PointBreak numéro 1

point break

jazz libre & groove à plaisirs

JAZZDoR PRÉSENTE “ DepuIs longtemps ” RIchard Bonnet, Tony Malaby, SylvaIn DarrIfourcq, LouIs SclavIs sortIe le 20 maI 2022

JAZZDoRSERIES.BANDCAMP.COM JAZZDoR.COM

La Vapeur présente

L’Extra

LAVAPEUR.COM #LEXTRAFESTIVAL

© Surfil

Festival

CONCERTS ESCAPADES ÉCO-MOBILITÉS

13, 14, 15 MAI 2022 DIJON

Stan Getz “ Ce disque, pour moi, c’est de la merde.

Archie Shepp, pour moi, ne sait pas jouer du saxophone. Il ne joue pas de musique.

Mais c’est un gars sympathique. ”

Stan Getz à propos de Fire Music (1965), blind test avec Alain Gerber Jazz Magazine, mars 1971.

éditions

conc erts, théât re, je une p ublic , bru nch, Bistro t par ty

bistrotdelascene.fr

203 rue dʼAuxonne, Dijon

30 avril

Claude Tchamitchian Solo ‘‘In Spirit’’ + explicit liber ‘‘Protest Songs’’

14 mai

Nefertiti + Trio Oliva/Boisseau/Rainey ‘‘Orbit’’

samedi 16 juillet

28 mai

Healing Orchestra

mâcon - gratuit

‘‘Free Jazz for the People !’’

11 juin

Elodie Pasquier Solo + invités + Tatanka ‘‘Forêts’’

25 juin

Potlatch + Sousta Politiki

©Healing Orchestra Julie Axelle Mallet

© Alexandre Claass

LIEU DʼARTS ET DʼESSAIS DU SPECTACLE VIVANT

selma & salem

INFOS & BILLETTERIE

maisondupeuple.fr

crescent jazz festival jeudi 14 au samedi 16 juillet 2022 Le Crescent Jazz Festival est co-réalisé avec la Ville de Mâcon dans le cadre de l’Eté Frappé

12 rue de la Poyat Saint-Claude (Jura)

ours rédaction en chef & direction artistique guillaume malvoisin graphic lama pierre-olivier bobo couverture jean-baptiste bonhomme administration & publicité aurélie cognard, florentine colliat, pierre-olivier bobo impression Estimprim dépôt légal : avril 2022 ISSN en cours © LeBloc 2022 PointBreak est édité par LeBloc 26 boulevard de l’université 21000 Dijon siret 79474011800045 www.pointbreak.fr www.jazzbloc.fr

rédaction pierre-olivier bobo, mr choubi, arthur guillaumot, lucas le texier, guillaume malvoisin, sarah murcia, didier petit, martial ratel, stan sheraf, zerolex photographes sidonie dubosc, françois corneloup, pierrick finelle, jean gouverne, silvestre nonique-desvergnes, médéric roquesalane illustrateurs terreur graphique, bastien vivès, mr choubi, mlle caleuleu relecture & corrections juliette tixier

spécial merci melle caleuleu high five pour le support alix beblik, julian marras, le comité du bloc, françois corneloup, margot mucci les équipes de jazzdor, jazzus, radio dijon campus, la vapeur, l’arrosoir, zutique productions, le crescent, du bleu en hiver les affineurs du mixanthrope.fr

retranscription & communication dorian almeida, ellinor bogdanovic, orane mignotte

Ici, des voisins grignotent du jazz en toute detente.

image sonore

Terreur Graphique

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La musique dans la peau, mais aussi dans la tête de ceux qui dessinent.

Jazz, rock, musette : c’est quoi la bande son des bouclages dans le monde fabuleux des faiseurs petits mickeys ? Né dans les environs d’Angoulême, Terreur Graphique a donc appris à dessiner. Depuis, il publie également des planches dans des illustrés comme Psikopat et Fluide Glacial et livre des strips pour Libération. par Martial Ratel dessin Terreur Graphique

La musique que tu écoutes en travaillant ?

C’est très variable. En ce moment, beaucoup de hip-hop des années 90-2000 genre A Tribe Called Quest, The Roots, El-P et Ghostface Killah. Du jazz aussi, free ou spiritual, sinon je mets Le Grigri, la web radio.

Ce que tu ne peux pas écouter en travaillant ?

J’évite tout ce que je connais par cœur. Chanter les paroles ça n’aide pas à se concentrer. Et encore, je le fais quand même… Ce que je ne veux surtout pas entendre, c’est la musique qu’on essaierait de m’imposer.

Le plus dur pour toi, c’est une journée sans dessiner ou une journée sans musique ?

Sans musique assurément ! Mais ça n’arrive quasi jamais. Je peux facilement rester des jours sans dessiner, mais mon banquier me l’interdit.

Les plus belles pochettes de disques ?

Les pochettes Blue Note designées par Reid Miles.

J’adore aussi la pochette de Oh Yeah de Charles Mingus, par Loring Eutemey, celle de Olé de Coltrane, celle de The Low End Theory de A Tribe Called Quest, La Grande Musique de The Little Rabbits.

Quelle pochette a pu te faire acheter un disque ?

Philophobia de Arab Strap et Holy Bible des Manic Street Preachers. “The Spaghetti Incident?” de Guns n’Roses aussi, mais aucun souvenir du contenu.

Peux-tu me citer un disque avec une pochette sublime, mais avec une musique horrible, et l’inverse ?

Les pochettes des derniers The OhSees sont particulièrement horribles, mais la musique est de première qualité. L’inverse est difficile car je n’ai aucun disque dont la musique est horrible. Pas de Michel Sardou ni d’Oasis.

La pochette du disque que tu aimerais avoir dessiné ou redessiner ?

Une pochette de NoFx. Actu musicale. Quel est le disque que tu attends le plus, prochainement ?

Les trois albums que Q-Tip a annoncé sortir prochainement. L’espoir fait vivre.

Le ou les disques posé(s) tout en haut de ton panthéon personnel ?

Giant Steps et A Love Supreme de John Coltrane. Ex aequo.

Dessiner une note bleue, ça ressemblerait à quoi ?

Il faut demander à Loustal, ça !

Quelle vie de groupe ou d’artiste solo adapter en B.D. ?

Charles Mingus. Son autobiographie est géniale, Mingus est génial, je rêverais de l’adapter.

Quel morceau ou album tu pourrais adapter en livre ?

Bambi Galaxy de Florent Marchet. J’y pense depuis des années. L’histoire se déroule sous nos oreilles.

Tout y est, il n’y a plus qu’à dessiner. C’est de la S.-F. et j’ai envie de S.-F. Quel est le livre d’image le plus musical pour toi ? B.D., roman graphique, livre d’illustration ou carte routière.

Punk Rock & mobile homes de Derf Backderf. Tout est dans le titre ! Y a même Lester Banks dans cette B.D. Le personnage de B.D. le plus musical ?

Gaston. Pas seulement à cause du Gaffophone, il a sa propre petite musique. pBK

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Suite de la bande son des bouclages dans le monde fabuleux des faiseurs petits mickeys. Bastien Vivès est un genre de blender très efficace. Bande dessinée franco-belge, manga, animation, et jeu vidéo, il mixe à volonté. Comme chez Flunch, mais en plus fin. Le Goût du chlore impose son style. Prolongation avec Polina et Une soeur, dérivation avec Balak et Michaël Sanlaville, dans Lastman, primée en 2015, et, enfin, succession avec Corto Maltese en 2021.

par Martial Ratel dessin bastien vives

Ce que tu écoutes en travaillant ?

Essentiellement de la chanson française de 1920 à nos jours.

Si je te dis « jazz », tu me réponds ?

Mon père. Sur la route des vacances dans le sud, 4h de jazz, 4h de blues.

Ce que tu ne peux pas écouter en travaillant ?

Ce qui est inconfortable, avec un rythme trop élevé ou une voix désagréable.

Le free jazz et le noise, c’est au mieux un brouillon avant un chef-d’œuvre ?

Je ne suis pas allé plus loin que Charlie Parker et encore c’était dans le film d’Eastwood. Impossible de répondre, donc.

Une musique de film qui accompagnerait ta production ?

Les musique de Philippe Sarde. La B.O. de L.627 est une de mes préférées.

Le ou les disques posé(s) tout en haut de ton panthéon personnel ?

Le Métèque de Moustaki, Neon Golden de The Notwist, Grand Prix de Biolay, Non ci badar, guarda e passa… de Stephan Eicher, À Prendre de Miossec, Pop Up de Yelle, La Fin De L’Espèce du Klub des Loosers, Morgane de toi de Renaud, Zuma de Neil Young, Enema Of The State de Blink-182 Peux-tu me citer un disque avec une pochette sublime, mais avec une musique horrible, et l’inverse ?

Pochette sublime, mais avec une musique horrible : Nevermind de Nirvana. Pochette horrible, musique sublime : The New Abnormal de The Strokes.

Dessiner une note bleue, ça ressemblerait à quoi ?

Des lavis, avec des contrastes ténus. Rien qui heurte.

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« Groove à plaisirs » ça évoque quoi pour toi ?

Un slogan de Fun Radio juste avant l’an 2000.

Le meilleur jazzman du futur ?

Il entre en ce moment-même dans le spectre de l’autisme.

Quelle vie de groupe ou d’artiste solo adapter en B.D. ?

Je pense à Renaud pour faire plaisir à ma femme ou à Neil Young, pour faire plaisir à ma mère.

Quel morceau ou album tu pourrais adapter en livre ?

N’importe quelle chanson de Brassens, pour l’histoire et le suspens, ou Moustaki, pour l’émotion.

Quel est le livre d’image le plus musical pour toi ? B.D., roman graphique, livre d’illustration ou carte routière.

Le Local de Gipi. Ça parle d’une bande de jeune qui chope un local pour jouer leurs chansons, c’est magnifique.

Le personnage de B.D. le plus musical ?

Tintin. À chaque fois que je vois sa tronche, j’ai le générique de la série animée qui me vient en tête.

image sonore

bastien vives

fiat lux nicolas muret par guillaume malvoisin photo silvestre nonique-desvergnes

La meilleure des couleurs pour éclairer un concert de jazz ?

Quelle lumière pourrait faire aimer le jazz à un réfractaire ?

Je ne crois pas qu’il y ait de meilleure ou de pire couleur. Je dirais que c’est d’abord des combinaisons. D’intensités, de couleurs, de directions ou de températures de couleur.

Aucune. Je propose un concept, de la musique jazz en live sur le film muet, comme le pianiste Paul Lay l’a fait sur L’Émigrant de Charlie Chaplin.

Pourquoi on voit tellement souvent du vert et du violet dans les concerts de jazz ?

Le pire instrument à éclairer ?

Du vert ?! Ce n’est pas la première couleur qui me vient à l’esprit pour du jazz. J’aurais tendance à penser que la couleur de base c’est le bleu. C’est la couleur de la mélancolie, de la nostalgie, de la tristesse. Il y a du blue partout dans le jazz : Blue Note, Kind of Blue, Blue Train. Éclairer une note bleue, c’est possible ?

Oui, tant qu’elle est bleue ça va ! Parfois, elle est bien plus que bleue, la note.

Le jazz, ça peut s’éclairer comme du rock ?

On peut très bien utiliser le même plan d’éclairage. La différence va se jouer à la console lumière pendant le live. Le rock c’est du 4/4, on sent venir les refrains, les ponts, les solos. En jazz, on ne voit rien venir.

Le Free Jazz, c’est pas mieux dans le noir ?

Juste quelques néons suffisent, avec un ou deux qui clignotent... Ambiance glauque, épileptique.

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Hmmm... l’harmonica. C’est le pire puisqu’on ne le voit pas, il est toujours plus ou moins caché dans les mains, comme la guimbarde.

Le meilleur instrument à éclairer ?

La voix… Pour être honnête j’ai beaucoup de mal à répondre à ces deux questions de pire et de meilleur instrument à éclairer. Si je vais au bout de mes pensées, je dirais qu’il y a deux façons de voir l’éclairage sur les instruments.

La première, c’est quand les musiciens sont sur scène et la deuxième c’est quand ils n’y sont pas. Quand ils n’y sont pas, avant que le concert commence, les spectateurs s’installent et nous, les éclairagistes, nous envoyons sur scène une lumière qu’on appelle « la mise ». Elle va amener le public à s’immerger dans l’ambiance du concert. Et c’est à ce moment précis qu’on éclaire les instruments, en jouant sur les chromes de la batterie, les reflets des cuivres, l’envergure d’un piano ou la noblesse du bois d’une contrebasse.

Quand le concert commence, on n’éclaire plus l’instrument, mais le musicien avec son instrument. C’est un tout. pBK

Comment ça s’éclaire le jazz ? Pas à la bougie comme le baroque, pas au néon comme l’électro. Avec cette interview-flash, on démêle 50 nuances de bleu en compagnie d’un éclairologue autoproclamé.

On a rencontré Nicolas Muret. au théâtre de Brive pour le festival Du Bleu en hiver.

Ches Smith / We All Break janvier 2022, Brive-la-Gaillarde festival Du Bleu en Hiver

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Ici, on ouvre notre pantheon du jazz vivant.

Sarah Murcia © François Corneloup in Seuils (Jazzdor Séries, 2022) cf. page 57

Le matrimoine de Sarah Murcia 15

Chez PointBreak, on est du genre à penser qu’en musique, il y a deux types de types. Surtout quand ces types sont des femmes. Hors de tout cliché sur la douceur et la joliesse, voici quelques extraits du background de musiciennes qu’on adore écouter. Premier shot avec Sarah Murcia, contrebassiste et marraine de cette revue.

par sarah murcia

Scott Lafaro Si je veux être parfaitement honnête, les figures artistiques qui m’ont le plus marquée dans ma vie sont en grande majorité des hommes, j’ai donc décidé d’en mettre deux dans ma liste de femmes. Il y en a bien plus, évidemment, des femmes, des hommes, et c’est dur de choisir, mais c’est un jeu non ?

Gertrude Stein Une des plus grandes écrivaines, écrivains compris, pour moi. Je suis très sensible à son audace, à son insolence. À sa façon de semer le trouble, aussi, en jouant avec l’identité du narrateur, en mettant en scène sa propre vie, en faisant parfois de ses systèmes d’écriture les acteurs même de la dramaturgie. On retrouve cela dans les films de Jean Rouch, les livres de Faulkner, de Doris Lessing, de Lobo Antunes. Que ce soit dans la musique, le théâtre, la littérature, j’aime que la mise en forme soit aussi importante que le discours que l’œuvre véhicule sans pour autant qu’on soit contraint d’y prendre garde.

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C’est pour moi la perfection de la contrebasse.

Il élabore en permanence des histoires, que ce soit en tant qu’accompagnateur ou en tant que soliste. Il se met en danger tout le temps, car c’est sa narration qui prime. Et, en même temps, il est d’une précision diabolique. Il articule toutes les notes avec un débit parfait.

Son langage est majoritairement constitué de gammes et d’arpèges, mais sa façon de les combiner est tellement inventive que ses outils passent complètement derrière son discours.

Iva bittovah J’ai découvert Iva Bittovah avec Step Across the Border de Fred Frith, puis je l’ai vue en solo plus tard. Je suis très sensible à sa façon d’envisager le chant et le violon, d’intégrer la tradition dans quelque chose de très personnel, de très singulier. Elle a beaucoup de présence. J’aime énormément cette famille de musiciens.

William Faulkner Mon rapport avec la littérature, comme avec la musique, m’oriente souvent vers des artistes qui proposent un trouble formel, un vertige, un regard ambigu, qui se plaisent à déstabiliser le lecteur ou le spectateur. Faulkner manie tous ces éléments avec une grande fluidité, d’une façon à la fois très intellectuelle, tant dans la structure que dans la langue, mais aussi très organique, très proche de ses personnages, je dirais même colorée de tendresse : la tension provoquée par ces deux dimensions – cognitive et sensible – donne à ses récits une grande énergie. Le lecteur de Faulkner est sans cesse appelé à remettre en question des hypothèses qu’il a été obligé d’échafauder au cours de sa lecture. Contraint à une participation active, il devient en partie responsable de la construction du sens. Faulkner m’a toujours servi de référence, tant en littérature que dans les autres arts. Ce que j’y cherche, c’est l’oscillation entre la sensation du confort et celle du danger.

PJ Harvey J’ai toujours aimé PJ Harvey. Tout me plaît chez elle. Le chant, la musique, l’attitude. J’adore ses compositions et tout ce qui se dégage de sa personne. C’est à la fois brut et sophistiqué, ultra classe, j’aime ce que ça raconte. Elle fait partie des artistes que j’ai beaucoup écoutés, adolescente, et que je continue d’écouter.

Cindy Wilson et Kate Pierson Sans elles je n’aurais jamais chanté ni pratiqué la musique comme je le fais. Quand j’ai entendu les B-52’s pour la première fois, c’est comme si je découvrais tout ce qu’il allait être possible de faire. Tout me séduisait : le son, le groove, le sérieux et le second degré qui cohabitent, l’humour, la précision. Leur timbre de voix aussi. Elles sont capables de chanter sans aucun vibrato, de façon très claire. Elles ne sont pas du tout affectées. Et les mélodies qu’elles chantent sont très inventives.

Kamilya Jubran Kamilya est ma sœur de musique. C’est une grande chanteuse, musicienne, compositrice.

Elle est incorruptible de surcroît. C’est une des personnes que je connais qui va le plus loin dans sa réflexion autour de l’art et d’ellemême, qui me pousse sans cesse dans mes retranchements et que je suis toujours surprise et émue d’entendre. L’album qu’elle a composé avec Werner Hasler, Wa, en 2019, propose une musique que je n’avais jamais entendue avant.

