avec : Peter Hart, Yve Bressande, Ananda Brizzi, Camille Bresch, Diogo Maia, Patrice Malta verne, Alshaad Kara, Romain Lossec, Clément Minosze, Jacques Cauda, Rita Omaya, Nicole Chayne / Salini, Jean-Paul Gavard-Perret, Na dine Travacca, Myriam Oh, Jacques Allemand, Fabien Maréchal, Véronique Zaborowski, Guillaume Méard, Jean-Claude Crespy, Hugo Fon taine. illustrations de : Jean-François Magre (cou verture et p. 26, 32), Jessica Escamez (p. 11), Florian Gadenne (p. 30-31, 56, 64-65), Jeanne Held (p. 18, 46), Marie Bonnin (p. 8-9, 22, 72), Emma Pavoni (p. 21, 50-51, 81), Camille Bresch (p. 82). région centrale #5 www.milagro-editions.com
BOUES ET LANTERNES ?
« ai-je soif du jour appétit de la nuit ?»
Un tapis de lichen comme une mer abîmes de bêtes imaginaires d’antennes crocs cuirasses pourvues une rage gonfle la mousse aux abysses d’humus un clairon l’insecte prend sa respiration alors tous sortent sur le tapis vert changent cette boue en enfer lupanar torture boucherie dans les bois nocturnes le grouillant parterre naît dévore mue et meurtrit.
Mille-pattes arachnides coléoptères en surface poignée d’heures vivre l’épuisant labeur à la Lune à travers les cieux pas un insecte ne vit vieux à l’heure du chien s’allume la voûte vers le profond se remettent en route. Cachés enterrés bien cassée la croûte mandibules armures et doutes :
Mousse Fabien Maréchal
que veut lumière pour briller si fort ? que dit Soleil ? est piège ou trésor ? quelle patte folle se risquera dehors ? Il n’est d’oasis que dans le désert il n’y a que vide autour de la Terre la tique veut sang gorgé l’araignée plaide danger la fourmi ne sait mort nul n’a raison ni n’a tort.
Suis-je de cette écume hôte au bouclier tremblant ? ai-je soif du jour appétit de la nuit ? veux-je tuer à mon tour ou faire mien ce qui luit ?
Pasaxe Diogo Maia
À l’Atlantique, ils confluent là-haut comme un Bosphore ardent. Ici : voici le Minho fleuve ! Pieds, les miens, les leurs, en train d’arriver au Pasaxe, le bateau en panne qui va vers… Et aussitôt j’ai vu Manuel et Javier en train de monter. En train de monter les nuages face à la chaleur du fleuve. Ils viennent de sortir du centre des maux, Manuel et Javier vont dolents, et sans leurs noms, montent haut.
Ils sont les argonautes du Minho fleuve. Là-haut, le mont de Trega avec ses pierres sur le castro posé.
Ils aperçoivent le Pasaxe.
Qu’est-ce qui se passe ? Que pensons-nous ? Qu’est-ce qui est loin ? Qu’est-ce qui se passe ?
Voici les questions avec lesquelles Javier d’Ourense et Manuel de Montalegre montent.
Chargés de leurs bagages, les argonautes de pasaxe disent :
« La Rumelifeneri n’existe pas !
Ô Javier, regarde là-bas le castro ! Quelle matinée si froide dans ce Pasaxe !
As-tu une maison, Javier ?
Et toi, es-tu une lande, Manuel ?
Veux-tu un café au lait ou un café solo ? »
Voici les questions longues qui séparent Feneri de Trega, qui séparent le Bosphore de Boiro : deux lieux opposés.
Javier et Manuel sortent du centre de tous les maux.
Ils me croisent et disent : « Bonjour môme ! Javier et Manuel commencent une vie nouvelle ! Incipit Trega !
Le début d’une trêve nouvelle dans un lieu sans maux.
« Nacrer lunaison du caniveau »
Je les vois Déchirer le rien, traverser le travers, voler de l’air à l’air, souffler le souffle restant.
Nicole Chayne / Salini
Je les observe Déshabiller peau de chagrin, poser seau sur la tête, nouer récipient à la taille, traquer ciel de nuages.
Je les regarde Secouer lanternes au mur, pour étoiler chemin d’averse. Courir mains libres, pour supplier vaisseau de pluie. Vagabonder pieds nus, pour sillonner terre maigre.
Je les imagine Recoudre frontières aux saisons,
pour secourir blés de l’aride, réconforter roses d’Atacama, ressusciter Cyprès de Tassili, déplier coton d’Égypte.
Je les devine Nacrer lunaison du caniveau, vouer fleurs aux abeilles, raisins aux vignes, vin aux vivants.
