L'asile public d'aliénées de Maison-Blanche à Neuilly-sur-Marne - Master Thesis - Paul de Greslan

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L’ASILE PUBLIC D’ALIÉNÉES DE MAISON-BLANCHE À NEUILLY-SUR-MARNE Lecture et enseignements de la spatialisation psychiatrique au chevet d’un asile sacrifié


L’étude de l’organisation spatiale des centres de contrôle et de traitement de la “Folie” est une situation exemplaire pour objectiver les rapports qui existent entre la réalisation des formes spatiales et l’évolution des représentations au fur et à mesure qu’un groupe d’agents affirme détenir le monopole de la définition de la normalité et de la déviance. Christian de Montlibert


L’ASILE PUBLIC D’ALIÉNÉES DE MAISON-BLANCHE À NEUILLY-SUR-MARNE Lecture et enseignements de la spatialisation psychiatrique au chevet d’un asile sacrifié Paul de Greslan Étudiant en 5ème année, Master Transformation de l’École de la Ville et des Territoire à Marne-la-Vallée Mémoire sous la direction de Mathias Rollot, Paul Landauer et Fanny Lopez, rendu le 26 janvier et soutenu le 5 février 2018

École d’architecture à Marne-la-Vallée de la ville & des territoires


AVANT-PROPOS

De ma rencontre avec un asile d’aliéné


C

’est en travaillant chez les Ateliers Lion Associés que je découvre pour la première fois le monde de Maison-Blanche1. Voici comment : tout juste intégré à l’agence, je suis affecté au développement d’un projet urbain de grande envergure, un des plus importants en cours pour l’agence. Sur un gigantesque site de 53 hectares à quelques kilomètres du périphérique, il s’inscrit dans le cadre du Grand Paris, ambition métropolitaine confortant la place de la capitale parmi les villes les plus dynamiques du monde. Dans la commune de Neuilly-sur-Marne, ce projet se niche à l’intérieur de l’enceinte d’un hôpital psychiatrique désuet, l’hôpital de Maison-Blanche. L’agence a pour mission de métamorphoser ce dernier en morceau de ville de plus de 4000 logements, branché sur la ligne 11 du Grand Paris Express2. Au fil des sept mois que dure mon stage, je m’y rends en repérage à de multiples reprises, et expérimente ainsi ce lieu dans des contextes et saisons différentes. Je suis séduit par les ambiances extraordinaires de ce territoire de proche banlieue parisienne et pourtant si dépaysant. L’atmosphère intimidante et exaltante d’un tel programme à l’abandon, le développement de la nature libérée de ses maîtres ou encore le contraste entre ce que l’équipe appelle « jardin à la française » et « jardin à l’anglaise » n’y sont pas étrangers.

Ci-Contre : L’une des cours plantées de l’ensemble dit de « Morins-Goustiaux », à l’abandon depuis de nombreuses années. Photographie de l’auteur, le 14 septembre 2015

Alors que mon stage touche à sa fin, je me demande dans quelle mesure une meilleure connaissance des forces qui façonnèrent ce territoire aurait modifié ce projet. Je tacherai donc ici d’étudier les différentes facettes de l’asile de Maison-Blanche, d’éclairer les grands bouleversements thérapeutiques et architecturaux du XIXe au XXIe siècle qui y prirent place et de révéler leurs influences mutuelles. J’aurais ainsi l’occasion d’analyser avec J’assemblerai de la sorte des matériaux utiles à la compréhension de cette situation de désherence et à sa manipulation éclairée.

Je travaille au sein des Ateliers Lion Associés de Septembre 2015 à Avril 2016. Pendant cette période, l’agence développe le Plan Général d’Aménagement de la ZAC Maison-Blanche, qui constituera la majeure partie de mon travail. 1

Le site internet de l’opération, Le Parc Maison-Blanche, offre un aperçu des ambitions et des thématiques mises en avant: la Nature, le Patrimoine, l’Innovation et la Qualité de vie http://leparcmb.fr/ (consultation le 12/04/2017) 2

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SOMMAIRE


AVANT-PROPOS De ma rencontre avec un asile d’aliéné

P.4

UNE HISTOIRE DE FOU Paroles de la vidéo d’introduction au séminaire

P.8

INTRODUCTION

De l’évolution des lieux de la folie en France

P.22

II ULTRA-SPATIALISATION

L’ASILE « CLASSIQUE » OU L’ÈRE DU TOUT-SÉPARÉ P.31 Comment un modèle architectural et psychiatrique rationaliste s’est-il diffusé pour prendre en charge la folie en France, et comment est-il devenu contre-productif ?

III NON-SPATIALISATION

L’ASILE-VILLAGE OU LA BANALISATION DE L’ASILE

Quelles ambitions thérapeutiques motivèrent le « village » à Maison-Blanche, et quelles conjonctions en firent un prototype mort-né ?

P.55

IIII DÉ-SPATIALISATION

L’AVÈNEMENT DU QUOTIDIEN COMME NORMALITÉ P.75 Comment l’évolution techniciste de la psychiatrie a-t-elle confisqué la responsabilité médicale de l’architecture et transformé l’approche thérapeutique, précipitant ainsi l’abandon du milieu asilaire ? L’ENSEIGNEMENT DE MAISON-BLANCHE

L’architecture au service d’une norme situationnelle

P.94

ANNEXES

P.100

REMERCIEMENTS

P.110


UNE HISTOIRE DE FOU

Paroles de la vidéo d’introduction au séminaire

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C’est une histoire de fou. Une histoire en trois temps.

Une histoire d’abord, celle de l’aliénation. L’aliénation, l’aliénation dans un asile ailleurs, À Neuilly-sur-Marne. Si l’on considère que « Produit d’une vie qui s’écarte de la nature, La folie n’est jamais que l’ordre des conséquences », L’asile se doit de « Surveiller, garder, isoler, classifier et ramener à la raison » Le malade en stimulant ses sens.

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Cette histoire commence en 1895, Lorsque l’on décide de sa construction.

Il sera beau, grand, et symétrique. Symétrique et rangé, Substituer à la folie L’ordre et la netteté. Il « insère le malade dans une dialectique simple de la nature » Là, loin, ailleurs dans la campagne. Mais il le range. Il range, il range partout et surtout à l’Est. Il cloisonne, délimite et réparti d’un geste.

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Le plus fou, le fou et la Folie. Je suis ce qu’ils veulent de moi, je suis … J’ai mon bâtiment central, Je loge dans des masses isolées, Je classe, je classe, je classe autour de cours arborées. Mais ça n’ira pas plus loin, car l’on critique, Partout l’on critique et l’on décide de tester…

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Vas-y testes, testes l’asile, testes, L’asile-village que l’on teste maintenant à l’Ouest. Le jardin à l’Anglaise, On ouvre, on rit, on socialise. Ils déambulent et ils vocalisent. Mais communiquentils ? Les arbres sont partout Et je fais le parc plutôt que l’asile.

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Si « une maison d’aliénés est l’agent thérapeutique le plus puissant Contre les maladies mentales », La technique gronde et le choc est frontal. Une histoire alors.

Une histoire alors, Quand la psychiatrie se détache de la nature et joue à l’apprenti chimiste. Neuroleptiques et psychotropes, Les médicaments arrivent et ils abrutissent. Mais ne peuvent-ils plus sortir ?

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Ils sont mous, Les malades sont mous et Ils ne communiquent plus. Ils restent là, Ne sortent plus voir la verdure.

Pourquoi sortir si dehors il n’y a qu’un parking ? Alors on les laisse là et eux s’inclinent. Pourquoi s’embêter si les médicaments traitent ? Ils ne sortent plus, et personne ne s’inquiète.