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Besançon-Cosmos, aller simple. Producteur-créateur du Zerolex trio, l’auteur de ces pages n’est toujours pas redescendu des étoiles que Sun Ra lui a collé derrière les oreilles. Besoin d’un guide pour une virée dans le space jazz ? Itinéraire en 8 étapes. par zerolex photo jean gouverne

Sun ra et oim The All Of Everything (1970) Le premier pas. Je suis lycéen et mon camarade Zo me fait découvrir l’album The Night of the Purple Moon qu’il a samplé quelques temps auparavant. Ma culture jazz du moment est proche du néant. Un Kind of Blue acheté en bureau de tabac et un Gainsbourg début sixties.

J’ignore tout de Sun Ra et c’est tant mieux. Je suis sans attentes, sans idées reçues et, avec une certaine naïveté, loin d’imaginer l’ampleur de la discographie, l’aura et la complexité du personnage. À l’écoute, je phase direct sur le son du clavier. Tout est tricoté avec un Rock-SiChord qui rappelle le son d’un clavecin un peu déglingué, plus ou moins distordu et filtré selon les morceaux. Aux pieds du sphinx de Gizeh, The All of Everything sonne comme une invitation à une cérémonie ancestrale, à un rituel hors du temps. La solennité du morceau me fait un bien fou. À chaque fois. Très peu d’instruments sur ce morceau, bien loin du big-band auquel est souvent associé Sun Ra. C’est épuré, singulier et l’univers visuel déclenché me donne envie de creuser le sujet. Sans le savoir, je mettais les pieds dans une nébuleuse dont je ne suis toujours pas sorti.

Where Pathways meet (1978) Hochement de tête instantané, sourcils froncés et libération de dopamine immédiate. Cette intro me surprendra toujours : c’est du hiphop, ce morceau non ? J’entends toujours un MC dans ma tête dès les premières secondes.

Les cuivres débarquent avec une légère désinvolture, et ça tricote pas mal sur la suite, mais on se laisse faire bien volontiers.

Anecdote en mode « croisée des chemins ».

En 2019, je monte à Strasbourg pour voir l’Arkestra en concert. Le lendemain matin, je tombe sur Marshall Allen sur le parvis de la cathédrale, cigarillo à la main et arborant un grand sourire. Je me sens obligé d’aller claquer un selfie et d’échanger quelques mots avec lui. Le type a 70 ans de plus que moi et il est toujours là, à faire crier son sax. Ça pose quelques questions sur notre longévité en tant qu’artistes.

Along Came Ra (1980) Suite logique de mes recherches, je continue ma formation en regardant A Joyful Noise, documentaire dont seul le titre est déjà alléchant. Le documentaire me permet de faire la connaissance de June Tyson. À la suite d’un joyeux bazar collectif, la chanteuse lance des incantations aux allures liturgiques. Elle y convoque le mythe vivant et l’Arkestra tout entier lui répond avec ferveur. Puis vient Le pharaon.

Phase courte de de jeu sur les mots puis la musique reprend, euphorisante, pleine de vie. Je suis en ébullition et je comprends mieux ce Joyful Noise qui se pousse bien au-delà des mots. « Ma musique va d’abord faire peur aux gens car elle représente le bonheur, et ils n’en n’ont pas l’habitude », dit Monsieur Ra. Vous avez 4 heures.

When There’s No Sun (1978) Finie la bamboche, le ciel est menaçant. Mais la douceur du temps nous enveloppe toujours.

Ballade parfois apaisante, parfois inquiétante, mais toujours captivante. When There is No Sun s’allume de la beauté de l’obscurité. Derrière ses faux airs de chansonnette mélancolique, toute version live rappelle qu’avec l’Arkestra tout peut basculer d’une seconde à l’autre. Frénésie totale et vous voilà aux confins d’une galaxie où règne le chaos. À noter la version Sea of Darkness de l’album Swirling, puisant aux racines Spiritual/Gospel.

Enlightenment (vocal, 1970) La ritournelle par excellence. Le carton d’invitation officiel pour le monde cosmique. Ce morceau, c’est mon hymne à la joie. À écouter pour bien commencer la journée, ou mieux la terminer. Enlightenment fait partie de ses space chants dont les mélodies entêtantes vous restent en tête pendant des heures. J’avoue ne pas avoir été très loin de lâcher une petite larme en voyant sur scène le Supersonic de Thomas de Pourquery jouer ce morceau et le terminer en murmurant jusqu’à l’épuisement du son, comme une dernière berceuse. Il m’a fallu du temps pour réaliser que j’avais sans doute entendu le morceau pour la première fois dans l’album Jazz In Silhouette, un de mes premiers Ra, dans une version totalement instrumentale qui, déjà, avait dû planter une petite graine dans mes oreilles. C’est toujours comme ça avec Sun Ra, on redécouvre sans cesse son répertoire. Comme dans ce reportage tourné à Philadelphie en 1969 pour l’émission française À l’affiche du monde, spéciale États-Unis (visible sur l’INA). June Tyson, Marshall Allen et toute l’équipe y jouent Enlightenment ou encore Outer Spaceways Incorporated.

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Space Is The Place (1974)

Nuclear War (1983)

Le moment est venu de parler de Hold Steady. C’est notre hommage à Sun Ra avec Zerolex Trio qui reprend le thème de Space is the place, morceau culte, et quelques citations du film éponyme placées dans la voix de Napoléon Maddox. Je me suis longtemps refusé à sampler ou à reprendre certains morceaux qui sont des monuments pour moi. Trop risqué, voire inutile. Puis j’ai compris que le sens donné à une reprise n’en faisait ni une copie ni une volonté d’égaler l’original. Napoléon fait partie de ces artistes qui vous poussent vers le haut. Lui proposer d’écrire s’est vite imposé au vu de nos échanges à propos de Sun Ra, de nos visions artistiques, de nos parcours, de son activisme aussi et de son CV impose le respect (hello le feat avec Archie Shepp !). Bisontin d’adoption, Napoléon a déjà bossé avec plusieurs producteurs du coin comme Liléa Narrative, Flow-er et évidemment Sorg, avec qui il forme un duo. En tant qu’artiste africain-américain, la plume de Napoléon a tout de suite amené du sens, de la symbolique et porté cet hommage au-delà de la reprise ou du clin d’œil lointain. Cette sortie, sur le label BMM Records (Nançy), s’accompagne d’un remix de Marc Melià.

Adepte du Prophet lui aussi, il envoyait, il y a ans, la cassette de son premier album solo dans l’espace.

Tout simplement.

UFO (1979) Dernière découverte grâce au band polonais EABS et à leur Discipline of Sun Ra. Tant pis pour celui qui limiterait Sun Ra à un ramassis d’improvisations cacophoniques. UFO vole beaucoup plus haut avec ses accents tubesques et funky. Cet ovni plane même aux frontières de la Disco. C’est l’heure de la récré pour le Solar Arkestra. Ça slappe dans tous les sens et ça saupoudre le tout avec un solo de trompette à percer les tympans. UFO débarque de manière assez surprenante dans On Jupiter, après le morceau éponyme très jazz d’une bonne quinzaine de minutes. Ce morceau prouve sans peine que s’intéresser à Sun Ra est une exploration permanente, une quête sans fin. C’est bien ainsi.

*

— à écouter : Hold Steady de Zerolex Trio feat. Napoleon Maddox (BMM Records, avril 2022) artwork : Renaud Vigourt

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Dimanche soir. Une conversation au coin du feu avec Lucifer nous ramène brutalement à l’actualité.

On revient toujours à la réalité, comme on revient toujours à Sun Ra. C’est là où je frôle l’obsession avec cet artiste, il y a toujours une bonne raison d’y remettre le nez : un label qui réédite un disque, un article de presse, un inconnu qui balance un live sorti de nulle part sur YouTube... D’ailleurs, marrant de voir que les algorithmes peuvent aussi être sympas avec nous. Au point de nous servir sur un plateau les plus farfelus objets de la nébuleuse Sun Ra. Morceaux destinés à Batman, à Disney ou à des thérapies mentales, poésies, interviews stratosphériques, sons électroniques avant-gardistes complètement foutraques, be-bop un peu daté, rythmique brésilienne inopinée. Il y a aussi bien entendu des impros collectives sans répit ou des solos de synthétiseurs intersidéraux, mais surtout interminables. Comme cette liste qui pourrait ne jamais finir. Merci PointBreak, à chaque fois c’est la même. Dès qu’on évoque Sun Ra, je me sens obligé de revoir A Joyful Noise ou Space is the Place, de faire un tour sur Discogs pour reluquer tous ces originaux rarissimes que je ne toucherai jamais. Ou encore de relire le bouquin d’Aurélien Tchiemessom, Un Noir dans le cosmos, approche sociologique et historique du sujet.

Le mythe est intact, les secrets bien gardés, mais, en principe, j’ai encore un peu de temps devant moi pour en apprendre davantage. En attendant, Nuclear War est le morceau parfait pour vous dire « good bye, good bye... » et à bientôt. En espérant que personne n’appuie sur le bouton d’ici-là.

coltrane et moi

par arthur guillaumot

Poètes et jazzmen sont à un battement d’ailes les uns des autres.

Jean-Claude Pinson n’échappe pas à cette règle. Auditeur volontaire de John Coltrane, il le laisse parfois se poser sur sa table d’écriture.

Votre titre préféré de Coltrane ?

Le rythme, justement, dans Free Jazz, est central.

Spiritual, dans la version live enregistrée le 5 novembre 1961 au Village Vanguard. 20 min 29 que je ne me lasse pas d’écouter ; qui à chaque fois me transportent dans un état d’euphorie qui n’est pas très éloigné de la transe !

Il y a Coltrane bien sûr, sa façon unique de creuser (de « grever », de groover) la mélodie au sax, de balancer, danser, tendre et détendre.

Mais aussi, en contrepoint, Eric Dolphy et le bourdon d’un contrebasson. Et bien sûr, pour alimenter sans faille la chaudière, la battue sans pareille d’Elvin Jones.

J’ai très vite renoncé à la forme du recueil de poèmes plus ou moins courts, comme c’est l’usage dominant en matière de poésie aujourd’hui. Après pas mal de tâtonnements, je me suis tenu, pour la plupart de mes livres, à une forme à la fois ample (courant sur l’étendue d’un livre entier) et fragmentaire. Au plan prosodique, c’est ce qu’on appelle un prosimètre, c’està-dire une alternance de poèmes brefs en vers courts et de passages plus longs en prose ou versets. Des sprints soudains rompant le rythme plus lent de courses de fond. Trot troué de galops. Pas de règle précise ; tout cela est très intuitif. Un possible modèle syntaxique et rythmique (du moins l’ai-je très souvent en tête : celui d’un match de rugby. Longues séquences où l’emporte la prose du jeu d’avants progressant pied à pied et puis soudain la fulgurance d’une attaque (inspirée si possible) de trois quarts.

Vous dites dans Free Jazz : « C’est en écoutant J-C que j’ai compris que tout est d’abord question, non de langue, mais de lèvres. » Qu’avez-vous compris d’autre ?

J’ai compris que j’étais un musicien manqué.

Que si mon instrument était le langage, en réalité ce que j’y cherchais c’était l’obtention d’un son et d’un chant. Raconter une histoire ne pouvait venir que par surcroît. Et si chaque note, chaque mot devait compter, au bout du compte il ne s’agissait pas de sculpter un bibelot verbal. Dans l’enfance, j’avais pratiqué pendant quelques courtes années la clarinette. Mais le résultat fut désastreux (un frère aîné me faisait une concurrence déloyale). J’en ai au moins gardé l’idée que le souffle doit en passer par tout un travail des lèvres. L’anche doit être humectée et pincée adéquatement. Dans Free Jazz, je joue avec cette idée en la rapportant à l’« art du baiser ». En matière d’écriture, ça veut dire que tout est affaire de tension et détente, de serrage (Mallarmé, mettons) et desserrage (Cendrars, mettons). Tout est affaire de prosodie : de rythme et d’accentuation.

Comment naît un livre comme Free Jazz ?

Fado (avec flocons et fantômes), paru en 2000, était construit sur le modèle d’un opéra de chambre. Free Jazz, qui vient après, ne se veut pas seulement une évocation thématique du free. Ni même simplement une tentative de transposition, dans l’ordre de l’écrit, de l’allure propre à ce type de musique. C’est très précisément le double album d’Ornette Coleman portant ce titre qui m’a guidé. J’ai cherché un équivalent textuel à sa structure contrapuntique (celle du double quartet) en inventant un dispositif où Ornette Coleman et Coltrane sont en constant dialogue (on sait que le second avait pris quelques leçons auprès du premier pour improviser sans s’appuyer sur les grilles harmoniques).

Le tableau de Pollock, White Light, ornant la pochette du 33 tours, m’a aussi servi de point d’appui. J’ai cherché à transposer dans l’écriture la profusion des taches et coulures qui font la singularité de sa texture, son côté poïkilos (bariolé).

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John Coltrane en 1963 aéroport d’Amsterdam-Schiphol, Pays-Bas © Hugo van Gelderen

*

— à lire : Free Jazz de Jean-Claude Pinson (éd. Joca Seria, 2004)

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L’improvisation a-t-elle une place ?

Dans l’improvisation, il y a une contrainte qui est un risque : le remords, le repeint, la retouche ne sont pas possibles. Impossible de revenir en arrière. La littérature étant au contraire foncièrement rature, comme disait Barthes, on ajuste et on rectifie sans fin ; on multiplie les brouillons.

Au plan de l’écriture, on peut toutefois pratiquer ce qu’André Hodeir appelait « l’improvisation simulée ». Se mettre à l’école du free jazz, de son refus de toutes les structures et grilles préétablies, ce n’est donc possible qu’en mode second, altéré, transposé. Cela passe d’abord par un geste négatif, consistant notamment à déconstruire la linéarité d’une narration continue autant que la stabilité d’une forme poétique identifiable.

En contrepartie, « positivement », il s’agit d’être constamment en alerte, attentif à la moindre déviation possible surgissant au détour d’une phrase.

Il y a aussi ces jeux sur votre patronyme.

Gamin, on aime beaucoup (ce n’est pas toujours très charitable et ce peut même être dangereux) jouer sur les patronymes ; on prend plaisir à activer à leur propos la « fonction poétique » du langage. Mon propre patronyme s’y prête évidemment beaucoup – et non moins les initiales de mon prénom. De celles-ci, je n’ai pas manqué de jouer dans un livre où Coltrane est une figure centrale. « Les harmoniques, dit-il dans une interview, sont devenues pour moi une obsession. » J’ai recherché aussi, à ma façon, dans Free Jazz, le maximum d’harmoniques.

Et ça commençait par les noms propres. La vacance en eux d’une signification obvie (du moins dans la plupart des cas) invite à ce genre de jeux de mot. Ainsi ai-je voulu voir du ferroviaire dans le nom de Coltrane (col–trane) et dans le prénom Ornette un écho hamletien (or not).

Revenons à John Coltrane. Agit-il sur votre musique intérieure ?

J’ai l’impression d’être en la matière conservateur. C’est régulièrement que j’écoute Coltrane (et souvent les mêmes albums). Il est comme une sorte de basse continue qui m’accompagne dans la vie, au même titre que quelques rares autres musiciens. Il est comme le versant afro-américain (la Great Black Music) de ce que sont par ailleurs pour moi Bach (les 24 préludes et fugues du Clavier bien tempéré tout

spécialement), Scarlatti (les sonates) et Chostakovitch (les 24 préludes et fugues pour piano). Ce sont là des morceaux dont je ne me lasse jamais.

Pour le compagnonnage esthétique, c’est un peu différent. Chaque livre est écrit à la lumière de musiques qui peuvent varier selon le thème abordé.

Mais je crois pouvoir dire que Coltrane et le free jazz (Ornette Coleman notamment) restent en ligne de mire quel que soit le livre que j’écris (je ne parle évidemment pas des essais qui relèvent d’une autre démarche).

Il y a, chez Coltrane, une distance qui semble correspondre à votre propre rapport au monde.

Pas de militantisme frontal comme chez Archie Shepp ou Mingus.

En effet, pas de militantisme frontal. C’est une posture dans laquelle je me retrouve beaucoup aujourd’hui.

Après avoir été longtemps « choreute » (pendant de longues années militant d’extrême gauche, « maoïste », j’ai beaucoup crié de slogans dans les manifs), je suis devenu anachorète. La musique des mots plus que le message me retient aujourd’hui. Je n’en demeure pas moins, comme disait Arendt, un « obligé du monde ». J’admire beaucoup un musicien comme Archie Shepp. Si la musique purement instrumentale (sans texte) le dispense de tout discours idéologique, il parvient cependant à y retrouver ce qui fait la teneur du blues et ainsi à dire musicalement ce que sont l’histoire et la condition afro-américaine – la douleur de leur tragédie, mais aussi la joie inextinguible de l’existence dès lors que musique et danse il y a. Mais parce qu’il sait aussi chanter, Archie Shepp peut être aussi plus explicitement « engagé ». C’est le mélange de tous ces registres qui fait la force de son art. Un art auquel le peuple ne manque pas, quelle que soit aujourd’hui l’audience d’un « jazzman ».

