Instantanés de Mode

InstantanĂŠs de mode

automne-hiver #20172018

mémoire #find’études école #Camondo automne-hiver #2017 philippine #Segré thierry #deBeaumont sous la direction de

« Un voyage à l’intérieur de l’imaginaire d’une époque. »

# 1Frédéric godart, Sociologie de la mode.

La Découverte, 2010. p.32

#7

Carton d’invitation #intention

S

ensé susciter le rêve, le défilé de mode puise dans notre imaginaire.

Seulement si les rêves peuvent produire des visions extraordinaires,

une fois passés, il ne reste plus rien. À cela, j’associe la diffusion multiple d’images de défilés. Images qui se chassent les unes les autres dont mon regard vite détourné, n’a pas le temps de s’imprégner. Lorsque je regarde des images de défilés, je vois des corps, qui deviennent personnages, et des espaces, qui deviennent enchanteurs, par un dialogue unique entre l’espace et la lumière. Dialogue entre l’espace et lumière, qui converse avec le corps, et fait appel au temps. C’est alors que l’ensemble se met en mouvement.

Je porte une attention particulière à la scénographie, au même titre qu’à l’architecture et au design. Disciplines qui s’entrecroisent, j’y vois une manière narrative de travailler l’espace. À mes yeux, l’architecture est un langage et l’espace en est le support. C’est un moyen d’expression. La mode, foyer de la création, a pour vocation de raconter, de faire sens. En cela, le défilé est un support narratif pour raconter la mode. Au-delà de la simple présentation de vêtements, j’y vois une expression spatiale chorégraphique, un échange entre l’espace et la lumière, donnant vie au corps qui se met alors en mouvement.

Le défilé est une mise en scène dans l’espace par le mouvement des corps.

Une poésie spatiale. L’espace comme vecteur d’émotions, dans un monde où tout n’est qu’image et où les mots semblent disparaître peu à peu.

« Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil. » #1

Mon intention est d’appréhender la portée du défilé de mode et de son espace de représentation comme supports de réflexion, face à la puissance du temps et de l’image de notre société. Cherchant un axe intéressant pour aborder cette réflexion, je me suis donc tournée vers la sociologie de la mode. Mais voulant aller plus loin dans l’analyse du défilé de mode, je me suis retrouvée bloquée.

Bloquée devant la porte menant au « front row », sans pouvoir accéder au défilé.

C’est là que j’ai réalisé, puisque je suis et regarde les défilés de mode à travers Instagram, que c’est sous cet angle qu’il me fallait l’étudier. Axe crucial aujourd’hui pour aborder la mise en scène du défilé de mode, afin d’observer les impacts d’Instagram sur le défilé de mode, et m’interroger sur

#1 William SHAKESPEARE,

La Tempête. Flammarion, 1993, acte IV, scène 1, p. 224.

l’espace, le temps et la scénographie.

#9

Sommaire Carton d’invitation #intention Front row #effervessence

01

Instagram, le grand défilé

Instagram, metteur en scène Le défilé instagramable « Fashion Show Revolution »

30 34 42

03 « Vie et mort de l’image » du défilé Instagram, puissante image L’image plus forte que les mots, plus forte que l’espace ?

Effets de langage

76

80

84

02 Du salon privé à Instagram

04 Le défilé « Empire de l’éphémère »

Le défilé, toute une histoire Le défilé, parole démocratisée Le défilé, culte du grand spectacle Le défilé, l’ère des mégashows

Le défilé, le vivre ou le regarder?

Le corps décor Le temps « moment suspendu » L’espace, langage sensoriel

52 60 64 68

The Instagram moment Backstage #annexes

#final

106 126 130 136

#11

Front row

#effervescence

R

« R ien ne saurait sans doute remplacer l’aura du défilé, transmise et reçue sur le vif. » Frédéric Monneyron, La frivolité essentielle.

#1

# 2 Loïc Prigent,

J’adore la mode mais c’est tout ce que je déteste. Éditions Grasset, 2016.

# 3 Catherine Örmen, L’Art de la Mode. Citadelle, 2015. p. 56

# 4 Gilles Lipovetsky,

L’Empire de l’éphémère. Éditions Gallimard, 1911. p. 301

#1 Frédéric MONNEYRON, La Frivolité essentielle.

Puf, 2008. p. 51

Godart, # 5 Frédéric Sociologie de la mode. La Découverte, 2010, p. 6

#12

#13 ythme effréné. À l’heure de l’image surabondante

consomme passivement, les images des défilés arrivent à nous

et immédiate, nos vies sont rythmées par un flux visuel

pour être perdues dans un flux permanent. Et si la mode est

quotidien. Dans lequel la mode apparaît sans cesse. Défilés de

le reflet du monde et « metteur en scène du quotidien »#6,

mode sur défilés d’images. Souvent qualifiée de frivole, une vision

le défilé de mode serait alors une mise en scène de la société.

péjorative plane sur la mode, cantonnée à l’ordre de l’apparence. « J’adore la mode mais c’est tout ce que je déteste » #2 ,

À l’heure du tout image, où la société est mise en scène et se met

Loïc Prigent, journaliste et documentariste spécialisé dans la mode,

en scène. Le défilé n’échappe pas à la règle des réseaux sociaux

décrit parfaitement l’ambiguïté et l’ambivalence que beaucoup

et apparaît en force sur Instagram. C’est en m’apercevant

de gens entretiennent vis-à-vis de la mode.

moi-même que je ne regardais les défilés de mode plus qu’à travers Instagram aujourd’hui, que j’ai réalisé toute l’ampleur

Pourtant « la mode est depuis son origine le miroir de la société ».

qu’il prenait sur la discipline. Je me suis alors rendue compte

En effet, « la mode est ce qui suscite le réflexe critique avant l’étude

qu’Instagram est devenu le média principal de diffusion

objective » constatait Gilles Lipovetsky, essayiste français

et de communication du défilé de mode. Média dominant dans

et professeur agrégé de philosophie à l’université de Grenoble.

la mode, l’application permet aujourd’hui de tout voir, de tout

Considérer la mode comme seul ordre de l’apparence et du superflu,

suivre. Partie intégrante de nos vies actuelles, connectées

c’est faire abstraction de toute la dimension créative et de tous

en permanence, Instagram a pris possession du défilé de mode.

les domaines de la création qui touchent à la mode.

Que ce soit des images ou des vidéos, dans la minute ou

La mode est totale. Pas que le vêtement, elle est transversale.

en direct, le défilé de mode est sur-diffusé via le réseau social.

Toujours en mouvement, c’est un fait social total. Le reflet

Mais comment le défilé de mode se met-il en

d’une époque. La mode, cette façon de vivre, de se comporter

scène sur Instagram ? Et comment Instagram

et de se parer, est devenue un phénomène social. Au-delà

met-il en scène le défilé ?

#3

#4

du vêtement, la mode est un art de vivre. Le créateur exprime un univers, une idéologie. La mode n’est plus un moyen de se vêtir

Aujourd’hui le défilé, c’est aussi sur Instagram que ça se passe.

mais un moyen d’expression et d’affirmation. La création de mode

Phénomène qui nous touche tous. Nous vivons dans un monde

détermine les changements sociaux en modifiant les images

« instagrammable ». Mise en scène de nos vies et de nos identités.

du corps et des comportements. Comme l’indique Frédéric Godart,

C’est notre défilé de mode. Instagram, en tant que réseau social

« la mode est peut-être frivole mais alors cette frivolité n’est pas

de la mode elle-même, remet en cause le défilé. Décor abstrait

sans vertu, car elle figure, plutôt, préfigure l’état de la société » #5 .

et virtuel, il questionne l’essence même du défilé : un espace physique dans lequel déambulent des corps en mouvement.

Peut-on considérer Instagram comme un espace pour le défilé ou est-il simplement une nouvelle forme de défilé ?

Dans le débat actuel sur l’image, qui agite notre société, la mode # 6 François Mitterand, YSL

par Yves Saint Laurent. Éditions Herscher, Musée des Arts de la Mode, 1986.

#instantanésdemode

On peut se demander si l’espace a toujours lieu d’être.

est un champ d’observation privilégié. Et tout particulièrement le défilé de mode. Comme la plupart des images que l’on

On assiste aujourd’hui à un ensemble de défilés dans un semblant

01 Instagram,

le grand dĂŠfilĂŠ

#16

#17

Ne recevant pas le précieux sésame qu’est l’invitation pour assister à un défilé de mode, il me suffit aujourd’hui d’ouvrir Instagram sur mon téléphone pour suivre un défilé. Média dominant dans la mode, l’application permet aujourd’hui de tout voir, de tout suivre.

Partie intégrante de nos vies actuelles, connectées en permanence, Instagram a pris possession du défilé de mode. Un flot incessant d’images. Un flux immédiat d’images. Outil de diffusion de masse, Instagram est devenu le vecteur principal de diffusion du défilé.

Instagram, défilé d’images. Défilé, images Instagram.

Comment le défilé de mode se met-il en scène sur Instagram ?

Invitation SS18 @driesvannoten

#instantanésdemode

#19

Instagram P

our aborder le sujet et bien comprendre les enjeux face à l’ampleur d’Instagram et des réseaux sociaux aujourd’hui,

je me suis tournée vers trois ouvrages :

Instagram est une application et un service de partage

Instagram ou la dictature consentie, Genre, sexualisation et

de photos et de vidéos disponible sur différentes plateformes

marketing sur le réseau de l’image carrée (2016) de Sarah

mobiles lancée en 2010. Pour comprendre ce phénomène,

Marchand #1. Internet a aussi changé la mode (2017) de Valérie

quelques chiffres clés#4, publiés en septembre 2017 :

Jeanne-Perrier #2 . 2.0 / Le cas d’Instagram, une étude universitaire de l’utilisation du réseau social par l’industrie de la mode (2014) de Charly Ballin #3 .

Les réseaux sociaux aujourd’hui sont un moyen pour nous tous de

800 millions d’utilisateurs par mois dans le monde 500 millions d’utilisateurs quotidiens 40 milliards de photos et vidéos depuis sa création 95 millions de photos et vidéos chaque jour

diffuser et de produire du contenu. Instagram, c’est celui de la

4,2 milliards de likes comptabilisés chaque jour

photographie. Bien qu’aujourd’hui on y diffuse aussi des vidéos.

41% des utilisateurs entre 16 et 24 ans

Application aux 800 millions d’utilisateurs par mois à travers

35% des utilisateurs entre 25 et 34 ans

le monde, elle est un réel phénomène mondial et social, auquel

17% des utilisateurs entre 35 et 44 ans

on ne peut échapper. Quand on regarde les chiffres de l’application, on voit bien à quel point nous sommes face à un phénomène qui nous dépasse, et ne cesse d’augmenter depuis #1 Sarah Marchand,

Instagram ou la dictature consentie, Genre, sexualisation et marketing sur le réseau de l’image carrée.

Mémoire de Master 1, Université Toulouse, 2016.

# 2 Valérie Jeanne-Perrier.

Internet a aussi changé la mode. Quand Facebook, Instagram, & Cie s’affichent sur le devant des podiums. Éd. Kawa, 2017. 115 p.

sa création il y a 7 ans. Comment expliquer son succès ? Par une idée simple. Face à un coucher de soleil, ses créateurs Kevin Systrom et Mike Krieger, ont l’idée de proposer une application photos avec des filtres : c’est le début d’Instagram.

# 3 Charly Ballin, La mode

2.0, le cas d’Instagram. Une étude universitaire de l’utilisation du réseau social par l’industrie de la mode. Thèse marketing de mode. Lyon : Université de la Mode Lumière Lyon 2, 2014, 125 p.

# 4 Rozenn PERRICHOT,

Chiffres Instagram 2017.

In le Blog du Modérateur. [en ligne] septembre 2017.

#21

Phénomène T

ous les éléments sont réunis pour garantir un franc succès.

donc un Polaroïd. Nouvelle identité visuelle depuis 2016,

Un concept simple et une facilité d’utilisation. Il est possible

le nouveau logo représente toujours l’appareil photo caractéristique

de partager ses photographies avec son réseau en seulement

de l’application. Épuré, il reflète « à quel point la narration est

quelques secondes. L’application répond à un besoin simple :

devenue riche et variée. Inspirée par l’ancienne icône, cette forme

celui du partage d’une vie à une époque ultra-connectée.

simplifiée représente un appareil photo plus évolutif avec

L’application se démarque aussi par la quantité de sa proposition

l’arc-en-ciel prenant vie dans sa version dégradée » indique Instagram.

de filtres qui permettent de magnifier les photos les plus banales.

C’est un ensemble de réglages paramétrés qui s’appliquent sur

Là où Instagram était encore il y a quelque temps le réseau

la photo pour en changer l’aspect visuel, la tonalité. Et permet

de l’instantané, il ne l’est aujourd’hui presque plus. Chaque détail

de modifier la luminosité, le contraste, les couleurs, les ombres,

est pensé pour que l’ensemble soit uniforme dans son feed

etc. Vous nourrissez ainsi votre feed. Par feed, entendez

et ainsi avoir une ligne éditoriale. Car oui, on parle bien de ligne

« galerie d’images », c’est-à-dire l’ensemble des photographies

éditoriale sur un feed Instagram. Il y a des codes à choisir,

qui apparaissent sur le profil. Un profil c’est sa galerie,

un univers à créer pour que son compte soit cohérent et que

son portfolio, son identité, voire même son CV aujourd’hui.

l’on ait envie de faire défiler les photos les unes après les autres.

Tout un travail de l’image, fait dans le but de plaire.

Les photos ont cet avantage d’être compréhensibles par tous,

Car si on poste sur Instagram, si ce n’est pour se montrer, c’est

de n’avoir ni langue ni nationalité, et de pouvoir toucher n’importe

aussi pour être liké. Instagram c’est liker, commenter, partager.

quel utilisateur, où qu’il soit. Avec Instagram, une nouvelle génération est née, et c’est à elle que l’on s’adresse le plus aujourd’hui via

Cette identité que l’on se crée aujourd’hui via Instagram, fait écho

les réseaux sociaux. On parle des « Millenials » (« les enfants du

à l’idée évoquée par Erving Goffman, sociologue et linguiste

millénaire ») et des « Digital Natives » (« nés à l’ère numérique »).

américain, dans son ouvrage La mise en scène de la vie

À l’origine, l’instantanéité, promesse d’Instagram. En postant

quotidienne, publié en 1959, selon laquelle le monde social est un

des photos instantanément à l’aide de filtres pré-enregistrés,

théâtre, dans lequel chaque interaction est une mise en scène.

l’image se retouche en quelques secondes et se diffuse quelques secondes suivantes. Instantané, le logo d’Instagram représente

#22

#23

Instagram, une mise en scène ?

Comme un réflexe quotidien, Instagram s’est engagé dans nos vies. Plateforme créative, devenue moyen d’expression, il est l’outil idéal de narration. C’est par un défilé d’images quotidien que le monde se raconte à travers Instagram.

Documentaire de la vie contemporaine, Instagram ou l’art de la mise en scène.

@instagram

#instantanésdemode

@instagram

#25

Instagram, metteur en scène

« La mode existe parce que la société nous met tous en scène, et que sur cette scène sociale, nous devons composer avec notre propre image et venir à la rencontre des autres regards.

Voilà pourquoi la mode est chose si grave. » Marie-José Mondzain, philosophe dans son livre La Mode. #5

Instagram, scénographie?

C

haque profil, personnel ou professionnel, est une identité qui

# 5 Marie-José Mondzain, La Mode. Montrouge, Bayard, 2009. p. 67

se met en scène. Dans une société de l’image, qui vit à travers

les réseaux sociaux, il faut se mettre en scène pour exister.

De manière à se raconter. Vitrine d’images, on parle de galerie.

Il n’est plus seulement question de poster des images, mais il faut que l’ensemble de ces images se coordonnent, fonctionnent ensemble et créent un paysage, un univers, une mise en scène, sur le profil de chacun.

Plateforme visuelle, il faut accrocher le regard. La galerie sous forme de mosaïque, est pensée dans sa composition générale, sa « chromie ». Les photos les unes à côté des autres doivent dialoguer ensemble, par la couleur, par le blanc, par des vides.

Ce travail de composition est une mise en scène de la mise en scène. Aujourd’hui on scénographie son Instagram. Défilé quotidien d’images, Instagram est le vecteur idéal de diffusion des défilés de mode, cette mise en scène de la mode.

exemples de galeries @instagram

#26

#27 Scènes de mode

L

« Je veux partager avec les gens », déclare quant à lui, Riccardo Tisci, directeur artistique de Givenchy. Pour lui, c’est un moyen

es portes de la mode n’ont pu résister à l’assaut social et

de partager ses inspirations, comme l’architecture et le design.

mondial des réseaux sociaux. Instagram s’est imposé comme

En 2013, de sa collection inspirée de Giò Ponti, il explique :

incontournable pour le monde de la mode, qui joue avec

« Une fille qui ne sait pas qui est Giò Ponti, qui aime la collection

le caractère créatif et direct du réseau social. Souvent caractérisée

et se demande comment j’en suis venu à cette collection, va

d’élitiste, la mode s’est alors ouverte au plus grand nombre en

alors découvrir qui est Giò Ponti. » Et d’ajouter : « Voir le début

s’adressant à un public plus vaste. C’est un moyen pour le créateur

de l’histoire est assez beau. Je pense qu’Instagram, si vous

de s’adresser directement à son public. Et de se mettre en scène,

l’utilisez de la bonne manière, c’est positif. »

en travaillant son image et en dévoilant son univers.

