UN JEU CRÉÉ TRIO
156
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UNT' MARGARIA & VINCENT BONNARD
Dans une rédaction comme celle de Plato, tout le monde ne peut pas jouer à tout. Avant de mettre un jeu en couverture, nous nous assurons généralement que plusieurs personnes de l’équipe pensent qu’il le mérite, en plus d’être porté par un(e) enthousiaste qui imagine tout un dossier autour. Ce n’est pas toujours facile, et dernièrement, les adaptations numériques rapides nous ont énormément aidé(e)s. Mais pratiquer en ligne, est-ce que cela ne donne pas une fausse idée du jeu ? Des éléments de manipulation qui permettent d’en suivre facilement le déroulement se perdent, d’autres sont cachés alors qu’ils représentent un temps mort important dans les sensations autour d’une table. Heureusement, c’est en ligne autant qu’en carton que Trio nous a convaincus, d’autant que l’approche du mois de juin donne envie de sortir des petits jeux de cartes sur la table d’un éventuel jardin.
PLATO
Chaussée de Hannut 30, 1370 Jodoigne, Belgique info@platomagazine.com
Tél. +32 468 45 97 44
ÉDITEUR RESPONSABLE
GL HF
DIRECTEUR DE PUBLICATION
Lucas Delhez
RÉDACTEURS EN CHEF
Vincent Bonnard & Unt' Margaria
RÉDACTEURS
Xavier Berry, Benjamin Bord, Claire Carvaillo, Rémy Chouffot , Bruno de Grimoüard, Simon Hoflack , Ka Hrim, Amélie Pouille & Olivier Sanguy CORRECTEURS
Sébastien Pereda & Axel Weil
ISSN 1782-0677
DÉPÔT LÉGAL Juin 2023
VISUELS
Couverture : © Cocktail Games. Photos des boîtes de jeu, de leur contenu, visuels tirés des jeux eux-mêmes : tous droits réservés.
REMERCIEMENTS
Nos remerciements vont à tous les éditeurs, distributeurs et autres acteurs du monde ludique nous ayant adressé des jeux à chroniquer et / ou ayant contribué, d’une manière ou d’une autre, à faire aboutir ce numéro de Plato
Aucun matériel non expressément sollicité ne sera renvoyé. Les auteurs des articles assument seuls la responsabilité de leurs propos. La reproduction et la diffusion, même partielle, et sur quelque support que ce soit, physique ou électronique, du présent magazine sans autorisation écrite de GL HF sprl sont strictement interdites.
Tutti frutti 2 Un peu de tout, mais ludique JEU Trio Cocktail Games 11 Cocktail Games 12 Rencontre Super Mega Lucky Box 14 Points de vue JEU Colorado Sylex 16 Déclinaison des 7 familles 18 Analyse mécanique Jeux de cartes à chiffres 19 Sélection collective JEU Woodcraft Delicious Games 23 Vladimír Suchý 24 Rencontre JEU Messina 1347 Delicious Games 26 JEU First Rat Pegasus Spiele 27 JEU La guilde des expéditions marchandes Origames 28 JEU Council of Shadows Alea 30 JEU Les tribus du vent La boîte de jeu 31 JEU Dog Park Lucky Duck Games 32 JEU After Us Catch Up Games 35 Les clins d'œil en images d'After Us 37 Zoom Florian Sirieix 38 Rencontre JEU La planche des pirates TFG 41 JEU Time Collectors Lubee 42 JEU Extinction Matagot 45 JEU Atiwa Lookout Games 46 Quelle est la nature de la tendance actuelle ? 48 Du côté du thème JEU Miller Zoo Randolph 51 JEU Earth Lucky Duck Games 52 Jeanne Danmanville 54 Rencontre JEU Fish & Cheat Gigamic 57 JEU Drones vs Goélands Chèvre Édition 57 Deux organismes de formation 58 Dossier ALF JEU Teen Titans Go Mayhem CMON 60 JEU D&D: Pierre Papier Magicien WK 60 Cartes à vertus stratégiques 62 À la carte
SOMMAIRE UN JEU CRÉÉ 156 1
UN DUEL EN PORTEFEUILLE
par Rémy Chouffot
MICRO GAMES DE MATAGOT
Matagot édite depuis plusieurs mois une nouvelle gamme nommée Micro Games partageant un même format : une vingtaine de cartes fichées dans un étui de portefeuille de couleur différente selon la configuration visée. Pour l’heure, c’est la couleur noire synonyme de jeu à 2 qui nous intéresse, avec deux thèmes historiques.
AVIGNON
En plein milieu du Grand Schisme du XIVe siècle, les deux joueurs concourent à obtenir les faveurs des nobles pour prétendre au titre de véritable Pape. Le plateau divisé en cinq lignes fait apparaître cinq cartes Personnage sur la position centrale. En alternant les tours, chaque joueur peut remplacer avec la pioche, déplacer ou utiliser le pouvoir de deux personnages pour les rallier à son camp en les déplaçant vers lui ou en les repoussant pour qu’ils atteignent le camp adverse. L’originalité du titre réside dans les conditions de victoire et de défaite mettant en scène certaines configurations de personnages, permettant de changer de stratégie en cours de partie. Avec un hasard relativement contrôlable au vu du matériel limité, ce jeu résolument abstrait divertit agréablement, mais manque de profondeur pour rester dans les mémoires.
LIBÉRATION
L’ASSOCIATION POUR LES RELIER TOUTES
Le GIJS
Des combattants de la Libération cherchent à renverser le gouvernement tyrannique de la Dynastie. Qui sera le plus rusé dans ce jeu du chat et de la souris ? Au centre de la table, quatre cartes
affichent le plan d’une galaxie modulaire, dont l’une des coordonnées cache la base des rebelles. En tant qu’empereur, l’objectif est d’attaquer cette base pour tuer la résistance dans l’œuf. A contrario, les membres de la Libération doivent tenir suffisamment longtemps, c’est-à-dire jusqu’à la troisième fois que la pioche se vide. Les cartes du paquet contiennent justement les différentes coordonnées qui donnent à la fois un indice sur la non-présence de la base, mais également des pouvoirs différents selon les camps. Par un savant système de coût, les deux joueurs doivent petit à petit révéler leur main pour réaliser des actions afin d’obtenir plus d’informations ou de ralentir l’avancée adverse. Entre déduction et bluff, la profondeur du titre est impressionnante au vu du peu de matériel utilisé. L’asymétrie offre des sensations uniques, et pousse à jouer l’autre camp. D’un degré de complexité plus élevé, ce titre ravira les joueurs aguerris qui apprécieront également l’extension déjà incluse pour encore plus de renouveau.
AVIGNON , un jeu de John du Bois, illustré par Fabrice Weiss & LIBÉRATION , un jeu de Jon Simantov, illustré par Sara Beauvais, édités par Matagot, pour 2 joueurs dès 8 ans.
Depuis quelque temps maintenant, la reconnaissance du jeu de société comme objet culturel et œuvre de l’esprit est devenue une question politique. Elle rencontre une autre problématique, celle du respect du droit d’auteur, aux contours encore trop fragiles et qui lie le droit moral de l’auteur à celui patrimonial exploité par l’éditeur. Pour défendre et faire reconnaître ces enjeux professionnels, différents acteurs et actrices du milieu de jeu de société se sont récemment organisés, l’un après l’autre, en associations professionnelles permettant à leurs corps de métiers respectifs d’agir et parler d’une seule voix. Le Groupement interprofessionnel du jeu de société (GIJS) fédère désormais ces différentes associations : La SAJ (Société des auteurs de jeux), l’UEJ (Union des éditeurs de jeux de société), la toute récente CIL (Charte des illustrateur·ices ludiques), le GBL (Groupement des boutiques ludiques), le RCL (Réseau des cafés ludiques), l’ALF (Association des ludothèques françaises) et La Ruche ludique (union des festivals). L’objectif annoncé lors du communiqué du GIJS publié le 28 avril dernier consiste à faciliter les échanges et les partages d’expériences entre leurs organisations afin de permettre une communication fluide et de favoriser l’émergence de partenariats entre ces différents acteurs et actrices.
Ce regroupement affiche l’intention d’œuvrer également sur des chantiers concrets : respect du droit d’auteur et d’autrice, cadrage des pratiques professionnelles, gestion du droit de prêt, mais aussi mise en norme administrative et reconnaissance institutionnelle auprès du ministère de la Culture, de l’Assemblée et du Sénat. VB
GAMME
NEWS 2
LA RICHESSE DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE
par Ka Hrim
UNE APPROCHE RESPECTUEUSE
L’éditeur anglais Osprey commence son activité en 1968 en publiant des cartes à jouer mettant en scène les illustrations d’avions militaires de Dick Ward. Rapidement, cela se transforme en livre, puis en collection, avant de devenir une ligne éditoriale. Après les wargames , un premier jeu de plateau apparaît en 2015 : Le Roi est mort . Un tournant pris très au sérieux.
RETOUR AUX SOURCES
Avec cette trajectoire, il n’est pas surprenant de découvrir qu’Osprey Games s’entoure de spécialistes afin de garantir l’authenticité et le réalisme de ses publications ludiques. Parfois, l’auteur est lui-même le mieux renseigné, comme dans la réédition de Escape From Colditz , le major Reid étant une des rares personnes à s’être échappée du fameux lieu de détention nazi. En ce qui concerne la série Inflexible , David Thompson, un des co-auteurs, s’appuie sur de nombreuses recherches historiques faites pour plusieurs de ses titres. Néanmoins, pour l’écriture de la campagne Stalingrad, l’éditeur a confié la rédaction des textes à un romancier confirmé, Robbie MacNiven, afin de renforcer l’aspect littéraire de l’opus. On retrouve toujours le même sérieux autour des jeux de Fabio Lopiano, lui-même passionné d’histoire. Si pour Merv, l’auteur avait déjà fait un gros travail de recherche, dans son prochain titre à paraître, Sankoré, il n’aura pas fallu moins de deux conseillers culturels pour assurer la cohérence d’un titre qui prend place à Tombouctou, au XIVe siècle. D’une part, les deux co-auteurs ont fait appel à Mauro Nobili, spécialiste des manuscrits maliens, d’autre part, l’éditeur s’est adjoint les services de Zain Alam, afin de traiter avec respect et authenticité l’histoire du continent africain. Ce qui est pratiquement devenu une systématique chez Osprey se remarque encore avec Crescent Moon . Le recours à un consultant a, entre autres, permis de relever plusieurs maladresses. L’auteur raconte qu’il avait, dans son prototype, utilisé la confession de foi musulmane comme
symbole du sultan, parce qu’il trouvait la calligraphie esthétique ; un choix culturellement inapproprié. Mais ce qui fait la spécificité de ce titre, c’est aussi le choix de l’illustrateur Navid Rahman, sélectionné en fonction de son travail respectueux des codes picturaux arabo-persans.
DES INTERACTIONS BIENVEILLANTES
Outre un illustrateur totalement inconnu dans le milieu ludique, Crescent Moon est aussi l’occasion de découvrir le premier titre d’un joueur de wargames qui a mis six ans pour proposer ce qui représente, à ses yeux, la quintessence des jeux d’affrontement. Cela commence par un défi éditorial, puisque cet opus est conçu pour quatre ou cinq joueurs exclusivement. De plus, s’inscrivant dans la gamme des jeux de plateau d’Osprey Games, la durée d’une partie a dû être réduite à 150 minutes, au lieu des cinq heures initialement prévues. Ce qui a pu se faire grâce à une mise en place initiale proposant divers scénarios. Mais les autres ingrédients retenus sont tout aussi intéressants. Steve Mathers a matérialisé ce qu’il entend par véritable asymétrie. La règle de base est commune à tous, avec quelques pouvoirs spécifiques propres à chacune des cinq factions, mais ces dernières possèdent des objectifs qui se distinguent clairement. Ainsi, le chef de guerre doit gagner des combats, le calife contrôler des territoires, le murshid (guide spirituel) obtenir de l’influence, le sultan construire des villes et le nomade s’enrichir. Cette palette d’objectifs rend non seulement possible la cohabitation, mais permet surtout de négocier des alliances dans une optique de bénéfices mutuels, qui ne se conclut pas nécessairement, comme dans un jeu de diplomatie habituel, par des trahisons ou des mensonges.
UN SYSTÈME BASÉ SUR LES ÉCHANGES
Notons aussi une résolution des conflits qui s’affranchit du hasard des dés et dont les modificateurs s’acquièrent grâce à des cartes proposées dans une rivière. Cela permet d’anticiper les manœuvres d’un adversaire, tout en maintenant une certaine incertitude quant à l’issue d’un combat. Ce qui est d’autant plus agréable que les agressions militaires sont plutôt rares et cruciales. Les cartes permettent aussi un judicieux équilibrage. Le paquet se divise en quatre domaines, alignés sur quatre des cinq factions. L’espionnage, la corruption et
IMPORT
Plato magazine n°156 juin 2023 4
Des visuels qui évoquent les miniatures perses.
les assassins sont liés au murshid, la cavalerie et les soldats d’élite au calife, quelques troupes spécialisées au chef de guerre et un meilleur contrôle sur les mercenaires au nomade. Un joueur qui achète des cartes correspondant à son personnage les paye à moitié prix ; en revanche, s’il achète des cartes liées à un adversaire, c’est à ce dernier qu’il en verse le coût. Dans ce système qui encourage, lui aussi, le bénéfice mutuel, le sultan possède son propre marché, où il peut écouler, pour son propre compte, toutes les cartes qu’il propose.
DANS LES SABLES DU DÉSERT
Pour terminer, le plateau modulaire promet une rejouabilité infinie, mais ce n’est pas cet aspect qu’a privilégié l’auteur. D’ailleurs, avant d’adopter la variante d’origine qui invite les participants à construire euxmêmes le plateau, il faut bien en maîtriser les enjeux. L’idée a été de s’éloigner des wargames traditionnels dans lesquels la composition du terrain influence les déplacements et les combats. La difficulté de défendre un bâtiment construit ou un lieu important impose, ici, des alliances, certaines plus naturelles que d’autres, qui reposent sur l’intrication des pouvoirs de chaque faction. Là encore, on se retrouve avec ce désir de bénéfice mutuel très agréable à vivre dans un jeu d’affrontement somptueux, qui privilégie tactique et stratégie.
CRESCENT MOON , un jeu de Steve Mathers, illustré par Navid Rahman, édité par Osprey Games (2022) pour 4 ou 5 joueurs dès 14 ans.
PAPIER/CARTON
Magic – Le
guide visuel
En même temps que le troisième tome de l’encyclopédie autour de Dungeons & Dragons , est paru un ouvrage remarquable destiné aux amateurs du jeu de Richard Garfield, Magic: The Gathering . Il s’agit du troisième titre de la collection : ce partenariat avec Wizards of the Coast (WotC) aboutit à des ouvrages particulièrement bien documentés et à propos. Ce guide visuel de Jay Anneli, consultant de WotC, met en avant les univers. Après avoir confié à d’autres éditeurs les comics et les romans liés indirectement aux extensions parues, l’éditeur américain a décidé, en 1996, de développer lui-même l’histoire à travers des arcs narratifs. Si le résultat est satisfaisant, l’éditeur peine à créer un véritable lien dans le récit proposé. Les planewalkers y sont mis en avant bien plus que dans les cartes. En 2006, à travers le bloc Spirale temporelle , voici le projecteur sur les êtres divins. WotC relance alors la construction de cette histoire pour lier ces personnages et en faire de fortes identités reconnaissables.
Cet ouvrage se présente comme une véritable encyclopédie visuelle. Il propose d’explorer les différents mondes du multivers et de découvrir leurs créatures et personnages mythiques. L’histoire y est retracée de manière détaillée.
Son format permet de profiter pleinement des magnifiques illustrations sélectionnées. Il sera apprécié par tout fan du jeu de cartes, qu’il tape le carton depuis plus de trente ans ou quelques semaines. VB
MAGIC – LE GUIDE VISUEL , un livre de Jay Anneli sous le direction éditoriale de Cefn Ridout et la direction artistique de Clive Savage, publié par Larousse (2022).
PRENEZ-EN DE LA GRAINE !
Go Nuts!
Gland ou noisette ? Telle est la question. Atalia, qui assure la localisation et distribution du titre initialement publié par Game Factory, semble avoir hésité. Que les puristes se rassurent, « nuts » se comprend par fruits à coques. À vrai dire, Scrat, dans L’Âge de glace , n’en avait que faire ! Pas facile de réussir à inscrire le nom des trois co-auteurs sur cette toute petite boîte métallique qui vient ainsi compléter la gamme des excellents Punto et Gold . Le titre original publié en 2008 s’était fait remarquer à sa sortie en étant nommé aux Golden Geek Awards catégorie Enfant. Il a été récemment réédité dans ce format qui se vend au comptoir des boutiques. Contrairement aux deux autres opus de cette gamme, pas de cartes : Go Nuts! se joue avec neuf dés originaux. Chaque joueur reçoit un dé Chien en début de partie. Pour gagner à ce jeu de « stop ou encore », il faut être le premier à atteindre un score de 30. Une face noisette et c’est un point ! Les oiseaux casse-noix sont mis de côté. On relance autant de fois qu’on le souhaite. Mais attention, si l’ensemble des dés restants affiche une face Écureuil alors Go Nuts! : on oublie les points gagnés sur la manche et une nouvelle phase frénétique débute. Le joueur actif lance et relance les dés encore en sa possession et marque toujours un point par noisette, jusqu’à ce que tous ses adversaires obtiennent une face Chien, ce qui arrête la phase. Simple, amusant et facilement transportable, Go Nuts! a toutes les qualités requises pour s’installer confortablement au fond d’une poche pendant tout l’été. VB
GO NUTS! , un jeu de Garrett J. Donner, Brian S. Spence et Michael S. Steer, illustré par Michelle Albano et Sam Ward, édité par Game Factory (2023), pour 2 à dès 8 ans.
GAMME OU DÉCLINAISON Plato magazine n°156 5
BOUQUINERIE
IN MEMORIAM
KLAUS TEUBER DANS NOS SOUVENIRS
En avril, le monde du jeu a appris la disparition de Klaus Teuber. Avant le boom des années 2000, Catan (anciennement appelé Les Colons de Catane) a été pour beaucoup une première porte d’entrée dans le monde du jeu de société. Mais l’héritage de l’auteur iconique ne s’arrête pas là.
SIMON HOFLACK
L’aventure avec le jeu de société moderne a débuté pour moi avec Les Colons de Catane . C’était à l’été 1998, dans un camping, avec un groupe de sympathiques Allemandes. Ne parlant pas leur langue, quelques mots d’anglais suffirent pour comprendre les enjeux. Une passion venait de naître.
VINCENT BONNARD
Ce qui m’a le plus marqué de mes premières parties de Catan , c’est la place laissée à la négociation. Ce choix de mettre ainsi en avant un principe d’échange de ressources témoigne de la volonté de créer du lien entre les joueurs. C’est pourtant, avec la place du hasard, ce qui a pu le rendre parfois clivant, au fil des années. Mais quel jeu !
UNT' MARGARIA
Plus intimement lié à mon parcours que la grosse boîte, Les Colons de Catane deux joueurs , devenu plus tard Les Princes de Catane , m’évoque des cartes étalées sur la moquette de mon premier appartement. Bien avant les temps modernes où les grands succès ont tous leurs déclinaisons, Klaus Teuber avait compris comment extraire l’âme d’un jeu pour en faire autre chose.
XAVIER BERRY
J’ai finalement peu joué à Catan , mais pas mal à Elasund que j’avais vraiment bien aimé. Il se déroule dans le même univers, la première ville créée par les colons et, malgré la présence de dés, le hasard est moins prégnant et il offre une plus grande interaction. Cela m’a donné envie de le ressortir, pour voir ce que cela donne 18 ans après.
LUDOSCOPE
Plato magazine n°156 juin 2023 6
KA HRIM
Capitalisant sur le renom de son auteur, Nouveaux Mondes , remanié après l’échec d’une première édition, débarque en France en 2001 avec une proposition de tutoriel jamais vue à l’époque et rarement égalée depuis. Une façon originale d’aborder les règles qui n’a, hélas, pas su s’imposer sur le moment.
BRUNO DE GRIMOUARD
Certains sont Beatles, d’autres Rolling Stones. Aussi suis-je passé à côté de Catan , car je suis plus Carcassonne . Cela n’enlève en rien le rôle pilier de l’œuvre de Klaus Teuber, dont l’amateur que je suis apprécie pleinement l’héritage, cela rappelle juste l’aspect subjectif des jeux de société.
SURMULOTTUS
Rattus Big Box
En l’an de grâce 2010, un petit jeu de majorité et de placement nommé Rattus se répandait partout en Europe, profitant d’une époque favorable à l’essor des partenariats de localisation. L’éditeur original basé aux Pays-Bas, White Goblin Games, connaît un joli succès grâce à ce titre accessible et très interactif, signé par Åse et Henrik Berg, déjà remarqués avec Oregon paru chez Hans im Glück. Extensions et goodies s’enchaînent à un rythme important, jusqu’en 2017 avec la dernière, nommée Academicus . Certains deviennent rapidement introuvables.
L’éditeur, qui désire remettre le titre en avant, compile tous ces éléments dans une Big Box parue en début d’année. Ce format à la mode joue la carte de l’exhaustivité en intégrant, en plus des extensions, du matériel inédit, des modules et des cartes bonus. Les traits originaux des personnages dessinés par Alexandre Roche sont remplacés par ceux de Denis Martynets dans un style plus « cartoon ». Autant de bonnes raisons de découvrir ce Rattus , toujours aussi amusant. Il s’agit de développer sa population et la maintenir en vie dans les différentes régions d’Europe et d’Afrique du Nord, alors que la peste, véhiculée par les migrations de rats, se répand. Pour ce faire, les joueurs peuvent choisir de bénéficier de l’aide des différentes professions du Moyen-Âge. Mais plus ces illustres sont sollicités, plus la peste fait de ravages. Et ce sont les joueurs eux-mêmes qui, dans un élan taquin, décident d’où elle frappera ; le hasard, à travers des jetons sur lesquels il est possible d’agir, se charge du reste. VB
RATTUS BIG BOX , un jeu de Åse et Henrik Berg, illustré par Denis Martynets, édité par Matagot (2023), pour 3 à 6 joueurs dès 10 ans.
SOIRÉES JEUX Boardgamo & le Grenier Ludique
Le Grenier Ludique (Plato n° 126) a lancé une V2 en début d’année. Parmi les nouveautés, on trouve la possibilité d’annoncer des soirées jeux, et d’offrir aux joueurs et joueuses proches de les rejoindre. Si la création est réservée aux utilisateurs payants (le reste de l’application est gratuite, mais une commission sur la location est prélevée), n’importe qui peut rejoindre. À date (fin avril), on trouve encore peu d’événements, mais le mode carte qui a été largement amélioré permet aussi de repérer les partenaires potentiels près de chez soi. Par ailleurs, l’application offre toujours de mettre en ligne sa ludothèque afin de proposer des boîtes à la vente ou à la location. Avec 45 000 personnes enregistrées et des commentaires qui saluent la correction des bugs, l’application pourrait devenir un lieu de rencontre intéressant. Dans le même ordre d’idée, Boardgamo est un récent site web proposant de constituer une carte ludique assez complète : boutiques, cafés jeux, associations, maisons d’éditions ainsi que joueurs et joueuses sont invités à s’enregistrer. Le site permet également l’organisation de parties, ou la communication sur les festivals locaux, et la prise de contact pour des rencontres. Encore peu peuplé, il est adossé à un blog débutant qui proposera des interviews des acteurs du milieu. UM
RÉÉDITION NEWS 7 Plato magazine n°156
PAR ICI L’ENTRÉE
par Unt' Margaria
BREAK IN
La gamme Break In se réclame des escape games , avec un petit twist amusant : il s’agit ici de réussir à force d’énigmes à rentrer au cœur de la boîte.
STRUCTUREL
De fait, cet étrange polyèdre est une mine de surprises qui s’ouvre en plusieurs étapes. Mais il ne s’agit pas d’un casse-tête où comprendre comment les morceaux s’agencent pour les déplacer. Les énigmes sont guidées par des cartes, à apercevoir dans le paysage ou révélées sur commande. Elles demandent de trouver un symbole, qui correspond à une languette de carton, un chiffre qui indique dans quel interstice de la structure l’enfoncer, et une couleur pour savoir jusqu’où : la prochaine carte à récupérer apparaît alors dans une petite fenêtre. En cas de besoin d’indice, ceux-ci sont à découvrir au fur à mesure à l’aide d’un filtre rouge. Tous ces éléments concourent à un effet « jouet » parfaitement jouissif. Deux détails sont appréciables : faire une erreur en insérant une languette fait apparaître le symbole menant aux indices, et les cartes qu’on récupère après avoir résolu une énigme en réexpliquent la logique.
HISTORIQUE
Tour Eiffel est une virée autour de Paris en 1908, avec les stéréotypes romantiques associés : un passage dans l’univers de la mode, une discussion sur le cubisme… Si le matériel déployé est particulièrement
impressionnant, il se révèle un peu fragile. C’est globalement le cas de la gamme, qui ne détruit certes pas son matériel et peut être réutilisée une fois ou deux, mais n’est pas non plus conçue pour que de nouvelles équipes la recommencent à l’infini. Par ailleurs, l’expérience contient peu d’énigmes au sens strict et plus souvent des manipulations ou observations fortement guidées.
Chichén Itzá , qui commence au-dessus de la ville maya, contient plus de réflexion, mais moins de surprises matérielles. Attention à bien lire la règle, même lorsque l’on a déjà joué à Tour Eiffel , car elle contient des éléments pour le démarrage rangés à un endroit surprenant.
Dans les deux cas, le cadre historique permet des découvertes culturelles, mais au prix de longs pavés de texte.
Play Monster, l’éditeur d’origine, produit de nombreux jouets, et cet aspect se ressent fortement. Passée la surprise de la découverte, il ne restera cependant pas assez aux experts à se mettre sous la dent pour justifier d’enchaîner une deuxième boîte. Reste que les deux portent une difficulté deux étoiles, et qu’Area 51, disponible en VO, en a trois.
BREAK IN TOUR EIFFEL & CHICHÉN
ITZÁ , deux jeux de David Yakos, Nicholas Cravotta et Rebecca Bleau, illustrés par Steve Downer, édités par Iello (2022), pour 1 à 4 joueurs dès 12 ans.
