être sensible à la mécanique intime du monde. Son corps devient le réceptacle de cette circulation des énergies, des résonnances

des bruits, des associations de formes et de couleurs quand les passants se croisent, passent devant les architectures. Des sortes de tableaux éphémères fugitifs dont il apprécie tout autant l’originalité que l’harmonie, et qui sont pour lui une inépuisable source d’inspiration. Il transmet à ses œuvres peintes toute l’intensité de cette vie urbaine, cette vision d’une multitude en mouvement où chaque individu apporte, par son attitude, sa tenue vestimentaire colorée ou l’expression de son visage, un rayonnement supplémentaire. L’entière mémoire d’un peuple, réunissant des gens rencontrés ou simplement croisés au hasard des rues ou des places, accueillant des ancêtres toujours présents à ses côtés, habite ses œuvres

10 Revue Point contemporain #29
PORTRAIT D’ARTISTE
Signes de l’âme, 2020 Chutes de tissus, nouages, fil et coutures, 180 x 85 x 15 cm Courtesy artiste et 193 Gallery

PORTRAIT D’ARTISTE - HYACINTHE OUATTARA

Le travail du textile lui a donné la possibilité d’étendre cette vision de la ville. En 2010 alors qu’il était au Burkina Faso, à l’occasion du Festival international des Arts de Ouagadougou, Hyacinthe Ouattara a cherché une manière d’entrer plus étroitement en correspondance avec le festival qui propose aux artistes d’investir différents lieux (places, hôtels...) dans une ville qui compte peu d’espaces réellement dédiés à l’art. Ce caractère urbain, cette notion d’itinérance, ce contact direct avec la population, l’ont incité à chercher ce qui unissait les gens entre eux, ce qui était en rapport avec leurs occupations, leurs activités professionnelles. Le travail du textile s’est tout de suite imposé à lui comme une évidence car il lui permettait d’aborder la création artistique sur un angle assez inédit, celle-ci se manifestant le plus souvent dans la région par le travail de matériaux recyclés, fer, plastique, et bois, qui sont assemblés, soudés, cloutés. Il s’est intéressé exclusivement au textile issu également de récupération, pour composer des ensembles en patchwork capables d’exprimer ce caractère vivant, expressif et foisonnant, de la vie urbaine. Travailler le matériau textile n’a pas été pour lui si différent que de composer une œuvre de peinture. Par le choix des formes, des couleurs, les recherches de composition, de rendu, il a eu l’impression de « peindre avec des vêtements ». Mais plus encore, il lui a permis d’approfondir ce rapport entre le corps humain et celui macroscopique de l’espace urbain, par la production d’œuvres textiles prenant la forme de contenants, récipients sphériques ou poches ventrales, dont il souligne le caractère vivant parfois par des excroissances qui expriment des formes de gestation en cours.

L’utilisation de tissus provenant des surplus de la production textile que l’Europe n’arrive pas à absorber l’a amené à porter sa réflexion sur les rapports Nord-Sud.

L’installation France Au-Revoir évoque ainsi ces arrivages de tissus et de vêtements si importants sur le continent africain qu’il est devenu un véritable déversoir. Un geste du « retour à l’envoyeur » auquel l’œuvre fait référence qui a retenu l’attention de l’académie d’art de Saarbrücken en Allemagne qui l’a invité à poursuivre ce travail. En commençant cette installation, il ne s’est pas immédiatement rendu compte de la portée de sa dimension politique et de sa préoccupation écologique, étant dans un processus de création plutôt spontané, qui était une restitution assez directe de ce qu’il voyait. La prise de position d’Hyacinthe Ouattara n’est pas celle d’un discours politique frontal comme une dénonciation, une opposition ou une rupture, mais s’exprime plutôt dans la recherche de ce qui relie. Par des tracés, des aplats de couleurs dans ses peintures, et par des fils dans ses travaux textiles, ses productions dessinent une surface, un territoire sur lequel, en témoin invisible, il assemble des moments de vie, fait se rencontrer des figures qui dialoguent, s’interpellent, échangent des émotions. Le tissu est bien ce qui nous unit quand on observe la foule, avec ces différences qui caractérisent les goûts et les individualités. Tous ces coupons expriment une époque, sont encore marqués des corps qui les ont portés, des signes presque imperceptibles de leur manipulation. Par une nouvelle écriture plastique, il rend possible une communication à travers les temporalités et les espaces.

11 Revue Point contemporain #29
Cartographies humaines 4, 2018. Aquarelle et stylo sur papier, 50 x 32 cm. Courtesy artiste et 193 Gallery

PORTRAIT D’ARTISTE - HYACINTHE OUATTARA

L’artiste ne cesse de revisiter ce travail commencé à Ouagadougou toujours en rapport avec l’espace urbain dans un monde en proie à une froideur ambiante, où les gens ne se parlent plus beaucoup, où chacun est pris dans l’urgence de sa vie respective, aliéné à ses obligations. Ses pièces cherchent à connecter ces individualités, à montrer que chaque élément peut être raccroché à un autre, que tous sont riches de leur particularité et que malgré tout ce qui les différencie, ils ont la capacité d’entrer en dialogue. Il abolit toute forme de hiérarchie du textile, n’hésitant pas à assembler des coupons de tissus très divers, des passements de soie, des pièces brodées, en serviette-éponge, des cotons de qualité variable et même des filets à légumes. Il porte son attention à la propriété des matériaux, à leur poids et épaisseur, à leur douceur ou rugosité, à leur transparence. De même, sensible à la petitesse des choses, à ce qui revêt un caractère intime, à la discrétion, Hyacinthe Ouattara revendique pour certains matériaux une « banalité » qui ne réduit en rien leur « force verbale ». Il cherche une forme d’harmonie qui ne cède en rien à l’évidence. Cette nouvelle écriture passe aussi par l’observation des gestes domestiques ou de l’artisanat : tisser, coudre, tailler, mais aussi les gestes du quotidien comme celui de cuisiner, de faire la

vaisselle,... Des actes qui ont une part de sincérité, engageant ceux qui les accomplissent dans une forme de méditation. La musicalité qui leur est propre, le guide dans ses gestes artistiques et lui impulse un rythme respiratoire différent. L’artiste nous dit travailler toujours dans le silence, attentif aux seuls bruits de son travail, sensible à cette cadence qui a un rapport à l’universel. Il s’autorise à écouter de la musique seulement quand il a terminé, comme une célébration.

Il porte une attention particulière à chaque coupon de tissu ou morceau de vêtement qu’il intègre à une œuvre car il ne s’agit pas d’ajouter un élément à un autre, mais de connecter des entités, « des esprits » capables de réactions, d’acceptation ou de refus. Quand il observe un tissu, il peut « réellement ressentir une présence et même dialoguer avec elle, engager une conversation silencieuse ». Des présences qui apportent une sérénité, et qui protègent, à la manière du vêtement qui préserve du froid ou de la chaleur, des agressions extérieures. Il compare ses œuvres à des corps qu’il pare, dont il rend plus ou moins visible l’intériorité. Le vêtement dit qui nous sommes et, en même temps qu’il fait rempart, peut inspirer du désir. Il place dans chaque pièce, par l’ajout visible ou invisible de perles ou autres objets, des énergies particulières, de la force ou de la fragilité, de la douceur ou de la puissance. Il ne s’agit pas pour lui de réécrire des histoires individuelles, mais simplement de les perpétuer avec humilité par la mémoire, de les prolonger dans le temps. Certaines donnent aussi un sentiment de profondeur et, laissant apparaître le vide par des interstices, sont autant une surface qu’un passage. Un passage entre la vie matérielle et spirituelle, car chacun des éléments qui composent ses pièces textiles, les motifs de ses œuvres dessinées et peintes ont une dimension talismanique qui a à voir avec les esprits, les énergies qui circulent à travers ce monde, les rapports magnétiques qui rapprochent ou éloignent les êtres, amenant par des vertus thérapeutiques une relation entre « art et médecine ».

Il est important que s’accomplisse une plongée dans la profondeur de l’humain et par-là une relation fondamentale avec l’esprit de toute chose. Entrer en communication avec le lieu et avec les esprits qui l’habitent, est essentiel pour être accepté par les dieux de la création, que toute cette connexion cosmique nous soit perceptible.

Né en 1981 au Burkina Faso www.hyacintheouattara.com

Représenté par 193 Gallery Paris www.193gallery.com

Expositions récentes (sélection) 2023

Reclaimed, duo show avec Marinda Vandenheede, Ronewa Art Projects, Berlin Atelier-Résidence, 193 Gallery, Paris 1.54, 193 Gallery, Mamounia-Marrakech

The Complexity of the Universe, solo show, Sulger-Buel Gallery, Londres 2022 Une Odyssée de l’espace, exposition personnelle, Galerie AFIKARIS, Paris Composite – Dak’art 2022, 14e édition de la Biennale de l’Art Africain Contemporain de Dakar

Actualités

Juin 2023 Résidence artistique, Fondation Montresso, Marrakech

12 Revue Point contemporain #29
Cartographies humaines, 2015. Technique mixte sur papier Courtesy artiste et 193 Gallery

DES OBJETS À SOI

Exposition dans le cadre du Prix Sheds de l’art contemporain 2023

I. Préambule

Dès l’enfance, nous grandissons avec ces fameux objets transitionnels - appelés dans l’intimité doudou - qui vont nous accompagner dans les premières années de notre vie. Pour celles et ceux qui offrent ces objets, le choix n’est jamais évident. Jamais anodin non plus. Car au fond, ces objets vont nous suivre et nous construire. Construire nos réalités et impulser nos fictions. Quelque part, ils seront là, même des années plus tard - remplaçant parfois la présence de l’autre. Notre univers va se remplir peu à peu d’une multitude d’objets. D’objets chéris, d’objets convoités, d’objets relationnels, d’objets connectés, d’objets aliénants même. De la couleur à la forme, de la matière à la taille, tout devient presque suspect. Alors, aux côtés des artistes nous avons voulu nous arrêter pour regarder de plus près quelques-unes de nos relations à ces objets.

