Favignana, Les fragments de l'histoire. Au delà de l'architecture, le vide. RECHERCHE THEORIQUE

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Favignana, les fragments de l'histoire au-delĂ de l'architecture, le vide



Perle Van de Wyngaert Projet encadré par Luca Merlini et Sandra Planchez

Favignana, les fragments de l'histoire au-delà de l'architecture, le vide

Mémoire de diplôme | Mai 2016 encadré par Bérénice Gaussuin Ecole Nationale Supérieure d'Architecture Paris Malaquais | Département THP - Stratégies du projet contemporain


Introduction | L'éloge du lieu P.6

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LE RÊVE D’UNE ÎLE

LA CONSTRUCTION D’UN ARCHIPEL

Les îles, entre ouverture et fermeture

La fin des grands récits, le sujet en crise

P.13

P.29

La Méditerranée, un monde aux limites mouvantes

Déconstruire, disjoindre P.33

P.17

Une brève histoire sicilienne

L'Italie : histoire d'un émiettement du territoire

P.19

P.37

Favignana : l’Histoire par ses traces, géologie et architecture

L'unité du territoire par la fragmentation du projet

P.23

P.41


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LA MATIÈRE SIGNIFIÉE

AU DELÀ DE L’ARCHITECTURE, LE VIDE

Les ruines, des signifiants purs

Composition et entropie P.57

P.45

Le vide comme architecture en négatif La brutalité de la perception

P.61

P.49

Conceptualiser le contexte

Activer le vide : des batiments comme dispositifs

P.51

P.63

Des bâtiments comme des gestes

La marge vitale de l'architecture

P.53

P.65

Bibliographie P.68

Index Iconographique P.70


INTRODUCTION L'éloge du lieu

Le sujet de mon PFE provient d’un questionnement personnel sur une apparente ambigüité de la discipline architecturale qui semble prise en étau entre théorie et pratique, et cherche à s’interroger sur les limites de cette conception binaire de l’architecture. Cette interrogation, je l’ai menée l'an passé au cours d'un travail de recherche qui a abouti sur un mémoire intitulé Le livre comme espace de projet ; à travers l'utilisation de ce médium fait par les architectes, l'enjeu était de mettre en évidence que toute conception dichotomique semblait vaine puisque de nombreux ouvrages théoriques d'architectes constituent de véritables projets à proprement parler, et affirment par là-même la fusion entre l'espace de la théorie et l'espace de la pratique. Pousser cette réflexion pour le diplôme a pris une autre forme : un des nombreux enjeux auxquels nous faisons face est de réussir à garder la force des principes qui nous animent dans les projets construits ; bien souvent, lorsqu’une démarche conceptuelle s’applique sur un site, le projet devient une pale copie de la pensée, et se révèle dès lors déceptif. Plutôt que d’adopter une démarche qui tenterait de contextualiser des principes établis a priori, le point de départ de mon projet est donc de faire l’inverse, de tenter de conceptualiser un contexte, de partir du réel, de tirer du site ce qui fait force. De faire, en quelque sorte, l’éloge du lieu. J’ai donc d’abord choisi un lieu, un lieu émouvant qui porte une très forte puissance lyrique et allégorique, l’île de Favignana à l'extrème Ouest de la Sicile. Cette île connut par le passé des périodes de réelle aisance économique, mais la logique productiviste y a marqué son territoire en pure perte et modifié son paysage, comme la pêche intensive du thon et sa mise en conserve, ou l’extraction de sa pierre, le tuf calcaire. Cette logique économique de puisement des ressources pour un ailleurs en fait un territoire particulier, qui porte les traces en creux d’une grande histoire qui s'écrivit au-delà de ses rives, en particulier celle de l’aristocratie palermitaine, puisque la pierre de Favignana y fut utilisée pour construire de nombreux palais, à travers les siècles.

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Au-delà de ces traces comme fragments d’histoire, comme architecture en négatif, cela pose la question du résidu, du reste, de la conséquence imprévue de l’architecture, qui génère en creux une architecture non pensée. Il y a sur l’île toute une géologie construite, et de grands vides qui offrent au territoire une épaisseur nouvelle : il n’y a plus une simple dualité dedans-dehors, matière-vide, une épaisseur délimitée par une surface, mais une démultiplication de la topographie qui crée de nouvelles morphologies. Le paysage est mité de cavités, de galeries, de monolithes. Se pose donc la question de l’habitabilité de l’imprévu, et du vide comme espace de potentialités. J'ai choisi d'organiser ce mémoire comme une mise en place de quatre conceptions simultanées et non hiérarchiques, quatre points d'entrée sur le territoire : l'unité, la fragmentation, la matière, et le vide, qui chacun s'organise dans une gradation du général au particulier, de l'acception conceptuelle à l'acception conceptualisée. Il est donc possible de lire ce mémoire linéairement, mais on peut également n'en lire que les dernières sous parties, qui explicitent le projet lui-même. En premier lieu, le propos mets en évidence les différents enjeux attachés à l'idée d'île, et à comprendre l'histoire de ce territoire spécifique. Ensuite, puisque la caractéristique première d’une île est sa limite, donc son unité, j'interroge la validité de la décomposition de cette unité qui pose l’éclatement comme paradigme contemporain. Dans un troisième temps, je cherche à montrer que la matérialité de ce territoire débouche sur une nécessaire architecture du lieu, pour enfin prendre en compte le vide comme marge vitale de l'architecture. Au coeur du texte, j'ai inséré une série de photographies qui esquisse la figure du lieu, qui en explicite les paysages et les histoires. Il s'agit d'une structure indépendante, sans lien direct avec le propos, comme le sont parfois les citations et les images de référence, mais qui en constitue la toile de fond.


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aire totale : 193 600 m2

soit : 49 dispositifs de 3900m2

ordre de grandeur : Relevé des différentes carrières de l'île de Favignana

760 m2 - 16 470 m2


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DiversitĂŠ des morphologies de ces paysages construits : de multiples potentialitĂŠs d'usages



1 LE RÊVE D'UNE ÎLE


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«

Rêver des îles, avec angoisse ou avec joie, peu importe, c’est rêver qu’on se sépare, qu’on est déjà séparé, loin des continents, qu’on est seul et perdu – ou bien c’est rêver qu’on repart à zéro, qu’on recrée, qu’on recommence. Gilles Deleuze, L'île déserte

»


LE RÊVE D’UNE ÎLE

Les îles, entre ouverture et fermeture 13

L’île est une invitation au voyage, au rêve, au départ. C’est un objet maintes fois fantasmé par des écrivains ou des poètes, maintes fois théorisé par des géographes et des sociologues. L’île est une figure qui fascine par ce qu’elle porte d’originel, d’absolu, qui en fait un support de mythes et de légendes très puissant. L’île déserte, l’île prison, l’île fantôme, l’île mystérieuse, l’île au trésor : les fantasmes sont aussi nombreux que divers. L’île semble donc avoir partie liée à une certaine notion d’altérité, de monde à part, en dehors, au delà : île, insularité1, insularisme2, nissologie3, illéité4, autant de concepts qui présuppposent l’île prise et définie par sa relation au continent, au centre. L’île est en effet perçue comme une périphérie, un espace rattaché à un autre espace, une entité qui n’existe que par rapport à quelque chose d'autre. Cette notion de relativité est présente dans l'étymologie latine du terme île : insula5, désigne au départ un groupe d'habitations isolées, un paté de maison, puis par dérivé symbolique désigne l'objet géographique, qui est donc déterminé par son isolation. La terminologie italienne, isola, connote encore davantage cette idée de séparation, d'anormalité : « Ce qui est ou apparaît séparé, ségrégué, nettement distinct de tout ce qui l’entoure, matériellement ou idéalement. »6 Pourtant, d'autres langues semblent ne pas connoter cettte notion d'isolement : en grec, le terme nessos qui signifie île est un mot racine, non dérivé d’un autre sens, qui détermine l'île comme une entité absolue, non relative à un espace autre. Selon la langue qui la formule, l’idée de l’île est donc une Citation ci-contre : DELEUZE Gilles, L'Île déserte, Textes et entaretiens 1953 - 1974, Editions de Minuit, Paris 2002 1 Configuration d’un territoire constitué d’une ou de plusieurs îles ; ensemble de caractères propres à un tel territoire, à sa population. 2 Tendance d’un peuple insulaire à se renfermer sur lui-même 3 Notion inventée par Abraham Moles, qui postule un déterminisme geograhique 4 Système de représentation centré autour d’une île, déterminant l’espace perçu et vécu d’un individu 5 Félix Gaffiot, Dictionnaire latin français, Hachette, 1934 6 "Cio che è, o appare separato, segregato, nettamente distinto da tutto quanto lo circonda, materialmente o idealmente." Salvatore Battaglia (dir), Grande dizionario della lingua italiana, Torino : UTET, 1977


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«

Bien loin de s’être dissous sous les coups de la modernité, l’attachement des insulaires pour leur espace vécu reste fort. L’île, pour eux et pour nous, est un géosymbole fondamental. Françoise Péron, Des îles et des hommes, l’insularité aujourd’hui

»


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construction culturelle. La Grèce, en tant qu'état fragmenté et insulaire, a nommé l’île d'un mot qui ne vise d’autre réalité qu’elle-même, alors que la terminologie latine est celle qu’elle est parce qu’elle provient d'une conception du monde produite par l’Empire Romain, un état centralisé et continental. De même, la terminologie japonaise, shima, s’entend comme « intermédiaire entre des mondes duels », et connote une notion d’hybridité dans l’idée d’île. L’insularité est donc un concept construit. L’île en tant qu’entité géographique se définit par une discontinuité spatiale de son territoire, mais se présente également comme un espace symbolique, un géosymbole7, qui porte donc différentes signification selon les cultures. De nombreux géographes ont donc postulé une conception socioculturelle inextricable de ces espaces. La notion de nissologie, inventée par Abraham Moles, indique une croyance dans l’adéquation des pratiques et des identités sociales avec l’espace qui les entoure ; on se situe alors dans une tradition psychosociologique de l'espace, dans la lignée de Gaston Bachelard. « Puisque l’île est un espace fermé par une frontière naturelle avec la mer, les hommes des îles sont des frontaliers, et contrastent avec les hommes du continent. L’île est un contour et ses limites sont aussi des ruptures comportementales »8 Il y a donc un attachement fort de l'identité des habitants des îles avec le territoire, qui devient constitutif de cette identité : une illéité inhérente. L'île est également prise dans une dialectique entre son ouverture et sa fermeture. Elle est à la fois le lieu de l'utopie, de l'alterité, un sorte d'eldorado, le lieu d’un état originel qui fait miroiter la possibilité d’un retour aux sources primitives, ainsi qu'un lieu refermé sur lui même, difficilement pénétrable, aux traditions et aux particularismes très forts. Le lieu, donc, d'un double préjugé. L’isolement insulaire contemporain se joue de plus en plus au niveau symbolique et métaphorique.