Et à ce jeu-là, certains sont devenus maîtres dans l’art de la mise en scène. Dans un souci de simplicité et d’authenticité, Instagram est pour eux un moyen de dévoiler leur démarche créative. « Ce matin, il y avait de la buée sur mon miroir de salle de bain, et j’ai fait un dessin. Je l’ai posté » raconte le créateur Jean-Charles de Castelbajac, suivi par 96 900 abonnés et qui publie en moyenne six photos par jour. De son côté, le créateur de 25 ans, Simon Porte Jacquemus, tient un discours esthétique qui se distingue en publiant systématiquement des séries de trois photos. Ce qui crée une esthétique visuelle sur sa galerie.

Comme évoqué, il scénographie son Instagram. « J’avais envie que mon univers soit assez carré, c’est juste une question d’esthétique », explique-t-il. Son feed Instagram livre une réelle vision esthétique de son monde. Son compte Instagram aux 364 000 followers annonce la démarche : « JE M’APPELLE SIMON, J’AIME LE BLEU ET LE BLANC, LES RAYURES, LE SOLEIL, LES FRUITS, LES RONDS, LA VIE, LA POÉSIE, MARSEILLE ET LES ANNÉES 80. » Nouvelle étoile de la mode française, Jacquemus a reçu le prix spécial du jury du LVMH Prize en 2015.

Il a construit son image autour de l’intime et du personnel.

JC de Castelbajac, photo de vacances @jccastelbajac

#instantanésdemode

Jacquemus, son esthétique de 3 images @jacquemus

Le défilé instagrammable

F

ace aux injonctions instantanées, immédiates et sociales

#29

d’Instagram, le défilé de mode s’est vu forcé d’obéir

aux nouvelles règles. Chamboulement temporel, social et spatial, l’autorité d’Instagram est telle que le défilé de mode se pense tout entier en fonction de ces nouvelles forces numériques et digitales. Encore récemment réservé à quelques happy few, le défilé touche aujourd’hui un public beaucoup plus vaste, vers qui il se tourne et s’adresse, via ces plateformes virtuelles que sont les réseaux sociaux. Ainsi se sont ajoutés aux spectateurs présents lors du show, les spectateurs de la société numérique, ceux des réseaux sociaux. Ce nouveau public, présent à travers un écran, est nourri d’images par le public présent dans la salle, émetteur d’images. Instagram et autres réseaux sociaux, modifient la manière dont la mode se crée, se capture, se partage et se consomme. Média dominant, il est celui qu’on regarde le plus. « Instagram est devenu la force majeure » ajoute Alexandre de Betak. Référence en matière de défilés de mode, le

La mode, ici et maintenant.

designer et scénographe, fondateur du Bureau Betak, qui réalise aujourd’hui la plupart des défilés, indique qu’il a fallu repenser la scénographie et l’éclairage, multiplier les points de vue, de sorte que tout le public ne diffuse pas les mêmes images. « Alors, lorsque des vidéos Instagram de 15 secondes ont été lancées pour la première fois, nous nous sommes adaptés et avons essayé de créer des moments filmables qui duraient 15 secondes à la fois. » Quand il remarque que les spectateurs du premier rang se préparent à sortir leur téléphone à temps pour filmer le final, il s’est adapté davantage. « J’ai commencé à prendre en compte le temps qu’il vous faudrait pour être prêt à filmer, si vous deviez considérer un moment instagramable », se souvient-il.

Penser un défilé aujourd’hui, penser sa construction, son déroulé, son enchaînement nécessite de réfléchir pour et par Instagram. Le défilé est entré dans une nouvelle ère.

#30

#31 Dans une interview pour le magazine Antidote : Fantasy

L’empreinte numérique devient la nouvelle mesure, et il faut

(Hiver 2017-2018), lorsqu’on lui demande d’évoquer les défis

alors adapter ses standards. En effet, les invités et les mannequins

apparus à l’ère digitale, Alexandre de Betak déclare : « Son arrivée

sont désormais choisis en fonction de leur influence digitale.

a demandé une vraie évolution physique de nos shows. Il fallait

À côté des journalistes prennent donc place blogueurs,

que tout puisse fonctionner sur une image de trois pouces.

instagrameurs et influenceurs. Il en est de même dans le choix

D’abord en photo, depuis tous les points de vue. Puis par le format

des mannequins. Les plus prisées aujourd’hui ? Cara Delevingne

vidéo de 15 secondes. On dessinait, on pensait les séquences

ou Kendall Jenner, respectivement « Instagirls » les plus suivies

d’introduction, d’enchaînements, de chorégraphie, de moments

sur Instagram. Cela conduit le défilé à être vu par tous leurs

de cette durée pour être sûr que ça tienne. Il y a aussi le tableau

followers. Fini l’heure des supermodels des années 90, aujourd’hui

final, surnommé le ‘’Instagram Moment’’, qui consiste à garder

on est choisi pour son ampleur «sociale», il faut être «liké ». Ainsi

les mannequins statiques à un certain moment du show. »

à l’occasion du défilé Dolce & Gabbana Automne / Hiver 2017-2018, Millennials, youtubeurs et instagrameurs ont remplacé

Il est loin le temps où pour découvrir les nouvelles collections

les mannequins sur le podium. Un moyen pour la maison de mode

il fallait guetter l’arrivée des éditions « Spécial Mode » du Vogue.

italienne de diffuser son image dans le monde entier sur la toile.

Plus besoin d’attendre, les images défilent instantanément sur tous nos écrans. Conçus pour être vus sur un écran numérique, les défilés nous renvoient à une image de la société actuelle : live, instantanée et éminemment sociale.

Instagram, dictature temporelle, sociale et spatiale ? Confronté à trois nouveaux paradigmes, le défilé s’essaie à différentes propositions.

Paradigme temporel, le défilé vit sous le règne de l’immédiateté.

Lors d’un défilé, qui présente une collection six mois avant sa sortie, les marques de fast fashion en profitent pour s’emparer des collections et ainsi les vendre à prix réduits durant ces 6 mois de décalage, produisant en grande quantité et en temps réduit.

On voit apparaître le « See Now, Buy Now ». L’idée est donc de vendre la collection directement après le défilé. Mais cela revient pour les marques à faire des paris et à miser sur quelles pièces réalisées en fonction de celles qui vont marcher et vont se vendre. Ce système, trop peu sûr pour les marques, remet en cause le fonctionnement de cette industrie et ne prend pas.

Paradigme social, la prédominance des réseaux sociaux a vu #instantanésdemode

éclore un nouveau public. Tout droit venu des réseaux sociaux.

Défilé Millenials Dolce & Gabanna AW18 @dolcegabanna

#32

#33

Paradigme spatial, le défilé prend place entre deux dimensions, l’une réelle et physique, l’autre virtuelle et abstraite. En effet, du fait de la diffusion immédiate sur les écrans, de photos ou de vidéos du défilé, tout le monde devient média, et le défilé prend place sur n’importe quelle plateforme et n’importe quel écran.

Les concepteurs cherchent donc de nouveaux points de vue, repensent l’espace en fonction des cadrages d’images.

Ainsi a-t-on pu voir les mannequins de Dolce & Gabanna jouer le rôle du public en instagramant le show en direct en défilant, ce qui a donné de nouveaux points de vue au défilé.

Pour Thierry Dreyfus, directeur artistique de Eyesight, agence de production de défilés, « le problème était que tout le monde recevait les mêmes images ». Pour le défilé automne-hiver 2016 de Raf Simons, il a supprimé les sièges, autorisé les modèles à se promener parmi les invités à travers un ensemble de labyrinthes. Il voulait que chaque spectateur, chaque Instagram, ait sa propre image. Que les contenus sur les réseaux sociaux soient un peu différents. Lassitude face aux schémas classiques du défilé, où le public, passif, dont la seule action sera de prendre en photo, au même titre que celui devant son écran, fait face #instantanésdemode

passivement au flux d’images publiées.

Public debout au défilé Raf Simons SS16 @instagram

#34

#35

The «Instagram moment»

« Tiens, c’est l’heure Instagram », peut-on entendre dans le public prêt à dégainer son arme fatale, son smartphone. Des « tableaux » prêts à être partagés sur Instagram. Patrick Scallon, directeur de la communication de Dries Van Noten, nomme ça « The Instagram Moment ». Depuis 2014, la marque imagine des tableaux vivants sophistiqués, des parterres de fleurs parmi lesquels posent les mannequins, des rangs de mannequins placés au milieu de musiciens sous une pluie de confettis. « Nous aimons l’idée que les invités peuvent rester, admirer, s’approcher, toucher. Cela restaure une proximité symbolique et tangible au vêtement perdue lors de défilés » indique Patrick Scallon. Faire tomber la frontière symbolique entre la scène et le public, pour exister sur les réseaux sociaux. Lors du défilé Thom Browne, théâtral, les spectateurs pouvaient grimper dans un décor surréaliste aux airs de tableau de Magritte, et poser au beau milieu de cadres suspendus et d’hommes aux visages couverts d’un chapeau. Cette nouvelle proximité, réponse et miroir de la culture Instagram, modifie les codes du défilé. « Le problème est qu’il y a trop de défilés de mode » proclame Alexandre de Betak. À force d’être visible par tous, partout et en temps réel, le défilé s’épuise. Et nous voilà submergés d’images lors des Dries van Noten SS14, «The Instagram Moment» sur ce tapis indpiré du déjeuner sur l’herbe @driesvannoten

#instantanésdemode

Fashion Weeks. Il en résulte une remise en cause complète des défilés de mode, et l’annonce d’une révolution est en marche.

#36

#37

« Fashion Show Revolution » ou la révolution Alexandre de Betak

« Le livre s’appelle Fashion Show Revolution parce qu’il parle de ma part dans la révolution de l’industrie de la mode, quand le défilé était une affaire beaucoup moins grande et habituellement faite en interne. J’ai pensé qu’il était bon de célébrer ce cycle, maintenant que le prochain chapitre a commencé. »

Le révolutionnaire

C’est au cours de la réflexion et de la rédaction de ce mémoire

S’il est capable de créer des révolutions dans la mode, c’est qu’il

que les choses se déroulent. En plein cœur du sujet, au cours

reconnaît les tendances qui émergent et n’essaie pas de les

de la Fashion Week parisienne. Tenue au mois de septembre

fuir, mais les prend en compte et les façonne. Il ne veut pas qu’elles

de cette année, dévoilant les collections printemps-été 2018,

s’imposent à lui, qu’elles le dépassent. « Excité » par cette

elle a été marquée par la sortie d’un livre, intitulé Fashion Show

révolution, il ne veut pas seulement accepter les changements,

Revolution. L’homme derrière ce livre, est aussi celui qui a fêté

mais les façonner. Interrogé par le magazine Dazed, il indique

son 1000ème show. Lui dont le nom est sur toutes les bouches

que son rôle est d’autant plus important aujourd’hui : « À l’époque,

lorsque l’on parle de défilés de mode. Et que je vais beaucoup

mon travail n’existait pas vraiment, mais maintenant cette profession

évoquer tout au long de ce mémoire.

a évolué. C’est un plus gros jeu, une plus grande industrie ;

Cet homme, c’est Alexandre de Betak. Un homme « aux multiples

il y a de plus grands défis, et l’un des plus importants

casquettes » qui « excelle dans la multitâche », et qui avec son

est qu’il y a tant d’informations. Il y a tellement

agence fondée à Paris en 1990, Bureau Betak, produit environ 80 à 100 défilés de mode par an. C’est lorsque je me suis tournée vers cette problématique que j’ai constaté que le débat était sur le feu dans l’une des plus grosses agences qui façonne les défilés.

#instantanésdemode

de défilés de mode si largement et instantanément diffusés sur les médias sociaux immédiatement.

Il est plus important que jamais d’aider les designers et les marques à créer des spectacles mémorables et pertinents. »

La raison de la publication de ce livre en pleine Fashion Week ?

À ses yeux, cela implique de briser les codes des Fashion Week

Interrogé à chacune de ses interviews sur la raison de

programmées et réglementées par l’industrie pour l’industrie.

la publication de son livre, il explique que c’est pour « marquer

Puisque ce qui compte le plus pour les créateurs actuellement,

et fêter le millier de défilés de mode qu’il a aujourd‘hui réalisés,

sont les médias sociaux. La diffusion de l’information, qui ne cesse

mais aussi et essentiellement pour amorcer le départ de

de s’amplifier et d’aller plus vite, doit selon lui nous amener à

la nouvelle révolution qui se joue sur les défilés de mode, liée

penser à montrer différemment, à des moments différents, dans des

aux développements technologiques et aux réseaux sociaux ».

endroits différents et éventuellement à des personnes différentes.

#38

#39

Actuellement en pleine réflexion, Bureau Betak a donc fait partie intégrante de mes recherches, dont j’ai suivi activement toutes les actualités. Et c’est dans le cadre de ce mémoire et de l’intérêt que je porte à leur travail et à la question, que j’ai contacté Bureau Betak, et que j’ai pu échanger avec Simon Caillaud #6 , design set manager chez Bureau Betak, par ailleurs diplômé de l’École Camondo.

Malgré un emploi du temps chargé, il m’a généreusement accordé de son temps afin que nous puissions échanger sur le sujet. Cette recontre constitue l’objet d’une interview, à retrouver en annexe, p.154 Dès les premières secondes, le sujet était lancé : « C’est un sujet qui préoccupe beaucoup ‘’Alex’’, et qui nous préoccupe tous. » Entendu une semaine plus tôt, lors d’une interview sur le site InFashion, je lui ai donc évoqué : « The problem of the Fashion Show is that there are too many Fashion Shows. » Simon Caillaud a poursuivi : « Entre le format, le timing et la fonction, c’est là que vont se trouver les changements. C’est là que le défilé va évoluer. Et c’est là que se mène toute la réflexion. » Sur un ton d’humour, et comme pour garder un peu de mystère sur leur réflexion, il annonce : « La révolution est en mouvement ! » Le principal est clair : les réseaux sociaux, et aujourd’hui Instagram « ne font qu’influencer tout notre travail ».

Interview vidéo du 16 novembre 2017 par InFashion, série d’interviews disponibles sur SHOWStudio.com . @bureaubetak

# 6 Simon Caillaud, design set

manager chez Bureau Betak depuis 2010, diplômé de l’École Camondo. Entretien en annexe p.154

#instantanésdemode

#40

#41

À l’heure actuelle, les défilés de mode évoquent un sentiment de chaos. Entre les défilés extravagants, les défilés minimalistes, les défilés expositions, le retour des présentations, les créateurs qui passent leur tour, l’essai du See now Buy now, le défilé est clairement remis en question.

L’article du Wallpaper, (« Parade’s end : social media is reshaping the fashion show and set design is key to its future ») utilise comme métaphore de cette révolution, la révolution industrielle provoquée par l’arrivée d’une machine.

« Une révolution est en marche et brise la forme acceptée du podium » #7

Le smartphone doté d’Instagram est au défilé ce que le moteur à combustion fut au cheval et au chariot.

« Aujourd’hui le défilé est souvent remis en question, et à juste titre.

Il devrait l’être plus souvent. Son intérêt original a complètement disparu : tout a changé en trois décennies. » Alexandre de betak

# 7 Daisy WOODWARD. The man

behind the world’s biggest fashion shows. 3 octobre 2017.

Disponible sur: http://www. dazeddigital.com

#instantanésdemode

02 Du salon privĂŠ

Ă Instagram

#44

#45 Silence complet. Ni lumière, ni podium, ni décor. Juste deux rangées de chaises au milieu desquelles passent les mannequins. Sans que téléphones

« Sunset on the set ».#1

et smartphones ne les mitraillent. Un défilé de mode tel qu’il se déroulait

Au début des années 2010 on nous prédit la fin du défilé de mode. Il n’en

à l’origine ? Non. Seulement la description du défilé Marc Jacobs à New York

est rien. Secoué, ébranlé, certes, mais seulement en pleine mutation.

en février 2017. Un anti-spectacle spectaculaire. Qui eut inévitablement

Face à une lassitude ambiante, aux crises sociétales actuelles et à l’omniprésence

un fort écho.

des réseaux sociaux, il cherche de nouvelles formes, de façon à se réinventer encore.Cette discipline ne cesse d’évoluer et ne semble pas prête de s’arrêter.

A l’heure où la mode, éternel reflet du monde, est en plein tournant,

En pleine « Fashion Show Revolution » #2 le défilé entre dans une nouvelle ère.

ce contrepied interroge : qu’est-ce qu’un défilé aujourd’hui ? Du salon privé aux défilés virtuels, en passant par les catwalks, en moins d’un siècle,

Mais pour comprendre ce phénomène qu’est le défilé, son histoire,

le défilé de mode est passé d’un rendez-vous intimiste à un spectacle

ses évolutions et où nous en sommes aujourd’hui, revenons aux prémices,

scénographié au millimètre. Il dépasse aujourd’hui la simple présentation

à la naissance de ce défilé. À ce qu’il est et à ceux qui ont participé à

d’une collection de vêtements destinée à être vendue. Devenu un spectacle

sa construction évolutive.

total, une performance artistique qui au-delà de l’aspect commercial, s’adresse à un public en quête de rêve et d’émotions.