À présent, la pluie encre le sol, frissonne musique aux jardins. Maintenant la boue écrit la terre, livre du jaune aux citrons, du rouge aux oeillets, des joues aux baisers.
Je les suppose remercier les cieux.
Tabou ta boue // Ta boue tabou YVE BRESSANDE
Ta boue te colle à la peau / Ta boue tu la portes sur toi / Ta boue tu la portes en toi / Tu es ta boue / Tu n'as pas le choix / Ta boue est toi / Ta boue parfois elle déborde / Tu chies ta boue jours après jours / Ta boue elle te colle au cul / Ta boue elle te colle aux semelles / Ta boue trace ton chemin / Tu chemines et tu rends ta boue à la Terre-mère de toutes les boues // Mâleboue //
Je hais ta boue ; ta boue tu la laisses dehors ; tu enlèves tes pompes ; tu mets les patins ; tu vois pas que je viens de cirer le parquet ; tu me refais ça une fois t'es interdit de séjour ; je ne suis pas ta bouseuse // La rage // Tu es la boue / Tu es la boue rage & tes pas tuent rage / Tu BOUE de rage / Tu es interdit de ses jours / Ses jours sont comptés / Tu peins ses jours à la boue / Tu chasses ses jours de ton esprit / Tu à rebours de sa boue // Mots de l'âge immémorial //
Je hais ta boue ; quand tu en poses une tu pourrais tirer la chasse ; tu empuantis l'air ; tu es un marécage ; tu es un marigot ; tu es un mariboue ; tu me bouffes l'oxygène // Asphyxie // Paquet de boue / Tu y plonges tes mains / Tu la façonnes / Tu la formes à son image / Tu lui pétris la face / Tu lui refais le portrait / Tu la remodèles / Tu la transcendes / Tu en fais une Monabouse tabou // Éboulement // Je hais ta boue ; tu me prends pour un conne ; tu crois que je vais supporter ça encore longtemps ; je ne suis pas une serpillière ; je m'appartiens encore // Essorage // Tu vomis ta boue / Tu deviens maboule / Tu te liquéfies sous
l'orage / Tu te dessèches sous le soleil de midi / Tu ne te ressembles plus / Des cornes te poussent sur la tête une queue au bas des reins des sabots à la place de tes pieds / Ton sexe gonfle s'allonge se dresse se démesure // Excroissance //
Je hais ta boue ; je suis à bout ; au bout du rouleau : encore un jour comme ça et je me casse chez ma mère // Rupture //
Monument de boue / Tu es debout / Tu es dressé / Tu es totem / Tu es clocher / Tu es minaret / Tu es tour de Babel // Érection //
Je hais ta boue ; non mais tu t'es regardé dans une glace ; tu n'as plus rien d'humain ; tu devrais te faire soigner ; ne m'approche pas ou je hurle ; va rejoindre ton troupeau vieux bouc puant // Vapeurs //
Le feu te brûle / Le feu est en toi / Le feu est ton salut / Le feu est ton à venir / Le feu est ta vérité / Le feu est ton éternité / Le feu te cuit / Tu es lave incandescente // Nuées ardentes //
Je hais ta boue ; mais qu'est-ce que je vais pouvoir faire de ça ; que vont penser les voisins ; il est dur comme de la pierre ; chaud comme une braise ; il pèse une tonne ; et ce vit turgescent ; appelez les pompiers ; appelez la police ; appelez le mollacurabin // Piédestal // Tas de boue hier / Œuvre sacré aujourd'hui / Le monde t'admire / Tu es la beauté / Tout de boue cuite / Parfumé de cendre et de souffre / La fesse du bouc te renie / La foule t'acclame / Tu n'es à l'image d'aucun dieux / Tu es le tabou debout / Le tabou érigé / Tu es le veau d'or / Nul n'osera plus te malmener / dur à cuire mâle menée // Imputrescible // Idole de la nuit des temps // Tabou
Nuit dorée ALSHAAD KARA
Dans cette nuit dorée, Les lumières pacifiques du ciel illuminaient cette passerelle...
Je t'ai rejoint en trébuchant sur une luciole, Elle s'envola avec des boues et lumières, Faisant de cette nuit une guirlande d'étoiles...
Les lanternes brillaient comme des baguettes magiques, L'amour est illuminé de mille lucioles...
Cette nuit dorée s'attacha à mon cœur à jamais...