Citation ci-contre : PÉRON Françoise, Des îles et des hommes, l’insularité aujourd’hui, Éditions de la Cité/ Éditions Ouest-France, Rennes, 1993 7 C'est Joël Bonnemaison qui introduit le concept de géosymbole : « un lieu, un itinéraire, une étendue qui, pour des raisons religieuses, politiques ou culturelles prend aux yeux de certains peuples et groupes ethniques, une dimension symbolique qui les conforte dans leur identité. » BONNEMAISON Joël, "Voyage autour du territoire", L'Espace Géographique, n°4, 1982, pp. 249-262 8 MOLES Abraham, « Nissonologie ou science des îles », L'Espace Géographique, n°4, 1982, pp. 281289


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«

Elle est retrouvée Quoi ? L'éternité. C'est la mer allée Avec le soleil.

»

Arthur Rimbaud, L'éternité


LE RÊVE D’UNE ÎLE

La Méditerranée, un monde aux limites mouvantes 17

« La mer, devant laquelle on apprend à se taire. Ses plages désertées en hiver, ses casinos et ses terrasses désaffectés. La mer comme pont, d’une rive à l’autre, sur un bateau. La mer d’Ulysse, prétexte à l’errance d’un héros. La mer son histoire, sa terre et son bruit. La mer en profondeur, ses murènes, ses peuples et ses engloutissements. »1 Les îles participent entièrement aux mythes, aux images que l’on attache à la Méditerranée. On la perçoit comme un espace commun, mais mouvant, aux limites incertaines, habité par des solidités fragmentées, des morceaux de terre qui nourrissent l’idée que l'espace mediterranéen est un monde à part, qui fait le lien entre des cultures très diverses en leur offrant la possibilité d'une même appartenance. La géographie est amplifiée d’un imaginaire poétique et littéraire, qui participe d’en faire un espace inextricablement lié par son immensité, son soleil, sa lumière. Son éternité. Si on compte six grandes îles (Majorque, Corse, Sardaigne, Sicile, Crète et Chypre), il existe plus de dix mille îles et îlots en Méditerranée, autant de morceaux de territoire qui ont participé à développer des écosystèmes particuliers et une biodiversité très riche, et qui constituent des refuges pour de nombreuses espèces. Ces territoires réduits concentrent une grande vulnérabilité face aux enjeux de la pression touristique, des changements climatiques, des pollutions, des espèces invasives. La création en 2005 de l’initiative pour les Petites Iles de Méditerranée, programme international de promotion et d’assistance à la gestion des espaces insulaires, participe à la protection de ces territoires fragiles. Les îles méditerranéennes constituent un réseau distendu, un fragile lien, une potentielle possibilité de commun. Le site de mon projet l'est doublement puisqu'il est l'île d'une île, une île au large de la Sicile : elle se situe dans l'archipel des Égades, qui constitue avec ses 54 000 hectares la plus grande réserve naturelle marine protégée de la mer Méditerranée. Citation ci contre : RIMBAUD Arthur, "L'éternité", Derniers vers, 1872 1 Une brève histoire de la Méditerranée, texte de Léa Carton de Grammont, mise en scène de Victor Thimonier, est une pièce créée par des amis à moi, qui parle de la fascination que chacun peut porter sur cet espace qui n'est pas un pays mais qui est pourtant bien une identité.


Cathédrale de Palerme La cathédrale de style normand fut construite au XIIème sicèle sur les restes d'une ancienne mosquée datant du IXème sicèle, elle même construite sur une basilique romaine. Par la suite, deux tours furent ajoutées au XIVème et XVème siècles, ainsi que le grand porche d'entrée, tous trois de style gothique. Enfin, la nef baroque actuelle est une modification de la fin du XVIIIème.

Eglise San Cataldo, Palerme L'église est construite sur les restes d'une mosquée, et produit un des exemples les plus riches du style arabo normand.

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LE RÊVE D’UNE ÎLE

Une brève histoire sicilienne 19

Parler de la Sicile, c’est nécessairement évoquer les strates de l’histoires, les couches de pierre des monuments qui se remplacent les uns les autres pour des dieux ou des civilisations diverses. C’est un territoire façonné par le rythme, lent et inéluctable, de l’histoire qui s’écrit au fil des siècles, sous un soleil de plomb. La relative petitesse du territoire sicilien jure avec sa grandeur et son rôle de moteur des échanges méditerranéens, entre l’Europe et l’Afrique. C’est un grand lieu de passage et de métissage, en témoigne des siècles de civilisations successives qui se sont nourries les unes des autres, des Grecs, aux Romains, aux Sarrasins, aux Normands, aux Aragonais. Attirés par les richesses de l'île (céréales, vin, huile d'olives, bois, soufre, pêche), les Phéniciens sont les premiers à s'établir en Sicile au IXème siècle avant Jésus-Christ et fondent les premières grandes villes comme Palerme et Mozia ; en s’appuyant sur leurs colonies nord-africaines, en particulier Carthage, ils s’établissent principalement au Nord et à l’Ouest. Puis suivent les Grecs au VIIIème siècle, qui fondent des colonies de peuplement et des comptoirs commerciaux, principalement au Sud et à l’Est de l’île : Naxos au pied de l'Etna puis Lentini et Catane, et surtout Syracuse, qui devient la principale cité de Sicile et de Méditerrannée par son intense activité commerciale et industrielle dès le VIIème siècle avant Jésus-Christ. Ils fondent également Sélinunte, et ses célèbres temples, et Akragas (Agrigente). Au IIIème siècle avant notre ère, les Romains débutent une campagne de conquête de l’Italie du Sud qui se prolonge en Sicile. Entre Phéniciens, Grecs, et Carthaginois commence un jeu d’alliances et de trahisons. La première guerre punique termine sur l'expulsion définitive des Carthaginois et la seconde voit la prise de Syracuse par l'empereur Marcellus en 212 av. JC. La Sicile devient une province romaine. Ils mettent alors en place le système des latifundia, qui divise le territoire en grandes propriétés agricoles ; la Sicile devient ainsi le grenier à blé de Rome, et connaît alors pendant plusieurs siècles un isolement politique, économique et culturel. Avec l’effondrement de l’Empire Romain en 468 après Jésus-Christ, l’île est envahie par les Vandales et les Ostrogoths venus du Nord, puis par les Byzantins venus de l'orient. Puis, en 652, la Sicile est envahie une première fois par


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«

Se révèle ainsi la tension constructive entre poids de l’Histoire et urgence de l’actualité, entre mémoire de la tradition et élans novateurs, entre passivité du désespoir et énergie de la révolte. Hors de tout repli dans une insularité close, les ferments sociaux, politiques, éthiques et esthétiques qui naissent et se développent en Sicile, ou à partir de la Sicile, apparaissent comme une force vitale essentielle. Dominique BUDOR, Sicile(s) d'aujourdhui

»


les Sarrasins (Aghlabides et Fatimides), qui la conquirent finalement en 827. Ils prennent Palerme en 831 et Syracuse en 878. Palerme devient la capitale d'un émirat, et le nouveau centre culturel et commercial de la Sicile. La ville et l'architecture s'enrichissent de quatre bourgs, de monuments, de trois cents mosquées, de jardins à la végétation luxuriantes et de marchés célèbres. 21