Pour en revenir à Coltrane, son engagement était avant tout d’ordre musical. Mais sa conception de la musique n’était pas étroitement artistique, c’était aussi un engagement « spirituel ». Il a eu un jour cette phrase pour justifier la longueur inhabituelle de ses solos : « je pars d’un point et je vais le plus loin possible ». S’en aller ainsi au plus loin, c’est justement le propre de l’anachorèse (on s’éloigne au « désert »). Il n’est pas étonnant alors que le public ait du mal à suivre. Mais la grandeur de Coltrane, c’est qu’il soit parvenu, tout en s’envolant très loin, à ne jamais perdre le contact avec la Terre – ou plutôt avec la mer, l’océan qui recouvre près des trois quarts de la planète. C’est pourquoi dans Free Jazz, pour parler de son jeu, j’ai eu recours à l’image de l’hydravion (décoller/amerrir). pBK

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what a

wonderful world

Une question m’a été posé. « Pourquoi places-tu dans ton dernier album solo, D’accord, à la fin de la troisième et dernière face, une version de What a Wonderful World ? » On peut élargir la question à pourquoi sur les 9 faces qui composent les trois albums de violoncelle seul que sont Deviation, Don’t Explain et D’accord, nous pouvons entendre des versions de Over the Rainbow, Summertime, Alfonsina y el Mar, Don’t Explain et donc aussi de What a Wonderful World. Il n’y a pas d’explication. Seule la décision prise transporte et nous amène dans un ailleurs, seul et/ou collectivement, c’est l’enjeux du jeu. Billie Holiday me touche profondément, sa voix et sa vie me questionne. Je me suis donc approprié Don’t Explain car c’est la seule chanson qu’elle ait écrite elle-même.

Il y a chez elle une résignation face à l’inexplicable.

Que dire aussi des combats de la si longue vie de Mercedes Sosa, de la joyeuseté de Summertime dans une période sombre et de Over the Rainbow, hit porte-drapeau des soldats américains pendant la deuxième guerre mondiale et chantée par cette merveilleuse Judy Garland ? Don’t explain.

Venons-en à la question posée. Armstrong.

Je l’ai vu pour la première fois en juillet 69 sur la télé du voisin car nous n’en avions pas à la maison. Je l’ai regardé descendre l’échelle du LEM puis poser le premier pas sur la Lune.

J’avais sept ans et je venais de commencer le

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violoncelle. Il y avait aussi un disque de lui à la maison.

Armstrong. Louis ou Neil ? Peu importe ! Il m’était alors très clair que c’était le musicien qui foulait le sol de la lune. Je me suis donc promis qu’un jour, je jouerai du violoncelle sur la lune. Bien longtemps après, j’ai joué en apesanteur dans l’avion zéro G de l’Agence Spatiale Française. Il ne faut pas piétiner ses rêves d’enfance.

Mais il y a autre chose encore. Je souligne depuis longtemps que le monde est merveilleux. Oui, c’est tout à fait ridicule mais je ne peux m’empêcher de le penser.

Je trouve toujours quelque chose de passionnant sur cette terre et quand je rencontre qui que ce soit et peu importe la nature de cette personne, qu’elle soit la pire ou la meilleure, la plus profonde ou la plus dérisoire.

Quelle diversité. Plus le chaos est grand plus l’humanité de chacun se révèle inimaginable, dans tous les sens du terme, c’est inouï. Même si le monde est complètement fou, il est aussi incroyablement beau. ‘Quel Monde Merveilleux’ a été écrite et chantée dans une Amérique chaotique, prise dans la ségrégation extrême, le meurtre de Martin Luther King, la guerre froide et la guerre du Vietnam. Cette chanson nous parle car il est fascinant de ressentir cette profondeur légère en vis à vis d’une légèreté profonde. Cette chanson a toute sa place dans cet album et nous rappelle que tout ce qui se passe aujourd’hui n’est pas nouveau. Nous vivons les faces d’une même pièce. Et puis sinon, il y a toujours eu dans la tradition du jazz instrumental, l’idée de reprendre des chansons et de les jouer à sa façon, non ?

*

— D’accord de Didier Petit Rogue Art (2020)

Toujours surprenant, la vie d’un standard dans le jazz.

Certains les reprennent comme d’autres font du tunning automobile, d’autres fouinent dans les coulisses de ces pierres angulaires. Louis Armstrong s’invite chez le violoncelliste Didier Petit. par didier petit et guillaume malvoisin photo sidonie dubosc

Louis Armstrond & Friend a été produit par Bob Thiele pour le label Flying Dutchman en 1969

1969, année de renversements.

Les illusions et le rouge révolution pâlissent un peu partout, le bordel du monde s’éternise. Au Viêt Nam, c’est le bourbier, Nasser bombarde Suez, Nixon s’installe au Capitole et l’homme part marcher sur la Lune.

Aux States, depuis la déroute des Stones à Altamont, la contre-culture a du plomb dans l’aile. Depuis deux ans, pourtant, un titre flotte audessus du désordre. Un constat guttural et lénifiant. What a caresse quand même, la voix chaude de Louis Armstrong. Mais, sous ses airs de comptine feelgood tapissée de violons, les ombres embarquées dans son envergure d’albatros font de ce titre un cas d’école. Une première version est gravée sur single en 1967 (ABC Records), co-signée par George Weiss et Bob Thiele. Thiele, c’est l’âme d’un autre label-monde,

Impulse!. Le Free jazz s’y déploie. Albert Ayler, Archie Shepp, Marion Brown et surtout John Coltrane. En 67, Trane raccroche. Son sax ténor et la vie qui va avec.

Bob Thiele prend ses royalties et monte ses plans pour un nouveau pan de l’histoire du jazz. C’est la création de Flying Dutchman, plus populaire, plus raccord avec les goûts de l’époque. Funk et soul prennent des parts, la contestation se fait plus vocale. C’est l’heure de Gil Scott-Heron et de Gato Barbieri. Mais c’est aussi l’heure de rappeler le boy from New-Orleans, Satchmo himself. En 69, le Wonderful World reprend la voie des studios et intègre Louis Armstrong and His Friends.

Figure imposée du jazz mainstream, Armstrong est laissé en désuétude. Contrepied, Thiele réunit, pour cette session, ce qui ressemble à du miel pour Pops : Oliver Nelson, Kenny Burrell, Miles Davis, Ornette Coleman et Thad Jones. La tracklist est pétrie de pop et de luttes en tous genres : We Shall Overcome, Give Peace a Chance, The Creator Has a Master Plan (Peace), puis What a Wonderful World. Armstrong trop épuisé pour jouer, peine à chanter, mais sonne serein. Dans le creux d’un tube étrange, d’une chimère prise dans un virage crépusculaire où s’éternise le bordel de ce foutu « merveilleux monde ». pBK

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choubidoubreak jacques Loussier

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Géniteur de Choubidouwap, prodige radiophonique parfaitement indissociable des samedis matins réussis, Mr Choubi a les deux pieds ancrés dans une époque où la musique osait des cabrioles insensées. PointBreak lui a demandé de parler d’un tube sonore de Jacques Loussier. par mr choubi

Une rythmique de fou, uniquement jouée à la batterie, binaire et syncopée à souhait, et un piano, carillonnant, ponctuant les mesures, au thème étrange et fier à la fois. C’est du jazz, de la pop, de l’avantgarde, mais surtout un énorme tube. Sorti en 1979 chez CBS, le Pulsion de Jacques Loussier est ce genre de titre qui percute et perturbe dès la première écoute, comme la vision d’un premier décolleté, et qui nous fait tendre l’oreille à chaque fois qu’on le réentend. Les plus de 40 ans connaissent parfaitement ce morceau car il servait de fond sonore pour une pub TV EDF au début des années 80. À 10 ans, devant la télé, ce spot intriguait fortement grâce à cette ambiance éminemment moderne, futuriste et inquiétante. Comme la bandeson idéale de la rigueur que prônera le premier ministre Pierre Mauroy, quelques mois plus tard.

*

— Pulsion (CBS, 1979) Jacques Loussier, piano Luc Heller, percussions — émission Choubidouwap, tous les samedis à 11h sur Radio Dijon Campus www.radiodijoncampus.com

Les plus jeunes, eux, connaîtront tardivement ce morceau via le plagiat éhonté d’Eminem avec son titre Kill You, tiré du LP The Marshall Mathers de 2000. Ça reprend le thème piano mais ça oublie surtout les syncopes et l’extraordinaire étrangeté du morceau original. Bref, du rap pour WASP. Loussier attaque évidemment en justice, mais finalement le procès n’aura pas lieu et un accord à l’amiable sera trouvé en 2006.

Jacques Loussier meurt en 2019, après une carrière de passeur et d’expérimentation assez folle. Formé au classique, accompagnant nombre de stars de la variété, fou de jazz, il vendra des stères de disques avec la série Play Bach, en trio avec Pierre Michelot et Christian Garros, qui fera swinguer comme jamais le compositeur baroque allemand. Fin des années 70, tel un Michel Magne et son mythique Hérouville, il devient propriétaire du château de Miraval, dans lequel il aménage également un studio. Pink Floyd, The Cure ou encore AC/DC y viendront enregistrer et s’abreuver de bonnes ondes. Châtelain pulseur. pBK

alerte jazzy *

— à écouter : Promise de Sade (Epic, 1985)

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Du jazz, on en trouve partout. Rayons des supermarchés, ascenseurs ou halls d’accueil. Ça aide à vendre, le jazz, ça aide à passer le temps. Pour cela, on a même inventé un mot : jazzy. Ça pétille en mode Canada Dry. C’est doré comme du jazz, ça a le goût du jazz mais ce n’est pas du jazz. par guillaume malvoisin

Diamond Life brillait comme n’importe quel premier album, Promise s’off re en suite logique sur la trajectoire de Sade. The Sweetest Taboo s’impose en tube mais c’est le track d’ouverture qui donne le son et la couleur. Méditation pré#metoo assez classe et élégante, Is It a Crime? toise l’amour perdu et la confidence bitchy.

Promise sort en novembre 1985. Cette annéelà, Roy Ayers s’avoue Programmed For Love et Yul Brynner ne se fait plus de cheveux. Ronald Reagan joue les cowboys à la Maison Blanche et Margaret Thatcher shériffe en Angleterre face aux mineurs en grève. Angleterre où Sade déboule un an auparavant dans les charts pop avec un coup de fil parfait au Smooth Operator.

Avec Is It a Crime?, le combo raccroche le combiné soul-pop et balance au standard une ambiance de polar amoureux. La musique s’occupe du décorum et Sade Aru peut assurer ses perfs vocales. Au cœur d’un smooth jazz preppy, la chanteuse sirupe, détune comme elle veut, s’alanguit dans des notes longues comme des alexandrins tragiques. C’est clean, pas toujours très sage et ça métisse le Nigeria avec le Royaume-Uni. Le reste du groupe — car Sade est un groupe — vise les archétypes : blues taquin, trompette bouchée, sax au solo cuivré, percus latino et drive de batterie narratif. Bref, du jazz en variété. Du moins, le jazz que les tubes à Top 10 venaient chercher dans cette musique considérée par ailleurs comme intello et élitiste. Maybe, mais c’est aussi une musique qui fait des merveilles quand il s’agit d’instinct amoureux et de vague à l’âme. Alors la soul-pop taxe régulièrement les sax du jazz. Pour assurer la langueur et le sensuel. Ça marche parfois, ça finira aussi dans les outrances, sur le Blues trottoir ou chez un George Michael hurlant ses careless whispers.

Pour Is It a Crime?, le jazz infuse et agit au mieux.

Sade en convoque le syncrétisme vestimentaire où la new-wave digère les fifties, les tenues et chapeaux du band se fondent dans l’icono fantasmée plein gaz. Les rues sont fumantes,

les maquereaux donnent du menton, les bad guys ont les yeux qui tremblent à la fenêtre de taxis dont les portières sont forcément jaunes à damier. Les deux pieds dans le polar new-yorkais, cette fois encore, le jazz. On ne se refait pas, Hollywood lui aura souvent assuré de jolies ventes.

Retour en Angleterre et à Sade. Le clip se tourne dans un club de fiction, un truc éclairé comme l’était le bureau de Mike Hammer. Amusant comme ce loft en annonce un autre, plus récent, le Paradise, club-monde dessiné par Netflix pour sa version de Luke Cage, black hero Marvel à fort potentiel hip-hop. Hip-hop qui ne se privera pas de sampler cette petite madeleine qu’est Is It a Crime?. On en trouve des miettes savoureuses chez LL Cool J et MF Doom. Sade Aru, belle gosse au timbre obsédant, y trouvera un peu de justice. Le Crime de ce titre renvoie illico au crime d’honneur. Féministe, lucide et intimiste. On est loin du smooth criminal. Sur une vitre embuée de tristesse, Sade trace sans frémir un « Temor » hispano-vengeur destiné au bâtard fugueur. La musique est aussi une histoire d’images. pBK

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Ici, on joue du jazz (tres) libre sans ceinture de securite.

par lucas le texier et guillaume malvoisin photo francois corneloup

La réédition des disques de Perception par le Souffle Continu nous avait assis sur notre chaise. Un des fondateurs habite en Bourgogne, à 2 heures de la rédac de PointBreak. On est donc partis causer contrebasse, free jazz, syndicats, petits cœurs et musiciens qui se pointent en retard.

didier levallet

Didier Levallet © François Corneloup en fond : Chris McGregor © Didier Ferry (agence Mephisto) in Seuils (Jazzdor Séries, 2022) page 57

C’était quoi le jazz à Paris à vos débuts ?

En 1967, il y avait 5 ou 6 clubs où les musiciens avaient un peu, je ne dirais pas open bar, mais portes ouvertes. On ne payait pas les entrées au Chat qui Pêche, au Caméléon, on faisait notre petite popote et on rencontrait des copains. Petit à petit, j’ai commencé à fréquenter le club de Gérard Terronès, à l’époque ça s’appelait le Gill’s Club et c’était dans le Marais, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie.

Hank Mobley traînait déjà dans le coin ?

Oui ! J’ai joué au moins un mois avec lui au Gill’s Club aussi. C’était le bonheur pour moi. Terronès a démarré sa production de disques. Le premier disque Futura est un disque de Siegfried Kessler en trio avec Barre Phillips et Steve McCall, il est enregistré en direct au Gill’s Club. Moi, petit à petit, je m’infiltre là, me fais plus ou moins remarquer et je deviens un des bassistes maison. Mal Waldron, Mobley ou Freddie Redd avec qui on a fait un disque pour Terronès… Le nouveau jazz me travaillait, quoi…

On l’appelait déjà le nouveau jazz ?

Il y avait eu Free Jazz et puis Le Nouveau Jazz, les disques de Tusques. J’étais à Lille, je faisais parfois l’aller-retour pour Paris, je prenais le train avec Jenny-Clark qui était le bassiste en pointe à cette époque : « Tu sais ce qu’il se passe là, Albert Ayler, c’est important… » Jenny-Clarke enchaînait des sessions aux styles très différents. Vue de notre génération, cette période est géniale pour ça.

Je pense que ce n’était pas si perméable que ça… JF, Jenny-Clark, par exemple, c’était un grand insatisfait, mais il était très circonspect, y compris sur des groupes dans lesquels il jouait, sur des musiques sur lesquelles il était impliqué.

Par exemple, il fait un disque avec Chet Baker, Chet Baker trouve qu’il est un super bassiste et lui propose de tourner avec lui, mais non. Il avait une attitude parfois négative. Je ne dis pas qu’il jouait pas le jeu musicalement, mais sa considération c’était « non, mais tu vois je gagne ça, mais ça me dégoûte ». C’est un immense contrebassiste, mais il était rarement content… Enfin si, il s’entendait très bien avec Joachim Kühn.

Kühn est un habitué du Gill’s, est-ce qu’il influence ou déclenche vos envies de groupe ?

C’était un musicien qui nous influençait par sa façon de jouer même si on n’était pas tout à fait dans la même écurie. Mais on baignait dans cette

influence-là, ça oui. Après, je ne dirai pas que j’ai fait Perception seulement à cause de Joachim Kühn, c’est aussi à cause de Pharoah Sanders, d’Archie Shepp et tout ça. Les choses ne se font parfois… pas comme on le pensait. À force de jouer au Gill’s Club, chez Terronès, moi j’avais envie de faire quelque chose, j’ai dit à Gérard : « Écoute, j’aimerais bien monter un groupe, faire un essai sur une musique plus libre. » Il m’a donné 3 dates à l’été 70. Évidemment, j’avais acheté tous les disques de Shepp, de Coltrane, de Sanders, mais j’étais plus dans un esprit rollinsien que coltranien.

C’est assez étonnant ! En 67, Coltrane vient de mourir et il est au sommet de son influence, au point d’éclipser Sonny Rollins.

Faisons la liaison avec l’orchestre de Don Cherry, qui est un travail sur l’improvisation thématique, c’est ça qui m’intéressait, un disque comme Complete Communion. Don Cherry, c’est ça, des espèces de bribes de thèmes qu’on se repasse et puis qu’on développe. C’est mélodique. André Hodeir, qui n’a pas du tout apprécié le jazz modal, disait : « On a quitté le drame, pour la cérémonie. » Coltrane, c’est la cérémonie et Rollins, c’est le drame. Après, moi, je pense qu’Hodeir s’est planté. Coltrane, c’est la dissolution de l’esprit critique… On se fond dans un univers, un cosmos qui absorbe tout et il n’y a ni commencement ni fin. Moi, j’avais plutôt envie de travailler sur les développements mélodiques thématiques.

C’est propre au free jazz européen ?

Prenons les Britanniques. Ils avaient très peu de contact avec les musiciens américains pour des raisons syndicales. Les musiciens étrangers n’avaient pas le droit de venir travailler en Angleterre. Et il a fallu que les Beatles cassent le casino pour qu’on laisse petit à petit… Et encore.

J’ai vu au Ronnie Scott’s Club, à Londres, Stan Getz avec une rythmique anglaise derrière. Les syndicats des musiciens anglais menaient un protectionnisme féroce et les musiciens ont donc construit leur histoire entre eux, en intégrant cependant les SudAfricains et les Jamaïcains débarqués des anciennes colonies. Comme a pu le faire Chris McGregor. Paris, c’était vraiment le chaudron. Beaucoup d’expatriés américains étaient là et on jouait avec eux. Du coup, on était moins originaux que les autres européens.