COMMENT ÇA MARCHE ???
COMMENT TRAITONS-NOUS LES JEUX ?
En complément de la chronique et du pavé informatif, dont les informations en termes de durée de jeu et âge minimal sont calquées sur celles données par l'édition, le rédacteur attribue une note figurée par un meeple, plus subjective :
➜ valeur sûre/coup de cœur du chroniqueur ; ➜ bon jeu auquel on a envie de jouer fréquemment ; ➜ jeu agréable auquel on se plaît à jouer de temps à autre ; ➜ jeu moyen, qui ne donne pas forcément envie de rejouer ; ➜ jeu peu intéressant/déception du chroniqueur.
Pour finir, d'autres membres de la rédaction donnent un avis complémentaire.
GOODIES
PACTE AVEC LE DIABLE
Pour des pactes encore plus juteux, Iello s’associe à Plato pour vous offrir deux cartes supplémentaires pour Pacte avec le diable . Le Bureaucrate est un inquisiteur qui permet de marquer des points en fonction de la piste de corruption, tandis que la Foire du jeu est un événement supplémentaire à dimension ludique.
GAMME
Plato magazine n°156
8
TRIO RÉUSSITE AVEC TROIS FOIS RIEN & DES SETS DE SEPT
SOMMAIRE
Trio 11
Rencontre avec Mike Hezard 12
Super Mega
Lucky Box 14
Colorado 16
Déclinaison des 7 familles 18
Dans la poche, ou presque 19
Après le Bingo, Cocktail Games s’attaque aux 7 Familles ! Au-delà de la pique taquine, il est intéressant que cette mécanique d’« appeler » une carte dans la main d’un adversaire sorte en 2023 dans deux jeux différents ; d’où les liens tirés ici entre Trio et Colorado, qui choisissent de l’ajouter l’un à une mécanique de mémoire, l’autre à un jeu à cocher.
10
TRIO
SI T’AS RIEN PRÉVU
POUR DEMAIN…
par Vincent Bonnard & Unt’ Margaria
EN UN MOT…
Trio souffle un vent de fraîcheur et convainc dans un genre pourtant boudé par nombre d’adultes.
Cocktail Games localise sans dupliquer, ce qui est devenu rare, mais permet notamment que Trio soit fabriqué en France. Le jeu Nana de Kaya Miyano a changé de titre, mais aussi d’aspect : il déploie une esthétique aux allures de fête des Morts mexicaine.
PAS PAREIL
L’objectif est de révéler trois cartes identiques, c’està-dire de même valeur, pour en faire un trio que l’on pose devant soi. Pour ce faire, on peut retourner une des cartes sur la table, ou en « appeler » une dans sa main ou celle d’un adversaire ; dans ce cas, c’est uniquement la plus petite ou la plus grande qui peut être révélée. Dès que l’on révèle une carte différente de la précédente, le tour s’arrête. La composante de mémoire est donc importante pour identifier les places des trois éléments du trio. Pour remporter la partie, il faut en constituer trois ou, si l’on joue avec la variante expert, deux qui sont « liés » (trio de 12 et de 4, par exemple), ou encore le trio de 7, plus difficilement accessible, car central dans les mains.
RÉCRÉACTION
AUTEUR
Kaya Miyano
ILLUSTRATRICE
Laura Michaud
ÉDITEUR 2023
Cocktail Games
GENRE
Mémoire
PUBLIC
Tout public dès 7 ans
DURÉE MOYENNE
15 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 3 à 6
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
France
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Non
Trio semble emblématique de ce que souhaite faire Cocktail Games : facile à prendre en main, malin et dynamique, il est accessible à toutes et à tous. La place importante de la mémoire, rare dans un jeu non explicitement destiné aux enfants, crée des parties plutôt calmes et concentrées, même si on prend parfois plaisir à pousser les adversaires à la faute ou à se moquer gentiment de leurs erreurs. L’erreur la plus souvent commise consiste à oublier la présence gênante d’une de ses cartes extrêmes en main, ce qui nous empêche de dévoiler une carte médiane de sa main alors qu’on sait où se cachent
les deux autres. Le hasard de la distribution initiale peut parfois rendre les débuts de partie extrêmement simples et un peu déséquilibrés, lorsque l’on possède deux cartes identiques à l’extrémité d’une main et qu’il n’y en a plus qu’une à trouver. Par ailleurs, être situé dans l’ordre du tour juste après une personne qui dévoile deux éléments d’un trio sans retrouver le troisième facilite grandement la vie. Ce type de situation peut s’expliquer par une erreur de mémorisation, mais pas seulement. Lier déduction et prise de risque peut être payant ou clairement avantager le joueur suivant.
Ces détails irritants se dissolvent facilement dans la courte durée de la partie. Par ailleurs, ils sont surtout présents à trois ou quatre joueurs. À cinq ou six, on compte moins sur le fait d’avoir une deuxième chance avec la série qu’on vient d’échouer à constituer et on se concentre sur la suite. C’est également dans cette configuration que le mode expert prend tout son sens, car les trios faciles à constituer, ceux qui sont aux extrémités des mains en début de partie, se répartissent entre plus de joueurs et ne suffisent pas à la victoire. Il devient alors possible de souffler la réussite au nez des adversaires en cherchant spécifiquement à réaliser des trios liés, ou avec les fameux sept. À la mémoire s’ajoute alors la nécessité du sens tactique. Il faut à la fois réussir à rassembler les informations pour préparer la réussite du second trio nécessaire, en étant parfois patient. Il s’avère tout aussi efficace de repérer ceux convoités par ses adversaires pour les leur souffler. Quel que soit le résultat de la partie, on y retourne avec plaisir pour prendre sa revanche. L’intensité de la concentration liée au principe de mémorisation procure néanmoins une sensation d’épuisement après deux ou trois parties. On doute d’ailleurs sur les cartes disposées au centre dès la deuxième par confusion entre les différentes parties.
La variante expert donne du corps à cette mécanique efficace. Trio souffle un petit vent (debout ?) de fraîcheur dans les titres de ce début d’année. Il réussit à convaincre dans un genre pourtant boudé par nombre d’adultes.
PLATO MAGAZINE N°156 JUIN 2023 11
MIKE HEZARD, RUE DU HAZARD
RENCONTRE AVEC COCKTAIL GAMES
Propos recueillis par Unt’ Margaria
Mike Hezard a un parcours assez emblématique de ceux qui existaient il y a quelques années dans le milieu ludique. D’abord avec les Brunchs du Clubbe, puis une des têtes d’organisation de Paris est ludique (dont il résume prosaïquement la création par « On avait envie de faire quelque chose en extérieur »), il a rejoint en 2015 l’éditeur Cocktail Games.
PLATO Comment es-tu arrivé chez Cocktail Games ? MIKE HEZARD Avec Paris est ludique, nous voulions faire un jeu à l’occasion du festival, mais c’est un métier, et le temps manquait. Nous connaissions très bien Matthieu d’Epenoux, un des premiers éditeurs à avoir dit oui pour participer à PEL. Lui considérait comme plus intéressant de faire un jeu estampillé Cocktail Games, co-édité par le festival, et qu’on participe au développement. Le premier, c’était Give Me Five , un jeu pour lequel il fallait développer du contenu, des thèmes. J’ai fait des propositions, mais aussi des tests dans des bars à jeux. C’étaient mes premiers pas dans le développement ! Après avoir collaboré pour trois festivals d’affilée, ça s’est arrêté, car je suis passé côté éditeur. Je ne voulais pas éditer des jeux sur mon temps libre en plus ! Et puis, la double casquette créait un conflit d’intérêts.
RENCONTRE
À l’époque, Matthieu voulait agrandir l’équipe. Le monde ludique changeait : la société avait de plus en plus de besoins en communication, mais aussi de nouvelles ambitions. Cocktail Games a toujours fait des petits jeux de poche, qui nécessitaient généralement peu de développement. Il y avait, je pense, une volonté de travailler les jeux et de ne pas forcément les éditer tels que présentés par les auteurs. Je travaillais dans l’informatique, et nous avions déjà discuté de mon envie de changer de métier ; il avait gardé ça dans un coin de sa tête.
PLATO Comment fonctionnez-vous ?
MH Matthieu est le big boss. Sarah est principalement à la communication, community manager, comme on dit maintenant ! Miguel va basculer de plus en plus sur le développement, remplacé à l’export par Julia. Laura est graphiste, pour les jeux ou pour la communication, et illustratrice sur plusieurs de nos dernières sorties. Florence est l’animatrice qui nous représente sur le terrain et fait aussi des tests de prototypes avec le public. Moi, je suis chef de projet, donc j’essaie de coordonner un peu tout ça, et je m’occupe aussi de sujets comme la gestion de la production, les devis et les plannings, l’ajustement des quantités à produire en fonction de nos ambitions pour le jeu et des retours que nous fait notre distributeur, Asmodee.
PLATO Quelles sont les relations avec Asmodee ?
MH Ils sont toujours de bon conseil, mais ils n’interviennent pas dans le process ; Cocktail Games n’est pas un studio. Historiquement, ils sont à Guyancourt, et nous à Versailles, nous avons de bonnes relations entre voisins ! En cas de doutes sur un prototype, on peut leur demander leur opinion, mais c’est purement consultatif. C’est un avis parmi d’autres : nous nous adressons aussi aux boutiques, à des joueurs, dont des personnes moins connaisseuses. Asmodee peut aussi nous proposer de participer à certains grands événements, ou à des partenariats, avec des fast-foods par exemple.
PLATO Est-ce qu’il y a eu des changements de ligne éditoriale ?
MH Le cœur de la ligne éditoriale, c’est-à-dire un jeu pour se divertir, avec des règles courtes, mais malin et qui apporte quelque chose de nouveau,
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Mine de rien, Top Ten représente entre deux et trois ans de développement.
n’a pas bougé. Notre obsession, c’est de faire des jeux pour tout le monde, du petit neveu aux grands-parents. Par contre, nous essayons de faire moins, mais mieux. C’est un discours facile, mais la réalisation ne l’est pas ! Comme tout le monde, même si ce n’est pas une science exacte, on espère que nos sorties vont s’installer dans la durée. C’est difficile à anticiper, mais ça part d’une sélection plus drastique : maintenant on refuse de bons prototypes ! Nous visons à sélectionner les meilleurs des bons ; on n’est pas toujours d’accord, avec des envies et des arguments différents. Mais avec Top Ten ou Happy City, les objectifs sont globalement atteints.
PLATO Quelles sont les sources des prototypes ?
MH Nous en recevons beaucoup par mail, mais ce ne sont pas ceux-là qu’on édite le plus souvent. Nous lisons pourtant toutes les règles. Cela élimine directement ceux qui ne correspondent pas à la ligne éditoriale ou, plus souvent, qui ressemblent trop à de l’existant. Après ce premier filtre, nous testons avec l’équipe pour voir s’il y a un petit plus qui se dégage. Si oui, nous faisons jouer des personnes extérieures et commençons à discuter avec l’auteur d’éventuelles modifications. Ça prend du temps, et aboutit rarement à un oui. Nous éditons actuellement entre deux et quatre jeux par an, et toutes sources confondues, en en étudiant sans doute entre deux et trois cents : deux ou trois mails par semaine, mais aussi les festivals, et le réseau.
PLATO Et les repérages au Japon !
MH Nous y allons tous les ans pour le Tokyo Game Market . C’est un salon particulier, car le Japon a une vision des jeux et des prototypes très différente de l’Europe. Ces mécaniques ont facilement des points en commun avec notre ligne éditoriale. Mais nous ne privilégions pas une source plutôt qu’une autre ! Pour Top Ten , par exemple, c’est l’auteur qui a été dirigé vers Matthieu dans un petit festival.
PLATO Pourquoi cette spéci cité des localisations qui ne sont pas simplement des traductions ?
MH Nous aimons bien faire des jeux à notre image. Les titres japonais sont jolis et mignons, avec des thèmes souvent loufoques, mais les marchés diffèrent. Nous les retravaillons systématiquement, parfois également côté règles, pour que le jeu ait le maximum de chances de plaire au public. Pour Happy City, nous avons conservé l’illustrateur, car son travail correspondait vraiment bien, mais il y avait des stratégies qui marchaient un peu plus souvent que les autres. Nous avons ajouté de la diversité dans les cartes, et un niveau un peu plus expert, qui reste très abordable. On garde en tête l’idée d’un jeu malin, rapide, mais accessible à tous, et on essaie de mettre le prototype sur ces rails-là, parfois en simplifiant, parfois en ajoutant une touche pour que ça soit plus malin.
PLATO Qu’en est-il pour Trio ?
MH Dans le processus, on fait des essais, et à un moment ça marche ! C’est Laura [Michaud] qui a illustré Trio. Il y a eu de longs brainstormings : il fallait que ça reste simple, donc ne pas conserver les petits animaux d’origine, qui tiraient vers le jeu enfant et pouvaient détourner de l’idée. Nous souhaitions vraiment des couleurs et des numéros, rien de trop travaillé, mais tout de même esthétique, pas aussi froid qu’un Uno ! L’idée de Laura donne à la boîte une personnalité.
PLATO Faire un petit jeu, ça n’a pas l’air plus facile qu’un gros… MH J’en suis persuadé ! Ce sont des petites idées qui ont l’air évidentes une fois qu’on les a eues, autant pour le cœur mécanique que pour le matériel, le score, les détails. Tout pour que ça soit le plus fluide possible. Si on y arrive, à la fin, tout a l’air évident, mais c’est le résultat de tonnes de questions ! L’ambition, c’est de faire des jeux vraiment grand public, mais avec ce truc en plus pour que les joueurs s’y retrouvent aussi, et c’est un équilibre tendu. Mine de rien, Top Ten représente entre deux et trois ans de développement : ça veut dire aussi le montrer, le tester, faire évoluer le matériel, le système de score…
PLATO Quels sont vos prochains projets ?
MH Nous travaillons depuis deux ans sur Bombbuster, qui sort en fin d’année. C’est probablement la sortie la plus surprenante par rapport à notre ligne éditoriale de ces derniers temps ! Il s’agit de déminer des bombes, en coopération, avec une mécanique de déduction qui permet de savoir quels fils ne pas couper sinon la bombe explose. On est un peu dans la gamme d’ Hanabi. Mais ça reste très accessible. Il y a eu du travail dessus, car il y a une soixantaine de missions évolutives et rejouables, avec des ajouts de règles et des surprises petit à petit.
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SUPER MEGA LUCKY BOX
LE BIEN & LE MAL
Super Mega Lucky Box n’a pas fait l’unanimité dans l’équipe. Dans cette mécanique de Bingo, on choisit ses grilles ; chaque ligne ou colonne complétée débloque un bonus, permettant le plus souvent de cocher un chiffre et donc potentiellement de déclencher des cascades. La différence de perception était telle qu’une fois n’est pas coutume, deux chroniqueurs s’expriment dans la plus pure subjectivité. par Benjamin Bord & & Amélie Pouille
AUTEUR
Phil Walker-Harding
ILLUSTRATRICE
Laura Michaud
ÉDITEUR 2022
Cocktail Games
GENRE
Flip & write
PUBLIC
Tout public dès 8 ans
DURÉE MOYENNE
20 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 1 à 6
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
Chine
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Non
BENJAMIN BORD : C’EST NON
« Less is more », ont l’habitude de dire les AngloSaxons. C’est généralement vrai, mais comme toute exception a sa règle, voyons en quoi SMLB vient prouver que non, tout réduire à sa plus simple expression n’est pas forcément une bonne idée, surtout dans le monde du jeu. Si l’on ne tient pas compte du parti pris graphique, l’esthétique étant le chef incontesté de la subjectivité, on peut commencer par parler du matériel. Le côté réutilisable des cartes à cocher est louable ; force est de constater cependant qu’à l’utilisation, on s’en met plein les doigts, d’autant plus que la fréquence des manipulations fait qu’on est régulièrement amené à les toucher et donc, soit à effacer des coches antérieures, soit à souiller ses manches et/ou ses mains. En outre, le côté réutilisable va s’estomper une fois que les feutres seront secs, anéantissant par la même occasion tout argument écoresponsable (sans même parler des jetons en plastique). Ensuite, l’omniprésence de la chance n’est pas un frein en soi, mais les divers bonus disséminés çà et là, dans le seul but de nous faire croire que cette chance est manipulable, alourdissent le jeu sans le rendre un tant soit peu contrôlable. Quoi que l’on fasse, le score est généralement proche de celui des adversaires, sans que l’on puisse y changer quoi que ce soit, du fait d’une interaction
POINTS DE VUE
totalement inexistante. Pire, toutes les parties se ressemblent, vu que la mise en place est fixe et que la diversité des cartes ne permet pas de faire oublier qu’on ne joue qu’avec neuf chiffres. On nous promet du fun, las, c’est l’ennui qui prédomine. Super Mega Lucky Box propose les sensations du Bingo, toutes, et seulement, sans donner de lustre particulier à cette mécanique, comme pouvait le faire Via Magica
AMÉLIE POUILLE : C’EST OUI
Plus les ludothèques se remplissent et plus il est difficile de tomber sur une pépite. Super Mega Lucky Box en est une, à l’état brut. Il parvient à faire aimer les jeux de société aux plus réfractaires, par des règles simples et une mécanique à l’efficacité fracassante. L’essayer, c’est l’adopter, telle une évidence. Pourtant, le Bingo dont il s’inspire n’est pas des plus attrayants sur le papier. Mais plus les numéros défilent, et plus les joueurs perçoivent un espace tactique et stratégique insoupçonné, fondé sur le choix des grilles et sur le tempo de récupération des bonus. Ainsi, le hasard, très présent, il faut le reconnaître, se transforme en choix, de plus en plus subtils au fil des parties. Super Mega Lucky Box possède une belle courbe de progression, aussi étonnant que cela puisse paraître. Même si les interactions ne sont pas son point fort, comme dans de nombreux flip & write, les parties s’enchaînent avec une forte addiction dans une bonne ambiance. Exceptée son apparence exubérante très seventies, Super Mega Lucky Box est une bombe ludique, qui relève quasiment du génie.
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COLORADO
LA CONQUÊTE DE L’OUEST
par Claire Carvaillo
EN UN MOT…
Un jeu rafraîchissant avec une mécanique inversée qu’il faut bien maîtriser pour enchaîner les combos.
POINTS DE VUE
Amélie Pouille
Une création
originale associant Jeu de 7
Familles et jeu à cocher. Le divertissement est léger et efficace, notamment dans la course aux enchainements de bonus qu’il met en scène.
Benjamin Bord
Une belle idée
un peu ternie par un jeu répétitif et fouilli.
AUTEUR
Joachim Thôme
ILLUSTRATEUR
Emir Durmišević
ÉDITEUR 2023
Sylex
GENRE
Roll & write
PUBLIC
Connaisseur
DURÉE MOYENNE
45 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 2 à 4
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
Chine JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
Dans les années 1950, les jeux de dés ont inventé la feuille de score avec l’apparition du Yahtzee , créant ainsi le premier roll & write. Depuis, l’engouement ne diminue pas, comme le prouve l’arrivée d’un nouveau genre de jeu à cocher chez Sylex. Après les roll et les flip & write, que signifie l’appellation call & write ?
MAIS OÙ EST PASSÉE LA FAMILLE ?
Colorado utilise des cartes et une carte effaçable sur laquelle il faut cocher les nouveaux espaces de l’Ouest américain. Seulement, cette fois-ci, il faut appeler une carte adverse à la manière du traditionnel Jeu des 7 Familles . Mais ici, la famille traditionnelle a cédé sa place aux pionniers, qui sont accompagnés d’un objet et/ou d’un animal. Il n’y a que six familles (couleurs), composées uniquement de trois cartes de valeurs différentes, en nombreux exemplaires. Le tour de jeu est extrêmement simple. Le joueur actif demande une carte spécifique à un adversaire de son choix. Ce dernier a alors trois possibilités :
♦ s’il possède la carte en question, il doit la céder ;
♦ si elle n’est pas dans sa main, il en donne une autre, soit de la couleur demandée, soit de la même valeur ;
♦ s’il n’a rien qui remplisse les conditions précédentes, le joueur actif prend une carte adverse qu’il ajoute à sa main.
Les cartes adverses ainsi récupérées sont ensuite placées dans l’aire de jeu du demandeur, visibles de tous. S’il en possède déjà un exemplaire, celle en trop est défaussée et il obtient une belle pépite en compensation. Dans tous les cas, l’intégralité des joueurs applique l’un des deux effets de ladite carte. Ils permettent diverses actions comme obtenir une pépite d’or, cocher des cases de son plateau, piocher ou poser des cartes de sa main. Le joueur actif change au fur et à mesure que les tours s’enchaînent jusqu’à ce que l’un des participants remplisse sa septième étoile de shérif avec des points, que l’on aura récupérés sur les pistes du tableau des primes et sur la carte.
LE BON, LA BRUTE & LE FILOU
À la lecture des règles, on a du mal à percevoir comment marquer des points. Il est facile de comprendre qu’il faut cocher des étapes sur sa feuille pour remplir intégralement des zones, ou bien qu’il faut cocher en premier ses pistes sur le tableau des primes, mais une question demeure : comment cocher et poser ses cartes ? C’est là que la mécanique de Colorado est intéressante, puisque tout réside dans le jeu adverse. C’est la carte qui va être demandée, et donc donnée, la plus importante puisque c’est elle qui va permettre de faire des actions. En fonction d’elle, on va pouvoir cocher des étapes ou poser des cartes de sa main. En réfléchissant bien, il est possible d’enchaîner plusieurs actions. En effet, les étapes du plateau joueur possèdent, en général, un bonus applicable tout de suite qui peut permettre de réaliser une autre action. Pour toutes les cartes supplémentaires posées depuis sa main, le joueur, et seulement lui cette fois-ci, réalise un effet.
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Ce type de jeux, que l’on rassemble généralement sous le terme générique de roll & write , a le vent en poupe. Si au départ, ils s’apparentaient aux jeux de comptoir, leur évolution est notable. De plus en plus prisés, leurs auteurs rivalisent d’ingéniosité pour les développer et en faire des titres évolués qui n’ont rien à envier aux jeux de plateau. Les illustrateurs s’affairent aussi à les rendre de plus en plus attrayants. Mais au fur et à mesure de ses évolutions, on peut se demander si cette catégorie ne perd pas un peu de sa spécificité. Le matériel est de plus en plus encombrant, diminuant son côté nomade. Le nombre de participants diminue de plus en plus, réduisant son aspect multijoueur. La durée des parties s’allonge également en perdant son aspect rapide. Le roll & write est-il encore un genre, ou n’est-il plus qu’une mécanique ?
Évidemment, ce titre repose sur une part de chance lorsque l’on demande une carte. Avec 78 cartes, il est difficile de compter et de savoir ce que les autres possèdent. Mais se délester de l’une d’entre elles nécessite une part de réflexion. Tout d’abord, l’intégralité des participants va appliquer un de ses effets. Il faut donc éviter de trop les aider dans leur conquête, sans pour autant s’emmêler les pieds dans son lasso en donnant une carte utile à sa propre stratégie. Ensuite, Il faut essayer d’en donner une que le joueur possède déjà puisqu’il va devoir la défausser au lieu de la placer dans son aire de jeu. En faisant cela, on le ralentit dans sa quête de constituer une famille.
Ceci n’est pas anodin, car chacune d’elles permet de découvrir une nouvelle région, augmentant ainsi ses capacités d’expansion et de progression sur les pistes de découvertes du tableau des primes. Les coches devant toujours être adjacentes, s’étendre permet d’aller chercher des bonus intéressants dans d’autres régions. On retrouve alors deux stratégies opposées : soit remplir intégralement les régions pour marquer les points qui leur sont attribués, soit explorer au maximum pour aller chercher les points liés aux différentes pistes du tableau de prime.
LA RUÉE VERS LA VICTOIRE
Colorado procure la sensation de réfléchir à l’envers, puisque les jeux adverses prennent une grande importance dans la stratégie. D’ordinaire, on pose les cartes que l’on a en main, permettant ainsi de créer sa tactique. Or ici, c’est l’inverse qui se produit, puisque l’on joue dans sa zone les cartes adverses qui ne sont pas toujours celles attendues. Finalement, la main de cartes personnelles n’a d’utilité que pour réaliser des actions en chaîne et on n’en pose que si l’on bénéficie d’un effet qui le permet. Il faut alors trouver le bon compromis concernant le nombre de cartes que l’on a en main. Si elle est bien garnie, les concurrents auront moins de mal à appeler une carte que l’on possède, surtout que le paquet de 78 cartes en contient treize de chaque couleur. On augmente alors leur chance d’obtenir des familles et de marquer des points. Mais avec une main trop légère, il va être compliqué de réussir à cumuler les actions ; or ces combos sont cruciaux pour emmagasiner les points de victoire.
Les scores sont relativement serrés et la fin de la partie est brutale. Pour ne pas se laisser surprendre, il faut bien surveiller les avancées des concurrents et, surtout, rester au contact de ses adversaires dans la course aux points. Le plaisir est au rendez-vous lorsque l’on arrive à enchaîner plusieurs actions qui ont pour résultat de précipiter la fin du jeu sans que les autres participants ne l’aient anticipée. Il faut être stratège et bien calculer les bénéfices des différentes options qui s’offrent. Cet aspect-là peut, peut-être, expliquer pourquoi la boîte indique à partir de 14 ans, mention qui laisse souvent entendre un jeu Expert. Mais Colorado est accessible à un public moins aguerri. Les règles sont facilement assimilables, les parties rapides et il est possible de prendre du plaisir sans pousser la réflexion à l’extrême. Les spécialistes des titres calculatoires risquent de se lasser assez rapidement : les différentes options sont, somme toute, limitées. Les cartes ne proposant que six effets différents, on comprend vite la manière de les faire combiner entre elles. Il ne reste alors plus que le facteur chance lors de la pioche pour contrarier les plans prévus.
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DÉCLINAISON DES 7 FAMILLES ANALYSE MÉCANIQUE
GÉNÉALOGIE À LA CARTE
par Vincent Bonnard
C’est dans le traditionnel Jeu des 7 Familles qu’on trouve la mécanique d’appel de cartes. Elle se base sur le principe de gagner une carte pour peu qu’on dévoile où elle se trouve. Elle peut reposer sur la mémoire, mais tout autant sur la déduction, avec une part de hasard plus ou moins présente.