En 1059, inquiêt de l'influence musulmane, le pape Nicolas II nomme Robert Guiscard, établi dans le sud de l'Italie, Duc de Sicile. Son frère Roger de Hauteville, mène alors une conquête de trente ans pour reprendre la Sicile; il s'empare de Messine en 1061, de Catane en 1071, de Palerme en 1072. La domination normande fait de la Sicile une monarchie riche, puissante, et multiculturelle. Les Normands respectent les lois et les pratiques de l'Islam et s'entourent des conseillers grecs, arabes, lombards, donnant à la Sicile l'éclat d'une civilisation composite. Et c’est à la cour de l’empereur Frédérik II, petit fils du roi Roger II, que cette culture s'enrichit encore davantage, laïque, tolérante et hétérogène, fruit de théologiens grecs, de mathématiciens juifs, et de géographes arabes. En 1261, face à la latente insubordination des descendants de Frederik II, le Pape Clément VI envoie Charles Ier, Duc d’Anjou (frère de Saint Louis) à la tête d’une armée française reprendre la Sicile. Puis elle passe par alliance à la couronne Aragonaise en 1282. Après un bref passage sous la domination des Habsbourg d'Autriche, les Bourbons espagnols resteront maîtres de l'île jusqu'en 1860. Chaque époque hérite de la précédente, donnant lieu à ce style sicilien fait de composition d’éléments de différentes époques, qui fait cette atmosphère si particulièrement sicilienne des villes et de l’architecture ; la ville de Palerme, dont la cathédrale est un véritable palimpseste de styles et d'époques, porte peut être les traces les plus évidentes de cette multiplicité de la culture. Il y a donc quelque chose dans la culture sicilienne qui est essentiellement lié à la trace du passé comme quelque chose de vivant, et le rapport aux ruines est d’autant plus particulier qu’il est lié aussi à des conditions géologiques naturelles de grande instabilité du territoire : de nombreux tremblements de terre, des éruptions volcaniques, ont créé un rapport intime à la destruction. Ce double rapport du territoire et du passé est une dimension constitutive de la Sicile. L'histoire a laissé des traces de pierres, brulées par le soleil. Citation ci-contre : BUDOR Dominique, DE PAULIS-DALEMBERT Maria-Pia, Sicile(s) d'aujourdhui, Presse Sorbonne Nouvelle, Paris, 2011


Fort Santa Caterina Le fort est la première construction à voir le jour sur l'île. Il a aujourd'hui perdu toute fonction autre que celle d'offir l'occasion d'une promenade dans la montagne.

E tablissements florio La tonnara, aujourd'hui réhabilitée en musée, fut pendant plusieurs dizaines d'années le moteur économique de l'île.

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LE RÊVE D’UNE ÎLE

Favignana : l’Histoire par ses traces, géologie et architecture 23

Le site sur lequel j'ai décidé de travailler se trouve dans cette directe logique, puisque son territoire porte les traces de l’histoire à toutes les époques de son occupation. La géologie y est construite, et l’architecture elle-même, avec toute la diversité de ses typologies, participe à cette stratification du territoire, à cette artificialisation de la matière, à cette manifestation de l'homme dans la nature. Le premier usage connu de l’île de Favignana remonte à la préhistoire, puisque l’on a retrouvé des signes datant du Paléolithique peints et gravés sur les parois de l'une des nombreuses grottes naturelles creusées par l’eau. Ainsi le premier usage de l’île se fait-il de l’intérieur d’un abri rocheux. On trouve dans certains textes anciens la mention de la présence d’un ermite vivant seul sur l’île, ce qui renforce cette mythologie première d'une très forte interiorité du territoire. La présence d’une épine dorsale montagneuse qui coupe l’île du nord au sud a défini la première utilisation majeure de l’île : elle devient un poste d’observation pour la côte, qui permet de surveiller les envahisseurs. Une tour de guêt est érigée au sommet de la montagne Santa Caterina par les Sarrasins au IXème siècle. A la suite de la conquête normande de la Sicile, le roi Roger II fortifie la tour et en fait un fort au XIIème siècle. Il est agrandi en 1498 par Andrea Rizzo, seigneur de Favignana, pour se protéger contre les attaques de pirates. En 1655, il fut à nouveau renforcé par les Aragonais. Sa fonction d’origine change en 1795 lorsque les Bourbons l’utilisent pour emprisonner les partisans révolutionnaires républicains des émeutes qui secouent la Sicile contre la domination espagnole. Le fort devient prison, l’île devient bagne, et ainsi commence une autre période marquante de son histoire. Les cachots deviennent le théâtre des traitements les plus inhumains. En 1860, le Risorgimiento1 met fin à ces pratiques et libère les prisonniers : à la suite du débarquement de Garibaldi à Marsala, les cellules sont complètement détruites. C’est à partir de la fin du XIXème siècle que l’île connaît un véritable essor économique, avec la famille Florio, une grande famille d’entrepreneurs venus de Gênes faire fortune en Sicile. Ils s’installent d’abord à Palerme, puis vers 1 Le risorgimento est le nom du mouvement d'unification de l'Italie sous l'impulsion du roi Victor Emmanuel II qui envoie Garibaldi reconquérir le sud du pays.


Palais de la Zisa Ce palais de style normand, construit au XIIème sicèle, est l'un des nombreux édifices construits avec la pierre de Favignana.

Carrière de tuf calcaire Les carrières consituent un paysage artificiel en ruine, des espaces au statut paradoxal, qui procurent une incroyable diversité de morphologies, et autant de potentiels usages.

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l’Ouest, notamment à Marsala où ils développent la production du vin qui fait la célébrité de la région. Ignazio Florio achète l'archipel des Egades en 1874, et établit à Favignana la plus grande usine de pêche et de mise en conserve du thon de la Méditerranée, la tonnara Florio. Il restructure l'ancien bâtiment construit en 1841 pour assurer le fonctionnement de toutes les étapes de la nouvelle industrie florissante, de la pêche - la matanza est une méthode de pêche traditionnelle des côtes sicilienne, une mise à mort presque rituelle qui met en scène des siècles d'héritage culturel et de tradition de la lutte de l'homme face à la mer - à la cuisson, à la fabrication des boîtes, et à la mise en conserve du thon rouge. L’industrie connaît alors un essor dynamique, et l’île une période de prospérité. Les établissements Florio ferment dans les années 1960 alors qu'ils employaient encore jusqu’à 500 personnes. L’île connaît par la suite une période de dépeuplement importante. La dernière utilisation notable de l’île, économique elle aussi, est l’extraction de la pierre et la multiplication de nombreuses carrières. La pierre de Favignana fut utilisée pour décorer les façades d'églises baroques tout autour de la Sicile et construire plusieurs grands palais de Palerme. On retrouve dans des textes la mention d’une exploitation des carrières par les romains, mais la plus vieille construction connue qui utilise la pierre de Favignana est le palais de la Zisa construit en 1164. La pierre de Favignana est une pierre sédimentaire calcaire du quaternaire, très adaptée à la construction grâce à sa faible ductilité. L’extraction de cette pierre s’est faite de manière non industrielle, non intensive, au cours des siècles, jusqu’au début du XXème, et constitua alors la principale source de revenu pour les habitants. La plupart des hommes étaient en effet des carriers qualifiés, entourés de nombreux ouvriers agricoles et des charretiers. Les carrières se creusaient à ciel ouvert, ou constituaient des grottes, comme de véritables labyrinthes creusés au dessus de la mer. La pierre était extraite en blocs, à l’aide d’outils relativement sommaires comme la mannara2 pour tracer les contours de la roche, le zappune3 et le piccune4pour extirper les blocs de pierre. Comme souvent en Italie, l’extraction du tuf était un métier d'expérience, un savoir-faire transmis de père en fils. Ainsi, le territoire de l'île est marqué de ses diverses fonctions et utilisations, politiques et économiques, qui ont laissé en creux la trace de l'histoire. 2 Petit instrument à tête en fer utilisé avant la taille pour marquer les contours des blocs. Hâche, marteau. 3 Long manche en bois qui se termine par une lame de fer. Houe, hoyau, sarcle. 4 Instrument en fer pointu. Pic, Pioche, Epinçoir.



2 L A CONSTRUC TION D’UN ARCHIPEL


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L’utopie est une île, historiquement et spatialement. Une île est un lieu clos: accès contrôlé et fonctionnement autarcique. On s’y met à l’abri, à l’écart du reste du monde. Dans le fond, cela veut dire que l’on ne peut pas changer le reste du monde. En cela l’utopie est pessimiste. Or le projet d’architecture ce n’est pas se mettre à l’abri. Au contraire, le projet, c’est trouver la manière de "continuer le monde". Le sujet de l’architecture, ce n’est pas l’île, mais les relations entre les choses, c’est construire l’archipel. Luca Merlini, L’île d’utopie et les archipels du projet

»


LA CONSTRUCTION D'UN ARCHIPEL

La fin des grands récits, le sujet en crise 29

La notion d’île connote pourtant la notion corrélative d’archipel ; on peut donc questionner les limites de la dimension autarcique de cette figure, et chercher à savoir si elle ne se trouve pas dépassée par une nécessité de faire le lien. Cette question évoque en filigrane celle de savoir si l’unité comme figure indivisible est elle-même valable, ou si au contraire nous ne serions pas dans un monde fait de la déconstruction de cette unité. C’est par exemple le cas de la notion de sujet : d’unité carthésienne absolue qu’elle fut, elle subit après la Première Guerre Mondiale un premier coup, porté par l'intensité de la violence que connu l’Europe. Le scepticisme face à toute idée de valeur commune, à toute raison dominante, donne naissance à des pratiques artisitques qui s’interrogent chacune sur cette crise du sujet cartésien. Le surréalisme, le cubisme sont des manières de déconstruire l’unité du sujet, de faire valoir des conceptions du monde qui prônent la multiplication simultanée de la perception des choses, plutot que la hiérarchique dominance du sens unique. Puis vient la Seconde Guerre et toute la violence de la découverte de l’ordinaire de la terreur, de la banalité du mal1. Face à cette crise du sens, la crise du sujet atteint son extrême, et le doute face à la validité d’une conception positiviste du monde s’exprime en plein. Dans les arts, dans la littérature, l’incomensurabilité et l’indicible prennent le premier plan sur la clareté du sujet ou de l’intrigue : dans les années 1960, le Nouveau Roman met par exemple fin à l’idée de continuité diégétique et à l’unité du récit. Le sujet devient fractionnaire, fragmentaire, non totalisant, ou même est relegué au second plan, des détails d’objets ou des sensations prenant le premier plan. Le mouvement littéraire n'est évidemment pas le seule, mais il est significatif et traduit un état global des mentalités de l'époque. Toute notion d'unité semble en effet se briser sur la crise de conscience que connaît la société d'alors.