Prendre racine Nadine Travacca
Au bout du jour malgré la fatigue du corps l’envie encore d’une marche au hasard la traversée se fait côté jardin
Au-delà s’ouvre la campagne que je couvre de pas incertains
Il faut avancer à grand peine pour s’attacher l’invisible Chair mêlée à la terre mon souffle réveille la caverne au fond d’une crypte titube une lueur borgne
je troque le bleu de mes yeux contre la douceur de ton regard qui se pose sur moi je troque ma carapace les armes faites main au fil des combats mes blessures de guerre et ma peur de rien je troque ma force mon courage et ma persévérance contre un saut dans le vide sans élastique je troque ma chance les évidences tombées sur la route et le ciel en lequel je crois je troque ce qui m'anime ce qui m'éclaire ce qui me soigne
TROC MYRIAM OH
contre n'importe quoi qui creuse je troque la panoplie des versions de moi-même celles qui rentrent là où il faut rentrer celles qui débordent de tous les côtés je troque le visage que quelqu'un d'autre a caressé je troque tout ce qui n’accompagne pas inconditionnellement le mouvement de la vie.
La nuit sans fin PETER HART
Pas de représentation possible, tu ouvres les yeux et tu vois, l’obscurité n’est pas totale, tu n’es jamais perdu, c’est une il lusion, les points clignotants sont sur la rétine, sinon ils sont projetés dans l’espace, tu le fais toi-même, ainsi confon dant miraculeusement l’intérieur et l’exté rieur, sinon, c’est juste pas intéressant, tout gravite autour du trou noir au centre du cerveau, le tien, le mien, ça ne change rien, je ressens le sol sous tes pieds, la terre se déplace et tente d’avaler ta jambe, il y a une texture, il y en a toujours une, pas la peine de la signaler, tu te demandes si ça ressemble à du sable mouillé, tu réalises que tu n’a pas une bonne mémoire, au moins pas pour ces choses-là, disons que c’est du sable mouillé, c’est plus simple, mais n’en parlons pas, ça déprime, au moins, ça devrait te déprimer, personnellement, je ne veux pas regarder le paysage, je ne peux pas, je ne comprends pas, je ne pourrais pas comprendre, ça je le sais, je suis au courant de mon incompétence, tu peux le dire, ça ne changera rien, il n’y a pas de pro jection possible, pas de psychologie, juste nos pas, des fois des trébuchements, on ne le capte même pas, on n’a qu’un souci, on va quelque part, ça je le sais, notre trajectoire est linéaire, forcément, tout est prévisible, alors on tombe dans la nuit, je
ne sais pas si j’étais en train de dormir, si c’était réellement toi, impossible de le savoir, alors, je fermes les yeux, comme si j’avais le contrôle, je les serre le plus fort possible, tout le visage est sous tension, je ne fais pas le lien, les nerfs font ce qu’ils veulent, indifférents comme une multinationale, pas de psychologie, aucune manière de sonder, on n’est pas dans un polar, on nous dit que le diable n’existe pas, il y a juste le besoin de contrôle qui nous pousse à traverser la pièce pour chercher l’interrupteur, mais non, on est dehors, où tout se passe, toute l’histoire se joue ici, on le chante en mantra pour rendre les choses plus intéressantes, ça nous amuse, tu te sens comme si tu faisais partie de quelque chose, tu n’es pas superstitieux, tu ne crois pas aux fantômes, tu n’en as jamais vu, c’est ce que tu crois, c’est une question affective, on nous a appris que l’extimité est une valeur morale, c’était crédible, mais je ne fais plus confiance, ce n’est pas assez palpable, alors je me projette comme si je pouvais voir le truc dur qui vient de me cogner, l’écorce d’un arbre qui n’a pas envie d’être là, le visage spasmodique de la vérité, je me sens bourré, je ne le suis pas, je parle comme un mec bourré, je m’entends parler, ça me fait rire, je suis tellement lourd que je ressens tout le poids de mon corps, des objets tombent autour de moi, quelques uns éclatent, ils étaient en verre, pas ma faute en principe, tout le reste se fait engloutir par la terre, c’est mécanique, tu n’es pas impliqué, on peut en parler avec
détachement, un ton froid est adapté, voilà, tu observes les saccades du monde dans une cage au zoo, au bout de quelques minutes tu t’ennuies, tu captes que ça ne va pas, alors tu ouvres le traité de démonologie, proba blement le meilleur manuel diagnostic de nos jours, ce n’est pas un délire, je cherche des solutions tout bêtement, certains diraient que je suis trop sincère, je n’en sais rien, je creuse un trou, ce n’est pas plus obscur au fond qu’à l’extérieur, tu ne comprends pas ce que je fais, tu me regardes sombrer doucement dans la terre, ta patience est évidente, quand on sait ce qu’on veut, un calme consolant envahit le corps, la fatigue s’en va, l’esprit est une bouillie de laquelle le cri éternel ne s’échappe pas, je ne sais plus ce qui me fait peur, j’ouvre les yeux, je ne dormais pas, disons que je n’ai jamais vraiment dormi, je faisais semblant, l’ennemi était une il lusion, on était à l’intérieur, on regardait par la fenêtre, les reflets des lampes nous empêchaient de voir dehors, tu as vite lâché l’affaire, ce n’était pas simple, mais tu l’as fait, ça s’oubliera vite, on s’y habitue sans s’en rendre compte, mais personne n’a demandé mon avis, tu n’as pas envie de l’entendre, le monologue est impossible, vas-y, tu peux qualifier cette information de très inquiétante, tu peux le dire, de toute façon, je n’entends pas.