Je pense à Willem Breuker et à sa culture de musique populaire transcendée. Ici, la collection Actuel et le Festival Panafricain d’Alger en 69 ont tous débarqués à Paris ensuite : l’Art Ensemble, Archie Shepp, Alan Silva, Jacques Coursil…

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Oui ! Ces trois fameux jours de juillet 69 de concerts et d’enregistrements incroyables….

Bref, Perception nait dans ce contexte ?

Terronès me donne donc 3 soirs. Mon idée c’est justement ce jazz d’improvisation thématique et je pensais à un saxophoniste avec qui je jouais toutes les semaines au théâtre Mouffetard. Il s’appelait Alain Hatot et était assez rollinsien. J’avais aussi remarqué un batteur avec qui jouait Joachim Kühn au Gill’s Club, assez fou furieux. Je me suis dit : « Perception, c’est un trio. Avec ce saxophoniste et ce batteur », Jean-My Truong… Mais dès le premier soir, ça ne le fait pas.

Dès la fin du premier concert ?

Excuse-moi, mais en club, c’est pas un concert [rires]. Ça me fait marrer ces glissements de langage qui ont lieu avec le temps. Comme un disque n’est pas un album.

Ah ! c’est intéressant, ça…

C’est une façon d’anoblir l’objet disque.

Pour le rendre plus attrayant ?

On saute des années, hein, mais en 85, enfin en 81, pardon, Jack Lang instaure le prix unique du livre.

Il n’a pas instauré le prix unique du disque, objet de grande consommation. Ça n’a pas la noblesse du livre… Alors bon, je suis vieux maintenant, mais le disque, c’est un truc moderne. Album, pour moi, c’est un livre qui s’ouvre, ce n’est pas une galette…

Comme un concert, c’est Miles Davis ou je ne sais qui. Brassens, il ne fait pas de concert, mais un récital. C’est minable, il était avec sa guitare, t’avais la contrebasse derrière, ça ne fait pas concert.

Avec Céline Dion, peut-être qu’il y a un peu plus de paillettes autour…

Perception, premier set, ça ne marche donc pas avec Alain Hatot.

Le saxophoniste ne comprenait peut-être pas très bien où je voulais en venir et à l’époque, on partageait la caisse à la sortie du club. Pas de cachets fixes, pas de sécu. Ce garçon, qui était très bon musicien, n’a pas fait carrière dans cette musique-là.

Mais une longue carrière dans la variété.

Il me dit : « Écoute, dans trois jours je pars faire une tournée en Russie avec Gilbert Bécaud donc je préfère rester avec ma copine au lieu de venir jouer. » Grâce à lui, quelques-uns ont pu découvrir le saxophone avec Gaby d’Alain Bashung. C’est Hatot qui joue la partie de sax et grâce à lui, on

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a pu aller écouter du jazz ensuite.

C’était un très bon saxophoniste, vraiment, sauf qu’il venait d’un milieu très modeste et là, la question de la survie, du standing de vie est peut-être plus importante que la question esthétique. Je veux dire qu’il avait pas les moyens des petits-bourgeois, comme moi, de se dire « je fais un choix artistique ».

Voilà. Il ne voulait pas prendre le risque de cette musique qui, de toutes façons, ne paye pas. À la fin de la soirée, on se retrouvait au bar avec Terronès et sa femme pour se partager la Pologne, comme on dit. C’est-à-dire rien. Limite, je suis rentré chez moi avec 5 francs des fois, voire zéro. Quand il n’y avait pas bu, il n’y avait pas eu.

Il y a du monde, à l’époque, au Gill’s ?

Oui, mais attends, le Gill’s Club ça ne pourrait pas ouvrir aujourd’hui. Pas d’issue de secours.

Deuxième sous-sol dans une cave d’immeuble, hein.

Le public suffit à peu près à remplir le club. Bref ! Ça ne marche pas donc j’appelle un autre saxophoniste qui s’appelait encore Jeff Seffer, à l’époque. Alors là, je verse dans l’autre côté parce que c’est Coltrane à fond la caisse !

Un de ses disciples français.

Oui, oui. C’est Expression, c’est le dernier Coltrane.

Il me dit : « Écoute, bon ok, je peux le vendredi, mais le samedi j’ai des amis qui viennent dîner à la maison, je ne peux pas décommander. » On fait donc le concert du vendredi avec Seffer et JeanMy Truong. Bon, Seffer, il suffit d’appuyer sur on et il joue. Il a beaucoup d’énergie et, comme il est coltranien, il remplit l’espace.

« Je suis rentré chez moi, je grimpais au ciel.

J’avais trouvé le truc. » Et Truong se met à jouer comme Elvin ?

Truong, c’est… c’est pas un swingman. Elvin Jones, c’est quand même un swingman. Truong balance son truc, il se démerde. Je ne sais plus ce qu’on a joué, mais il n’y a pas de thème, c’était peut-être de l’impro.

Et vous êtes toujours en trio.

Yochk’o Seffer me dit non pour le samedi, j’appelle donc mon copain Siegfried Kessler, un très grand musicien. Mais c’est pas du tout ce que je voulais faire parce que Siegfried joue des thèmes de Wayne Shorter, il aimait le Hard bop évolué, ces choses-là. Je

bureau de l’attaché culturel de l’ambassade des États-Unis. Il revenait de l’enterrement de Samson François et me dit : « J’ai un jeune musicien de musique baroque qui joue du clavecin, ça serait bien qu’il vous rejoigne à la fin de votre concert. » Ok, c’était William Christie ! Le pauvre Christie, quand on a joué ensemble à la fin…

Comment on retranscrit le mix Rollins et tonnerre ?

Alors, Rollins, il est oublié, là, parce que Yochk’o aligne les notes. Il a reçu une instruction musicale très poussée en Hongrie, où il est né, avant de se tirer pendant la révolution de 56 : « L’éducation musicale, c’est pas de la rigolade : un instrument et le piano. » lui dis de venir le samedi et puis tant pis. Mon projet est foutu. Trois soirs avec trois groupes différents, on n’y arrive pas… Le samedi, c’est pourtant là que tout se joue. Mon Siegfried, qui n’est quand même pas très fiable, nous fait poireauter. Je suis avec Jean-My Truong et des gens dans la salle. On se regarde : « Qu’est-ce qu’on fait ? On ne va pas faire un duo basse batterie. » Les gens à l’époque n’étaient pas très chiants car les jazzmen étaient toujours en retard et les concerts ne commençaient jamais à l’heure. Là, Yochk’o se pointe : « J’ai expédié mon dîner avec les copains. » Et on se met à jouer tous les trois comme la veille. Là-dessus, pendant qu’on joue, Siegfried débarque, branche son clavinet Hohner et rentre dans l’histoire…

Et le trio devient le quartet de Perception.

Je suis rentré chez moi, je grimpais au ciel quoi.

J’avais trouvé le truc. Il y avait une complémentarité totalement improbable si on peut dire. Ce n’était pas mon premier choix de saxophoniste et j’avais éliminé l’harmonie donc le piano de mes premiers plans. Le problème, c’est que Kessler a l’oreille harmonique absolue. Il réharmonise spontanément tout ce que Yochk’o balance. Derrière, moi, je joue de la basse free, avec des accents par-ci par-là et Jean-My fait son tonnerre. Et ça fonctionne. Et ça fonctionne… Je les ai emmerdés au téléphone pendant tout l’été parce que j’étais convaincu de ce groupe.

Cet état de grâce était partagé côté public ?

Le Gill’s Club, ce n’est pas le bar de l’hôtel Intercontinental… Il se passe des choses, imprévues, étonnantes, et je n’ai pas vu de gens foutre le camp. C’était un endroit un peu avant-gardiste.

J’ai commencé à chercher des concerts. Il y avait un centre culturel américain, pas celui boulevard Raspail, mais à Saint-Germain, rue du Dragon. Ça a été rigolo parce que je me suis retrouvé dans le

Piano obligatoire ?

Oui. Tout le monde doit jouer du piano. Siegfried avait une éducation musicale allemande, très poussée sur les musiques modernes. Chacun de nous apporte des compositions. Les miennes sont très simples, encore, des petites esquisses de thèmes qui font trois mesures. Yochk’o, c’est beaucoup plus structuré. Pour Siegfried, on est dans la musique moderne du XXe siècle. Du fait de ses errements saoulographiques, on a du malheureusement virer Kessler pendant quelques mois. Non seulement il écrit, il joue superbement du piano et du clavinet, mais c’est un harmoniste instantané formidable.

L’alchimie fonctionne par nos disparités esthétiques.

Comme la quintessence du nouveau jazz ?

Par rapport à ce que jouaient le Cohelmec ou même le Dharma, on était plus du côté américain que les autres. Notamment à cause de Coltrane/Yochk’o.

C’est qui votre ref en contrebasse ?

Paul Chambers. Pour l’énergie, il est là, hein ? Je ne peux m’exprimer qu’en force. Je ne dirais pas puissance, parce que puissance c’est une qualité…

Puissance aussi dans votre matériau musical lui-même avec des hymnes qui fédèrent.

Je ne sais pas. J’ai constaté rétrospectivement, depuis toutes ces années, que je ne suis pas un grand virtuose. Il faut donc que je parle autrement.

C’était comme ça jusqu’à la fin… J’ai arrêté de jouer, il y a deux ans, et c’est aussi pour des raisons de résistance. Je ne peux plus tirer sur l’instrument.

C’est ma manière, disons viscérale, d’être dans cette musique. On va dire ça comme ça.

Au sein de Perception, ça vous rapprocherait plutôt de Truong, non ?

On était les moins techniciens des quatre, c’est sûr.

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maillage du territoire, avec les MJC, par exemple.

On jouait dans les MJC. Depuis Jack Lang, on ne joue plus dans les MJC. Vous jouiez aussi pour les syndicats et les fêtes politiques ?

La fête du PSU, la fête de l’Huma. Il y avait une programmation jazz costaud à la fête de l’Huma.

Mingus, Max Roach, Archie Shepp… et nous [rires].

On a fait plein de concerts dans les MJC puis ça s’est complètement fermé et on a eu les grandes maisons de la culture. Avant cela les MJC étaient des porteuses de culture, y compris pour l’avant-garde.

Quand la gauche a gagné, le milieu associatif, pas institutionnel, hein, a cru qu’on avait gagné. Ben non.

Il y avait quand même des associations avec des passionnés de jazz.

Après, basse/batterie, ça marche un peu ensemble, enfin, des fois. Peut-être m’a-t-il obligé aussi à me positionner comme ça parce qu’il balançait des tonnerres derrière lesquels il fallait tenir la barre. On était des espèces de forces opposées et complémentaires…

La fameuse attraction des opposés.

C’est une aventure poétique. Pour moi, faire du jazz, c’est une révolte rimbaldienne. Il y a les deux grands techniciens : Kessler, Yochk’o. Après, c’est les deux grands expressionnistes : Yochk’o, Truong. Là, c’est le dionysiaque, si on veut. Et puis, beaucoup plus romantique malgré tout, c’est Levallet et Kessler.

Puis les plus engagés dans l’histoire, Yochk’o et moi pour des tas de raisons. Le petit miracle, c’est que ça a pu fonctionner.

Comment on grave ce miracle sur disque ? Ça doit être sorti de l’instinct d’un concert… On avait des compos déjà jouées sur scène. C’est une musique de l’inexactitude de toute façon.

Les thèmes, on les avait maitrisés, répétés et joués en public. Moi, j’avais mes petites choses, comme Narcisse à la Carla Bley miniature. Kessler, son Phénobarbital, c’est presque de la musique contemporaine.

Ce genre de titres...

C’est un médicament… Mais c’est un défoncé, Kessler, hein ! Il prenait des machins et des trucs…

On est en 71. Quel est le réseau de diffusion ?

Y’a pas encore eu Jack Lang ni la deuxième décentralisation. Le jazz n’est pas encore reconnu institutionnellement, mais il y a quand même un

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À leurs risques et périls, parfois. Tiens, sur la pochette de Mestari, il y a une photo à l’intérieur.

C’est chez Michel Marre et son frère à côté de Montpellier. Le moulin de Prades-le-Lez. Il fallait d’abord repérer les manifestations puis aller tirer les sonnettes soi-même. Il y avait un truc un peu baroque qui s’appelait Jazz Fans Belin.

Le fabricant des Petits cœurs ?

Les crackers, ouais… Je suis allé voir les mecs qui s’occupaient de ça, c’est très drôle, le malentendu absolu. Ils venaient de faire un bon repas et roupillaient plus ou moins derrière leur bureau, je leur donne mon disque et ils nous programment.

On a été jouer au Grau-du-Roi, en première partie de Marcel Zanini. Le choc des cultures !

En 72, vous montez l’ADMI. Au même moment, il y a l’AACM à Chicago, le collectif de Willem Breuker, et tous ces musiciens qui s’organisent. On a discuté à Chateauvallon avec Jean-Louis Méchali, le batteur de Cohelmec.

L’association pour promouvoir la musique improvisée, c’était prendre son destin en main.

Et l’ADMI sort le deuxième disque de Perception.

C’était très artisanal. J’achète des pochettes blanches et Yochk’o, qui est graphiste et peintre, fait une linogravure. Tirage limité à exemplaires, numérotés. On a vendu le disque par souscription.

Il y a eu deux autres disques sortis avec l’ADMI dont le premier disque du workshop de Lyon à l’époque Free Jazz Workshop.

Inter Fréquences, c’est ça ?

Oui et un disque de Gilson, un peu escroc quand même. Le disque sort avec l’ADMI et sur son label PALM en même temps. Sur Perception and Friends, il y a Jean-Charles Capon et Ken Carter. Après, j’ai

monté Confluence en 76 avec Capon et Escoudé.

Tout ça, c’était en gestation. Avec le troisième disque de Perception, Mestari, on est revenu au cœur du problème.

Vous êtes de nouveau quatre. Quels sont les changements majeurs ?

Kessler est revenu d’une cure de désintox en Tunisie et Yochk’o, à cette époque-là, avait déjà commencé Zao. Trabla Air, c’est parce qu’on le tannait avec Albert Ayler qu’il ne comprenait pas très bien avec sa culture de musique sérieuse d’Europe de l’Est. Coltrane, oui, mais Albert Ayler, il a eu du mal. Comme il est plasticien, il a construit des instruments. Sur Trabla Air, il joue d’un vieil aspirateur avec des trous dedans et une anche. Il y a une naïveté totale.

Presque primitive.

Ouais, et ça lui permet de rejoindre Ayler. Quant à moi, sur Mestari, le morceau qui prend toute une face, il n’y a quasiment rien d’écrit, peut-être une série et un thème final, une espèce de marche. Ça, ils aiment pas non plus, surtout Yochk’o, pas assez sérieux pour lui.

« On est toujours un peu jeune chien fou et vieux con désabusé. C’est-àdire qu’il y a une époque où il faut casser les murs et, petit à petit, on reconstruit la forme. » L’écriture pilotée par l’improvisation ? À l’époque, oui, parce qu’après, quand même, j’ai écrit des trucs. Sérieux, à l’ONJ, je n’ai pas fait de bricolage. Mais j’ai appris à écrire. Je suis passé par l’académie, j’ai pris des leçons de contrebasse au conservatoire de Lille, puis j’ai fait le métier donc je m’en foutais. Mais l’écriture, c’est ce que j’aime faire le mieux. J’ai souvent créé des quintets en éliminant la guitare ou le piano pour avoir trois voix mélodiques plutôt qu’un instrument harmonique. Ça, ça vient de Coleman ou de Rollins, ces formations sans instrument harmonique.

Au début peut-être… Mais j’ai toujours fait l’impasse sur l’instrument harmonique sauf avec Jan Vanek, parce que c’était un musicien intéressant que je voulais faire jouer quand j’étais directeur de la Scène Nationale de Montbéliard.

Comment ça survit Perception, justement, dans les formations d’après ?

court en écriture. Je m’en sortais, mais, je veux dire, je n’allais pas très très loin. C’est ce côté-là que j’ai développé avec les groupes suivants comme dans ce big band où j’amenais les vieux de la vieille comme Roger Guérin, Jean-Louis Chautemps vers le free. On a joué chez Terronès qui avait, à l’époque, le Totem, avenue d’Ivry et qui a brûlé à cause des opérations immobilières sauvages… Pendant quelque temps, Terronès a été l’alibi de promoteurs comme ça, à son corps défendant. J’avais donc ce big band avec Roger Guérin et Jean-François Canape, l’un à côté de l’autre, c’était assez rigolo. On est toujours un peu jeune chien fou et vieux con désabusé. C’est-àdire qu’il y a une époque où il faut casser les murs et, petit à petit, on reconstruit la forme.

Entre le troisième album en 1973 et la fin de Perception en 77, il y a quoi ?

Des concerts de loin en loin, Yochk’o est très occupé par la création de Zao et Siegfried n’est pas toujours très fiable. Il y a un moment où les choses… Je préfère le début de l’histoire qui fait que les choses, improbablement, fonctionnent. Après, ça se délite.

Peut-être que la création de compense un peu ce délitement.

Confluence

Confluence, c’était la rencontre de certains musiciens. Le nom essaye de dire ce qu’il veut dire, c’est-à-dire qu’il y a la musique libre et il y a une espèce de ré-appropriation des formes. C’était l’époque. Chick Corea faisait partie de Circles, avec Anthony Braxton, Barry Altschul et Dave Holland. Et puis pouf ! Il sort Return to Forever. Et là, changement de braquet complet. Retour à la mélodie, retour aux petites choses populaires. Ce ne sont pas mes trucs favoris. C’est bien, ça joue, mais il y a une « petite musique » qui me dit « ah ! c’est peut-être le moment de reconstruire des formes autour de ce qu’on a appris en liberté ». Confluence, c’est ça.