DANS LA FAMILLE MÉCANIQUE, JE VOUDRAIS…
Le Jeu des 7 Familles consiste à réunir le plus de familles possible. À sa création, en 1851, les Anglo-Saxons de la société John Jaques & Son proposent un jeu proche du Quartet , évolution du Jeu de paires , dans leur première création nommée Happy Families . Les deux enfants sont accompagnés de leurs parents et regroupés en 11 familles liées à des métiers de la société anglaise, soit un jeu de 44 cartes.
Le jeu débarque de l’autre côté de la manche quelques décennies plus tard, vers 1900. André Gilles, un caricaturiste français, pourrait être celui qui fait apparaître le grand-père, la grand-mère (ou le valet et la cuisinière dans certaines premières versions) tout en réduisant le nombre de familles à sept. Le jeu passe ainsi de 44 à 42 cartes. L’un des premiers jeux connus est édité par la société des Jeux et Jouets français, imprimé à l’encre noire sur fond rose. Le style grotesque plaît et fait rire.
À PRATIQUER EN BONNE COMPAGNIE
Chacun se souvient de parties jouées dans le cercle familial ou dans la cour d’école, en fin d’année scolaire. Les 7 Familles deviennent populaires, car le jeu fait appel au hasard, à la mémorisation et à l’intuition. Mais à vrai dire, bon nombre de parties se terminent par des esclandres. Il faut dire que Les 7 Familles crée une frustration forte. Les premières cartes gagnées sont souvent liées à la chance. Pour peu qu’on rate sa demande, une bonne pioche permet de conserver la main. Le pire est sûrement lorsque l’on échoue à réunir le dernier membre. Le joueur suivant peut alors s’en délecter pour rappeler toutes les autres cartes.
Critiquable aussi est la vision de la famille que le jeu véhicule, plus vraiment en phase avec la réalité de notre société. L’un des premiers à avoir eu envie d’adapter le principe est François Koch avec sa maison d’édition Jeux FK. Huit familles toutes différentes avec de deux à huit membres avec les enfants
placés toujours au centre composent le jeu. Plus récemment, Hâpi Families , dont le nom peut être vu comme une référence à la première version, est signé d’Olivier Cipière chez Loki. Le titre revisite autrement le genre grâce à l’obtention à chaque tour d’une nouvelle carte.
AVEC BRIO
Néanmoins, cette mécanique d’appel de cartes peut s’avérer particulièrement efficace si le curseur se déplace du hasard vers la déduction. Le garde de Love Letter de Seiji Kanai en est l’une des interprétations possibles. Une fois défaussé, il permet d’éliminer un de ses adversaires si on sait précisément la carte que ce dernier a en main. Avec peu de cartes, l’intuition s’avère presque aussi pertinente que la déduction partielle permise par la mécanique. Cocktail Games s’en était déjà amusé avec l’une des cartes de Sushi Go Party! de Phil Walker-Harding, la cuillère. Une fois posée, elle permet ultérieurement de nommer un type de cartes pour que le voisin, à notre gauche ou le suivant, soit obligé de nous offrir la carte du type nommé. Le récent Colorado de Joachim Thôme publié par Sylex s’appuie lui aussi sur cette mécanique en lui faisant rencontrer le roll & write. Elle est centrale dans ce titre puisqu’elle définit l’action, qui n’est pas toujours celle attendue, que le joueur actif pourra effectuer durant son tour. Avec Nana , qui deviendra Trio, Kaya Miyano revisite cette mécanique avec talent. Le principe d’appel de cartes repose de manière particulièrement convaincante sur un équilibre entre chance, déduction et mémorisation.
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DANS LA POCHE, OU PRESQUE
JEUX DE CARTES À CHIFFRES
Le jeu de société est un loisir saisonnier ; éditeurs comme boutiques le savent bien. Certaines thématiques, certains designs, se vendent mieux autour d’Halloween ou pour les fêtes. Mais certains formats de jeux sortent aussi plus facilement des placards par période. À l’approche de l’été, on dépoussière donc autant les vêtements légers que les petits jeux de cartes adaptés à toute surface.
FOR SALE
For Sale se déroule en deux phases d’enchères distinctes : la première, en tour de table, pour acheter des maisons numérotées ; la seconde, en simultané, pour s’approprier des chèques à l’aide des propriétés préalablement acquises, afin de devenir le joueur le plus riche. Sur le papier, le jeu ne fait pas forte impression. Pourtant, il propose une tension permanente, qui se transforme progressivement en un plaisir pur et fascinant. La perspicacité et la rigueur font bon ménage pour parvenir à remporter les cartes convoitées, dans une ambiance enjouée et remplie de bonnes et mauvaises surprises. AP
FANTASY REALMS
Le jeu se compose d’un paquet de cartes qui tient dans un étui. Et même la feuille de score peut être remplacée par l’appli disponible sur le site de l’éditeur. Son originalité tient dans la main ! Car les sept cartes que l’on garde doivent former des combinaisons pour obtenir un maximum de points. C’est aussi compact
SÉLECTION COLLECTIVE
qu’efficace, tout en offrant des parties denses et tendues. Le petit plus créatif est de raconter une épopée fantastique avec les cartes de sa main finale. Fantasy Realms est tellement efficace qu’il a inspiré plusieurs variantes. La boîte permet d’accueillir l’extension.
BDG
SHERLOCK HOLMES: THE CARD GAME
Traduit en français, en 1991, sous le titre 221 B. Baker Street , et régulièrement réédité en anglais, ce titre s’impose comme un amalgame parfaitement équilibré de mécanismes classiques indémodables. Si les illustrations tirées de l’œuvre littéraire originelle nous font bien voyager entre Londres et la campagne, le cœur du jeu s’assimile au Uno. S’y ajoutent des criminels qui rapportent des points lorsque l’on vide sa main ou en les débusquant chez un adversaire. Enfin, pour semer le trouble, le brouillard impose de mélanger et redistribuer les cartes de tous les participants. KH
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LE RENARD DES BOIS DUO
Le Renard des bois est déjà un jeu de pli pour deux joueurs. Sa version dite « duo » est en fait un coopératif, construit autour d’une mécanique de tir à la corde dans laquelle il faut réussir à passer par les positions extrêmes, mais sans jamais sortir du bois. Si le thème n’a pas grande importance, il justifie tout de même des illustrations d’une douceur absolue qui s’inscrivent avec grâce dans un jeu muet, mais dans lequel chaque carte posée, chaque pouvoir utilisé, est une communication précise. Le jeu est ainsi tendre au premier niveau, piquant et demandant de la concentration au troisième. UM
HANABI
La sensation de surprise de la première partie marque bon nombre de joueurs. Il s’agit de tenir son jeu à l’envers ! Cela pouvait rappeler à l’époque un classique des jeux d’ambiance : Coyote ! Ainsi, seuls les partenaires voient de quoi notre main est faite, dans un objectif coopératif de pose de séries. À son tour, il faut choisir entre jouer une carte ou donner un indice sur le nombre ou la couleur d’un autre jeu. Au fil des parties, on développe de fabuleux liens de confiance avec celles et ceux avec qui on partage ce moment. Quelques automatismes sont nécessaires pour réussir à faire un joli score, mais le plaisir se savoure à chaque fois. VB
RED7
Méconnu du grand public, Red7 est un petit bijou signé Carl Chudyk, dans lequel il faut rester le dernier en jeu grâce à une main de sept cartes. À son tour, soit on joue une carte supplémentaire dans sa zone de jeu, soit on en place une dans la pile
de défausse qui indique, par sa couleur, quelle est la règle en cours pour la manche. Il est ainsi possible de gagner soit en modifiant son jeu, soit en modifiant la règle, soit en faisant les deux, mais au prix de deux cartes au lieu d’une, et on ne pioche pas à Red7… Une fois ce principe digéré, se révèle le plein potentiel du jeu via sa version avancée et son scoring bluffant d’ingéniosité. Aussi petit que brillant. BB
SPLITO
Splito a été remarqué l’an dernier, et n’a pas quitté les tables. Il est aussi agréable à trois qu’à huit, malgré une incertitude plus grande sur les cartes présentes à peu de joueurs. Il repose sur l’idée brillante d’être associé à ses voisins de gauche et de droite, d’être obligé d’équilibrer les points entre les deux pour, au final, maximiser son propre score. Cette coopération de circonstance, dans un jeu finalement compétitif, est une trouvaille qui ne cesse de séduire. On doit parfois se fier à l’instinct de ses alliés puisque, en plus, on ne peut pas vraiment communiquer. Un Between Two Castles de poche. XB
PLATO MAGAZINE N°156 JUIN 2023 20
VLADIMÍR SUCH Ý
FAIRE DES MÉCANIQUES À BASE DE CUBES, EST- CE AUSSI UN ART DU BOIS?
SOMMAIRE
Woodcraft 23
Rencontre avec
Vladimír Suchý 24
Messina 1347 26
«Je ne peux pas affirmer que je suis vraiment si connu que cela », déclare Vladimír Suchý. Pourtant, l’auteur tchèque a ses fans parmi les amateurs et amatrices de mécaniques complexes. S’il admet ne pas éprouver le besoin d’un élément « fondamentalement neuf » dans chaque mécanique, cette continuité dans les créations permet en effet de définir un style, et donc des attendus cohérents avec l’expérience proposée.
22
WOODCRAFT
TRAVAILLER AVEC MINUTIE
par Ka Hrim
EN UN MOT…
Emprunt d’une esthétique poétique et servi par des mécaniques originales, Woodcraft possède de quoi faire griller les neurones les plus aguerris.
POINT DE VUE
Amélie Pouille
Une thématique parfaitement concrétisée par l’utilisation originale et ingénieuse des dés. Extrêmement convainquant.
AUTEURS
Vladimír Suchý
& Ross Arnold
ILLUSTRATEUR
Michal Peichl
ÉDITEUR 2022
Delicious Games
GENRES
Gestion & combinaisons
PUBLIC
Expert
DURÉE MOYENNE
120 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 1 à 4
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
République tchèque
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Non
La recette a fait ses preuves : quatorze tours de jeu, soit quatorze actions, pour en tirer un maximum de… noisettes. Car dans cet opus sylvestre localisé par Intrafin, on paye avec des myrtilles, dans un contexte où la nature et le travail du bois sont à l’honneur.
PROMENONS- NOUS DANS LES BOIS
D’emblée, la grande scie circulaire qui tourne au centre du plateau s’impose comme l’élément phare. Son fonctionnement nécessite deux pages d’exemples, mais ce mécanisme est simplement conçu pour rendre les actions les moins choisies de plus en plus attrayantes, grâce à leurs bonus qui augmentent en fonction de l’avancée des actions les plus utilisées. Outre cette particularité, l’objectif consiste à progresser sur une échelle de réputation, tout en fabriquant des objets artisanaux, car le score obtenu par multiplication de ces deux facteurs se récolte en noisettes au décompte final. En chemin, cependant, les occasions d’engranger des points ne manquent pas : collectionner des outils à ranger au grenier, progresser sur des échelles de revenu, atteindre des objectifs spécifiques, ou simplement acheter des noisettes. Ponctué par quatre phases de revenu qui imposent un rythme de production soutenu, le défi consiste à décider combien de commandes on s’engage à livrer en trois tours de jeu. Pour cela, on dispose de cartes qui indiquent un certain nombre de dés à fournir, dans trois couleurs imposées et avec des valeurs déterminées. S’y ajoutent souvent quelques ressources. De manière allégorique, chaque dé peut être cultivé, abattu, découpé ou recollé. Ainsi, un dé planté dans un pot gagne deux points par tour. On peut aussi acquérir du bois prêt à l’emploi dont le coût en myrtille dépend de la couleur et de la face du dé. En sciant un dé, on peut en obtenir deux, dont la somme doit correspondre à la valeur du dé d’origine.
De manière similaire, coller des dés permet d’en obtenir un plus élevé. Tout ce travail gagne en efficacité, au fur et à mesure que l’on améliore son atelier et que des artisans dotés de pouvoirs particuliers le rejoignent.
INDUSTRIE LIGNEUSE
Malgré l’atmosphère et la thématique bucolique, on ne sait rapidement plus où donner de la tête. Chaque décision apporte son lot de dilemmes. Une commande mise en place qui n’est pas honorée finit par apporter des malus si on tarde vraiment à la livrer. Dépenser toutes ses myrtilles et se retrouver sans revenu représente un réel handicap. Améliorer l’atelier ou acquérir un artisan offrent des bonus importants, mais au détriment de l’achat de nouveaux dés ou de nouvelles commandes. Dans ce méli-mélo de possibilités, auquel il faut ajouter les nombreux bonus tous azimuts, il n’est pas rare de voir un adversaire incapable de prendre la « bonne » décision, ce qui explique les 120 minutes que peut aisément durer une partie à quatre. À deux, cependant, les actions ne tournent pas assez vite et l’intérêt de la scie circulaire s’estompe. Dans la version solo, d’ailleurs, l’adversaire fictif déplace deux actions par tour, au lieu d’une. De plus, à trois ou quatre, une réelle interaction se met en place, car il devient alors indispensable de repérer quelles actions visent les adversaires, afin d’éviter d’en choisir une qui ferait tourner la scie circulaire trop vite, offrant ainsi de précieux bonus aux concurrents. En bref, la progression des adversaires reste dure à suivre et, à son tour, on essaie de tirer parti des actions les plus alléchantes, tout en ayant planifié comment obtenir les bons dés avant le décompte suivant. Toujours en situation d’urgence, il n’est alors pas rare, à la fin de l’exercice, d’éprouver le sentiment qu’avec quelques tours de plus, on aurait enfin été efficace.
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NOUVELLES PERSPECTIVES
RENCONTRE AVEC VLADIMÍR SUCH Ý
L’auteur tchèque s’était forgé une réputation de loup solitaire en fondant une maison d’édition dédiée à la publication de ses titres. On assiste cependant à un changement de cap, puisque Vladimír Suchý se lance dans la co-création.
PLATO Comment est née votre passion pour les jeux de société ?
VLADIMÍR SUCH Ý J’ai l’impression que j’ai toujours aimé jouer, mais, dès les années 2000, j’ai découvert Les Colons de Catane , Carcassonne , Puerto Rico et, progressivement, toute la production moderne. Très vite, je me suis dit que je pourrais, moi aussi, développer quelques idées intéressantes. Au début, je le faisais sans raison particulière, juste pour le plaisir de créer quelque chose. Aujourd’hui, c’est devenu une affaire de famille.
PLATO Que voulez-vous dire par là ?
VS Il y a cinq ans, après une période passée à la maison pour s’occuper de nos enfants, ma femme a eu de la difficulté à trouver du travail. Nous avons donc fondé notre maison d’édition, Delicious Games, dont elle est la seule employée à plein temps. J’y participe, bien sûr, comme auteur presque exclusif, mais j’ai un autre métier à plein temps. Nos enfants, pratiquement adultes maintenant, nous donnent quelques coups de main. Les autres collaborateurs sont tous des externes, que nous employons en fonction de nos besoins, même si Michal Peichl, notre artiste vedette, intervient dans la majorité de nos titres.
RENCONTRE
Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’apporter quelque chose de fondamentalement neuf dans chaque jeu.
PLATO Comment l’illustrateur Michal Peichl est-il devenu un partenaire privilégié ?
VS J’ai commencé ma carrière ludique, en 2007, grâce à Czech Games Edition qui a publié mon premier jeu, League of Six . Cela m’a permis d’entrer en contact avec une grande partie des acteurs tchèques de ce domaine et de faire la connaissance de plusieurs illustrateurs avec lesquels j’ai gardé des liens. Cependant, j’ai fait la connaissance de Michal assez fortuitement, lorsqu’il nous a envoyé une offre spontanée. Outre son travail, qui nous a immédiatement plu, nous trouvons très agréable qu’il soit non seulement graphiste et illustrateur, mais aussi joueur. Nous avons avec lui une sorte de tout-en-un.
PLATO Avez-vous eu de la peine à vous faire connaître, à vos débuts ?
VS Oui. J’ai commencé à démarcher des éditeurs allemands, qui ne montraient pas beaucoup d’enthousiasme pour mes créations. Heureusement, à la même période, Czech Games Edition commençait son activité. Le fondateur appréciait mes idées et cela m’a ouvert la voie de l’édition.
PLATO Y a-t-il une grande tradition autour des jeux en République tchèque ?
VS Je ne pense pas que mon pays diffère beaucoup des autres, et je note un intérêt croissant pour ce hobby. Des équipes tchèques se sélectionnent souvent aux Europamasters (championnats européens non officiels) ou lors d’autres compétitions ludiques. Nous avons aussi quelques auteurs célèbres.
PLATO En parlant de célébrité, pouvez-vous dire à partir de quel titre vous avez gagné la vôtre ?
VS Je ne peux pas affirmer que je suis vraiment si connu que cela, même si je remarque que, graduellement, le nombre de joueurs qui s’intéressent à mes
Propos recueillis par Ka Hrim
Vladimír Suchý prêt pour une plongée ludique.
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créations augmente. En fait, j’ai le sentiment d’avoir été bien accueilli dès mon premier titre, mais les plus marquants sont, sans doute, Shipyard (jamais traduit en français), Last Will et Underwater Cities , qui possèdent tous un grand cercle de fans.
PLATO Ce qui caractérise vos créations est assurément leur relative complexité. Est-ce pour répondre à une demande spécifiquement tchèque ?
VS Non, je pense que mes titres se vendent mieux à l’étranger que chez moi. Simplement, j’éprouve plus de plaisir avec les eurogames , et c’est donc plus facile pour moi d’en concevoir. Quand nos enfants étaient plus jeunes, j’ai essayé ce qui était proposé pour leur âge et j’ai développé quelques projets, comme Monster Baby Rescue ! Maintenant que mes enfants jouent à la même chose que moi, je n’ai plus tellement d’intérêt pour d’autres types de jeux.
PLATO Praga Caput Regni est une sorte d’ode à votre ville d’origine. Trouvez-vous toujours votre inspiration dans votre vécu ?
VS Je n’ai pas systématiquement la même attitude. Je réfléchis juste pour trouver des idées ou des mécanismes attrayants. Parfois j’y inclus une de mes passions, comme l’histoire tchèque. Dans 20ème siècle , par exemple, j’ai voulu à la fois proposer un thème écologiste et exploiter différents systèmes d’enchères, sans consciemment commencer par l’un plutôt que l’autre. En ce qui me concerne, je pense qu’il n’est pas nécessaire d’apporter quelque chose de fondamentalement neuf dans chaque jeu. De légers changements permettent, parfois, de produire un titre très amusant autour d’une compilation de thèmes et de mécanismes familiers. Cela dit, l’innovation attire forcément plus d’attention et avec mon prochain opus, Evacuation , j’ai justement le sentiment de proposer une approche nouvelle. Le principe repose sur l’abandon d’une planète proche de la destruction. L’objectif consiste, donc, à démanteler le fonctionnement économique de départ
pour le transférer sur un autre astre. Je pense que cette mécanique change de ce que j’ai fait jusqu’à présent et qu’elle promet, au minimum, une expérience de jeu novatrice.
PLATO Vos deux derniers titres semblent marquer un tournant dans votre carrière, puisqu’il s’agit de co-créations. Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette situation ?
VS Je l’ai vécu comme un défi, avec une envie d’essayer quelque chose qui m’était inconnu. Les deux fois, j’ai été confronté à une idée qui m’a tout de suite semblé intéressante, mais inachevée. J’ai voulu y ajouter plusieurs éléments et les auteurs d’origine ont tout de suite accepté que nous continuions ensemble le développement. Cela a chaque fois donné lieu à des échanges fournis, au travers desquels nos différents apports faisaient rapidement évoluer le jeu. Je suis, à présent, convaincu que le partenariat ouvre de nouvelles perspectives et je collaborerai avec joie sur un prochain titre, mais, tout en restant ouvert, si une opportunité se présente, je demeure, néanmoins, un auteur indépendant.
PLATO Messina 1347 est sorti en pleine pandémie. Y a-t-il un lien avec la crise mondiale que nous avons vécue ?
VS Non, la base du jeu date de bien avant. Par contre, j’ai introduit des thèmes qui faisaient, tout à coup, partie de notre quotidien. C’est le cas du processus de quarantaine, par exemple. Avec Raul, nous nous sommes tout de même sérieusement demandé si c’était une bonne idée de proposer un jeu sur une épidémie, à ce moment-là. En définitive nous avons pensé que Messina 1347 proposait une vision optimiste de la crise, étant donné qu’il faut surtout sauver des gens de la peste. De plus, afin de soutenir les nombreuses personnes qui ont souffert du Covid, nous avons décidé, pour chaque exemplaire vendu, de reverser une somme à Médecins sans frontières.
PLATO En parallèle à Woodcraft , on trouve sur votre site une version print and play d’un roll and write. Quand avez-vous décidé de créer cette déclinaison et pourquoi ?
VS Dès que nous avons compris que, malgré son thème, le jeu serait vraiment lourd et exigeant, Ross a eu l’idée de proposer une variante pour se familiariser avec l’un des deux mécanismes principaux : le travail avec les dés. En quelques semaines, nous avons donc élaboré un titre léger, qui possède sa propre identité, tout en menant naturellement vers son grand frère.
PLATO Avez-vous des projets concrets pour l’avenir ?
VS Habituellement, je me focalise sur un titre à la fois. Comme je l’ai mentionné, la prochaine sortie de Delicious Games sera Evacuation , prévue pour 2023, probablement avec une version française. Je vais aussi publier mon premier jeu pour deux joueurs, chez un autre éditeur tchèque, Dino Toys, parce que nous n’avons pas réussi à le caler dans notre planning. Cette année sera aussi l’occasion d’une nouvelle édition de Shipyard, épuisé depuis longtemps. Nous n’avons, hélas, pas encore trouvé de partenaire pour une localisation en français. Enfin, pour le cinquième anniversaire de Underwater Cities , nous proposerons un paquet de cartes promotionnelles.
Outre la version originale, on ne trouve qu’une localisation en allemand de Shipyard
Le premier titre de l’auteur
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MESSINA 1347
FUIR, À LA CAMPAGNE, LE RAT DES VILLES
par Ka Hrim
EN UN MOT…
Compte tenu de son thème, Messina 1347 propose une expérience immersive et étonnamment valorisante, indépendamment du score obtenu.
En 1347 la peste noire débarque en Europe, via le port de Messine. Les deux auteurs abordent cet épisode dramatique avec beaucoup d’humanité et nous plongent dans la peau de riches propriétaires terriens altruistes qui luttent contre le fléau.
GESTION DE CRISE
Durant six manches, chaque famille déplace, à tour de rôle, un de ses lieutenants, sur une des tuiles hexagonales qui constituent la ville de Messine. Cela permet d’y brûler les jetons Peste présents et de secourir des citoyens (aristocrates, nonnes ou artisans), en les envoyant sur son plateau personnel. Ensuite, on accomplit l’action spécifiée sur la tuile ou on la repeuple, en réunissant toute une série de conditions, d’autant plus compliquées que la tuile rapporte de points de réputation. Ce placement de meeple assez classique, dans le but éculé d’obtenir le plus de points de réputation, va s’étoffer de plusieurs mécaniques centrées autour de la gestion de son domaine.
objectifs individuels de fin de partie. Enfin, il existe trois pistes de registres où progresser, toujours pour y améliorer sa réputation, mais aussi, en fonction de la piste, pour profiter de nombreux bonus, déplacer plus rapidement les contremaîtres de son domaine ou recruter de nouveaux lieutenants (donc augmenter son nombre d’actions par manche).
MORT AUX RATS !
AUTEURS
V. Suchý & R. F. Aparicio
ILLUSTRATEUR
M. Peichl
ÉDITEUR 2021
Delicious Games
GENRES
Placement d’ouvriers & gestion
PUBLIC
Expert
DURÉE MOYENNE
120 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 1 à 4
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
République Tchèque
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Non
Les plateaux personnels, asymétriques dans la version avancée, se divisent en trois secteurs correspondant aux trois classes de citoyens. Un individu ramené de Messine y occupe un poste de travail qui pourra, selon les déplacements d’un contremaître, produire des ressources ou déclencher une action. Cependant, si le citoyen arrive d’une zone contaminée, il passe d’abord deux manches en quarantaine. De plus, la construction d’ateliers augmente les places d’emploi et permet d’accéder à des bonus supplémentaires. Par ailleurs, l’action Parchemin permet de progresser le long de trois pistes personnelles qui représentent des multiplicateurs de points de réputation, pour trois
Comme le veut la tradition dans ce genre d’opus, il existe de nombreuses voies de développement, entre ateliers, parchemins, lutte contre la peste, repeuplement de Messine et registres. Évidemment, la promesse de bonus et d’actions en cascade représente autant une source de satisfaction que de longues attentes possibles, à la recherche de l’enchaînement le plus rémunérateur. Le plateau modulaire, quant à lui, permet d’adapter la taille de la ville au nombre de participants et assure un bon renouvellement, d’autant que déplacer ses lieutenants dans la ville se paye en fonction de la distance parcourue. Chaque partie induira donc sa propre stratégie, en fonction de la contiguïté de certaines actions. S’y ajoute l’apparition aléatoire de la peste et des citoyens, gérée par un ingénieux système de roue qui évite tout déséquilibre. Cependant, le plus notable tient au fait d’avoir véritablement le sentiment de vivre une histoire. L’évolution d’un domaine, grâce au passage temporaire de citoyens que l’on fait travailler avant de les diriger vers un atelier ou de les renvoyer en ville, impose un rythme qui nécessite de mesurer à quel moment il convient d’abandonner sa main-d’œuvre pour repeupler Messine. Et surtout, de légères différences introduites au début de chaque manche reproduisent fidèlement une épidémie croissante, qui finit par s’atténuer et disparaître. Ainsi, le dernier tour n’est pas vécu comme un arrêt brusque, en plein développement, car il est courant de n’avoir pratiquement plus rien à faire. On en retire, outre les points de réputation, le sentiment satisfaisant d’avoir rondement accompli sa mission.
PLATO MAGAZINE N°156 JUIN 2023 26
FIRST RAT
À LA CONQUÊTE DU FROMAGE !
EN UN MOT…
First Rat propose un mélange entre placement d’ouvriers, pick-up & delivery et course véritablement réjouissant.
Virginio Gigli est connu pour ses jeux experts, tels que Egizia , Grand Austria Hotel , Lorenzo il Magnifico ou encore Golem , qu’il co-signe la plupart du temps avec d’autres auteurs de l’école italienne.