II. Faire table rase ?

La singularité du doudou, c’est bien l’indifférence de sa forme. Un bout de tissu pourrait faire l’affaire. Peu importe qu’il se retrouve usé sous la pression de nos mains ou qu’il finisse rangé dans le coin d’une pièce à cause de sa fragilité, cet objet gardera toujours de la valeur. Pour autant, en grandissant, on nous apprend à porter une valeur aux objets qui ont avant toute chose une utilité, une certaine convenance, un prix. Ceux qui d’un commun accord ont été concrétisés comme valorisants par le système capitaliste et ses institutions. Voilà le point d’entrée de la série Supply Chain de l’artiste Jérémy Berton : Comment se crée la valeur des choses ? Sa série est d’une déconcertante perfection - et pour cause, il la développe avec une minutie signalée - elle crée un sentiment paradoxal d’impulsion-répulsion. Ses diamants sont parfaitement scintillants et si facilement saisissables - ou c’est ce qu’il tente de nous faire croire. Tout attire : la matière, les pigments, la plasticité. Mais tout dérange aussi. Comme deux faces d’une même pièce. Par cet écart, il introduit une lucidité vive, un doute dans la valeur. Entre l’espoir profond d’une mise à mal des valeurs libérales et la tentation de préserver un confort matériel, il appuie pile là où ça tangue.

III. En finir avec l’objectivation des corps

Au fil des années, le doudou est vite remplacé par des objets qu’on nous apprend à valoriser et desquels nous tenterons plus tard de nous détacher. Parmi eux, il y a ces corps qu’on nous a insidieusement poussé à atteindre. Dès l’adolescence, parfois même exposés sur nos propres murs, des couvertures de magazines, des affiches publicitaires. Femme / homme. Jeune / âgé. Ainsi de suite. On nous incite à tout prendre sous le prisme

de la binarité, de l’opposition. Prendre ces corps - nos corpspour des objets. Pas n’importe quel objet, des objets parfaits, normés et convoités. Le doudou fait place à la poupée ou à Barbie, qui n’est d’ailleurs jamais très loin du regard de son Ken. Camille Froidevaux-Metterie parle très justement d’une « société patriarcale qui considère les corps féminins comme des objets malléables, appropriables, jetables1». Jessica Lajard déjoue cette objectivation des corps avec sa Coulée douce, une sculpture en grès roux. Elle opère plus qu’une rupture avec les attentes de corps universellement parfaits. Dans une attitude de la nuance, elle crée de nouvelles formes qui ne répondent à aucune injonction grâce à la présence d’un drapé fondu dans la chair. Revisitant une pièce d’Auguste Rodin, Jessica Lajard propose de se soustraire à cette fétichisation des corps et autorise par là même d’autres regards.

IV. Trash2 : détraquons les valeurs !

Dans un tout autre registre, Aïda Bruyère nous entraîne elle aussi dans une déconstruction progressive des archétypes du corps et de la beauté, féminine cette fois-ci. Ceux auxquels on a assigné les femmes pour qu’elles entrent dans des cases. Sauf qu’avec Aïda Bruyère, nous pouvons enfin mettre à fond et en boucle la chanson I Get Out de Lauryn Hill. « I don’t respect your system, I won’t protect your system » argue la chanteuse et c’est bien ce que ces œuvres sous-tendent. Paillettes, strass, fluo, ongles, talons, références punk et signes trash deviennent les éléments d’un vocabulaire visuel qui incarnent désormais des outils d’émancipation. Dévalorisés parce qu’ils viennent d’en bas, ces objets font référence à des cultures invisibilisées, à la nuit et à une tendance dite ostentatoire - ici ces indices sont pleinement

13 Revue Point contemporain #29
EXPOSITION
Vue Des objets à soi, exposition dans le cadre du Prix Sheds de l’art contemporain 2023 Photo Max Borderie

exhibés et assumés. Le combat de ses guerrières ne se fait jamais les unes contre les autres, ne nous méprenons pas : les trois avatrices ne sont ni rivales ni ennemies3. Tout au contraire, dans un élan de sororité, ce ne sont plus les regards des hommes qui ont le pouvoir de les valider pour les ériger en popstars, elles sont les seules actrices de leurs entrées en scène. En empruntant ses images à une esthétique populaire, les régimes de visibilité et de valeur sont à présent détraqués.

V. Virtuellement vôtre

Enfants ou grand·es, nos relations aux objets ne cessent donc de se mouvoir. Notre relation avec l’un d’eux tout particulièrement : le téléphone portable. Objet aussi génial que parasite. Elsa Fauconnet pousse à son extrême la technologie permise par le téléphone en imaginant un univers où tous nos moyens de communications ne seraient plus que dématérialisés et régis par ces interfaces. Que deviendraient alors nos contacts humains ? Nos émotions ne seraient-elle que virtuelles, nos gestes incertains et nos souvenirs illisibles ? Le téléphone-fantôme incarne cet être, double de nous-même, devenu tout à la fois absurde et spectral, nous met face aux enjeux éthiques des technologies. Dans Appel en absence, le fonctionnement des nouvelles technologies déraille, parasité par une puissance magique. La bonne communication d’un couple est alors complètement brouillée : « Il annonçait des choses à travers la palette des humeurs à sa disposition mais elles n’avaient absolument rien à voir avec lui et sa vie ». Non sans humour, la seule solution est de passer par le chat pour être mise en contact avec le policier numérique, impuissant face à ces géants du web fantomatiques. Plus

loin, ses objets-téléphone-emojis prennent une telle présence émotionnelle qu’ils en deviennent de vrais protagonistes de ce nouveau quotidien.

VI. Des objets à soi

Nathalie Heinich nous mettait déjà en garde : les valeurs des objets sont contextuelles - situées Elles existent « pour soi » bien plus qu’ « en soi 4 ». Et c’est précisément là que le lien entre ces sept artistes se tisse.

VII. Appareil photo : distance ou proximité ?

Silina Syan nous rappelle constamment la nécessite de situer d’où l’on parle, d’où l’on regarde et surtout d’où l’on crée des valeurs. Dans son dernier projet Love over distance, le téléphone portable n’a plus tout à fait la même place que dans le travail d’Elsa Fauconnet. S’il est bien parfois une interface qui pose une distance entre elle et les personnes filmées, il permet d’autres formes de mobilités et de possibilités - d’autres formes d’amour et d’affection aussi. Le téléphone portable est ce truchement entre un homme qui a immigré du Bangladesh et qui vit en France et une femme qui est au Bangladesh. Quand Silina Syan interroge son propre sentiment d’entre-deux, cette hybridité culturelle, qui passe autant par des différences, des empêchements que par des partages, les objets - qu’ils soient d’intérieurs, d’ornements ou issus de la technologie - ont souvent un très fort pouvoir. La caméra n’est-elle pas un moyen de communiquer autrement que par les mots avec sa grand-mère ? N’est-elle pas aussi une manière d’observer et de prêter l’appareil à l’autre pour dévier un regard déjà situé ?

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Silina Syan, Love over distance, 2023 Vidéo, Entre 5 mn et 10 mn
EXPOSITION - DES OBJETS À SOI - PRIX SHEDS DE L’ART CONTEMPORAIN 2023
Photo Max Borderie Elsa Fauconnet, Appel en absence, 2022 Tapis brodé, laine, 112 x 94 cm Photo Max Borderie Jessica Lajard, Coulée douce, 2022 Biscuit de grès, 30 x 30 x 19 cm Photo Max Borderie Alexandre Bavard, Pantin, 2022 Encre de chine sur toile, 100 x 130 cm Photo Max Borderie Jérémy Berton, Hope, 2021 Résine 21 x 10 x 16 cm , Socle cylindrique 70 x 42 x 42 cm Photo Max Borderie Aïda Bruyère, I GOT HEELS I GOT NAILS, 2023 Sweat shirt à capuche peints en sérigraphie, papier transfert, acrylique et accessoires 40 x 80 cm chaque Photo Max Borderie

VIII. Regardons, collectons, changeons

Dans ce tumulte d’objets, il y a aussi ceux qui changent de mains, de fonctions et de valeurs. Alexandre Bavard s’en fait le témoin. Dans des zones abandonnées proches d’espaces urbains en pleine mutation, Alexandre Bavard collecte des objets dégradés par le temps. Sans leur ôter la trace de l’environnement dans lequel il les a trouvés, ses installations leur confèrent un second souffle et une valeur toute autre. Il glane, récupère et (r)assemble des objets abandonnés, puissants révélateurs de notre société de surconsommation où tous les objets s’accumulent et se remplacent à une vitesse démentielle. Pour Pantin, 2022, il revêt aussi une attitude de cueilleur, en récupérant sur des terrains vagues des mauvaises herbes – signes d’une nature laissée libre, dont le sort prochain est peut-être de céder sa place à l’arrivée de constructions. En leur donnant un rôle de choix dans ses narrations, notamment par le biais de la science-fiction, Alexandre Bavard révèle à quel point les objets et les éléments naturels ont besoin d’être reconsidérés et notre attention à eux renforcée. Si notre manière de les traiter évolue, nous pouvons être certain·es que nos relations à la terre, à ses ressources et à l’espace social s’en verront profondément bouleversées.