Défilé Marc Jacobs à New York AW17. @leséchos.fr

#1 Emmanuelle bosc. « Fashion weeks : les défilés en mutation » In Les Échos.fr 10 mars 2017.

# 2 Alexandre de betak. Fashion Show

#instantanésdemode

Revolution. Paris, Phaeton, 2017. 278 p.

#47

Le défilé, une histoire de salons

« Le jour où Worth inventa le défilé de mode ». #3

Salon privé C’est au milieu du XIXe siècle, que l’on distingue les prémices du défilé de mode. Sous la forme d’une présentation de modèles, dans les salons parisiens du couturier Charles Frederick Worth, «l’inventeur du défilé de mode » #3. D’origine britannique, employé chez Gagelin, alors temple du tissu parisien, il y rencontre Marie Vernet, sa source d’inspiration. « Sur le corps de Marie, les tissus... parlaient ». Lors d’une vente, face à une cliente hésitante, il décide de recouvrir les épaules de Marie Vernet des fameux tissus. Astuce judicieuse, la cliente a alors fait son choix. Ce jeu entre clientes et ce qu’on appelle alors « sosies », c’est l’apparition des modèles. Devenues miroirs vivants des clientes, on y voit la naissance du mannequin. Reconnu de toutes ces dames, il crée alors sa maison, Worth & Bobergh. En 1850, elle est la première

Les salons privés de Charles Frederick Worth, en 1910 @Les Créateurs de la Mode.

à présenter « ses créations sur des mannequins vivants » pour mieux mettre le vêtement en valeur. En reprenant ainsi l’idée des sosies, ont lieu deux fois par semaine des présentations de ses modèles au sein de son salon parisien. Pour donner mystère et importance à l’événement, deux salons sont aménagés en circonstance. « On y plaça des chaises de velours grenat permettant aux clientes de voir les modèles sous toutes leurs faces.

Le défilé de mode était né.

» #3

# 3 Yann KERLAU, Les secrets de la mode, Paris, Éditions Perrin, 2013.

#48

#49

Scène théâtrale Si Charles-Frederick Worth en est à l’origine, c’est à une couturière londonienne, Lady Duff Gordon, que revient l’institution du défilé tel qu’on le connaît aujourd’hui. « Cette Canadienne installée à Londres présentait sa collection à date fixe, dans sa maison de couture. Carton d’invitation, podium, rideau et mannequins élancées... Tous les éléments actuels du défilé étaient là » #4, précise Anne Zazzo, conservatrice du musée Galliera.

Son premier défilé en 1901, intitulé « Gowns of Emotion », est porteur de la notion de « défilé-spectacle ». Une mise en scène comportant une dimension théâtrale : rideau de scène et attitudes des mannequins composent un défilé d’un genre nouveau. D’où la traduction en anglais de défilé de mode par fashion show, terme illustrant bien la dimension du spectacle.

Un des premiers défilés théâtral, on y voit le rideau, la scène et le public. Source inconnue

À la fin du XIXe siècle, la mise en scène de la mode, pratiquée dans les salons de couturiers et les grands magasins, prend des allures de spectacle en s’inspirant des codes du théâtre. À l’origine, cette mise en scène est très simple : les clients assistent à l’aller-retour des mannequins, annoncées par un numéro et le nom du modèle présenté sous la voix de celle que l’on appelle « l’aboyeuse ». Petit à petit, les maisons de couture s’emparent des codes de la scène artistique pour les intégrer à leurs présentations. Le théâtre est la source première # 4 Anne Zazzo, préface. Catherine

JOIN-DIÉTERLE, Showtime : le défilé de mode, Paris-Musées, 2006. 336 p.

#instantanésdemode

d’inspiration du défilé. Il met en scène un personnage, le mannequin. Acteur de la collection qui déambule sur la scène.

#50

Véritable événement social à partir des années 1920, le défilé entre

Salon de présentation de Paul Poiret, 1925

dans les mœurs. À cette époque, la génération de couturiers, composée de Jeanne Paquin, Jacques Doucet, Coco Chanel et Paul Poiret, fait de Paris le centre de la mode en y installant leurs maisons de couture. Maisons dans lesquelles un espace est dévolu au défilé, des salons pour la plupart, excepté chez Chanel, qui fait de ses fameux escaliers parés de miroirs, le lieu de réception. Coco Chanel est la première à encourager ses mannequins à adopter une pose unique et personnelle. À ses yeux, geste et attitude sont ce qui donne vie à ses vêtements.

Salon de présentation de Jacques Doucet

Les escaliers Chanel, lieu du défilé, rue Cambon.

#instantanésdemode

Salon de vente de Jeanne Paquin.

#51

#52

#53

Paris, le 12 février 1947. Au 30, avenue Montaigne c’est l’effervescence. Christian Dior, qui vient tout juste de

Le New Look Dior en 1947

fonder sa maison, présente à 10h30 sa première collection composée des lignes Corolle

En 1947, à la présentation de sa collection New Look, Christian Dior change le format du défilé. New Look.

En effet, les mannequins sont priés de jouer un rôle et de donner vie à ses vêtements tandis qu’on les annonce avec des noms imaginaires. En témoigne l’éditrice de Vogue, Bettina Ballard: « Le premier mannequin apparaît et le tourbillon de sa jupe fait valser les cendriers. Mannequins se succèdent avec une énergie impressionnante pour offrir une représentation théâtrale inédite et soignée, qui parvient à surprendre toutes les personnes présentes. » #5

Mais c’est Elsa Schiaparelli, de son côté, qui lance les défilés à thèmes, en nommant ses collections. Ses défilés impliquent musique, éclairages, danse et numéros d’acrobatie.

Le fameux « Cirque » en 1938 est l’exemple parfait de ce mélange # 5 Catherine JOIN-DIÉTERLE, Showtime : le défilé de mode, Paris-Musées, 2006. 336 p.

#instantanésdemode

entre spectacleet mode qui lui est propre. Ce

défilé constitue un jalon dans l’histoire de la mode; la scénographie prend autant d’importance que les vêtements.

#55

Le défilé, parole démocratisée Premiers émois. Les années 1960 « En faisant de la mode un moyen d’expression personnel, vecteur de communication de l’esprit d’un couturier et de son univers, les années 1960 marquent un tournant dans l’histoire du défilé » #6

« Le mannequin n’est pas là pour montrer la manière dont est fait le vêtement mais pour l’incarner », souligne Olivier Saillard.

note Lydia Kamitsis, historienne de la mode. Avec l’avènement du prêt-à-porter en 1958, né sous la directive de Jacques Heim, président de la chambre syndicale de la Haute Couture, le défilé devient outil de communication. En effet, il diffuse massivement la mode. Une « mode qui doit descendre dans la rue » #7, selon Yves Saint-Laurent, alors à la tête de la maison Dior.

Une nouvelle génération de jeunes créateurs prend place sur le devant de la scène. Symboles d’une génération de jeunes révoltés, cette période est marquée par l’ouverture à un public plus large. Ils inventent un style inédit, àl’image de leurs créations cherchant l’innovation et la nouveauté, ils expriment de nouvelles formes de mises en scène. Ils se débarrassent des présentations très codifiées, pour des défilés où la musique prend le dessus sur le traditionnel énoncé du numéro. Le sens même du défilé est désormais différent. Il devient parade, spectacle ou happening.

André Courrèges par la musique et l’espace symbolise la libération du corps de la femme, en « demandant aux mannequins de danser plutôt que marcher » #8 . Il présente en 1964 sa collection « The Moon Girl » à l’esprit cosmique. Habillées de minijupes # 6 JOIN-DIÉTERLE Catherine.

Showtime : le défilé de mode, Paris-Musées, 2006. p. 232

# 7 MONNEYRON Frédéric, La

frivolité essentielle, Paris, Presses Universitaires de France, « Quadrige » 2008. p.

48

# 8 JOIN-DIÉTERLE Catherine.

Showtime : le défilé de mode, Paris-Musées, 2006. p. 263

en PVC, ses mannequins sautillent et dansent. Il change, au cours de sa carrière, le principe même du défilé. Même état d’esprit chez Paco Rabanne. En juillet 1968, sa collection, « Douze robes importables en matériaux contemporains », crée une véritable rupture. Elle ne présente pas une collection mais une expérimentation autour de la robe « composée de carrés

André Courrèges et ses mannequins lors de sa collection « Moon girl ».

#56

#57

préalablement prédécoupés dans des feuilles d’aluminium et reliés entre eux par des rivets et des anneaux métalliques ».

Pour le créateur, qui a fait ses études d’architecture à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts à Paris, le défilé est expérimental. Les mannequins défilent dans un espace à la charpente métallique apparente, faisant écho à la structure des robes. Le créateur les fait défiler pieds nus, et leur demande de ne pas sourire, car « vous n’avez rien à vendre ».

Les années 1960 portent l’idée que le défilé de mode est un moment particulier. Il reflète un état d’esprit, il est porteur de sens. Il doit capter l’attention du spectateur, rompre avec la monotonie des présentations et créer l’étonnement.

Et cela, pourtant encore avec très peu d’effets et de décor.

Défilé Paco Rabanne en 1968, présentant sa collection «Douze robes importables en matériaux contemporains».

Les années 70, « créateurs » en quête de l’exception Les années 70 représentent une explosion de jeunes grands

Bien que la musique et la danse se soient répandues dans les

créateurs, qui, par le défilé, proposent une immersion dans leur

défilés, sa mise en scène reste encore peu sophistiquée.

univers artistique. Le défilé se popularise. Clientes, amis

C’est dans les années 1980 que le « défilé-spectacle » connaîtra

et acheteurs, photographes et journalistes sont au rendez-vous.

son véritable essor. Les défilés de mode, bien que novateurs,

Les créateurs optent alors pour des espaces publics : Théâtre

utilisent encore peu de moyens. La musique et la danse sont certes

royal du château de Versailles, Bourse du commerce, musée de

présentes, mais la mise en scène est rarement élaborée.

l’Homme, Cirque d’hiver, grand hôtel, salon de thé. Ils sont en

Les années 1980 poussent plus loin la recherche scénographique

quête de l’exception. « On se bousculait pour voir les défilés Kenzo

pour aller vers l’étrange, l’irréel, le « décalé ».

comme pour ceux de Thierry Mugler », se souvient Jean-Jacques Picart, conseiller en communication de marques. « Ces créateurs voulaient donner au prêt-à-porter la perfection de la couture, #instantanésdemode

et à leurs défilés le souffle du spectacle inoubliable » ajoute-t-il.

#59

Le défilé, culte du grand spectacle

Les années 1980 théâtrales et festives

Liberté de ton, d’expression et d’excès, la créativité des années

Par leurs dimensions et le nombre de spectateurs qu’ils peuvent

1980 engage une réelle scénarisation du défilé de mode.

accueillir, les lieux choisis pour la présentation de certains défilés

Extravagance et ostentation apparaissent comme les principes

contribuent au caractère spectaculaire. Paradoxalement, le défilé

mêmes du défilé. Cette évolution vers ce que l’on appelle la

est toujours réservé à une élite et aux professionnels, et ne

« mode-spectacle », est en partie due à l’arrivée des créateurs

parviennent au consommateur que des fragments dans la presse.

japonais sur le marché français. Issey Miyake, Yohji Yamamoto

Potentiel destinataire de ce message, il est pourtant exclu de

et Rei Kawakubo donnent à voir un tout nouveau type de défilé

cette effervescence.

et occupent de nombreuses pages dans la presse. Ils choquent par un paupérisme brut et apparent.

De son côté, Jean-Paul Gaultier se joue du concept du défilé de mode. En collaborant avec la chorégraphe et danseuse Régine

Musiques et lumières, vêtements et gestuelles composent des

Chopinot, à l’occasion de son spectacle appelé « Le Défilé » en

tableaux qui appellent aux sens, au minimalisme et à la réflexion.

1985. La frontière entre les deux genres, spectacle et défilé,

L’esthétique minimaliste japonaise voit le jour, le podium disparait.

devient dès lors de plus en plus ténue. « S’agit-il d’un fashion

Le noir envahit les collections et la danse contemporaine

show ou d’un ballet ? » se demande Régine Chopinot elle-même.

est le moyen d’expression privilégié. Ces nouveaux créateurs

Les défilés de mode se veulent spectacles, alors pourquoi pas

ne possèdent pas de maison de couture, ils vont ainsi sortir

un spectacle qui se prend pour un défilé ?

de ces espaces et investir des lieux insolites. C’est à partir de là que le défilé va pouvoir s’émanciper, sortir des murs, investir des hangars, des théâtres ou des espaces publics. En se déployant dans l’espace, il devient multiforme.

La multiplication des défilés crée une émulation dans l’élaboration de présentations originales. Dans un contexte concurrentiel toujours plus difficile, choix du lieu, scénographie, chorégraphie, ambiance sonore et mise en lumière sont des préoccupations presque aussi importantes que la collection elle-même.

Présentation photographique du spectcale «Le défilé», Jean-Paul Gaultier et Régine Chopinot.

#60

#61

En 1989, le premier défilé de Martin Margiela, symbole de l’arrivée de l’école belge, prépare le terrain aux années 1990.

Un défilé inscrit dans un processus créatif. Le podium recouvert

Les années 1990, performance artistique

d’un long tissu de toile, les chaussures des mannequins imbibées de peinture rouge, créent alors, par leurs déambulations,

La question du défilé conçu comme performance artistique, où

des motifs sur le tissu en plein défilé. Les toiles peintes ici par

le concept prime, se développe dans les années 1990, notamment

les empreintes des mannequins au gré de leurs évolutions sur

par les créateurs belges. Pays ne possédant pas de culture

le podium, en font un tableau vivant et placent ce défilé au rang

de mode spécifique mais plus centré sur les arts plastiques.

de «performance artistique».

Martin Margiela s’illustre par des défilés tenus sur un terrain vague du XXe arrondissement de Paris, dans une station de métro désaffectée, à l’Armée du Salut, dans un garage à Barbès, etc.

Il organise deux défilés, simultanément, en deux espaces différents, la Cité Véron et l’Hôpital Ephémère, dans le XVIIIe arrondissement.

Les spectateurs découvrent la même collection, mais selon le lieu, la collection est noire ou blanche et les mannequins déambulent parmi le public debout.

Walter Van Beirendonck est la démesure du défilé spectacle.

En 1997, son défilé mobilisa deux salles de théâtre, le Trianon et l’Elysée Montmartre, à quelques mètres l’une de l’autre.

Caractéristique d’une manière singulière d’imaginer un spectacle, qui par définition est privé dans le sens où il est destiné à un public pourvu d’invitations, il est devenu public par intermittence lorsque les mannequins ont dû déambuler sur le trottoir pour Défilé Martin Margiela en 1989, ce long tissu recouvert de peinture rouge

rallier les deux scènes des deux théâtres.

Défilé Blacklight en 1999, Viktor & Rolf. @FashionShowRevolution

Le défilé comme performance devient finalité en soit avec les créateurs néerlandais, Viktor and Rolf. Avant même de se soucier de la commercialisation de leurs vêtements, le duo se fait remarquer avec des défilés placés sous le signe de l’art contemporain.

Le défilé sert à construire une image conceptuelle. Explorer différentes modalités de la création de sensations. Le défilé à répétition en lumière noire puis éclairage normal, collection « Blacklight » en 1999, renouvelle la perception d’un même

#instantanésdemode

vêtement selon la lumière et les conditions de son observation.

#63

Le défilé, l’ère des mégashows Les années 2000, apothéose, essoufflement, crise À l’arrivée de la mondialisation et de la superpuissance des

ploient sous le poids de la mode et tombent à terre avant

groupes de luxe, les créateurs connus pour leurs présentations

de ramper dans des gestes agonisants. » #9 Le corps n’est plus

folles, John Galliano, Jean Paul Gaultier, Alexander McQueen,

un simple décor, mais un acteur. Métaphore du renouvellement

sont rattrapés par les maisons traditionnelles. Ces dernières

incessant de la mode, les mannequins se fatiguent en même

leur permettent de développer leur vision théâtrale à grande

temps que les vêtements s’usent.

échelle. Tous les excès sont permis. Victimes de la superproduction, les défilés sont devenus de plus en plus

Showtime : le défilé de mode, Paris-Musées, 2006. p. 267

Les années 2010, mutation profonde

démesurés pour les grandes maisons. Les défilés Dior et Chanel

L’heure est à la démesure. La foule venue en quête de photos

sont réputés les plus coûteux. Pour les autres, les prix d’un défilé

street style aux portes des défilés, la profusion de blogueurs

oscillent entre 90 000 et 5 millions d’euros.

qui se multiplient sur le front row, les heures d’attente pour l’arrivée d’une vedette. Et ce, pour un défilé qui ne dure jamais

Parfaite illustration de ces années, sur un remake du film de

plus de dix minutes. Le défilé, à l’heure où la mode réfléchit plus

Sidney Pollack « On achève bien les chevaux », le défilé

que jamais sur elle-même, ne fait pas exception à cette démesure.

d’Alexander McQueen, chorégraphié par Michael Clark pour le

Certains créateurs renoncent au défilé et disent s’être perdus

printemps-été 2004, mesure le poids de l’époque. « Vêtues de

dans ce format assez brutal d’une quinzaine de minutes

robes longues des années 1930, les filles, minces, trébuchent,

seulement. Et qui, avec la diffusion presque systématique en ligne, leur donne peut-être une exposition unique au monde, mais aucun

Défilé Alexander McQueen, SS14, remake de Sydney Pollack.