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Ces nouveaux bâtiments ne sont plus qu’un intérieur, une cour, Et l’extérieur est technique ; Tuyaux, canalisations et perfusion climatique. Une histoire. Une histoire enfin qui fout tout en l’air. Si y’a plus de malades Nous restera-t-il la terre ?

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Car les malades partent loin, loin, Ils partent de l’asile ou l’asile déménage. On le divise et on l’envoi loin, Reste à tourner la page. Tout est vide alors, et l’asile perd ses aliénées. Que restera-t-il quand, L’asile sera déserté ?

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Je vous parle d’une histoire de fou. Une histoire de fou, De transformation d’un asile en ville. Mais si l’on doit le changer, que garder de l’asile? C’est l’histoire d’une transformation, Où l’architecture la plus ancienne est la seule conservée. Ce qui est jeune mais bien trop vieilli, Ne survivra donc pas à la société.

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C’est une histoire où l’architecture engagée, Survit à l’obsolescence d’une technique spécialisée.

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Texte original et extraits visuels d’une vidéo tournée le 7 mars 2017, disponible en libre accès sur YoutubeTM www.youtube.com/watch?v=WSJufzFrbQA

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INTRODUCTION

De l’évolution des lieux de la folie en France


D

epuis près d’une décennie, l’architecture des lieux de prise en charge de la folie1 fait l’objet d’une investigation d’une intensité nouvelle. Nombreux sont les étudiants en architecture et les architectes qui se mobilisent à ce sujet, notamment par la recherche (du mémoire de master à la contribution à des ouvrages collectifs). En s’appuyant sur des expériences contemporaines, ces ouvrages ont souvent pour vocation d’agir comme des guides pratiques de conception. Le caractère contemporain des bâtiments ou des projets étudiés empêche néanmoins toute prise de recul par rapport au sujet. Seul compte le couple architecture/psychiatrie2 qui y est analysé au prisme de nos valeurs sociétales actuelles. À l’inverse, peu d’ouvrages sont effectivement publiés qui croisent contexte et spatialisation psychiatrique. Ceux qui le sont proposent pourtant toujours un point de vue fécond, à l’instar du premier chapitre de l’impossible autonomie de l’architecte de Guy de Montlibert, décrivant l’architecte comme l’exécutant « d’agents » décisionnaire, ou encore l’article de Lucile Grand intitulé L’architecture asilaire au XIXe siècle, entre utopie et mensonge, pour qui l’architecture asilaire n’a jamais possédé les moyens de réaliser le « rêve » de la psychiatrie classique. Cette recherche émet l’hypothèse que les dynamiques contextuelles influencent aussi significativement la création du milieu psychiatrique que le fait le maître d’œuvre. Afin de disposer de la hauteur nécessaire à l’intégration du contexte dans l’analyse de la spatialisation psychiatrique, ce mémoire s’intéresse à un lieu particulièrement révélateur à ce sujet, l’asile de Maison-Blanche à Neuillysur-Marne. Il actualise et complète la thèse de doctorat de géographie de Magali Coldefy, intitulée De l’asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France et soutenue le 22 juin 2010 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Celle-ci y dressait une représentation nationale des géographies asilaire et post-asilaire, explorant l’« histoire de la psychiatrie avec les lunettes de la géographie », et illustrant localement son propos à travers l’exemple de Maison-Blanche. Il s’agit à présent de prolonger l’analyse (géographique, administrative et des ressources) de cet Établissement Public de Santé par une analyse (architecturale, urbaine et historique) affinée sur son site asilaire. Nous tacherons ainsi d’identifier la capacité de l’architecture a être un véritable « agent thérapeutique ».

Au barycentre du triangle formé par l’histoire, la psychiatrie et l’architecture, cette recherche questionne de façon approfondie les interrelations et dynamiques à l’œuvre lors de la création de ce site. Pour ce faire, elle entremêle des supports d’une grande variété : écrits théoriques, traités médicaux, rapports administratifs, récits historiques, contributions à des ouvrages collectifs, reportages photographiques et cartographies, entre autres.

Folie, dérivée de Follis (vieux Français): ballon, vessie gonflé(e). « qui a le cerveau, la tête vide comme une vessie » Vocabulaire et étymologie (consultation le 25/09/17) psychiatrie.histoire.free.fr/ 1

Étymologie de Psychiatrie : « du mot grec psyche (ψυχή), signifiant « âme ou esprit », et iatros qui signifie médecin. Littéralement médecine de l’âme. Introduit pour la première fois en Allemagne par Johann Christian Reil en 1808 » Psychiatrie, Wikipédia (Consultation le 10/02/2017 ) fr.wikipedia.org/wiki/Psychiatrie 2

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Ceux-ci sont analysés au filtre de l’expérience d’usagers ainsi que de mes propres visites afin de comprendre, synthétiser et restituer la question de la spatialisation de Maison-Blanche. En cela, ce mémoire met à profit à la fois mon expérience chez Ateliers Lion associés et les compétences développées au fil de mes années en école d’architecture, afin de le rentre accessible et utile aux acteurs de la transformation de Maison-Blanche. Il questionne le crédit donné à l’architecture dans le cadre d’une science spécialisée telle que la psychiatrie : tantôt « instrument de thérapie », tantôt coquille technique, résidu jetable de la prise en charge après l’intériorisation de la camisole. Parallèlement, il atteste aussi que l’aboutissement architectural ne dépend jamais que de lui-même, mais bien d’un faisceau confus de composantes sociales, économiques, politiques ou encore individuelles. L’architecte n’est pas capitaine mais bien valet de l’évolution imprévisible d’un contexte qui lui échappe. Dans le milieu psychiatrique, ce contexte est influencé par les fluctuations de la représentation sociétale de la normalité - ordonnée, sociable puis quotidienne - et donc par l’image que l’institution psychiatrique souhaite communiquer par sa spatialisation - emblème d’une unité républicaine, symbole du familier puis effacement du sujet. À d’autres milieux correspondent d’autres enjeux, de sorte que jamais l’architecte n’est tout entier libre à son génie créatif.

Michel Foucault décrit ces prémices dans Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1972, p.17. C’est l’un des plus célèbres ouvrages dédiés à l’histoire de la psychiatrie en France. Il offre une analyse personnelle et engagée des rapports de la société aux fous et de leurs places respectives. 1

Cité dans FOUCAULT, Histoire de la folie..., op. cit., p.17 2

Événements déterminants dans la genèse de la psychiatrie, psychiatrie.histoire.free.fr/ (Consultation le 18/03/2017) 3

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Cette recherche offre un cadre idéal pour appréhender un territoire en déshérence. Il s’agit ici d’en mesurer l’étendu et les composants, d’en démêler la formation et d’en révéler l’intérêt théorique. Ce faisant, nous tenterons de discerner les points de crispation de cette situation urbaine et leurs origines. Nous pourrons ainsi nous composer un point de vue avisé, dans le but de selectionner les leviers à utiliser pour sa manipulation. Alors, nous aurons les clés pour lui aménager une perspective d’avenir. Afin de comprendre la généalogie dans laquelle s’inscrit Maison-Blanche, un rappel inscrivant son histoire dans celle de la psychiatrie en France est nécessaire. Trois notions - ultra-spatialisation, non-spatialisation, dé-spatialisation - y apparaissent, articulant trois contextes sociétaux à trois spatialisations1 du milieu psychiatrique. Elles formeront les trois parties de ce mémoire.