Citation ci-contre : MERLINI Luca, « L’île d’utopie et les archipels du projet », des utopies réalisables, A•Type Editions, Genève, 2013 1 La « banalité du mal » est un concept philosophique proposé par Hannah Arendt, en 1963, dans son ouvrage Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal.


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Museum Island Hombroich, Erwin Heerich, 1982 -1994 Sur la proposition du collectionneur d'art Karl-Heinrich Müller, le sculpteur Erwin Heerich conçu ce projet de musée expérimental : onze bâtiments fragmentés dans le paysage, onze objets autonomes développés à partir de recherches géométriques. Chaque pavillon est issu d'une forme stéréométrique, et prolonge les obsessions de sa démarche artistique.


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Jean-François Lyotard, dans La Condition Postmoderne2 qui paraît en 1979, affirme son scepticisme face à ce qu’il nomme les « grands récits » de la modernité, notamment face à la conception positiviste du monde qui, depuis les Lumières, fait de l’histoire de l’humanité un long chemin vers l’émancipation. La postmodernité, c’est le constat de l’éclatement de la notion de progrès, de récit commun sur lequel se fondent les arts, la science ou la politique. Il postule que le paradigme postmoderne est de séparer les domaines les uns des autres, dans un éclatement du sens absolu. Il n’y a plus de commun but, de commune mesure : « Il n’y a aucune raison que le « vrai » du discours scientifique soit compatible avec le « juste » visé par la politique ou le « beau » de la pratique artistique. Chacun doit donc se résoudre à vivre dans des sociétés fragmentées où coexistent plusieurs codes sociaux et moraux mutuellement incompatibles. » 3 Il y a donc une grande relativité du sens, et une dispersion des discours en autant de fragments divers de la pensée qu’il y a de pluralité d’usages. L’unité devient à l’âge postmoderne une notion déceptive, qui ne permet pas d’embrasser le monde dans sa complexité.

2 LYOTARD Jean-François, La Condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Editions de Minuit, Paris, 1979 3 DE LA VEGA Xavier, « Jean-François Lyotard (1924-1998) - La fin des grands récits », Sciences Humaines, Hors-série n°6, Cinq siècles de pensée française, Octobre - Novembre 2007 URL : http://www.scienceshumaines.com/jean-francois-lyotard-1924-1998-la-fin-des-grands-recits_ fr_21377.html


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Il me semble important qu’on se débarasse du Tout, de l’Unité, de je ne sais quelle force, de je ne sais quel absolu : on ne pourrait manquer de le prendre pour instance suprême, de le baptiser "Dieu". Il faut émietter l’univers, perdre le respect du Tout. Frederick Nietzsche, La Volonté de puissance

»


LA CONSTRUCTION D'UN ARCHIPEL

Déconstruire, Disjoindre 33

En architecture, cette crise du sujet entraine la mise en place de l'idée de déconstruction. Ce mouvement regroupe des gens aux attitudes très diverses, alors je parlerai principalement de la démarche de Bernard Tschumi. Il met en place l'idée qu'il n’y a pas d’architecture sans mouvement ou sans évènement, et que la combinaison des espaces doit se faire sans composition hiérarchique. En cela, il rompt avec une conception linéaire de l’architecture, pour lui préférer une conception fragmentaire hétérogène, une discontinuité, une disjonction. A travers ses projets et son utilisation manifeste de concepts avec des préfixes en dis-, il met en place de nouveaux paradigmes dans la manière de faire Le projet de La Villette est un exemple parlant : là où le cahier des charges demandait un bâtiment qui abrite plusieures fonctions culturelles accompagné d’un parc, la réponse de Tschumi est de mettre en place une grille qui trame l’espace et génère des points de concrétisation à l’endroit de ses intersections. Plutôt que d’ajouter un bâtiment, il dissémine le programme à travers l’espace, le fragmente. Ces batiments qu’il nomme folies, habitent le parc, de grands axes de circulations manifestent les lignes de la trame et de grandes surfaces vertes sont ménagées comme des respirations ; tous ces éléments rythment le parcours du visiteur, qui fonctionne alors grâce aux « contaminations » des différents sytèmes (les points, les lignes, les surfaces). Dans « Point de folie », texte introdutif au livre La Case Vide de Bernard Tschumi, Jacques Derrida décrit le projet comme suit : « Une série dissociée de «points», de points rouges, constitue la trame, y espaçant une multiplicité de matrices ou de cellules d’engendrement dont les transformations ne se laisseront jamais apaiser, stabiliser, installer, identifier dans un continuum. Elles mêmes divisibles, ces cellules pointent aussi des instants de rupture, de discontinuité, de disjonction. Mais simultanément ou plutôt par une série de contretemps, d’anachronies rythmées ou d’écarts aphoristiques, le point de folie rassemble ce qu’il vient juste de disperser, il le rassemble en tant que dispersion. Il le rassemble dans une multiplicité de points rouges. »1 Citation ci-contre : NIETZSCHE Frederick, La Volonté de puissance, tome II, livre III, § 489, p. 153 1 DERRIDA Jacques, «Point de folie», La Case Vide: La Villette, 1985, AA Files, Londres, 1986


34

Parc de La Villette, Bernard Tschumi, 1983 Plutôt que de réaliser un bâtiment et un parc qui s'ingorent, le projet propose un éclatement du programme culturel dans le parc et imbrique les deux fonctions.


35

Dans un texte très derridien, c’est à dire qui joue jusqu’à l’absurde sur le sens des mots et leurs polysémies, pour faire émerger un sens de la rencontre de plusieurs significations, il met en place une lecture particulière du projet de La Villette de Tschumi. Les points de la trame, les folies, sont des fragmentations à double sens, de l’intérieur et de l’extérieur. « Ces points fragmentent peut-être mais je ne les définirais pas comme des fragments. Un fragment fait encore signe vers une totalité perdue ou promise. » Si le point représente une unité atomique par rapport à la trame, en tant qu’élément d’une multiplicité, qui scande et interrompt, maintient et divise l’espace de la trame, il est aussi d’un autre point de vue ouvert en lui même en tant qu’unité abstraite de l’ensemble, il est une fragmentation de l’intérieur, un espace qui se compose et se décompose. Derrida, héritier de la pensée de Jean-François Lyotard, poursuit finalement ses considéreations sur la croyance d’une fragmentation du réel. Il s’intéressa donc très logiquement au travail des architectes, mais fut prôné un peu malgré lui2 comme penseur du mouvement déconstructiviste, notamment à travers l’exposition Deconstructivist Architecture, qui eut lieu au MoMA en 1988, où il fut largement cité.

2 C’est du moins c’est la position de Jean-Paul ROBERT dans l’article « Jacques Derrida (1930-2004) : déconstruire le déconstructivisme », D’Architecture, 22/11/2004 URL

:

http://www.darchitectures.com/jacques-derrida-1930-2004-deconstruire-le-deconstructi-

visme-a697.html


36

Le Guépard, Luchino Visconti, 1963 Adaptation cinématographique du livre de Tommasi di Lampédusa. Une scène du Risorgimento : la révolution politique de la Sicile sert de toile de fond à l'intrigue.


LA CONSTRUCTION D'UN ARCHIPEL

L'Italie : histoire d'un émiettement du territoire 37

La fragmentation est constitutive de l’histoire de l’Italie qui s'est construite autour de l’émiettement de son territoire. Après la chute de l’empire romain au Vème siècle après Jésus-Christ, toute idée de centralité et d’unité se brise sur les volontés conquérentes des puissances voisines. Le Nord est déchiré entre les Vandales et les Ostrogoths, tandis qu’au sud les Carthaginois sont remplacés par les Sarrazins. L’Italie ne devient un état que le 17 mars 1861, à la suite du Risorgimento, la campagne d’unification de l’Italie lancée par le roi du Piémont-Sardaigne, Victor-Emanuel II de Savoie. Il envoie Garibaldi à la tête des Chemises Rouges mener « l’expédition des mille » ; ils débarquent en Sicile le 11 mai 1860, annexent le Royaume des Deux Siciles aisément grâce à l’appui du peuple et à sa sourde haine à l'égard de la domination des Bourbons. Le 19 août, Garibaldi débarque en Calabre, puis entre dans Naples le 7 septembre, accueilli en libérateur – le roi François II ayant fuit la ville quelques jours plus tôt. « L’expédition des mille » se termine par la rencontre entre Garibaldi et Victor-Emmanuel II, qui dissout les troupes garibaldiennes le 26 octobre. L’unification italienne est entièrement achevée à la prise de Rome le 20 septembre 1970 : les territoires pontificaux, qui étaient jusqu’alors protégés par les troupes françaises, sont annexés car les soldats français sont mis en défaite facilement à la suite de la capture de Napoléon III par la Prusse (qui marque en France le début de la IIIème République). L'Italie en tant que pays souverain est donc une construction récente, ce qui explique que, malgré le Risorgimento, l’identité italienne reste une identité fragmentaire. L’unification italienne n’a pas effacé les grandes différences qui préexistaient entre les régions, qui se sont historiquement constituées autour des figures des grandes cités-état, comme Florence, Rome, Venise, ou Gênes. Le régionalisme identitaire est liée à ces diverses centralités, et à la diversité des compétences qui en furent subséquentes. Les grandes familles y ont déterminés les villes et leur sphère de rayonnement et d'influence. Le concept de nation y est donc très fragile ; c’est ce dont témoigne, entre


38

Le village de Matera, en Basilicate. Lieu de tournage du film Le Christ s'est arrêté à Eboli de Francesco Rosi, adapté du livre de Carlo Levi. Ce village est une morphologie typiquement italienne, que l'on retrouve beaucoup en Sicile : situé en haut d'une colline, il se déploie sur un terrain escarpé, les maisons semblent s'aggriper au terrain et former une matière commune avec la pierre et la végétation.