Cette année 77, c’est aussi le moment de l’explosion du punk. On parlait de perméabilité, au début de cet entretien, le punk ça arrive jusqu’aux jazzmen ou pas ?

Non. Complètement imperméable. Mais le free jazz, c’est déjà punk. Mais je me reproche une chose, quand même, c’est d’avoir loupé le rock progressif.

Ah bon ?

Oui, les Led Zeppelin et tout ça. Mais c’est aussi par protectionnisme. Quand je dis protectionnisme, c’est peut-être un malentendu… Toute ma vie, j’ai pensé que… Je n’ai pas compris que les gens n’aiment pas plus cette musique-là. pBK

À l’époque de Perception, j’étais quand même très

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par guillaume malvoisin photo pierrick finelle

L’aventure, c’est l’aventure. Et le jazz reste le jazz. Insaississable, marrant et pas toujours commode. De 1975 à 1982, un jeune Normand en fera l’expérience. Il fréquente le gratin free parisien avant de rejoindre le Jura libre. Récit d’un apprentissage.

jean-alphonse

leboucher fait pschitt Peu de gens le savent, il y a une mine d’or à Poligny. Du genre golden nuggets, joie des diggers.

Et des amateurs d’histoires grandes classes, aussi.

Jugez plutôt. Comment un petit normand fils d’agriculteur catholique monte à Paris, se retrouve dans le creuset du free jazz parisien des années 70 et finit par enregistrer 3 disques surcotés sur Discogs. Incroyable, mais vrai, dirait Jacques Martin. Impensable, mais finalement assez simple, corrigerait Jean-Alphonse Leboucher, à son aise dans l’humilité comme dans le scepticisme provoqué par cette rencontre. Chronologie erratique, name dropping en vrac et générosité sans protocole. L’œil de Jean-Alphonse doit son étincelle à la malice et à ce qui est resté soigneusement tu au cours d’une heure d’entretien. Tout commence dans les normes, deux cafés et une date de naissance. la fleur au fusil. « 1954, à Caen. Mon père est agriculteur et musicien. En 1975, l’armée, c’était le moyen pour les gens modestes de pouvoir vivre gratos en faisant des études de musique. En arrivant à l’armée je rencontre François Méchali. Il a déjà 25 ans et il est

sursitaire. Moi, j’ai 18 ans et je suis engagé. L’armée me nomme donc responsable de lui. Je suis un peu timide et je sais pas où je vais. » Des jazzmen vont le sortir de là : « On va faire un concert, il nous manque un trombone, ça te dit ? » C’est la maison de la Radio et Machi Oul, le big band free réuni par Manuel Villaroel. Quetzalcoatl, premier disque du band, est enregistré en 76 puis sorti sur Palm, le label phare de Jef Gilson. Mais avant les embardées sonores, il y a quoi ? Le jazz, à Caen, entre deux sillons ? « C’est pauvre culturellement chez moi, un peu de musique classique. Mon père était musicien, mais amateur, il jouait à l’église. » Marrant, ça ressemble au légendaire américain du jazz, de la soul et de la funk où la gloire et les carrières naissent de la musique d’église. Mais, à Caen, pas de negrospirituals, mais des messes de minuit. Tout le monde chante, parfaitement catholique. « Le seul mec de jazz que je connais, c’est un ami de mes parents. Il improvise, comme ça, et on est tous, comme ça, à le regarder. En 68, pour écouter de la

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Oul, c’est la musique qui doit apaiser les conflits et unifier les individus. Sur Quetzalcoatl, le disque de 76, les conflits sont résolus d’un solo de trombone à mettre tout le monde d’accord. Le son qui déboule à 23 min du début de l’enregistrement n’est pas un solo de rigolo. « C’est peut-être Josef Traindl qui joue. Mais j’ai bien dû improviser aussi parce qu’il y avait une certaine liberté. Cohen, par exemple, le saxophonistedu Cohelmec, il a 10 ans de plus que moi quand j’arrive à Paris. Il habite à côté de Pigalle. Tu vois le bonheur… J’ai été accueilli avec bienveillance.

Je ne connaissais rien, j’étais gamin. En 76, au festival de Chateauvallon, tout le monde s’en foutait un peu de nous. Il y avait les vedettes qui jouaient, comme Sun Ra. » musique, faut avoir les moyens, mais mon père veut que ses enfants fassent de la musique. » Le voilà donc embarqué pour Paris, pour l’armée et de très riches heures de jazz et d’impro. « Ce que j’ai aimé dans l’improvisation, c’est le côté création sorti du fond de moi-même. » La fleur au fusil et l’urgence aux tripes, Jean-Alphonse. Ça peut faire très peur, ça peut être très violent. « Je suis rentré dedans à fond.

Les gars connaissaient les grilles, les conventions, moi rien. Quand j’appuyais sur le bouton ça faisait « pschitt » puis je jouais. Je savais lire la musique, mais en impro je devais les imiter. » Le problème des big band c’est qu’on y gagne pas bien sa vie. Didier Levallet nous raconte à la page 34 de cette revue qu’il tente de monter Perception avec Alain Hatot.

Le saxophoniste lui répond qu’il a plutôt besoin de gagner sa croûte. Faire carrière ou gagner de quoi bouffer. À quoi ça tient l’avant-garde dans la France d’après 68 ? « Le milieu bourgeois et intellectuel avait la connaissance de la musique grâce aux conservatoires.

Levallet était journaliste, et je ne sais pourquoi, mais, à l’époque, beaucoup d’autres étaient vétérinaires.

Au sein du big band Machi Oul, ce côté intello Versaillais me fascinait. » Dilemme free, jouer sa vie ou la gagner, improviser pour la lutte des classes.

Machi Oul annonce la couleur, mixer les origines, celles de Jean-François Canape, populaires, celles des Villaroel, latino-américaines. Au sein de Machi

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Utopie communautaire. Sortir des marches militaires et croiser le cosmos. Pas banal. À 18 ans, ça fait quoi de se prendre Sun Ra en pleine tronche ? « Je ne sais plus. Je n’ai pas fait gaffe. Je découvrirai Sun Ra avec Dou, plus tard. Le groupe Dou, c’est la communauté. C’est la vie à la Sun Ra, c’est ça que veut refaire ce mec. Je suis libéré de l’armée à ce moment-là et je rencontre Dou Kaya, le camerounais, en 1977. » Un camerounais fan d’un maître pianiste/organiste interstellaire qui pose à Paris l’utopie jazz ? Forcément, la connexion pousse à des trajectoires de comète. Seulement 2 disques, mais des disques denses, mobilisateurs et imparables qu’on trouve encore l’un ou l’autre chez certains disquaires, enclins à fouiner un peu. « Avec le groupe Dou, on se réunit et on rêve. Dans le groupe t’as donc Dou, un musicien réunionnais dont le père bosse à la SNCF et un saxophoniste américain, Sulayman Hakim. » Objectif principal du groupe : faire un disque, produit et enregistré dans de bonnes conditions, pour être à la hauteur du talent, de l’enjeu et des envies. Mais il faut de l’argent pour ça. Simple ? « On hypothèque la maison des parents. » Madame Leboucher, sainte femme, donne l’onction et l’autorisation. Jean-Alphonse revient à la communauté les poches pleines. 60.000 francs, à rembourser sous veille de notaire à hauteur de 4.000 francs mensuels. Une paille quand on est jazzman et parisien. L’esprit d’aventure, camarade.

« Je suis rentré dedans à fond. Les gars connaissaient les grilles, les conventions, moi rien. Quand j’appuyais sur le bouton ça faisait pschitt puis je jouais. Je savais lire la musique, mais en impro je devais les imiter. »

« C’était tous les mois et j’ai fait des petites bêtises, quelques emprunts étranges, je le reconnais. Mais c’était pas bien méchant. » Puis tout s’est casse la gueule. Le groupe Dou créé son propre label, Balafon, et enregistre Deïdo en 1977. « On est 17, rue d’Alésia, 5.000 exemplaires restés à la cave. C’est marrant que tu dises en retrouver chez les disquaires. Qui les a récupérés ? Moi je suis parti bosser dans le Jura, parce qu’il fallait rembourser. » Avant de partir, il y a le deuxième album. En 79, Sun Ra et le jazz prog dansent ensemble, l’Afrique se fait plus présente sur Conscientiousness. Alphonse Leboucher souffle sur les retrouvailles avec Jeff Sicard, ancien de Machi Oul. Didier Malherbe, agitateur de Gong passe enregistrer quelques pistes. « Les mecs sont un peu dans la galère.

On est le seul groupe sur la place de Paris. On joue des musiques improvisés à fond la caisse, et on tourne en clubs. On crée même un festival où jouent les mecs de Miles. Puis, nous aussi, on va se planter. » 17, rue d’Alésia il y a certes de futurs grands noms, mais les moyens restent maigres.

Conscientiousness s’enregistre à la débrouille. « C’est la copine de Dou qui avait l’appart et tout le monde vivait dedans. Forcément, à un moment, on a pété les plombs. » 79, même sans s’être encore attaché au Jura, Monsieur Leboucher sent l’odeur de sapin planer sur les illusions de la commu. « On lance le deuxième disque.

Sulayman Hakim est toujours là, mais le batteur s’en va. Le guitariste ne veut plus, mais rencarde quand même le nouveau batteur, Steve Mac Graven, qui est important. On en parlait encore sur France Musique l’autre jour. » Bonne pioche,

Mac Graven. On peut l’entendre sur Gemini d’Archie Shepp (2007) et, en 2020, sur We’re New Again, la relecture qu’a faite Makaya McCraven du dernier disque de Gil Scott-Heron. Entre en jeu aussi le guitariste, Joe Tongo, arrivé en France dans la musette de son cousin, le saxophoniste camerounais Manu Dibango. « C’est l’Afrique, 17 rue d’Alésia. Mais ça ne va pas bien et on fait le disque en plusieurs fois.

Est-ce qu’on a pas payé le studio ? On est partis avec les bandes et on trouve un autre studio à Paris. On fait du black. Tout le monde sort un peu de thune de sa poche. Didier Malherbe et Jeff Sicard jouent gratos.

Ils en imposent mais là, ils ne jouent plus pour être payés. Ils sont dans la merde, mais cherchent juste à jouer. En 79, tout s’est un peu cassé la gueule. » En 79, une réussite comme Camembert Électrique (1971) de Gong a déjà de la bouteille et le big band Machi Oul a fermé boutique. « Après les sessions, avec Jeff Sicard, on est venus jouer en quintet dans un festival à Dole. Quand je suis arrivé là, je ne pensais pas revenir vivre dans le Jura, définitivement, deux ans après. » Et mettre sous pli discret, entre Arbois et fruitières à Comté, deux ou trois pages d’une période musicale pleine d’ébullition, de liberté, de bruit et de ferveur.

Ferveur d’un ex-petit normand monté à la capitale pour botter le cul de la démesure et des conventions en excellente compagnie. pBK

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par martial ratel et guillaume malvoisin photo mederic roquesalane

Putain, putain, c’est vachement bien d’être des Européens. Compile de deux entretiens au long cours avec Daniel Erdmann. Le saxophoniste cartographiait ses influences au festival Sunnyside de Reims et à l’Arrosoir de Chalon-surSaône. Saxophone, Blues et RDA-Dada.

capital velours

Au-delà d’un son précis et émouvant, ce qui frappe chez toi, c’est l’humour avec lequel tu joues. Tu ne fais pas le clown, bien entendu.

Tu joues sérieusement, mais sans te prendre au sérieux.

J’aimerais montrer que tout est grave et rien n’est grave, que tout peut arriver et que rien ne doit arriver.

C’est dada ça !

Oui, j’aime beaucoup ce mouvement. Mais je pense que je suis très sérieux sinon, j’essaye de me libérer un peu de ça. Faire quelque chose avec un peu d’espoir, de positif, j’aime beaucoup ça. J’aime bien les choses drôles, mais le cynisme, tout ça, ce n’est pas mon truc.

Avec Das Kapital, tu sors un disque appelé Vive la France. En jazz, c’est peu courant les projets « Vive quelque chose ».

Certains musiciens ont vu ce répertoire en concert et m’ont dit « c’est très étrange, normalement ça devrait pas marcher, ça devrait être horrible mais avec vous ça marche ». Das Kapital c’est un groupe un peu spécial. Je ne sais pas pourquoi, c’est une rencontre un peu bizarre.

Hasse Poulsen est scandinave, Edward Perraud est franco-britannique et un peu dandy. C’est un mélange d’une finesse insoupçonnée.

Merci beaucoup. Effectivement, le fait d’être un groupe européen fait que Vive la France est un hommage honnête. Das Kapital, c’est un groupe où tout est possible, rien n’est interdit et les autres disent toujours oui à toutes les propositions. Et c’est assez rare.

Parce que vous êtes capables d’aller sur tous les terrains, tout le temps ?

On essaie d’y aller même si on n’en est pas capables. Il n’y a aucun risque. Le pire qui puisse arriver, c’est une naissance venue d’une catastrophe.

Les jazzmen ont inventé la meilleure des excuses : l’accident peut devenir musique.

Exactement.

Mais ça peut devenir la créature de Frankenstein.

Il y a des albums entiers faits avec des créatures de Frankenstein. C’est la chance de cette musique justement.

Avec Das Kapital, il y en a eu 2 disques dédiés à Hanns Eisler, compositeur qu’on a un peu oublié. Enfin, l’Histoire s’est arrangée pour qu’on l’oublie. Il a pourtant été compagnon de Brecht et compositeur de génie pour la musique de chambre.

J’ai fait cette proposition parce que j’ai travaillé Brecht dans des productions de théâtre. Dans mon enfance, j’ai aussi beaucoup entendu ses chansons. C’est un répertoire intéressant à plein de titres. Par exemple, l’hymne national de la RDA on l’a joué, mais certaines fois après le concert on a rencontré des gens, dans la partie Est de l’Allemagne, très perturbés d’entendre de nouveau cette chanson. On m’a raconté qu’une autre fois quelqu’un voulait se lever tellement il était dedans. Il y a aussi pas mal des gens qui ont souffert sous ce régime. Cette souffrance, c’est aussi celle du compositeur qui a été renvoyé des États-Unis pour se retrouver malgré lui à Berlin-Est à travailler pour les soviétiques pour survivre.

Est-ce que tu t’embarrasse des références ?

J’ai des tentations. Par exemple, j’ai eu la chance de jouer à Rome avec Rita Marcotulli, qui… Elle a joué

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beaucoup avec Dewey Redman, et Dewey Redman c’est vraiment un de mes héros, un dieu pour moi. Avec Rita, la tentation était vraiment très grande alors j’ai sorti ce que j’ai pu pendant la balance pour ne pas le jouer en concert. Les citations de thèmes et tout ça…

Pour les évacuer ?

Oui, ça peut m’arriver qu’on me demande de jouer d’une certaine manière et là c’est pas possible parce que se sortir ça de la tête, c’est difficile. C’est un peu comme pour Joachim Kühn, que je vois souvent…

Même si on riait peut-être un peu quand on était un peu plus jeunes… Joachim a eu plein d’expériences différentes, essayé des styles de musique différents avant de revenir à une musique plus acoustique, jazz. J’ai eu la chance aussi de jouer avec Joachim…

Ce qui m’impressionne, c’est son exigence absolue, techniquement et musicalement. C’est vraiment la grande leçon que je tire, cet engagement. Y a pas une note de trop, jamais de note gratuite, même en répétition, c’est toujours à fond.

Tu évoques 1989, est-ce que tu t’intéressais déjà au jazz ? Des noms comme Peter Brötzmann évoquaient déjà des choses pour toi ?

En 89, j’avais 16 ans, je crois… Je connaissais pas très bien cette scène-là encore. Brötzmann, je l’ai découvert un peu plus tard, alors que j’écoutais beaucoup de punk. Je voulais jouer aussi, mais mes saxophones en punk, ça ne marchait pas trop…

C’est marrant, dans le premier disque de Das Kapital, Ballads & Barricades, vous reprenez Einheitsfrontlied. Toi, tu le joues punk, en cuivrant comme un fou.

J’ai toujours trouvé qu’il y avait une place pour le sax dans le punk, mais voilà, à l’époque, je n’ai pas trouvé de musiciens qui soient d’accord avec ça.

Revenons à ta révolution intérieure, tu dis vouloir vraiment retrouver ton grain sonore.

Pourquoi pas en solo ?

J’ai eu l’occasion d’en faire, j’ai joué dans quelques festivals et c’était des expériences assez chouettes, mais… on est quand même seul, en solo. Surtout avant et après le concert, c’est un peu dur, je trouve. J’avais conçu le mien avec des morceaux d’amis pour ne pas être complètement seul dans ma tête avec ça. J’aime vraiment jouer avec d’autres musiciens, pour l’interaction, la conversation.

Après Das Kapital, il y cette Velvet Revolution pour un son personnel, intime.

J’avais envie, après des années de collaboration avec d’autres musiciens, d’avoir un groupe à moi où je puisse écrire et décider des choses, du moins au début. Alors j’ai cherché ce son en moi. Je me suis rendu compte qu’il manquait un peu de grain et tout le côté soft, velours.

C’est aussi pour ça que j’ai appelé ça Velvet Revolution, c’est ma révolution de velours personnelle.

Mais si tu parles de révolution de velours, on pense évidemment à Václav Havel.