Depuis le Moyen-Âge, durant la Renaissance et jusqu’à nos jours, les lieux de prise en charge de la folie ont constitué des laboratoires architecturaux. Considérés comme fait social avant le XVIe siècle, les troubles psychiatriques connaissent à partir de ce siècle les prémices d’une prise en charge, dans les hôpitaux, les hospices ou les prisons1. Au XVIe siècle dans certaines villes d’Europe et particulièrement en Allemagne, les fous sont tenus à l’écart des villes, enfermés dans cette exclusion et confiés aux marins, voués à être ballottés le long des fleuves et des côtes occidentales. Le 16 juin 1676, Louis XIV prescrit l’établissement d’un hôpital général dans « chacune ville de son royaume », destinés aux pauvres et aux « simples d’esprits »2.


Plus proches du milieu carcéral que médical, ces hôpitaux ne dépendent d’aucune juridiction, d’aucun ordre établi, et constituent un nouveau moyen de répression pouvant juger et exécuter en autonomie parfaite. Les fous attendront là deux siècles, prisonniers d’une société qui séquestre les anormaux, pour qu’enfin au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle Philippe Pinel les libère en retirant leurs chaînes, à la Salpêtrière d’abord puis ailleurs en France3. Cet évènement historique signe le début de la prise en charge médicale dite « classique » de la psychiatrie, qui, prolongée par une série de traités d’aliénistes engagés au fort retentissement dans le milieu médical psychiatrique, aboutira à la Loi n°7743 sur les aliénés du 30 juin 1838. Ainsi apparaît le socle commun fixant à la fois les modalités de prise en charge des aliéné.e.s et les règles de fondation des asiles qui leur seront dédiés. Il restera en vigueur cent cinquante-deux ans. Chaque département doit se doter d’un asile psychiatrique, dont près d’une soixantaine1 sera édifiée au XIXe siècle suivant le modèle asilaire « classique » développé par Jean Étienne Esquirol2. Ces asiles constituent une formidable composition d’ensembles architecturaux aux règles communes, subtiles variations d’un même type urbain et architectural. Ainsi se déploie la première phase de spatialisation psychiatrique, que nous qualifierons ici d’ultra-spatialisation en cela qu’elle ordonne et classe les espaces et les patient.e.s de façon incroyablement rationnelle. Maison-Blanche est le dernier asile de cette lignée « classique », et équipe en 1900 la Seine-Saint-Denis d’un cinquième hôpital face à celui de Ville-Evrard, pour les femmes aliénées de Paris3. À la suite d’un débat effervescent des corps médicaux et administratifs, c’est effectivement là qu’est livré en 1909 le premier prototype d’asilevillage français, en lieu et place de la deuxième aile prévue au concours4. Ce modèle importé d’Allemagne propose une résolution urbaine optimiste, mue par la volonté d’offrir une image dé-stigmatisée de l’asile. C’est donc en contrepoint du modèle classique que l’Asile-Village incarne une volonté de banalisation de l’urbanisme et de l’architecture asilaire. Il répond ainsi à une tentative affirmée de non-spatialisation du milieu asilaire. La diffusion du modèle germanique sera cependant mise à mal par les deux Guerres Mondiales. Outre les dégâts matériels et l’hécatombe qu’on leur doit dans le milieu asilaire5, ces guerres feront progresser les techniques et notamment la médecine. Les premiers médicaments psychotropes neuroleptiques apparaissent avec le Largactil, utilisé dès 19516. Le paradigme de l’enfermement est renversé, quittant son écrin physique pour se déplacer irréversiblement vers une camisole chimique. On n’enferme plus dans l’asile, mais dans le corps et dans l’esprit.

58 Asiles. Estimation établie d’après l’inventaire des Asiles Publics Départementaux d’Aliénés français (http:// psychiatrie.histoire.free.fr/hp/ hp.htm) et étude des plans masses sur https://www.google. fr/maps réalisées le 03/04/2017 1

Jean Etienne Esquirol fera même dresser un plan d’hôpital idéal par l’architecte Mr Lebas. Ce plan, que l’on retrouvera plus tard, propose une résolution architecturale utopique et extraterritoriale d’une vision thérapeutique précise. 2

Notice sur les asiles publics d’aliénés et colonies familiales, Préfecture du département de la Seine, direction des affaires départementales, services des aliénés, Imprimerie et Librairie Centrales des chemins de Fer, Paris, 1900, p.71 3

D’après LAGUET, Pierre Louis, « Naissance et évolution du plan pavillonnaire dans les asiles d’aliénés », Livraisons d’histoire de l’architecture, 2004, n°7, p66 4

Magali Coldefy, De l’asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France, Université Paris 1 Panthéon‐Sorbonne, École doctorale de géographie, 2010, p.98 5

La découverte des neuroleptiques : une chronologie (consultation le 12/05/2017) http://psychiatrie.histoire.free.fr/ traitmt/neurol/chron.htm 6

La Circulaire du 15 mars 1960 (consultation le 12/05/2017) http://psychiatrie.histoire.free.fr/ legisl/sector/1960.htm 7

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En mars 1960, la Circulaire inaugurale des grands principes de Sectorisation entérine ce bouleversement en ordonnant la dispersion des organes du traitement psychiatrique en ville, au plus proche du milieu de vie des patient.e.s7. L’asile, orphelin de sa fonction originelle, voit sa légitimité contestée. Les crédits qui lui sont alloués sont réduits et le nombre de patient.e.s interné.e.s chute dès lors drastiquement. À Maison-Blanche, on ne construit guère plus que des locaux provisoires et préfabriqués. L’émergence de nouvelles méthodes et de nouveaux outils thérapeutiques autorise donc une dé-spatialisation de la psychiatrie, souhaitée autant que subie ; une disparition du milieu psychiatrique au profit d’un retour au milieu quotidien.

Ci-contre : Vue aérienne axonométrique de l’hôpital de Maison-Blanche, ©BING map 2017

D’après le CNRTL, le terme spatialisation définit l’action de « Donner un caractère spatial à quelque chose ». Dans cette étude, nous lui donnerons un sens précisé et augmenté, celui de conférer un caractère et une forme architecturale à une vision thérapeutique clairement exprimée, à un moment défini. http://www.cnrtl.fr/definition/ spatialisation 1

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L’asile vit péniblement les dernières décennies de son fonctionnement, et la perte de moyen et de considération s’inscrit jusque dans les murs des bâtiments historiques, évacués et désaffectés. Aujourd’hui, il ne vit plus que dans le secteur des patient.e.s agité.e.s et de longue durée. À la veille de sa restructuration pour faire place au projet du Grand Paris, l’asile de Maison-Blanche constitue le témoin privilégié d’un large pan de l’histoire de l’architecture psychiatrique. Par sa substance même, il interroge la valeur d’une architecture conçue comme support d’une science spécialisée, la psychiatrie. Les trois modèles de la spatialisation de la psychiatrie qui y sont retranscrits ne sont pas propres à Maison-Blanche. De très nombreux asiles ou hôpitaux psychiatriques se rattachent tantôt à l’un, tantôt aux autres. Néanmoins, c’est leur juxtaposition urbaine qui est parfaitement remarquable à Maison-Blanche. Elle permet d’y retracer le fil conducteur ayant guidé l’évolution des espaces de prise en charge de la folie pendant plus d’un siècle, et éclaire en ce sens autant notre pratique actuelle que les autres des situations nationales.