Gabriella Ausiello le rejoint, dans cette tradition, pour proposer First Rat , dans un style bien plus familial.
LA BANDE DESSINÉE
COMME POINT DE DÉPART
Les joueurs incarnent une famille de rats participant à l’élaboration d’une fusée, capable de les amener sur la Lune. Cet astre, tant convoité, serait en effet entièrement fait de fromage, d’après une légende communautaire, relatée par le témoignage récemment découvert dans une bande dessinée de la casse. Derrière cette histoire saugrenue, et contrairement aux apparences, First Rat propose un jeu compétitif particulièrement bien concrétisé thématiquement. L’univers de la bande dessinée donne un charme fou à la direction artistique et la mécanique fait sens avec un thème original, fantaisiste et particulièrement sympathique.
permettent de progresser sur des pistes servant pour l’une à augmenter sa capacité de collecte et pour l’autre à obtenir des avantages permanents et libérer de nouveaux rats. Certaines cases d’arrivée permettent une phase optionnelle d’achat de différents bonus permanents ou de fin de partie. Le paiement s’effectue en fromages ou par un retour à la case départ. Enfin, les joueurs peuvent participer à la construction de la fusée en défaussant les ressources réclamées par les différentes parties à élaborer. Cela se concrétise par le dépôt de marqueurs sur des pistes spécifiques dans l’ordre de contribution. Lorsqu’un joueur place son huitième marqueur ou son quatrième rat sur la rampe de lancement, la partie prend fin. Les joueurs additionnent les points de leurs contributions sur toutes les pistes pour déterminer le vainqueur.
UN DÉLICE FERME & CRÉMEUX
AUTEURS
Gabriele Ausiello & Virginio Gigli
ILLUSTRATEUR
Dennis Lohausen
ÉDITEUR 2022
Pegasus Spiele
GENRES
Parcours & gestion
PUBLIC
Tout public dès 10 ans
DURÉE MOYENNE
60 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 1 à 5
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
Chine
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Non
RECULER POUR MIEUX SAUTER
Une partie se compose d’une alternance de tours de jeu durant lesquels les joueurs effectuent quatre étapes. En premier lieu, ils ont deux possibilités pour déplacer leur famille de rats le long du chemin de la casse jusqu’à la rampe de lancement. Il est ainsi permis de bouger un rat d’une à cinq cases ou plusieurs d’une à trois cases à condition qu’ils terminent tous leur mouvement sur des cases de même couleur. Le fromage sert à payer les adversaires pouvant occuper les cases d’arrivée. Les joueurs collectent alors les ressources des emplacements tout juste occupés. Il peut s’agir de fromages, de bouteilles de vinaigre, de boîtes de conserve ou de bicarbonate de soude, de calculatrices, d’ampoules, ou encore de trognons de pomme. Les deux dernières ressources
En plus d’une thématique enthousiasmante et d’un matériel très joyeux, plusieurs éléments mécaniques font de First Rat un très grand jeu familial reposant sur des concepts de titres plus experts. La gestion des déplacements des rats, avec ces retours en arrière possibles, est un modèle d’intelligence et de pureté. Les règles sont ainsi accessibles tout en donnant lieu à de vrais choix tactiques. La course sur les différentes pistes de score oblige à une optimisation de chaque action entreprise. De plus, la possibilité d’obtenir certains avantages dans la collecte, les déplacements ou le décompte final apporte une légère asymétrie progressive et donne une vision plus stratégique à long terme. First Rat propose ainsi un mélange entre placement d’ouvriers, pick-up & delivery et course véritablement réjouissant. Les interactions sont de la partie tout en se montrant plutôt délicates et subtiles. Reste que la variété des parties peut être un peu limitée malgré un plateau modulaire. Que cela ne vous empêche pas de monter dans cette fusée hautement ludique !
par Amélie Pouille
27 Plato magazine n°156 juin 2023
LA GUILDE DES EXPÉDITIONS MARCHANDES
EMMENEZ-MOI
AU BOUT DE LA TERRE
par Amélie Pouille
EN UN MOT…
Sans être exemplaire, il procure un plaisir surprenant, prenant appui sur un très beau matériel, une expérience solide et une belle rejouabilité.
AUTEURS
Matthew Dunstan
& Brett J. Gilbert
ILLUSTRATEUR
Gerralt Landman
ÉDITEUR 2022
Origames
GENRES Exploration & placement
PUBLIC
Tout public dès 10 ans
DURÉE MOYENNE
40 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 1 à 4
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Oui
LIEU DE FABRICATION
Chine JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
Après le « roll & write », le « flip & write », le « roll & draw », le « call & write », etc., voici le « flip & cube ». La Guilde des expéditions marchandes surfe sur cette mode, qui n’est pas prête de s’arrêter.
« DANS LE PAYS OÙ L’ON VA… »
Les joueurs incarnent une équipe d’explorateurs, chargée de remettre à jour les cartes du Royaume de Tigomé. Une partie se déroule sur quatre âges, composés d’autant de tours de jeu qu’il y a de cartes dans la pioche Exploration. Pour chacun d’eux, un joueur révèle une nouvelle carte, indiquant les conditions de pose des cubes Explorateur sur leur plateau appelé « mappe ». Selon ces indications, les joueurs positionnent un nombre de cubes défini sur un type de terrain réclamé par la carte en suivant un agencement particulier. Les expéditions doivent obligatoirement démarrer sur une case adjacente à la capitale, à un cube déjà positionné ou à un village construit lors d’une manche précédente. Une fois recouvertes ou reliées, certaines cases offrent des opportunités. Ainsi, recouvrir l’ensemble d’une région permet la construction d’un village. Les cases Pièce et Tour d’observation octroient un gain d’argent immédiat. Les cases de ruines donnent accès aux cartes Trésor, souvent vectrices d’un bonus d’action. Enfin, un comptoir commercial est créé en reliant deux villes dont les valeurs déterminent la somme d’argent gagnée. Au cours des trois premières manches, les protagonistes pourront choisir entre deux cartes Spécialité, lorsque les cartes Âge, mélangées aux explorations, seront révélées pour la première fois. Ces capacités, spécifiques et puissantes, seront ensuite utilisées dès que la carte Âge correspondante sera piochée, créant ainsi une asymétrie d’action progressive entre joueurs. En cours de partie, il est possible de remplir les conditions des objectifs communs pour récupérer quelques
pièces. À la fin de chaque manche, tous les cubes sont retirés. Au terme des quatre âges, le joueur le plus riche l’emporte.
« LES GENS ONT SOUVENT LE CŒUR FROID. »
La Guilde des expéditions marchandes affiche un certain mystère. Le titre, à rallonge, s’avère peu parlant, et l’illustration de couverture, bien que très élégante, n’aide franchement pas à se faire une idée du contenu. Pourtant, la thématique de découverte et d’aventure colle parfaitement à ce côté énigmatique. En pratique, l’immersion dans le thème s’avère moins authentique, même si voir son évolution sur la mappe par les chemins de cubes formés est très appréciable. Les joueurs ont le nez véritablement collé sur leurs tracés, et ne lèvent la tête que pour s’informer des consignes à suivre ou récupérer les pièces gagnées. Le jeu est très solitaire malgré la présence d’une course sur les objectifs communs à réaliser. Malgré cela, le titre parvient à nous embarquer de par sa grande accessibilité, son charme artistique et sa mécanique redoutable. Certes, il reprend tous les codes d’un flip & write classique, en échangeant le crayon par des cubes. D’ailleurs, il fait indiscutablement penser à Explorers , dans le même registre. Mais l’asymétrie progressive créée par le choix d’actions spécifiques lui apporte la fraîcheur que son manque d’innovation ne lui concédait pas. Ainsi, on parvient à lui pardonner une lisibilité parfois difficile, et des manipulations incessantes de jetons Pièce véritablement pénibles. Malgré cela, La Guilde des expéditions marchandes est un excellent titre. Sans être exemplaire, il procure un plaisir surprenant, prenant appui sur un très beau matériel, une expérience solide et une belle rejouabilité.
28 Plato magazine n°156 juin 2023
COUNCIL OF SHADOWS
FORCE VIOLET
par Amélie Pouille
EN UN MOT…
Une expérience riche et pourtant relativement accessible.
AUTEURS
Martin Kallenborn & Jochen Scherer
ILLUSTRATEUR
Armin Rangani
ÉDITEUR 2022
Alea
GENRES
Deckbuilding & majorité
PUBLIC Expert
DURÉE MOYENNE
90 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 1 à 4
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
République Tchèque
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
Alea signe son retour avec une boîte violette très intrigante. Council of Shadows ne répond pas franchement aux codes esthétiques actuels, mais attise une réelle curiosité de découverte.
C’EST « SPACE » !
Les joueurs incarnent des civilisations futures, chargées de récolter l’énergie des galaxies lointaines. Council of Shadows supervise ces expéditions spatiales, menées à vitesse éclair grâce à une technologie extraordinaire nommée « Dark Tech ». Une partie se compose de plusieurs tours découpés en trois phases. Dans un premier temps, les explorateurs réalisent jusqu’à trois achats entre les cartes IA du marché commun et les améliorations de leur plateau individuel. Les coûts s’acquittent exclusivement à l’aide de gemmes de trois niveaux différents. Puis, les protagonistes choisissent simultanément des cartes IA de leur main pour les positionner sur les cases Action de leur plateau. La somme de leurs valeurs de consommation détermine l’ordre du tour ainsi que la progression sur la piste correspondante du plateau principal. Enfin, les joueurs réalisent les actions qu’ils ont préalablement programmées, de gauche à droite, en respectant les zones du plateau de jeu permises et les types de planètes accessibles selon les améliorations qu’ils ont pu entreprendre. Dans la plupart des cas, il s’agit de coloniser une planète en empilant des cubes sur celle-ci, d’extraire des ressources des systèmes solaires colonisés, de découvrir un nouveau système solaire ou encore de récupérer ou transformer des gemmes. Les cartes du plateau personnel sont alors décalées d’un cran vers la droite, de manière à pouvoir récupérer celle occupant le
dernier emplacement. De manière optionnelle, les spationautes peuvent, à la fin de leur tour, exploiter les galaxies qu’ils occupent en retirant un de leur cube Colonie. Ainsi, ils obtiennent plus ou moins d’énergie, accompagnée parfois d’une carte Bonus, selon qu’ils étaient majoritaires ou pas dans ce groupement de systèmes solaires. Lorsque le compteur d’énergie atteint ou dépasse celui de consommation, le joueur actif augmente son niveau de Dark Tech d’une unité, gagne une carte Pouvoir, et replace son curseur énergétique sur la case de sa piste correspondant à l’écart entre les deux compteurs. Dès qu’un joueur atteint le troisième niveau de Dark Tech, la fin de partie se déclenche. Les protagonistes décomptent alors leurs gemmes restantes, les points de leurs cartes IA et Bonus pour déterminer le vainqueur, à savoir celui qui possède le plus haut niveau de Dark Tech et d’énergie.
UN DÉCOLLAGE SUR DEUX PISTES
Council of Shadows est un titre véritablement rafraîchissant. Cette sensation de nouveauté s’ancre essentiellement sur l’objectif de rattrapage du curseur d’énergie sur celui de consommation dans une course contre la montre franchement passionnante. Les joueurs doivent ainsi gérer la puissance des actions qu’ils programment et entreprennent sous peine de voir leur but s’éloigner et devenir de plus en plus complexe à atteindre. Le deckbuilding très épuré proposé en début de chaque manche oblige à une gestion de ressources tendue et réfléchie tandis que chaque placement ou retrait de cube Colonie influe sur des majorités permanentes et sournoises. Ce sont d’ailleurs ces dernières qui permettent une agréable montée en puissance et une accélération progressive du temps de jeu. Council of Shadows s’avère très tactique et dépendant des actions adverses. De ce fait, le titre propose une très belle rejouabilité et demeure tout aussi intéressant de deux à quatre joueurs. Si la direction artistique peut surprendre, elle casse les codes agréablement et permet une ergonomie facilitant cette expérience riche et pourtant relativement accessible.
30 Plato magazine n°156 juin 2023
LES TRIBUS DU VENT
LE JOUR D’APRÈS
par Simon Hoflack
EN UN MOT…
Cette course, perchée dans les arbres, dans un monde post-apocalyptique ravagé par la pollution, est une belle réussite.
POINTS DE VUE
Amélie Pouille
Le dos des cartes comme contrainte de leur utilisation est une idée brillante, diluée dans un fond de jeu moins étonnant. Bruno de Grimoüard
Asymétrique, fluide, facile à expliquer, il est surtout malin par la prise en compte des cartes de ses voisins pour utiliser les siennes et rester dans la course. Une réussite.
AUTEUR
Joachim Thôme
ILLUSTRATEUR
Vincent Dutrait
ÉDITEUR 2022
La Boîte de Jeu
GENRES
Gestion & placement
PUBLIC
Connaisseur
DURÉE MOYENNE
20 minutes par joueur
NOMBRE DE JOUEURS
De 2 à 5
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
Chine
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
Dans un monde gangréné par la pollution, la vie n’est possible qu’à la cime de quelques forêts miraculeusement épargnées. À la tête d’un groupe de survivants, vous luttez contre ce fléau et reboisez les terres pour espérer un futur viable.
LE MANUEL DE SURVIE
Chaque joueur incarne un guide dont l’objectif est de construire des villages autour de sa capitale. Ce territoire (son plateau personnel) matérialise une grille 4 ×3 sur laquelle apparaissent des vestiges de notre civilisation. La particularité de ce titre vient du traitement des cartes (rouge, bleu, jaune et vert). Celles-ci sont disposées sur les supports de chacun afin que leurs dos colorés soient visibles par tous. Pour jouer l’une d’elles et activer son effet, il faut respecter la condition de pose, laquelle peut dépendre des couleurs des cartes de son jeu ou de ceux adverses (majorité, minorité, somme, etc.) Il est alors possible de dépolluer son plateau, placer des forêts ou déplacer des voltigeurs pour fonder un nouveau village. Une fois jouée, celle-ci est défaussée et l’on en pioche une nouvelle. Autres actions possibles, construire un de ses temples ou bâtir un village, si l’on a placé sur une forêt le nombre de voltigeurs requis. Ces deux actions, tout comme les cartes Guide que l’on peut par exemple activer si l’on agence ses tuiles Forêt comme spécifié sur son plateau, permettent de débloquer des bonus (similaires aux effets des cartes) ou de marquer des points en fin de partie si la condition est satisfaite (vestiges recouverts par des forêts, temples à certaines positions dans la grille par exemple). La partie prend fin lorsqu’un joueur construit son dernier village. Sont alors comptabilisés les villages et temples, les objectifs atteints et les cases dépolluées. Le plus haut score l’emporte. À noter, la FAQ disponible sur le site de l’éditeur corrige deux points de règles.
UNE COURSE CONTRE LA MONTRE
Les bouleversements climatiques et les catastrophes induites imprègnent désormais la sphère ludique, signant là peut-être la fin de l’innocence de ce secteur.
Vital Lacerda avait tiré la sonnette d’alarme en 2013 avec CO2 . Plus récemment, Alexander Pfister imaginait avec CloudAge un monde à la Mad Max ravagé par la pollution. Joachim Thôme poursuit dans cette veine. Ici aussi, la pollution des sols empêche tout déplacement terrestre entre les quelques forêts, derniers refuges de l’humanité.
Revenons maintenant au jeu lui-même et à l’âge conseillé sur la boîte (14+). Celui-ci ne correspond pas à la complexité de cet opus qui est accessible dès dix ans pour un public averti. Rien à voir avec un Barrage ou un Ark Nova par exemple. Cette indication peut d’ailleurs prêter à confusion et générer une certaine frustration auprès du public expert qui pourra regretter de ne pas y trouver le « niveau » attendu. Dommage, et cela d’autant plus que ce titre présente de belles qualités. La gestion de sa main de cartes, et de leurs couleurs, est ainsi très stratégique puisqu’il faut garder un œil sur l’évolution des couleurs dans les jeux adverses pour déclencher au bon moment telle ou telle action et en exploiter sa pleine puissance (majorité/minorité relative ou absolue notamment). En cas d’impasse, construire un temple permet alors de renouveler sa main et piocher de nouvelles cartes plus en phase avec ses objectifs et les mains de ses voisins. Car il ne faut pas traîner en route. Les Tribus du vent est une course, course qui peut parfois s’arrêter brutalement si l’on n’a pas vu qu’un des joueurs est sur le point de construire son dernier village. Bien sûr, terminer la partie ne signifie pas l’emporter. Mais comme les villages sont pris en compte dans le décompte et qu’un bonus est accordé à celui qui franchit la ligne le premier, virer en tête est souvent synonyme de victoire. Illustré par Vincent Dutrait, ce titre est donc une belle réussite. Espérons simplement que ce monde ne restera qu’une fable.
31 Plato magazine n°156 juin 2023
DOG PARK
UNE PROMENADE DE WOUF
par Claire Carvaillo
EN UN MOT…
Un titre calibré pour les joueurs débutants ou les cynophiles, trop répétitif pour les autres.
POINT DE VUE
Amélie Pouille
Un thème clivant pour une mécanique associant enchères, parcours de récupération de ressources, et prise de majorité efficace mais pas franchement singulière.
Avec un petit air qui fait penser au jeu Parks (Plato n° 122), Dog Park embarque les joueurs dans une balade canine simple et accessible à tous. Que les cynophiles se rassurent, il y en a pour tous les goûts.
DOG -SITTER RECHERCHE CHIENS À BALADER
AUTEURS
Lottie & Jack Hazell
ILLUSTRATEURS
Holly Exley, Dann May & Kate Avery
ÉDITEUR 2023
Lucky Duck Games
GENRES
Enchères & placement
PUBLIC
Tout public dès 10 ans
DURÉE MOYENNE
60 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 1 à 4
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Oui
LIEU DE FABRICATION
Chine
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
Le tour de jeu se décompose en trois phases. Tout d’abord, les participants misent leurs points de réputation afin d’acquérir un des nouveaux chiens disponibles dans la rivière. Cette étape est réalisée deux fois consécutivement afin de posséder deux toutous à chaque manche, placés dans le chenil. Puis, on en choisit jusqu’à trois que l’on équipe d’un collier pour partir en promenade dans le parc. Pour cela il faut défausser les ressources demandées par chaque animal, certains étant plus friandise que bâton. Enfin, les promeneurs arpentent le chemin du parc en se déplaçant d’une à quatre cases. Chaque arrêt permet de récupérer le bonus et/ou la ressource associée. Lorsque tout le monde a atteint la fin du chemin, une nouvelle manche démarre. À la fin de la quatrième sortie, on procède au décompte des points de réputation acquis pour déterminer le meilleur dog-sitter. La majorité des points de réputation s’acquiert grâce aux chiens que l’on possède. Lors de la mise en place, les sept catégories canines sont placées aléatoirement sur une piste. Le joueur qui possède le plus de chiens de chaque catégorie remporte les points associés. Pendant la promenade, on peut aussi récolter quelques points en fonction des cases sur lesquelles on s’arrête ou en terminant en premier sa balade. La dernière manière d’augmenter sa réputation est de remplir l’objectif que l’on a choisi en début de partie.
ON N’OUBLIE PAS LE PETIT SAC
On ne peut pas parler de Dog Park sans évoquer la qualité du matériel proposé. Deux beaux thermoformages en forme d’os renferment des baballes, des friandises, des bâtons, ainsi que des joujoux en bois pour faire le bonheur des chiens. Les 163 cartes canines sont toutes différentes et exposent les différentes variétés de chien que l’on peut trouver. À cela peuvent s’ajouter les deux extensions déjà disponibles.
Avec une telle variété, la phase d’enchères doit être réfléchie puisqu’elle demande de miser ses points de victoire. S’il est important de recruter le chien convoité, il ne faut pas pour autant se délester de trop de réputation pour y arriver. Lors de cette phase, la catégorie du chien n’est pas le seul paramètre. Il convient aussi se pencher sur le pouvoir que ce dernier apporte et avoir une idée de comment l’exploiter au maximum. Les effets, quatorze en tout, peuvent se déclencher lors du recrutement, de la promenade ou au moment du décompte des points.
Pour dynamiser les parties, des cartes Tendance modifiant certaines règles sont disponibles à chaque manche. Comme elles sont placées face visible, on peut en prendre connaissance pour anticiper ses prochains coups.
Dog Park est un jeu parfaitement adapté à un public débutant. Les différents tours étant similaires, il est facile de se repérer et de se familiariser avec les axes tactiques. Ils peuvent cependant vite sembler répétitifs. Les parties solo ou à deux nécessitent l’utilisation d’un joueur fictif qui ajoute de l’aléatoire. À ce titre, les personnes souhaitant plus de contrôle opteront plutôt pour les parties à trois ou quatre.
32 Plato magazine n°156 juin 2023
FLORIAN
SIRIEIX
POURTANT SORTI DU MONDE ÉDUCATIF, IL CRÉE DES SIRIEIX- GAMES
SOMMAIRE
After Us 35
Les détails cachés d’After Us 37
Rencontre avec Florian Sirieix 38
La Planche des pirates 41 Time Collector 42
«J’ai envie de montrer des mécaniques, deux rouages qui s’imbriquent bien, mais je ne sais pas toujours quelle histoire raconter. »
Partie d’un détail mécanique, l’histoire de la création d’After Us racontée par Florian Sirieix éclaire de façon intéressante les différents ressentis du public, et de l’équipe de Plato, à son sujet.
34
AFTER US
À SINGER LES HOMMES…
par Rémy Chouffot
EN UN MOT…
Un thème absent, une mécanique de léger deckbuilding sans réelle interaction et une manipulation à outrance gâtent parfois le plaisir de cette course aux points simiesque.
POINT DE VUE
Unt' Margaria
Il y a des choix clivants dans cette mécanique qui semble entièrement dédiée à la simultanéité, et les réflexes du deckbuilding ne s'appliquent pas. Plaisant à jouer, mais surtout très intéressant à analyser.
Il fallait s’y attendre, la race humaine s’est autodétruite et les singes ont pris le pouvoir. Heureusement, l’esprit de compétition n’a pas disparu et la loi du plus fort perdure dans ce monde dévasté.
LA LOI DE LA JUNGLE URBAINE
efforts, le thème ne prend pas, car rien dans la mécanique ne colle vraiment à ce qui est représenté. Sans que cela soit rédhibitoire, on regrette presque qu’un tel talent ne soit pas exploité dans une mécanique plus aboutie thématiquement parlant.
AUTEUR
Florian Sirieix
ILLUSTRATEUR
Vincent Dutrait
ÉDITEUR 2023
Catch Up Games
GENRE
Deckbuilding
PUBLIC
Tout public dès 14 ans
DURÉE MOYENNE
45 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 1 à 6
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
Chine
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
After Us invite les joueurs à prendre la tête d’un clan de primates dans une course aux points de victoire. Chacun démarre avec un paquet contenant les mêmes huit tamarins représentés par des cartes. Après en avoir pioché quatre et en simultané, les chefs de clan organisent leurs singes en les plaçant côte à côte afin de former une frise : la jointure des cartes matérialise alors des cartouches sur trois lignes distinctes. S’ensuit alors la résolution des cartouches : récolte des ressources de quatre types, jetons Énergies, Fleurs, Graines ou Fruits, transformation pour obtenir des points de victoire ou de la rage, cette dernière se comptabilisant sur les plateaux personnels. La seconde phase du tour permet de recruter un singe parmi les quatre espèces disponibles aux pouvoirs spécifiques, au prix de jetons nourritures dédiées, renforçant son paquet à la manière d’un deckbuilding. La rage offre la possibilité d’expulser une des cartes en jeu pour épurer son paquet et gagner un petit bonus au passage. La partie prend fin sitôt qu’un clan dépasse les 80 points, récompensant le meilleur à l’issue de ce tour.
THÈME OU T’AIME PAS
L’illustration de la boîte, les cartes et plateaux, et même les quelques jetons transpirent du trait caractéristique de l’artiste, devenu un grand ponte dans le domaine ludique. Les quelques détails et clin d’œil d’un XXe siècle révolu que l’on peut trouver ça et là font sourire et montrent l’attachement à la thématique post-apocalyptique décidée par les créateurs. Cette vision sonne comme un hommage à La Planète des singes , où une nouvelle espèce tente de dominer son environnement. Mais malgré tous ces
AGENCEMENT À QUATRE MAINS
Le plaisir ludique vient en grande majorité des choix perpétrés lors de la partie et de leurs implications dans son déroulé général, menant à la conclusion finale : la victoire ou la défaite. Un tour d’After Us en propose plusieurs à chaque joueur, le premier étant de placer ces quatre cartes côte à côte pour résoudre les cartouches. Cette étape est décisive pour le tour entier, car elle détermine les ressources obtenues et le déclenchement des pouvoirs. L’agencement de quatre cartes génère 24 possibilités, un nombre important qui oblige à cibler rapidement le besoin du tour, entre récupération d’un maximum de ressources ou d’un certain type en début de partie à l’activation d’un ou plusieurs pouvoirs de ces cartes vers la fin. Un facteur d’optimisation de la combinaison des cartouches provient des trois lignes impactées, rendant certains choix difficiles entre bénéficier d’un bon effet contre deux effets moins puissants, voire inutiles. L’analyse de cet appariement est l’aspect central de la mécanique du jeu et de celui-ci
PLATO MAGAZINE N°156 JUIN 2023 35
découle toute la suite du tour. Par ailleurs, il est très difficile de déterminer sans erreur la résolution de la frise réalisée avant de la mettre en œuvre, tant le nombre de cartouches est important, pouvant frustrer les optimisateurs en herbe.
Une fois la juxtaposition finalisée, la lecture de son œuvre s’ensuit, avec une phase de récupération des ressources puis de consommation de celles-ci dans certains cartouches. La concentration est de mise, car la manipulation est assez fastidieuse, entre la vérification de la validité de ses cartouches, la récupération des quatre types de ressources au fil de l’eau et leur utilisation dans les deux dernières lignes. L’étape doit être menée dans le calme, ligne après ligne, pour ne pas se tromper, et peut facilement être perturbée par les hésitations sur l’utilisation de telle ou telle capacité, menant parfois à des longueurs brisant le principe de simultanéité au demeurant très agréable.