On y voit les mannequins se jeter à terre.

# 9 JOIN-DIÉTERLE Catherine.

recul. L’apparition des nouvelles technologies et un calendrier de la mode constamment remanié laissent paraître l’imminence d’un nouveau paysage. Depuis le premier rang, les spectateurs, natifs exigeants de l’ère numérique, réclament des formats qui s’adaptent à leur façon d’appréhender le monde.

En 2016, le défilé est protéiforme. À la fois tangible et digitalisé, artistique et commercial, global et artisanal. Des nouvelles saisons à n’en plus finir, des journalistes qui se disputent des likes, une communication mondialisée. Par la diffusion instantanée des défilés sur Internet et les réseaux sociaux « le spectacle est ailleurs », pense Valérie Steele, directrice du Fashion Institute. C’est la « Fashion Show Revolution ». Le spectacle est maintenant sur Instagram.

#64

Qui sont-ils, derrière ces mises en scène ?

Alexandre de Betak. Personnage clé du défilé et de mon mémoire, et ayant évoqué ma rencontre avec Simon Caillaud #10,manager de la section design de chez Bureau Betak, j’ai pu l’interroger sur ce métier particulier, assez peu raconté jusqu’ici.

Aujourd’hui, un défilé ne se fait pas sans eux. Ils sont metteurs en scène, producteurs et scénographes. On les appelle communément les set designers. Ils sont tellement de choses à la fois. Parfois même chefs d’orchestre, ils sont incontournables de l’industrie actuelle de la mode. Le défilé scénarisé et professionnalisé, est devenu un métier.

Du lieu au décor, au podium, à la lumière, au son, aux mannequins, au maquillage, à la coiffure, à la chorégraphie, au backstage.

Ils sont tous ces éléments à la fois. Sans eux, le défilé n’est rien.

Mais trois d’entre eux se démarquent en tête des podiums.

Bureau Betak, La Mode en Images et Villa Eugénie. Dirigés respectivement par Alexandre de Betak, Olivier Massart et Etienne Russo.

Ces grands maîtres du podium règlent le tempo, la cadence et créent des scènes, des tableaux, des images. Au milieu des années 1990, les semaines internationales de la mode ont explosé. Les créateurs se sont multipliés, les défilés se sont raccourcis, les budgets élargis (de 100 000 à 5 millions d’euros pour un défilé en moyenne, dont la mise en scène représente 15 à 20% du budget).

C’est une réelle relation professionnelle qui se crée avec les créateurs.

Olivier Massart et Yves Saint Laurent, Valentino, Vuitton, Balenciaga ; Etienne Russo et Chanel, Lanvin, Dries Van Noten, Fendi, Hermes ; et Alexandre de Betak et Dior, Galliano, Viktor & Rolf, Hussein Chalayan.

Relation dont le processus se décompose en cinq étapes.

De brief du créateur à la recherche de lieux, casting et musique, aux présentations au créateur, aux budgets et signatures de contrats, à la construction et à la phase de coordination, 7 jours avant le défilé.

Mais même planifié, dessiné, préparé en amont, ce travail se fait aussi et beaucoup lors du show. Expérience live, c’est un travail de l’instant. #instantanésdemode

Philippine

Décrit par la presse comme scénographe, designer, metteur en scène, producteur, chef d’orchestre, « Fellini de la mode », Alexandre de Betak est l’homme aux multiples casquettes. Quel est donc ce métier que vous exercez ? Qu’est-ce que Bureau Betak, un ensemble de disciplines qui se croisent, ou ensemble de personnes multitâches ?

Simon

« Ce que je faisais n’avait pas de nom » dit souvent Alexandre de Betak.

C’est lui qui a « inventé » ce métier. En tout cas il a inventé son propre métier. Il a révolutionné les défilés de mode. Avant, les créateurs devaient faire appel à beaucoup de secteurs pour les aider à mettre en place un défilé. C’était une époque où le défilé avait pris de l’ampleur, or faute de temps, on faisait de moins en moins appel aux gens.

Autodidacte, il s’est retrouvé à être multi-casquette par défaut.

Puis il s’est entouré d’équipes. À la frontière de plein de domaines, il faut être global. Et c’est là où Alexandre à l’origine, et maintenant nous en tant que designers dans l’équipe, on prend tous cette multi-casquette. Il n’y a pas de terme global qui enveloppe tout ça.

On travaille comme ça, on est tous spécialisés mais on travaille tous sur tous les fronts. Le métier que s’est inventé Alexandre de Betak, c’est de se dire que le tout, l’ensemble fait partie de la création, et si l’on crée cet ensemble, alors on fait tout. Il faut avoir un regard sur tout. Car c’est ce tout qui fait le défilé. »

#10 Simon Caillaud, design set

manager chez Bureau Betak depuis 2010 , Entretien en annexe, p. 154

03 « Vie et mort

de l’image » du défilé

#68

#69

Le défilé s’envisage d’une manière totalement différente.

On le mesure à sa photogénie, son image, son instagramabilité.

Tombée dans l’oubli, l’époque où l’on attendait la sortie

Le langage est réellement modifié. D’une certaine manière,

des magazines pour découvrir les premières images

cela peut appauvrir la manière d’appréhender le défilé.

des défilés de mode, est belle et bien derrière nous.

Sur une image Instagram, on ne capte pas toujours tout ce

Désormais, avant même que le mannequin quitte le podium,

qui est destiné à être vu. On ne s’arrête que sur une impression,

les images défilent déjà sur Instagram. Un revirement

un élément, un détail ou un ensemble. Ce qui peut,

de tempo qui se répercute sur toute l’imagerie de la mode.

paradoxalement, rendre ces images très révélatrices. André

L’immédiateté de la diffusion des images, modifie la façon

Rouillé, maître de conférences à l’université Paris VIII

dont les marques façonnent leurs shows.

(art, esthétique et philosophie) et directeur de paris-art.com consacré à l’art contemporain, admet que la photographie « de part en part construite, fabrique et fait advenir des mondes. » #1

#1 André Rouillé, La Photographie.

Entre document et art contemporain.

In PARIS-ART [en ligne], 2005.

Disponible sur www.paris-art.com

#instantanésdemode

#71

Instagram, puissante image « Nous sommes dans une culture de l’image et il faut produire des images fortes. Un défilé ne vend pas qu’une collection mais un univers tout entier. » Raymond Sarti, scénographe.

« Ce projet explore les différentes étapes de notre processus créatif : en passant par les sources d’inspiration abstraites, la phase de recherche, les croquis et la confection d’échantillons dans notre atelier. Nous voulions montrer les coulisses d’une collection, les détails auxquels nous portons attention, ce que l’on ne voit pas lors du défilé. »

Société image C’est notre société-spectacle, devenue société-image, qui a créé

Proenza Schouler Instagram image | Photo: Landon Nordeman)

Instagram : le moyen de produire du contenu et un défilement d’images en continu, encadrées dans l’espace unique et rectangulaire de nos écrans. Lorsque l’on poste sur Instagram, on crée donc de l’image. Le défilé, acte scénographique, devient alors image aussitôt qu’il apparaît sur Instagram. En le rendant image, les réseaux permettent au défilé de montrer autrement ou autre chose, au-delà de ce qui est présenté dans la réalité.

Si le défilé de mode est un élément essentiel de communication de la marque, Instagram est devenu un outil essentiel de l’image de la marque. À l’instar des créateurs de la marque Proenza Schouler, Jack Mccullough et Lazaro Hernandez, Instagram peut être utilisé comme moyen de diffusion d’images représentatives d’une collection, avant le défilé. Comme une introduction à leur show, ils ont fait appel au photographe Landon Nordeman afin de capturer leur collection en postant une image par jour pendant 5 jours.

Clichés lors de leurs recherches à la Helen Frankenthaler Foundation, à New York.

Collection automne-hiver 2015 inspirée du travail de la peintre expressionniste abstraite.

#73

Instagram s’installe alors en backstage. Il donne à voir l’ensemble du défilé, une vision bien plus complète que celle proposée au spectateur, installé sur sa chaise pour voir passer les mannequins.

Du vêtement au décor, aux détails, à la matière, aux corps, aux accessoires et à la lumière. C’est une transformation complète du défilé désormais montré « sous toutes ses coutures ».

Une nouvelle approche du défilé comme événement de communication. Eva Chen, responsable des partenariats Instagram et mode, indique : « Une image Instagram suffit à définir votre collection toute entière. » En ce sens, le défilé doit créer de l’image. Et ce pour ces nouveaux médias que sont les réseaux sociaux, aujourd’hui le moyen principal pour être vu.

Les coulisses

La section « Best of Fashion Week », apparue en 2014 dans l’onglet Explore de l’application Instagram, sélectionne « les plus belles images » de défilés. Comment les designers peuvent-ils se démarquer au beau milieu de toutes ces images ?

Pour qu’une collection se distingue parmi le flot infini d’images, certains créateurs imaginent de nouvelles manières d’utiliser l’application. Ainsi Calvin Klein a pris possession d’Instagram pour la collection Resort 2016. Lors de la préparation du défilé, le photographe Simon Cave et le réalisateur Stuart Winecoff ont suivi la mannequin-phare de la marque et le directeur artistique Fransisco Costa, « pour présenter la collection au

mieux. Son esthétique, sa structure, ses silhouettes, ses détails. De façon à montrer réellement le processus créatif derrière tout ça »,explique Melisa Goldie, directrice marketing de Calvin Klein.

#75

L’image plus forte que les mots, plus forte que l’espace ?

L’image plus forte que les mots

Si l’on considère que le défilé est image et qu’il est un langage de l’espace, alors si l’image est plus forte que les mots, l’image serait-elle plus forte que l’espace ?

Hier le pouvoir des mots, aujourd’hui le pouvoir de l’image.

Les images ne font-elles pas partie intégrante et n’ont-elles pas un rôle important dans la constitution de ce que Guy Debord a appelé « la société du spectacle » ? #2 Le proverbe chinois de Confucius dit « une image vaut mille mots ».

Mais face au tout-image, pense-t-on aujourd’hui qu’ « un mot vaut mille images » ? Ce changement de paradigme résume à lui seul le bouleversement de langage que créent les réseaux sociaux dans les modes de communication. Comment l’image est-elle capable de retranscrire le défilé de mode, langage poétique, récit émotionnel d’une collection, qui joue des matières, des volumes, des lumières et des couleurs ?

# 2 Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1996. 224 p.

#76

L’image transcende l’espace

Impact visuel, Instagram est devenu un outil pour exprimer un regard. Lors de mon entretien avec Simon Caillaud, design set manager chez Bureau Betak, j’ai abordé avec lui la question du pouvoir de l’image sur leur travail et sur les défilés. Il a choisi d’évoquer le défilé Zegna printemps-été 2018, du créateur Alessandro Sartori. C’est dans le cloître de l’Université milanaise La Statale, transformé en désert fantastique fait d’ocre orange et de miroirs, que Bureau Betak a mis en scène cette collection.

En voyant les images du défilé, ils se sont rendu compte, de manière assez globale, de cet impact visuel que créait l’application sur le défilé. « D’un coup en faisant défiler ce flux d’images, l’impact visuel de cet orange, entre toutes images qui passaient, donnait présence à l’image. Et même si tu faisais défiler les images sans les regarder il y avait une espèce de persistance rétinienne qui te ramenait à ce défilé. Une puissance de l’image, sans même rentrer dans les détails de l’image même.

Il y a eu une force inattendue de ces images sur les réseaux. » Défilé Zegna SS18, à l’Université La Statale.

Différents posts Instagram trouvés sous le #zegnass18. @instagram

Faisant défiler les images sans s’y attarder, la dominante orange va capter l’attention, piéger le regard. La diffusion multiple des images Instagram en a laissé une narration cohérente.

Car Instagram ce sont des milliers de points de vue différents.

Or là, ces derniers ont tous généré la même force. Pas besoin de discours, les mots sont dans l’image. Pas besoin de l’espace, l’image parle. Désormais contraint de penser aujourd’hui pour ce médium et ces nouveaux médias, sans être sûr que ce que retiendra le public est ce qui aura été voulu ou pensé.

C’est en cela la force de l’image. Elle nous dépasse.

Nous échappe. Et crée ainsi une nouvelle dimension.

#instantanésdemode

#77

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Effets de langage Langage scénographique Beaucoup d’images de défilés ne montrent pas la mode.

C’est le cas de Fashion Show Revolution #3 . Elles montrent l’espace du défilé comme des expressions architecturales, artistiques et émotionnelles. Sans vêtements, le défilé apparaît nettement comme une expérience à partir de la combinaison entre le décor, le lieu, la lumière et la performance. Créateur d’images, Alexandre de Betak définit son rôle ainsi : « Créer un moyen d’expression qui aidera à traduire les créations de manière émouvante, non seulement intellectuellement ou conceptuellement, mais aussi émotionnellement. Pour ce faire, j’ai besoin de concevoir un langage, une identité visuelle. » Le défilé de mode crée un langage réunissant tous les éléments nécessaires à la mise en scène : le lieu, le décor,

la lumière et la performance.

Par le biais de ces quatre éléments de langage, j’interroge l’impact visuel d’Instagram. Il me paraît essentiel de questionner la capacité de cette plateforme virtuelle d’images à retranscrire des éléments de langage scénographiques.

# 3 Alexandre de Betak. Fashion Show Revolution. Paris, Phaeton, 2017.

#instantanésdemode

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Le lieu décontextualisé Réduits à des petites images carrées, le contexte, l’emplacement ainsi que l’échelle du lieu sont remis en cause. Il est important de comprendre qu’un lieu apporte son propre récit et peut aider à raconter l’histoire de la collection. L’image, lissée par Instagram, trouble la perception que l’on a du lieu photographié.

Sur Instagram, sans « hashtag » on peut aussi bien être à Milan qu’à Tokyo, dans une église ou en pleine montagne.

Il est possible parfois de tomber sur des images où rien n’est indiqué. Or, comment raconter une histoire si l’on ne sait rien de ce que l’on voit ? L’image est défragmentée. Ce qui nous ramène à l’architecture. Si l’on remonte à Le Corbusier et au Modulor, où il faut toujours remettre le corps humain dans l’espace pour avoir une échelle. Celle-ci étant inexistante sur Instagram, il en va de la compréhension et de la perception même d’un espace à travers une image. Sur une image réduite, les lieux de défilés, souvent monumentaux, les scénographies Défilé Dior SS15 au musée Rodin.

Différents posts Instagram choisis sous le #diorss15 ou #diorfw15. @instagram

souvent grandioses, afin de véhiculer la suprématie d’une marque, ne véhiculent alors plus l’histoire racontée.

L’un des récents shows qui exprime le mieux la décontextualisation du lieu ainsi que la diversité des points de vue, est le défilé Raf Simons pour Dior au musée Rodin (date). Si une image ne mentionne aucune indication quant au lieu de représentation, personne n’est en mesure de le deviner. Un échafaudage blanc sur une moquette rose, entouré d’une mezzanine périphérique.

La déambulation des mannequins passant au-dessus, en-dessous, à l’intérieur et l’extérieur de l’échafaudage. Avec des jeux de reflets.

#instantanésdemode

C’est l’un des premiers défilés pour lequel Alexandre de Betak s’est posé la question des multiples points de vue.

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Défilé Chanel AW14 au Grand Palais à Paris.

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Le décor recadré Le décor est un élément essentiel de la narration. Recadré par l’image, par le simple acte photographique, il joue du cadrage ou d’effets de zoom. Le décor est dévoilé par une partie, un ensemble, un détail ou un angle. Le cadrage est une vision, un choix de celui qui cadre. Choix fait indépendamment du créateur ou du scénographe. On ne montre pas toujours ce qui était destiné à être montré. Les visions peuvent devenir multiples.

En ce sens, le recadrage des images sur la plateforme numérique, peut donc en modifier le sens et la lecture. Tout comme il peut aussi renforcer et appuyer le message véhiculé.

Si un défilé a particulièrement marqué ce système instagramable, de détail et de cadrage, et résonne encore dans ce système visuel, c’est bien le #ChanelShoppingCenter, collection automne-hiver 2014. Il a créé une ferveur telle, liée à la puissance visuelle des réseaux sociaux et à cette Instagramabilité de la mode. Ce supermarché doté de quelques milliers de faux produits Chanel, tel le « Jambon Cambon », les « Cocoquilletes » ou encore le « Sac plus belle », a été dévoilé une demi-heure avant le début du show, sur les écrans tactiles du monde entier. En effet, en attendant le début du show, les invités ont pu se promener dans les rayons, découvrir et photographier de près tous ces produits. Détaillés jusque dans les noms, en référence à la maison Chanel, il apparaît qu’ils ont été pensés dans le but de créer des images.

Posts Instagram de la scénographie graphique conçue pour instagram, avec ces détails de produits. #instantanésdemode Trouvés sous la mention #chanelsupermarket #chanelAW14. @instagram

Une immersion dans le décor d’un spectacle graphique pensé pour Instagram.

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Le cadrage est une nouvelle manière d’aborder la scénographie. Il permet de voir les détails. On se rapproche au plus près de la matière.

Engouement féroce lors du dernier défilé Balenciaga, gros plan Défilé Balenciaga SS18 à Paris.