39

autres, l’ouvrage de Carlo Levi, Cristo si è fermato a Eboli 1, qui raconte l’exile d’un jeune médecin et écrivain turinois, opposant au régime fasciste de Mussolini, envoyé en résidence surveillée en Basilicate, au Sud de l’Italie. Un endroit « abandonné des dieux », où sévit la malaria, où l’idée d'état semble aussi lointaine qu’une langue étrangère. Le livre relate le mode de vie, les coutûmes, les croyances des paysans, et la scission profondément identitaire qu’il existe entre eux et les représentants de l'état. Les cultures et les identités en Italie sont de manière générale multiples et fragmentaires, mais peut-être la Sicile fait-elle encore davantage figure de monde à part, puisque sa particularité est d'être constitué d’une multitude d’identités variées venus d'horizons très divers.

1 LEVI Carlo, Le Christ s'est arrété à Eboli, Folio, Paris, 1977 (1945)


40

1 3

2

0

100

500

1000

2000

Plan de la rĂŠpartition du programme sur l'ĂŽle de Favignana

4


LA CONSTRUCTION D'UN ARCHIPEL

L'unité du territoire par la fragmentation du projet 41

Le projet que je mets en place cherche à affirmer l’unité par la fragmentation, et porte sur la décomposition de l'unité première que représente l'île. La stratégie de la fragmentation du bâti permet de s’ouvrir à la grande échelle, de s’inscrire dans le paysage, ainsi que de permettre à la diversité de l’île de s’exprimer et d'interroger le territoire dans ses conditions et ses spécificités d'espaces et d'usages. La stratégie de la fragmentation est aussi une stratégie de la non densité, de la non centralisation, qui pose l’éclatement comme paradigme contemporain. Elle permet en effet également de renouer avec une dimension italienne de l'organisation spatiale, où tout est moins unitaire, de la même manière que le tissu économique du pays est essentiellement composé de petites entreprises, donc d'une multiplication du savoir-faire plutôt que d'une centralité. Il y a quelque chose en Italie qui est lié à une grande relativité, et à la résolution par la petite échelle de grandes réalités totalisantes. J'ai donc choisi de mettre en place un programme commun qui vienne se diviser en composantes plus ou moins autonomes. Ce principe de fragmentation spatiale du projet propose ainsi quatre bâtiments qui s’implantent dans quatre emplacements spécifiques de l’île, qui chacun portent les traces de l’une des fonctions politiques ou économiques passées de l’île : la tonnara, le village, la montagne, la carrière. Chacun des quatre bâtiments occupe un site marqué par une histoire toujours présente, et s'installe sur les couches successives de l'histoire pour en occuper les vides, les morphologies créées par l'homme, et y ajouter une nouvelle épaisseur. Ils font l'éloge de ces territoires, l'éloge de leurs usages, l'éloge de leurs usures, tout en cherchant à actualiser quelque chose au-delà de la fascination pour le temps suspendu de leur histoire. Il s'agit de refléchir à un futur de l'île qui aille au-delà de la caricature que le tourisme lui renvoie, qui la fige dans son passé, qui la réduit à un simple état de vestige d'une époque disparue. De réflechir, donc, à une nouvelle économie du territoire, qui passerait de nouveau par la mer : un centre de recherche sur la biodiversité marine. Dans chaque morceau de territoire le programme s’insère à la fois comme composante d’un ensemble, mais aussi comme unité faite d’une complexité sous jacente.



PORTR AITS des visages des histoires des lieux


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1

45

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5

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7

1 La tonnara, 2016 Production personnelle 2

I tonnaroti di

favignana, 1985,

Stefano Fogato 3 Torino, installation vidĂŠo, 2008, Renato Alongi 4 Leonard Freed, 1975 5

Trabalhadores, 1991,

SebastiĂŁo Salgado 6 Leonard Freed, 1975 7

I tonnaroti di

favignana, 1985,

Stefano Fogato


1

2

3

4

5

6

1Ă 6

7

Les carrières de

tuf, 2016, production

personnelle 7

La tonnara, 2016,

production personnelle

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2

3

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1

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1

La tonnara, 2016,

production personnelle 2

I tonnaroti di

favignana, 1985,

Stefano Fogato 3 Tuna die-cutting by a fisherman, 1956,

Rene Burri 4

Tuna catch,1951,

Herbert List 5

Favignana, 1954,

Herbert List


1

2

3

4

5

6

7

1 Trabalhadores, 1991, Sebastião Salgado 2

I tonnaroti di

favignana, 1985,

Stefano Fogato 3à6

Ouvriers dans les

établissements Florio,

début du XXème siècle, Ediz F. Verderosa 7 La tonnara, 2016, production personnelle

50


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52


2

3

4

5

1

53

1

La tonnara, 2016,

production personnelle 2 à 6 Les carrières de tuf, 2016, production

personnelle



3 L A M AT I È R E SIGNIF IÉE


56

«

Le paysage en ruine […] propose au regard et à la conscience la double évidence d’une fonctionnalité perdue et d’une actualité massive, mais gratuite. Il affecte la nature d’un signe temporel, et la nature, en retour, achève de le déshistoriciser en le tirant vers l’intemporel. Marc Augé, Le temps en ruines

»


LA MATIÈRE SIGNIFIÉE

Les ruines, des signifiants purs 57

La notion de ruine a de nombreuses significations qui lui sont attachées ; elle renvoie par exemple notamment à la période romantique, à Lord Byron ou d’autres figures d’aristocrates anglais qui partirent en Italie à la rencontre de la civilsiation gréco-romaine. La ruine est alors la marque de la fragilité de la beauté face à la mort, du dérisoir de la vie face à l'infini du passé et l'incertitude de l'avenir, le symbole du mal du siècle. On pense aussi évidemment à Sir John Soane, dont la maison, dans laquelle il amassa de nombreux fragments de fresques, de frises, de morceaux de temple, de sculptures, de sarcophages, est considérée comme l'un des premiers musées : il ouvrit en effet sa maison à ses étudiants de la Royal Academy de Londres en 1912, parce qu'il souhaitait que sa collection puisse servir à l'apprentissage de tous. Les premiers musées furent en effet des lieux ambivalents, utilisés comme lieu d'école ou l'apprentissage, où les étudiants venaient redessiner les objets pour en apprendre les techniques. Françoise Choay dans «Le temps des antiquaires »1, montre que plutôt que d'être des lieux de conservations et de préservations, les premiers musées crées à la suite des lumières cherchaient à être des lieux d'éducation, dans une optique de démocratisation de l'art. Nous parlerons cependant ici d’une conception de la ruine très particulière, celle énoncée par Marc Augé dans Le temps en ruine.2 Ruines, au figuré, désigne ce qui reste (de ce qu’on a détruit ou de ce qui s’est dégradé). C’est donc la trace que la culture a laissé derrière, ce que le temps n’a pas effacé, ce qui est resté debout. Pour Angé, plus encore que le temps historique, les ruines proposent l’expérience du temps qui passe, dans tout son vertige. L’expérience des ruines n’est pas donc pas l’expérience d’une culture historique mais celle d’un temps pur. Un temps hors de l’histoire, à la manière de ces temples mexicains ou guatemaltais, les cités des Aztèques ou les cité des Mayas, enfouis sous des siècles de végétation dense. Ce n’est pas tant la trace d'une histoire particulière ou d'une civilisation qu’il reste avec ces temples, Citation ci-contre : AUGÉ Marc, Le temps en ruine, Galilée, Paris, 2003, p.40 1 CHOAY Françoise, L’allégorie du patrimoine, Seuil, Paris, 1992 2 AUGÉ Marc, Le temps en ruine, Galilée, Paris, 2003


58

Temples de Tikkal au Guatemala

Nuraghi, constructions sardes


mais la puissance évocatrice de la pierre sous la végétation, le poids du temps suspendu.

59

La ruine dès lors nous apparaît comme un signe, une signe qui n’aurait pas de signifié, un signe comme seul signifiant3, comme seul être là, une pure apparition. « Du coté du passé, l’histoire est trop riche, trop multiple et trop profonde pour se réduire au signe de pierre qui s’en est échappé. »4 La ruine est donc réduite à sa matérialité, et par là-même à son statut de signifiant, de medium. Plus les ruines semblent être des paysages naturels dont la minéralité semble non construite par l’homme, plus donc la nature semble les avoir apprivoisé de nouveau, plus la conscience que nous en prenons est celle d’une permanence. Le temps pur dont parle Marc Augé, c’est ce temps sans histoire, cette seule présence en pure perte qui n’existe que comme signe, comme objet, qu'en ce qu’il est perçu par une conscience qui le vise intentionnellement. « Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l’homme, sont rentrées dans la nature. »5 Un autre exemple de idée de ruine en tant que signe sans signifié, est la présence en Sardaigne de milliers de constructions, les Nuraghi, des édifices laissés par la civilisation nuragique trois mille ans avant Jésus-Christ. Ces structures sont en général des tours de section circulaire en forme de cône tronqué, soit seules, soient regroupées, dont on ignore exactement l’utilisation première. Ce doute par rapport à leur histoire et leur signification culturelle en fait de purs signes atemporels. Bruno Zévi dira à leur propos qu'elles témoignent d'un degré zéro de l'architecture, en tant qu'elles incarnent une absence de style.6 Ces ruines incarnent donc pour lui une certaine valeur de désordre et d’imperfection, des signes non culturels, qui représente un état primitif de l'architecture.