topographes, arpenteurs, géomètres se questionnent – où démarquer la frontière ? dans la boue d’une tranchée où commence la ligne où se termine le pays conquis qui sait ?
ils viennent (des lanternes accrochées à des bâtons) observent l’eau ruisseler dans le fossé la terre meuble – les ronces brunes et emmêlées
leurs lumières vacillent au-dessus du trou sombre comment installer une douane sur ce sol meuble un bâtiment où vérifier les papiers ?
des géologues concluent à la non-faisabilité du projet les limons (trop tendres) déplaceraient les fondations la frontière est déclarée impraticable
Fossé ROMAIN LOSSEC
des juristes contestent leurs fronts dégarnis au-dessus du rapport les résultats de l’étude exigent une contre-expertise la pluie tombe sur les ingénieurs qui fabriquent une passerelle qui s’effondre immédiatement les lampes aux bâtons s’éteignent c’est la nuit aux limites du pays le terrain glissant coule la frontière est une rivière noirâtre
des nageuses se jettent à l’eau le feu de la lune comme fanal rejoignent l’autre rive obscures et couvertes d’argile passent enfin la frontière.
SAMSON PATRICE
Son corps l’a quitté
Mais la tête continue ses embardées
Il ne se rend plus compte
Qu’il est immobile
Par rapport aux étoiles
Là où le manque n’existe pas
Lorsque les farandoles cessent
De provoquer du bruit
Là où aucune image
N’est implacable
Il fait un pas de côté
Et c’est l’infini
L’absence d’humains
Ne fait plus de mal à personne.
*
Une idole lunaire
Est vendue à perte aujourd’hui
MALTAVERNE
Allez savoir pourquoi
La lune ne rapporte-t-elle plus rien ?
L’astre trop brillant
Vous fait peur
Vous n’en revenez pas De cette plénitude
Vous peinez à sortir de son cercle
Une absence de marées
Dans son regard
Vous fixe Puis vous retournez à votre point de départ
Cette douleur à moitié câline
Qui escorte d’autres pierrots
Jusque dans leur lit.
*
Une fois la porte refermée avec violence
Sa vitre se brise
Et il reste dehors
À voir continuer de briller
Les éclats d’humidité
Les uns par terre
Les autres
À l’intérieur devenu extérieur
Personne n’apparait De ce côté de la maison Transformé en membre mort Comme une espèce en voie de disparition
Il oublie presque le fracas
Mais pas le fantôme
Qui l’a causé
Il est ce singe solitaire
Avec personne pour voir sa tête Dont les grimaces ont diminué
Face aux étoiles
Le froid l’enrobe
Dans de l’espoir
Tel un poteau
Qu’il semble être devenu
Si seulement les choses durcissaient De plus en plus
Et laissaient leurs empreintes effarées Preuves d’amour en charpie Abandonnées sur le front de mer.
* Voici venu la fin de l’obscurité
Et le début de l’angoisse Partout vous le savez
Les néons sont creux Certitude de l’enfer tubulaire
Il est loin le temps
Où la nuit galopait vers le mal Aujourd’hui ce sont les atomes qui limpides Nous jouent leur farce
Tous ces rires
Qui se perdent dans les dos Poursuivent leur cavalier seul Après être sortis des sitcoms.
* Depuis qu’il a ouvert cette porte
Il n’a pu la refermer
La jeunesse ne vit pas à l’intérieur
Mais son portrait figé
À chaque fois il le retrouve identique
À la porte ouverte par le vent
Et derrière
C’est comme s’il découvrait de nouveau
Une femme buvant de l’alcool
Qu’il veut empêcher de se saouler
Il n’a pas la force de résister
Au courant d’air
Qui l’entraîne
Preuve d’insomnie définitive
Un jour il lui faudra rayer
Cette apparence de vie
D’un trait de craie
Un jour
Avant qu’il ne soit trop tard
Pour ne plus se perdre
Au milieu des tombes
Y découvrir son effigie démultipliée
Comme un christ abattu
D’une simple balle de revolver.