De nombreux posts Instagram zoomait et cadraient la chaussure . @instagram

sur les Crocs, réputées pour être à la fois aussi laides que confortables. Ces chaussures en plastique à triples semelles ont pris le pas sur la collection. Obnubilés et surpris par la présence de ces chaussures, les spectateurs ont multiplié les cadrages sur ces chaussures. Sacralisant une pièce habituellement cachée.

Désir du créateur ? Il semble que la mise en scène dans un parking sombre, ne mettant la lumière que sur les tenues et surélevant les Crocs de 10 cm, ce choix ait été le sien.

Phénomène très intéressant en scénographie, la mise en scène est-elle décor, ensemble ou détail ? Tout dépend de comment nous sont montrées les choses. Si la chaussure est loin, peu éclairée, ou au contraire si elle est surélevée, mise en lumière, ce que retiendra le public sera sans doute différent. « Avec une vision Instagram aux yeux carrés, à la recherche de choses magnifiques, drôles, à couper le souffle, surprenantes et délicieuses - des gros plans sur les accessoires et des zooms sur les coutures. C’est le plaisir que tout le monde a dans les spectacles maintenant. » #4

# 4 Sarah MOWER.

Parade’s end : social media is reshaping the fashion show and set design is key to its future. In WALLPAPER [en ligne] 2016.

Disponible : www.wallpaper.com

#instantanésdemode

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La lumière uniformisée La lumière en scénographie, dans le traitement architectural

Le principe étant de prendre une photo qui soit immédiatement

et la mise en scène de l’espace, est une donnée essentielle.

belle par Instagram, il est rare d’y trouver des images que l’on

La lumière crée une alchimie, entre l’espace et l’objet.

pourrait qualifier de « moches ». On remarque plutôt une forme

Le défilé se révèle par la lumière, se raconte par la lumière,

d’esthétique Instagram. Confronté à une tendance visuelle

se met en scène par la lumière et se découvre par la lumière.

actuelle sur Instagram, l’application lisse, uniformise et esthétise

Cela marche aussi avec la photographie. La lumière, forme

l’image. Les filtres Instagram relèvent d’une exigence, très

narrative ou forme abstraite, crée un environnement

contemporaine, d’esthétisation du monde. Esthétique standardisée,

photographiable, ou pas. Visuel, ou pas. Visible, ou pas.

image uniformisée, par la lumière, la saturation et la couleur.

En écho à l’art cinétique, utiliser la lumière et le mouvement

Il y a donc un pendant négatif à l’idée d’esthétisation. Dans sa

pour affecter la perception est un principe scénographique.

forme d’uniformisation.

La lumière est une donnée physique. Qui n’est pas toujours facile, voire possible de retransmettre par l’image. La lumière

Le visuel s’impose-t-il au détriment du sens ? Dans une société

physique et la lumière photographiable sont deux entités.

où l’on doit séduire par l’image, la valeur esthétique modifie l’objet. Ainsi les changements opérés par le numérique

Ce que crée la lumière lors d’un défilé, ou de toute autre mise

comportent des inconvénients potentiels. Bien que la capacité

en scène, est parfois impossible à retranscrire par l’image.

à capturer sous différents angles, lumière, matière et volume,

Volontairement ou non, la mise en scène peut remettre en cause

leurs subtilités peuvent disparaître dès lors qu’ils sont réduits

l’Instagramabilité du défilé. Si matières, couleurs, lumières

en deux dimensions. Une lumière qui peut être saisissante en

et autres données physiques ne se retransmettent pas par l’image,

réalité peut paraître mal réglée ou fade sur l’écran. La collection

l’image racontera autre chose. Le traitement de la lumière,

entièrement composée de noir de la créatrice Junya Watanabe,

avec l’avènement de l’Instagramabillité, est aujourd’hui primordial.

démontre cette incapacité du numérique à retranscrire

Pour être instagramable, il faut que l’effet de la lumière soit capté

parfaitement lumière, matière et volume. Composée de morceaux

dans l’image. La lumière peut être traitée dans ce sens.

de tissus cousus en patchwork, sa collection toute en nuances de noirs, difficile à photographier, ne rendait aucune nuance

Les défilés scénographiés uniquement par des effets de lumière,

à travers l’image. La mode devenue bidimensionnelle sur

peuvent-ils être retransmis hors de leur champ réel ? Tels les

les réseaux, considère les formes, couleurs et volumes d’une

défilés Anthony Vaccarello, qui débutent sur une silhouette

manière totalement différente. Au même titre que la lumière.

en fort contre-jour, qui apparaît avant chaque entrée de modèle.

La silhouette apparaît avant le vêtement, et la lumière du défilé est unique. Retransmise ainsi en image, la lumière risque d’être modifiée et standardisée au profit de la qualité de l’image.

#instantanésdemode

Comment travailler avec et pour ce nouvel outil, si nos fondamentaux tels que la matière et les volumes, y sont modifiés?

#88

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La performance déséquilibrée La performance est l’équilibre subtil et précis de tous ces éléments. « La performance est la couche de vie. C’est le mouvement et la vie humaine. C’est le récit dynamique qui rend la collection mémorable et aussi favorable aux médias pour la photographie, la vidéo et tout ce qui est dans les médias sociaux. » #5 La performance c’est à la fois l’éclairage, le lieu, les mannequins et le son. Comme la finesse ultime de la « mise en page ». La synchronisation du timing, des lumières, des modèles. L’incarnation des corps à donner vie aux vêtements, par leurs capacités mouvantes et chorégraphiques. C’est dans cette performance que se trouve Le compte Instagram @Siduations tire son épingle du jeu, en détournant les images de défilés pour les replacer dans un tout autre contexte.

Il cherche à les inscrire dans des situations de la vie quotidienne.

l’émotion. Dans ce dialogue mené entre le mouvement et tous les éléments qui le lient avec l’espace et le temps.

Certains jouent de ce dialogue à travers les réseaux sociaux.

Ils s’amusent en réinterprétant les codes et le langage du défilé. Dans une époque de génération de « Digital Natives », certains s’emploient à déconstruire, démystifier, détourner et humaniser la mode à coup de montages et publications sur les réseaux sociaux. Mais alors, en se servant du défilé comme détournement de langage, la performance est déséquilibrée.

Le langage est déconstruit, et le discours modifié.

Il est alors impossible de voir la performance: le dialogue entre le mouvement et l’espace-temps est inexistant. # 5 Alexandre DE BETAK.

#instantanésdemode

Fashion Show Revolution.

Paris, Phaeton, 2017. p. 190

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« The truth is that there are too many fashion shows » Interviewé le 8 novembre dernier par SHOWstudio dans leur série de vidéos InFashion#6, Alexandre de Betak fait le simple constat que le problème réside dans la surabondance des défilés de mode.

Il y a en a trop, le même jour, la même semaine, le même mois, la même fashion week. Le résultat est formel. Nous sommes alors envahis par ces images qui défilent sur Internet et tous les réseaux sociaux. Instagram chamboule le défilé. Comment répondre à cette problématique du « trop » ? Comment bousculer les codes alors que le défilé semble dominé par cette force d’Instagram qui ne cesse d’évoluer vers le tout-immédiat et le tout-abondance ? Comment ralentir cette puissance de l’image ?

«Vie et mort de l’image»? #7 C’est dans ce sens que j’ai choisi de faire référence au titre du livre de Régis Debray. Parler de l’image revient d’abord à parler du regard. L’image existe dans la mesure où on la regarde. C’est donc le regard qui fait image, et nous avons changé de regard. « Nous voulons avoir des signes du monde pour nous reconnaître dans le monde, mais nous ne regardons plus vraiment les choses pour elles-mêmes » indique Régis Debray dans Vie et mort de l’image. Le visuel, qui serait le résultat de l’esthétisation des réseaux sociaux-image tels Instagram, serait alors la mort de l’image par ce qu’ils créent des signes et des stéréotypes sur les choses. Nos attentes se sont modifiées à travers le temps.

Selon lui, on ne recherche plus aujourd’hui la valeur magique ou esthétique de l’image. Il parle de « désenchantement de l’image » : la multiplication des images en dévalorise la valeur. Celle-ci n’est plus analysée pour elle-même mais devient un « signe du monde ». Il dénonce l’apparition du visuel au détriment de l’image.

# 6 Lou STOPPARD, In Fashion. In

SHOWStudio [en ligne], 8 novembre 2017. Disponible sur : http://showstudio.com

# 7 Régis DEBRAY. Vie et mort de

l’image. Paris, Gallimard, coll. folio essais, 1992. p. 35

#instantanésdemode

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Désenchantement de l’image Arrive-t-on au bout d’un « cycle de désenchantement de l’image » ? La dévaluation de l’image par le trop d’images, l’une chasse l’autre et notre attention s’éloigne. Régis Debray parle d’un nouveau cycle, qui inverserait la situation, et nous amènerait à recentrer notre attention, à approfondir, à regarder.

Une véritable image « esthétique » ne doit pas être pour son spectateur un résultat reconnu et nommé dans ses effets (comme le sont les styles de filtre Instagram). Une véritable image esthétique doit être capable d’ouvrir en nous une temporalité de contemplation. La véritable image esthétique serait donc un défi à l’image actuelle. Elle est dans notre capacité d’attention et notre richesse imaginaire. Les images deviennent esthétiques par ceux qui les regardent.

L’image de l’éphémère À force d’observer ce qui nous entoure à travers l’écran de nos smartphones, nous avons perdu notre acuité visuelle.

Nous ne savons plus observer les choses autour de nous.

Seul compte l’acte photographique, celui qui nous permettra d’immortaliser ce « moment » pour le partager avec nos amis ou followers sur Instagram et Facebook. Et si l’on s’attarde à l’importance accordée à l’image lors du défilé, on réalise que le public auquel on s’adresse est celui avec le smartphone entre les mains. Qu’il soit assis au premier rang diffusant l’image, ou qu’il soit assis chez lui regardant cette image. Mais alors que devient le défilé si le spectateur est derrière son écran ?

Le défilé dans toute sa dimension éphémère, est tiraillé entre art vivant et art contemplatif.

#instantanésdemode

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« La frénésie de la vie et du monde d’aujourd’hui, les tensions et les bouleversements qui agitent tous les secteurs de la société, ainsi que les pressions permanentes exercées par l’hypertrophie des communications, suscitent le sentiment qu’est menacé un bien des plus précieux et des plus fragiles de l’homme : son attention.

Tout allant trop vite, on ne peut plus accorder aux choses l’attention qu’elles méritent. »#8

# 8 André ROUILLÉ, La Photographie.

Entre document et art contemporain. In PARIS-ART [en ligne], 2005.

Disponible sur http://www.paris-art.com

#instantanésdemode

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04 Le défilé,

#instantanésdemode

« Empire de l’éphémère »

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Incarner, c’est être la représentation matérielle ou sensitive, Société médiatique, le monde est passé dans l’image.

Parfois au détriment du sens. Images démultipliées, nos yeux se posent à peine sur une image qu’ils sont déjà rivés sur une autre. Nos yeux « éphémérisent » l’image.

Rapidement les images se remplacent les unes par les autres.

Internet a réussi à effacer les temps et les distances, et le réseau social est séducteur par sa promesse d’immédiateté et d’éphémère. « Quelques minutes ». Dix pour être exacte.

Parfois même huit. Le défilé, au summum de l’éphémère, doit en ce court instant être un spectacle total.

Ces précieuses minutes doivent incarner la mode. L’image numérique questionne l’acte scénographique de mouvance du corps dans l’espace. Art vivant par excellence, synonyme de mouvement, de charnel et de physique, le défilé incarne-t-il toujours la mode ? Ou apparaît-il désincarné sur les réseaux sociaux ?

le symbole vivant d’une réalité abstraite. Abstraction virtuelle, immatérialité physique, Instagram est de l’ordre du visuel. Ce qui le rendrait acteur d’une désincarnation du défilé de mode. Pourtant, la mode s’incarne. Vivante, puisque physique et matérielle, elle est l’incarnation même.

Un paradoxe induit par la complexité et la tension qui émane entre le virtuel et le réel.

Le défilé comme événement et expérience de mode, incarne la mode. Or, Instagram comme espace abstrait et virtuel, ne peut incarner la mode. Par l’image, il rend la mode désincarnée. Mais ce n’est qu’une apparence. Il est dans la mode, quelque chose qui outrepassera toujours Vie et mort de l’image, c’est son aspect vivant. Son rapport au corps, au temps et à l’espace. La mode est physique, elle est humaine, elle est charnelle. Rattrapée par son histoire, la mode ne peut donc atteindre cet état de « mort ».

Le défilé ne peut donc atteindre la mort par l’image.

#instantanésdemode

#100

Le défilé de mode, le vivre ou le regarder ? « Le monde dans lequel nous vivons et la quantité d’informations que nous recevons réduisent notre capacité d’attention, par conséquent raccourcissent probablement la vie ou la mémoire des choses que nous voyons. » Alexandre de Betak

Frappée par l’omniprésence de halos de lumières qui ornent le podium. Entre les mains de certains ou à hauteur des yeux pour d’autres. Je m’interroge sur cette tendance à vivre l’expérience à travers un écran de téléphone. À travers l’écran...

Pendues à nos smartphones, nos vies instantanées et immédiates se vivent à travers la lentille du téléphone. Il semble que ce soit le propre de nos habitudes aujourd’hui. Qui n’a pas déjà remarqué en pleine exposition ou en plein concert, son voisin, smartphone à hauteur du regard ? Qui ne s’est jamais surpris lui-même en pleine exposition ou en plein concert, téléphone portable devant le visage ? Le smartphone a changé la manière de voir et d’évaluer la valeur et la signification de ce qui est en face de nous. Marquée par l’omniprésence des téléphones sur une image de défilé, lorsque qu’apparaît cette multitude de rectangles blancs, il me semble voir disparaître le public.

#instantanésdemode

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#103

Savons-nous encore regarder ?

Sans titre. Le regard à travers le télpéhone. Défilés de mode acturls.

Source internet inconnue

#instantanésdemode

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Savons-nous encore regarder ?

«The Instagram Moment» le plus mémorable Dries Van Noten. Ces mannequins, inspirées de la scène, marchent sur ce tapis de nature et viennent se poser à terre dessus, comme pour «un Déjeuenr sur l’herbe’.

#instantanésdemode

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Savons-nous encore regarder ?

Défilé Burberry SS16

#instantanésdemode

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Savons-nous encore regarder ?

Burberry SS16

#instantanĂŠsdemode

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#111

Savons-nous encore regarder ?

Défilé Chanel SS18. Pris en capture d’écran durant la dernière Fashion Week. @instagram

#instantanésdemode

#112

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Savons-nous encore regarder ?

Pris en captures d’écran lors de la dernière Fashion Week, depuis le compte de Loïc Prigent. @ loïcprigent

#instantanésdemode

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Savons-nous encore regarder ?

Je m’interroge beaucoup sur cette dimension nouvelle du regard.

Est-il valeur de désacralisation d’une expérience ? Pour Simon Caillaud : « Assister à un concert et le voir en vidéo, ce n’est pas la même émotion. Tout comme aller sur google art land project et pouvoir zoomer sur la Joconde au millimètre près, c’est fabuleux, mais observer la Joconde en vrai c’est autre chose.

Au-delà du fait que ces outils importants ouvrent de nouvelles dimensions, ils ne nous procurent pas d’émotions. » Le défilé, vecteur même d’émotion « fait rêver le public derrière son téléphone. Il rêve de pouvoir le voir en vrai. D’en faire partie.

Cette inaccessibilité fait fantasmer les gens », poursuit-il.

Fascinés par cette inaccessibilité, on désire « voir en vrai ».

Seulement lorsque l’on « voit en vrai », on ne voit plus vraiment, on photographie. Finalement, qu’il soit physique ou virtuel, le public vit le show en le regardant à travers un écran. « Nous (Bureau Betak) on voit ça comme une énorme dérive. Avant, à la fin du show les gens applaudissaient. Ce qui générait une émotion propre au spectacle. Aujourd’hui à la fin des défilés, les gens n’applaudissent plus car ils ne peuvent plus applaudir le téléphone dans la main. » En guise de clin d’oeil à cette tendance des réseaux sociaux, et pour accompagner la publication de son livre Fashion Show Revolution, Alexandre de Betak, a imaginé une collection inédite d’objets sous le nom de « Fashion Show Tools and Survival Gear ». Parmi ces objets, on trouve notamment des coques de téléphone sur lesquelles est inscrit « put your phone down to clap », « put your phone down to enjoy the finale », « put your phone down to watch » ou encore « keep your head straight ». #instantanésdemode

Le défilé, art vivant par définition, se vit.

Mais l’omniprésence actuelle du monde numérique, remet en cause les notions de vivre ou de regarder un défilé. L e public n’es t plus seulement celui pr ésent dans la salle, mais aus si celui à tr a v er s les écr ans. On s’adr es se maintenant à deux publics : un r éel e t un v ir tuel. Celui qui vit et celui qui regarde.

#116

#117

Le défilé bidimensionnel Changement de focus à travers les quelques centimètres carrés de son téléphone. Les défilés sont désormais calibrés pour être perçus en images carrées. Pour des spectateurs pour qui le regard s’effectue au travers de la lentille du téléphone. « À l’ère du numérique, nous vivons à travers nos écrans, à mettre en images le moment présent. Nous ne regardons plus, nous filmons.