3 Ferdinand de Saussure, fondateur de la linguistique moderne, défini le signe comme étant constitué de deux pôles, le signifiant, c’est-à-dire les graphèmes et phonèmes, et le signifié, c’est-à-dire l’idée ou l’objet connoté. 4 AUGÉ Marc, op. cit., p. 39 5 CAMUS Albert, « Noces à Tipasa », Noces suivi de l'Eté, Paris, Gallimard, 1959 6 ZEVI Bruno, Landscape and the Zero Degree of Architectural Language, 1997


60

«

La question du fragment en architecture est particulièrement importante, car seules les ruines expriment peut-être complètement un phénomène. Photographies de villes pendant la guerre, coupes d’appartements, jouets brisés, Delphes et Olympie… cette capacité à utiliser des fragments de mécanismes dont le sens général est en partie perdu m’a toujours intéressé, y compris sur le plan formel. Je songe à une unité, ou à un système, fait uniquement de fragments recomposés.

Aldo Rossi, Autobiographie Scientifique

»


LA MATIÈRE SIGNIFIÉE

La brutalité de la perception 61

Cette conception de la ruine ouvre sur la notion de perception, puisque les objets n’existent plus que parce qu’ils sont actualisés par une conscience. Ce sont donc de purs phénomènes, au sens grec de phainomenon, ce qui apparait, donc de purs objets perceptifs. Husserl postule en effet dans Méditations Cartésiennes1 le caractère fondamentalement orienté de la conscience vis-à-vis d'un objet. Les choses n'existent qu'en tant qu'elles sont visée intentionnellement par un sujet pensant ; la conscience est ce qui donne le sens aux choses. Il y a donc pour lui une certaine universalité transcendante de la pensée, et de la conscience, car nous pouvons penser les objets comme des concepts universalisables : il prolonge le projet carthésien en affirmant la prédominence du sujet pensant sur l’objet. Son disciple, Maurice Merleau-Ponty, centrera dans La phénoménologie de la perception2 sa conception de la phénoménologie autour de la question de la corporéité et du sensible, donc d'une expérience subjective de la réalité : il faut réveiller l’expérience du monde, revenir aux choses mêmes, retrouver un contact avec le monde qui précède toute pensée sur celui-ci. Il défend ainsi une perception brute, une perception sauvage, où l'intellectualisation devient un écueil. Comment revenir de la perception façonnée par la culture à la perception brute, qui précède la pensée. Qui procède, même, d’un non savoir. C'est cette volonté de retrouver une dimension non universelle, un particularisme, qui trouve écho dans certaines pratiques d'architectes contemporains. Le retour à des traditions constructives par exemple se voit de plus en plus, comme réaction à une certaine uniformisation massive de la pratique architecture mondialisée. On retrouve partout les manifestation d'une forme de résistance par le retour à la culture locale, et notamment dans les pays dont Citation ci-contre : ROSSI Aldo, Autobiographie Scientifique, Parenthèses, Paris, 1988 (1981, The MIT Press), p. 22 1 HUSSERL Edmund, Méditations Cartésiennes, conférences à la Sorbonne, 23 et 25 février 1929 2 MERLEAU-PONTY Maurice, La phénoménologie de la perception, Gallimard, Paris, 1945


62

Chapelle Bruder Klaus, Peter Zumthor, 2005 La matérialisation de cette chapelle parle de toute une culture constructive, du lieu où elle se trouve, des gens et des savoir-faire. Par une techinique artisanale, le projet produit cet effet de l'architecture qui se garde, qui ne se dit pas toute de l'extérieur. Et parle de l'éternité.


la nécessité de rattraper un retard de développement du territoire a produit une urbanisation violente et uniformisante : la Chine avec Wang Shu, l'Inde avec Studio Mumbai, le Vietnam avec Vo Trong Nghia. On retrouve des identités, on revendique des traditions et des différences, on revient aux fondamentaux3. 63

Le retour a un certain archaïsme de l'architecture est une tendance assez courante. C'est notamment la thèse de Jacques Lucan dans sa conférence sur l'archaïque et le sublime.4 : l'architecture est prise entre deux mouvements contraire, la volonté du sublime, du grandiose, du signe, de la construction culturelle, et à l'inverse le retour à un archaïsme, au défaut du système, à la forme naturelle imparfaite. Peter Zumthor en produit un manifeste exemple avec la poésie de la massive légèreté de la chapelle Bruder Klaus, qui témoigne de cette conception presque primitive de l’architecture. La mise en oeuvre de ce projet est intimement lié à l'histoire du lieu, et aux traditions ancestrales de la maîtrise du bois, qui existent dans cette région de l'Allemagne, et particulièrement du bois brulé. Zumthor a concu cette chappelle en lien étroit avec des artisans locaux. Il en résulte un mysticisme, une complexité cachée par une apparente simplicité. Pour Zumthor, les choses n'existent qu'en relativité, et pas dans son imagination qui les projette et les interprète : « Qu’est-ce qui m’a touché alors ? Tout. Tout, les choses, les gens, l’air, les bruits, le son, les couleurs, les présences matérielles, les textures, les formes aussi. (...) Et je pense à cette célèbre phrase en anglais renvoyant à Platon: "Beauty is in the eye of the beholder." Cela signifie que tout est seulement en moi. Mais je fais alors l’expérience suivante: j’élimine la place — et mes impressions disparaissent. Je ne les aurai jamais eues sans son atmosphère. C’est logique. Il existe une interaction entre les êtres humains et les choses.» 5

3 Fundamentals est le titre de la Biénnale d'Architecture de Venise de 2014, organisée par Re :m Koolhaas, qui témoigne bien d'un certain goût de l'époque pour le retour aux sources de l'architecture. 4 LUCAN Jacques, L'archaïque et le sublime, 5 ZUMTHOR Peter, Atmosphères. Environnements architecturaux, Birkhäuser, Basel, 2008, p. 17


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Manhattan Transcript, Bernard Tschumi, 1976 - 1981 Le projet propose une nouvelle interprétation des rapports entre les dispositifs ou les éléments architecturaux, et les événements qui s'y déroulent. Les deux enjeux s'ignorent, mais cela faisant interagissent tout de même l'un avec l'autre, l'action avec l'espace, s'agressent, se disjoignent.


LA MATIÈRE SIGNIFIÉE

Conceptualiser le contexte 65

La matière, le lieu, les présences matérielles des choses ; j'ai voulu orienté mon projet sur un lieu fort, et partir de ce lieu pour le conceptualiser, plutôt que de chercher à appliquer un concept établit à priori, qui est une démarche souvent déceptive. Partir du réel et tenter de l'abstraire, de l'interpréter, peut être de le contredire, est une démarche caractéristique de travail de Bernard Tschumi. Les bâtiments de Tschumi, s'ils partent de contextes concrets, ne sont jamais compris comme de simples conteneurs ni comme des réponses directes à un contexte mais comme des amplifications, des dissonances, voire des contradictions locales. Développés à la fin des années 1970, les Manhattan Transcripts en témoignent bien : à travers l'assemblage de photographies et de dessins répartis en longues bandes linéaires, le but est de mettre en scène ce qui est habituellement absent des représentations architecturales, la relation complexe entre l'espace est son usage, entre ce qu'il nomme le set et le script, le type et le programme, l'objet et l'événement. « The Transcripts aimed to offer a different reading of architecture in which space, movement, and events are independent, yet stand in a new relation to one another, so that the conventional components of architecture are broken down and rebuilt along different axes. »1 Le projet postule la disjonction qu'il existe entre l'espace et l'action, les deux mondes ne sont pas prévu l'un pour l'autre, ils s'ignorent ou se confrontent. L'architecture de Tschumi interroge le monde sur ses complexités et ses contradictions, et élève le réel en le conceptualisant en permance. Ce rapport au concept, à la théorisation de la réalité, est peut être une une attitude proche de celle de Deleuze : « Le concept, c’est ce qui empêche la pensée d’être une simple opinion, un avis, une discussion, un bavardage. » 2

1 Bernard Tschumi, cité dans l'article de Mariabruna FABRIZI, «“The Set and the Script” in Architecture: The Manhattan Transcripts (1976-1981) by Bernard Tschumi», Socks Studio, 13 octobre 2015 URL

:

http://socks-studio.com/2015/10/13/the-set-and-the-script-in-architecture-the-manhattan-

transcripts-1976-1981-by-bernard-tschumi/ 2 DELEUZE Gilles, Pourparlers 1972 -1990, Les Éditions de Minuit, Paris, 1990


66

1. salles de cours / centre de conférences

3. bibliothèque / archive

2. laboratoires

4. logements

Diagrammes des principes morphologiques de vide et de plein mis en places dans les quatres bâtiments

Le projet s’est orienté autour de l’idée d’un geste architectural très simple et fort de réinsérer de la matière. Du plein contre l’absence, symboliquement.