IX. Objets fétichisés

Le travail d’Alexandre Bavard rencontre celui d’Antoine Liebaert qui, à sa manière, réemploie et détourne des matériaux usés, leur attribuant une nouvelle portée. Ces rebus, il s’en sert comme support dans cette série de dessins cabalistiques rehaussés à l’aluminium. Tout comme sa série des Fétiches représente des sortes de totem ou d’objets fétichisés, qui ne sont pas tout à fait des fétiches dont le sens peut être galvaudé et trop situé, mais qui en partagent le matérialisme affectif très fort, presque magique. L’attention, l’intention et le geste apportés à ces objets transformés en fait de nouveaux symboles personnels ou collectifs. L’Agent Gentryficateur se fait tout à la fois artiste aux multiples facettes, statuette-Tour Eiffel allégorie du tourisme de masse ou encore matériaux récupérés aux allures sacralisées. Une fois sortis d’une fonction assignée et investis de significations plus complexes, les objets peuvent ainsi produire des effets en mesure de changer nos perceptions, impulser nos émotions, et provoquer nos actes.

X. Notes de fin

Chacune des œuvres candidates de cette première édition du Prix Sheds de l’art contemporain cherchent ainsi à (re)tisser du

lien, tout en interrogeant la possibilité de contrecarrer les rapports de force et de redonner de la visibilité au sein de l’espace public et privé à des personnes ou des choses trop souvent mises à l’écart. Si Silina Syan et Elsa Fauconnet s’emparent des interfaces numériques et technologiques pour en questionner leur pouvoir et leur permission, Alexandre Bavard et Antoine Liebaert remettent sur le devant de la scène, sous une toute autre forme, des matériaux délaissés par une société occidentale consumériste. Jérémy Berton dissèque les systèmes économiques et capitalistes en vigueur, révélant à la fois les volontés de s’en soustraire et les paradoxes sous-jacents. Enfin, Aïda Bruyère et Jessica Lajard détournent et rapprochent nos regards de formes et d’attitudes conventionnelles comme pour mieux les courtcircuiter.

1 Voir l’ouvrage collectif à ce sujet : Sororité, Chloé Delaume, Paris, Édition Points, 2021

2 Trash Cultures in the Francophone World, Saturday 5th December 2015, Senate House, University of London

3 Racha Belmehdi, Rivalité, nom féminin, Éditions Favre, Paris, 2022

4 Nathalie Heinich, Des valeurs, une approche sociologique, Paris, Gallimard, 2017.

Margot Rouas et Sarah Nasla

Le premier Prix Sheds de l’art contemporain 2023

Le Centre d’art contemporain Les Sheds et la Ville de Pantin présentent la première édition du Prix Sheds de l’art contemporain 2023 destiné à soutenir des artistes contemporain·e ·s ayant un lien avec le territoire pantinois. Cette année, à la suite d’un appel à projet, une centaine de candidatures ont été étudiées par un jury de professionnel·les de l’art et de l’écosystème pantinois qui ont sélectionné sept artistes : Alexandre Bavard, Jeremy Berton, Aïda Bruyère, Elsa Fauconnet, Jessica Lajard, Antoine Liebaert et Silina Syan. Tous·tes travaillent dans des ateliers du territoire : Artagon Pantin, Entre-deux ou encore l’atelier de la Sernam.

L’œuvre lauréate désignée par les visiteur·euses rejoindra le FMAC-P Accompagné·e·s par le duo de commissaires d’exposition en résidence à Artagon Pantin, Sarah Nasla & Margot Rouas, les œuvres des sept artistes sont présentées à l’occasion d’une exposition collective aux Sheds du 20 avril au 03 juin. À l’issue de l’exposition, une des œuvres sera désignée par les habitant·es et visiteur·euses pour rejoindre le Fonds municipal d’art contemporain de la ville de Pantin. Une des originalités de ce Prix est d’inviter les publics à prendre part au choix de l’œuvre qui rejoindra le Fonds et l’artothèque. Deux prix seront remis le 3 juin, lors de la soirée de clôture et de la Nuit Blanche : le prix du public qui verra le.la lauréat.e recevoir une dotation de 2500 euros et son œuvre rentrer dans le FMAC-Pantin et le prix des enfants, créé et choisi par les enfants du soutien scolaire de la Maison de Quartier des Quatre-Chemins.

Des objets à soi

L’appel à candidature du Prix Sheds de l’art contemporain 2023 se voulait volontairement ouvert à des approches artistiques plurielles. Si tous·tes les artistes partagent cette prise avec des enjeux complexes et actuels de notre société, leurs expressions sont très loin d’être issues d’une démarche unifiée. Autant par la diversité de leurs formes d’expression - peintures, sculptures, installations, graphes, vidéos, photographies - que par les sujets abordés et les situations représentées. Toutefois, nous souhaitons ici tisser un fil pour faire ressortir un interstice, là où leurs propositions artistiques se croisent et interagissent. Ce fil, nous l’avons tiré autour de la question des objets et de l’attribution - individuelle ou collective - d’une valeur affective, éthique, économique, sociale ou politique - Comment se crée notre relation, parfois si intime et d’autres fois si biaisée, aux objets et à leur environnement ?

Sur un mode presque ironique, le lien tissé entre ces pratiques artistiques autour de l’objet et des valeurs appelle à une réflexion plus large sur les enjeux de l’attribution d’un Prix d’art contemporain

Du 20 avril au 03 juin 2023

Annonce du ou de la lauréat.e samedi 03 juin 2023 à 18h30

Des objets à soi

Exposition dans le cadre du Prix Sheds de l’art contemporain 2023

Avec les artistes : Alexandre Bavard, Jérémy Berton, Aïda Bruyère Elsa Fauconnet, Jessica Lajard, Antoine Liebaert, Silina Syan

Commissariat : Sarah Nasla et Margot Rouas

Les Sheds, Centre d’art contemporain de la ville de Pantin

15 Revue Point contemporain #29 EXPOSITION - DES OBJETS À SOI - PRIX SHEDS DE L’ART CONTEMPORAIN 2023
Antoine Liebaert, L’Agent Gentryficateur, 2018 Fonte artisanale de laiton à la cire perdue (pièce unique) 30 x 20 x 5 cm Photo Max Borderie

BARBARA LECLERCQ

Le temps est pour Barbara Leclercq un bain amniotique d’où émergent, entremêlées, des parties de corps humains et d’êtres fabuleux. Elle les amalgame dans des bas-reliefs ou dans des sculptures s’apparentant à des archétypes de colonnes, des architectures en germe. Comparables à ces créatures surnaturelles qui habitent le monde humain, ces fragments de corps se greffent sur des édifices « socles » et s’articulent dans un déploiement vertical tels des figures de gardiens, protectrices ou démoniaques. Issues d’emprunts de différents artefacts, architectures et organismes, mais aussi d’une imagerie plus populaire et de sources plus ou moins personnelles, Barbara Leclercq nous rappelle combien elles nous sont familières, et habitent avec toujours autant de force nos imaginaires. Citant Borges, elle a conscience de cet éternel recommencement qui fait que la ruine participe d’un temps circulaire, et qu’elle est appelée à devenir le fondement d’une nouvelle ère. Alors, mutantes, hybridées, répondant à de nouvelles préoccupations dans cette configuration renouvelée du monde, de nouvelles chimères viendront accompagner la marche de l’humain vers un futur inéluctablement voué à la ruine.

Peux-tu nous raconter l’origine du projet Poursuivre sa chimère ?

Mon travail essaie depuis ses prémices de saisir les usages et imaginaires qui enveloppent la notion de ruine. Il semble que d’un registre plus documentaire, ou contextuel, (projet sur La Havane, puis études à Athènes), je glisse avec Poursuivre sa chimère vers un corpus de l’ordre de la fiction, bien qu’ayant toujours en ligne de mire de tenter de saisir l’agentivité de la ruine. L’idée étant qu’en fouillant les entrailles de nos constructions, il serait possible de reconstruire sans pour autant réparer, et ainsi d’élaborer des versions alternatives à partir de la ruine elle-même. En cela, mon intention se situe contre toute logique de « table rase », mais envisagerait plutôt de reconstruire par dessus les ruines, avec les ruines. À l’essence de ce projet réside une croyance profonde dans le fait que l’entropie serait un phénomène fructueux, et ainsi, par raccords étranges mais crédibles, les organismes et artefacts reformulés dans de nouvelles constructions édifieraient ensemble une archéologie énigmatique, anticipée. C’est en fait l’idée de spolia qui a généré ce projet, la spolia dans l’histoire s’explique par l’usage des ruines des vaincus par les vainqueurs à l’édification de nouvelles architectures.

C’est une idée très forte qui ne se réalise pas vraiment dans mon travail, puisqu’il ne tire pas de citations explicites mais recherche plus un sentiment familier dans des formes archaïques, qui sont de nombreuses fois elles aussi amalgamées, avec un corpus assez large relevant autant de l’histoire de l’art que de sources plus personnelles, plus anecdotiques.

En quelque sorte, faire de l’histoire comme on raconte des histoires. Idée chez moi toujours présente d’user de l’architecture comme trame narrative. Comme si, la surface des murs s’épaississait de récits, par deux médiums lents que sont la céramique et le dessin, qui semblent digérer les images et formes afin de construire de toutes pièces cet espace tiers.

