Le complexe élitaire Ce sont nos travaux sur la violence qui nous autorisent à épingler dans l’espace d’un article « l’élitisme ». Nous nous demandons si cette constante historique des sociétés humaines n’est pas une disposition psychique des individus, intégrée à des groupes, une pulsion « originaire » ? En fait si l’élitisme ne manifestait pas l’une des survivances de nos sociétés dépassées ? Et s’il n’était pas – au fond, devenu une dimension de la violence sociale « structurelle », institutionnalisée en dépit de la tradition libérale mais libertaire française. Mais où cette pulsion de distinction et de clivage puiserait-elle ses forces ? Notre analyse alors prendra le chemin d’une meilleure compréhension de la violence.
De la violence. S’interroger sur la violence humaine ouvre avec le temps une galerie de lectures et de références presque inépuisable. La bible, et plus généralement les livres sacrés, sont déjà porteurs des pires exactions, et la littérature en la matière, comme les traités et les études, n’ont jamais faibli en volume. Après quelque trente années de réflexions et de cours sur cette question, nous pourrions résumer les théorisations de la violence en trois grandes lignes conceptuelles, qui sont plus ou moins des « parti pris » de sociétés. Le parti pris de l’angélisme, ou du modelage social, qui penche plutôt pour considérer la violence comme une résurgence inhumaine incontrôlée, ou une émergence animale « mal intégrée », déconnectée de ses sources instinctuelles, ou encore une perversion d’enfance des circuits émotionnels primaires. Dans tous les cas le milieu et donc « l’acquis » seraient déterminants. Il serait alors possible d’inverser le mécanisme, et de réapprendre la socialisation. L’élitisme est ici un effet anthropologique primaire « rééducable ». Le parti pris du fatalisme, de « l’inné », qui résout les problèmes sans les poser, puisque la violence est d’éternité humaine, et que la nature humaine est ainsi faite. La violence est alors un phénomène génétique, ou limbique (émotionnel et neuronal), ou encore sociobiologique, « d’espèce ». Il ne reste dès lors pas grand chose d’autre à faire que de contenir, réduire, médicaliser, les mécanismes, voire de les paralyser en neutralisant leurs auteurs. L’élitisme est là un agent social génétique au service de la sélection humaine. Mais nos incertitudes étant ce qu’elles sont, les chercheurs aujourd’hui prêtent attention aux implications des positions pensées scientifiques. Il ne s’agit plus de tomber dans les dérives finalement raciales et sélectionnistes d’un Lorenz, et seuls les sociobiologistes anglosaxons et quelques théoriciens déconsidérés s’y enferment. Le parti pris est alors de ne pas en avoir, et de laisser la société faire son temps, faire ses essais. La violence est conçue comme une constante des relations humaines et du « social », ouvrant le faisceau des sollicitations dites instinctuelles, en fait culturelles depuis longtemps ; elle est cadrée par les normes et les potentiels éducateurs du social. Apprendre la violence, en soi, dans la société, la domestiquer sans doute, la métaboliser sûrement, c’est une voie difficile mais médiane, de mobilisation quotidienne, réaliste et prometteuse. La violence est un mécanisme de défiance, de protection, devant les mauvaises rencontres, et il est inscrit dans la phénoménologie de l’entrée en société. Sur cette ligne, l’élitisme est aussi construit qu’acquis, et il est possible de s’en défaire, au moins de le discuter et de l’ajuster à nos préoccupations démocratiques. Autant que faire se pourra ! Nous voyons aisément ce qu’impliquent ces positionnements idéologiques enracinés dans un inconscient humain lui-même « culturé ». Autant les technologies avancent en 1