C’est sûr qu’il y a un rappel de ça, c’est pour ça aussi que ça m’a plu que ça raconte quelque chose audelà d’un titre un peu abstrait. Mais c’était vraiment ma révolution personnelle de velours. Un peu une révolution à l’envers. La Révolution de velours, je l’ai vécue depuis l’Allemagne de l’Ouest, mais je l’ai suivie de très très près. Je passais mon Bac dans un lycée proche de la frontière et j’étais dans une classe de… politique. Ça existait en Allemagne à cette époque-là et j’habitais pas très loin de la frontière. J’avais aussi de la famille à l’Est, du côté de ma grand-mère et donc j’ai beaucoup, beaucoup suivi ça. Ça m’a marqué et ça joue peut-être dans le fait d’avoir choisi ce titre.

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Est-ce que tu t’es dit que Velvet pourrait être le contrepoint de Das Kapital, pour l’énergie ?

Non, c’est plutôt complémentaire. Il y a beaucoup d’énergie dans Velvet Revolution.

Il y a aussi une place immense laissée à l’auditeur, en termes d’imaginaire. Ça me fait très plaisir que tu dises ça. Pour moi c’est très important. En concert, il y a le quatrième membre du groupe, qui est le public. Physiquement, on est tous des corps de résonance donc la salle sonne avec nous. Et puis, il y a les réactions. Évidemment quand on fait un disque, c’est un peu différent parce qu’on est en studio et il faut donc un peu imaginer ça.

C’est pourtant ton projet mais, quand vous on voit jouer, on a l’impression qu’il n’y a pas de leader affirmé.

Je suis persuadé, que chaque musicien qui joue dans un groupe de ce type, avec pas mal de libertés, fait de son mieux. Évidemment, là, on a un groupe qui connaît très bien la musique, mais je suis persuadé qu’on joue mieux si on trouve

le son soi-même que si un leader dit « il faut jouer ainsi ». La force de tous les musiciens avec qui j’ai la chance de jouer, c’est de réinventer le morceau et de le jouer comme si c’était le leur.

Pour Velvet, tu choisis deux musiciens avec des traditions de jeu très différentes. Théo est un peu la french touch actuelle du violon et Jim Hart, aussi formé au balafon et aux percus d’Afrique de l’Ouest.

Je trouve ça intéressant de confronter les musiciens qui n’auraient peut-être pas joué ensemble forcément, en dehors de cette rencontre-là. Il n’y a jamais de hasard à demander à des musiciens très ouverts. C’est aussi le capital de Das Kapital, de puiser dans toutes les possibilités musicales qui existent et je pense que c’est ça que j’ai appris avec ce groupe, la possibilité de tout prendre et de le détourner. On est libres avec ça, c’est open source, on n’a pas de compte à rendre finalement… Enfin, si, à nous-mêmes, mais…

Et tu reprends Over The Rainbow, standard Broadway américain, qui est dans toutes les têtes ?

J’aime beaucoup Le Magicien d’Oz. J’ai même pensé reprendre toutes les chansons, mais bon c’est peut-être un peu trop… En regardant ce film plusieurs fois je me suis dit « Ah ! cette chansonlà, j’aimerais bien la jouer » et je l’ai arrangée un peu. Il y a une bascule harmonique dedans qui n’est pas très radicale, mais qui monte d’une quarte harmoniquement, puis après Théo interprète la partie B… Et ça se barre sur le swing français.

Ces choses viennent de lui, naturellement et sont parfaites. Tu vois, si je lui avais demandé, je pense que ç’aurait été moins bien.

Es-tu ok si je te dis que se dégage une sorte de légèreté inquiète dans Velvet Revolution ?

Outcast sonne comme une forme de blues européen.

Outcast c’est un morceau inspiré par le livre de Robert Menasse, Chassés de l’Enfer. Ça parle de

C’est aussi ça le capital de Das Kapital, de puiser dans tout ce qui existe. C’est open source, on n’a pas de compte à rendre finalement. Enfin, si, à nous-memes.

l’antisémitisme en Europe depuis le Moyen Âge.

Il y a d’autres morceaux quand même assez légers mais en même temps, dans cette musique, on met nos expériences, ce qu’on vit tous les jours donc il y a la joie de vivre, d’être ensemble, d’être juste là au moment présent, mais aussi toutes ces choses…

Dans un répertoire comme celui de Velvet, la prise de risque est-elle est plus grande du fait de cette intimité mise en jeu ?

J’espère que la prise de risque est aussi grande qu’avec basse/batterie. C’est quand même une des choses les plus importantes dans cette musique.

Mais est-ce que tu te sens plus…

Plus vulnérable ? Non, parce que l’assise rythmique avec Jim et Théo est vraiment très forte. On entend vraiment les forces et les moments faibles… Je ne sais pas s’il y a vraiment des moments d’échec, mais je trouve ça très important, les moments d’échec, où les musiciens prennent des risques qui les amènent presque à l’échec.

Tu aimes marcher sur le fil.

C’est quelque chose qui m’intéresse, effectivement, cette idée que l’échec est une chance. Ouais, c’est très beckettien.

Il y a une dernière chose encore, presque comme une manie chez toi, c’est cette facilité à composer des hymnes. Le disque est titré Won’t Put No Flag Out. Tu ne revendiques aucun drapeau, mais tu écris des hymnes.

L’un n’empêche pas l’autre, je trouve… On peut ne pas croire aux frontières, physiques et musicales, mais aimer les hymnes. Les chansons d’Eisler parlent beaucoup de ça, d’ailleurs. L’hymne le plus beau qui existe, je trouve, c’est un hymne qu’il a écrit avec Brecht, qui s’appelle L’Hymne des Enfants, qui est une proposition d’hymne pour l’Allemagne mais qui a été évidemment refusée par la RDA. Il y a eu tout un mouvement pour proposer ça comme hymne pour l’Allemagne réunie et évidemment ça a été balayé parce que… bon, Brecht et Eisler, ça n’était plus possible. Mais c’est magnifique. C’est un hymne presque antinational et ça me plaît énormément. pBK

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par guillaume malvoisin photo remi angeli

C’est un jeu, les palabres calées avant les concerts organisés par les Dijonnais de Zutique Productions. Toutes les intentions sont à décodées dans les paroles échangées. À la Péniche Cancale, le quartet Think Big! parle avec autant de parcimonie qu’il joue avec générosité.

palabres

et haute pensée Raphaël et Thibault, comment s’est fait la rencontre avec Mike et Ben ?

Raphaël Quenehen : À la sortie du lycée, très vite on a monté le collectif des Vibrants Défricheurs.

On vient de célébrer nos 20 ans, c’est important.

La notion de collectif nous habite depuis toujours dans notre manière de travailler la musique et de nous écouter. Les idées peuvent venir de chacun et soutenir l’édifice commun. On a rencontré Mike lors du festival Atlantic Jazz à Brest. Une des thématiques impliquait les collectifs, notamment, le plus illustre, l’AACM, un collectif de Chicago et qui est un modèle pour beaucoup de collectifs français. On était invités pour tchatcher et on nous a proposé des rencontres avec d’autres musiciens improvisateurs. On a donc joué en trio, avec Mike.

5 ans plus tard, le confinement est venu comme une bénédiction, et on a réfléchi à ce qu’on avait envie de faire. On a donc invité Mike et un copain à lui, comme de vieux copains qui se retrouvent pour faire de la musique et voir ce que ça donne.

Mike et Ben, vous faites donc déjà partie d’un collectif et vous voilà invités par un collectif français. Est-ce qu’il y a des préoccupations communes ?

Mike Reed : Je ne pense pas vraiment au fait qu’il y ait un collectif face à un autre collectif. Je préfère parler de réseau international de personnes qui

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explorent la musique de la même façon. C’est cool parce que quand j’ai rencontré ces gars, je suis beaucoup venu en France et j’ai dit : « Pourquoi vous m’avez caché ces gars-là, parce qu’ils sont incroyables ! » On fait la même chose, on parle le même langage musical. On a juste à expérimenter ensemble.

La communauté d’esprit est certes plutôt vivante dans votre quartet, mais on est évidemment sur deux cultures et deux traditions de jazz, non ?

RQ : Oui c’est évident qu’il y a des différences d’approches, mais avec Thibault on se sent très bien avec notre manière de faire. Avec Mike et Ben, c’était un plongeon fabuleux, on s’est tout de suite compris. En effet, il y a une histoire de code mais moi c’est comme si je pouvais parler ce langage qui m’avait tant habité. Attention, je ne parle pas d’appropriation culturelle. D’ailleurs, c’est un débat qu’on a souvent parce que Mike et vachement contre ces démarches-là, très communautaires. Lui, au contraire il est pour une culture globale. Une créolité en marche.

Ben Lamar Gay : Je pense que tout est dans la manière d’écouter. Plus t’écoutes, plus tu peux trouver des connexions. Je suis donc sûr que leurs vibes, c’est juste une histoire de personnalité et de manière d’être, d’écouter l’environnement

pour le confier à différents instruments. Je suis donc certain que quand ces trois mecs improvisent, ils sont au plus proche de la bête sauvage qu’on a en soi en tant qu’humain. Leurs personnalités fonctionnent parce qu’ils écoutent parce qu’ils essaient d’être conscients d’un moment particulier.

Depuis qu’on a ces instruments, ils reproduisent des choses naturellement et ça se projette sur l’audience. Cette vibe est très forte. On apprend à se connaître pendant la tournée, je commence à connaître leurs personnalités et la musique fait sens.

C’est vraiment comme ça que je vois les choses. On pourrait rentrer dans pleins de détails mais il n’y a que la façon dont les gens écoutent. Plus tu écoutes, plus tu découvres ces connexions, beaucoup plus profondes que de simples étiquettes.

Est-ce qu’il y avait des attentes particulières ?

BLG : La bonne musique était l’une de mes seules attentes. Je savais qu’on allait se rencontrer encore et que ce serait du bon son.

RQ : Une idée de jeu absolue, comme des jeux d’enfants. Pas loin de cette idée de bête sauvage.

Il y a un truc auquel je pense souvent, c’est la simplicité avec laquelle on joue cette musique qui est différente chaque soir, mais sans concept. Il y a pas de trucs d’européens, de français. Et ça, ça fait du bien. Pas besoin de mettre trop de mots, il y a juste des énergies. Parfois on débriefe, parfois on se dit des trucs. On utilise tout le temps la métaphore du sport. Nous, on est plus foot, eux ils aiment le basket et les sportifs nous permettent d’éclairer nos lanternes, c’est très agréable.

Dans les notes de présentation pour ce quartet, on trouve la notion de musique libertaire. Ce serait quoi ? Une musique où chacun fait ce qu’il veut ou une musique créée avec ce que chacun

peut apporter ?

Thibault Cellier : C’est un peu les deux. Il y a des chansons qu’on a apportées, d’autres qui arrivent ou non. Avec l’improvisation, on sait pas où on va aller évidemment, alors on apporte tout ce qu’on a dans notre bagage. Il y a notre discours actuel de musicien. Je pense qu’on a déjà pas mal de réflexes, avec Raphaël. Mike et Ben, aussi. On peut donc réussir à raconter des histoires sur une heure où on joue sans faire de pause, en passant d’une idée à une autre.

Est-ce qu’il y a des choses que vous vous interdisez ?

MR : J’essaie de penser au fait que je ne suis pas certain de savoir si je peux le faire. Si tu es trop confiant ou que tu penses pouvoir réussir tous les soirs alors tu n’improvises pas vraiment. Je peux essayer de jeter à la poubelle tout ce que je sais, même si ça revient toujours à un moment. Mais si j’arrive à de nouvelles choses, même si c’est que quelques minutes, c’est que je suis au bon endroit.

Comment on aborde un set chez vous ? Est-ce que d’un set à l’autre vous remettez en jeu ce que vous avez fait la veille ou est-ce qu’au contraire vous êtes capable de vous dire « stop on oublie tout » ?

MR : Je repense à cette métaphore de l’équipe de basket car les équipes de basket construisent une connexion au fil du temps. Il y a des choses que tu commences à connaître, comment le joueur va être avec les autres, comment il va faire sa passe.

Bien sûr, il y a aussi des moments tristes, mais le jeu continue. Quand t’as un groupe qui joue tous les soirs, tu ne peux pas ne pas penser à ce qu’on construit ensemble. pBK

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Ici, desole, on ne parle pas vraiment de jazz.

Rap ville En Amérique, dans les années 90, chaque ville avait sa scène hip-hop. Une identité sonore qui s’exposait du sud au nord, de l’est à l’ouest. On se taille en californie pour 4 shots d’histoire et de culture à la sauce gangsta. par pierre-olivier bobo

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Compton.

Beaucoup de choses ont déjà été écrites ou filmées sur cette ville du comté de Los Angeles. Et pour cause. Berceau du gangsta rap à la fin des années 80 avec le super-groupe N.W.A. et son légendaire Straight Outta Compton, maison mère de Kendrick Lamar qui explosera à la face du monde dans les années 2010, Compton traversera les années sous les lumières… artistiques.

Mais c’est où, Compton ?

Comptant à peine 100.000 habitants, la cité californienne bien calée au sud de Los Angeles tente toujours aujourd’hui de s’émanciper des stéréotypes qui lui collent à la peau, comme le racontait encore récemment le journaliste Nicolas Rogès pour Libération. Ville dangereuse et criminelle, gangs à profusion, surutilisation du nom de la ville par les rappeurs pour vendre des disques…

Le fait est que, heureusement ou malheureusement, Compton a ça tatoué sur elle. Pour toujours, pour l’Histoire. Et à la base de cette histoire romancée et musicale, on trouve un petit bonhomme de 1m59 : le rappeur Eric ‘Eazy-E’ Wright.

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— À écouter : Real Muthaphuckkin G’s de Eazy-E (Ruthless Records, 1993)

Un poil de contexte ?

Début des années 90, les membres du groupe N.W.A. (Arabian Prince, DJ Yella, Dr. Dre, Eazy-E, Ice Cube, MC Ren) se séparent, chacun dans un coin pour vivre d’autres expériences artistiques. À Los Angeles, deux camps vont s’opposer : Dr Dre et le label Death Row versus Eazy-E et le label Ruthless. Cette rivalité fortement médiatisée produira un certain nombre de hits, dont l’immense Real Muthaphuckkin G’s. Extrait de l’album sobrement intitulé It’s On (Dr_Dre) 187um Killa (1993), ce titre est une réponse au Fuck wit Dre Day de Dr. Dre et Snoop Doggy Dogg sorti un an plus tôt sur The Chronic. Eazy-E, accompagné des frangins B.G. Knocc Out et Dresta, y flingue l’écurie Death Row sur chaque rime, de sa voix nasillarde, le tout sur une production vicieuse à la sirène inquiétante signée du beatmaker californien Rhythm D.

Est-ce que ça fait vraiment peur tout ça ?

Le morceau sera clippé pour MTV en 1994 : chemises à carreaux, lunettes de soleil façon « old school gangster » (tapez ça dans votre moteur de recherches favori), petites bouclettes laquées dans les cheveux, battes de baseball et regards tendus surjoués… Tout y est. Eazy-E moquera souvent son ancien collègue Dre de « wanabee gangster » et de « studio gangster », signe qu’il y avait beaucoup de comédie derrière les lyrics vilains. Quant au clip de Real Muthaphuckkin G’s, il fera quand même la part belle à Compton, montrant quelques plans des neighborhoods. Dr. Dre est né à Compton, Eazy-E l’avait dans le sang. Mais ce dernier abandonnera sa ville à tout jamais le 26 mars 1995. Atteint du VIH, il décèdera à l’âge de 31 ans au Cedars-Sinai Medical Center de Los Angeles, la cité des anges.

Vrai putain de gangster. pBK

À écouter E-40 Sprinkle Me (1995, Sick Wid It Records)

Vallejo

C’est quoi cette musique ? À 55 ans, le rappeur, acteur et entrepreneur E-40 a tout fait. Et tout réussi. Dans les années 90, il vendait sa musique au cul de la bagnole.

Aujourd’hui, il vend des bouteilles de spiritueux à son nom et claque de temps en temps encore des hits avec les nouvelles starlettes du rap. Un patron.

Mais c’est où, Vallejo ?

Municipalité du comté de Solano, en Californie, Vallejo (prononcez « Valleyo ») comptait 116.760 habitants au dernier recensement. Bon à savoir : V-Town a abrité jusqu’en 1996 un gigantesque centre de construction navale, le Mare Island Naval Shipyard, spécialisé dans les bateaux militaires.

Pourquoi c’est si bien ?

Sur Sprinkle Me, en collab’ avec sa sœur Suga-T, E-40 ne raconte pas grand-chose d’intéressant, mis à part sa passion pour le hustle, son label, sa famille et sa ville. Culte.

Dans les 90’s, au-delà de Compton et Los Angeles, d’autres territoires californiens jouaient leurs bonnes cartes. Coups de projecteur sur San Francisco, Vallejo et Sacramento.

california love

Sacramento À écouter Brotha Lynch Hung Welcome 2 Your Own Death (1995, Black Market Records) C’est quoi cette musique ?

L’oppression. À l’image de Meadowview, quartier sud de Sacramento d’où est originaire Brotha Lynch Hung. Là même où il a intégré, à 16 ans, le gang des Garden Blocc Crips.

Dans sa musique, « Lynch » parle de ses frustrations, de films d’horreur, de violences conjugales, de meurtre, de la rue.

Mais c’est où, Sacramento ?

Sacramento, capitale de l’état de Californie, est située dans les terres, au-delà de la bay area. Sac-Town, c’est aussi le musée historique californien de l’art de la fonderie et une scène rap qui avait fière allure dans les années 90.

San Francisco

À écouter : U.D.I. Laid Made (1995, Dogday Records)

C’est quoi cette musique ?