16 Revue Point contemporain #29 FOCUS
Poursuivre sa chimère, Colonne n°2, 2022. Grès céramique, 155 x 50 x 35 cm Courtesy artiste

FOCUS - BARBARA LECLERCQ

Communément, une chimère est un animal composite, amalgamé. C’est aussi une définition plus élargie que je propose, poursuivre une chimère, c’est un projet flou, dont les contours ne sont pas précisément définis. Finalement, Poursuivre sa chimère est une proposition qui interroge la ruine dans une géologie instable, spéculative.

Le projet se décline en œuvres sculpturales, colonnes et basreliefs, dans des dessins... Quel regard amène ce projet sur notre présent ?

Le fond de l’air est lourd. J’aime amorcer une approche de mon travail par cet état des lieux. Ces dernières années, les discours d’effondrement se sont amplifiés, c’est-à-dire qu’en très peu de temps, en l’espace d’une génération, les moyens de se projeter dans le futur proche ont considérablement changé. Ces discours sont en arrière-plan de mon travail, ils sont corrosifs. Une forme particulière d’angoisse se dessine alors, se réfère plus à une humeur qu’à un objet précis, se traverse, s’habite presque. Cette angoisse que j’évoque ici semble venir avec ces transformations sous-jacentes, qui ne sont pas visibles au jour le jour, à l’œil nu, qui ne se réalisent pas sous forme d’événements. Latents, paresseux, incisifs, tenter de rendre ces phénomènes, demande d’oublier toute sorte de captations directes, instantanées. Et c’est précisément à ce moment que le recours à la chimère devient nécessaire, et ce pour imaginer et rendre palpable un monde en transformation, un devenir qui rendrait palpable d’indistinction entre organisme et artefact. La chimère devient un geste plastique, dès lors qu’elle transgresse le discours pour imaginer des formes.

C’est alors un regard sur le présent certes angoissé, un peu fuyant aussi. La question de la temporalité est centrale, elle est ambiguë et pose la question de l’archaïsme comme surgissement dans le temps présent, comme accroche autant fondatrice qu’en même temps symptôme de la disparition. Ces chimères, comme résultantes de nouvelles propositions, tissent des chemins de traverse, et envisagent alors la ruine comme un terrain fertile.

Devouring Lines, untitled, 2023. Grès émaillé, 50 x 15 x 20 cm Photo Théo Desmaizières. Courtesy artiste

Née en 1997 à Paris. Vit et travaille à Bruxelles www.barbaraleclercq.com

Mémoire en collaboration avec ULB Horta, faculté d’architecture, Bruxelles (2022) ASFA Athens School of Fine Arts, Grèce (2019/2020) ENSAV La Cambre, Bruxelles (2016/2022)

Expositions récentes (sélection) 2023

Chemin Faisant, Prix des Amis de La Cambre, commissariat Lola Meotti, Bruxelles Le Baiser de la Chimère, commissariat Justine Jacquemin, Galerie DYS, Bruxelles 2022

The future in a fossil, commissariat Medusa, Bruxelles Perseverance III, Galerie Montoro 12, commissariat Stefan Polak, Bruxelles Manger l’autre, commissariat Alexane Sanchez, Les îles mardi, Bruxelles

L’anticipation d’un futur, commissariat Point Contemporain x Centre WallonieBruxelles, Espace Vanderborgh, Bruxelles

Actualités

Du 27 avril au 02 juin 2023

Résidence à Moly-Sabata

Le 02 juin 2023

SHOW la Cambre Mode(s) collaboration avec Pauline Haumont pour sa collection de fin d’étude, Bruxelles

Du 10 juin au 29 juillet 2023

Au seuil de l’ombre Commissariat Point contemporain Galerie Henri Chartier, Lyon

17 Revue Point contemporain #29
Poursuivre sa chimère, Chien, 2022. Grès céramique, 46 x 50 x 18 cm. Courtesy artiste

PANORAMA DES EXPOSITIONS

Exposition personnelle Rero \ Ophiuchus

10 juin - 15 juillet 2023

Backslash 29, rue Notre-Dame de Nazareth 75003 Paris www.backslashgallery.com

Duo show

24 juin - 23 septembre 2023

Galerie Eva Vautier 02, rue Vernier 06000 Nice www.eva-vautier.com

Exposition collective Colombia, Memories of the future

Magola Moreno, Iván Hurtado, Nicolas Beltran, Angie Vega Commissariat Manuela

03 juin - 29 juillet 2023

193 Gallery 21, rue Béranger 75003 Paris www.193gallery.com

Exposition personnelle Fantasma Graphie

26 juin - 16 juillet 2023

LooLooLook Gallery 12, rue de la Sourdière 75001 Paris www.looloolook.com

18 Revue Point contemporain #29 PORTFOLIO
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1 Rero Ophiuchus (le serpentaire), 2023 2 Agnès Vitani et Béatrice Lussol À bras-le-corps Agnès Vitani et Béatrice Lussol 3 Magola Moreno Barranquilla, 2021 Rayo 4 Kyoung-mi Kim Manège, 2019
2

Exposition personnelle Feminist Bird Club Presents: Luncheon on My Ass

13 mai - 22 juillet 2023

Galerie Eric Mouchet Paris 45, rue Jacob 75006 Paris www.ericmouchet.com

Exposition personnelle Cruising Utopia

20 avril - 15 juillet 2023

Galerie Eric Mouchet Brussels Avenue Van Volxem 333 1190 Forest (Belgique) www.ericmouchet.com

Exposition personnelle Performing the image Commissariat

Samadova

11 mai - 17 juin 2023

Galerie Dix9 Hélène Lacharmoise 19, rue des Filles du Calvaire 75003 Paris www.galeriedix9.com

7 Christa David In stillness in solitude I count 01, 2023

Exposition personnelle I’m here to save myself Commissariat Mary-Lou Ngwe-Secke

03 juin - 29 juillet 2023

193 Gallery 24, rue Béranger 75003 Paris www.193gallery.com

19 Revue Point contemporain #29 PORTFOLIO - PANORAMA DES EXPOSITIONS 5 6 7
6 Dmitry Kostyukov Untitled (Temple, Ulan Ude), 2023 Azad Asifovich et Asli 5 Wells Chandler Lesbian Lovers, Mothers, Brothers and Sisters Past, Present and Future, 2023

COMMISSARIAT D’EXPOSITION

AU SEUIL DE L’OMBRE

L’exposition Au seuil de l’ombre est une invitation à prendre pleinement conscience que nous ne vivons que dans un monde d’apparences dont la science ne fait qu’ausculter avec soin la surface. Derrière ce rideau, demeure cette ombre sans fin, un inconnu prêt à nous livrer l’envers de la connaissance. C’est en effet en remettant en question le statut de l’œuvre d’art, en nouant des liens entre art et science, ésotérisme, en rassemblant des objets hétéroclites que seule la variété rapproche, en renouant avec les interrogations fondamentales qui ont toujours accompagné l’humanité, en renversant ce trop-plein d’évidences, que nous serons à même de ressentir l’ensemble des forces qui nous traversent.

Parce qu’ils sont libres d’aborder l’inconnu par des méthodologies non contraintes, c’est-à-dire régies par nul Ordre, les artistes ont la possibilité d’explorer l’infini des domaines qui résistent encore à la science. L’imagination est la seule à pouvoir combler cette distance qui nous tient éloignés de la Nature profonde de toute chose. Leurs travaux sondent les arcanes qui nous entourent, explorant tel Lovecraft les entrailles de la terre pour y entrapercevoir des territoires hantés par des manifestations paranormales, des phénomènes de la perception extra sensorielle et dont Matheson nous dit qu’elles résident encore inexploitées en chacun de nous. Dans cette quête de la connaissance métaphysique, les artistes ne craignent pas de côtoyer la folie, de se perdre dans le mystère des nombres, de chuter tête la première dans le vide absolu de ce trou noir qui recèle l’athanor, pierre de l’ombre, dont l’origine remonte au big-bang, quand le chaos primordial devint une source vive de lumière.

Animé par une irrépressible curiosité, à la fois vitale et morbide, l’être humain a cherché en tout temps une vérité dont l’essence fabuleuse ne peut être qu’empreinte à la fois de pureté et de barbarie. Il lui est substantiel d’explorer toujours l’inconnu, quitte à réveiller au fin fond de contrées inexplorées, de vallées inaccessibles ou de profondeurs océaniques, quelques krakens ou êtres magiques, de sonder son inconscient jusqu’à faire resurgir ses instincts les plus primitifs, et de pénétrer les données alchimiques des signes et des nombres.

Les cabinets de curiosités que l’on qualifiait de « chambres des merveilles » nous ont livré depuis le XVIe siècle, la preuve qu’au-delà des territoires connus, existait un merveilleux qui ne demandait qu’à être découvert. Écrivains et artistes ont puisé

dans les premières explorations un terreau fantasmatique pour leurs créations, des découvertes qui ont ouvert la voie aux Naturalistes et ont nourri la tentaculaire famille des sciences humaines, anthropologiques, physiques, psychiatriques, neurologiques...