toi
« c’est
une sente noire »
La boue est le moment Jacques Cauda
il n’y a plus de matin j’ai rêvé trop tard dormir même si les joues de l’oreiller sont vides j’ai sucé la terre les blés l’été mûrs comme la merde qui avait nourri le lilas personne c’est ici rien sans la joie d’être nu c’est de l’élixir d’assassin que de lui rouler un patin
j’ai jeté mon manteau qui servait de couche j’ai bouffé d’amour mes beaux testicules les premières s’inscrivent au coeur comme une poutre tenant la mémoire par la main un trait sur le néant je reviens d’hier je ne savais pas que c’était si loin le coeur contemple ce qu’il souhaite elle ouvrit grand la mort
je marche sous un ciel dont la lucidité me désespère doucement des doigts de la main passés autour de mon encolure je galope à l’infini vers ce qui m’attend des hurlements pris dans le vide de l’avidité avec le temps je passe sous la porte les souvenirs m’ont limé la vie dissimulé sous la vie je rampe comme une ronce pousse la nuit soi-même où l’on se sent étranger en pays connu maintenant décollé de tout je suis en mesure de chier la surface en peinture est l’expression du chié monté en allégresse c’est le visible en sa gloire la caresse des poils par le pinceau donne la viande comme procédure de vérité
peindre obtient commande de la boue je vole comme une hirondelle à fleur d’étron je suis la gloire sans frein le mal mêlé d’huiles et d’onguents aux sources exaltées boues harpes lyres et trompettes à mesure que je fais corps avec la boue je me pisse d’amour vivre afin de me plonger dans le baquet sans autre horizon que le baquet ma vie a ce bougé-immobile qui tourne l’imagination cette vérité que remue la faculté d’oubli je suis pris dans la glaise au milieu baignant le fécal me recouvre en surface oui finir les yeux ouverts vivants visages d’arrêt d’urgence avec méticulosité c’est bien moi ! dans la vitre bleu nuit par baquets entiers où je trempe avec nonchalance
la nuit rend l’âme à mon corps obligeant pour paraître heureux à l’imitation des disciples de Diogène de Sinope qui vivaient comme des chiens je me tiens au plus près du désir de pourrir cette affirmation désespérée de la vie je suis trempant comme une viande mise à dessaler dans une bassine en plastique le ventre collé à la boue la tête au plus près du zéro je me lie aux chiens qui arrosent la terre de leur sueur misérable de leurs gueules menaçantes la terre est sale et noire comme les ailes de la corneille casquée d’un bonnet rouge sang vendu aux chiens frappés de démence je suis de crocs et d’os qui sortent en geyser de la terre vive la charogne qui engraisse le pavé la vie c’est fini
je regagne l’oubli en douceur l’art de l’oubli n’est rien moins qu’un art du découpage ` poussé à la perfection à l’horizon je m’efface trait après trait je me dé coupe vive ment … sur l’écorce dure du nous toi & moi tandis que mon oiseau ramone ton four le vallon de tes seins mous aux tapis quasi pendants je frissonne chez toi tel un chien dans les taillis c’est toi une sente noire au milieu des feuilles une veine où poussent la mûre et l’ortie amenés à établir ce nous
qui consiste non pas à tout définir mais à nous tenir toi & moi dans le baquet où trempent les choses qui sortent du trou (comme l’être…) chantant avec le printemps tu es aussi laide que les fleurs nées pour pourrir ton cul est une épiphanie des ténèbres les fleurs partagées au fil de nous et l’être dans le baquet où nage l’ombre filante
on baise avec le bourreau déguisé en amour les fringues sont nues et les os signes mortels au coeur de l’amour le charbon de mon être passe au vert du noir au pourri je m’immonde la faim sur le pain j’y porte mes lèvres mon sirocco ma langue mon dégoût ça sent le hareng le yaourt vieux la fosse l’ordure j’y gobe tout
le museau pris toi & moi mon émule que l’ordure décore toi & moi dans le baquet de boue sans tête
c’est le moment où le malin pompe la vie à même la merde qui s’étiole comme un long baiser pourri posé sur ton cul béant
l’image monte du baquet sans soleil c’est le moment
Les poussières de la route Clément Minosze
« Il finissait sa vie en se traînant lourdement d’un trottoir à l’autre en quête du soleil. »
Henri Calet – poussières de la route Sous ses ongles les poussières de la route qui gardent dents serrées et lanternes fatidiques c'est maman dans un drame en clio bleu-ciel un coeur d'éclats qui embrasse des astres éparses quand il les ronge, ça pique, c'est amer mais c'est son fix, onychophage ! ça laisse un goût qui fait battre la langue ronger ce qui repousse, sans cesse et n'a pas d'âge un peu d'hier beaucoup de vie
dans les rides qui recouvrent ses phalanges la fange des temps, entre deux, dans un creux il frotte et frotte l'univers lové de ce linceul couleur selles celui du vide celui du plein c'est une soustraction salutaire en une entaille de boue sanguinaire deux bocks, une toile d'interrogation qui reflète le soleil des copains dans toutes les directions
il s'acharne souvent et c'est bête et c'est beau il pleure parfois le mieux et le plus, égarés il hurle et hurle aux corps célestes de graviter en satellites pour que leur traînées de jour se croisent tel un périph' autour de lui laissant aux souvenirs une file une seconde d'aspiration une dernière pour les excès et dans ses cheveux, la brise de ses tripes qui tournoie sur le béton fade qui file au loin il laisse les traces de ses semelles de plomb ses pompes c'est ses bagages, son véhicule il saute dans le temps, lourdement comme un gosse gauche un peu trop grand sans esquiver les flaques d'eaux mortes car les gouttes crades refléteront tout de même la lumière du soleil en retombant en Perséides, creuseraient la terre en eau-forte.