3


LA MATIÈRE SIGNIFIÉE

L'architecture comme geste 67

Les bâtiments que je mets en place veulent donc être de purs gestes qui disent leur territoire, qui le traduise et donc nécessairement l’interprète, mais le disent néanmoins. J’ai positionné la démarche de projet comme une sorte d’étude qui teste les possibilités de l’espace, quatre mises en situations qui révèlent le territoire de différentes manières à différents endroits. L’enjeu premier est de mettre en place une logique commune, puis de la décliner en différentes morphologies. Le projet ne cherche pas nécessairement à apporter des solutions à un territoire fragile et en pleine redéfinition, mais à le questionner et à réfléchir à différents postulats. A travers un programme très rationnel, les bâtiments forment des morphologies qui répondent aux formes existantes, les questionnent, leur font écho, les contredisent, parfois. Les quatre projets s’insèrent sur l'île de Favignana en des lieux particuliers, des typologies ou des topologies liées à l’histoire qui font l’identité de l’île. La tonnara, lieu d'implantation du bâtiment principal, représente ce lieu mythique de cette île, qui fournit au fil des siècles la principale source de revenu aux habitants. A son apogée, elle faisait vivre jusqu'à cinq mille personnes. La pêche est pour cette île sicilienne une activité de mémoire, un symbole culturel qui parle d'une tradition millénaire, celle du rapport de l'homme à la mer, à ses dangers, à ses rêves, à ses profondeurs, à ses engloutissements. Les dernières générations à avoir pratiqué la mattanza, cette lutte primitive de l'homme face à l'animal, mais qu'il respecte infiniment et qui se joue au corps à corps, les derniers à avoir exercé ce métier fantasmé et fantasmatique aujourd'hui sont toujours vivant et témoignent encore d'une époque qui semble fort lointaine. Dans une mise en abîme des conditions territoriales, le projet remet en scène les réalités du contexte pour les interroger. Quatre postures du projet se mettent en scène : le dessous, l’à côté, le dedans, l’autour. A partir d'un programme rationnel, elles formalisent quatre propositions morphologiques spécifiques. En rencontrant le territoire, le programme s’hybride d’un deuxième programme, celui du vide. Les quatre bâtiment se forment sur un rapport de vide et de plein, où l’on vient creuser la matière. Les bâtiments sont plus grands que leurs programmes, ils s'amplifient, se rendent manifestes.



4 AU - DEL À DE L’A R C H I T E C T U R E , LE VIDE


70

Maison de campagne en briques, Mies Van der Rohe, 1923 Ce plan très énigmatique, qui est l'un des seuls documents qui restent sur ce projet de maison, fait résonnance avec les intérêts esthétiques de l'époque et rappelle les idées cubistes et de stijlienne de l'espace. Il met en place une réelle composition de l'espace.


AU DELA DE L’ARCHITECTURE, LE VIDE

Composition et entropie 71

L'architecture, comme art de l'espace, a une relation complexe avec celui-ci. On peut en effet s'interroger sur les rapport de l'architecture avec la composition, et en quoi ce rapport détermine- t-il des manières de concevoir l'espace. A la lumière du livre Composition, Non Composition1 de Jacques Lucan, il est interessant de regarder en quoi l'idée de composition, de son acceptation à son refus, parle d'un rapport à l'espace très marqué stylistiquement. Lucan propose cette définition de la composition : « En architecture, composer signifie concevoir un bâtiment selon des principes de régularité et de hiérarchie, ou selon des principes de mise en équilibre. »2 Pourtant, le mouvement moderne se réapproprie la notion, et met en place des principes de composition non hiérarchique de l'espace, et cela témoigne plus généralement d'une volonté globale du milieu artistique de l'époque de faire coincider les arts dans toutes leurs pratiques, dans une conception sociale universaliste et objective du monde. Les cubistes, De Stijl, les constructivistes russes, cherchent à mettre en place un art social, le plus universel possible, et donc de réduire toute subjectivité de style par le biais de l'abstraction géométrique.Les plans des architectes se rapprochent alors de compositions plastiques. C'est effectivement le cas du projet de Mies Van der Rohe, Maison de camapgne en brique, dont les murs qui s'orientent et se dessinent rappellent fortement certaines compositions de Mondrian. Le terme composition d'ailleurs, il l'utilisa souvent comme titre de tableau. Ce dont ce projet très abstrait et très beau témiogne, c'est qu'il s'agit d'agencer, d'organiser l'espace, de le composer sans plus de hiérarchie, comme une pure fluidité. De concevoir un espace total, qui brouille les limites entre intérieur et extérieur, entre clôt et ouvert. L'architecture moderne n'est plus une série de pièces agencées, mises en subordination,comme elle avait pu l'être auparavant : elle produit à l'inverse des espaces non clôts, des effet spaciaux, des articulations. Des continuités, donc. C'est précisement cette fluidité entre intérieur et extérieur, cet effet de continuité, cette volonté de vérité de l'architecture que Venturi questionne dans 1LUCAN Jacques, Composition, Non Composition, PPUR, Lausanne, 2009 2 Ibid, introduction.


72

Centre de Parme

Plan masse de la ville de SaintDiĂŠ, Le Corbusier


73

le livre De l'ambiguité en architecture.3 Il met en question cette idée moderniste que l'extérieur doit correpondre à l'intérieur, que tout doit se lire, que l'architecture doit se dire entièrement. Il questionne la continuité entre intérieur et extérieur, et ce qu’il se passe quand il n’y en a pas. Il postule qu'il est plus intéressant de se contredire que de s'affirmer, de se dérober plutôt que de se montrer, de se complexifier plutôt que de se simplifier. Il fait donc l'éloge de la contradiction, l'éloge des architectures complexes, des collages; Jacques Lucan note à ce propos qu'il fait appel à la notion de poché 4 : il utilise ce terme pour nommer les espace résiduels qui sont générés lorsque la forme intérieure ne correspond pas à l'enveloppe extérieure. L'architecture moderne a, d'après lui, renié toute notion de poché. La notion de poché urbain déterminée par Colin Rowe pose la distinction entre figure et fond. Il compare dans Collage City5 l'ancien tissu urbain du centre ville de Parme avec le plan masse du projet de Le Corbusier pour le centre ville de Saint Dié, et montre par le poché la grande différence et les opposititons des deux logiques urbaines : au tissu, à la texture de l'un, il oppose les objets solitaires de l'autre. « L'une est une accumulation de pleins dans un vide peu travaillé, et l'autre, une accumulation de pleins dans un vide peu travaillé ; et dans chaque cas, le fond laisse apparaître une catégorie totalement différente de figures - d'un côté, l'objet, et de l'autre, l'espace. »6 Le démarche de composition s'épuise rapidement au cours du XXe siècle, qui voit les architectes tenter de dépasser les principes compositionnels des modernes, pour renouer avec une conception moins construite, moins culturelle, moins datée : le recours à des processus agrégatifs par exemple, est significatif d'une volonté de revenir à une réalité plus proches d'enjeux contemporains. La notion de vide remplace alors celle de l'espace, la notion d'entropie celle de la composition. « Composer ou recomposer, c’est mettre de l’ordre ou concevoir un ordre dans lequel se rangent les éléments. Un état entropique déjoue toute possibilité de composer ou de recomposer. Dans une substance, un milieu entropique, dans un poché, on coupe, on tranche, on taille, on excave, on creuse, on troue. On produit des vides » 7 3 Notamment dans le chapitre intitulé « Intérieur et Extérieur ». VENTURI Robert, De l'Ambiguité en Architecture, Dunod, Paris, 1971 4 LUCAN Jacques, « Généalogie du poché », Matières, n° 7, Lausanne, 2005, p.44 5 ROWE Colin et KOETTER Fred, Collage City, Centre Georges Pompidou, Paris, 1993 6 Ibid, p.105-106 7LUCAN Jacques, op. cit., p.52


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Très Grande Bibliothèque OMA 1989

Château de Hedingham Aubrey de Vere Vers 1105


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Le vide comme architecture en négatif 75

« Where there is nothing, everything is possible. Where there is architecture, nothing else is possible. » Rem Koolhaas. 1 L'architecture est donc extrèmement totalisante en ce qu'elle a du mal à ne pas contrôler toute potentialité d'usage et d'action dans ce qu'elle produit. Le vide dès lors peut être donc considéré comme l'inverse de l'architecture, son espace de liberté. La stratégie du vide est le nom donné par Rem Koolhaas au concept sousjacent du projet de la Très Grande Bibliothèque, qui postule du vide plutôt que de l'espace, qui propose un milieu topologique. Une « stratégie qui laisse de coté les questions relatives à l’articulation ou à la composition spatiale. »2 Il conçoit le projet comme un bloc de matière dans lequel on vient excaver des creux : des volumes vides qui intersectent le volume plein, produisant des creusements. La matière solide (en noir sur le plan ci-contre) est constitué de la masse des livres alors que la matière vide (en blanc sur le plan ci-contre) accueille les espaces publics. La notion de poché habité semble connoté l'idée de niche, de refuge, qui va bien avec l'idée d'un monolithe habité. L'habitabilité du mur, de l'épaisseur, du poché, est manifeste dans les châteaux du Moyen-Âge qui se trouvent en Ecosse ou en Angleterre. Ces constructions montre en effet la différence entre mur creux et mur massif, et toutes les possibilités d'espaces qui se trouve dans les murs : escaliers dans des colonnes, pièces déroubées, couloirs de service. C'est présicement en étudiant ces châteaux que Louis Kahn a développé son concept de différencier les espaces servis des espaces servant : faire du mur un contenant et non un plein. Le massif et le creux sont à l'origine de la disctinction des espaces kahniens. L'espace vide, l'espace en négatif d'autre chose offre donc des possibilités très étendues d'usage et de complexité.

1 Cité en exergue de l'article de Maurio Palamini et Pietro Pezzani, « Subversion and indifference : the architectural strategies of Lacaton & Vassal », San Rocco n°7 Indifference, Eté 2013 2 LUCAN Jacques, « Généalogie du poché », Matières, n° 7, Lausanne, 2005, p.49


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76 et 124, OFFICE Kersten Geers David Van Severen Le projet 76, au dessus, fourni l'occasion d'un évènement en encerclant un espace qui reste inaccessible, le centre diégétique d'une pièce de théâtre qui n'y aura jamais accès, qui se joue donc autour. En encerclant l'espace, il produit ses alentours. Le projet 124, en dessous, est une place publique, un extrait de grille qui met en situation l'espace, le cadre mais le laisse libre.