Nous n’écoutons plus, nous enregistrons. Et nous ne parlons plus, nous téléchargeons. » C’est sur ces mots que s’ouvrait l’exposition « Manifeste » consacrée à Alber Elbaz, directeur artistique de la maison Lanvin de 2001 à 2015, tenue à la Maison Européenne de la Photographie en octobre 2015. Interrogé à cette occasion par l’AFP, il confie : « Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, on voit aussi l’influence des écrans, comment cela a un peu aplati la mode. Sur les réseaux sociaux, on ne voit que le devant d’un vêtement. Or, la mode, ce n’est pas juste le devant ou le dos, c’est tout ce qui se passe entre le devant

Faut-il rappeler, que le défilé est le seul moyen de dévoiler une collection « en chair et en os », à travers volumes, matières et mouvements, dans toute sa dimension.

et le dos, c’est ça l’histoire. » « Comme les spectacles sont calibrés pour être des expériences socialement partagées, la mode est pensée pour être vue sur un écran bidimensionnel. » #2 L’époque modifie la façon dont les vêtements sont présentés et même la façon dont ils sont conçus. Mais alors comment penser la mode et la montrer en deux dimensions, alors qu’elle est volume, matière et mouvement ? Cette question fait écho à la réflexion menée par Rei Kawakubo, la créatrice de Comme des Garçons, qui prédisait « l’avenir en deux dimensions » lors de son défilé automne-hiver 2012. Comme une critique en avance sur son temps, elle y faisait défiler une collection trompe l’œil de vêtements à volumétrie plate. Comme si le vêtement avait déjà été aplati par l’écran. # 2 Matthew SCHNEIER.

Fashion in the Age of Instagram.

In The New York Times, [en ligne]. 9 avril 2014.

#instantanésdemode

Prémonitions de Rei Kawakubo pour sa collection AW12?

Sa mode en deux dimensions.

#118

#119

Physique et matérielle, la mode s’incarne par des corps en mouvement, à travers le temps et l’espace. Pour Simon Caillaud, ce questionnement actuel « est le propre des arts vivants ».

Et d’ajouter : « C’est le propre de tous les arts. Je pense qu’Internet, les ordinateurs et les réseaux sont de superbes outils.

Mais ça ne peut pas t’apporter l’émotion que peut te générer un art vivant. Cela t’apportera peut-être une émotion différente, mais en aucun cas l’émotion que génère quelque chose de réel. »

# 3 Linda Stone (née en 1955) est une écrivaine et consultante qui a inventé l’expression « attention partielle continue » en 1998.

#instantanésdemode

À force d’observer ce qui nous entoure à travers l’écran de nos

« Paradoxale parce qu’elle combine

smartphones, nous avons perdu notre acuité visuelle. Notre attention

sensorialité et hygiéniste, dématérialisation

se rétrécit. Nous subissons un phénomène « d’attention partielle

et sensualisme, écran et tactilité. Si une part

continue », conceptualisé en 1998 par Linda Stone #3 . À trop

importante de la vie se passe derrière

vouloir être connectés sur un maximum de supports, nous divisons

les écrans numérisés, une autre non moins

notre attention pour être partout à la fois. Amplifié par les réseaux

importante, investit la dimension contraire,

sociaux, il en résulte que nous ne savons plus prendre le temps

chargée d’attentes de plaisir sensoriels »,

d’observer les choses autour de nous. Seul compte l’acte

analyse Gilles Lipovestky. Selon l’essayiste et auteur de L’Empire

photographique, qui nous permettra de le partager via nos identités

de l’éphémère, la partie du temps que l’on vit hors de la dimension

numériques. Seule compte « l’expérience ». Mais quelle expérience ?

numérique, se vit dans la dimension contraire, c’est-à-dire dans

Celle d’avoir vécu un moment ou celle d’avoir immortalisé

l’espace physique. Les plaisirs sensoriels sont alors ressentis durant

ce moment ? Entre expériences matérielles ou immatérielles,

ce temps et dans cette spatialité. Et cette émotion, ces « plaisirs

images réelles ou virtuelles, notre époque est paradoxale.

sensoriels », se transmettent par ce qui rend la mode vivante :

le corps, le temps et l’espace.

Le corps décor

« L’illustration de la mode était si importante, malheureusement elle a été mise de côté par les magazines, puis par Internet et maintenant par les réseaux » reconnaît Nick Knight, grand photographe de mode, « monstre de l’image », ainsi que fondateur de SHOWstudio. Depuis 2012, il propose à des illustrateurs d’interpréter les collections lors des défilés de la Fashion Week, pour sa plateforme vidéo SHOWstudio. Laissant totale liberté quant au sujet de ces illustrations, Nick Knight demande à chaque illustrateur « leur regard. Sans aucune restriction, sans essayer de reproduire fidèlement les vêtements, mais leur perception de la mode par des réponses quelque peu abstraites et émotionnelles ».

Lorsque l’on s’attarde sur les corps qui défilent, une ambiguïté émane. Le corps, sublimé, exposé et mis en lumière d’une part.

Idéalisé, contraint et inhumain d’autre part. Surexposé via les réseaux sociaux, le corps devient alors inanimé, désincarné, déshumanisé. Il en perd ses propres caractéristiques.

Paradoxalement, il est celui qui donne vie au défilé. Point de départ de l’inspiration d’un styliste, les designers de mode sont

Des regards poétiques et sensibles, porteurs d’émotions pour illustrer un défilé. Qui se distinguent de la représentation médiatique des images. Force est de constater que ces croquis sont pour la plupart des illustrations des corps. Entiers ou fragmentés, ils confèrent au corps sa valeur représentative du défilé. En effet, c’est lui qui porte le vêtement, lui qui met en scène la collection.

les premiers à en louer l’importance. Ainsi, le créateur Paul Poiret, écrit-il dans En habillant l’époque, « Le mannequin vivant, c’est une femme qui doit réagir sous un modèle, et aider par ses gestes et ses attitudes, par toute l’expression de son corps. » « Spectaculaire décor à corps »#4, le défilé, expression chorégraphique, donne vie à ces corps. Tout comme le corps donne au défilé sa dimension d’art vivant. Il est l’une des caractéristiques principales, non seulement de la mode mais aussi du défilé.

Quand la mode démarre avec ses principes de défilés sur le modèle de salon privé en 1950, c’est le vêtement qui prime, avec pour seul « décor » les corps. Auparavant immortalisés par les croquis des journalistes et des illustrateurs de mode, aujourd’hui ils sont immortalisés sur leurs posts Instagram.

L’importance du corps humain, langage poétique du défilé, s’efface # 4 Morgan JAN. Le défilé de

mode : spectaculaire décor à corps. Sociétés & Représentations, 2011, vol.

31, no. 1, pp. 125-136.

au profit de posts Instagram de détails, de visages et d’accessoires.

Illustrations SHOWStudio / Frédéric Forest.

Fashion Week SS18 Rick Owens SS18 par Frédéric Forest.

#121

#122

#123

Le corps mouvant Mais alors si les corps, et ainsi les vêtements, représentent à eux seuls le caractère vivant du défilé, peut-on considérer que seuls ces corps-vêtements font le défilé ? Par le biais des réseaux sociaux, le défilé présente des corps-vêtements hors de toute spatialité ainsi que des espaces dépourvus de corps vêtus.

Quelle est alors la place du corps-vêtement dans le défilé ?

Souvent relégué au second plan, parfois presque inexistant.

Il est l’essence même du défilé mais paraît prétexte à ces mises en scène. Comme un retour à l’essentiel, rappelons que l’espace du défilé s’est construit autour du corps. Pour lui donner vie dans l’espace, à la manière d’Hussein Chalayan, qui part « de la matière corporelle (…) de ses rythmes, de ses déploiements qu’elle va accompagner, libérer, contraindre ». Le défilé serait une architecture en mouvement.

Dans un monde où l’on tente de tout remplacer par virtuel, numérique et technologies, Sally Singer, journaliste et directrice Céline SS18 par Frédéric Forest.

artistique digitale chez Vogue US, inscrit sur le papier qu’il faut « penser à mettre un peu d’humain ». Par son rythme et sa déambulation, c’est à travers l’espace et le mouvement que le corps donne vie au vêtement. C’est dans ce mouvement des corps, dans ce « décor à corps », que le défilé donne toute son ampleur au caractère éphémère de la mode. Au rythme d’une gestuelle des corps, le temps du mouvement, apporte une dimension unique à un événement qui ne se produit qu’une fois. Au temps de l’éphémère, un temps qui nous file entre les doigts, le défilé est un moment irremplaçable. Il est le dernier aspect du système de la mode qui accepte sa nature éphémère. En ce sens, les

Lanvin SS18 par Frédéric Forest.

#instantanésdemode

réseaux sociaux sacralisent le défilé de mode, devenu encore plus unique pour ceux qui le vivent.

Le temps, « moment suspendu »

#5

#125

Où est le temps ? De plus en plus court…

Olivier Saillard aurait été à mes yeux une personnalité riche à rencontrer dans le cadre de ce mémoire. Ovni de la mode dictée par l’immédiateté, le directeur du musée Galliera fait partie de ceux qui s’interrogent sur la notion du temps. Dans un article de L’Obs (février 2016), il répond sur cette question du temps.#6 Seul constat actuel selon lui, « d’un côté se raccourcit le temps du défilé, de l’autre s’étire celui de l’exposition ». En parallèle de son métier de directeur de musée, il excelle dans l’art de la performance. « The Impossible Wardrobe », produite en 2012 au Palais de Tokyo, a marqué les esprits. On y

Le temps, une notion que l’on a tendance à oublier. C’est un fait,

voyait l’actrice écossaise Tilda Swinton manipuler avec délicatesse

« je n’ai pas vu le temps passer ». Perdu face à une temporalité

et gravité les vêtements archivés des réserves du musée Galliera.

instantanée. Le défilé de mode est bien associé à une notion

En pleine effervescence de Fashion Week, il est venu figer le temps.

de temporalité, à laquelle on ne peut échapper. La mode est en

« Nous n’avions pas conscience que nous étions en train

elle-même notion de temporalité.

de signifier un moment à part. À la fin de la représentation, tout le monde s’est levé. Nous étions en pleine Fashion Week et nous

Le défilé questionne notre rapport à la temporalité instantanée

proposions un défilé de quarante minutes ! » Sa conception poétique et performative du défilé semble presque disparue.

# 6 Anna TOPALOFF, Alban

AGNOUX. Olivier Saillard: Prendre le temps devrait être la nouvelle variable de la mode. In Le Nouvel Observateur [en ligne]. 29 février 2016. Disponible sur: https://o.nouvelobs.com

Le défilé, par l’omniprésence des réseaux sociaux, est un moyen de questionner notre rapport au temps actuel. Entre spectacle de l’éphémère et besoin incessant d’immédiateté et de nouveauté, notre époque semble imposer un rythme où la rapidité prime sur l’essentiel. Société immédiate et éphémère, la mode évoque une temporalité. « Depuis son origine le miroir de la société », elle évolue avec le temps. Révélatrice de l’état d’esprit d’une époque et des mutations de la société, la mode est vivante.

Mouvante et évolutive, c’est dans ce mouvement qu’elle trouve son caractère éphémère.

# 5 Olivier SAILLARD , historien de la mode et ancien directeur du musée Galliera, précise que le défilé est pensé et vécu comme « une émotion, une expérience, un moment suspendu. »

The Impossible Wardrobe Au Bon Marché, corsage de Cléo de Mérode, vers 1900, collection Palais Galliera - Photo - © Piero Biasion, 2012

#126

#127

The Impossible Wardrobe - Collet d’hermine de Sarah Bernhardt, vers 1900, collection Palais Galliera - Photo - © Piero Biasion, 2012

Olivier Saillard pense que la mode est devenue miroir « trop sculpté, trop biseauté, trop alambiqué ». Il juge la danse contemporaine davantage pertinente. « C’est une discipline intacte, qui sait prendre un temps d’observation qui s’est perdu dans la mode. » En effet, pas plus de dix minutes sont accordées au défilé aujourd’hui. On attend plus longtemps les défilés qu’on ne les regarde.

#instantanésdemode

#128

#129 # 7 Nathalie Khan est

chercheuse et conférencière au London College of Fashion et à Central Saint Martins dans la culture visuelle et la photographie de mode.

# 8 Vestoj, the platform for

critical thinking on fashion, est un magazine annuel sur la mode créé par Anja Aronowsky Cronberg, rédactrice en chef et éditrice.

Il «se distingue de la récolte actuelle de nouveaux magazines en raison de sa position délibérément intellectuelle ».

Entre -temps

Retard, anticipation et report font traditionnellement partie de

Pourquoi ne pas voir cette attente d’un tout autre œil ? C’est le cas

la routine. Prélude systématique de tout défilé qui alimente les

de la journaliste Nathalie Khan #7 , qui s’est pris au jeu pour

réseaux sociaux, par l’excitation de l’arrivée des stars du front row.

le magazine Vestoj, The platform for critical thinking on fashion.#8 Intitulé « Betwixt and between », elle traite du temps liminal dans le contexte du défilé. Cet article m’a paru intéressant dans ma réflexion puisqu’il interroge le temps, en lui donnant une dimension nouvelle. Une approche poétique et hors du temps, de l’hystérie médiatique qui émane d’un défilé. Le temps passé à attendre un défilé est un temps de transition. Un entre-deux.

Que peut-il générer dans une société qui ne sait plus attendre ? « Attendre le début du spectacle est, en d’autres termes, une partie intégrante de l’expérience du défilé en tant qu’événement en direct. Mais le temps est précieux. À l’ère de la technologie, de l’information et de la production d’images instantanées. » L’attente, habituellement considérée comme péjorative, peut alors être considérée comme privilège. Dans une société où le temps semble nous filer entre les doigts, le temps liminal, qui équivaut à un seuil, devient précieux. « En explorant le rôle du temps liminal dans le contexte des défilés de mode actuels, son absence dans le cadre numérique est remarquable. La diffusion immédiate

Illustration de l’attente en Front Row, entre les «stars». Agoera est un illustrateur et artiste japonais.

et instantanée des défilés de mode a modifié l’expérience de l’événement, qui n’est plus ancré dans l’espace et dans le temps. » C’est par l’expérience du temps que le défilé en direct devient unique. En cela Instagram et toute autre plateforme numérique

#instantanésdemode

ne pourront jamais remplacer le défilé.

#131

L’espace, langage sensoriel Éphémère, l’espace en perte de vue

L’espace aussi vite oublié ?

Il y a quelque temps de cela, un défilé c’était un fond de décor

Problématique pérenne, dans les bureaux de Bureau Betak,

et un podium. Un jour, le public est devenu plus important,

la question s’est posée plusieurs fois. Et notamment lors du défilé

et depuis il ne cesse d’augmenter. Physique et numérique, à la fois

« Courtesy of Dior » printemps-été 2016, époque Raf Simons,

présent et virtuel, il est partout. « Sur le côté, de face, vers le fond,

en pleine Cour Carrée du Louvre, avec l’essai d’une installation

que ce soit le mannequin, le vêtement, le décor, ou l’ensemble,

haute de 18 mètres et composée de 300 000 delphiniums bleus.

le détail, un fragment, puis l’entrée, le backstage, le final,

« La montagne de fleurs Dior, pour 10 minutes de show, c’était

aujourd’hui le public photographie tout. D’un coup ce n’est plus

trois semaines de montage. Deux heures après un show,

la photo du décor, mais c’est l’environnement » explique

c’est le démontage. La durée de vie est extrêmement éphémère.

Simon Caillaud. Plus qu’un décor, le défilé est un environnement

De là est partie une réflexion collective. De ne pas penser le show

total. Pensé comme une expérience globale à travers l’espace.

que pour les 1 000 personnes à l’intérieur, mais aussi pour les

On pense au-delà du podium, au-delà des dix minutes de show.

autres. Comment peut-on donner à voir à tous ? Au-delà des posts

Un environnement qui disparaît aussitôt le show terminé,

Instagram. On a donc discuté avec Dior et avec le Louvre,

aussi vite qu’il a été immortalisé et partagé sur les réseaux.

qui accueillait l’événement, dans l’idée de garder cette montagne pendant plusieurs jours. Intéressés par la mode ou pas,

Dix minutes de vie pour une création unique. À l’heure des

par la scénographie ou pas, en tout cas beaucoup de gens se sont

réseaux sociaux, l’existence est de courte durée. Installations

déplacés » m’explique Simon Caillaud.

scénographiques, on peut se demander comment faire vivre ces « espaces-objets » au-delà du défilé, et partager avec ceux qui

Aujourd’hui, ayant accès à tout, on doit constamment créer

désirent voir au-delà des images virtuelles, par la matière de l’espace.

la surprise. Dans l’overdose de signes, l’accent n’est plus mis sur le produit et l’image, mais sur l’expérience. L’espace doit faire sens. Selon Emanuele Quinz, historien d’art et curateur, il faut

Installation du défilé Dior SS15, réalisée par Bureau Betak.

distinguer le simple « décor d’auteur » d’une véritable « réflexion ».

On cherche aujourd’hui des lieux « d’expérience de la mode », qui mèneraient tout individu à agir, à réfléchir, à repenser la mode. Rôle de tous les créateurs, parmi lesquels designers et architectes. La mode a besoin de s’ancrer dans l’espace. « Les tendances académiques du discours architectural prêtent de l’authenticité à la mode, traditionnellement perçue comme insignifiante et changeante, par contraste avec la solidité pure d’une structure architecturale. » #9

# 9Vestoj Editors, Expanding Fashion: The Prada Transformer.

Rem Koolhaas for Miuccia Prada. Vestoj. [en ligne].