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MARQUEURS HISTORIQUES DÉTERMINANT L’ASILE PUBLIC D’ALIÉNÉES DE MAISON-BLANCHE 1897 : Morin-Goustiaux remporte le concours

À MAISON-BLANCHE

1863 : Aquisition du domaine de Ville-Evrard (280 ha) par le département de la Seine

1894 : Décision par le Conseil régional de construire Maison-Blanche

1909 : Deuxièm pavillons de l’a modèle de l’As par Raphaël Lo

1875 : Ouverture de Ville-Evrard, conçu par Paul Eugène Lequeux 1900 : Ouverture de Maison-Blanche

Période de Asi

Période Classique

1850

1800

1900

EN FRANCE

1838 : ESQUIROL Etienne, Des maladies mentales : Principes pour la construction des asiles Septembre 1818 : Rapport de Etienne ESQUIROL à l’Etat, sur l’évolution nécessaire de la prise en charge psychiatrique. Utilisation du terme « Asile »

Loi sur les aliénés du 30 juin 1838 : Chaque département doit posséder un asile

1809 : Diffusion du terme « aliéné » à travers la seconde édition du traité médico-phylosophique sur l'aliénation mentale, par Ph. Pinel

Cette frise assemble certains événements de l’histoire de la psychiatrie en France de 1800 à nos jours, et retrace l’évolution du nombre d’aliéné.e.s interné.e.s. L’évolution architecturale de l’asile de Maison-Blanche est exprimée en vis-à-vis.

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1875 : Création de l’asile d’Alt-Scherbiltz, fait de villas banalisées et isolées dans un parc

Croisant des données étymologiques et législatives , théoriques et thérapeutiques , et sur les Grandes Guerres , elle annonce les phénomènes d’interrelations entre psychiatrie, acception sociale et spatialisation au sein du milieu asilaire.

Don

Don

née s br ute s s co rrig ées

née

1903 : Ra Sérieux, D Médecin d’aliénés retard de en charge

1897 : Création de l’asile de Galkhausen en Rhénanie prussienne, prototype d’asile-village de référence pour le Dr Paul Sérieux

1914-18 Guerre-M Réquisiti des asile


Octobre 1934 : Construction des 6 pavillons « temporaires » en structure Fillod

me tranche de asile sur le sile-Village, oiseau

1972 : mise en place de la sectaurisation à Maison-Blanche

Décembre 1995 : Tempête aggrave fortement l’état des bâtiments déjà désaffectés.

1939-45 : Deuxième Guerre Mondiale à Maison-Blanche : 30% de mortalité par an

Nombres de patients à Maison-Blanche 3.500

2004 : Déménagement de l’activité hospitalière vers Paris, seulent restent les prises en charge de longue durée

3.000 2.500

2005 : Début des études de réaménagement par Egis et Vallode & Pistre

2.000

1950 : Construction des pavillons d’ergothérapie

1.500

Février 1961 : Construction des 3 bâtiments dits « manivelles » pour accueillir 300 patients

2013 : Reprise des études par GPA et Ateliers Lion associés

1969 : Construction des 10 bâtiments préfabriqués à patio

1935 : Construction du pavillon des tuberculeuses dans un style Normand

ile-Village

500 0

Pharmacopée et Sectaurisation

1950

2000

8 avril 1937 : Circulaire dans le Journal Officiel substitue le terme apport du Dr Paul «hôpital psychiatrique» à celui d’«asile d’aliéné» Directeur

Loi du 27 juin 1990 : Redéfinition des orientations psychiatriques 25 juillet 1985 : Loi sur la sectaurisation

en chef des asiles s de la Seine, sur le e la France en prise e psychiatrique

: Première Mondiale : ion militaire es

1.000

30 juin 1975 : Statut d’handicapés pour les malades mentaux 0 1951 : Paul Charpentier invente Largactil, premier neuroleptique utilisé en psychiatrie

12.500 25.000 37.500

1939-45 : Deuxième Guerre Mondiale : Hécatombe dans les asiles dûe à la famine

50.000

Mars 1960 : Circulaire inaugurale des grands principes de sectaurisation

75.000

100.000

125.000 Nombres de patients en hôpitaux psychiatriques


Une maison d’aliénés est un instrument de guérison. Entre les mains d’un médecin habile, c’est l’agent thérapeutique le plus puissant contre les maladies mentales. Jean Etienne Esquirol


II ULTRA-SPATIALISATION

L’ASILE « CLASSIQUE » OU L’ÈRE DU TOUT-SÉPARÉ

Comment un modèle architectural et psychiatrique rationaliste s’est-il diffusé pour prendre en charge la folie en France, et comment est-il devenu contre-productif ?


Double page précédente : Asile de Maison-Blanche - vue générale des quartiers, édité par le patronage des asiles de la Seine. (Consultation le 10/04/17) https://www.delcampe.com

L

a création de l’Asile de Maison-Blanche, à la fin du XIXe siècle, s’inscrit à la fin de l’époque « classique » dite « aliéniste » de la psychiatrie. Cette période marque le début de la prise en charge thérapeutique de la folie, initiée par quelques pères fondateurs illustres. Leur méthodologie, rationaliste, est celle du « grand renfermement1 ». Il s’agit là non pas de soigner les malades mais de s’en occuper méthodiquement en les classant, à l’abri du monde urbain et du reste de la société. Ainsi établi au sein d’une campagne nourricière, l’asile place l’humain dans un contact direct avec la Nature et permet de renouer avec l’essence primitive des rapports sociaux. Entre croyance « classique » en l’ordre pour cadrer l’irrationnel et calcul républicain pour représenter le pouvoir étatique, ce modèle architectural est essaimé comme solution miracle pendant près d’un siècle. Nous aborderons dans cette partie la question de l’émergence du modèle « classique » comme première prise en charge thérapeutique psychiatrique en France, pour ensuite nous intéresser à la création d’un milieu de la folie incarné par les asiles, et finir sur la supposée nécessaire classification de ce milieu, sur ses limites, et jusqu’à sa contre-productivité.

I/1 L’ÉMERGENCE DU MODÈLE « CLASSIQUE »

L’état déplorable de la prise en charge de la folie en France, et les prémices d’une nouvelle ère Jusqu’à la fin du Moyen-Âge, les personnes atteintes de troubles psychiatriques ne bénéficient d’aucune considération ni traitement spécifique et commun de la part du reste de la société. La limite de la normalité n’est d’ailleurs pas établie ni perçue, tout juste est-on plus ou moins idiot ou sensé. La santé mentale ne forme pas un sujet d’intégration ou d’exclusion, les critères régissant les perceptions sociales de la normalité étant ailleurs - la richesse, le statut social ou la santé physique. Au Moyen-Âge, c’est un autre mal, la lèpre, qui centralise le rejet et les peurs. Maladie extrêmement contagieuse et souvent fatale, les personnes atteintes sont tenues à l’écart de la ville et cantonnées dans des léproseries. Isolées et mystérieuses, ces dernières constituent autant de repères rappelant à chacun la présence de la mort dans la vie quotidienne. Lorsque la lèpre se retire d’Europe au XIVe siècle, la société reste longtemps marquée par cette maladie incarnant la mort aux yeux de tous. Elle se recomposera bientôt autour de la création d’un nouveau trouble.

FOUCAULT, Folie et déraison, histoire de la folie à l’âge classique, op. cit., p.492 1

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Jusqu’alors considérée comme un état alterné de la normalité, la folie prend à la fin du XVe siècle une importance nouvelle en remplaçant, sous une forme différente, la lèpre dans l’imaginaire collectif de la mort. En effet, d’après Foucault, si la lèpre représente la mort qui vient, la folie revêt peu à peu la symbolique du « déjà-là de la mort » :

Mais ce qu’il y a dans le rire du fou, c’est qu’il rit par avance du rire de la mort; et l’insensé, en présageant le macabre, l’a désarmé.1

La peur de la mort de l’esprit se substitue ainsi à la peur de la mort physique et de la difficulté d’établir des critères communs et rationnels aux fous naît soudain leur exclusion systématique et irraisonnée. Pendant plusieurs siècles ces derniers connaîtront diverses formes de rejet les menant du pont des « Narrenschiffs2 » (nefs des fous) germaniques aux hôpitaux généraux, en passant par les prisons. La fin du XVIIIe siècle est marquée par la prise de conscience, par certains médecins éclairés comme Philippe Pinel et Jacques Tenon2, de l’état d’abandon quasi-absolu de cette part de la population qu’on ne sait pas encore catégoriser : les fous.