nous n’avons que les pieds en commun »
«
vibration sur un solstice d’été je façonne un cairn dessous j’y enterre mes peaux je me déleste de toute une penderie poussiéreuse
cuirs rapiécés tâchés manteau de laine rouge déguisement d’héroïne vêtement oublié
j’enterre
sous un solstice d’été j’enterre mes hivers dessus j’y dépose des pierres
en équilibre à l’orée des chemins sans noms je balise à la naissance de l’un d’eux je suis nue nous n’avons que les pieds en commun je marche sur un miroir c’est le milieu de quelque chose
ANANDA BRIZZI
poing gauche trop de deuils à opérer en même temps des suites de morts attendent leur autopsie sous les linceuls étiquette au pied personne pour m’aider à ouvrir les peaux à fouiller les chairs seul·e entouré·e de cadavres à la morgue de mes nuits
je refuse aux paupières de se tenir closes les nuits peuvent encore devenir des jours je le dis aux cendres qui retombent désolées
poing droit
les bourrelets de boue s’écoulent infiniment rythme arraché aux respirations forcées les larmes sont lumière par-dessus le silence de l’ombre
JACQUES ALLEMAND
on y marche sans se prendre pour quelqu'un d'autre on s'y croise on s'y double on se tamponne on se rattrape avant la chute, ravis le temps d'une éclaboussure rivière-chemin je connais quelqu'un qui lui ressemble seule malgré tout malgré nous autres et nos manières, question de tempo, avant le soir elle ne pourra s'empêcher de nous dire qu'elle nous aime, pourvu qu'on ne reste pas plantés comme dans mon rêve avec le geste de celui qui retourne ses poches pour montrer qu'il n'a rien
* * *
on a donné au chien le nom du secrétaire général parce qu'il lui ressemblait enfin quelque chose d'évident au milieu de toutes les questions qu'on se posait, silhouettes fumantes au bord du lac à demi gelé, les pieds refroidissant les chaussures la vie tout entière remontée dans les têtes
à l'époque nous passions nos journées à vider les marécages et à jurer c'était notre luxe le chien nous traversait de son regard mon dos et ma gorge faisaient des trous dans mon corps, une façon de s'absenter
* * *
peindre ou danser, longtemps il s'est laissé porter qu'est-ce qui lui serre l'épaule, le somme de choisir à l'instant où il se souvient d'avoir aimé une femme en kimono entichée de "tombe la neige", ils dansaient sur un caillebotis qui pliait sous leurs pas la suite à la lumière des néons n'a rien d'extraordinaire mais il y tient comme s'il l'avait inventée ― ami, tu peux tout ranger le spectacle a changé, une autre face à toi ce soir, une aiguille dans l'abdomen à te regarder comme si tu étais l'assassin
* * *
au bord du lit les mots dessinent un cadre vide le début d'un puzzle sans l'envie de le remplir "dans les rizières pluvieuses ou sur les matelas d'hôpital j'ai perdu l'habitude des attelages quotidiens,
ceux qui se frayaient leur chemin sans se soucier de moi, je n'étais là que pour saluer leur passage en essayant de ne pas me crotter" vaut-il mieux prendre les choses comme un jongleur ses flam beaux ou remettre à plus tard en bataillant avec les journées quelconques, pas une question, une pensée dans une tête à la renverse qui se souvient que jusqu'ici rien ne s'est jamais passé comme prévu
Poèmes extrait de « Corniche 13 mètres», Propos 2 éditions
Escales Véronique Zaborowski
On regardait passer les chalutiers. Dans l’eau crade épousées aux ressacs les étincelles suivaient. On s’en fichait, rien ne comptait une fois la lumière rallumée.