Disponible sur: http://vestoj. com/expanding-fashionrem-koolhaas-for-miucciaprada/

#132

#133

« Quand on me demande quelle est ma prochaine action, je réponds toujours, n’est-ce pas évident ? Un défilé de mode dans l’espace. L’avenir des défilés de mode doit être déclenché par un acte révolutionnaire et montrer l’espace. » À chaque interview, Alexandre de Betak est interrogé sur quel sera son prochain défilé. Fasciné et passionné par l’espace et la sciencefiction, il répond toujours que son rêve serait de réaliser un défilé dans l’espace. Persuadée que sa réponse était liée à sa passion, j’y vois aujourd’hui une réponse à connotation mystérieuse. Une métaphore discrète à ce qu’il pense de l’avenir du défilé. Ne serait-ce pas là une métaphore de ce retour à l’essentiel du défilé ? Un retour au corps en mouvement dans l’espace. En effet « c’est dans l’espace intermédiaire entre

Montrer l’espace

individu et société que la mode se manifeste en premier lieu ». #10 Déclencher l’expérience par la relation avec l’espace physique et non pas par l’impact visuel. C’est dans cette optique que s’est pensé et construit le défilé « Continuous Interior ». À l’heure où le souci d’essentialité se fait de plus en plus retentissant, OMA et Prada ont ressenti le besoin de revenir à l’essentiel, lors du show Prada automne-hiver 2017. L’espace, divisé par des cloisons en bois créant une série de paysages consécutifs.

Ces cloisons tracent le périmètre des différentes pièces proposées, donnant la dimension intimiste de la vie domestique.

Lits et bancs, assises des spectateurs, définissent un rythme pour la composition globale. La disposition fournit à chaque invité une perspective unique, et les cloisons leur offrent une perspective individuelle. Chacun a donc sa vision personnelle du défilé, mais l’expérience est collective. Ils préconisent un retour à la réalité et à une expérience intime, sans médiation entre le public et la mode. Seul l’espace comme outil. #10 Frédéric GODART,

#instantanésdemode

Sociologie de la mode, Paris, La Découverte, « Repères», 2010, p. 54

#134

#instantanésdemode

#135

Défilé Prada FW17 à Milan, par OMA

#136

#137

Vers l’épure Présentation de la collection printemps-été 2017 du jeune créateur Simon Porte Jacquemus « Les Santons de Provence ».

Référence aux figurines provençales dans leurs habits traditionnels, une inspiration singulière, pour une présentation alliant simplicité, tradition et épure. C’est dans une lourde obscurité, dans l’attente du début du show, que s’impatiente le public auquel on annonce une collection « émouvante ». Pourtant difficile d’imaginer l’émotion, dans un décor dépouillé qui dégage peu d’indices. Un simple podium en escaliers, dans le noir et la fumée.

Défilé Jacquemus SS16 à Paris.

Les Santons de Provence

Coucher de soleil provençal, les projecteurs éblouissent la salle.

Là retentissent les premières notes de La Force du Destin de Verdi, musique du film « Jean de Florette ». Nous voilà emmenés dans cette balade provençale lorsque les mannequins franchissent les collines de planches de bois. Réel travail d’épure, l’espace, sans prétention ni maniérisme, donne corps à l’intention. L’espace sans artifice ni démesure pour déclencher les sens. Et ainsi provoquer une émotion sincère au même titre que l’authenticité de la démarche.

L’espace dans « son simple appareil », langage poétique et dimension de tous les possibles.

#instantanésdemode

#141

« The Instagram moment » #final

L

e défilé de mode, observé sous toutes ses coutures, fait, à mes yeux, de la mode une histoire fascinante. Une histoire

du monde, qui s’écrit sous nos yeux, qui nous raconte tous et se tisse au fil du temps. D’autant plus fascinante que cette histoire se confronte aux évolutions de la société et donc à elle-même. Cette histoire de la mode est narrée sous différents langages, et le défilé est celui qui me parle le plus. Un langage du corps, du temps et de l’espace.

Aujourd’hui face à un flot d’images quotidien, immédiat et continu, et alors que les images défilent à la vitesse du mouvement de nos doigts, j’ai voulu appréhender la portée du défilé de mode et de sa mise en scène spatiale comme support de réflexion, face à la puissance du temps et de l’image. Observé sous cet angle instagramable, nous comprenons comment Instagram a modifié les codes du langage visuel. Dans cet « empire des signes », que Roland Barthes nous décrivait déjà à l’arrivée de la publicité. « Qu’est-ce tous ces signes parmi nous qui finissent par me faire douter du langage et qui me submergent de significations noyant le réel au lieu de le dégager de l’imaginaire ? » Jean-Luc Godard (film Deux ou trois choses que je sais d’elle, 1967).

#142

Le défilé est un langage physique et matériel, dont l’alphabet serait

Considérant que « la mode est un langage de l’instant » (Muccia

le corps, le temps et l’espace.

Prada), le défilé, art vivant par excellence, par un dialogue entre

Un langage devenu une suite d’images. Mais les images perdues

le corps, le temps et l’espace, m’apparaît comme une base

dans la multitude d’informations visuelles qui nous envahissent,

possible pour chercher des réponses aux problématiques actuelles.

tendent à disparaître. Induite par l’avènement des réseaux,

Ennemie de l’immobilisme, la mode est une question de zeitgeist

du numérique et du digital, force est de constater que nous entrons

(signifie « l’esprit du temps » selon la philosophie allemande).

dans une période de transition. « Dans quelle mesure, dès lors,

Et à ce jeu du temps, amplifié par les réseaux sociaux, le rythme

ces images de mode sont-elles significatives de l’état d’une

effréné de la mode s’essouffle peu à peu. Comment le défilé,

société », réitèrerait Frédéric Godart depuis Sociologie de la mode.

en se débarrassant de son rythme effréné, de ses codes et de son image, peut-il devenir objet de réflexion autour du monde

Il apparaît que le sentiment qui résulte de l’emprise d’Instagram,

qui nous entoure ? Peut-il s’affranchir de la révolution Instagram ?

et autres réseaux sociaux, sur nos vies, tend vers l’overdose.

Aller à contre-courant des avancées du monde et ainsi revenir

Trop de défilés de mode. Trop d’images. Trop en même temps,

à une base simple qui est celle de « la marche des êtres humains »

le même jour, les mêmes semaines, les mêmes villes, les mêmes

comme le dit Alexandre de Betak lui-même.

lieux. Alors trop c’est trop ? À force de vivre à travers les écrans, il en émane un sentiment d’oubli de la réalité des choses.

« C’est le mouvement dans l’espace qui crée le temps

Perte de tout rapport physique et matériel ?

dans la conscience humaine. Sans mouvement, point de temps.

Si par le biais des réseaux sociaux le défilé

Le temps se ramène à des changements nécessaires dans

de mode perd ce qui fait de lui un art vivant,

l’espace, changements que nous figurons tantôt par des lignes

si l‘espace physique est abandonné au profit

sans fin, tantôt par des lignes fermées. » rappelle Jean-Marie

de l’espace abstrait du numérique, comment

Guyau, philosophe français dans La Genèse de l’idée de temps.

retrouver l’authenticité de l’espace incarné ?

L’espace est celui qui quantifie le temps.

Ce qui fait alors écho en moi, est le défilé du créateur Jacquemus, « Les Santons de Provence » (évoqué ci-dessus) quand il annonce :

Ainsi n’est-il pas à nous, futur(e)s

« Voici la version réelle de notre défilé parisien. »

architectes d’intérieur,

On découvre l’espace mis en scène un an auparavant dans sa

designers

réalité. L’essence même de l’espace. « Avec Alexandre de Betak,

et scénographes,

nous avions imaginé un coucher de soleil provençal, représenté

de requalifier ce temps ?

par un cercle d’ampoules aux teintes de feu et des collines

#instantanésdemode

fabriquées avec des planches de bois. Ce soir, c’est la version

Je m’autorise un parallèle étroit entre architecture et narration,

100 % marseillaise. » Toile de fond apparente, la Méditerranée

comme quoi l’architecture se fait dans un espace, le récit dans un

scintillante, révélant les montagnes au loin, et baignée dans

temps. Parallèle entre d’une part construire, matérialiser dans

la lumière d’un coucher de soleil provençal. Plus besoin de mise

l’espace, et d’autre part raconter, matérialiser dans le temps.

en scène, plus besoin de « tricher », l’espace se révèle et l’émotion

Il pourrait être possible de faire se croiser la « mise en scène »

du défilé de mode se ressent entièrement dans l’espace.

architecturale de l’espace et la « mise en scène » narrative du temps.

#143

#144

#145

Si l’on va plus loin dans la pensée, en reprenant les termes de Jean-Marie Guyau, « l’idée de temps, comme celle de l’espace, est empiriquement le résultat de l’adaptation de notre activité et de nos désirs ». C’est en désirant et en agissant pour ces désirs que nous créons l’espace temps. « Le désir enveloppe l’idée de possibilité, et cette idée de possibilité, en s’opposant à celle de réalité, devient un antécédent, c’est-à-dire quelque chose d’idéal et d’imaginé qui précède l’apparition vive du réel.

Le désir, d’ailleurs, est un mouvement commencé, et le mouvement commencé, c’est le défilé d’images qui se déroule, le défilé de scènes dans l’espace. » Pourrait-on imaginer que ce n’est plus le défilé de mode

« Prendre le temps devrait être la nouvelle variable de la mode »

qui sollicite architectes et scénographes dans sa mise en scène,

Olivier Saillard

mais que ce sont ces architectes et scénographes qui s’emparent du défilé de mode pour le réinscrire dans un temps réel et non pas figé sur Instagram ?

Finalement la question est de savoir à quel point les défilés de mode sont importants, à l’heure où tout semble se dématérialiser. La réponse est peut-être dans l’humain, le corps et l’espace. Prenons le temps d’observer quelle sera la réponse des défilés de mode face à la révolution Instagram. Car il est bien question de temps. Face à la rapidité de l’ère digitale, reprenons le contrôle sur le temps.

#instantanésdemode

#148

#149

Backstage #annexes

moment. Où le mouvement va intervenir,

et il y en aura toujours, c’est cyclique.

où la lumière va entrer en jeu, ainsi que

La révolution a pris plusieurs formes,

la musique, etc. C’est à la frontière de

avant même l’arrivée d’Instagram et des

pleins de domaines.

réseaux ou médias sociaux. Le défilé à

C’est là où , Alex à l’origine, et

l’origine, c’était des gens assis dans une

Rencontre avec Simon Caillaud,

faisaient appel à différents corps de

maintenant nous tous, en tant que

salle pendant une heure, les

Design Studio Manager au sein

métiers pour tout gérer, la lumière, le

designers dans l’équipe, on prend tous

mannequins défilaient les unes après les

décor, les mannequins…

cette multicasquette par rapport à

autres, jamais deux en même temps,

À l’époque où Alexandre a commencé,

l’environnement.

avec leurs petits panneaux et une

un mouvement prenait naissance autour

Il n’y a pas de terme générique pour

personne dans la salle chargée de faire

de plusieurs créatifs ou créateurs de

définir cette démarche et la distinguer

le descriptif de la tenue, pendant que

décors, qui avaient pour ambition

d’une agence segmentée entre

dans le public, des gens prenaient des

partagée de professionnaliser le métier,

l’expertise du set designer d’un côté,

notes. Sur un format d’une heure voire

d’inventer de nouveaux formats, d’être

des professionnels de l’éclairage, du son

une heure et demie, pas moins d’une

davantage créatifs pour le décor, de voir

de l’autre, et que sais-je encore.

centaine de looks différents se

et concevoir en grand. Autodidacte,

C’est en tout cas c’est le métier que

succédaient. Aujourd’hui, un défilé dure

équipes s’étend bien au-delà

Alexandre s’est inscrit dans ce

s’est inventé Alexandre, c’est de se dire

8 à 10 minutes au maximum, pour trois

du design, de la création et de

mouvement. Dans sa démarche, il a eu

que tout ça ça fait partie de la création.

semaines de montage et deux heures de

la scénographie.

une approche multi-casquettes et

On a tous un oeil sur tous les éléments

démontage. Au-delà de cette durée, il ne

Vous êtes vous même (Simon

multi-disciplinaire.

qui composent le défilé. On travaille bien

faut même pas espérer capter l’attention

Caillaud) architecte intérieur-

D’un côté, il s’est entouré d’équipes sur

sur avec des spécialistes, mais on

d’un public. Le défilé s’est démocratisé.

un schéma comparable aux équipes de

travaille la globalité, car c’est ce tout qui

Il a, comme l’explique Alexandre, ouvert

production dans le cinéma. La logique

fait le défilé.

ses portes pour montrer tous ses acteurs

du Bureau Betak, autour du sujet Instagram et défilés.

Avec Bureau Betak, la mise en scène du défilé est devenue un métier. Sans cesse réinventé et révolutionné. Le travail d’Alexandre de Betak et de ses

designer, diplômé de l’Ecole Camondo. Dans les médias, Alexande de Betak passe de set designer à producteur, ainsi

était de se donner les moyens, de se mettre en capacité d’assurer et de gérer dans sa globalité budgétaire un défilé

On évoque aujourd’hui Instagram comme le média

au plus grand nombre.

Au-delà du format, la dimension même du défilé a connu une révolution. La

dominant sur la mode.

volonté d’Alexandre est d’être en

tous les services annexes au défilé, de la

Il impose sa suprématie lors

permanence révolutionnaire dans la

« chef d’orchestre ». Alors

sécurité, au traiteur, en passant par

des défilés. Souvent remis en

manière d’appréhender les sujets sans

comment définir votre métier?

l’éclairage, le chauffage et le site.

question, qu’est ce qu’un défilé

rester enfermé dans des formats, il a

Qu’est ce que Bureau Betak?

D’un autre côté, il a toujours fait la

de mode à l’heure Instagram?

conduit une autre révolution en

partie création, et la création dans un

Dans quelle mesure et sous

qu’à scénographe et metteur en

sous un angle événementiel, en incluant

scène, et parfois même désigné

Un ensemble de disciplines qui se croisent, ou ensemble de personnes multitâches?

défilé c’est pas qu’une création scénographique comme un set design, c’est vraiment aussi la création en

quelle dimension Instagram révolutionne l’art du défilé ?

inventant il y a vingt ans avec la marque Victoria’s Secret, ce que d’aucuns ont considéré à l’époque comme les plus grands défilés au monde. L’approche

À l ‘origine, les maisons de mode

termes d’ « art du spectacle » ou « art

Le terme de révolution peut être

révolutionnaire d’Alexandre a été de

faisaient ça en interne. Elles

vivant », dans le sens où il y a un décor,

interprétée dans beaucoup de sens. Il y

conduire la marque à renoncer à une

produisaient leurs propres défilés et

qui va accueillir une performance, un

a déjà eu des révolutions dans le défilés,

logique de deux défilés dans une même

#instantanésdemode

#150

#151

année pour n’en faire plus qu’un, mais

Mais de l’autre l’émotion produite par la

challenge car il n’y a pas de recette, ce

penser. Il faut donc penser

grandiose. Un événement gigantesque,

découverte de la collection ne peut pas

n’est pas quantifiable, il n’y a pas une

incroyable, mémorable avec les

être perdue. Chez Bureau Betak, la

seule solution qui fait qu’un défilé va

instagrammable ? Mais qu’est-

télévisions en direct live, Internet en

question est au cœur de nos

être magique, mémorable et provoquer

live, un défilé inédit pour toucher le

interrogations et de notre réflexion.

des émotions. Mais c’est sur que si les

grand public.

D’une part il y a l’idée de faire des

défilés doivent continuer d’exister il faut

défilés, un événement exclusivement

ce plus. Il faut un plus. Que les réseaux,

scénographie ou l’uniformise, la

destiné à générer des contenus pour les

les lives, ne retransmettent pas.

bride?

réseaux sociaux. Et dans ce cas le show

Après peut-être que les défilés vont

devra être tourné et orienté encore

évoluer aussi de manière différente,

Instagram, ou je dirais pour être exact,

davantage vers le grand public mais

peut-être qu’il y aura des moments

les smartphones et Instagram viennent

pourra se passer d’invités, à l’exception

exclusivement professionnels et des

clairement à leur tour révolutionner non

des meilleurs instagrameurs, des

moments exclusivement grand public,

pas l’événement en lui-même, mais son

blogueurs et autres influenceurs les plus

sur des timings différents, dans des

accessibilité dans l’instantanéité à tous

en vue. Ou alors les marques et les

formats différents aussi. Les

les publics. Un défilé aujourd’hui c’est

créateurs continueront à considérer que

professionnels veulent voir les looks,

une couverture médiatique hors du

pour procurer encore et toujours de

toucher matière, échanger avec le

commun à laquelle s’ajoutent des

vraies émotions, qu’un live ne peut

designer, et le grand public demande le

dizaines voire des centaines de bras

parvenir à retransmettre complètement,

spectacle, la mise en scène d’une

tendus, avec au bout des smartphones

rien ne peut remplacer le défilé.

marque, qui a son histoire, qui la raconte

Il est donc question d’accessibilité, de toucher un plus grand nombre…

cherchant à saisir, à partager eux aussi l’événement, en en capturant tous les instants sous forme d’images.