MONNAIE DE SINGE
La phase de recrutement qui prend la suite est à l’opposé en complexité. Elle invite les joueurs à choisir secrètement via des jetons vers quelle famille de singe le recrutement va avoir lieu. Chacune d’entre elles nécessite un type de ressources spécifique, rendant le choix limité au vu des ressources restantes, excepté les chimpanzés acceptant toutes les ressources et gardant le suspens. La seule interaction du jeu a lieu à ce moment, lorsque les pions de familles sont révélés, car chacun octroie un pouvoir qui peut être copié par ses voisins directs. Ainsi, deviner le recrutement des plus proches homologues donne un avantage sur sa propre décision de recrutement. Tous les bonus ne se valent pas toujours, car le coût de deux ressources doit être anticipé suffisamment en avance pour qu’il soit impactant pour le tour en cours. La rage du gorille ou l’effet de rejouer un cartouche du chimpanzé proposent les deux options les plus avantageuses.
Le recrutement se fait face cachée, le contrôle étant sacrifié sur l’autel de la simultanéité. La seule certitude est d’obtenir sur la carte un effet en rapport à la famille choisie. Les gorilles font gagner de la rage, les mandrills s’orientent sur les points de victoire, les orangs-outans sont fans de batteries et les chimpanzés copient d’autres capacités. Le singe nouvellement recruté s’ajoute au sommet de son paquet, une originalité qui permet d’en bénéficier immédiatement au tour suivant, ce qui change des deckbuilding classiques et peut répondre à un besoin immédiat dans le développement.
Il est impossible de planifier au-delà du tour en cours, en raison du peu d’informations visibles. Dès lors, la stratégie doit se faire sur la durée, en comptant sur la construction de son paquet et sa régularité. L’achat à l’aveugle oblige à revoir ses priorités en fonction de la carte nouvellement recrutée, en privilégiant tel ou tel futur achat selon les besoins de ces nouvelles capacités. À la fois intellectuellement intéressant et frustrant, l’aléatoire des renforts de son paquet donne une dynamique lente aux optimisateurs. D’un autre côté, la stabilisation de son deck s’obtient par la suppression des plus faibles singes au cours de la partie. Là encore, la vitesse de filtrage dépend de la volonté de se débrouiller seul en ajoutant des gorilles ou de copier ses voisins lorsqu’eux même recrutent de cette espèce. Cette copie du pouvoir du jeton de recrutement constitue l’unique interaction du jeu, le prendre en compte est important pour prendre l’avantage ou éviter de le donner aux autres.
PEAU DE BANANE
Enfin, chaque partie voit l’intervention de trois objets, reliques du passé, qui viennent agrémenter le jeu avec des pouvoirs originaux. Au nombre de sept, chacun permet de dépenser des jetons batteries contre un effet unique. Que ce soit du simple gain de points de victoire à de l’aide pour le recrutement, en passant par du contrôle sur la pioche, voire obtenir une cinquième carte lors d’un tour, tous invitent à tester de nouvelles stratégies. De fait, orienter son jeu autour de la production de batteries via les orangs-outans est tout à fait viable pour la majorité des objets existants et varie les parties sans toutefois changer la physionomie globale.
Pour terminer, un mode solo est proposé, mais il ne dépasse pas l’intérêt de la découverte, sa mécanique étant trop automatique pour réellement s’amuser et challenger le joueur aguerri.
After Us possède quelques atouts intéressants par son aspect simultané, son agencement de cartes et son deckbuilding original. Il manque toutefois de profondeur à l’usage, le rendant répétitif malgré les possibles configurations des objets.
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CACHÉS ENTRE LES FEUILLES
LES CLINS D’ŒIL EN IMAGES D’AFTER US
ZOOM
Pour le jeu de Florian Sirieix, l’illustrateur Vincent Dutrait n’a pas seulement développé un univers graphique très abouti. Il l’a aussi enrichi de multiples clins d’œil. En voici quelques-uns. par O.
Sur le plateau individuel qui fait allusion au palais des festivals de Cannes, qui accueille chaque année le Festival international des Jeux (FIJ), un des singes porte autour du cou un badge… exposant !
autre titre de l’éditeur Catch Up Games. Il s’agit bien sûr de The Loop. La graphie des lettres est même respectée.
Une des tuiles Objet montre cette intrigante cartouche sur une console.
Vincent Dutrait nous a indiqué qu’il s’agissait d’un clin d’œil à un jeu de plateau et non pas à un jeu vidéo. En l’occurrence Sapiens de Cyrille Leroy édité en 2015 par Catch Up Games et Iello.
Ce plateau se situant dans ce qui était autrefois une sorte de foire du Trône reprend le trio des singes de la sagesse d’origine asiatique (ne pas dire le mal, ne pas voir le mal, ne pas entendre le mal).
Un autre plateau joueur a pour décor un stade de football. Un chimpanzé tient même (à l’envers) la coupe du monde FIFA.
Un téléphone portable du « monde d’avant »… Avec minutie, Vincent Dutrait a décidé que l’écran affichait un singe représenté avec les pixels grossiers typiques de ces modèles. L’illustrateur a certainement glissé d’autres clins d’œil. À vous de les dénicher !
Double référence sur cette tuile ! Le chimpanzé et la tête de la statue de la Liberté sont bien évidemment une évocation de l’emblématique conclusion du film La Planète des singes de 1968. Le score sur le flipper peut aussi se lire 22 12 2022, soit la date de la fin du monde selon une interprétation (fantaisiste) du calendrier maya qui fit beaucoup de bruit. L’allusion est thématique pour un jeu post-apocalyptique.
Sanguy
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MAÎTRE HORLOGER
RENCONTRE AVEC FLORIAN SIRIEIX
Après avoir été enseignant en SEGPA pendant quinze ans, Florian Sirieix se consacre aujourd’hui à son activité d’auteur, développée en parallèle depuis dix ans.
PLATO Comment prend-on la décision de devenir auteur à temps plein ?
FLORIAN SIRIEIX J’ai deux enfants, j’avais deux métiers, et clairement, il fallait abandonner quelque chose ! Le choix était rapidement fait, car je n’avais pas envie d’arrêter la création. Économiquement parlant, j’ai sorti pas mal de jeux et certains m’apportent un revenu régulier, ce qui au total peut représenter entre vingt et trente mille euros bruts par an. Ce n’est pas tout à fait suffisant, mais j’avais pu mettre à l’avance de l’argent de côté pendant mes années de double salaire. Je suis en disponibilité de l’éducation nationale, ce qui signifie aussi que je peux faire marche arrière si besoin. Mais c’était surtout une décision salutaire pour échapper au burn-out . Ne plus cumuler deux activités m’a aussi permis de dire oui à des projets que j’aurais refusés avant, par exemple de la création sur commande.
On ne peut pas se forcer à faire un style qu’on n’aime pas pour l’avoir dans son catalogue, c’est le meilleur moyen de se planter.
le déclic. J’ai édité Deal chez lui en 2014, puis j’ai commencé à faire des salons, et des rencontres. Ce qui a mené à Imaginarium , qui m’a forgé un nom dans le monde ludique. J’ai parlé du projet à Bruno Cathala, il a aimé et m’a aidé dans le développement. Je dis « aidé », mais sans lui, le jeu n’existerait pas, car nous l’avons énormément remanié, développé, retravaillé à partir de mes idées originales. J’ai aussi beaucoup travaillé en binôme avec des amis, par exemple Benoit Turpin qui habite à proximité, et Cédric Lefebvre. Et récemment, sur Time Collectors , j’ai fait mon Bruno Cathala ! J’ai rencontré Mareva à Cannes, en cosplay d’ Imaginarium pour sa sortie. Elle m’a présenté son prototype, et ma conclusion était que c’était super intéressant, mais certains éléments ne marchaient pas. On en reparlait tous les ans, et tous les ans, je disais « ça, c’est super, mais ça, ça ne marche pas »… et elle a fini par me proposer de le développer à deux. C’est son idée, un travail collectif.
PLATO On arrive de plus en plus à dire qu’auteur de jeu, c’est un métier…
Ce n’est pas évident de le faire entendre ! Je croise souvent d’anciens collègues, qui me demandent comment se passe ma retraite… C’est difficile de faire comprendre que c’est une reconversion.
PLATO Vous aviez déclaré à Ludovox en 2020 qu’un joueur averti ne suffit pas à faire un bon designer, même si c’est un début. Que faut-il de plus ?
J’ai dit ça ? C’est bien ! Je suis toujours d’accord avec ça ! Je pense qu’il y a énormément d’expérience à acquérir. Je perçois la différence entre les jeunes auteurs qui viennent me voir avec leurs prototypes et ce que je sais faire aujourd’hui, tout comme je voyais la différence entre moi et Bruno
Propos recueillis par Unt’ Margaria RENCONTRE
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Cathala à l’époque. Pendant les réunions en visio pour travailler sur Imaginarium , c’était souvent une demi-heure sur le jeu, et une demi-heure de « masterclass » de game design par Bruno, tout simplement en me racontant son expérience. Il y a des réflexes à acquérir, de la méthodologie, mais rien qui soit formalisé. On a l’impression que ce n’est pas un métier, car il n’y a pas de formation, mais il faut apprendre tellement ! Comment rédiger une règle, présenter son jeu, travailler avec un éditeur. Il ne suffit pas d’avoir une idée, il faut savoir la développer. J’ai encore beaucoup de travail pour y parvenir moi aussi, bien entendu !
PLATO Comment est-ce que cela s’apprend ? Avec les personnes avec qui on crée, avec les parties accumulées ?
FS Cela dépend de la vision du jeu, de quel type d’auteur on veut être. Entre Bruno Cathala et Roberto Fraga, il y a un univers ! Je suis plus de l’école Cathala, l’analyse des mécaniques : quand on m’explique un jeu, j’ai l’impression d’être un horloger qui ouvre une montre. J’essaie de voir comment fonctionnent les rouages, est-ce qu’il y a des grains de sable… L’école Fraga, c’est plutôt une recherche d’utilisation du matériel, des miroirs, des cordes… J’admire aussi beaucoup ce travail.
PLATO À quoi a ressemblé le processus de création sur After Us ?
FS Long sentier ! Pour l’anecdote, j’ai commencé After Us avant de rencontrer ma femme, j’ai deux enfants, et le jeu vient de sortir… J’ai d’abord eu l’idée de la mécanique des cartes que l’on met côte à côte pour les activer et faire… des choses ! Le problème, c’est que j’en étais là : « faire des choses », et cela a été très difficile de savoir ce que l’on allait faire de ça. C’est mon défaut et je travaille dessus : j’ai envie de montrer des mécaniques, deux rouages qui s’imbriquent bien, mais je ne sais pas toujours quelle histoire raconter. Catch Up a aimé l’idée ; ils ont une sensibilité mécanique aussi. Cela a été signé très vite, mais longtemps, nous nous sommes demandé quoi faire avec. Nous avons essayé de faire un jeu de conquête de territoire, de gestion, de majorité… Un peu de tout, jusqu’à arriver sur ce deckbuilding simultané, qui nous plaisait bien. Il lui fallait ensuite un thème : nous avions trois ressources que l’on pouvait gagner facilement, échanger… Avec des personnages, cela ne marche pas, car dans la société telle qu’elle est, c’est l’or qui compte pour être recruté. Comment trouver deux autres ressources qui aient du sens ? Avec les singes, il y a différents types d’alimentation. Et cela fonctionne bien pour les illustrations. Le public s’intéresse souvent à un jeu en premier lieu parce qu’il est beau.
PLATO Dans Time Collectors , il est facile de tricher. Est-ce que cela a été évoqué pendant le développement ?
FS Dans After Us , c’est un peu pareil ! Je n’ai pas de problème avec les jeux dans lesquels on peut tricher, j’ai des problèmes avec les tricheurs. Personnellement, cela peut (rarement) m’arriver : si sur un gros jeu expert de trois heures, je me rends compte qu’il me manque une ressource sur dix pour faire une action d’éclat qui, en plus, ne me fera pas gagner… C’est trop de frustration pour pas grand-chose. Je n’en veux pas aux tricheurs. Par contre, j’aime beaucoup cette phrase dans la règle de Love Letter : « Nous vous conseillons de ne pas jouer avec des fripons qui trichent lors de petits jeux amusants. » On a failli marquer quelque chose de similaire dans la règle de Time Collectors . La vraie expérience de jeu, c’est celle des règles ; si vous ne la suivez pas, ce n’est pas de notre faute.
PLATO Pouvez-vous nous raconter l’aventure
As d’or avec La Planche des pirates ?
FS Benoit [Turpin] et moi, on l’a montré à David Perez (The Flying Games) très rapidement dans le développement, en disant qu’on avait seulement une idée, mais que ça pouvait lui plaire. Il a envoyé le contrat juste après. Ensuite, on a pris le temps de le développer. David et Benoit ont fait un boulot immense sur la gestion de la fabrication. L’année dernière, quand je voyais la sélection Enfants à l’As d’or, je me disais que c’était très probable qu’on gagne l’année suivante ! Mais plus 2022 avançait, plus il y avait des sorties super comme Dodo, Mysterium Kids , Les Clés magiques … Cela dépend des années ! Je n’étais plus sûr de rien. Ensuite, quand tu es nommé, c’est gagné, au sens où cela fait une énorme mise en avant du jeu, notamment pour les boutiques qui ne l’avaient peut-être pas commandé. Évidemment, j’étais déçu de ne pas gagner ! Je m’attendais à perdre, mais je
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pensais que ce serait contre La Colline aux feux follets , qui est le jeu préféré de mon fils de trois ans et de la fille de Benoit. Évidemment, quand on essaie de vivre de la création, on prend les prix un peu plus à cœur.
PLATO Pékin Express , était-ce déjà un jeu de commande ?
FS Oui, grâce à ma rencontre avec Aurélie Raphaël, à l’origine de la gamme Loki chez Iello. Elle est chef de projet en freelance actuellement. Lansay voulait refaire un Pékin Express plus moderne, avec un auteur. Ça n’a pas été facile au niveau des droits : ils voulaient me payer un fixe uniquement. J’ai insisté pour avoir des droits d’auteur et mon nom sur la boîte. Les chefs de projet sont super sympas, mais au-dessus, à la direction, ils ne sont pas du tout dans le monde du jeu.
PLATO Est-ce qu’un nom d’auteur sur une boîte est un argument de vente pour une partie du public ?
FS Cela dépend du nom de l’auteur, mais surtout du public en effet. S’il y a marqué Wilfried et Marie Fort sur un jeu enfant, je prends, s’il y a marqué Roberto Fraga sur un jeu familial, je vais m’amuser, s’il y a marqué Bruno Cathala, je vais apprécier l’optimisation et le brin de fourberie. Il y a aussi le phénomène Théo Rivière qui a su créer une marque de son nom et avoir une communauté, alors qu’il est plutôt sans style fixe [voir Plato n° 155]. Je suis mauvais en réseaux sociaux donc je n’ai pas « l’effet Rivière », et je n’ai pas « l’effet Cathala » parce que je suis un touche-à-tout, je fais du dessin, du jeu enfant, du jeu expert… Je crois que la seule personne au monde qui aime tous mes jeux, c’est moi ! C’est d’ailleurs ce qu’il faut faire, ce qu’on aime. C’est ce que Bruno dit aussi, mais ses goûts sont plus ciblés. La création forcée, c’est compliqué ; on ne peut pas se forcer à faire un style qu’on n’aime pas pour l’avoir dans son catalogue, c’est le meilleur moyen de se planter.
PLATO Est-ce qu’au fil de sa carrière, on ne finit pas par développer un genre préféré ?
FS Si je suis encore auteur dans quinze ans, on en reparlera !
PLATO Vous avez mentionné plusieurs fois des jeux signés sur concept plutôt que sur un prototype fini. Est-ce fréquent pour vous ?
FS Plutôt ! Déjà parce que je suis impatient. J’ai besoin de validation, c’est souvent le cas dans les métiers artistiques. Et puis, comme je n’ai pas une idée précise de ce que je veux faire, j’aime bien rapidement me dire que cette idée qui peut aller dans plein de directions trouvera son sens en fonction de qui la signe, pour entrer dans une gamme et que cela plaise à l’éditeur. Si After Us avait été signé chez Ludonaute, ce ne serait pas le même jeu. À Cannes, j’ai présenté un 4X. Avec la mécanique de base, on en comprend l’intention, l’originalité, mais est-ce que ce sera au final un titre initié ou expert ? Cela fait gagner du temps de procéder ainsi : je ne mets pas d’énergie à développer un jeu qui ne va pas plaire. Comme en plus, je n’ai pas encore eu l’énergie de prospecter auprès d’éditeurs que je ne connais pas, je travaille avec des connaissances et l’éditeur devient quasiment co-auteur.
PLATO Pouvez-vous parler d’Art Project , qui sort à l’automne chez Lumberjacks ?
FS Art Project part de mon envie de faire du draft coopératif, où l’on choisirait quelle carte on laisse à l’autre parce qu’il en a plus besoin que nous. Ce concept n’a pas trop fonctionné, mais il s’est transformé en gestion de ressources coopérative. Les réglages étaient compliqués, donc j’ai proposé à Benoit de travailler avec moi sur le développement. Le jeu final est dans la cour de Pandemic niveau complexité. Il faut absolument communiquer, et même si on peut décrire toutes ses cartes, un joueur leader ne peut pas tout retenir. C’est important pour moi dans ce type de jeux : ma première partie de Pandemic , j’ai regardé quelqu’un jouer seul. Là, chacun a deux cartes en main qui indiquent quelles ressources on va dépenser, où on pose les méchants sur la carte, et quelles ressources on va gagner. Il faut trouver lesquelles poser, mais surtout dans quel ordre, pour que les ressources
créées par l’un servent à l’autre. Ensuite, on se déplace pour sauver des œuvres d’art que la Main Blanche veut voler : c’est un hommage aux Monuments Men
PLATO Pourquoi ne pas simplement éviter les leaders comme les tricheurs ?
FS C’est moins évident, car ce n’est pas toujours volontaire. Tricher est une action consciente.
PLATO Le Roi Singe après After Us : avez-vous une passion pour les primates ?
FS Non, mais c’est justement en cherchant le thème d’After Us que j’ai découvert cette légende chinoise. Elle m’a tellement plu que j’ai développé avec Cédric Lefebvre un jeu dessus. Il se joue très rapidement, sur une base de placement d’ouvriers. À son tour, soit on place un singe sur un des trois lieux pour en faire l’action, soit on récupère tous les singes sur le lieu. Donc faire une action, c’est toujours potentiellement offrir un singe à l’adversaire. Cela se joue très vite, avec des actions courtes ; avec Cédric, nos parties test durent cinq minutes. On joue en deux manches gagnantes, et entre deux, on gagne des effets de jeu qui complexifient un peu. C’est signé, mais je n’ai pas le droit d’en dire plus pour le moment !
PLATO Quels sont les autres projets en cours ?
FS Il y a aussi un autre jeu avec Benoit, pour deux joueurs, qui pour l’instant s’appelle « Catch me if you can ». C’est une course poursuite sur des tuiles hexagonales en vue isométrique ; chaque tuile représente un plancher avec des échelles, des portes… La poursuite ressemble un peu au film du même nom, mais aussi aux scènes de Tex Avery où un personnage entre par une porte en bas, ressort tout en haut… Le jeu est signé chez Lumberjacks : ils sont très forts en direction artistique et, avec la vue isométrique, il fallait que ce soit réalisé aux petits oignons.
PLATO MAGAZINE N°156 JUIN 2023 40
LA PLANCHE DES PIRATES
UN ÉLÉPHANT QUI SE BALANÇAIT…
par Xavier Berry
EN UN MOT…
Une chouette alliance mécanique et esthétique qui séduira aussi bien les enfants que les parents.
AUTEURS
Florian Sirieix & Benoit Turpin
ILLUSTRATRICE
Camille Chaussy
ÉDITEUR 2022
The Flying Games
GENRE
Stop ou encore
PUBLIC
Tout public dès 5 ans
DURÉE MOYENNE
15 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 2 à 4
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
Chine
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Non
La Planche des pirates démontre bien qu’aussi bien en littérature que dans le domaine ludique les productions pour enfants ne sont plus, depuis quelques années, considérées comme une sous-catégorie.
LE SUPPLICE DE LA PLANCHE
On choisit un éléphant que l’on place chacun sur le bateau, au début d’une planche de supplice. Ces dernières sont aimantées sur le dos de la boîte, qui sert de support, et sont donc en grande partie dans le vide. À son tour, on révèle la première carte de la pile Trésor, composée de séries de sept objets différents. On la pose sur le premier emplacement du plateau Ponton qui en compte six. On décide alors de continuer ou non. Pourquoi prendre le risque ? Plus on tire de cartes, plus on oblige les adversaires à poser des pions en bois, entre un et quatre, au bout de leur planche, ce qui les alourdit et va finir, on l’espère, par les faire tomber. Mieux encore, si l’on arrive à piocher six cartes, on gagne automatiquement la partie. Seulement voilà, si deux objets identiques sont révélés, notre tour s’arrête immédiatement et c’est notre éléphant qui doit avancer vers le bout de sa planche. Dès que l’un des pachydermes tombe, il perd et tous les autres gagnent.
BEAU LE BATEAU, DANSANT SUR LES VAGUES
L’installation reste le premier plaisir, au moment où l’on pose les planches aimantés sur le dos de la boîte. Le premier petit miracle est là. Elles tiennent. Le deuxième plaisir vient des figurines. Les éléphants pirates sont souriants et bien dodus. Nous sommes vraiment à la frontière entre le jeu et le jouet, comme dans Gare à la toile de Roberto Fraga, Crash Octopus de Naotaka Shimamoto ou, dans le même registre pour enfants, Kraken Attack d’Antoine Bauza.
ALLEZ, UNE DERNIÈRE POUR LA ROUTE
La mécanique n’est pas un simple gadget justifiant ce joli matériel. On est dans un « stop ou encore » assez classique, mais très prenant et bien adapté aux plus jeunes ne serait-ce qu’en termes de durée. On se prend vraiment au jeu, on râle lorsque le joueur actif prend le risque de pousser loin le tirage et que cela fonctionne, ou quand on doit poser quatre pions et que l’on en a déjà trois. On jubile quand un adversaire se retrouve avec deux cartes identiques et on fait même parfois semblant d’être déçu pour lui. Il est vrai qu’il n’y a qu’un seul perdant, ce qui peut paraître très punitif, mais au fond, il y a plusieurs vainqueurs ! L’introduction d’une seconde manière de gagner, piocher six objets différents, est très maligne, d’autant qu’il y en a sept sortes en tout. Cela pousse à jouer et accroît cette fausse sensation de « ça va passer, c’est sûr » ! Cela accentue l’envie de prendre des risques, d’abord pour tous ceux qui ont en général du mal à s’arrêter dans les jeux de « stop ou encore », tous ceux qui, par exemple, passent leur temps à mourir dans le grottes de Diamant , car ils sont incapables de sortir, mais aussi pour ceux qui sont dans une situation désespérée, avec une planche déjà bien chargée, un éléphant très avancé, qui peuvent du coup tenter le tout pour le tout et parfois, retourner la situation et remporter la victoire.
À METTRE ENTRE TOUTES LES MAINS
La Planche des pirates est rapide, tendu, addictif et ne nécessite pas de longues heures d’apprentissage et de réflexion. Il séduira sans aucun souci les enfants, mais très certainement aussi les plus grands. On peut même lui imaginer un destin similaire à Looping Louis qui, il y a encore peu de temps, était devenu l’interlude geek par excellence, entre les parties plus longues, un jeu d’apéro pour entamer la soirée. On cherchera sûrement, là aussi, un prétexte pour le sortir.
PLATO MAGAZINE N°156 JUIN 2023 41
TIME COLLECTORS
RETOUR VERS LE PASSÉ
par Claire Carvaillo
EN UN MOT…
Un jeu de collection qui sort des sentiers battus.
POINT DE VUE
Amélie Pouille
Une idée compliquée
dans un corps simple, qui ne parvient pas à convaincre.
AUTEURS
Mareva Beauchamps & Florian Sirieix
ILLUSTRATEUR
Martin Maigret
ÉDITEUR 2023
Lubee
GENRE Collection
PUBLIC
Tout public dès 10 ans
DURÉE MOYENNE
30 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 2 à 4
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
Chine JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
L’éditeur Lubee nous propose un nouveau jeu basé sur un astucieux système de collection. Toujours fidèle à leur image, ce titre est accessible à tous et possède un aspect tactique intéressant.
LES RELIQUES
Chaque joueur possède quatre dés à dix faces et un plateau de jeu comprenant douze emplacements. Au centre de la table est installée la ligne du temps qui comporte quatre dates, quatre emplacements pour les cartes Richesse du passé et cinq pour les cartes Exploit. Le décompte des points s’effectue dès qu’un participant dispose de dix richesses du passé sur son plateau personnel.
Au début de chaque manche et de manière simultanée, on lance ses dés, bien cachés derrière son paravent, pour fabriquer une date. Cette dernière va déterminer l’ordre du tour : le joueur possédant la plus futuriste débute la phase suivante. Il place alors son pion sur la ligne du temps en fonction de cette date. Si elle correspond exactement à l’une des quatre dates imprimées, il peut récupérer deux cartes Richesse du passé posées de part et d’autre de l’année. Sinon, il se place entre les deux périodes qui encadrent la sienne et il ne peut prendre que la carte associée. Les cristaux permettent de modifier un dé pour définir le chiffre de son choix. Il est aussi possible d’en défausser plusieurs pour changer plus de dés.
Les cartes récupérées sont positionnées sur le plateau personnel en essayant de respecter les règles de placement et d’optimiser les points générés par certaines associations.
LE VOYAGE TEMPOREL
Le hasard lié aux jets de dés est atténué par l’utilisation des cristaux temporels préalablement gagnés.
Bien souvent, ce type de mécanique n’autorise qu’à diminuer ou augmenter de un. Ici, choisir le chiffre souhaité est vraiment très fort. D’autant plus que l’on utilise ce pouvoir à son tour. On peut alors s’adapter en fonction de l’action du joueur précédent. Il existe différents moyens de récupérer des cristaux, comme se positionner dans le futur en créant une date supérieure à 8053, ou en attendant simplement qu’un adversaire se place sur l’emplacement que l’on occupe.
Autre intérêt, ces cristaux peuvent servir à changer la carte que l’on devrait récupérer. Il est alors possible de tenter sa chance pour essayer d’en obtenir une plus avantageuse. Mais, quel que soit le résultat, elle doit impérativement être positionnée sur son plateau personnel.