San Francisco, Frisco pour les intimes, est une place forte du rap aux États-Unis.

Chaque quartier a son icône et sa légende hip-hop. Tantôt militant, tantôt ensoleillé, tantôt vulgaire, le rap coule à flots dans chaque rue de The city by the bay, comme on la surnomme.

C’est où, San Francisco ?

Californie du nord, bay area. Frisco est le symbole du progressisme version US, une ville qui compte plusieurs grandes équipes sportives, comme les Warriors au basket et les 49ers au football. Sans oublier cette proximité avec la Silicon Valley et ses petits génies de la tech, pour le meilleur et pour le pire.

Pourquoi c’est si bien ?

Aux manettes de Laid Made, piste instrumentale qui vient conclure le premier album de U.D.I., on retrouve les producteurs Chill Black et Mr. Laid.

Cocktail sucré à portée de main, coucher de soleil au loin, les claviers sont chauds, l’été peut démarrer.

Pourquoi c’est si bien tout ça ?

Welcome 2 Your Own Death est bien cet hymne étendard de la scène de Sacramento, à l’opposé des sonorités plus sucrés et légères qui collaient à la peau du rap étiqueté West Coast. Sur un beat lourd et lent, une basse insoutenable, Lynch plante des couteaux avec sa voix grave. Aiguisés.

la belle Du hip-hop à la marge, première. Le label Warp pousse ses murs avec un album clef pour la décennie à venir.

2021, c’était tout de même une sacrée année et dresser un hall of fame du seum pourrait nous tenir éveillés quelques heures. Mais, dans les alignements de planètes musicales de cette fichue année, le cosmos aura quand même laissé de jolies ellipses. C’est la collision prodigieuse de Floating Points et de Pharoah Sanders. Musique électronique contre (mais vraiment tout contre) le free sax pour une masterpiece, Promises. On y reviendra plus tard. 2021, c’est aussi, quelques mois plus tard, la sortie interstellaire de Space 1.8, tout premier album d’une jeune harpiste belge de 22 ans installée à Londres, Nala Sinephro. La base de lancement est à Sheffield, c’est le très prestigieux label Warp. La maison est connue pour sa tête chercheuse impeccable et ses missions repérages sans faille depuis les années 90. Faites vos propres recherches dans la liste d’artistes signés sur le label, vous choperez des étoiles aux yeux.

Bref, 2021, Space 1.8. Appelons ça un hasard ou mieux une conjonction cosmique. Space 1.8 pousse encore un peu plus loin les innovations de Warp. Veine spiritual jazz, musique libre et marchant sans peur dans les pas de géants d’Alice et John Coltrane. On a aussi le meilleur de l’expérimentation féminine des années 70 (Dorothy Ashby, Delia Derbyshire, Suzanne Ciani) confronté au deep jazz revu par des drones absolus et magnifiques. Nala Sinephro s’off re un aller simple pour l’espace, le tout

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— À écouter : Space 1.8 de Nala Sinephro (WARP, 2021)

par stan sheraf webradio Le Mixanthrope.fr

sans appeler Elon Musk ni cramer des hectolitres de carburant. Pour ce space trip, la jeune harpiste développe un jeu en textures avant de les lover dans des nappes de synthés modulaires. On est jamais très loin de John Surman, souvent très proche de Brian Eno et Jon Hassell ou, plus en phase avec sa génération, la queen du modulaire, Kaitlyn Aurelia Smith. Mais Sinephro flotte sans doute encore ailleurs. Dans sa recherche intime de ce que le corps raconte, de ce qu’il peut avoir de connexions avec l’espace. Perché ? oui, un peu. Mais dans la queue de sa comète, Sinephro embarque des invités pour les 8 mouvements de son disque ultra-délicat. Les connexions made in London sont excellentes. Nubiya Garcia, saxophoniste british très en vue, et James Mollison d’Ezra Collective. Les voyages cosmiques n’ont pas de frontières, la musique de Nala Sinephro non plus. Les 8 tracks sont à écouter d’une traite, de préférence au petit matin ou après le grand soir, quand les choses retombent. Quand on est enfin en mesure de faire face à un futur excitant. pBK

& la bête par guillaume malvoisin photo melanie merlier / sons d’hiver

De passage au festival Sons d’hiver en 2018, le saxophoniste Steve Lehman diagnostiquait : « le hip-hop est comme n’importe quel autre genre musical. On y trouve de farouches personnalités, des individus davantage orientés vers le marché, et toute une gamme dans l’intervalle. » Et dans cet intervalle, un combo comme Dälek navigue à son aise. Dälek c’est, depuis 2015, Will Brooks et Mike Mare.

Dans les longs tunnels sonores creusés par Mike Mare, on entend le soulèvement de conscience. Will Brooks/McDälek scande en guetteur, en faiseur d’hymnes anti-patriotiques. Écoutez Beyond The Madness ou Straight Razors, une forme de Realpolitik appliquée au hip-hop. Mais attention pas la réalité qu’étirait sans rougir Téléphone à la fin d’Un autre monde. Nan, nan. Cette réalité-là sent le bitume, le sang des bavures policières et les viscères qui remuent face à l’urgence qu’il y a à vivre. Lourd.

Soit 20 ans d’explorations forcenées. Dälek prend le rap par la face urgente et puissante. Il a toujours fait ainsi. Depuis 98 et les débuts à Newark, New Jersey jusqu’à cette année, avec Precipice, nouvelle masterclass. Le manque de concession semble avoir été vendu avec l’ADN sonore du crew. Épais, saturé en graisse et pourtant minimal. Kolossal. Un brin misanthrope, politiquement vigilant, Dälek anime ses textes de carcasses noircies et d’urgences imparables. En bref, l’époque est dark, faisons du bruit pour l’agiter.

Du hip-hop à la marge, seconde.

Dälek passe le precipice pour partir en live.

En 1998, à Washington, Saint Clinton est pris dans les jupes de Monica Lewinsky. À Newark, Reggie Noble est déjà Redman depuis quelques temps. Au même endroit, Dälek (prononcer en phonétique approximative Daill-e-lec) sort Negro Necro Nekros. Le titre parle de lui-même.

Conscient, cultivé et dense en bouche. From Filthy Tongue of Gods and Griots, premier vrai disque de Dälek, sort chez Ipecac, label fondé Mike Patton.

C’est en 2002 sous l’ère Obama. Un track comme Black Smoke Rises et ses 12 min de spoken word hypnotique élèvera ses fumerolles angoissées au cœur de l’Amérique post 9/11.

D’angoisses en angoisses, Dälek aboutit logiquement, 7 ans plus tard, au projet Anguish.

L’angoisse est câlinée par le mix kraut-stoner-hop et le line-up du quetru a la tronche d’un supergroupe.

Dälek donc plus Hans-Joachim Irmler de la maison Faust, Andreas Werliin du Fire! Orchestra et Mats Gustafsson, sax baryton volcanique. En live, Anguish shoote toujours droit au but. Ça ponctue soigneusement chaque phrase, d’un majeur dressé avec bonhommie à l’intention d’un nouveau président. Donald Trump est rincé au doigt et à l’œil : « F&€%# the President! ». Can’t Stop Won’t Stop. L’assassinat de George Floyd, le scandale de Charlottesville et l’assaut du Capitole ont trouvé leur bande sonore. pBK

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— À voir : Dälek, Festival MV, 3 juin 2022 Un Singe en Hiver (Dijon, 21)

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Ici, ca part en livres.

Seuils impose d’emblée son évidence. Obturateur versus sax baryton, François Corneloup mène la même bataille, met en jeu le même regard. Avec une frontalité qui mêle léger décadrage, soin et modestie viscérale. Le tout réuni, donc, dans ce livre assemblé, belle idée, par Jazzdor en prolongement de sa toute nouvelle collection discographique, Jazzdor Series.

Corneloup note ce « désir vital d’arracher les âmes » qui peuplent le livre « à cette marge de nos vies communes où le sort voulait les jeter ». Catastrophe sanitaire, culturelle puis aujourd’hui sociétale. Il y aura eu cependant des instants sauvés. Comme ces images de musiciens et musiciennes amies que Corneloup dérobe aux marges des concerts et des répétitions, vissés à leur seule humanité. Car François sait ce que l’humanité veut dire, ou plus certainement comment la traduire : en musique mais aussi en instants amoureusement captés. Instant décisifs et instants fugitifs. Les textes de Jean Rochard, autre allumé de cette musique appelée jazz, le laissent entendre tout net. La vie s’ébroue dans ces images.

Seuils aurait pu aussi être titré Souffles. pBK

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— À lire : Seuils, François Corneloup avec des textes de Jean Rochard (avril 2022, Jazzdor Series) www.jazzdor.com

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aussi serieux que la vie Philippe Robert est un homme critique. Très critique, même. au point de collectionner 400 disques dans un livre sans borne. Sans borne mais plein de tout l’amopur du monde pour la musique. Rencontre avec un digger-passeur.

par guillaume malvoisin

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Pourquoi 400 disques ?

Ce choix résulte d’une longue réflexion entre l’éditeur et moi. On aurait pu en choisir 500, élargir le spectre sans perdre en pertinence, au contraire. Néanmoins, être exhaustif est un pari impossible à tenir, surtout en s’appuyant sur si peu d’enregistrements pour traiter quasiment l’entièreté du XXe siècle puis le début du XXIe jusqu’à aujourd’hui. Faire au mieux était l’objectif a minima : du coup, il s’agissait de ne pas mégoter [rires], voire, cela dit sans forfanterie, de mettre un point final à la surenchère entamée par d’autres discothèques dites idéales ou anti-idéales par leurs auteurs [sourires].

Ce serait quoi le PPDC de ces disques ?

Leur premier dénominateur commun est leur qualité créative. Il y en a d’autres, à chacun de les identifier [sourire].

Ce serait quoi le 401e, celui que tu as dû te résoudre à ne pas mettre ?

Ceux qui me connaissent savent qu’il y a tellement de disques que j’aurais aimer mettre dans ce livre qu’un numéro entier de ce magazine ne suffirait pas à les énumérer [sourire]. Cela étant, la dizaine de renvois de bas de page à chaque album commenté étoffe la sélection de 400 à 4.000 ! Sur Instagram, je me suis lancé dans un Top 10.000, histoire d’évacuer toute frustration. Mais si tu tiens à des noms, Catherine Christer Hennix, Yoshi Wada, Michael Ranta ou Muriel Grossmann auraient eu leur place au sommaire.

Comment as-tu choisi tes bornes temporelles ?

Cette sélection est un prétexte à raconter la singularité et la créativité d’un peu plus d’un siècle de musiques. Les courants abordés dans Musiques, traverses et horizons, le sont de préférence dans leur surgissement. Les bornes temporelles se sont imposées d’elles-mêmes, par leur importance historique indéniable. Par exemple, tu ne peux pas vraiment parler de punk-rock avant 1976, sauf à évoquer le côté proto-punk de certains groupes tels que les Stooges. Idem pour le hard rock avant la sortie du premier album de Led Zeppelin, incontestablement une pierre angulaire du genre, même si les prémices en sont antérieurs. À chaque décennie les préoccupations musicales paraissent différentes. Peut-on parler de rupture pour autant ?

Je ne crois pas : l’émergence d’un Richard Hell n’est pas contradictoire avec l’appréciation d’une Karen Dalton ou d’un Albert Ayler !

Pourquoi ici tout commence en 1902 ?

Le premier « disque » retenu est un coffret, une anthologie pour être exact, essentielle qui plus est, et d’ailleurs reconnue comme telle par l’ensemble

du métier. Neil Young raconte même avoir pleuré en la découvrant. Il se trouve qu’elle compile notamment des rouleaux d’anonymes ayant une valeur patrimoniale immense dans ce qui suivra, ce que je raconte sous forme de cartographie dans la préface. Et puis, pourquoi raconter une fois encore, sous forme de disques commentés, une histoire intégrant le rock et ses dérivés qui commencerait en 1954 avec l’émergence d’Elvis Presley ?

D’ailleurs, tu dis « disque » ou « album » ? Dans ce magazine, Didier Levallet m’explique la différence.

J’utilise les deux, et même parfois « support phonographique ». « Disque » est plus générique, englobant, fourre-tout. Jusqu’à une certaine époque, les disques de format 30 cm, dits Long Play ou LP, compilaient surtout des morceaux sortis en 45 tours… « Album » correspond à quelque chose de précis, désigne un acte créatif réfléchi et articulé en tant que tel, au minimum une réflexion sur le track-listing. Comme tu le sais, certains sont même qualifiés de conceptuel. À ce titre, Meddle de Pink Floyd est un cas d’école, avec en face B son unique morceau instrumental de plus de vingt minutes, tranchant avec les facilités, non préjudiciables, des « chansons » de la face A. Tiens d’ailleurs, le Perception de Levallet/ Kessler/Seffer n’est pas dans ta liste.

J’adore ce disque. Je l’ai acheté à sa sortie, puis usé jusqu’à la corde. Il figure dans le troisième volume de mes entretiens et chroniques de l’underground français, Agitation Frite. J’aurais pu le reprendre, je ne l’ai pas fait : aucune raison particulière à cela, un autre du même acabit figure à la place, pour sûr [sourire].

Tu répondrais quoi à ceux qui pensent que c’est un peu snobinard de dire qu’un disque est culte parce qu’il est passé inaperçu ou a été négligé à sa sortie ?

Question amusante. Il existe un Dictionnaire snob du rock, avec beaucoup des choses que j’évoque dans mon premier livre en solo, Rock, Pop, un itinéraire bis.

Quoi qu’il en soit, aucun des disques que j’évoque ne ressort d’une quelconque élite, d’une aristocratie de la critique ! N’oublions pas que ce n’est pas le manque de créativité qui fait qu’un disque est négligé, c’est plutôt son déficit médiatique, ce qui est une injustice qu’au contraire la critique est assez peu prompte à reconnaître ! Le premier album de Sir Lord Baltimore ou l’unique opus de Leaf Hound n’ont jamais obtenu la couverture de presse des débuts de Led Zeppelin. À tort ou à raison ? Labels, distributeurs, services de presse, désir de faire carrière ou pas, qualité des prestations scéniques et tournées promotionnelles aident à la notoriété

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— à lire : Musiques Traverses et horizons en 400 disques de Philippe Robert (octobre 2021, Le Mot et Le Reste)

d’un groupe et de ses productions. Certains ne souhaitent pas souscrire à ces obligations, d’autres n’en ont pas les moyens, ce qui ne veut aucunement dire qu’ils soient moins créatifs. Il n’y a rien de snob à croire qu’il n’existe pas de corrélation entre qualité créative et succès public. Bien évidemment, il arrive que les deux coïncident, mais ce n’est pas systématique, très loin de là.

Même si on imagine que ce travail a été minutieux, tu es d’accord pour qu’on le lise à l’envers, ton livre ?

Oui [rires], bien sûr ! Par contre, il a été écrit en stéréophonie [rires] : as-tu remarqué que chaque disque occupant une page de gauche dialogue avec celui de la page de droite ? Je suis sérieux… [rires]

Qu’est-ce que qui vient te chercher intimement dans tous ces disques ?

La promesse d’une expérience. J’envisage toutes formes d’art ainsi, plus que sous l’angle du divertissement. Comme disait Valerie Wilmer, la critique de jazz : « As serious as your life… » Parler de courants, selon toi, c’est une nécessité ?

Présentement me viennent à l’esprit les mots de Serge Daney, le critique de cinéma : « Les passeurs sont étranges : ils ont besoin de frontières à seule fin de les contester. » Ces 400 disques prennent-ils le monde à contrepied ?

Comme au football ? Histoire de marquer un but ?

Non, ils ouvrent les portes d’expériences reliées les unes aux autres, et offrent de les vivre en immersion dans un océan de sons.

Est-ce qu’on aurait pas trop vite oublié que toute musique porte une part de contestation ou d’inconfort ?

Toutes les musiques ne s’inscrivent pas dans la contestation, y compris le free jazz dont la composante spirituelle est essentielle. Aucune musique créative n’est inconfortable à l’oreille aguerrie, même celle dite noise (ou bruitiste), ne serait-ce que parce qu’elle offre la possibilité d’une immersion. Masami Akita, alias Merzbow, un des pionniers de ce courant, dit que ce qui est de la musique pour les uns est du bruit pour les autres et vice-versa. Les indomptables réfractaires que j’évoque dans mon livre, les perdants magnifiques aussi, ont tous su déjouer les normes standardisées de l’industrie du disque afin de préserver intacte leur créativité.

Comment tu gardes cette humilité après avoir sorti une telle somme ?

Même si j’ai travaillé une douzaine d’années dans la presse, je ne me considère pas comme un journaliste, un critique, ou même un auteur après autant de livres. Je suis un amateur de musiques passé à l’acte, dans les fanzines et la presse spécialisée autrefois, au travers des livres et de mon label depuis quelque temps déjà. J’ai choisi de rendre compte de mes découvertes en évoquant l’histoire des musiques populaires et d’avant-garde à partir de leurs enregistrements principalement, en les envisageant comme une source majeure de documentation et d’analyse. La rock critic, tout comme la mauvaise foi allant de pair avec, ne m’intéresse que très peu en dehors des qualités essentiellement littéraires qu’on prête à juste titre à quelques-uns tels que Lester Bangs, Richard Meltzer ou Yves Adrien. Inversement, l’humilité d’un Daniel Caux me touche au plus haut point, d’autant plus que son travail de mise en perspective n’aura jamais été qu’au service de la musique.

La musique, c’est une histoire de respect et de croisements de territoires, non ? On en envoie une trad russe à Vladimir ? À fond, oui. J’ajouterai que c’est même bien plus que ça. Tu te souviens de ce titre d’album d’Albert Ayler, Music Is The Healing Force of The Universe ?