Les recherches scientifiques, aidées par le développement des technologies, que nous estimions aptes à résoudre les mystères des anciens ou conforter ce que nous tenions pour acquis, n’ont fait qu’en révéler de nouveaux et annihiler nos certitudes. Il résiste en effet toujours des parts d’ombre, celles mêmes des forces mécaniques qui animent l’univers, de la profondeur infinie du cosmos, ou encore des propriétés physiques de la matière, de la capacité de communication entre les êtres vivants, du potentiel psychique de tout individu. Ce « pouvoir d’enchantement1 » présent dans tous les éléments constitutifs de l’univers nous montre que l’homme reste, en toute situation de recherche, Au seuil de l’ombre

1 Robert Fohr, « Musée », In Universalis éducation [en ligne].

Du 10 juin au 29 juillet 2023

Au seuil de l’ombre Commissariat Point contemporain sur une invitation

20 Revue Point contemporain #29
d’Henri Chartier Avec Floris Dutoit, Amy Hilton, Hervé Ic, Barbara Leclercq Damien Mouliérac, Chloé Poizat et Lionel Sabatté Galerie Henri Chartier 03, rue Auguste Comte, 69002 Lyon Hervé Ic, Dormeur HI, 2015 Huile sur toile, 33 x 46 cm. Courtesy artiste
21 Revue Point contemporain #29
COMMISSARIAT D’EXPOSITION - AU SEUIL DE L’OMBRE
Chloé Poizat, Idole, série, Sans titre (cachée), 2020-2021 Deux dessins assemblés, pastel sec et fusain sur papier, 46 x 62,5 x 4 cm, unique, encadré. Courtesy artiste

MAËLLE DUFOUR

Les particularités géologiques du Hainaut, avec ses terrils formant des promontoires, ses carrières de pierre bleue, ont très tôt suscité une vive curiosité chez Maëlle Dufour. Avec son appareil photographique, dès l’âge de douze ans, elle se consacre à enregistrer de multiples vues de cette région où l’exploitation minière, qu’elle soit enfouie ou à ciel ouvert, a laissé une empreinte définitive. Elle porte son attention aux déchets que génère l’activité humaine et la manière dont ceux-ci font paysage quand progressivement la nature accomplit son œuvre. Elle a très tôt compris que ces déchets n’étaient pas hostiles à l’environnement, mais qu’ils pouvaient au contraire devenir un limon apte à le doter de propriétés nouvelles. Si elle souligne qu’il est souvent nécessaire de détruire pour construire, elle voit dans ces ruines, un terrain d’expression à investir.

Le travail de Maëlle Dufour s’enracine dans les activités des hommes qui, par l’exploitation des ressources naturelles, produisent des transformations irréversibles sur la nature. Elle s’intéresse à l’utilisation de la pierre bleue du Hainaut dont les carrières se situent à Soignies. La pierre bleue est employée comme matériau de construction en raison de ses propriétés très prisées. Elle est en effet d’une grande résistance et est dotée d’une couleur scintillante qui ajoute une élégance aux façades des bâtiments. Les déchets générés par l’exploitation et la taille des pierres sont entreposés dans une carrière sous la forme d’une poussière que les intempéries transforment en boue qui, en séchant, prend l’apparence d’une croûte. Maëlle Dufour utilise comme unique matériau cet amalgame poussiéreux dans son œuvre Elle bat au souffle de la terre (2016-2017). Elle moule ce résidu de pierre bleue préalablement mêlée à de l’eau, pour lui donner la forme d’une couche sédimentaire. Ainsi imprégnée, la pièce sèche progressivement tout au long de l’exposition comme elle l’aurait fait sur son lieu d’extraction.

Les installations de Maëlle Dufour font la preuve qu’une symbiose est capable de se réinstaller de manière tout à fait naturelle dans un territoire dégradé par l’exploitation humaine. Tout en portant un regard très réaliste, l’artiste montre qu’un rapport inaliénable existe dans le vivant. Minéral, végétal et animal recouvrent une force d’expansion dans des espaces hautement contaminés, dévastés par les engins de chantier. Éboulements, imprégnations des sols avec des chimies

polluantes, explosions, elle donne à voir un rapport de destruction qu’elle matérialise avec Elle bat au souffle de la terre (2016-2017) qui prend l’aspect d’une terre granitique chargée de polluants toxiques. Si elle semble impropre à la résurgence de toute forme de vie, cette installation donne toutefois à penser qu’un temps très long viendra à bout de cette réduction de la nature à l’état de néant, et qu’une régénération lui donnera à nouveau vie.

De la même manière que le temps de séchage introduit une dimension temporelle dans le lieu d’exposition, il est important pour Maëlle Dufour que celui qui regarde ses installations lui donne de son temps. Sans doute a-t-elle conscience que s’effectue dans ces rencontres une sorte d’interaction, même imperceptible car, d’un point de vue scientifique, toute présence dans un environnement a un impact. Les matières apparemment inertes qui composent ses œuvres ne réclament que cette contamination par un souffle de vie. Chacune a une capacité à prodiguer du soin, à amener une transformation de la matière comme cette pierre bleue qui est utilisée pareillement à faire des maisons ou des tombes. Elle parie sur le potentiel de tout être vivant pour modifier son environnement et amener une parcelle de vie par la chaleur de sa présence. Ainsi, elle a couvert les assises de Îlots Épars (2021) d’une peinture thermosensible qui change d’aspect quand un visiteur s’assoit dessus. Pour l’exposition Entre intérêts proposée en même temps à l’Iselp à Bruxelles et aux Brasseurs à Liège (2019), étaient distribuées aux visiteurs des microéditions représentant

22 Revue Point contemporain #29 PORTRAIT
D’ARTISTE
Tenir le poids d’une présence, 2017 Schiste noir venant d’un terril, planche de sapin, eau, tissus et système de chauffage, 300 x 300 x 400 cm Prix du Hainaut, Maison Folie, Mons et biennale Artour, MMDD, Houdeng Photo Ithier Held. Courtesy artiste

des corps photographiés par caméra thermique. Une chaleur qui peut être aussi géologique et dont l’homme profite en tirant son confort de son exploitation. La question de l’usage des ressources souterraines ainsi que la manière dont le sous-sol est utilisé comme lieu de stockage à la fin de la Grande Guerre pour déverser les obus de gaz moutarde et aujourd’hui pour les déchets nucléaires, est omniprésente dans ses œuvres.

Il va pourtant bien falloir qu’on arrête cette machine pour la réparer. Depuis le temps que la fuite est signalée… Nos chefs traînent des pieds pour envisager la réparation.

Les œuvres de Maëlle Dufour évoquent cette incertitude qu’implique toute action humaine et expriment ses multiples contradictions, malgré cette affirmation de toujours faire le choix du vivant. L’œuvre en forme d’ogive Outre-tombe (2020) porte sur cette dimension ambiguë du progrès, tout comme l’installation Entre intérêts présentée récemment au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, qui prend la forme d’une autoroute accidentée. Dans l’installation Sociétés dissoutes (2018) composée d’une tour de surveillance en déséquilibre au sommet de laquelle est diffusée la vidéo Aucun droit moins qu’un chien, elle parle des lieux où « l’homme a détruit l’homme ». Il n’y a pas d’humain dans la vidéo, il y en a seulement les traces. Elle interroge la pertinence du regard et des points de vue induisant un parallèle entre l’œil vide de la caméra de surveillance et celui du photographe qui recherche dans le paysage un sens à l’entreprise humaine. Mirage (2021) est une installation qui questionne le désir de contrôle des êtres. Sa partie basse présente des architectures du port d’Anvers, deuxième plus grand port européen, se répétant à l’infini, partiellement enfouies dans une coulée d’argile de Boom, matière naturellement

présente dans les sols Anversois, présentant notamment les caractéristiques nécessaires à l’enfouissement des déchets radioactifs. Au sommet, des formes hybrides, des strates, créent une explosion de matières naturelles et manufacturées, comme fossilisées, amenant le spectateur dans une certaine confusion de la matière même, et vécu. Une réflexion sur la mémoire qui est au cœur de l’œuvre Les Mondes inversés (2017) constituée de seize plaques de plomb et qui traverse aussi son ouvrage monographique Construire la ruine (2021). Une attitude écocide dont la nature porte les meurtrissures qui font écho aux souffrances ouvrières.

En fait, la mémoire, c’est l’anti-musée : elle n’est pas localisable. Il en sort des éclats dans les légendes. Les objets aussi, et les mots, sont creux. Un passé y dort, comme dans les gestes quotidiens du marcher, du manger, du coucher, où sommeillent des révolutions anciennes.

23 Revue Point contemporain #29
PORTRAIT D’ARTISTE - MAËLLE DUFOUR
Michel de Certeau, L’invention du quotidien, Arts de faire Entre intérêts, 2019 Installation, bois, glissière de sécurité, film sans tain, peinture, colle à carrelage restes d’une autoroute détruite, caméra de surveillance et écran, 24 x 10 x 8 m Les Brasseurs, Liège. Ingénieurs et Architectes – DELVAUX Photo Géraldine Ungaro. Courtesy artiste Elle bat au souffle de la terre, 2016-2017 Boue de pierre bleue, bois contreplaqué et acier, 300 x 90 x 20 cm SOLI SOL SOLI, La Maison des Arts de Schaerbeek, Bruxelles Photo Isabelle Arthuis. Courtesy artiste

PORTRAIT D’ARTISTE - MAËLLE DUFOUR

Les préoccupations de Maëlle Dufour sont aussi sociales car l’impact porté sur l’environnement est le même que celui qui affecte l’humain. S’il n’y a pas de représentation de l’humain dans ces œuvres malgré la relation avec le monde minier, il apparaît que la difficulté des plantes à vivre dans cet univers souterrain, dans cet enfermement, pourrait être interprété comme la métaphore des mineurs privés de lumière, ou de ceux vivant dans la poussière des excavations. L’aspect sédimentaire participe aussi à une mémoire ouvrière. Une épaisseur du temps que l’on retrouve dans la monumentalité des pièces mais aussi dans leur aspect parcheminé qui n’est pas sans faire penser à ces peaux minées par le labeur dans l’œuvre Tenir le poids d’une présence (2017).