UNE BELLE PANOPLIE
Le système de collection est assez traditionnel. Pour marquer des points, certaines richesses imposent des placements spécifiques. Par exemple, les végétaux veulent être éloignés des autres végétaux alors que les animaux demandent justement à être regroupés. L’objectif est donc de pouvoir récupérer les richesses qui permettent de marquer le plus de points en les plaçant correctement. Même si les emplacements vides de la ligne du temps sont immédiatement complétés, cette récupération est assez ardue, car le facteur chance est présent, surtout à deux joueurs, puisque le renouvellement est diminué. La clef du succès réside dans la possession et l’utilisation judicieuse des cristaux temporels. Pour précipiter la fin de partie et prendre les adversaires au dépourvu, la possibilité de créer des dates exactes afin de récupérer deux cartes d’un coup est une donnée à ne pas négliger.
Time Collectors se distingue des autres jeux de cette catégorie par l’utilisation des dés pour symboliser le temps. La simplicité de ce titre, malgré un aspect tactique certain, en fait un jeu parfaitement adapté au public débutant.
PLATO MAGAZINE N°156 JUIN 2023 42
DES ZOOS, PAS DÉSO ?
L’ÉVOLUTION DES THÉMATIQUES LUDIQUES, ENTRE VISITES & PRÉSERVATION
Quand on pense zoos, il y a une mécanique évidente qui vient à l’esprit, celle du placement. C’est logique, mais cela pousse à optimiser et donc à entasser les animaux dans les espaces les plus petits possibles, expliquait à Cannes Joël Gagnon du studio Randolph. Pour Miller Zoo, l’idée était tout autre. Ce raisonnement nous a interpellés, d’autant que les thématiques animalières se multiplient dans les titres récents.
44
Extinction 45 Atiwa 46 Quelle est
de la tendance actuelle? 48 Miller Zoo 51 Earth 52
SOMMAIRE
la nature
EXTINCTION
« UN TIGRE DANS LE MOTEUR »
par Vincent Bonnard
EN UN MOT…
Extinction convainc par son traitement thématique qui prend tout son sens grâce aux interactions coopératives qu’il crée entre les joueurs.
Panda ou tigre ? Il faut choisir dès même l’achat de la boîte puisqu’à la manière d’Abyss , édité par Bombyx, les éditions du Matagot ont choisi de proposer deux versions à l’illustration différente. Et déjà, il se murmure que le panda serait en voie d’extinction.
PROTECTION COOPÉRATIVE
spécifiques pour accorder leur voix à la cause. Avec quatre votes obtenus, la partie est gagnée. Elle est perdue dans le cas contraire ou s’il reste moins d’un spécimen de l’espèce animale ou si la forêt a été détruite.
QUE DE BONNES RÉSOLUTIONS
Extinction affiche ostensiblement l’objectif de sensibilisation au sujet qu’il traite. Pour autant, il n’oublie pas de proposer des mécaniques aussi ludiques qu’intéressantes. Ceci crée des sensations immersives permises par une montée du rythme au fil des tours, liée au développement des capacités d’actions des joueurs qui viennent contrebalancer les effets négatifs qu’il faut contrer. Le système de pose de dés qui rappelle celui d’Alien Frontiers fonctionne tout aussi bien de manière coopérative et offre un système de choix d’action qui évite de faire de cet Extinction un pâle ersatz de Pandemic . Les trois scénarios constituent une réelle diversité des défis grâce aux règles de reproduction des espèces, mais surtout le deck Effet associé qui crée de jolies surprises lors de sa découverte. Malgré son accessibilité, la difficulté est réelle même si elle dépend, en partie, de la sortie de ces cartes. Optimiser les compétences des personnages et se coordonner dans la pose des dés est essentiel pour éviter la déroute. Les options sont assez nombreuses pour permettre les échanges dans l’équipe autour des différentes options. Les deux conditions de défaite doivent être contrôlées sans omettre la progression vers l’obtention des votes. La tension est prenante, voire éreintante.
La campagne Kickstarter proposait d’autres défis autour des tortues de mer, des éléphants, des ours polaires, des jaguars ou encore des tapirs. Espérons qu’ils verront bien le jour ! AUTEUR
Joe Hopkins
ILLUSTRATEURS
Beth Sobel & Ben Flores
ÉDITEUR 2022
Matagot GENRE
Coopération
PUBLIC
Tout public dès 10 ans DURÉE MOYENNE
60 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 1 à 5
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Oui
LIEU DE FABRICATION
Chine
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
Avant même de débuter la partie, il faut choisir son combat : quelle lutte pour la survie d’une espèce entre les pandas, les tigres ou les loutres, constituera le défi coopératif de l’équipe constituée. Selon le scénario sélectionné, la mise en place diffère de par l’environnement, la face du plateau, l’implantation des animaux et le nombre de tuiles Déforestation, définis par la fiche associée. Chaque membre de la défense de la cause animale choisit la profession qu’il incarne : avocat, lobbyiste, philanthrope, reporter ou zoologiste, et prend le matériel associé après avoir choisi l’un des deux pouvoirs spécifiques associés. La partie se déroule dans un nombre défini de manches. Chacun dispose d’un tour par année, qu’il débute par une phase d’actions qui consiste à lancer ses trois dés. Ceux-ci sont placés sur le plateau ou les cartes Action pour permettre d’effectuer l’action correspondante, à condition que sa valeur soit supérieure aux autres déjà placés. Il devient alors possible, par exemple, de gagner de l’argent, déplacer des animaux, replanter des arbres ou jouer des cartes de sa main, aux effets uniques ou permanents. Puis, si les conditions sont remplies, les animaux se reproduisent avant qu’une partie de la forêt ne soit détruite. Le tour s’achève par la pioche d’une carte Effet qui peut sérieusement compliquer la situation.
Quand toutes et tous ont joué, on vérifie l’année en cours. À deux reprises, un vote a lieu parmi les ambassadeurs. Ceuxci sont dévoilés au fil des tours et exigent des conditions
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ATIWA
VIDE GRENIER
par Amélie Pouille
EN UN MOT…
En plus de sa solidité ludique, il porte quelque chose de profondément touchant et attachant.
Après Hallertau , Uwe Rosenberg revient avec Atiwa , aux sensations bien plus accessibles que pour la plupart de ses best-sellers. Un titre au thème très réaliste, comme nous y a habitués l’auteur, mais étonnamment contemporain.
RENDEZ-VOUS EN AFRIQUE DE L’OUEST
Atiwa est une chaîne de collines du sud-est du Ghana, abritant une biodiversité rare et menacée par l’exploitation minière et forestière ainsi que par la chasse à la viande de brousse. Les chauves-souris frugivores, présentes dans cette région du monde, souffrent de ces deux facteurs. La déforestation leur fait perdre progressivement leur habitat naturel et on les retrouve sous forme de viande sur les étals des marchés de la région. Pourtant, en parcourant de longues distances chaque nuit, elles excrètent et répandent les graines des fruits dont elles se nourrissent. De cette façon, des centaines d’hectares de forêt pourraient être reboisés chaque année. C’est en tombant sur un article traitant de ce sujet qu’Uwe Rosenberg s’est emparé de ce thème pour concevoir Atiwa . La dernière phrase, annonçant le besoin urgent d’informer la population sur l’importance des chauves-souris, fut le déclencheur de sa création.
ressource dépensée est repositionnée sur le plateau individuel, sur la case libre la plus à droite de sa rangée. Le joueur actif peut, à la fin de son tour, utiliser trois de ses chauves-souris et un fruit pour faire pousser un arbre sur un de ses emplacements adéquats. Lorsque les ouvriers de toutes les communautés ont été utilisés, une phase de maintenance a lieu. Elle débute par le placement de marqueurs Pollution, rendant inutilisables certaines cases des cartes, pour chaque famille non formée que les joueurs possèdent. Ensuite, de nouvelles ressources sont récoltées par réaction en chaîne. Les animaux sauvages permettent la plantation d’arbres, qui eux-mêmes font mûrir des fruits, qui créent de nouvelles chauves-souris. Après le retour des chauves-souris utilisées au cours de la manche, les joueurs doivent nourrir leurs familles. Enfin, s’ils possèdent un nombre de ressources sur leur tableau personnel correspondant aux objectifs de la manche, ils en gagnent de nouvelles. En fin de partie, les joueurs décomptent leurs pépites d’or et leurs chauves-souris restantes, la somme des valeurs des cartes qu’ils possèdent, le niveau atteint dans chaque ligne de ressources de leur plateau, leurs familles formées et les éventuels malus de manque de nourriture pour déterminer le vainqueur.
AUTEUR
Uwe Rosenberg
ILLUSTRATEUR
Andy Elkerton
ÉDITEUR 2022
Lookout Games
GENRE
Placement d’ouvriers
PUBLIC
Connaisseur
DURÉE MOYENNE
90 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 1 à 4
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
Allemagne
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Non
Les joueurs incarnent une communauté ghanéenne devant prospérer, avec l’aide de chauves-souris frugivores, entre exploitation minière et respect de l’environnement. Une partie se déroule en sept manches, composées de deux phases. La première permet aux protagonistes de placer un de leurs trois ouvriers, à tour de rôle, sur une des cases Action du plateau du jeu pour en réaliser les effets. La plupart des actions consistent à récupérer des ressources ou des cartes Terrain, à dispenser une formation aux familles ou à acheter des cartes Lieu. Les cartes nouvellement acquises viennent constituer un espace de jeu sous les plateaux individuels des joueurs. Ces derniers accueillent les jetons Animal sauvage, Arbre, Fruit, Famille et Chèvre dont les protagonistes disposent. Ainsi, chaque ressource collectée, hormis l’or et les chauves-souris, provient des plateaux personnels des joueurs pour être déposée sur un emplacement libre d’une carte montrant le symbole de la ressource correspondante. À l’inverse, chaque
LE POURQUOI DU COMMENT
Les maisons en bois et la formation de la population sont les deux premiers éléments du jeu qu’Uwe Rosenberg a mis en place. On les retrouve en nombre sur les cases de placement d’ouvriers permettant ainsi construction et formation. Aussi, dès qu’une famille a été mise au courant des bienfaits des chauves-souris frugivores, elle peut les abriter afin que l’espèce puisse reboiser la forêt. Cette idée se concrétise dans l’action optionnelle de chaque tour des joueurs, qui consiste à utiliser trois chauves-souris et un fruit pour obtenir un nouvel arbre. De manière imagée, cette option symbolise le vol nocturne des animaux frugivores et la dispersion des graines permettant la reforestation à grande échelle. De plus, l’acquisition de nouvelles cartes Lieu
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permet de construire de nouvelles maisons en bois et donc de potentiellement former de plus en plus de familles afin d’augmenter le nombre de chauves-souris pouvant être accueillies et ainsi participer à la chaîne écologique naturelle. Le développement de la zone de jeu de chaque joueur s’effectue donc dans le but d’accroître l’influence écologique des animaux frugivores. Par ailleurs, quand l’auteur découvre l’importance de l’exploitation minière illégale dans le pays, il positionne l’or comme une autre ressource, au côté des fruits, des chauves-souris, des arbres, des animaux sauvages et des chèvres. L’or devient alors une récompense pour les familles formées et un handicap pour les autres,
obligés d’aller creuser, polluant ainsi leur environnement. Les joueurs sont alors obligés de perdre de précieux emplacements de positionnement de ressources. Autre aspect thématique que l’on retrouve dans la mécanique, à la fin de chaque manche, les chauves-souris peuvent servir de nourriture uniquement pour les familles non formées. A contrario, les chèvres et les animaux sauvages représentent des aliments très rentables par rapport aux fruits, apportant une seule unité de nourriture. Ainsi, les joueurs seront davantage tentés de conserver les fruits et les chauves-souris pour d’autres fins que celle de constituer un garde-manger. Cette parfaite intégration de la thématique dans tous les secteurs du jeu rend le titre admirable de réalisme et de logique et facilite grandement sa prise en main. De plus, il faut avouer le plaisir des joueurs à voir leurs actions utiles, et inscrites dans une véritable histoire, un peu comme s’ils participaient à la cause locale.
DU NEUF AVEC DU VIEUX
Atiwa surprend par bien des aspects. En premier lieu, la direction artistique ne fera pas l’unanimité. L’illustration de couverture, très étrange, en est le parfait exemple. Pourtant, le matériel est particulièrement agréable et provoque une sensation de douceur remarquable. La concrétisation de la thématique dans chaque recoin de la mécanique est sans aucun doute le point fort du titre. Chaque détail de règle se réfère directement à l’histoire politique et écologique ghanéenne du moment. Ainsi, non seulement le thème est original, mais il crédibilise avec force l’entièreté du système de jeu. Si la mécanique principale de placement d’ouvriers s’avère des plus classiques, elle prend une tournure singulière et différente dans l’objectif qu’elle vise. En effet, les joueurs se préoccupent davantage de se débarrasser de leurs ressources plutôt que d’en gagner. Cet angle inversé par rapport à la plupart des jeux actuels s’avère particulièrement rafraîchissant et plaisant, même si les allers-retours des jetons d’un plateau à un autre font apparaître un sentiment de répétition, qui grandit en raison d’un temps de jeu un peu long. La rejouabilité apparaît également quelque peu limitée puisque les interactions, quasi inexistantes, ne permettent pas de grands bouleversements d’une partie à une autre. Cependant, le titre propose un excellent compromis entre accessibilité et choix tactiques. Les tours de jeu sont fluides et dynamiques, ce qui participe grandement à rendre l’expérience très agréable. De plus, la montée en puissance, permise par le côté « engine-building » de gain de ressources, participe au maintien d’intérêt tout au long des successions de manches et de phases pouvant hacher légèrement le rythme. Le jeu réclame plusieurs parties avant de comprendre les bienfaits d’une action par rapport à une autre, à un instant donné. Pour toutes ces petites imperfections et sa réelle singularité, Atiwa mérite que l’on s’y attarde. En plus de sa solidité ludique, il porte quelque chose de profondément touchant et attachant.
PLATO MAGAZINE N°156 JUIN 2023 47
PAS SI BÊTE QUE ÇA
DU CÔTÉ DU THÈME
QUELLE EST LA NATURE DE LA TENDANCE ACTUELLE ?
par Vincent Bonnard
Les jeux de société modernes ont régulièrement exploité la thématique animale. Depuis quelques mois, la tendance s’est accentuée. Mais cette évolution peut être affinée par l’observation des mécaniques mises en lien avec ce thème. On y observe des facteurs liés aux considérations sociétales et environnementales actuelles, notamment la préservation de la biodiversité mise en avant dans les rapports publiés par le GIEC.
UNE SENSIBILITÉ
DÈS LE PLUS JEUNE ÂGE
Les animaux sont présents dès les premiers titres pour les plus jeunes. À l’instar des premiers imagiers, l’utilisation d’animaux dans les premiers jeux (Loto, Memory, etc.) est évidente tant elle stimule le langage et s’appuie sur les premières connaissances, les couleurs, les bruits, les habitats, les petits des animaux, etc. Avec un brin d’imagination ou en les rendant un peu plus humaines, ces bêtes peuvent se retrouver les héroïnes d’une histoire qui justifie la mécanique, en s’appuyant sur les aptitudes reconnues des bestioles, souvent empruntées aux fables et autres contes traditionnels. Il faut sauter ? Alors, partons sur un jeu mettant en scène des grenouilles ou des kangourous. Pour une course, les chevaux ou des lapins sont fréquemment bien en vue, quoique des escargots représentent un joli pas de côté. De la gourmandise, et c’est cette fois-ci, très certainement un ours qui s’y colle, peut-être sous le regard rusé du renard ou la bêtise du loup qui n’a d’égale que sa méchanceté. Les éléphants de La Planche des pirates ont très certainement été choisis pour ce qu’ils représentent, un animal lourd qui vient rendre amusant le fait de leur faire subir une épreuve d’équilibre.
C’EST DANS
LES MEILLEURS ENCLOS QU’ON…
Pendant de longues années, pour les titres plus familiaux, le choix de la thématique animale a constitué une valeur refuge idéale pour les mécaniques centrées sur le principe d’optimisation de placement. Le marché allemand qui, par sa culture, affiche une sensibilité certaine pour la cause animale, en use et en abuse. Le Zooloretto de Michael Schacht en est l’une des plus belles expressions. Édité en 2007 par Abacusspiele, puis localisé par Filosofia, ce titre est une évolution de Coloretto, jeu de cartes du même auteur (qui fête ses vingt ans cette année). Il remporte le Spiel des Jahres la même année, le soufflant de peu à Jaipur publié par Gameworks. Le panda met K.O. le dromadaire ! L’éditeur suisse défait en fera même un trait d’humour en cachant une tête de panda sur l’une des cartes du tirage suivant de Jaipur. Revenons à nos enclos ! Dans Zooloretto, il s’agit de compléter des enclos avec des animaux. Une tuile est tirée d’une pioche, placée
dans un camion qui sera ultérieurement sélectionné. Il faut ensuite les ranger par espèce similaire dans les différents enclos, en remplissant au maximum les zones, sans dépasser le nombre d’emplacements disponibles par un trop grand nombre de spécimens ou d’espèces différentes. Les meilleurs gestionnaires réussiront même à les faire se reproduire pour optimiser quelques emplacements. Tout ceci se convertit en points de victoire, dans la tradition allemande. La simplicité du principe de Zooloretto rencontre une thématique choisie avec pertinence. Son succès lui vaudra de nombreuses déclinaisons comme Aquaretto, sa version aquatique, une version dés, une autre pour les plus jeunes et des goodies à gogo que s’arrachent les fans sur les salons.
BIEN ÉLEVÉS
La place des animaux peut être perçue par le prisme des besoins humains avant que les thématiques ne les replacent dans la nature. Dans Agricola , titre destiné à un public plus averti, paru la même année, les animaux de la ferme sont cantonnés au même rôle. Ils sont parqués, se reproduisent et font gagner des points. Et parce qu’Uwe Rosenberg est sans pitié, il est même probable qu’ils soient cuits et mangés pour permettre à la petite famille dans la prairie de devenir plus nombreuse et éviter la mendicité. Cette tendance traverse les années. WonderZoo de Florian Fay, édité
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par Djeco en 2018, continue à s’amuser de ce que voient les promeneurs d’un zoo sur un principe de pose de tuiles de type quadrominos. La vision de l’éditeur s’affiche ainsi dans les règles : il s’agit de « créer le plus beau zoo avec le plus de visiteurs autour de ses animaux ». Florian Fay expliquait à l’époque que le choix de la thématique s’est fait bien après la mécanique. « Celui-ci a emprunté différents thèmes avant de se fixer sur le parc animalier. Il s’agissait initialement d’arranger une table de magie. La thématique s’est fixée sur le parc animalier, adaptée au public familial visé. » Dans cette lignée mécanique, le très bon Cascadia de Randy Flynn, lauréat du Spiel des Jahres en 2022, demeure un jeu de placement. Mais les animaux ne sont plus en cage. Ils se promènent dans leur environnement naturel. À noter qu’une extension devrait prochainement être proposée. On continue ainsi de sortir des parcs pour se promener dans l’environnement plus sauvage, mais toujours avec un principe de placement, comme dans Ecos: First Continent de John D. Clair, édité par Lucky Duck Games en 2020, ou Ecosystem de Matt Simpson, jeu de cartes localisé par Origames à la même période. Ces deux titres sont restés néanmoins plutôt confidentiels.
DES CONNAISSANCES À LA CARTE
Mais à vrai dire, les mentalités avaient déjà évolué depuis quelques années. Friedemann Friese, toujours en avance sur son temps, propose dès 2008 avec Fauna un titre dont l’intention est la connaissance de ces animaux. En esthète qu’il l’est, il fait en sorte que Fauna soit amusant, en optant pour un principe d’estimation via le placement de cubes. Pour chacune des 360 espèces, il faut estimer leur taille, poids, longueur de queue le cas échéant, mais aussi l’endroit où ils vivent à travers un grand planisphère eurocentré. Une fois n’est pas coutume, l’auteur ne s’autoédite pas. Il confie son jeu à Huch!. Filosofia le localise et essaie un logo Filosciences qui restera orphelin. Le titre est vite épuisé sur le marché francophone et la grande quantité de texte dissuade plus d’un éditeur de le reproposer jusqu’à ces dernières semaines. Huch!, qui possède toujours la licence, l’a proposé à son partenaire Atalia. En plus de l’important travail de traduction, le distributeur français profite de l’occasion pour le mettre graphiquement au goût du moment avec une couverture plus dynamique sur fond blanc. Cesare Mainardi, président d’Atalia, nous explique que l’éditeur allemand a été séduit par ce nouveau facing mais également utilisé pour la version originale, classique toujours en vente depuis sa sortie il y a plus de treize ans sur le marché allemand. Cesare Mainardi précise qu’ils ont également vérifié le
contenu : « Il nous a paru toujours d’actualité : un mix d’animaux familiers au plus grand nombre, et d’autres moins connus. »
Quelques années plus tard, après la sortie de Fauna , Frédéric Henry, fort du succès de Timeline , continue à jouer avec les connaissances des joueuses et joueurs avec Cardline . Il s’agit toujours de placer ses cartes dans une série, en les classant selon leur taille, leur poids ou leur longévité. Les illustrations très colorées des cartes par Gaël Lannurien, choisi par l’éditeur à l’époque francilien, Bombyx, contribuent grandement au succès du titre.
PRISE DE CONSCIENCE & SCIENCES
C’est à la fin des années 2010 que les mentalités évoluent. L’importance du bien-être animal est mis en avant. Le regard sur les parcs animaliers change. Leur rôle évolue. Depuis de nombreuses années, il ne s’agit plus seulement de permettre à des visiteurs de voir, mais aussi de participer activement à la préservation des espèces. Une majorité de zoos développent leurs actions dans ce sens et communiquent clairement sur cette mission qui en devient politique.
La préservation devient également un enjeu de société majeur, mis en exergue par les différents rapports du GIEC, notamment les deux derniers qui précisent des faits liés à la perte d’espèces locales, la mortalité massive de plantes et d’animaux et des extinctions d’espèces. L’intérêt des joueuses et des joueurs suit cette tendance et se manifeste dans leurs attentes autour de cette thématique.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé en 1988 par deux institutions des Nations unies. Il a pour objectif d’évaluer, sans parti pris et de manière méthodique et objective, l’information scientifique, technique et socio-économique en rapport avec la question du changement du climat. Ces informations sont synthétisées à partir des recherches ou études effectuées par des scientifiques, des experts ou des organismes. La synthèse du sixième rapport d’évaluation du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat a été publiée ce lundi 20 mars 2023, à l’issue d’une session d’approbation qui s’est tenue du 13 au 17 mars en Suisse avec les représentants des 195 pays membres du GIEC.
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Le succès de Wingspan tient autant par la pertinence de ses effets combinatoires que par la découverte ou la promenade ornithologique qu’il propose. Chacune des extensions joue la carte de la connaissance des espèces liées à des régions du monde qu’elle mêle à quelques ajouts mécaniques. La sensibilité autour des thématiques animales prend également forme autour d’univers plus imaginaires liés néanmoins à la sauvegarde des espèces. Les esprits de Living Forest , d’Aske Christiansen, ont pour mission de protéger la forêt. Les trois voies vers la victoire illustrent cette orientation. Il s’agit de réussir à lutter contre les incendies qui menacent, développer la biodiversité de son deck ou varier les essences de sa forêt.
Le succès d’Ark Nova témoigne également de cette tendance. Il n’est pas seulement question d’aménagements, même si cela reste l’un des axes mécaniques, mais aussi de coopération universitaire et de missions liées à la préservation des espèces. Un autre titre récent, Extinction de Joe Hopkins, publié l’an dernier par les éditions du Matagot, s’inscrit dans cette lignée. Il s’agit à la fois de préserver une espèce en voie d’extinction dans son environnement naturel et d’agir pour sensibiliser les pouvoirs politiques afin d’avoir leur soutien.
À RETROUVER
DANS LA BOUTIQUE DU ZOO
L’éditeur québécois Randolph propose depuis quelques mois un titre nommé Miller Zoo. Joël Gagnon, l’éditeur, nous explique avoir été contacté par les deux propriétaires du parc animalier : Émilie Ferland et Clifford Miller. « Ils avaient l’idée de créer un jeu familial autour du zoo. Ils voulaient un titre accessible, pas trop long et pas trop cher.
Leur première intention est centrée sur un jeu de connaissances : « Tu sais, un jeu où on lance un dé et on répond à une question sur un animal. » L’éditeur québécois leur a proposé un autre angle après avoir remarqué, avec Thomas Dagenais Lespérance, l’auteur du jeu, que le point de vue intéressant dans ce zoo était celui du personnel. « C’est l’équipe qui fait le boulot et qui s’occupe des animaux. C’est elle qu’on veut incarner. On veut gérer notre zoo au quotidien, prendre soin des animaux et accueillir des animaux en difficulté. » Joël Gagnon nous explique que leur première réflexion a consisté à trouver une mécanique accessible afin de proposer un titre qui serait un bon premier jeu coopératif stratégique pour une famille qui achète ce jeu par hasard. Ils optent ainsi pour un jeu à information parfaite : tout le monde voit l’ensemble des cartes. « Cela permet qu’on puisse aider les plus petits autour de la table », nous précise-t-il. Les éléments plus complexes sont proposés à travers un système de règles évolutif. Joël Gagnon nous confie que l’équipe du Miller Zoo est très satisfaite du résultat final, qui a ainsi découvert le genre coopératif. « Je me souviendrai toujours de ma première partie en leur compagnie. Leur expérience fut une révélation pour eux. Comme si on célébrait leur travail. Ce jour-là, j’étais très fier de ce que nous avions créé ! »
BIENVENUE SUR LA TERRE
Pour être complet dans cette représentation du vivant, il convient de ne pas oublier le règne végétal, même si les humains ont tendance à être bien plus attentifs aux bêtes. Le lien entre la faune et la flore est ténu et peut ainsi être exploité à travers des mécaniques plus complexes. Certains titres ont voulu le mettre en avant. Le récent Rainforest de Johannes Goupy, édité par Funnyfox, propose aux joueurs d’agencer harmonieusement sa jungle avec les différents types de végétation tout en réintroduisant des espèces animales emblématiques
de la région pour aider à leur préservation. Avant lui, dans ce même terrain de jeu tropical, Canopée de Tim Eisner, édité par Lucky Duck Games, met en scène un affrontement entre deux joueurs qui doivent réussir à créer le meilleur écosystème né de l’équilibre entre de grands arbres et des plantes luxuriantes qui permettent d’attirer la faune la plus diversifiée possible. Les animaux y sont soit de puissants alliés, soit des marqueurs Récompense. Plus complexe, Terraforming Mars offre une réalité fictive de la possibilité d’installer la vie sur Mars en s’appuyant sur des théories et des principes bien scientifiques. Les voies sont nombreuses, mais il s’agit d’optimiser les combinaisons de cartes en main dont la pose est conditionnée par l’évolution des conditions sur la planète rouge. Mais la bleue est également un terrain de jeu intéressant grâce au récent Earth de Maxime Tardif. Plus accessible, le titre, édité lui aussi par Lucky Duck Games, repose sur la mise en place d’un développement créant des synergies en s’appuyant sur un lien thématique entre les différents éléments.