Aux escales on ramassait les restes de tonnerre, de la sueur, ventre serré.
Vivants. Puis on regardait le silence. La bonne cadence des tourbillons de l’eau, les hérons envolés au-dessus des berges. La bonne cadence. Les marais à l’arrêt. Nos respirations réflexes n’émettaient aucun signal.
A perte de vue Jean-Paul Gavard-Perret
Au commencement, sur terre, La boue était partout, Couvrant le globe et saturant le ciel D’une grande épaisseur de voiles.
On pouvait nager autant dans l’air que dans l’eau.
Celle-ci était lourde d'argile et l’éther composé d’embruns épais
Il suffisait d'une lanterne Pour que les poissons s’élèvent
De plusieurs centaines de mètres Avant de redescendre lentement dans l’eau.
C’est à cette époque que les anges en cette lumière, Apprirent à voler et à briller dans l’air.
J’aime le rythme que la parole peut prendre, sur un chemin de terre. Les graviers comprennent la démarche du bruit.
/// sur la carte routière le croisement des lignes un nouveau dialecte émergent pour correspondre au delà des murs.
///
Je n’ai rien contre l’architecture elle ne fonctionne qu’avec le passage des animaux.
Autour le règne de la brique n’est que fracas.
J’attends le rugissement des gens, qui traversent au-delà du presse tabac.
HUGO FONTAINE
je m’applique à construire un nouveau visage de résistance quotidiennement entre les mains un héritage anti-rides faut aimer risquer sa peau jour et nuit parfois un masque d’argile pour s’extraire sébum j’ai été clown d’intérieur je me démaquille à vider ce qu’il reste de crème dans les tubes d’une mère sur talons aiguilles point-noir je chante son i-liner sans musique quand sa tombe j’aime sourire vivant
(flash-info)
Deux amoureux se roulent des patins dans le fond d’un carrefour center, rayon poudre à lessiver.
Pas le reflex d’encadrer cette salive qui descend faire son œuvre.
La trajectoire est souple. L’amour est, las.
Le fil du texte, rompu.
*
La tiédeur est mauvaise pour la circulation des poètes, encore debout.
Aucun permis de construire.
Eternue sur ce pauvre texte, écris ta déflagration.
Ne cherche pas la perfection, mais le courant d’air, chaud.
Dans la morve de ton écosystème, trainent une multitude d’êtres vivants.
VENTRE GUILLAUME MÉARD
ce ventre a été creusé dans la boue mon ventre c'est inaudible a été creusé dans de la boue qui mainte nant s'effondre se replie reprend sa quête du centre et les plaintes remontent mal les éboulis on n'entend pas qu'on requiert ici-bas un prêtre spécialiste du marasme un spécial tellurique on n'entend pas tout se referme sur l'appétit sur le cri on n'oublie qu'il faut pelleter toujours pelleter avec la langue les ma tières comme de la viande lourde engrainées dans la mesquinerie de la boue qui retombe qui reprend sa rengaine d'invasion par en bas et qui pire que tout s'adapte et apprend à remonter sur les talus de ta faim elle remonte plus tu brasses plus elle contourne et s'invente des orgueils de voûte des velléités de cathé drale faut voir sa persistance à tout recouvrir elle s'en fiche même de la gravité elle a renié les pôles la boue monstre inarrêtable et quelle faute a-t-on commise fallait-il refuser d'aimer avec son ventre il aurait fallu ne rien dégager dans ce qui était déjà de la vase lais ser l'écosystème se dépecer lui-même à la recherche d'une stabilité toute flasque du centre de ce noyau ? j'aurais dû lui dire que je n'aimais pas
Collection de signes Rita Omaya
1. vierge noire dans une chambre-autel et soucoupe avec un peu de sel de mer une série de poèmes offerts déposés sur un buffet 2. un soir d'été tu termines un verre de punch sous un arbre sans figues et tu remarques deux lions de part et d'autre des épaules de C. 3. au courrier une offre de service d'un grand voyant-mé dium « amour, fidélité, chance, travail, santé, désenvoû tement, mariage, impuissance sexuelle, permis de conduire » tu notes mentalement le numéro de téléphone inscrit sur le papier jaune fluo
4. sur un écran de téléphone carte en courbes ascendantes et descendantes cigarette entre les doigts entre exclamations pauses comme si le thème de l'une comme si le thème de chacun de chacune
5. lion ascendant capricorne : cataplasme à l’argile verte scorpion ascendant lion : cataplasme à l’argile blanc argile rouge argile orange argile jaune argile bleu
6. comme si dans chaque mot se cachait la terre glaise d’une parole performatives comme si
7. dans ta cuisine grands fonds océaniques parsèment de bleus de sables des pots des brocs et des assiettes
8. tu grattes les bords noirs d’une pizza brûlée il reste toujours une bouteille de rhum tu en verses trois gouttes sur le sol nous avons au coin des lèvres du lait d’argile
9. tu as retrouvé en rêve un gilet acrylique beige perdu il y a dix ans 10. l’enveloppement est remède
11. avec l’eau d’une tasse réfractaire avec tes petits ongles pointus tu fabriques des figures dans le jardin
12. Prendre le petit escalier carrelé de bruns. Serrer le muret pour marcher le long de la voie. Puis monter. Monter encore. Monter penchée à 90 degrés. Soustraire l’huile de tournesol. Soustraire la pâte d’arachide. Penser au fond de la casserole brûlée. Traverser la route aux angles morts. Rouler au ras du sol. Rouler sur des lignes de calcaire.