AU DELA DE L’ARCHITECTURE, LE VIDE

Activer le vide : des bâtiments comme dispositifs 77

Pour François Cheng,1 le vide n’est pas quelque chose de vague ou d’inexistant mais un élément éminemment dynamique qui est le lieu où s’opèrent les transformations, où le plein est à même d’atteindre la vraie plénitude. Dans Vide et plein, à partir d'une réflexion sur le langage pictural chinois, il postule qui si le plein constitue une structure visible du monde, le vide en structure l’usage. L'architecture pour devenir constitutive d'un milieu, pour être un espace du monde et pas seulement un objet solitaire a besoin du vide. L'architecture japonnaise de ces dernières années est peut être la plus signifiante de ce point de vue-là : de nombreux projets produisent des architectures comme des milieux, non plus seulement comme des espaces. Il s'agit de mettre en place des bâtiments qui ne rompent pas avec ce qui les entoure, qui ne produisent d'effets spatiaux que dans un certain désordre, tout comme la grille d'une forêt d'arbres n'est pas une grille. Ils introduisent l'imperfection, le brouillement du système, la perturbation de la trame. L'architecture est donc prise dans une contradiction interne entre la volonté de programmer l'espace et celle de le laisser librement utilisable. Seulement dans cette fausse idée d'espace de liberté, d'espace neutre, on retrouve souvent la volonté d'anticiper, de prévoir et donc de contrôler. La qualité du vide est donc d'être cet espace du non prévu, du non plannifié, de l'en dehors de l'architecture, sur lequel l'architecture influe par répercussion, et sur laquelle il influe lui même. C'est le propor des Manhattan Transcripts de Tschumis comme on l'a vue auraparvant. A leur propos, Derrida dira : « Celui-ci ne se contenterait plus de marcher, de circuler, de déambuler dans un lieu, sur des chemins, il transformerait ses mouvements élémentaires en leur donnant lieu, il recevrait de cet autre espacement l’invention de ses gestes. »2 L'invention de ses gestes : les lieux et les corps se contredisent ou se heurtent parfois, mais interagissent. 1 CHENG François, Vide et plein, Editions du seuil, Paris, 1991 2 DERRIDA Jacques, « Point de folie », La Case Vide: La Villette, 1985, AA Files, Londres, 1986, paragraphe n°10


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«

Tout comme le lecteur échappe au contrôle de l’œuvre, l’œuvre semble, à un moment donné, échapper à tout contrôle, même à celui de l’auteur, et se mettre à discourir sponte sua comme un cerveau électronique qui serait devenu fou. Ce qui subsiste alors, ce n’est plus un champ de possibilités, mais l’indistinct, l’originaire, l’indéterminé à l’état libre, le tout et le rien.

Umberto Eco, L’œuvre ouverte

»


AU DELA DE L’ARCHITECTURE, LE VIDE

Le vide comme marge vitale 79

Laisser donc l'espace libre, purement libre, est un enjeu majeur de la démarche que je mets en place. L'architecture devient un dispositif qui tente d'activer des espaces sociaux sans en prévoir les pratiques. Les quatre bâtiments que je mets en place déclinent une même logique, participe d'un même langage commun, celui de l'assemblage morphologique entre vide et plein, où le plein constitue le programme rationnel qui propose une nouvelle ouverture économique à l'île, tandis que le vide se déploie, en fonction du contexte, au dessus, en dessous, à côté ou à l'intérieur, comme une marge nécessaire de ces programmes. Ces matérialisations sont des architectures actives qui inventent des usages, des sensations, des imaginaires, et génère de l’espace public et une nouvelle économie de l’île, en opposition à une stratégie de parcellisation du territoire, qui entraine une privatisation du paysage, ainsi qu’un poids écologique éreintant. Le projet interprète le reste comme possibilité – une erreur, une forme non prévue devient un abris. Il s'inspire, à travers l'image que renvoie la présence des carrières de pierre, de l'idée que la forme non anticipée, résultat d'une logique qui la dépasse, trouve un usage. C'est justement le propos qu'a tenu Bijoy Jain lors de sa conférence au Pavillon de l'Arsenal.1 Il y parla de la configuration spatiale de la ruine, comme contenant un potentiel d’occupation. En générant des bâtiments plus grands que leur simple programme, le projet a cherché à mettre en place des incohérences, des contradictions, des marges critiques. Il cherche à créer des trous, organiser des absences, ménager des espaces de respiration. A penser de l'espace pour l’événement, de l'espace pour l’action, de l'espace non programmé, du vide. Contre l’évidence, il cherche à mettre en scène l’incertitude.

1 Le fondateur de Studio Mumbai est venu y donner une conférence le 15 Janvier 2016.



ANNE XE bibliogr aphie inde x iconogr aphique remerciements


THÉORIE ARCHITECTURALE

Recherches en Esthétique, n° 14, 2008

Vide et plein LUCAN Jacques, « Généalogie du poché », Matières, n° 7, Lausanne, 2005

SMITHSON Robert, Les Monuments de Passaic, 1967

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pages 8

Digramme, Dimensions et morphologies des carrières Source : Production personnelle

page 9

Collages, Occupations des carrières Source : Production personnelle

page18

Photographie de la Cathédrale de Palerme Source : production personnelle

Photographie de San Cataldo, Palerme Source : production personnelle page 22

Photographie du fort Santa Caterina Source : production personnelle

INDEX ICONOGRAPHIQUE

Photographie de la tonnara Source : production personnelle page 24

Photographie du Palais de la Siza Source : G. Cappellani. http://www.mondes-normands.caen.fr/

Photographie d'une carrière de tuf Source : production personnelle page 30

Plan du musée Museum Island Hombroich, Erwin Heerich Source : Socks Studio. http://socks-studio.com/2015/02/22/chapels-in-the-landscape-erwinheerichs-11-pavilions-for-the-museum-insel-hombroich/

page 34

Diagramme de La Villette, Bernard Tschumi Source : Frac Centre. http://www.frac-centre.fr/collection-art-architecture/tschumi-bernard/parc-lavillette-paris-64.html?authID=192&ensembleID=599

page 36

Image du fiim de Luchino Visconti source : Il Cinema Rivoltato. http://distribuzione.ilcinemaritrovato.it/per-conoscere-i-film/il-gattopardo/lastoria-del-film

page 38

Photographie de Matera Source : Auteur inconnu. http://www.agapanthusmatera.it/?page_id=21332

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page 40

Plan du projet Source : Production personnelle

page 46

Photographie des ruines de Tikkal Source : StockArch. http://stockarch.com/images/places/central-america/tikal-temples-i-and-ii-2229 Photographie et plan d'un Nuraghi, 1954 Source : Photographie par David Weill. Dessins par Christian Zervos. http://www.cca.qc.ca/fr/centre-d-etude/2450-the-degree-zero-of-architecture

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page 48

Coupe et perspective de la Chapelle Bruder Klaus, Peter Zumthor Source : AC/CA Arquitectura contemporània. http://compo3t.blogspot.fr/2014/11/capell-brother-klaus-peter-zumthor-2007. html

page 50

Digramme de Manhattan Transcript, Bernard Tschumi Source : Site internet de l'agence. http://www.tschumi.com/projects/18/

page 52

Diagrammes du projet Source : Production personnelle

page 56

Plan de La maison de camapagne en briques, Mies Van der Rohe Source : Anti-Vitruve & Super-Brunelleschi. https://relationalthought.wordpress.com/2014/01/05/1834/

page 58

Comparaison du centre de Parme et du projet Saint-Dié de Le Corbusier Source : Colin Rowe et Fred Koetter

page 60

Plan diagrammatique la Très Grande Bibliothèque, OMA Source : Site internet de l'agence. http://oma.eu/projects/tres-grande-bibliotheque

Plan Château de Hedingham Aubrey de Vere, 1105 Source : "Walls as Rooms: British Castles and Louis Khan" Socks Studio http://socks-studio.com/2012/04/06/walls-as-rooms-british-castles-and-louiskhan/ page 64

Plans et images de Office Source : Site internet de l'agence. http://www.officekgdvs.com/


Je remercie pour leurs précieux conseils et la justesse de leur encadrement : L'équipe enseignante de THP, et en particulier Luca Merlini Sandra Planchez Bérénice Gaussuin

REMERCIEMENTS

Ainsi que mes anciens enseignants qui m'ont inspirés d'en arriver là : Jean-Pierre Pranlas-Descours, Marc Armengaud, Bruno Hubert, Thierry Mandoul et Clément Blanchet, Françoise Cremel, François Magendie, François Chaslin Je remercie pour leur soutien et leurs conseils tout aussi précieux : Lorenzo Boddi Ashley Harms Linh Tham Clara Le Bihan Lana Deluigi, Myriam Ziouche, Carole Richard, Louis Latzarus, Anne Grosset Brun, Mete Kutlu Et puis Agnès, et les copains du Balto Toutes les personnes rencontrées en Sicile qui m'ont raconté de jolies anecdotes et ont participé à construire l'imaginaire de mon projet. Et toute la famille, évidemment, et d'abord mon père Thierry, ma mère Claude-Agnès et ma soeur Zoé. Et Valeria Tasca, qui va me manquer.

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Perle Van de Wyngaert Projet encadrĂŠ par Luca Merlini et Sandra Planchez


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