Voilà la profession de foi qu’il faut envoyer à Poutine ! L’immense Jacques Thollot, avec sa lucidité crue, notait que malheureusement, beauté contre barbarie, le combat était inégal sinon perdu d’avance. On est toutefois en droit d’espérer prouver le contraire un jour. pBK

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l’homme de la manchette extrait

Rase,douche,peigne, desodorise, vetu, vers 14 heures, il se regardait dans la glace de l’entree.

Beau visage pale et ovale, les cheveux blonds, le nez et le menton energiques, mais les yeux bleu liquide, le regard un peu vague, un peu mou,un peu etonne et fuyant.

Le type a un nom de dalle autocollante pour le sol, un charisme approximatif et une Mercedes grise de cadre moyen. Gerfaut, c’est le héros jeté par Jean-Patrick Manchette dans Le Petit Bleu de la côte Ouest, roman aussi précis que décharné, écrit comme d’autres cuisent des jambons. À l’os. Georges Gerfaut, un malentendu cherche à lui coûter la vie. Mais le type se débat, taille la route, se pose à peine, puis repart déjà. Le Petit Bleu c’est surtout l’histoire d’une fuite. Un truc qui chante le réel en lui collant des ailes courtes et bancales. C’est, en gros, un blues

par guillaume malvoisin illustration melle caleuleu

Jean-Patrick Manchette est un écrivain de jazz et fait partie du panthéon personel de l’illustratrice Melle Caleuleu. En 1976, il publie un roman noir tout à fait bleu.

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écrit, Le Petit bleu. Car Gerfaut écoute du jazz.

Du jazz blanc, enfin bleu pâle. Mais californien, années 50 et 60. John Lewis, Lee Konitz, Shelly Manne et Shorty Rodgers, par exemple. Le truc qui est allé prendre le soleil et la fuite sur la West Coast des USA, en prenant son nom aussi.

Le West Coast, donc. C’est le truc idéal pour Gerfaut. Repérable, immédiat, cool et apaisant.

Un truc très beau où un Bob Brookmeyer peut jouer précieusement le vulgaire. Parfait pour le héros de Manchette, pris dans le bleu des jours et de sa vie quotidienne, se débattant sous les apparats de sa condition de cadre, de mari, de père, de gendre. Pas un aventurier, mais un type soumis de force à l’aventure que calme, presque uniquement, le Cutty Sark et le jazz de la Côte Ouest des USA. C’était mieux avant, dans cette imagerie auditive, entend-il quand Tal Farlow joue dans le lecteur cassette de sa Benz. Mais le regard « bleu liquide » de Gerfaut, impossible à saisir, se répand dans le roman, comme le bleu et le silver s’inviteront, sans cesse et plus tard, dans les films de Michael Mann. Pas un décor, mais un symptôme. Le signal d’un mystère insondable qui fait que ce que nous sommes vraiment nous échappe toujours un peu. pBK

Dans son carnet il a note qu’il aurait pu devenir un artiste ou plutot un homme d’action, un aventurier, un soudard, un conquistador, un revolutionnaire et d’autres personnes. Puis il a remis ses chaussures et il est descendu en ascenseur au parking en sous-sol. extrait

«j’aime pas le jazz » Jazz obligatoire ? Certains en rêvent. PointBreak préfère en découdre. On fait le point avec Christine Martin, adjointe à la culture de la Ville de Dijon. Provoc, mauvaise foi et Frank Zappa par guillaume malvoisin

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PBK - Christine, tu dis que tu n’aimes pas le jazz.

Tu sais, je suis d’une culture absolument rock et pour moi, le jazz c’est beaucoup trop de notes, mon cher Mozart. Mais quand je te dis, pour te provoquer, « je n’aime pas le jazz », ce n’est pas juste. En réfléchissant à notre entretien, je me disais qu’il y a quand même des myriades de choses qui s’apparentent au jazz et que j’aime bien. Ça va être un peu dur ce que je vais dire, mais il y a quelque chose dans le jazz que je trouve parfois trop intellectualisant et qui m’ennuie en fait.

PBK - Intellectualisant ou intellectualisé ?

Ah ! Bonne remarque, monsieur le journaliste.

Je n’ai peut-être pas rencontré ni entendu les bonnes personnes, mais j’ai quand même l’impression que les musiciens théorisent beaucoup sur la technique, leur pratique, les morceaux. J’ai toujours l’impression que dans le jazz, c’est ce qui me maintient à distance. Sans doute est-ce un peu caricatural, mais tant pis.

PBK - Tu savais qu’en 1962, dans Jazz Magazine, écrivait une Christine Martin ?

La vache ! C’est vrai ? C’est dingue ! J’avais 1 an. Ça ne pouvait pas être moi. Et elle était chroniqueuse de jazz ?

PBK - Non, elle était chroniqueuse de free jazz.

Oh, c’est pire encore… Bref, je reste quelqu’un de très ouvert… Je blague. Pas tellement. En fait, je me suis assagie avec le temps, je suis beaucoup moins radicale que je n’ai pu l’être… Il y a des ouvertures qui se sont faites à des moments donnés, quand tu parles de free jazz ou de jazz, j’ai aimé des musiques ou des groupes dans les années 80 qui flirtaient diablement avec ce genre-là.

PBK - Juste parce que le rock était cliniquement mort dans les années 80, non ?

Le rock n’est pas mort, le rock ne mourra jamais.

PBK - Une des premières fois où on s’est rencontrés, tu m’as dit « le jazz, moi je n’aime pas ça parce que le rock l’a tué ». Toujours du côté des vainqueurs ?

Je ne suis pas sûre que le rock soit vainqueur aujourd’hui, entre nous, cher ami. Je pense qu’il est contesté par des franges très commerciales de la musique. Ce n’est pas facile de se maintenir dans cette exigence rock… Mais on part sur une autre discussion. Le rock ne meurt pas, ce n’est pas possible, c’est une philosophie de l’existence.

Comme le punk dont je me sens très proche, en tous cas dans ses premières heures.

PBK - À l’époque des premiers boys band, comme les Sex Pistols ?

Tu es désagréable comme mec, c’est incroyable. Quand je te parlais d’esthétique musicale, qui avait peut-être quelque chose à voir avec l’esthétique jazz, je me suis passionnée à certains moments pour des gens comme James Chance et les Contortions.

PBK - Dont les réfs avouées sont Ornette Coleman et James Brown…

Mais oui, voilà ! Quand je dis que je n’aime pas le jazz, c’est parce que je suis méchante et provocatrice. Quand tu parles de James Brown, c’est juste un groove monstrueux, et j’adore ça.

Mais quand tu écoutes – et là on va aller très très en arrière – quand tu écoutes les premiers morceaux d’Elvis, par exemple, tu n’as rien. Une guitare, une caisse claire, une voix et tu as un groove absolument formidable. Après, tu as un habillage de tout ça avec James Brown, mais tu as aussi, un peu avant, tous les groupes de la Motown. Tous ces groupes de femmes, absolument extraordinaires.

Et ça aussi parce que les instruments utilisés sont souvent des cuivres, parce qu’il y a aussi ce que j’appelle ce groove, cet esprit-là. Bien sûr, il y a aussi à dire avec le jazz à cet endroit-là. Ma propre culture et mes propres intérêts musicaux vont aussi chercher dans ces histoireslà. Seulement, je me reconnaissais dans l’histoire punk parce que cette philosophie du Do It Yourself avant l’heure permettait de s’y mettre, de jouer sans savoir. Et le jazz, pour moi, c’était avant tout de la technique… je n’en avais pas, et ça ne m’intéressait pas.

PBK - C’est pas une légende, ça ?

C’est ce qu’on renvoie, ouais. De toutes façons, le batteur n’est jamais celui qui intéresse. Moi, j’avais de la chance, j’étais une fille et on était suffisamment rares dans les groupes pour qu’on vienne nous chercher. Ça m’est difficile de dire que je suis musicienne parce qu’au regard des « vrais » musiciens, je ne suis rien.

Je n’ai jamais fait de conservatoire, je n’y connais rien au solfège, je ne sais ni lire, ni écrire la musique, mais ça me va d’être la rythmique du groupe et de lui donner une coloration particulière.

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PBK - On parle de Norma Loy, les influences c’était quoi ?

Les influences de Norma venaient de partout. Contemporaine, classique, rock, soul, pop… On tenait autant des Doors que de Chrome. Prenez vos dictionnaires, vous allez découvrir qui est le groupe Chrome. Évidemment, nos influences étaient aussi celles de l’époque. On baignait dans les Stranglers, Manchester, dans Joy Division.

On lorgnait sur des expériences un peu extrêmes comme la musique pré-industrielle ou noisy, Throbbing Gristle, pour nous indépassables. On était à tous ces endroits.

Norma aimait aussi les Stones, les Early Stones, parce qu’on était hyper branchés et que les « early » c’était bien mieux [rires].

On s’amusait avec ça, avec nos propres tropismes.

PBK - J’ai l’impression que tu aimes dans le rock, le même truc qui fonde le jazz et le blues avant lui, le côté populaire.

Exactement, oui, populaire et immédiat.

Mais ça me fait rigoler quand je parle de musique populaire parce que si tu mets en parallèle ce que j’ai pu faire comme musique, je ne suis pas sûre que c’était ultra populaire, on ne peut pas dire ça. Il fallait être courageux pour se lever et danser sur Norma Loy. Mais, c’est marrant, on avait une espèce de naïveté rafraîchissante, mais brutale, sans calcul. C’est ce que j’ai aimé dans le mouvement punk. À un moment tu poses un coup d’arrêt sur les morceaux qui duraient, à l’époque, quinze heures et deux faces de concept albums que je trouvais, du haut de ma prime jeunesse, absolument ennuyeux. Là, tes morceaux durent trois minutes. Qu’est-ce que ça fait du bien. Les Ramones, 1 minute 50. 1, 2, 3, 4 et t’es déjà à la fin du morceau. Tu as l’énergie, tu as l’immédiateté. Bien sûr que ton morceau tu vas aussi l’étudier, le composer, mais c’est plus de l’ordre, justement, de l’ambiance que de la note qui va être la bonne note jouée au bon endroit. Tu comprends ? Tu crées des paysages avec ce que tu sais faire, ce que tu as sous la main. Je vais dire n’importe quoi, mais on nous dit qu’on sait qu’après un mi, il faut toujours mettre un do. Mais non, on ne le sait pas ! Tout ce qu’on sait, c’est que les choses se passent comme ça. C’est direct, immédiat, c’est de l’ordre de la pulsion.

J’étais batteuse pour cette pulsion, cette pulsation. Tout le monde en a eu plein la bouche à un moment donné, dans les années 90 et un peu plus tard, du do it yourself, c’est ce qu’on faisait dans les années 70/80 sans

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appeler ça comme ça. Tu avais envie de monter sur scène, de proposer des choses, d’offrir un univers et des paysages. Et tu y allais.

PBK - Point commun avec le jazz, la musique peut s’inventer in situ.

Je me souviens d’une exposition qui m’avait marquée en son temps, à Bruxelles. Ça s’appelait Je n’aime pas la musique. C’était formidable parce qu’elle englobait les musiques électro en partant des premiers rythmes. Elle allait chercher le blues, elle allait chercher le jazz aussi, et tu te dis : « mais on est tous liés par une grande filiation, même si on veut bien s’ignorer les uns et les autres ». On est liés dans ces histoires d’improvisation. Comment ça naît un morceau de rock ? Pas sur une partition. Je ne crois pas, mais dans une répèt’ où tu vas triturer tes instruments. Quelque chose va naître à ce moment-là d’un rythme, d’une sonorité, d’une voix et tu vas creuser l’affaire.

PBK - Autre point commun, c’est le rapport à l’attitude. Prends les Zazous ou le jungle jazz des années 30/40.

On avait une manière d’être au monde et on voulait la montrer. Je ne sais pas si c’était très réfléchi en fait.

PBK - Dans le jazz, ça s’est un peu gâché dans les années 80 avec les catogans et les gilets sans manche. Mais dans la New Wave, le look était ultra-travaillé, non ?

Il y a eu du calcul, mais les trop poseurs ne marchaient pas longtemps. Quand je découvre d’abord le rock, avec des copains qui reviennent d’Angleterre, avec des valises chargées de vinyles, je suis toute jeune, c’est incroyable. « Oh ! Formidable, ça, ça existe ?! » Après, la première fois que j’entends un morceau punk, dans mon bled, c’est à la radio avec Maneval qui avait une émission qui devait s’appeler Pogo.

La première fois que j’entends ça… Je deviens le morceau, je me reconnais entièrement. Moi la bizarre, moi l’étrange. Ça devait être un morceau des Pistols. Wow ! D’un seul coup, ce mouvement me dit : « tu as raison de ne pas être tout à fait comme les autres et tu peux l’exprimer. Tu as envie de gueuler ? Regarde, c’est ce qu’ils sont en train de faire. Tu as envie de taper ? Regarde, c’est exactement ça. » Et tu sais, c’est bizarre parce que, sans être allée dans un concert punk, à l’époque, la première énergie qui te vient pour t’exprimer sur ce truc-là, c’est ce fameux pogo que tout le monde va danser.

Tu ne sais pas danser ou tu n’as pas envie ou ce n’est pas toi. Là, t’as rien d’autre à faire que sauter en l’air. C’est immédiat, direct. Ça parle à tes pulsions. Ça résonne complètement avec

ton propre rythme intérieur. Et c’est ça que je cherchais moi, dans la musique et que je cherche toujours, les grandes émotions. Parce que je suis capable des deux extrêmes, écouter encore aujourd’hui avec grand plaisir, Cabaret Voltaire, puis de craquer complètement sur la voix de Billie Holiday. Ce n’est pas possible de chanter comme ça, de déverser une telle émotion. Tu as l’impression qu’il n’y a pas de calcul, mais une impression de liberté, de facilité…

PBK - Pourtant chez Billie Holiday, la manière de prononcer et d’appuyer certaines syllabes est très choisie, presque théâtrale.

Mais oui, sûrement, mais si tu n’as pas un maximum de sincérité dans ce que tu es en train

Quand Parker et cie inventent le be-bop pour dire aux blancs : « On n’est pas là pour sourire ou vous faire danser, on sait composer, on sait aussi écouter Stravinsky. » Ça, c’est quelque chose qui me touche, dans la démarche, dans l’affirmation, mais il y a l’après, et l’après est arrimé à tellement de savoir technique que moi, ça me met à distance. J’ai tout de suite envie de dire « ah non, le jazz, arrête… » ! de faire, il ne faut pas le faire. Tu me dis : « Billie Holiday, elle calcule », mais très certainement.

Les exégètes et les musicologues vont pouvoir décortiquer et je serai heureuse de converser avec eux à ce moment-là. Mais ce qui me touche, c’est l’immédiat, la sincérité. L’attitude, ce sont les sons dans lesquels tu baignes qui vont la développer. C’est tout ce que tu absorbes qui va te façonner. Forcément, au bout du bout, ça donne quelque chose qui est ce look ou cette attitude dont tu dis qu’ils sont calculés.

PBK - Non, je dis qu’ils sont pensés.

Si tu te contentes d’être quelqu’un qui aime la musique, tu écoutes ça et tu vas voir l’effet sur ton visage, ton sourire ou ton absence de sourire. Il faut bien se dire que ceux qui calculent ne durent pas très longtemps. Tu ne peux pas manier des codes si tu n’en es pas profondément pétri.

PBK - Derrière toi, il y a une reproduction de Basquiat. Tu sais que c’est le plus jazz des peintres ?

Ben oui, mais on est toujours plein de contradictions. Encore une fois, si je me détache de la musique, cette liberté de certains musiciens de jazz, c’est une liberté que je peux revendiquer en matière de création et de créativité. Le jazz me paraît juste trop pensé peutêtre…

PBK - Trop pensé pour être brutal ?

C’est une formule ça. Tu me parles de liberté en scène ou dans la composition, c’est peut-être là le complexe du rockeur par rapport au jazzeux, ce besoin ultra technique.

PBK - Quand tu dis trop de notes, tu penses au jazz-rock, non ?

Ah ouais ! Trop de notes, monseigneur, trop de notes. Super technicien, man, super, tu sais jouer ! Et alors ? Prends certains morceaux du Velvet avec Maureen Tucker à la batterie, c’est d’une grande indigence technique, mais ça, moi, ça me touche. Moi non plus, je ne savais presque pas jouer. Et alors ? C’était aussi cette question de faire sans passer par quinze ans d’école et mille ans de répèt’ dans ton garage avant d’oser sortir. Maureen Tucker, elle est assez mauvaise, disons-le. Mais elle est juste là où il faut. Certaines musiques m’ont fait peur par leur grande technicité. Je me souviens d’engueulades épiques dans la cour du lycée à propos de Magma.

Mais qu’est-ce que c’était chiant !

Christian Vander, c’était un batteur incroyablement technique mais qu’est-ce qu’il était chiant. Pareil, Zappa ! Ouais, je sais, ça te fait du mal, mais je m’en fous…

PBK - Ah non, là, on est enfin d’accord.

Des amis m’avaient emmenée voir Zappa en concert, ici au Palais des Sports de Dijon. J’étais ravie parce qu’il s’est pris tellement de cannettes, pas par moi bien entendu, qu’il a arrêté de jouer. « No more beer cans or no more music. » Il y a eu des beer cans… Pourquoi est-ce qu’on écoute de la musique ? Pour reconnaître un sol mineur d’un fa majeur ? Je ne sais pas, j’en suis incapable et je n’irais jamais écouter un opéra avec la partition sur les genoux. Je vois des gens le faire ! Ça me désole. On n’est pas là pour ça. pBK

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