Ci-dessus : Jérôme Bosch, La Nef des Fou, 1494, donné par Camille Benoit au Musée du Louvre en 1918. Ce tableau témoigne de l’émulation artistique autour de la fabrication du mythe romanesque de la Nef des Fous au Moyen-Âge. www.louvre.fr Ci-contre : Le docteur Pinel, tableau à la cire par Muller, paru dans L’illustration, Journal Universel. Ce tableau représente le geste symbolique de Pinel, qui, a la Salpétrière, ordonne aux surveillants d’ôter les chaines des aliéné.e.s, même les plus agités.

FOUCAULT, Folie et déraison, histoire de la folie à l’âge classique, op. cit., p.26 1

Après les avoir libéré de leurs chaines, ces médecins, descendants des Lumières, établissent le « traitement moral », individuel, qui doit aboutir à la guérison de l’aliéné3. La croyance en la coexistence, dans l’esprit des aliéné.e.s, de la raison et de la folie, permet d’espérer l’emprise du médecin sur ses patient.e.s et donc leur guérison. Le fou se transformant en malade curable, la société s’oriente progressivement vers le développement des moyens de sa prise en charge, au même titre que n’importe quelle autre maladie.

2

Ibid.

Jacques Tenon est un chirurgien membre de l’Académie des sciences. Il publie en 1788 les Mémoires sur les hôpitaux de Paris à la suite de la commande d’un rapport sur les hôpitaux faite par Louis XVI à l’Académie des sciences en 1785. 2

GRAND, Lucile, « L’architecture asilaire au XIXe siècle, entre utopie et mensonge », Bibliothèque de l’École des chartes, 2005, n°163, livraison 1, p.168 3

33


Ci-dessus : Couverture de la Loi sur les Aliénés du 30 Juin 1838 http://www.ch-cesame-angers. fr/n/construction-de-lasile/n:38937

Le XIXe siècle faisant suite à la Révolution Française, de nombreuses avancées sociales s’y opèrent, initiées par un mouvement de charité des classes supérieures. Plusieurs lois sont adoptées comme la Loi Guizot en 1833, sur l’enseignement primaire dans chaque commune, la Loi sur les indigents en 1836 obligeant les communes à prendre en charge leurs « indigents et aliénés », ainsi que la loi de 1841 réglementant le travail des enfants1. Dans cette dynamique, deux enquêtes menées en 1835 et 1836 par l’Inspection Générale des Aliénés établissent le nombre précis d’aliéné.e.s en France sous la forme de bases cartographiques, afin d’assembler le socle statistique permettant la rédaction de la Loi sur les Aliénés. Cette loi, publiée en 1838, fixe les modalités d’internement, le statut légal des aliéné.e.s et organise une politique étatique commune du traitement de la folie, à travers l’obligation pour les départements de se doter d’un « établissement public, spécialement destiné à recevoir et soigner les aliénés2 ».

L’architecture thérapeutique, miracle pour aliéné.e.s ?

« L’action de certains philanthropes, comme le baron de Gérando ou le duc Gaëtan de la Rochefoucauld, fils du duc de la RochefoucauldLiancourt, contribuent à inscrire dans la loi des avancées plus « démocratiques », GRAND, « L’architecture asilaire au XIXe siècle, entre utopie et mensonge », op. cit., p.174 1

Article I.1, Loi sur les aliénés n° 7443 du 30 juin 1838, Au palais de Neuilly, par Louis-Philippe, Roi des Français. Disponible sur http://psychiatrie.histoire.free.fr/ 2

TENON, Mémoires sur les hôpitaux de Paris, op. cit., p.25 3

ESQUIROL, Jean Etienne, Des Établissements consacrés aux aliénés en France, et des moyens de les améliorer, Rapport présenté au ministre de l’intérieur en Septembre 1818, p.26 4

GRAND, « L’architecture asilaire au XIXe siècle, entre utopie et mensonge », op. cit., p.166 5

34

Si la Loi sur les Aliénés impose la construction d’un établissement public par département, c’est que tous les grands médecins spécialistes de la folie au début du XIXe siècle, tels que Jacques Ténon, Philippe Pinel, ou encore son disciple Jean Etienne Esquirol, portent le lieu de traitement de la folie comme l’instrument thérapeutique le plus prometteur. Ténon sera le premier à déclarer la spécificité des hôpitaux psychiatriques : « les hôpitaux ordinaires servent à retirer les malades ; ceux où l’on traite de la folie font en même temps fonction de remède3. » Esquirol effectue une avancée majeure dans ce domaine à travers son rapport au ministre de l’intérieur, intitulé Des Établissements consacrés aux aliénés en France, et des moyens de les améliorer. Il y établit le principe de « l’isolement », et le déploie dans un modèle d’hôpital psychiatrique en retrait de la société, nommé comme suit : Je voudrais qu’on donnât à ces établissements un nom spécifique qui n’offre à l’esprit pas d’idée pénible ; je voudrais qu’on les nommât des asiles.4

L’apparition de l’asile relève de l’invention du programme5. Le Gouvernement, grâce au Conseil Général des Bâtiments Civils, conçoit cet outil afin d’organiser et de contrôler la construction des structures nécessaires à la mise en place de la République. Une fois le programme de l’Asile établi, son inscription dans la Loi de 1838 permet sa diffusion nationale par le biais des départements.


Créés en 1790 pendant la Révolution, ceux-ci agissent alors « comme le relais d’une centralisation et d’une unification renforcées du territoire 1 », et sont dotés en 1838 de nouvelles ressources et responsabilités « en particulier en matière d’équipements2 ». Au fil du XIXe siècle, le débat médical autour du lieu de traitement psychiatrique revêt une importance grandissante, fondée par la variété des causes que l’on attribue au développement de la folie faute de connaissances suffisantes. Deux visions opposées coexistent dans la construction des asiles « classiques » : celle des « conservateurs », critiquant le désordre de la société et appelant au retour aux valeurs premières, et celle des « libéraux, rationalistes », prônant un traitement de la folie appuyé par la création d’un ordre supérieur3.

D’un côté, la folie semble manifester une dérive de l’esprit confronté à une société trop artificialisée. L’humain civilisé est soumis à de nombreuses passions quotidiennes, qui, si elles ne sont pas canalisées, le submergent et l’aliènent de sa raison4. Le lieu de traitement thérapeutique doit donc s’établir en retraite, loin de toute agitation, pollution ou stress quotidien, pour permettre à l’humain de renouer un contact salutaire avec la « Nature », d’abord, puis avec d’autres humains, dans un modèle de société primitive : « une grande communauté fraternelle des malades et des surveillants5. » D’un autre côté, la folie comme désordre de l’esprit est en lien direct avec une représentation sociale alors dominante ; à cette époque, on assimile en effet volontiers la santé, le bien-être avec la notion d’ « ordre ». Si l’humain souffre de folie, c’est que son esprit n’est pas en ordre. L’ordre ne peut être mauvais, il est pur à lui-même, parfait puisque produit par l’esprit et appliqué à la « Nature » pour la maîtriser. Le désordre, quant à lui, est une notion négative. Il est craint car les processus de sa fabrication sont non maîtrisés ou incompréhensibles. Il correspond d’ailleurs bien souvent à la représentation par l’humain de sa propre limite, de la fin de sa zone de pouvoir au profit de son impuissance. On comprend que dans tels schèmes de pensée, l’idéologie plébiscitée soit que « pour mettre de l’ordre dans les idées des aliénés, il faut en mettre autour d’eux6. » Du grand nombre de publications et du très large corpus d’asiles publics d’aliénés produits au XIXe siècle en France, quatre critères émergent comme déterminant de l’ère « classique » de la psychiatrie. Ces éléments irréductibles, répondant à l’une ou l’autre des raisons évoquées plus haut, sont mis en lumière par Lucile Grand en Z.