Tout ce que nous respirons ici, c’est de la mort !… Tout ce que nous buvons ici… C’est de la mort !… Et bien… Nous voulons boire et respirer de la vie !…

Avec Îlots Épars tout comme avec Entre intérêts, elle incite le visiteur, et sans doute avec lui toute une société qui avance à pas cadencés, à se mettre à l’arrêt, pour méditer sur le travail accompli, les voies empruntées. Elle interroge sur cette distance prise avec ce qui fonde notre humanité. La mémoire a un rôle cicatriciel essentiel, elle est une chaleur nécessaire à la vie comme l’affirmait Joseph Beuys. Si les œuvres de Maëlle Dufour portent, dans leur matière comme dans leur titre, la souffrance d’une condition humaine, elles expriment aussi une croyance indéfectible au vivant, à la possible réparation sur une terre dégradée. Si elle ne donne dans ses œuvres que très rarement d’indication de temps et de lieu, c’est sans doute pour dépasser des problématiques locales et envisager, quel que soit le lieu l’on se trouve, un paysage nouveau à édifier sur les ruines de notre époque.

Née en 1994 en Belgique Vit et travaille à Bruxelles et à Gand Lauréate du HISK (Institut Supérieur des Beaux-Arts) Gand (2022-23) www.maelledufour.be

Expositions récentes (sélection) 2023

Duo show, Delta, Namur 2022

L’anticipation d’un futur, commissariat Point contemporain x Centre Wallonie-Bruxelles Espace Vanderborght, Bruxelles Les Heures Sauvages, commissariat Stéphanie Pécourt, Centre Wallonie-Bruxelles Paris 2021

Entre Intérêts, exposition personnelle, Biennale Watch This Space 10, 50° nord Les Brasseurs, Liège et l’ISELP, Bruxelles Îlots Épars, Duo, MAAC, Maison d’Art Actuel des Chartreux, Bruxelles Periphery, commissariat Joachim Naudts, Kunsthal Extra City, Anvers Alumni Startwell, Amsterdam

Actualités

Du 24 mai au 10 juin 2023 Clastique, commissariat Sabine Sil et Tristan Trémeau, Poelp, Bruxelles

Du 26 mai au 16 juillet 2023

Festival Eclectic Campagne(s), La chambre d’eau, Moulin des Tricoteries, Le favril

Du 1er Juin au 09 juillet 2023 Lavender Snows, commissariat Maud Salembier, La Traverse, Marseille

Outre-tombe, 2020

Installation, inox poli, acier, béton avec pigments noirs, 650 x 75 x 75 cm Triennale Art Public Liège, Cours de la Société Libre d’Émulation, Liège Ingénieurs et Architectes – DELVAUX : Mateo Herinckx Photo Ithier Held. Courtesy artiste

Îlots Épars, 2021 Techniques mixtes Intervention dans l’espace public au pied du terril des piges à Charleroi avec le soutien du Bps22 et de la FWB

24 Revue Point contemporain #29
Photo et Courtesy artiste

HUMBERTO POBLETE-BUSTAMANTE

L’envie est forte de rechercher dans les toiles d’Humberto Poblete-Bustamante, qui se prêtent à être catégorisées dans la grande famille de l’abstraction, un certain vocabulaire formel, une récurrence d’éléments tendant vers la géométrie ou le lyrisme. Or, il réfute cette assimilation, définissant sa peinture, esthétiquement et conceptuellement parlant, comme « concrète », donnant pour exemple que « le triangle peint n’est pas une montagne, le point jaune n’est pas un soleil, et le carré vert n’est pas un jardin, qu’ils n’existent que pour eux-mêmes ». Nous sommes donc bien devant le résultat d’une activité picturale strictement formelle dans le sens où Humberto Poblete-Bustamante ne pense « qu’en terme de forme et de réaction à cette forme » et non en terme de représentation, ayant pour exigence d’arriver à un certain état de pauvreté de la peinture, qui fait d’elle rien d’autre « qu’une peinture en soi » .

Humberto Poblete-Bustamante mobilise tous ses efforts contre ce mécanisme de transmutation des éléments peints qui les donne à voir comme des figures ou des signes, et identifie la toile comme le support d’un discours ou d’une narration. Il tente de limiter cette dimension interprétative s’opérant par la métaphore qui accompagne depuis toujours l’histoire de la peinture. L’étymologie du grec metaphora, qui peut se traduire par le terme « transport », rend compte de ce déplacement dont la toile devient malgré elle l’enjeu, les éléments peints renvoyant à une réalité qui leur serait extérieure.

Une force en lui oblige Humberto Poblete-Bustamante à repasser par-dessus ces motifs qui apparaissent sur la toile donnant raison à l’injonction de Gauguin : « Rien que de la peinture, pas de trompe-l’œil1 », alors qu’un autre aspect de lui-même le pousserait plutôt à la conservation et à poursuivre ce cheminement qui ferait de la peinture une figuration. En réponse à cette dualité, il engage un processus simultané de construction-destruction, ses peintures comportant de multiples recouvrements et effacements successifs. Chaque artiste, explique-t-il, a une façon qui lui est propre de maîtriser cette apparition du langage quand il n’en veut pas. Il prend l’exemple de Georg Baselitz qui, en retournant le tableau, dit que c’est la peinture qui a inventé la figure comme il crée d’abord la forme qui constitue un concept. Dans celle-ci, la figuration arrive très vite parce qu’il est aisé de placer des figures géométriques et d’installer un formalisme pédagogique empreint de rationalité qu’il déteste. Humberto Poblete-Bustamante cite Picasso aussi

qui a voulu réduire à néant ce mensonge qui donnait à penser la peinture comme espace. Afin de limiter cet effet d’espace, ses tableaux pouvant être comparés à de grands monochromes, il a développé une touche qui le fragmente, pour finir par complètement le détruire.

Humberto Poblete-Bustamante lutte constamment contre une forme d’utopie de la représentation, car « la peinture n’est pas l’idéal, elle est l’erreur, une faillite », rajoutant qu’il réfute cette exactitude, cette précision qu’on lui attribue. La peinture, nous dit-il, est comme notre humanité, en évolution permanente, imparfaite bien que tendant vers un meilleur qui lui reste inatteignable. Il a parfaitement conscience qu’il n’y a pas de société humaine sans barbarie, sans injustice et que l’Histoire nous raconte cet état de fait. Dans la création, dans la beauté, se trouvent déjà les germes de la destruction, la naissance et la mort étant indissociables. Devant ce qui pourrait être l’image de la perfection, il serait alors « le sale gosse qui fait le graffiti par dessus » maculant cette image mensongère de la perfection « parce qu’il faut sauver sa chair ». Même, nous dit-il, si l’on peut s’extasier devant une idée d’immatérialité, oublier la matière ou la faire disparaître, revient à oublier que le corps est lui-même constitué de cette matière. Humberto Poblete-Bustamante a en lui cette nécessité de s’exprimer corporellement, de venir souiller une surface trop lisse, déformer une ligne trop fluide, même si celles-ci sont émouvantes. Il interroge la nature même de la peinture, tel que l’a fait Paul Klee dans sa quête des origines, afin de retrouver cette antériorité de la sensation sur la pensée.

25 Revue Point contemporain #29 PORTRAIT D’ARTISTE
The silence of the neighborhood is the song of your glory, 2023 Huile sur toile, 130 x 163 cm. Courtesy artiste et Galerie Julien Cadet

Il n’y a aucune forme de négativité restrictive dans sa vision de la peinture, il ne s’agit pas de dénoncer ses qualités reconnues par des siècles de pratique, mais de lui redonner une dimension humaine parce qu’elle est œuvre d’un homme luimême pris dans un contexte, qui est d’abord celui de l’atelier avant d’être celui du monde. Pour sa récente exposition à la galerie Julien Cadet, il avait au départ une idée complètement différente de ce qu’il a au final présenté et en a été le premier surpris. Ce qui se passe dans l’atelier a déterminé la forme prise par l’exposition parce que s’il avait voulu faire une toile à dominante jaune, il avoue qu’il n’aurait jamais trouvé le jaune. Cette actualité est celle de son état d’esprit du moment et, plus prosaïquement, du capharnaüm de son atelier qui l’empêche de préméditer la série de toiles qu’il s’apprête à peindre. Il prend soin d’éradiquer toute espèce d’esthétique mais aussi toute empreinte formelle qui pourrait rattacher sa peinture à un courant pictural ou aux travaux d’artistes dont les œuvres sont les affirmations d’un certain mode de pensée, maintenant ses réalisations dans l’actualité qui est la leur. Il doit être dans le « là maintenant » et non dans les préceptes de l’école de New York ou d’autres écoles des années 50 qui ont été, en leur temps, légitimes dans l’abstraction.