La question est là, le défilé est un moment. Qui ne se recrée

dans un nouveau chapitre à chaque fois.

Et plus il y a de spectacle, moins le journaliste voit le vêtement.

pas. La notion d’éphémère est la

Mais cette accessibilité

D’un autre cote peut-être que le

nature du défilé. Cela remet

spectacle participe au vêtement.

justement, cet accès direct et

entièrement en question cette

C’est vraiment difficile, je pense que ça

ouvert à tous via Instagram,

idée de vivre cette expérience,

va prendre du temps, aucune révolution

d’assister à un moment

ne s’est faite du jour au lendemain.

est-elle facteur d’une sacralisation ou d’une

particulier.

désacralisation du défilé? On peut imaginer qu’elle amplifie le moment et son ressenti dans l’espace de ceux qui le vivent quand on sait que certains ne le vivent mais mais le voient juste?

On est vraiment dans une période de transition, où toute cette société de

Exactement. C’est là qu’est le challenge.

médias instantanés et multiples, tous

Qui peut insuffler une énergie nouvelle

ces réseaux, remettent en cause pas mal

au défilé, et « révolutionner » un peu

de choses.

plus les choses.

La vraie plus value d’un défilé

En attendant, Instagram influe

ce que cela signifie ? Qu’est-ce qu’un défilé instagrammable?

Est ce que cela nourrit la

Avec la diffusion des défilés à la télévision puis sur Internet, les formes du défilé avaient commencé à connaître de substantielles évolutions. Avec leur diffusion sur Instagram, la donne est bouleversée. Alors qu’avant le podium était shooté uniquement depuis le parterre des photographes. Aujourd’hui les images capturées par les smartphones dans le public sont un défi de tous les instants pour la partie créative, visuelle et technique, pour être photographiables et filmables au-delà du runway, sous tous les angles. L’enjeu permanent et posé pour chaque show est de démultiplier les points de vue.

Car avec le téléphone, c’est une multitude de photos. Sur le côté, de face, vers le fond, que ce soit le mannequin, le vêtement, le décor, ou l’ensemble, le détail, un fragment, puis l’entrée, le backstage, le final, aujourd’hui le public photographie tout.

Ce n’est plus la photo du décor, mais c’est l’environnement. De fait aucun détail ne peut être laissé au hasard.

physiquement c’est d’avoir une âme, de

sur la conception d’un défilé et

Les deux premiers chapitres de

La question se pose en effet. D’un côté

générer une émotion en plus qu’un live

vous conduit à modifier vos

Fashion Show Revolution

on perd une dimension d’exclusivité.

ne retransmettra pas. Et ça c’est un vrai

shows et votre manière de les

parlent du lieu, de

#instantanésdemode

#152

#153

l’emplacement, du décor. Ils

donner ça.

clap » ou « put your phone down to enjoy

diffuser ce langage. Mais une

font partie des quatre

L’émotion est aussi générée par le

the finale » « put your phone down to

public, par le fait d’être ensemble, d’être

watch ».

plate-forme d’images, sur un

dans une salle, de voir un spectacle.

Avant, à la fin du show, les gens

Seul derrière son écran c’est différent.

applaudissaient. Carnet de notes sur les

Ce qui fait rêver aussi le public en

genoux, ils applaudissaient. Ce qui

zoome, on retouche, il y a donc

regardant son téléphone c’est de pouvoir

générait une émotion propre au

de l’espace, de lumière, de

une certaine forme de

le voir en vrai. Cette inaccessibilité fait

spectacle.

son…)?

décontextualisation.

rêver les gens.

Aujourd’hui les gens n’applaudissent

fondamentaux de la mise en scène d’un défilé Bureau Betak.

Avec Instagram on recadre, on

On peut se demander si l’espace a-t-il toujours lieu d’être? Ou si le défilé peut entièrement prendre place à travers Instagram par exemple, c’est-àdire dans un espace abstrait et virtuel.

Le propre des arts vivants, c’est qu’il y a une magie qu’on enlèvera jamais. C’est le propre de tous les arts.

Je pense que internet et les ordinateurs, les smartphones et les réseaux, ce sont

Ce qui remet aussi place du spectateur en question. Dans

plus, ils ne peuvent plus applaudir s’ils ont des téléphones dans la main.

Et les gens aujourd’hui vivent de moins

une interview, Alexandre de

en moins les évènements pour eux

Betak parlait même d’une

mêmes mais ils les enregistrent pour

époque où le journaliste n’a

montrer qu’ils l’ont fait.

plus vraiment lieu d’être, car le

Ca peut être un super outil de réseau de

vrai public c’est le grand public,

communication, mais c’est beaucoup

derrière son écran.

C’est donc une remise en question totale de l’espace, et de la présence du spectateur.

utilisé comme un espace de miroir, de parade de sa propre réussite. Une forme de mise en scène.

écran de téléphone, est-elle en mesure de retranscrire votre travail de scénographie (et donc

Pour en revenir au défilé, Instagram et le fait que les gens communiquent aujourd’hui par eux-même, c’est le grand chamboulement.

Avant un défilé c’était un fond de décor, un runway et au bout du runway se trouvaient les photographes. Le défilé c’était donc un point de vue, une photo unique de chaque silhouette.

Aujourd’hui avec le téléphone et les réseaux, le défilé c’est pas une photo mais une multitude de photos. Sur le

Tout à fait! C’est là que je

côté, de face, au fond, chacun selon son

voulais recouper le défilé avec

point de vue va cadrer ce qu’il peut voir.

des bons outils. Mais qui ne peuvent pas

Effectivement on semble face à un

t’apporter l’émotion que génère un art

monde qui ne regarde plus qu’à travers

vivant. Une émotion différente pourquoi

son téléphone.

pas. Mais pas l’émotion générée par

Alors c’est encore une autre facette liée

Instagram est un défilé en lui

quelque chose de réel. Pas cette

aux réseaux sociaux et beaucoup à

même, une mise en scène. On

sensation.

Instagram. C’est le sentiment que les

scénographie sa galerie.

D’un coup ce n’est plus seulement la

Je pense que assister à un concert et le

gens ne sont plus vraiment là pour

Votre rôle à travers la

photo unique du runway, et du

voir en vidéo, ce n’est pas la même

profiter des choses, mais pour partager

scénographie est de faire du

mannequin. C’est devenu une

émotion. Aller sur Google art land

des choses et montrer aux autres qu’ils

expérience globale.

project se balader dans les musées et

ont eu accès à quelque chose.

défilé de mode un moyen

pouvoir zoomer sur la Joconde au mm

d’expression. Vous créez un

Un environnement global/ Les murs, le

Nous on vit ça comme une énorme

près c’est fantastique, mais voir la

dérive, je ne sais pas si tu as vu les

Joconde en vrai c’est autre chose. Et

objets qu’a sorti Alexandre au moment

aujourd’hui, même la réalité virtuelle,

de la sortie du livre chez Colette. Des

en scène. Qui s’exprime par

qui sont des outils qui ouvrent de

coques de téléphone, sur lesquelles sont

l’espace, la lumière, le son…

nouvelles dimensions, ils ne peuvent

inscrites des « put your phone down to

Et Instagram est le média pour

#instantanésdemode

Instagram au départ. En le mettant en parallèle, comment

langage en réunissant tous les éléments nécessaires à la mise

Puis ils vont prendre des photos de l’environnement, ils seront passés par une entrée, devant un bâtiment, par un escalier, une salle ou tout autre, et qu’ils auront peut être pris en photo…

sol, les plafonds, les chaises, tout est devenu part entière du défilé et de la narration.

Et parfois deviennent les photos les plus fortes. Un des shows récemment qui exprime le mieux cette idée pour nous

#154

#155

c’est le défilé Raf Simons pour Dior au

regard. Et les images diffusées créent

et avec le Louvre, qui accueillait

Il y a quelque chose qui va se passer,

musée Rodin, cet échafaudage blanc

une narration cohérente.

l’événement, dans l’idée de garder cette

entre soit le format, le timing ou la

avec cette moquette rose. Une sorte de

Il serait d’ailleurs intéressant de générer

montagne pendant plusieurs jours.

fonction.

mezzanine périphérique, sur laquelle les

un logiciel qui pourrait récupérer toutes

Intéressés par la mode ou pas, par la

Le défilé va réellement évoluer de ce

mannequins passaient, plus ou moins

les images liées à un show et d’en faire

scénographie ou pas, en tout cas

côté là. C’est la réflexion actuelle, c’est

proches, en dessous, en haut, à

une mosaïque ou un tableau un peu à la

beaucoup de gens se sont déplacés.

là dessus qu’on travaille. La révolution

l’intérieur. Et ce la donnait une multitude

David Hockney, qui serait l’image unique

de points de vue, de tous les invités

d’un défilé.

différents.

C’est devenu un outil pour exprimer un

Et ces images diffusées, sont pas

regard, un point de vue unique.

toujours les plus attendues. On pense

J’ai vu l’interview récente d’Alexandre de Betak dans InFashion et j’ai noté une de ses réponses importante: « the

est en mouvement!

Bureau Future est effectivement une entité digitale de Bureau Betak qui réfléchit à ce genre de sujets. Tout notre travail est influencé.

Nous on considère tout ça énormément

toujours les choses pour les images, la

truth is that there are too many

et on ne crée plus un runway, mais un

presse, avec des points de vue précis

Fashion Shows. »

environnent.

pensés en amont. Mais parfois la réalité

Le constat est simple: trop de

Rencontre avec Yann Siliec,

des choses, les images, le détail, ce qui

défilés, le même jour, la même

directeur artistique et

Et ce qui est lié aux réseaux sociaux

va marquer les gens, ne sont pas ce

semaine, le même mois, la

journaliste, enseignant à l’Ecole

c’est l’impact des images en terme

qu’on aura voulu mettre en avant.

Tout cela nous dépasse, nous échappe,

même Fashion Week.

Camondo incontournable dans

d’impact visuel.

Pour reprendre un exemple: le défilé

et crée une dimension différente.

Finalement, Instagram va t-il

le secteur de la mode, de la

changer le défilé car il nous en a

création, de l’architecture et du

aussi trop fait voir?

design.

Zegna à Milan en juin dernier. Cette sorte de jardin japonais orange sanguin

Justement, on s’est plusieurs fois posé

très fort. On s’est rendu compte de

la question de donner accès à tout cela

Comment vous pensez répondre

L’écriture de ce mémoire, la réflexion qui

manière globale, étant dans la mode, et

de manière différente. Tout cet

à cette problématique du

l’a nourri, ont été notamment étayées, à

suivant des gens qui sont dans la

environnement que l’on crée, presque

« trop »?

la faveur d’une rencontre-entretien avec

modeste qui partagent un peu les

installation artistique et scénographique.

Mais essentiellement, qu’est ce

Yann Siliec, enseignant à l’École

mêmes choses que nous, et d’un coup

Une réalisation visuelle forte, comment

que cela signifie quand vous

Camondo un cours de « Communication

en faisant défiler ce flux d’images, on

la partager nous mêmes avec les gens.

voyait cet impact de ce orange, qui avait

La montagne de fleurs Dior, pour 10mn

une présence, une sorte de persistance

de show, c’était 3 semaines de montage.

rétinienne ou en tout cas de puissance

Deux heures après le show, c’était le

de l’image. Sans même rentrer dans les

démontage. La durée de vie est, comme

dites que vous préparez la révolution du défilé? Quelles sont les réflexions menées?

La création de Bureau Future,

de marque visuelle et graphique », depuis l’an dernier.

Yann Siliec, c’est aussi et surtout l’architecte DPLG, diplômé de l’Institut de la Mode et du Design, le journaliste,

détails de l’image.

vous le voyez, extrêmement éphémère.

est liée à ce mouvement?

Une force inattendue de ces images sur

De là est partie une réflexion collective.

Trop de défilés. Effectivement, ce trop

après avoir travaillé pour des marques

les rectaux.

De penser le show pas que pour les

plein d’images, en même temps crée

comme YSL, Ralph Lauren, et Georg

Ainsi que la montagne de fleurs bleues

1 000 personnes à l’intérieur, mais aussi

une remise en question. Et c’est là que

Jensen, développe depuis 2008, une

toujours pour Raf Simons pour Dior.

pour les autres. Comment peut-on

se trouve la vraie question. C’est là que

activité de conseil en création &

Effectivement, on fait défiler les images

donner à voir à tous ? Au-delà des posts

va intervenir la vrai révolution. L’enjeu

communication auprès de maisons de

sans s’attarder, et ces bleus captent le

Instagram. On a donc discuté avec Dior

est ici.

luxe. Il collabore régulièrement avec des

#instantanésdemode

le directeur artistique, le consultant, qui

#156 magazines tels Intramuros, Vogue, Le Fooding & Stiletto, etc. En journaliste indépendant, Yann Siliec porte son regard et analyse la transversalité des discours dans l’univers de la Mode, du Luxe, du Design, du Lifestyle et de la Culture.

C’est donc tout naturellement que je me suis tournée vers lui. L’intérêt témoigné par Yann Siliec pour mon sujet m’a définitivement convaincue du parti-pris à prendre dans mon étude sur le défilé vu sous l’angle d’Instagram et des réseaux sociaux.

Sujet plus qu’actuel, de nombreuses questions sont posées, dans de nombreux domaines à propos de la surpuissance des réseaux sociaux dans nos univers créatifs.

Ainsi c’est un sujet auquel il s’intéresse beaucoup, en tant qu’architecte, scénographe et designer. Il m’a permis d’ouvrir mon champ de vision.

Ainsi notre échange a été un véritable enrichissement pour moi.

#instantanésdemode

#157

#159

Bibliographie

#Ouvrages BARTHES, Roland. Système de la mode. Paris : Le Seuil, 1983. 384 p.

DE BETAK, Alexandre. SINGER, Sally. Fashion Show Revolution. Paris : Phaidon, 2017. 292 p.

DEBORD, Guy. La Société du Spectacle. Paris : Gallimard, 1996. 224 p. (Folio, n°2788) DEBRAY, Régis. Vie et mort de l’image : Une histoire du regard en Occident. Paris : Gallimard, 1995. 528 p.

GODART, Frédéric. Sociologie de la mode. Paris : La Découverte, 2010, 2016. 128 p. (Repères, n°544)

#Ouvragescollectifs JEANNE-PERRIER, Valérie (sous la dir. de Xavier Wargnier).

Internet a aussi changé la mode : Quand Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat, Pinterest, Youtube, Vine, Périscope, Tumbl’r & Cie s’affichent sur le devant des podiums. Paris : Éditions Kawa, 2016. 116 p.

#Documentsuniversitaires BALLIN, Charly. La mode 2.0, le cas d’Instagram. Une étude universitaire de l’utilisation du réseau social par l’industrie de la mode. Thèse marketing de mode. Lyon : Université de la Mode Lumière Lyon 2, 2014. 125 p.

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Toulouse : Université Toulouse II Jean Jaurès, 2016. 176 p.

JOIN-DIÉTERLE, Catherine. ZAZZO, Anne. Showtime : le défilé de mode. Paris : Éditions Paris Musées, 2006. 336 p.

KERLAU, Yann. Les secrets de la mode. Paris : Éditions Perrin, 2013. 444 p.

LIPOVETSKY, Gilles. L’Empire de l’éphémère : La mode et son destin dans les sociétés modernes. Paris : Gallimard, 1991. 352 p (Folio, n°170) LIPOVETSKY, Gilles. SERROY, Jean. L’esthétisation du monde : Vivre à l’âge du capitalisme artiste. Paris : Gallimard, 2013. 493 p. (Hors série Connaissance) MONNEYRON, Frédéric. La frivolité essentielle. Paris : Puf, 2014. 216 p. (Quadrige) ÖRMEN, Catherine. L’Art de la Mode. Paris : Citadelles & Mazenod, 2015. 608 p.

SAILLARD, Olivier. Histoire idéale de la mode contemporaine : Les plus beaux défilés de 1971 à nos jours.

Paris : Textuel, 2009. 445 p.

VILASECA, Estel. Défilés de mode : Conception, organisation et développement. Espagne : Promopress, 2010. 192 p.

#160

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#162

#Vidéos Mademoiselle Agnès, PRIGENT, Loïc. Habillé(e)s pour l’hiver 2017-2018. Paris, 2017.

NICKLAUS, Olivier, Mademoiselle Agnès. Fashion. Paris : Arte France, Lalala Productions, 2010.

PRIGENT, Loïc, GAULTIER, Jean-Paul. The day Before [DVD].

Paris : Arte, 2010.

PRIGENT, Loïc. Le testament d’Alexander McQueen. Paris : Documentaire Arte, 2015.

PRIGENT, Loïc. Signé Chanel [DVD en 4 épisodes]. Paris : Arte France, 2005.

PRIGENT, Loïc. Scandales de la mode (Les) [DVD]. Paris : Arte France, 2016.

#instantanésdemode

#163

#164

#165

Je tiens à remercier Thierry de Beaumont pour sa présence, son aide, son écoute et sa disponibilité, précieuses et en toutes circonstances.

Je remercie également Yann Siliec ainsi que Simon Caillaud pour le temps précieux que chacun m’a accordé, et pour nos échanges partagés.

Je remercie tout particulièrement Stéphane Derville, pour sa précieuse relecture et ses conseils avisés.

Sans oublier mes proches et mon «oeil graphique».

#instantanésdemode