AFFAIRES À SUIVRE
La tendance animale pourrait n’être qu’un aspect de la tendance environnementale. Pour bien des titres nommés ci-dessus, elle confère au titre un réel intérêt ludique en créant un lien entre la thématique et la mécanique. Cette évolution du marché rencontre à la fois une prise de conscience culturelle, mais aussi des opportunités commerciales, ces thématiques étant faciles d’accès pour le public entrant sur le marché. Cependant, il y a parfois une belle contradiction entre l’intention affichée à travers le choix de la thématique et une production qui met globalement du temps à considérer les enjeux environnementaux. Il faut alors espérer que cette tendance ne perde pas son sens au fil des prochains titres et gagne en conviction à travers les orientations liées à la production de nouveaux titres.
PLATO MAGAZINE N°156 JUIN 2023 50
Clifford Miller et Émilie Ferland
MILLER ZOO
GESTION ZOOPÉRATIVE
par Vincent Bonnard
EN UN MOT…
Par la simplicité des règles et des défis proposés, Miller Zoo se destine à un public néophyte qui prendra plaisir à s’occuper des pensionnaires du parc animalier.
Le Miller Zoo est un parc animalier québécois. Émilie Ferland et Clifford Miller, après avoir constaté qu’il n’existait pas de lieu dans leur région pour porter secours aux animaux sauvages, ont décidé d’ouvrir leur zoo en juillet 2013. Leur objectif devient jeu : sensibiliser au respect de la faune.
PET-AGOGIQUE
AUTEUR
Thomas DagenaisLespérance
ILLUSTRATRICES
Jocelyne Bouchard & Marjorie Gros
ÉDITEUR 2023
Randolph
GENRE
Coopération
PUBLIC
Tout public dès 8 ans
DURÉE MOYENNE
30 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 1 à 6
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Oui
LIEU DE FABRICATION
Chine
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
Pour gagner une partie de Miller Zoo, les joueurs doivent réussir à accueillir l’ensemble des animaux dans le zoo avant que la pioche des cartes Ressource ne soit épuisée. La partie débute avec six animaux déjà installés dans chacune des trois zones. Quatre cartes Animal, piochées parmi sept, sont positionnées dans la zone Accueil, en attente de soins préparatoires à leur arrivée. Chaque coéquipier place son pion dans l’espace Cantine au centre. Un tour débute par la phase Aube. Chacun reçoit quatre cartes Ressource qui sont placées face visible. Puis vient le matin, phase lors de laquelle les besoins des bêtes sont révélés. Chacun pioche une carte et pose les jetons Besoin associés sur tous les animaux des trois habitats du zoo qui présentent ce même symbole sur leur carte. En début d’après-midi, les soigneurs s’organisent pour agir, dans l’ordre de leur choix, sans avoir obligatoirement terminé pour qu’un autre prenne le relais. En défaussant une carte Ressource, il est possible de se déplacer devant l’une des zones contenant une bête, retirer un jeton Besoin d’un animal avec le symbole correspondant à la carte jouée ou régler tout ou partie du coût d’accueil des spécimens placés en attente afin de les héberger une fois ce prérequis acquitté. Lors de la dernière phase, le soir, les pions des joueurs sont remis à la cantine. L’équipe peut éventuellement entreposer jusqu’à trois cartes pour le tour suivant. S’il reste des jetons Problème non résolus, une crise survient. Ceci se matérialise par la défausse d’un nombre de cartes Ressource jusqu’à combler les manques. Pour varier les parties, six enveloppes viennent faire évoluer les règles et renouveler une partie du matériel, notamment les cartes Animal.
UNE ACCESSIBILITÉ SOIGNÉE
Le principe proposé dans Miller Zoo s’avère très classique. Il s’agit, à chaque tour, d’assigner des besoins et d’y répondre à travers les ressources des cartes. La collaboration demandée par cette mécanique d’association manque d’originalité au premier abord, surtout à travers les règles proposées pour découvrir le jeu. La seule sensation surprenante réside dans la possibilité de morceler les tours des joueurs, ce qui évite une programmation trop fastidieuse et constitue la première bonne idée du jeu. Là où la thématique aurait pu disparaitre pour devenir de simples icônes de couleur à gérer, Miller Zoo réussit à plonger les joueurs dans l’aventure proposée grâce à différents éléments. Tout au long de la partie, l’équipe garde bien en tête le principe même du jeu : il s’agit de prendre soin d’animaux. Mais pas n’importe lesquels : ceux hébergés réellement dans le Miller Zoo. Grâce à leur nom inscrit en grands caractères sur la carte, cette rencontre prend tout son sens. Alors oui, régulièrement, on s’entend dire qu’il faut absolument s’organiser pour nourrir Raphaël, la tortue qu’on aimerait finalement bien rencontrer. L’immersion s’illustre également à travers des règles très accessibles dont la simplicité permet à chacun de s’impliquer. La résolution des crises, qui peut parfois devenir un peu complexe dans ce type de jeu, s’effectue très simplement, même si le hasard s’y invite parfois. La longueur d’une partie est assez bien calibrée pour que les tours ne deviennent pas trop répétitifs. Pour les habitués du genre, il faut cependant concéder que Miller Zoo ne présente pas de grande difficulté, même avec les contenus additionnels proposés à travers les enveloppes. Sans trop en révéler, on peut préciser qu’ils viennent renouveler les cartes Animal, à travers des spécimens qui demandent un peu plus d’attention et deux ou trois évolutions de règles qui déçoivent néanmoins un peu tant elles restent classiques. Dans ce contenu évolutif, il y a même de quoi faciliter encore les défis pour ceux qui auraient du mal à les accomplir. L’aspect legacy amuse néanmoins les plus jeunes à travers quelques gadgets matériels bien vus.
PLATO MAGAZINE N°156 JUIN 2023 51
EARTH
« WINGS-MARS »
par Amélie Pouille
EN UN MOT…
Earth est incontestablement un très bon titre, qui propose une construction de moteur solide expliquée en quelques minutes.
Il était quasiment impossible de s’approcher des tables de Earth lors du dernier festival de Cannes tant le jeu avait, en quelques heures, propagé ces ondes positives dans l’ensemble des allées. Il est temps de découvrir, un peu plus au calme, cette Terre ludique !
BOBO - ÉCOLO
AUTEUR
Maxime Tardif
ILLUSTRATEUR
Conor McGoey
ÉDITEUR 2023
Lucky Duck Games
GENRE
Collection & placement
PUBLIC Expert
DURÉE MOYENNE
90 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 1 à 5
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Oui
LIEU DE FABRICATION
Chine
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
Earth propose aux joueurs de créer leur propre île, propice à un écosystème riche et symbiotique avec la nature environnante. Pour ce faire, les protagonistes effectuent, à tour de rôle, l’une des quatre actions possibles dans le but de constituer une grille de quatre cartes de large par quatre de haut. Ainsi, la seizième carte ajoutée dans le tableau d’un participant déclenche la fin de la partie. La première action consiste à planter jusqu’à deux cartes Terre de sa main dans son tableau, en payant leur coût en jetons Sol, et d’en piocher quatre nouvelles pour n’en garder qu’une seule. La deuxième option propose de récupérer cinq jetons Sol en plaçant deux cartes Terre de sa main dans son compost. Il est également possible d’arroser pour poser jusqu’à six germes sur des emplacements correspondants libres des cartes Flore de son île et de gagner deux ressources Sol. Enfin, la dernière possibilité fait piocher quatre cartes Terre avant de positionner deux pions Croissance (tronc ou canopée pour la terminaison de la plante) sur l’espace approprié des flores. Quelle que soit l’action choisie par le joueur actif, ses adversaires peuvent réaliser une opération de même type, mais de plus faible intensité. À la fin de chaque tour de jeu, tous les participants peuvent activer les capacités de leur île présentant la même couleur que l’action entreprise, ceci dans un ordre précis, depuis la colonne de gauche vers la droite et depuis la ligne du haut vers le
bas. Le score final prend en compte l’ensemble des éléments construits (valeur des cartes Terre, compost, troncs, germes, canopées, bonus des cartes Terrain) et la réalisation d’objectifs communs et personnels pour déterminer le vainqueur.
« BIDOUILLE LAND »
Earth est incontestablement un très bon titre. Il propose une construction de moteur solide qui s’explique en quelques minutes. De ce fait, son expertise repose essentiellement sur les nombreux objectifs que les joueurs devront prendre en compte pour l’emporter. L’optimisation de leur île devient alors une préoccupation permanente qui donne entière satisfaction lorsque les actions deviennent de plus en plus puissantes. Pourtant, le jeu en simultané provoque des sensations d’inconfort avec la perpétuelle impression de commettre des erreurs dans les nombreuses activations. Les participants sont aussi très esseulés dans cette expérience puisque les interactions se résument aux courses à la réalisation des objectifs communs. Mais, le véritable bémol provient d’un manque de projection. Quel que soit le choix de l’action ou de la carte posée, les joueurs parviendront toujours à correspondre à l’un des trop nombreux critères de réussite. Ainsi, il y a peu d’urgence et d’intérêt à préférer une option plutôt qu’une autre, et ce n’est pas la salade de points de fin de partie qui va rendre la direction stratégique plus évidente. Cette impression de « bidouiller » s’avère quelque peu décevante pour un opus de cette trempe, qui provoque, malgré tout, un mal de crâne réjouissant. En effet, Earth s’apparente à un casse-tête d’agencement et de collection d’icônes, d’ailleurs quelque peu noyées sur des cartes chargées en informations. Plus globalement, la direction artistique, pourtant assez lumineuse, n’éclaircit pas suffisamment le chemin des joueurs dans ce tourbillon ludique agréable, mais légèrement excessif.
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ABSOLUMENT FABRICANTE
RENCONTRE
RENCONTRE AVEC JEANNE DANMANVILLE
Propos recueillis par Unt’ Margaria
Jeanne Danmanville, après des études à l’école
Estienne des arts et industries graphiques orientées vers le livre, a commencé son parcours chez Hachette côté livre. Depuis deux ans, elle a rejoint le pôle fabrication qui s’occupe des boîtes de jeu des cinq studios d’Hachette.
PLATO Comment es-tu arrivée à travailler sur les jeux de société ?
JEANNE DANMANVILLE À l’école, je suis tombée amoureuse du métier de fabrication, que je résume en traducteur entre les éditeurs et les imprimeurs. Il combine des aspects techniques, mais aussi un fort aspect de négociation, de contact, et demande de comprendre et faire comprendre les désirs des uns et des autres. Je commençais à faire le tour de mon poste actuel sur les co-éditions quand l’offre s’est présentée. Même sans savoir précisément comment se déroulait l’édition de jeux de société, j’étais à fond ! J’aime beaucoup jouer dans ma vie privée, mais c’était également un challenge intéressant techniquement, avec des produits qui demandent des matériaux différents. Le monde ludique est en plein développement, il y a beaucoup à faire en termes de création de process, de démarchage. C’est super de participer à cette expansion.
PLATO Effectivement on voit parfois passer des offres d’emploi chez Hachette jeux qui font référence aux métiers du livre.
JD En étant chez Hachette, on est soumis à un certain nombre de processus installés depuis des années, et dont les personnes qui ont travaillé dans
le livre sont familières. Le secteur du jeu est un peu plus flou. Mais dire qu’on veut travailler dedans parce qu’on joue beaucoup, cela ne suffit pas. De mon côté, je travaille avec les mêmes métiers que précédemment : des graphistes, des éditeurs… Il y a des bases communes.
PLATO À quel stade de la vie du jeu interviens-tu ? JD J’ai la chance de travailler avec différents studios qui ont tous leur technique et leurs habitudes : Studio H, Funnyfox, Sorry We Are French, La Boîte de jeu et Hiboutatillus. Certains créent en interne uniquement, et lorsqu’on discute à une pause déjeuner d’une idée en cours, je peux être associée dès le tout début ; ensemble, on va définir la cible, je peux déjà intervenir pour parler des conséquences en termes de matériaux, de précautions à prendre. En général, j’interviens dès que l’éditeur sait à quoi va ressembler le jeu, ce qui se traduit officiellement par une demande de devis. On sait que la boîte aura à peu près tel format, contiendra tant de cartes, de punchboards , de pions en bois. Je lance un appel d’offres auprès de plusieurs imprimeurs spécialisés en jeu, et j’entame la négociation du prix avec eux, mais aussi les ajustements matériels avec les éditeurs. Parfois, le devis peut aussi changer parce que
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On n’imagine pas la différence que peut faire le fait d’avoir des crayons taillés ou non dans la boîte !
le contenu du jeu évolue encore. Je gère ensuite la partie production, de l’appel d’offres jusqu’à l’envoi en imprimerie, suivi d’impression et jusqu’à la livraison. Je coordonne tout le monde comme un chef d’orchestre pour que tout soit prêt au bon moment, pour la bonne qualité, et le prix fixé.
Les éditeurs qui ont été rachetés avaient l’habitude de gérer cela. Mais en tant que fabricante externe, je suis la voix de Hachette, ce qui donne un poids différent dans les négociations. Avec cinq studios, et de nouvelles équipes qui n’avaient pas forcément la capacité de gérer la technique sur les jeux, la fonction est devenue nécessaire : ma cheffe a commencé seule en 2019, puis je suis arrivée.
PLATO Avec combien de fournisseurs travailles-tu, et où ?
JD Deux imprimeurs, spécialisés dans les jeux, gèrent environ 60 % des projets, et quatre à six, spécialisés ou non, les 40 % restants. Ils sont situés majoritairement en Chine ; l’un est en Pologne, auquel j’arrive à confier peut-être trois ou quatre projets par an. La Chine représente 90 % de la production.
Les imprimeurs spécialisés ont leurs propres machines pour gérer les pièces en bois et en plastique. D’autres ont des filiales avec qui ils travaillent pour ces pièces. Si l’imprimeur doit lui-même faire du sourcing , c’est-à-dire chercher des entreprises à qui déléguer une partie de la production, cela revient trop cher. Parfois, pour une pièce particulière, par exemple en métal ou en verre, on tâte le terrain auprès de nos imprimeurs. Soit ils savent faire, soit ils savent qui interroger, soit encore ils peuvent fournir des contacts. Hachette a l’habitude de ces sujets : dans les coffrets, par exemple de livres de cuisine, il y a parfois des tasses, des shakers en métal, des moules… On connaît les fournisseurs chinois qui fabriquent des objets.
PLATO Pour ne pas dépasser le prix de fabrication qui correspond au prix de vente, sur quoi peut-on rogner ?
JD Le but n’est pas forcément de faire le jeu le moins cher possible : on veut à la fois respecter notre budget, proposer un prix de vente attractif, et respecter l’expérience de jeu et les goûts des joueurs. Parmi les variables, nous avons le mode de transport (le bateau prend deux mois, mais est moins cher que l’avion), et
l’investissement dans la communication, qui est en constante évolution en fonction des projets. En termes de fabrication, il y a plein de petites solutions techniques, sans nuire à la qualité et à l’effet global du jeu. On peut par exemple diminuer un peu la qualité du papier, ou la taille des pions en bois. Tout ce qui est main-d’œuvre coûte évidemment cher : on n’imagine pas la différence que peut faire le fait d’avoir des crayons taillés ou non dans la boîte ! Le liner, c’est-à-dire avoir le fond de la boîte imprimé, a aussi un coût. Ce sont des options que je propose à mes éditeurs, mais en général, nous faisons le maximum pour garder ces détails qui font plaisir, comme une cale et un fond de boîte joliment illustrés. Enfin, chaque type de jeu a ses avantages ou contraintes techniques, sur un jeu où les cartes se manipulent beaucoup, pas le choix, je dois prendre un papier dont les fibres particulières lui donnent sa flexibilité et sa durabilité dans le temps. Pour un jeu où les cartes sont plutôt posées et utilisées en tant qu’information, on peut se permettre un papier plus commun. Une autre chose très efficace pour réduire les coûts est d’uniformiser les formats. Si un élément de jeu a un format nouveau, par exemple un punchboard dragon, il faut créer l’outil. C’est un frais fixe et non négligeable. On peut chercher dans des choses qui ont déjà été faites : parfois, l’éditeur voudrait des jetons plus grands que d’habitude, qui sont plus agréables à manipuler par exemple, mais en les laissant à une taille qui a déjà existé par le passé on peut gagner entre 1 000 et 1 500 $.
PLATO Quand on regarde un jeu composé uniquement de cartes, comme Pass Pass qui arrive prochainement, on peut avoir l’impression que c’est simple à fabriquer. JD C’est simple quand on a l’expérience ! Il y a d’abord la qualité des cartes, qui doit résister à de nombreuses manipulations. L’autre petit défi, c’est la cale, qui doit être adaptée au format de la boîte, mais aussi à la taille des cartes [la cale en carton dans la boîte de Pass Pass est asymétrique, accueillant d’un côté les cartes et de l’autre le bloc de score, NDLR] Mais l’avantage de ces boîtes « 100 % papier », c’est qu’on peut interroger les fournisseurs européens, voire français. Ce n’est pas le cas pour Pass Pass , car la production concernait tellement de clients internationaux que ça n’aurait pas eu de sens. Mais on l’a fait pour Le Poing sur la table , par exemple. Les fournisseurs en Europe font toujours du sourcing pour les pièces en bois et plastique, cela coûte trop cher, mais pour ce genre de jeux, ça fonctionne.
PLATO Où en est la crise des matériaux ?
JD Ça va beaucoup mieux ! En Chine, le papier et le carton n’ont pas été trop impactés. Certains imprimeurs avaient stocké beaucoup, et la crise n’a pas été la même
Les imprimeurs envoient des condensés de prototypes pour nous montrer leur savoir-faire.
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les formats, vérifier le poids… On commence à visualiser ce à quoi le jeu ressemblera.
Ici, le défi était de faire une cale bien rangée ! »
qu’en Occident. Par contre, le métal pour les plaques est miné en Europe de l’Est : la guerre a eu des conséquences internationales sur ces éléments. Dans ce genre de cas, cela rallonge généralement les délais.
La plus grosse crise que j’ai traversée avec la Chine c’est celle du transport : tous les étés il y a un moment où les jeux sont bloqués au port, car il y a trop de transport en attente pour les bateaux qui transitent dans le monde, et on ne peut rien faire, même si le jeu est très attendu. Les retards sont beaucoup dus à ça, mais parfois aussi à des difficultés de production. Le monde du jeu est assez flexible sur les dates de sortie, sauf quand il faut que les boîtes soient là pour un festival : actuellement, je prépare la GenCon aux États-Unis ; certaines livraisons sont ric-rac et c’est à moi de tout mettre en œuvre pour que ça passe. Il ne faut pas se louper d’un millimètre. Les festivals sont primordiaux pour nous !
PLATO Comment se passent les vérifications ?
JD Je n’imprime rien sans être sûre du résultat ! Je vérifie d’abord les fichiers envoyés par les éditeurs, ce qu’on appelle le prépresse. Il faut s’assurer qu’ils sont imprimables correctement, mais aussi les mentions légales, les logos de sécurité en fonction des différents territoires, avant d’envoyer à l’imprimeur. Puis l’imprimeur renvoie ce qu’on appelle les traceurs, mot qui vient d’une machine que l’on n’utilise plus en Chine. On imprime maintenant en numérique, mais cela permet de voir que rien n’a été mélangé, que les réglages n’ont pas été modifiés. Ensuite, il y a des « pre-production samples », une sortie en impression numérique ; ce n’est pas le mode d’impression final, mais c’est par contre le vrai papier que l’on a commandé. Ce sont souvent ces exemplaires qui servent de démonstration en salon. On peut vérifier le poids, la maniabilité, l’épaisseur des paquets, les couleurs… Si tout ça est OK, on lance la production, et avant l’assemblage, l’imprimeur envoie une dizaine de copies montées à la main, pour une dernière vérification. À ce stade, si on se rend compte qu’il y a écrit quelque chose qui va faire polémique, ou une énorme faute d’orthographe qu’on ne peut pas laisser, on peut encore rattraper, mais si l’erreur vient de nous, il faut repayer une impression. Enfin, je donne mon « OK to ship » ; l’imprimeur finalise l’assemblage et commence le processus d’envoi.
PLATO Quid de la mention « 14 ans et + » et des tests attenants ?
JD Ce sont les normes européennes sur le jouet, et effectivement si on dit que le jeu est accessible en dessous de quatorze ans, chaque matériau doit être soumis à des tests pour prouver qu’il est adapté pour tout type de manipulations. Mais cela a un coût conséquent. Certains éditeurs veulent éviter cela ; il faut quand même prouver derrière que l’entreprise avec laquelle tu travailles utilise des matériaux corrects, il n’y a pas
d’uranium dans les jeux 14+ ! Mais chez Hachette, de toute façon, on est très tatillons là-dessus et si le jeu est fait pour une clientèle familiale, on l’indique et on fait les tests. Quand ils sont destinés aux adultes, comme ceux de chez SWAF par exemple, on ne teste pas spécifiquement chaque matériau. Une fois par an, les imprimeurs prouvent que leurs matériaux sont bien certifiés.
PLATO Du côté des localisations, qui gère la fabrication ?
JD C’est encore nous ! Ce sont des co-éditions en général, on vend l’idée du jeu, mais aussi le service de fabrication. Tous les éditeurs n’ont pas le poids de Hachette Livre pour négocier au niveau monde. Si, en plus, on imprime en même temps pour plusieurs pays, on y gagne. Les éditeurs me remettent leurs fichiers traduits et je m’occupe du reste.
PLATO Un mot de la fin sur ton métier ?
JD Ce qui est amusant, c’est l’écart qui peut exister entre les différentes parties de ma journée. Je teste un jeu chez les éditeurs, puis je retourne à mon bureau et je parle de sécurité chimique ! J’ai aussi le plaisir de travailler avec plein d’éditeurs étrangers, ce qui parfois soulève des questions délirantes sur la traduction, quand quelque chose n’a pas été compris… Et on a parfois des situations incroyables : avec Hiboutatillus, je travaille sur Blanc Manger Coco Dernièrement, le rapport de test de l’imprimeur avait un gros plan sur une carte sur la première page. C’est un document qui va passer dans toutes les douanes d’Europe, qui va être envoyé à mon directeur général, pour prouver que le jeu est chimiquement correct… Et je t’épargne le niveau de vulgarité de ce qui y est reproduit ! Tout ça fait de chouettes décalages.
Des feuille d’impression, appelées aussi digital sample , pour montrer la qualité d’impression pour vérification. Ici, des cartes de Northgard . Ces rouleaux de papier font en général 120x170cm.
« La maquette en blanc de Galileo : c’est le 1er prototype physique du jeu qui nous aide à concevoir la cale,
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AUTEUR
COMMENT NOYER LE POISSON
Rob Piesse
ILLUSTRATEUR
Robin Sowden García
ÉDITEUR 2022
Gigamic
GENRE
Rôles cachés & connaissances
PUBLIC
Tout public dès 10 ans
DURÉE MOYENNE
30 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 4 à 10
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Oui
LIEU DE FABRICATION
Chine
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Un joueur pioche une carte sur laquelle se trouve une question qu’il lit à tout le monde. Sur l’autre face, qu’il ne voit pas, se trouve la réponse. Les autres participants ont reçu au préalable un jeton poisson qui leur octroie un rôle caché. Après quelques secondes, tout le monde fait une proposition. Celui qui a le poisson bleu doit impérativement donner la bonne, les autres doivent en inventer une. Celui qui a lu cherche alors à dénicher les mauvaises et peut s’arrêter quand il veut, car s’il révèle la bonne réponse avant la fin il ne marque rien ; les joueurs non révélés, par contre, gagnent des points, Après plusieurs manches, on comptabilise les points. Le titre reprend le système assez connu du Jeu du dictionnaire , dans lequel un joueur propose un mot, plutôt peu connu, écrit la définition sur un papier pendant que les autres en inventent une. On mélange les réponses, et on tente de trouver celle qui est correcte. Ce système avait déjà été adapté par
FISH & CHEAT DRONES VS GOÉLANDS
AIRFORCE
AUTEURS
Delphine Robert & Léo Blandin
ILLUSTRATEUR
Romain Lubière
ÉDITEUR 2022
Oui par Xavier Berry par Rémy Chouffot
Chèvre Edition
GENRE
Confrontation
PUBLIC
Tout public dès 14 ans
DURÉE MOYENNE
15 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
2
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Non
LIEU DE FABRICATION
France
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
Il est parfois difficile d’attirer l’attention sur un jeu abstrait. Drones et Goélands use d’une thématique qui interpelle, opposant d’agressifs engins volants aux pas si pacifiques oiseaux des bords de mer pour le contrôle du littoral. Au centre de la table, sept jetons en acrylique représentent les avant-postes à conquérir, aux côtés marqués par chaque camp. Armés d’une même main de cartes, possédant des valeurs de 1 à 5, les duellistes aériens cherchent à prendre possession de tous les jetons pour gagner, par un jeu de majorité. À la simplicité des actions – jouer une carte de sa main –s’oppose la multiplicité des effets engendrés par le basculement de contrôle d’un avant-poste. Ceux-ci possèdent tous un pouvoir unique, influant sur les cartes déjà en jeu, provoquant des changements de contrôle en cascade. La maîtrise des combinaisons et du timing des prises de jetons sont primordiaux pour atteindre l’objectif qui demande beaucoup de
Hervé Marly avec Fictionnaire . On a ici un nouveau jeu d’ambiance aux mécaniques assez classiques : des rôles cachés, des questions de géographie, d’histoire, de vocabulaire, de culture générale, etc. Ce classicisme est tout d’abord relevé par un très beau travail éditorial. À l’ouverture de la boîte, des « ouah » d’admiration face aux jetons poissons et marqueurs de points s’élèvent. Tout scintille, tout est brillant. De plus, la qualité insolite des questions, un peu comme dans Snakesss , lui permet d’offrir de très bons moments. S’il est souvent difficile de déceler les mauvaises réponses, il est parfois aussi compliqué de trouver rapidement une fausse proposition, voire de donner la bonne sur un ton suffisamment nonchalant pour ne pas se faire repérer.
préparation en amont et de calculs face aux réactions adverses. La réflexion est exigeante et demande une bonne dose de concentration pour envisager toutes les possibilités menant à des situations courantes d’analysis-paralysis. Perdre volontairement ici, placer astucieusement une carte là, pour qu’enfin ce pouvoir puisse être utilisé au meilleur moment. Il en ressort une satisfaction décuplée lorsqu’un plan fonctionne, pour un jeu beaucoup plus profond que son thème ! Enfin, la rejouabilité est assurée, via les douze jetons différents dont la distribution et la disposition varient, maintenant un intérêt certain pour de futures parties.