COLDEFY, De l’asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France, op. cit., p.80

1,2

De MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.15 3

ESQUIROL, Des passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de la maladie mentale, Thèse de médecine de Paris, Didot Jeune, Paris, 1805 4

FOUCAULT, Folie et déraison, histoire de la folie à l’âge classique, op. cit., p.494 Foucault compose un mythe des Trois Natures, à partir de la Nature-Santé, la Nature-Raison et la Nature-Vérité. La Nature Vérité, inaliénable en chacun, « s’endort » avec la folie. Dans certaines conditions, elle peut être « réveillée » et utilisée pour faire émerger la Nature-Raison. Si cette dernière est bien exercée, on peut enfin de retrouver la Nature-Santé. C’est donc avec un processus long et en contact permanent avec le naturel que l’aliéniste travaille, ce qui justifie l’isolement de l’asile. La Nature s’entend ici par opposition avec l’Artificiel. On peut donc la définir par des rapports sociaux, un mode de vie et une existence « simples », « justes », voire « bibliques ». 5

ARCHAMBAULT, Théophile, directeur de l’asile de Mareville Rapport à Monsieur le préfet de la Meurthe sur le service médical de l’asile d’aliénés de Maréville, pendant l’année 1842, Nancy, 1843, p.16 6

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SERVICES GÉNÉRA

Paris

) 8-99

Paris ) Le premier élément, on l’a vu, est l’emplacement par rapport au reste de99la 838ne (1 oyen m société. Le second élément est la stricte séparation des sexes. Le en troisième 15 k km ,3 m qui 7 élément est le quartier de classement, critère ENTRÉE principal est répété 2 dans tous les écrits et toutes les inspections. Le quatrième élément est la hiérarchisation des bâtiments au sein de l’ensemble.1

15 k

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) 8-99

Cour arborée SERVICES GÉNÉRAUX

Paris

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Les quatre critères de l’asile « Classique » à Maison-Blanche

Mur bahut Gallerie

MAIL PLANTÉ

ENTRÉE

ENTRÉE

SERVICES GÉNÉRAUX

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Cour arborée Mur bahut

Cloture Grillagée

Cour arborée

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Cloture Grillagée

2. Composition symétrique et ségrégative

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1. L’asile à la campagne, Rapport à Paris

DORTOIR

Cloture Grillagée

DORTOIR

SERVICES GÉNÉRAUX

Ci-dessous : Le projet lauréat d’asile de Maison-Blanche offre une restitution fidèle des quatre éléments de Lucile Grand, et permet d’en établir une représentation.

Jardin à la Française Mur bahut Gallerie

MAIL PLANTÉ

ENTRÉE Gallerie

MAIL PLANTÉ

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Cloture Grillagée

Calmes

DORTOIR

3. Le quartier autonome et répété, garant de l’unité

4. Hiérarchie du « présentable » à l’« in-montrable »

Cour Jardin Française Alors que l’emplacement de l’asile par rapport à laà la société s’affilie au thème arborée de l’asile « retraite », les trois autres éléments - séparation des sexes, quartier de classement et hiérarchisation - s’accordent au contraire à la constitution Mur bahut Gallerie de l’ordre spatial, nécessaire à la communication des valeurs morales chères MAIL PLANTÉ Calmeset sur ces quatre Gateuses aux aliénistes. C’est donc sur ces deux thèmes éléments que Jardin à la Française repose l’unité architecturale des asiles « classiques », et par extension celle de la première aile de Maion-Blanche.

GRAND, « L’architecture asilaire au XIXe siècle, entre utopie et mensonge », op. cit., p.178 1

Gateuses

Le modèle de l’asile bien ordonné peut dès lors servir dans de nombreuses réalisations, Calmes Gateusesil est tellement partagé par les psychiatres, les architectes et les 2 Jardin à la Française responsables de la santé mentale qu’il peut être utilisé comme s’il allait de de MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : soi que l’on puisse en énoncer les conclusions sans se référer aux principes et sociologie de la production architecturale, op. cit., p.20 points de vue qui le structurent.2 36

Calmes

Gateuses


I/2 CRÉATION D’UN MILIEU PSYCHIATRIQUE L’asile public d’aliéné, s’établissant en retrait du monde « civilisé », invente du même coup un milieu nouveau. En soustrayant les fous de la société et en les réunissant dans un territoire défini, il cristallise en un ensemble cohérent ce qui été auparavant dispersé. En cela, il confère à la folie une représentation sociale par son existence même. La folie entre dans un « espace moral d’exclusion1 », dont elle ne sortira qu’un siècle et demi plus tard. Si l’asile se constitue comme milieu à part entière, les visées sont tout à la fois politiques et thérapeutiques.

Une architecture emblématique

En leur donnant un caractère de grandeur, on en fera des monuments pour les départements ; ils inspireront plus de confiance, ils attireront un plus grand nombre de pensionnaires.2 Esquirol démontre bien le lien intéressé que l’État français entretient avec l’architecture asilaire. Les asiles d’aliénés figurant parmi les équipements républicains les plus consommateurs d’espace, ceux-ci érigent un médium idéal pour incarner la puissance étatique, répartie à travers les départements. Ainsi, l’asile incarne par son architecture une volonté de démonstration de force et de mise en valeur, particulièrement explicite dans sa partie la perceptible : les bâtiments d’administration. D’après Lucile Grand, ceux-ci « reçoivent toujours un traitement architectural particulier [...] Ils sont plus imposants, mis en valeur par un jardin3 ». Cette architecture distinctive se retrouve dans un travail de modénature plus fin et souvent une mise en œuvre de matériaux différents du reste de l’asile. Le château de Maison-Blanche est exemplaire de ces caractéristiques. C’est d’abord l’élément le plus représenté sur les cartes postales de l’époque, témoignant de son statut emblématique.

FOUCAULT, Folie et déraison, histoire de la folie à l’âge classique, op. cit., p.18 1

ESQUIROL, Des Établissements d’aliénés en France, et des moyens de les améliorer, op. cit., p.30 2

GRAND, « L’architecture asilaire au XIXe siècle, entre utopie et mensonge », op.cit., p.183 3

Ci-dessous à gauche : BARBET, E., Carte postale, début 20e siècle, Collection de la SERHEP, © Inventaire général, Département de la Seine-Saint-Denis, ADAGP Ci-dessous à droite : FACIOLLE, E., Hôpital Militaire de MaisonBlanche, 1917 (Consultation le 10/04/17) https://www.delcampe.com Ces deux cartes postales, l’une prise à la fin de la construction de la première aile de l’asile, et l’autre pendant la Première Guerre Mondiale, présentent une perspective déformée mettant en valeur le château à travers un recul permettant de capturer l’entièreté de la Place de la Concorde. Sur la vingtaine de cartes postales retrouvées figurant le château, la majorité sont composées de la même façon, ce qui indique la réussite de l’organisation spatiale de l’entrée de l’asile à des fins de représentativité.