Sa peinture est entièrement déterminée par les émotions qui participent au choix des couleurs et des formes. Humberto Poblete-Bustamante travaille dans une forme d’inquiétude restant « à l’écoute des sensations émotives » qui le traversent pour en restituer l’épaisseur, l’intensité dans la matière picturale. Parfois rugueuse, comportant des aspérités marquées, il dit que cette matière vient presque malgré lui lourdement empâter la toile. Il s’agit pour lui d’atteindre une certaine sensation qu’il assimile à une forme de vérité qu’il retrouve non dans les visages de porcelaine de Raphaël mais dans les empâtements de Léonard de Vinci. Il a le sentiment de passer au final beaucoup de temps à observer ce que chacun de ses gestes produit comme incidence sur la toile, la réponse qu’il nécessite à l’autre bout de celle-ci. Il dispose très simplement un élément ici, un autre là, s’interrogeant si la ligne qu’il vient de faire est trop molle ou trop robuste, ce qui dans ce cas pourrait le gêner en raison du déséquilibre occasionné. Il se dit très attentif à toutes les petites manifestations accidentelles, aux gouttes de peinture, à un bouton de veste qui, en frottant contre la toile y a laissé son empreinte. Dans le tableau, l’élément fait de matière communique d’autant plus avec une simple touche de peinture, qu’elle lui permet d’exister en tant que tel.

Il intervient sur la toile tant qu’il n’y a pas assez d’éléments qui lui procurent une satisfaction. Celle-ci se manifeste par une succession d’événements qui tend à lui donner une forme d’équilibre. L’émotion chez Humberto Poblete-Bustamante est structurelle car c’est elle qui fait tenir le tableau, et non pas une loi, pas plus qu’une « self-analyse, parlée ou écrite ou même pensée » qui nécessiteraient, nous dit Duchamp (L’acte créateur), « la faculté d’être pleinement conscient des décisions dans l’exécution de l’œuvre ». Elles sont juste une expression de ce qu’il a éprouvé à un moment donné. Aussi, il réfute les termes de création, de composition, préférant parler de dynamique interne du tableau, car ces termes présupposeraient une préméditation des œuvres à peindre. Il ne se retrouve pas du tout dans les registres qui définissent cette notion d’œuvre d’art, terme qu’il évite aussi, parce qu’il suggère une sacralisation de l’objet tableau.

26 Revue Point contemporain #29
PORTRAIT D’ARTISTE - HUMBERTO POBLETE-BUSTAMANTE
As soon as the light begins, the long games will return, 2023 Huile et acrylique sur toile, 150 x 140 cm. Courtesy artiste et Galerie Julien Cadet Singing with friends, 2021 Huile sur toile, 50 x 40 cm. Courtesy artiste et Galerie Julien Cadet

PORTRAIT D’ARTISTE - HUMBERTO POBLETE-BUSTAMANTE

Il avoue ne pas lui accorder un grand attachement parce qu’une forme de distance s’installe dès lors qu’il n’est plus dans le moment de leur conception. Il a toutefois conscience que, comme tout autre objet, il a la nécessité d’être fini pour pouvoir exister, c’est-à-dire d’être constitué physiquement et de manière fonctionnelle. Il a aussi conscience que le titre contribue à cette identité de l’objet même s’il ne titre pas véritablement ses toiles afin de ne pas en donner une interprétation, préférant inscrire sur la périphérie du châssis une phrase au crayon qui vient l’accompagner tout en égarant la lecture.

Il s’agit en effet non pas de comprendre, mais de percevoir cette « sensation » qu’il a tenté d’y inscrire, de suivre un cheminement qui conduirait le spectateur au-delà de l’image perçue pour atteindre un « en dedans » du peintre. Une nécessité, dit-il, que n’a jamais su percevoir l’Académie, qui s’est toujours trompée, notamment vis-à-vis d’un Van Gogh, parce qu’elle n’a jamais tenu compte de l’élément émotif. Georges Mathieu2 fait écho à cette sentence de Gauguin quand celui-ci s’exclame, « L’erreur, c’est la Grèce » en révolte contre « l’œuvre conçue comme un faire » et qu’il n’y a plus de place pour « l’improvisation, la spontanéité, la vitesse » et au-delà pour « l’inconnu ». Humberto Poblete-Bustamante sonde cette dimension intérieure et ses toiles, nous dit-il, ne sont pas autre chose « qu’une extension de ce qu’il est à ce moment-là. »

1 Gauguin, Oviri, écrits d’un sauvage, Coll. Idées/Gallimard.

2 Georges Mathieu, Article paru dans la revue La Galerie n°127, mai 1973.

Né en 1966 à Santiago, Chili Vit et travaille à Paris

Représenté par Galerie Julien Cadet Paris www.galeriejuliencadet.com et Galeria Alegria, Barcelone www.galeriaalegria.es

Expositions récentes (sélection)

2023

Art Brussels, Galerie Julien Cadet, Bruxelles Flat Totems for Orgasmic Freedoms and Other Seeds, exposition personnelle Galerie Julien Cadet, Paris

2022

Trying to Sing Tomorrow’s Songs, Andersen Contemporary, Copenhage CauCau, Centro de Arte Caja de Burgos (CAB), Burgos Art Antwerp, Galeria Alegria, Anvers

MIAM MIAM, curated by Galerie Julien Cadet, Volery Gallery, Dubaï ARCO Madrid 2022, Galeria Alegria, Madrid

27 Revue Point contemporain #29
Only you can make the worst of my past beautiful, 2021 Huile et acrylique sur toile, 200 x 230 cm. Courtesy artiste et Galerie Julien Cadet

COMMISSARIAT D’EXPOSITION

FAIRE HISTOIRE

L’exposition Faire histoire est une invitation à entrer dans un univers où les artistes ont donné une existence concrète aux motifs représentés et inversement une dimension picturale aux éléments du réel. Peut-être que ce que nous prenons pour une illusion est bien là devant nos yeux, et que tout ce que nous percevions comme réel n’est qu’artefact ?

Une coexistence trouble qui permet, selon les points de vue, l’anamorphose de situations dans lesquelles le visiteur devient un protagoniste au même titre que les figures des tableaux avoisinants, ressentant ce sentiment de dédoublement, cette légère distorsion qui apporte un frisson sans pareil, celui-là même qu’éprouve le narrateur face au Horla en se mirant dans la glace1 ou celle de Dorian Gray2 devant son portrait le révélant tel qu’il est vraiment.

Ce pouvoir de suggestion de l’œuvre d’art comporte un caractère hallucinatoire par le fait que celui qui la regarde l’appréhende comme une part du réel, ne pouvant plus distinguer ce qui est de l’ordre de l’imaginaire. Elle revêt même un aspect intrusif et hypnotique quand l’artiste y livre une part de lui-même et que la surface plane d’un tableau gagne en profondeur, devient un espace purement psychique. Ne dit-on pas d’une œuvre, quand elle est animée par la tentative absolue d’atteindre la vérité de la représentation, qu’elle est « habitée » par son créateur ? Une expérience qui nécessite que le génie côtoie la folie et qui ne peut que conduire à la production du chef-d’œuvre ultime3. Une quête de la perfection,

dans une confusion mimétique entre réalité et représentation, dont s’est amusé Magritte et dont le titre même de son tableau La Condition humaine4 suggère qu’elle dépasse le domaine de l’histoire de l’art, car ayant à voir avec chaque acte de l’humanité, elle s’inscrit alors dans la grande Histoire, celle du progrès des sciences et de la technologie.

Une recherche de perfection qui a toujours habité la peinture quand elle est figurative ou la photographie quand elle cherche à saisir l’instant de l’événement, et qui est au cœur des problématiques actuelles à l’avènement du post-digital. Dans ces univers en trompe-l’œil où les outils numériques réinventent

28 Revue Point contemporain #29
Alexandra Hedison, Untitled (Ithaka 15), 2008 Impression jet d’encre sur papier de qualité muséale, 129 × 100 cm Courtesy artiste et H Gallery Paris

la faune et la flore décimées, dans ce monde où tout ce que nous avons connu disparaît pour revivre dans le monde virtuel du Metaverse, avons-nous encore une existence concrète ?

Ne sommes-nous pas déjà égarés dans le labyrinthe de miroirs cherchant quelle image de nous parmi celles que nous dispersons sur les réseaux sociaux est la vraie ? L’évolution de la science ne cherche-t-elle pas, en nous dotant de capacités en tout point augmentées, à faire de nous une représentation idéalisée de ce que nous sommes ?

Cette friction entre illusion, virtualité, fiction et réalité est le fondement même de l’art qui donne à l’esprit cette capacité de se mouvoir indépendamment du corps. Il s’agit bien d’ouvrir un passage dans le réel pour atteindre un espace paradoxal, à la manière d’un escape game, comme l’affirme Henry Miller : « Certains tableaux vous font des clins d’œil ; vous entrez et vous devenez leur prisonnier5. » Dans cet antre de l’œuvre, il est évident que les figures s’animent plus étrangement, que toute image se trouve inversée, que toute chose semble, malgré son immobilité, douée de vie. Même la photographie à laquelle tout un chacun aime accorder une plus grande confiance n’est qu’un leurre gardant un rapport trouble avec ce qu’elle est censée enregistrer, les photographies étant, nous dit John Harbutt, « à la fois des images réelles et des réalités imagées » ajoutant qu’un « grand photographe passe avec autant d’aisance du réalisme à l’imaginaire6.»