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QUAND JE SERAI GRAND, JE SERAI LUDOTHÉCAIRE
RENCONTRE AVEC DEUX ORGANISMES DE FORMATION RENCONTRE
Yannick Hernandez, responsable pédagogique à l’Université BordeauxMontaigne, et Cédric Gueyraud, directeur du centre de formation FM2, sont responsables de formations à la médiation par le jeu.
ALF Tout d’abord, pouvez-vous nous présenter les parcours que vous proposez ?
CÉDRIC GUEYRAUD
Le centre national de Formation aux métiers du jeu et du jouet (FM2J) propose une large gamme de formations à destination de tous les professionnels utilisant le jeu dans leurs pratiques. Ce sont des cursus plus ou moins longs dont certains peuvent être certifiants. La formation de ludothécaire est la plus complète. Certifiée au RNCP (Registre national des certifications professionnelles), la formation de ludothécaire est un diplôme de niveau 5. De fait, un diplôme de niveau 4 (Bac ou équivalent, éventuellement VAE) est nécessaire pour candidater ainsi qu’une connaissance des métiers du jeu et du jouet. La formation se déroule sur 9 mois à raison d’une semaine par mois d’avril à février. À ces contenus théoriques dispensés en présentiel, s’ajoute un stage pratique de 280 heures dans un lieu de jeu. Il est également possible de suivre et valider un ou plusieurs blocs de compétences, et d’acquérir la certification sur plusieurs années.
YANNICK HERNANDEZ Nous proposons deux formations différentes, qui correspondent aux métiers de l’animation sociale, socio-éducative et socioculturelle. La licence professionnelle Médiation par le jeu et gestion de ludothèques (LPMJGL), qui se déroule sur un rythme d’alternance entre des enseignements théoriques et techniques d’une durée de 450 h, des projets tutorés d’une durée de 150 h, soit 17 semaines de regroupement et seize semaines de stages conventionnés au sein de ludothèques associatives ou relevant de collectivités gestionnaires, délivre une Licence. On peut donc y accéder avec un niveau Bac+2 ou une VAP (validation des acquis professionnels). Le Diplôme universitaire gestion et animation de ludothèques (DUGAL) est organisé sur deux semestres, et fondé sur 350 heures d’enseignements en présentiel et dix semaines de stage. La formation se déroule sur dix mois à raison de dix semaines de regroupement en alternance. L’intégrer demande le Bac ou diplôme européen équivalent ou un accès par VAP ; il n’est accessible qu’en formation continue. Lors des semaines de regroupement, le vendredi après-midi est libre et une soirée jeu se tient une fois par semaine un autre jour ; elle est une composante à part entière du cursus.
ALF Combien d’étudiants formez-vous chaque année ? Est-ce que vous êtes amenés à refuser des demandes ? Si oui, sur quels critères ? CG Nous acceptons 24 dossiers par an. Nous avons en moyenne 3 fois plus de demandes que de places. Les dossiers refusés manquent souvent
Yannick Hernandez
Cédric Gueyraud
Propos recueillis par Antonin Mérieux
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d’expérience dans le domaine du jeu ou du jouet et/ou ne présentent pas un projet professionnel suffisamment mature.
YH Les effectifs des promotions sont assez variables chaque année, mais on pourrait dire entre 15 et 20 étudiants. Depuis deux ans (après la pandémie) nous avons augmenté le nombre d’étudiant(e)s et le nombre d’apprenti(e)s. Le refus des demandes s’explique la plupart des cas par des profils sans le niveau d’études prérequis et par l’absence d’expérience (professionnelle ou bénévole) dans le monde du jeu, des ludothèques ou de l’animation plus largement.
ALF Quels sont les profils des personnes qui viennent suivre ces formations ?
CG Les profils des personnes sont variés, il peut s’agir de personnes travaillant déjà en ludothèque et souhaitant professionnaliser davantage leurs pratiques, de personnes utilisant déjà le jeu dans leur métier, mais souhaitant se spécialiser davantage (professionnels de l’animation, de l’éducation de la santé…) ou de personnes n’ayant jamais utilisé le jeu dans leur métier, mais souhaitant se reconvertir. Parmi ces profils, nous avons de plus en plus de porteurs de projets (création d’un lieu de jeux, proposition de prestation de service…)
YH Ce sont des professionnel(le)s en poste, notamment dans le secteur de l’animation, du social ou de l’éducation, qui cherchent à monter en compétences dans le domaine du jeu. Nous recevons aussi des candidats en reconversion professionnelle avec des profils très variés. Puis des futurs apprenti(e)s parfois, donc plus jeunes avec peu ou aucune expérience au moment de commencer la formation, mais une montée en compétences rapide avec l’alternance en structure. Le point commun, malgré des profils extrêmement variés, c’est la passion pour le jeu, d’où la richesse de nos deux formations !
ALF Pouvez-vous nous donner quelques exemples de contenus abordés dans les formations ?
CG Les contenus se déclinent autour de 3 blocs de compétences :
♦ Conception et animation des temps de jeu auprès de tous les publics (sélection des jeux et des jouets adaptés aux compétences et intérêts des publics, organisation et agencement des espaces de jeu, accueil du public dans les espaces de jeu, conception d’animations ludiques auprès de tous publics) ;
♦ Gestion d’un fonds de jeux et de jouets (classement et classification d’un fonds de jeux et jouets, activités de ludothéconomie) ;
♦ Création et gestion d’un lieu de jeu (élaboration d’un projet éducatif et/ou culturel d’un lieu de jeu, gestion administrative et financière d’un lieu de jeu, gestion des ressources humaines).
YH La plaquette est disponible sur le site de l’IUT Bordeaux-Montaigne. On y trouve des items comme Identité et typologie des ludothèques, Jeux et joueurs, Transmission de la règle et situation de jouer, mais aussi Gestion d’une ludothèque, Comptabilité, Aménagement des espaces…
ALF Quels sont les enjeux et les évolutions sur lesquels vous souhaitez mettre l’accent ?
CG Les contenus évoluent régulièrement en parallèle de l’évolution du monde du jeu. Par exemple, depuis quelques années, nous accordons une plus large place aux jeux immersifs. Nous essayons également de montrer comment l’expertise du ludothécaire peut s’exercer dans d’autres espaces que celui de la ludothèque (bars à jeux, médiathèques, ludopédagogie, ludothérapie, etc.)
YH Le plus prégnant, c’est sans doute la diminution de contenus spécifiquement liés à la « transmission de la règle », qui étaient auparavant dominants, pour une ouverture vers des contenus orientés sur les situations de jouer variés et sur la ludothèque comme espace de médiation.
ALF Y a-t-il des attendus ou des idées préconçues des participants que vous êtes amenés à déconstruire au cours de la formation ?
CG Oui bien sûr, chaque participant déconstruit un peu de sa pratique et ses idées préconçues en venant se former chez nous. Certains y découvriront que, contrairement à certaines idées reçues, il n’est pas nécessaire de détourner l’essence du jeu pour le rendre culturel, social, éducatif, voire thérapeutique. D’autres se rendront compte de l’intérêt d’une posture moins interventionniste, d’autres enfin réaliseront que les jouets ne sont pas que des objets pour les enfants !
YH Avec le public tellement varié, on ne peut pas généraliser, mais ce qui fait l’unanimité à la fin de la formation, c’est un bouleversement professionnel avant leur montée en compétences durable, conséquence de la déconstruction de leurs propres croyances, pratiques et imaginaires.
59 Plato magazine n°156 juin 2023
La promotion 2022/2023 au FM2J
TEEN TITANS GO MAYHEM
LE CHOC DES TITANS
AUTEUR
Alexio Schneeberger
ILLUSTRATEURS
Warner Bros & Giovanna Guimaraes
ÉDITEUR 2021
CMON
GENRE
Affrontement
PUBLIC
Tout public dès 10 ans
DURÉE MOYENNE
30 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 2 à 4
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Oui
LIEU DE FABRICATION
Chine
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
Après avoir installé le terrain d’affrontement, des hexagones représentant les bases de départ et différents lieux, et avoir choisi deux héros parmi Robin, Cyborg, Raven ou Starfire, le combat peut démarrer. On lance le dé de chaos qui détermine, pour tous, les dégâts pris en cas de combat ce tour, puis chacun ses deux dés Activation. Les deux joueurs piochent ensuite une carte Go, le cœur du jeu. Elles déclenchent un effet au tirage, mais surtout proposent une mission : assommer un adversaire, livrer un cadeau, une pizza, etc. Une fois réalisées, elles donnent des points de victoire. On active alors les personnages l’un après l’autre et en alternance : d’abord un mouvement obligatoire, puis on attribue un dé d’activation à l’une des actions propres à chaque
personnage, comme taper à distance, au corps à corps, prendre une armure, enflammer un ennemi, etc. Dès qu’un joueur atteint cinq points de victoire ou réussit à assommer ses deux adversaires dans le même tour, la partie est gagnée. Le matériel est très agréable, en particulier les figurines ; le jeu est rapide, décalé comme la série animée, avec des retournements de situation possibles grâce aux quelques cartes Chaos tirées en début de partie qui peuvent modifier rapidement certaines situations. Les personnages n’ont pas les mêmes pouvoirs ce qui permet, selon la paire choisie, de réaliser des stratégies assez différentes. Deux est la meilleure configuration : à quatre, on contrôle un personnage chacun. Le système Mayhem s’inscrit dans la lignée des Unmatched ou Dice Thrones avec l’idée de pouvoir faire s’affronter des personnages très variés. Une seconde boîte Looney Tunes Mayhem doit en effet amener Titi, Grosminet, Bip Bip et Coyote. Une bonne surprise.
D&D: PIERRE PAPIER MAGICIEN
AUTEURS
J. Cappel , S.-F. Lim & J. Cormier
ILLUSTRATEURS
J. Cappel, R. Barger, Calader, R. Gallegos, T. Jacobson & J. Stanko
ÉDITEUR 2022
Wizkids
GENRE
Tir à la corde
PUBLIC
Tout public dès 14 ans
DURÉE MOYENNE
30 minutes
NOMBRE DE JOUEURS
De 3 à 6
TEXTE SUR LE MATÉRIEL
Oui
LIEU DE FABRICATION
Chine
JEU FOURNI PAR L’ÉDITEUR
Oui
CHAOTIQUE NEUTRE par Xavier Berry par Rémy Chouffot
Le dragon vaincu, il ne reste plus aux aventuriers-magiciens qu’à se partager le trésor. Qui obtiendra la plus grosse part du butin ? Placés au centre d’un plateau linéaire, les joueurs tentent chaque tour d’être aux deux premières places pour récolter quelques pièces d’or ; le premier en totalisant 25 gagne la partie. à la manière d’un Cash & Guns , les magiciens (ou sorcier, la règle ne se décide pas et se permet même de changer le nom du titre) ciblent simultanément un adversaire pour lui faire subir les effets d’un des quatre sorts disponibles pour le tour, en reproduisant la forme de main illustrée sur leurs cartes. Les effets avancent
ou reculent les pions des joueurs ou provoquent des échanges de pièces d’or, l’or ne faisant que s’accumuler au fil des manches. Un sursaut de magie sauvage peut également survenir si deux joueurs se ciblent mutuellement avec le même sort, modifiant son effet par le premier de la pioche. Reprenant les sorts mythiques issus du jeu de rôle ancestral, la référence s’arrête ici, car la pratique est tout sauf contrôlable. D’une part, l’ordre de résolution des sorts influe beaucoup sur le résultat final obtenu, invalidant, voire aggravant, une situation mûrement réfléchie. Et d’autre part, les sursauts apparaissent trop souvent pour maîtriser quoi que ce soit, et ce même si les joueurs s’allient ouvertement contre un adversaire. Il en résulte un jeu chaotique, qui plaira en fin de soirée ou entre joueurs taquins, mais manque le coche d’un titre de référence pour les aficionados du jeu de rôle papier.
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SPLENDOR : TOUJOURS DANS LA COURSE À
LA CARTE
ANALYSE DES CARTES À VERTUS STRATÉGIQUES
par Bruno de Grimoüard
Nommé au Spiel des Jahres 2014 et à l’As d’Or 2015, Splendor est aussi un des succès commerciaux les plus remarqués du secteur avec plus d’un million de boîtes vendues. Pourquoi, à l’aube de ses dix ans, rédiger un guide stratégique ? Parce qu’après tout ce temps, certains n’y ont toujours pas gagné, ou trop peu ! Et parce que ce joyau ludique mérite bien d’être découvert (si ce n’est pas encore fait) ou redécouvert en mettant en lumière ses multiples facettes.
JOAILLERIE
De la lecture des règles, il faut constamment garder en tête les conditions de fin de partie et celle de victoire (voir encadré) : Splendor est avant tout une course aux points. Cela détermine la manière d’y jouer, les stratégies à adopter. Il faut savoir prendre le meilleur départ, gérer son avance ou rattraper son retard, surprendre en accélérant au bon moment et, pourquoi pas, doubler sur le fil pour l’emporter. Or, tout dans Splendor donne l’impression, notamment aux joueurs débutants, qu’il faut d’abord accumuler suffisamment de cartes pour aller rafler les points de victoire sans dépendre des jetons, montée en puissance gratifiante, mais qui fait perdre de vue le but initial. En neuf ans d’existence, Splendor a eu le temps d’être statistiquement disséqué, que ce soit lors des parties en physique ou sur Spendee, une version numérique hongkongaise apparue dès 2016, sur l’appli mobile, puis sur Steam et BGA. Il en ressort que la majorité des parties se gagnent en 24 à 28 tours, fourchette que l’on peut élargir à 21-31 tours (source : BGG) avec un nombre de 11 cartes achetées en moyenne à deux ou trois joueurs, moyenne qui monte à 12 cartes pour une configuration à quatre adversaires.
GEMMOLOGIE
Parce qu’elles sont à la fois la source principale de points et les moyens d’en acquérir, les cartes Développement font l’objet de toutes les convoitises, et méritent bien une étude détaillée de leur anatomie. En bas à gauche se trouve le coût de la carte : de trois à quatorze jetons d’une ou plusieurs couleurs. Au-dessus s’affichent les points, jusqu’à cinq, mais
parfois aucun. Le bandeau supérieur affiche une couleur, celle de la pierre précieuse visible dans le coin supérieur droit et qui équivaut à un jeton permanent. Toutes les cartes en ont une parmi les cinq couleurs/pierres disponibles : blanc/diamant, noir/ onyx, rouge/rubis, bleu/saphir et vert/émeraude.
Elles se répartissent en 3 familles. Le tiers 1 est le plus étoffé avec 40 cartes, 8 par couleur, qui coûtent entre 3 et 5 jetons et ne rapportent aucun point sauf une, de valeur 1. Le tiers 2 ne comprend que 30 cartes, 6 par couleur, qui coûtent entre 5 et 8 jetons pour apporter entre 1 et 3 points de victoire. Le tiers 3 se compose de 20 cartes, 4 par couleur, qui appellent entre 7 et 14 jetons à l’achat pour rapporter entre 3 et 5 points de victoire. Elles forment une grille au centre de la table qui propose douze cartes, quatre par famille, plus une pioche face cachée pour chacune d’elles qui viendra compléter les lignes après un achat.
CHATOIEMENTS
Onze à douze cartes jouées, c’est peu ! Comment choisir les plus pertinentes ? En s’intéressant aux cartes qui rapportent des points et à leurs coûts, car certaines sont moins chères pour le même gain. On peut les acquérir plus rapidement que les autres pour prendre les adversaires de vitesse et avancer au score. Celles qui ont le meilleur ratio ressources/points (dans le tiers 2 et 3) demandent des ressources identiques. Pour chaque couleur, au tiers 2 comme au tiers 3, seule la moitié des cartes sont vraiment rentables, affichant un ratio
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avoisinant un point pour deux ressources, voire moins. Les autres sont exorbitantes sauf si on a construit son tableau personnel en conséquence. Pari osé ! Dans tous les cas, une fois repérées, il s’agit d’établir un enchaînement d’acquisitions possible pour aller chercher ces cartes ciblées avant les autres en bénéficiant des ressources permanentes qu’elles octroient.
LA DISPERSION DE LA LUMIÈRE
Il faut aussi tenir compte des couleurs demandées à l’achat. Avec l’usage, on distingue deux groupes de couleurs qui fonctionnent ensemble :
♦ La triplette noir/rouge/blanc est connue pour sa synergie. Achetées dans le bon ordre, ces cartes favorisent une réduction pour l’obtention des autres. Plus généralement, ces couleurs nécessitent les deux autres dans leurs prérequis d’achat.
♦ Le couple bleu/vert auquel s’ajoute le blanc fonctionne un peu différemment : ces cartes appellent plus souvent leur propre couleur, à l’exemple de la même carte tiers 2 de valeur 2 PV qui, en bleu, demande cinq ressources bleues et en vert, cinq ressources vertes. Il est plus facile de monter un moteur puissant dans ces couleurs puisqu’elles s’alimentent elles-mêmes.
On remarque la présence du blanc dans les deux « triades », ce qui en fait une couleur neutre et une ressource assez demandée, utile dans les deux cas.
Les cartes de tiers 2 noir, rouge et blanc se répondent entre couleur d’achat et couleur obtenue.
AU CAS OÙ
Pour celles et ceux qui découvrent à travers ce papier ce qu’est Splendor, voici un bref aperçu des règles.
À son tour, un joueur peut au choix :
♦ soit prendre trois jetons de couleurs différentes ou deux identiques d’une pile quasi pleine ;
♦ soit acheter une carte s’il dispose des ressources requises, en jetons ou ressources permanentes offertes par les cartes de son tableau ;
♦ soit réserver une carte et gagner un jeton Or.
À la fin de son tour, si le tableau du joueur correspond aux prérequis d’une tuile Noble, il récupère celle-ci automatiquement. Un joueur déclenche la fin de la partie quand il atteint un score de quinze points, mais le vainqueur est bien celui qui a le plus grand score quand le tour de jeu se termine.
MÉCÉNAT
Un premier réflexe peut être de se tourner vers les nobles. Ces tuiles valent trois points de victoire chacune et s’acquièrent dès que l’on a les cartes demandées dans son tableau. Si cela est en phase avec le thème du jeu, cette tactique s’avère en fait assez lente, puisqu’elle demande d’acquérir huit ou neuf cartes pour trois points. Elle reste un atout si les adversaires consolident leurs moteurs de ressources et si plusieurs nobles appellent les mêmes couleurs. à deux et trois joueurs, ils ne permettent pas d’assurer une avance confortable au score. à quatre joueurs, cette stratégie est rapidement inutile si plusieurs adversaires se font concurrence. D’évidence, les points des nobles sont à intégrer dans une autre stratégie qu’ils viennent compléter si l’opportunité se présente. En cela, ils influencent la valeur des cartes disponibles à l’achat et les couleurs à acquérir en priorité.
LA COURONNE & LA CULASSE
Deux stratégies se dessinent alors : la première consiste à cibler essentiellement des cartes du tiers 2, valant deux ou trois points et appelant cinq à huit ressources variées en couleurs. Ces cartes deviennent plus accessibles dès le milieu de partie tandis qu’au début, il convient de bien gérer les dix jetons que l’on peut accumuler. La seconde, plus verticale, consiste à s’appuyer sur les groupes de couleurs et leurs synergies pour cibler dès que possible des cartes du tiers 3. à ce jeu-là, le chaînage des cartes est déterminant pour prioriser les acquisitions de cartes à points et réduire le coût des achats suivants. C’est ainsi que la construction de son tableau personnel sert à avancer au score !
En cas de grille d’achat homogène, sans carte véritablement prioritaire à cibler, il vaut mieux s’armer de flexibilité en prenant des jetons des cinq couleurs et se constituer un tapis de cartes du tiers 1 avec celles qui demandent le moins de ressources ou qui offrent un point. C’est déjà cela de pris. On peut aussi aller chasser un noble, de préférence n’appelant que deux couleurs en quatre exemplaires chacune et qui s’alimentent en réduction. La grille va de
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toute façon se renouveler. En attendant, cela permet de ne pas se laisser distancer, voire de mettre la pression sur les concurrents si on parvient à prendre un peu d’avance.
L’INTERFÉRENCE SUR COUCHES MINCES
Le revers de la médaille de ces stratégies est qu’elles peuvent être rapidement identifiées et contrées. Car à qualité stratégique égale, il convient de savoir ralentir ses adversaires. En début de partie, on peut essayer de raréfier des jetons nécessaires à l’achat des cartes un peu chères. Cela fonctionne un temps, mais attention à ne pas se limiter soi-même. Le mieux est encore d’enlever la carte ciblée. C’est là où la réservation de cartes joue un rôle important. D’apparence, c’est une action risquée qui fait perdre un tour. Elle n’est pleinement intéressante que si l’on peut récupérer, en contrepartie, un des cinq jetons Or qui ont valeur de joker. Si l’on ne peut accumuler que trois cartes réservées, il n’y a pas de limite au nombre de jetons Or que l’on peut garder (et raréfier sournoisement ainsi !). Cela offre une plus grande flexibilité d’achat. Venir réserver deux à trois cartes ciblées pour leurs points et leur chaînage de réduction d’achat devient doublement intéressant. On voit régulièrement des joueurs commencer par réserver une carte du tiers 3 qui leur sert d’objectif prioritaire dans le développement de leur jeu. Comme les cartes réservées le sont face cachée, il n’est pas aisé de se souvenir de ce que se sont approprié les adversaires et d’en déduire leurs mouvements. La réservation prend tout son sens quand elle est faite au bon moment : quand on a identifié une carte conjointement convoitée et pour laquelle l’adversaire a accumulé une combinaison de jetons ou de cartes rendue inutile par la soustraction du carton ciblé.
RIEN NE SERT DE COURIR, IL FAUT PARTIR À POINT
Il faut savoir entendre les bons adages et les premiers tours sont essentiels. Un bon départ consiste à pouvoir acheter deux cartes dans les quatre premiers tours, la seconde bénéficiant de la réduction de la première. Si la gestion des jetons s’avère capitale au début, elle l’est tout autant en cours de partie, en appui du moteur de ressources constitué afin d’aller chercher les cartes qui valent des points. La prise de trois jetons de couleurs différentes est à privilégier la plupart du temps. Une autre astuce est de réserver quand on peut poser une carte au tour suivant, toujours dans l’optique de ne pas perdre de temps. La réservation d’une carte tiers 3 ciblée comme premier mouvement de la partie est, bien sûr, une des exceptions logiques.
En deux tours de prise de ressources, on peut avoir de quoi acheter la carte de gauche plus deux jetons noirs, ce qui constitue déjà rapidement la moitié du coût de la carte de droite.
TOUTES LES FACETTES
Pour bien agir, une analyse de la situation est nécessaire à chaque tour, en fonction du nombre d’adversaires et de sa position dans le tour de table.
Il y a plusieurs questions à se poser : quelle carte cibler et quel est son prix, sa rentabilité ? Qui peut me gêner dans mon achat ou me devancer grâce à ses ressources ? De quelles options je dispose, en dehors d’une réservation ? Quelle stratégie poursuivre et quelles sont celles qu’affichent mes adversaires ? Car à trois et quatre joueurs particulièrement, il est peut-être préférable de laisser les autres se concurrencer sur la même voie de développement pour en mener une autre avec moins de risque de blocage.
Il faut garder un œil sur la présence des couleurs, celles des cartes à acheter et des ressources qu’elles nécessitent. Quelle est la couleur la plus demandée par la grille ? Ces jetons seront les plus convoités et/ ou peuvent venir à manquer. Tout cela est utile pour repérer les chaînages possibles en vue d’économiser des ressources et planifier ses achats, peut-être en utilisant les synergies des triades évoquées plus haut
Avec l’expérience, on se rend compte à quel point Splendor est interactif (bien plus qu’il n’y paraît de prime abord), stratégique, calculatoire, sans jamais tomber dans l’analysis paralysis. Tout y est question de tempo, d’opportunisme aussi. Chaque tour demande de s’adapter à ce qu’offre la grille et à l’avancée des adversaires, soit en les devançant, soit en les ralentissant. L’essentiel est de trouver la voie la plus rapide vers le succès.
SPLENDOR MARVEL LA VERSION MULTIVERSE
Splendor Marvel se distingue par ses conditions de victoire. On ne met fin à la partie que si l’on dispose d’au moins une carte de chacune des cinq couleurs, de minimum seize points de victoire et d’une gemme supplémentaire que l’on n’obtient qu’avec les cartes du tiers 3. Ce faisant, Splendor Marvel limite la stratégie du tiers 2 au profit d’une voie plus verticale. On retrouve ici plusieurs idées issues des Cités de Splendor. En parant cette version des couleurs des pierres de l’infini, Marc André et les Space Cowboys ont veillé à changer aussi les algorithmes des cartes. Leurs coûts sont aussi modifiés par l’ajout, sur certaines, d’un ou deux symboles Avengers, qui servent à viser la tuile Avengers Rassemblement pour trois points. Cependant, les principes d’analyse des ratio coût/valeur, de la grille des cartes à l’achat, du chaînage en vue de réduire les coûts et l’interaction demeurent. En tout cas, que ce soit à Splendor ou à Splendor Marvel , gagner la course ne se fait pas d’un simple claquement de doigts.
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