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Route d’Allemagne Ci-dessus : Plan schématique de la composition de l’entrée de l’asile de Maison-Blanche

Si les bâtiments d’administration sont tant représentés, c’est qu’ils bénéficient toujours d’une mise en scène recherchée. La place de la Concorde, qui précède le château de Maison-Blanche et le relie à la route nationale, compose une perspective forcée par sa géométrie en goutte d’eau, ses routes et ses alignements de platanes. De cette manière, ce bâtiment forme un point de repère depuis la route, à l’époque voie principale pour joindre l’Allemagne1. Cette conception paysagère et architecturale donne au bâtiment d’administration le caractère emblématique recherché à l’échelle nationale.

Ci-contre : Administration, Jean Bernard Vialles, Inventaire général, Département de la Seine-Saint-Denis, ADAGP, Base Mérimée Au cours de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, d’importants travaux infrastructuraux sont entrepris pour relier Paris aux principaux ports et villes frontalières. Ainsi, la « Route d’Allemagne » est ouverte en 1782, permettant le développement d’échanges économiques nouveaux. L’avenue Jean Jaurès, tronçon de la RN34, est l’aboutissement de l’évolution de cette route. http://www.neuillysurmarne.fr/ 1

Contribution au diagnostic du patrimoine de la commune de Neuilly-sur-Marne, Département de la Seine-Saint-Denis, Direction de la Culture, de la Jeunesse et du Sport, Bureau du Patrimoine, Pantin, Février 2004, p.44 2

Ci-dessous : VIALLES, JeanBernard, Bustes sculptés en façade du « Château », 2003, © Inventaire général, Département de la Seine-SaintDenis, ADAGP

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Construit dans un style néo-Louis XIII2, l’architecture de cet ensemble démontre une volonté de contraster avec le reste de l’institution, et cela par de nombreux éléments. La façade principale offre une composition richement travaillée. Des refends marquant les deux niveaux de sols, de l’entablement couronnant la toiture d’ardoise à la Mansard, aux pilastres scandant l’ensemble verticalement, les chaînages en pierres et les modénatures de stucs, par contraste avec le remplissage de briques rouges, confèrent à l’administration un caractère architectural distinctif, à la hauteur de son programme. La travée centrale est encore plus parlante. Elle superpose à l’entrée monumentale dans un style rustique, avec porte en plein cintre cadrée par des colonnes engagées, bossées et jumelées, la fenêtre du directeur surmontée d’un fronton surbaissé, et enfin une sur-toiture protégeant une plaque où est gravé : « Hôpital Psychiatrique de Maison-Blanche ». Par ailleurs, les bustes de Ferrus, Pinel, Esquirol et Parchappe, positionnés sur des tablettes au droit des lignes de pilastres, rappellent au visiteur les origines de la psychiatrie « classique ».


L’attention portée au dessin de l’administration et de son accès, partie les plus visibles de l’asile, illustre la volonté de diffuser une certaine image de la société à travers les institutions asilaires, à l’échelle nationale. La mise en place du milieu asilaire dépasse donc les considérations thérapeutiques, pour intégrer une ambition politique reliant l’instauration de la République à un dessin de contrôle social. Elle fait apparaître autant « “des volontés”, spécifiques à chaque période, d’agir sur les “reclus” [...] que de persuader le public du bien-fondé de l’action qui s’y déroule1. »

Rapprocher le malade de la nature et rompre ses habitudes

Si l’intérêt politique est bien présent, la fabrication des asiles ne constitue pas moins une détermination thérapeutique engagée, fondée sur une perception sociétale des causes de la folie. Selon Jean Étienne Esquirol,

Dans les villes, l’espace manque, les malades sont excités par le brouhaha et le tapage de la population ; les visites sont plus nombreuses et plus fréquentes ; les infirmiers sont plus distraits, plus disposés à sortir de la maison, tandis qu’à la campagne, il y a plus d’espace, les malades jouissent de plus de calme, peuvent sortir pour se promener au loin ou pour se livrer à la culture ; les visiteurs sont plus rares ; enfin, il y a des avantages économiques.2

Si l’on sait que la folie est, selon Esquirol, provoquée par les passions de la société, cet extrait retranscrit les avantages avancés par ce dernier pour la fondation d’asile à la campagne. Ces avantages sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, le contact avec la Nature est mis en avant pour lui-même, sous la forme de promenades ou de cultures. C’est que ce contact permet selon lui de disposer le malade au recouvrement de sa raison, comme avancé par Foucault à travers son mythe des Trois Natures. De plus, la culture des champs place au cœur de la thérapie le travail paysan, auquel on attribue alors les valeurs de «​ modestie, de soumission et patience, et de persévérance3 ». Ces valeurs, considérées comme hautement nécessaires à la confection d’une morale permettant le rétablissement des aliéné.e.s, apparaissent comme le positionnement théorique « des fractions dominantes du monde rural4 » contre celles attribuées à la bourgeoisie urbaine et au monde prolétaire « immoral, irresponsable et débauché5 ».

de MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.13 1

ESQUIROL, Des maladies mentales, cité dans COLDEFY, De l’asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France, op.cit., p.123 2

de MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.23 3,4,5

39


ESQUIROL,Aliénation Mentale, des illusions chez les aliénés, op. cit., p.54 1

2

Ibid., p.62

COLDEFY, De l’asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France, op. cit., p.123 et 126 Base de données de l’auteure. 3

PARCHAPPE, Des principes à suivre dans la fondation et la construction des asiles d’aliénés, op. cit, p.184 4

Ce tramway fait suite à la construction de l’Asile de Ville-Évrad. « Le 21 août 1887, le Chemin de fer nogentais (CFN) ouvrit 11,6 km de voie de tramway entre Vincennes et Ville-Évrard (Neuilly-sur-Marne) » Chemins de fer nogentais, Wikipédia (Consultation le 02/07/17) https://fr.wikipedia.org/wiki/ Chemins_de_fer_nogentais 5

DAGONET, H. , Traité élémentaire et pratique des maladies mentales, suivi de considérations pratiques sur l’administration des asiles d’aliénés, Paris, 1862, p.582 6

Ci-dessus : La station de la mairie de Rosny-sous-Bois vers 1910, avec son kiosque aux voyageurs, Carte postale éditée par BF à Paris, n°39. Chemins de fer nogentais, Wikipédia (Consultation le 02/07/17) https://fr.wikipedia.org/wiki/ Chemins_de_fer_nogentais

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Jean Etienne Esquirol justifie l’isolement comme suit :

Soustrait à l’influence des choses et des personnes au milieu desquelles il vivait, l’aliéné éprouve, dans le premier instant de l’isolement, un étonnement subit qui déconcerte son délire et livre son intelligence à la direction que vont lui donner des impressions nouvelles.1 [...] Des privations que l’isolement impose, naissent des phénomènes moraux précieux pour la guérison.2

C’est donc d’une volonté de rupture nette avec le cercle social de l’aliéné, impropre à la guérison, que naît l’idée de les éloigner physiquement de la ville et de les regrouper dans un asile. Si ce raisonnement ne se base essentiellement que sur des observations subjectives par Esquirol de cas individuels, la notoriété acquise par ce dernier dans le milieu médical suffira a imposer sa vision comme vérité indiscutable. L’asile doit donc s’établir à la campagne, au contact de la « Nature ». D’après Magali Coldefy, entre 1838-1899, les asiles psychiatriques seront positionnés à une distance moyenne de 27,3 km de la préfecture, et près de 40% d’entre eux seront même localisés dans une commune rurale3.