Pourtant, c’est bien à travers cette expérience de l’art que s’éprouve la réalité dans sa matérialité, car elle permet une mise en émoi qui elle seule ouvre notre sensibilité aux êtres et aux choses. De Richter à Lasker7, les peintres aiment affirmer que seule la peinture, ce « matériau intensément palpable », entretient un vrai rapport avec le réel car « la peinture c’est la magie de transformer la matière physique en apparence ». Ainsi, c’est en faisant des aquarelles qu’Henry Miller accède véritablement à l’essence de ce qu’il perçoit : « Maintenant, en étudiant l’apparence de l’objet, sa texture, sa façon de parler, j’entrais de plain-pied dans la vie, dans son histoire, dans ses fins, et dans ses associations avec les autres objets, toutes révélations qui me le rendaient plus cher encore8. »

Un pouvoir de révélation auquel a toujours été sensible la directrice de H Gallery, Hélianthe Bourdeaux-Maurin, qui met à l’honneur dans sa programmation, des artistes, peintres et photographes, capables d’amener les amateurs d’art dans des récits aux multiples dimensions, dans l’intensité de narrations qui les impliquent parce qu’elles ne les laissent jamais indifférents. Les œuvres présentées se racontent par ce « Il était une fois » qui les marquera à jamais, par ce passage que les artistes ont fait le choix d’emprunter car il leur donnera à cheminer, à la manière du Grand Meaulnes9, dans un monde composite même s’ils ne sauront jamais si l’expérience vécue a été réelle ou imaginaire, faisant l’aveu comme John Fowles : « Et les tableaux ! Tu ne me croirais pas si je te décrivais les tableaux10. »

1 Guy de Maupassant, Le Horla, 1886.

2 Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, 1890.

3 Honoré de Balzac, Le Chef-d’œuvre inconnu, 1831.

4 René Magritte, La Condition humaine, huile sur toile, 100 × 81 cm, 1935.

5 Henry Miller, Peindre c’est aimer à nouveau, éditions Le livre de poche, 1962.

6 Charles Harbutt, article dans le magazine Photo de mars 1975.

7 Gerhard Richter, Textes publiés sous la direction de Hans Ulrich Obrist, éditions

Les Presses du réel, 2012.

Jonathan Lasker, Expressions permanentes, daniel lelong éditeur, 2005.

8 Henry Miller, Peindre c’est aimer à nouveau, éditions Le livre de poche, 1962.

9 Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, coll. Folio, éditions Gallimard, 1913.

10 John Fowles, The Collector, coll. Points, éditions du Seuil, 1963.

Du 08 juin au 19 juillet 2023 Faire Histoire Commissariat Point contemporain sur une invitation d’Hélianthe Bourdeaux-Maurin

Avec Lara Bloy, Corine Borgnet, Guillaume Constantin, Louise Dumas Iris Garagnoux, Alexandra Hedison, Lanee Hood-Hazelgrove, Florian Mermin Morgane Porcheron, Lionel Sabatté, Maryline Terrier et Rémi Uchéda H Gallery, 39, rue Chapon, 75003 Paris

29 Revue Point contemporain #29 COMMISSARIAT D’EXPOSITION - FAIRE HISTOIRE
Iris Garagnoux, Regard Parallèle 1, 2023. Impression lenticulaire. Peinture digitale, lait, encre acrylique, ferrofluide, humain. Courtesy artiste

MAXIME VERDIER

Maxime Verdier a découvert le tennis adolescent en 2005 en suivant comme des millions de téléspectateurs le parcours d’un Rafael Nadal héroïque qui remportait pour la première fois la Coupe des Mousquetaires. Un sport qu’il apprécie pour l’engagement, l’endurance, les qualités physiques et mentales qu’il nécessite pour arriver au plus haut niveau. Lui-même sportif, il connaît l’adrénaline que procure la participation à un tournoi et reconnaît en son métier d’artiste ce même engagement, cette même exigence et ténacité dont il faut faire preuve pour réussir. Retenu par le comité artistique de Roland-Garros pour réaliser l’affiche de l’édition 2023, il a tenu à exprimer dans ce dessin entièrement réalisé au crayon de couleur ce que pouvait représenter ce tournoi pour tous ceux qui le suivent chaque année, et comment, galvanisant petits et grands, pratiquant ou pas le tennis, il créait du rêve et suscitait des vocations. Cette passion, il en a ressenti les vibrations quand il a visité les coulisses de cette grande maison du tennis français. Il a été aussi particulièrement touché en tant qu’artiste par la place que le tournoi accorde à l’art et la vision qu’en donnent les artistes à qui on confie la réalisation des affiches depuis plus de 40 ans. Il cite notamment parmi celles qui l’ont profondément marqué, celle « si épurée qu’elle touche à l’essentiel », de l’artiste américaine Kate Shepherd (2007), mais aussi « ce court qui s’ouvre comme une fenêtre » dessiné par Jean Folon (1982), ou encore celle de Louise Sartor (2022) mettant à l’honneur les ramasseurs de balles.

Une relation entre art et sport qui a d’autant plus de sens pour Maxime Verdier que la notion de jeu est essentielle dans son processus de création. Il s’ingénie toujours à introduire dans un dessin qui pourrait paraître classique, de l’originalité, aimant se jouer des attendus jusqu’à composer des mondes à l’envers. Autant de termes transposables dans l’univers du tennis, quand le joueur, guidé par son sens tactique, varie les trajectoires et les longueurs de balles, ou prend à contre-pieds son adversaire. L’affiche de Maxime Verdier est exemplaire sur de multiples aspects de ces renversements de situation si fréquents dans un match de tennis. Elle est tout d’abord une des rares à ne pas se situer dans l’enceinte même du tournoi, mais à offrir une vue de loin du nouveau court Philippe-Chatrier dessiné dans son entier. De plus, à la différence des spectateurs qui voient le jeu se dérouler depuis les gradins, le personnage a le regard tourné vers le ciel, vers un ailleurs. Le dessin de Maxime Verdier donne à voir le tournoi du point de vue de ceux qui le suivent et qui, comme cette jeune fille, sont illuminés par « une constellation de grands joueurs et joueuses qui font que Roland-Garros est Roland-Garros ». Une joueuse qui illuminera peut-être un jour à son tour de nouvelles générations, à l’image de Jennifer Capriati, étoile montante ayant déjà gagné l’édition junior, et qui à seulement 14 ans atteignit en 1990 les demi-finales avant de remporter le tournoi en 2001 et de devenir numéro un mondiale. Maxime Verdier se souvient que le jeune sportif a tous ces rêves à l’esprit lorsqu’il voit les grands joueurs. Mais il sait aussi que le chemin est long, et combien il faut pour atteindre une forme de perfection, dans l’art ou le sport, celle d’un Ernest PignonErnest ou d’un Roger Federer, s’entraîner sans relâche, et qu’il est indispensable d’être animé de ce « fighting spirit » que

Nick Bollettieri a su insuffler à ces champions et championnes, vainqueurs du tournoi, que sont Andre Agassi, Jim Courier et bien d’autres. Une affiche qui évoque aussi « le simple plaisir de jouer, et d’apprécier ce sport, de regarder le tennis, juste pour ce qu’il est ».

Maxime Verdier a été sensible aussi à cette « terre des légendes » qui caractérise Roland-Garros car dans l’espace d’un court de terre battue, il peut se passer des choses incroyables de la même manière qu’il peut advenir sur la surface de la feuille des événements extraordinaires. Il compose des dessins et des dioramas à partir d’anecdotes, de petites histoires anodines, de situations de sa propre vie, parfois de sensations très fugaces, qu’il développe dans des univers qui touchent au conte, au surnaturel ou à la Fantasy. Une notion d’aventure qu’il retrouve dans un match, quand les protagonistes passent par des moments très différents, d’euphorie et puis d’abattement, donnant l’impression dans leur expression corporelle ou leur physionomie d’être complètement perdus avant de retrouver leur jeu et de conclure le match avec des points souvent spectaculaires.

L’affiche présente aussi cette manière très positive de parler d’un avenir radieux. Les dimensions de la fête et même de la féerie sont omniprésentes avec cette idée de « mise en lumière » d’un événement. Le travail quotidien des joueurs, les souffrances endurées, parfois les blessures, les périodes de doute un peu sombres, se métamorphosent sur le court pour livrer au spectateur un moment magique. Dans sa manière de voir le dessin, Maxime Verdier ne veut pas occulter cette dimension cachée qui passe par la représentation de la nuit, de la forêt ou du masque, car comme dans les épopées, il se produit une transformation du héros. L’affiche nous transporte dans une nuit éclairée, qui fait référence au rêve, mais aussi aux sessions de nuit, une nuit qui peut être autant un coucher de soleil qu’une aube homérique. Dans cette nuit, le monde se réinvente, l’avenir devient une promesse, alors les œuvres créées par l’artiste, tout comme le site de la porte d’Auteuil, deviennent des « lieux d’utopie totale ».

Né en 1991 à Dieppe Vit à Paris et travaille à Gennevilliers Diplômé de l’École supérieure d’art et Design Le Havre-Rouen (2015) Diplômé de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (2017)

Représenté par Galerie Anne-Sarah Bénichou Paris www.annesarahbenichou.com

Expositions récentes (sélection) 2022

L’amie.e modèle, commissariat Mathieu Mercier, MUCEM, Marseille Pleins Feux, commissariat Léa Hodencq

La Chapelle - Centre d’art contemporain Clairefontaine-en-Yvelines Se laisser prendre au jeu, Le Radar, Bayeux J’ai l’impression que nous ne sommes plus au Kansas, commissariat Adèle Hermier Galerie Duchamp, Yvetot

Actualités

Du 09 septembre au 10 novembre 2023

Doppelgänger, exposition personnelle Le Point Commun, espace d’art contemporain, Annecy

30 Revue Point contemporain #29 FOCUS
31 Revue Point contemporain #29 FOCUS - MAXIME VERDIER
Courtesy artiste/FFT
2023

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