13. la vessie pleine de fleur d’oranger tu lis à voix haute If I can’t dance I don’t want to be part of your revolution 14. ci-gît la crique et la mer toujours recommencée et toi qui
peut vider le GR en un froncement de sourcil 15. le lendemain tu trouveras sur le sol de la tente un anneau doré et tu le mettras à ton doigt 16. sur le chemin du retour un chapelet de souvenirs pour raconter à la suite et sans interruption tout ce qu’on a à dire sans batterie sans lumière sans rien d’autre que nos grands corps aurais-tu pensé avoir si peur ?
Tourbières Jean-Claude Crespy
Je me souviens qu'enfant, quelque part en Alsace, - Je vois une hauteur, de la forêt au loin, Et une étendue d'herbe rase - j'ai avancé Mes pas craintifs sur un pré qui se dérobait, Et qui semblait flotter sur une eau souterraine Que mon poids faisait clapoter aux interstices, Comme un piège tendu, quelque part en Alsace.
J'ai beau savoir que c'était un « tremblant tourbeux », Un grand radeau de sphaignes qui n'ont pas absorbé Encore toute l'eau dans leurs éponges mortes, Je ressens ce dégoût que m'inspiraient les goîtres Et tous ces renflements où la mort me semblait Baigner de ses eaux lentes la mince pellicule De sphaignes en travail sous ce « tremblant tourbeux ». J'ai vu d'autres tourbières, suivi Apollinaire Jusqu'aux Fagnes de Wallonie, si foisonnantes D'airelles et de myrtilles, semées de linaigrettes, D'orchis et d'arnicas, de jonquilles de Malmédy, J'ai entendu le chant de la bêche irlandaise Fendre la tourbe avec le père de Heaney Qui n'a pourtant jamais suivi Apollinaire.
Mais la fleur adoubée des lignées de pollens, Reste la Drosera aux feuilles rondes, aux poils D'un rouge vif et gluants de morve de mer Pour piéger les insectes et se fermer sur eux En les fondant dans ses acides, et recracher Une cosse évidée, comme au fond de la tourbe Sont conservées figées les lignées de pollens.
Ils y côtoient aussi la lignée de ces rois Et le peuple des morts que l'on a déterrés Des millénaires après l'horrible sacrifice, Où ils furent pendus, étranglés, égorgés, Percés de part en part et jetés dans la tourbe Où des dieux carnivores vinrent goûter au sang Des plaies ouvertes dans la lignée de ces rois.
nuit CAMILLE
la langue noire de la nuit lèche les appartements les fenêtres sont ouvertes les fenêtres sont fermées les grandes tours ont fondu un cri n’est pas sorti même les télés ne répondent plus la fange oui toute la fange domestique s’étale - que retient la nuit
la nuit pâteuse qui rive la benne, l’arbre et les immeubles au trottoir dore sous le crépitement du vieux candélabre s’émaille de papillons et de moustiques
La
BRESCH
mais ça ne fait plus qu’une grande pâte verte l’épaisse salive de la nuit sur le terreau des tours quand s’unissent l’ombre et la lampe
les fenêtres sont fermées les fenêtres sont ouvertes un cri n’est pas sorti et le lait de la lune est un rêve stérile qui tarit
Peter
Hart Yve Bressande Ananda Brizzi Camille Bresch Diogo Maia Patrice Maltaverne Alshaad Kara Romain Lossec Clément Minosze Jacques Cauda Rita Omaya Nicole Chayne / Salini Jean-Paul Gavard-Perret Nadine Travacca Myriam Oh Jacques Allemand Fabien Maréchal
Véronique
Zaborowski Guillaume Méard Jean-Claude Crespy
Hugo Fontaine
Jean-François Magre Jessica Escamez
Florian Gadenne Jeanne Held
Emma Pavoni
Marie
Bonnin
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