L’asile de Maison-Blanche, 5e asile du département de la Seine après ceux de Sainte-Anne, Ville-Evrard, Perray-Vaucluse et Villejuif, complète la prise en charge de la capitale en recevant des aliénées parisiennes. Le choix du lieu d’implantation de cet asile s’interprète de plusieurs manières. Tout d’abord, il fait partie du vaste domaine de Ville-Evrard, acquis par le département en 1863 pour y édifier l’asile de Ville-Evrard. Ce domaine de 280 hectares regroupe les châteaux de Ville-Évrard et de Maison-Blanche (qui donnera son nom à l’asile, à ne pas confondre avec le bâtiment d’administration), ainsi qu’un parc, un potager, des prés, un bois et surtout, de vastes terres fertiles de culture. La construction de la route d’Allemagne scinde en deux ce domaine en laissant toute sa partie Nord disponible pour y fonder un second asile. Deux cours d’eau aujourd’hui busés (le Ru des Pissottes et le Ru Saint Beaudille) irriguent le site en eau saine nécessaire à l’hygiène, au nettoyage, et aux autres besoins de l’asile - 100 litres par jour et par malade selon Parchappe4, soit 120 mètres cubes par jours - et la proximité de la Seine facilite l’évacuation des vidanges. En outre, l’existence sur la route d’une ligne de tramway reliant Paris par la Porte de Vincennes en une heure entérine le choix de ce site5. Si les asiles doivent être des retraites à l’écart des villes, leur accessibilité reste tout de même un impératif, pour les familles comme pour le personnel. En 1862, sur l’ensemble des asiles d’aliénés français, seuls sept ne sont pas à proximité immédiate d’un réseau ferré6.


Carte topographique type 1900 Paris et ses environs

Carte 1950

Carte topographique IGN 2017

L’asile de Maison-Blanche est construit dans les plaines agricoles de l’Est Parisien et répond à la volonté d’isolation. L’exode rural de la 1ère moitié du XXe siècle, motivé par la poursuite de la Seconde Révolution Industrielle et la 1ère Guerre Mondiale, diffuse un tissu pavillonnaire uniforme sur une grande partie de la périphérie de Paris. L’asile est peu à peu rattrapé par l’urbanisation. Plus tard, les destructions massives provoquée par la 2ème Guerre Mondiale conduisent, à travers une politique de relogement, à la création de Grands Ensembles comme les Fauvettes1. Par ailleurs, les migrations sociales entre Paris et sa périphérie renforcent encore la couverture pavillonnaire, jusqu’à saturation. Ainsi, l’évolution de la situation urbaine au cours du XXe siècle, en transformant les plaines agricoles en tissu suburbain continu, met à mal l’asile « à la campagne » et contrarie ses ambitions originelles. Le parc du Croissant Vert, en limite Nord et Ouest, constitue le dernier témoin de la séparation centenaire entre l’asile et la ville.

Ci-contre : Prolifération du tissu pavillonnaire sur les espaces ouverts (champs, parcs, fleuve) le long de l’ex route d’Allemagne. Bâti Espaces ouverts Route d’Allemagne (RN34) Frontière de paris en 1900

Située directement à l’Ouest de l’asile, la cité des Fauvettes est construite entre 1965 et 1980 par Claude Le Goas. C’est la zone urbaine la plus dense de Neuillysur-Marne, avec majoritairement des logements locatifs sociaux. Département de la Seine-SaintDenis, op. cit.,p.19 1

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Au-delà de la confrontation des ambitions au temps, Magaly Coldefy révèle une autre raison du placement de Maison-Blanche hors de Paris :

Alors que Paris était le centre du savoir psychiatrique, elle a usé de sa position dominante pour écarter les personnes souffrant de troubles psychiatriques en déléguant leur prise en charge aux départements de province.1

Elle témoigne ici de considérations sociales négatives profondément inscrites dans les schèmes de pensées, éloignées des raisons bienveillantes exposées par l’aliéniste. L’asile de Maison-Blanche, comme la majorité des asiles à la campagne, double à l’intérêt thérapeutique un intérêt économique. Profitant d’une surface cultivable conséquente, l’asile utilise le travail gratuit des aliénées à la ferme et aux champs pour soulager ses dépenses. La grande surface réservée à la culture (8,5 Ha), ainsi que les fermes, granges et hangars prévus par Morin-Goustiaux démontre une volonté d’autosuffisance alimentaire. Par la suite, la surface cultivée se réduisant par de nouvelles constructions, des serres agricoles sont ajoutées au Sud.

Ci-contre : Répartition des surfaces de culture sur le plan modifié du projet de MorinGoustiaux, plan général ,1897, Mémoire 009 ADAGP J-B Vialles, Base Mérimée

COLDEFY, De l’asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France, op. cit., p.141 1

42

L’asile est un milieu particulier, une retraite salutaire à la campagne, loin de l’agitation urbaine. Canal de diffusion d’un idéal républicain, il met en œuvre des dispositifs autarciques pour des raisons autant thérapeutiques que sociales et économiques. Néanmoins, l’isolement provoque bien vite des critiques virulentes.


De la théorie à la pratique, les effets pervers de l’isolement La création d’un milieu autonome n’est jamais sans effets secondaires. Isoler un large groupe de personne appartenant à une même catégorie sociale, les fous, ne peut effectivement se faire sans nuire gravement à leur intégration au monde, comme le démontre rétroactivement nombre de sociologues.

En 1938, Joan Yvonne Dangelzer distingue déjà dans La description du milieu dans le roman français de Balzac à Zola trois milieux nécessairement différenciés sur le plan spatio-temporel pour l’épanouissement de l’individu: « le milieu intérieur (la maison, la chambre) ; le milieu extérieur (le paysage) ; le milieu social (la profession, les amis, les relations)1 ». Il va sans dire que l’asile, dans sa configuration spatiale enclose par son mur périphérique, tend à réunifier ces trois milieux au sein d’un seul et même ensemble : un type social nouvellement défini, l’aliéné, se voit attribué un territoire propre, un monde en soi, étanche à son contexte urbain et à la société. En 2015 en rédigeant Désastres Urbains, Thierry Paquot révèle en quoi une telle fusion est anti-existentielle, portant ainsi la plus grande limite de l’Asile. En premier lieu, une personne ne peut définir son propre milieu social sans se confronter à d’autres. « L’être singulier pluriel » existe en co-essence, il se met avec pour devenir à la fois soi et à plusieurs. Chaque humain n’acquiert sa singularité que par le regard d’autrui avec lequel (lesquels) il se révèle parmi, tenant ainsi les deux bouts de sa capacité à exister.2

En présence d’autrui, un milieu social n’est ensuite jamais fixé définitivement : il ne cesse de s’enrichir au contact d’autres milieux. Ce n’est qu’à partir de cette confrontation « transe-milieux3 » que peuvent émerger des idées pour fonder sa propre personnalité de manière à se positionner dans le monde et à s’ouvrir aux autres. Mais quel environnement permet-il de supporter une telle rencontre ? Lorsque Lewis Mumford écrit la Cité à travers l’histoire en 1964, c’est selon lui la ville anonyme, variée et ouverte qui aide « l’homme à prendre conscience de son rôle historique et de la place qu’il occupe dans un ordre cosmique4 ». À l’opposé, l’asile isole les aliéné.e.s dans un seul milieu social et donc dans une situation éternelle de renfermement sur soi. On peut lui comparer la conclusion faite par Paul Henri Chombart de Lowe en 1962 dans « Vers une civilisation urbaine », à propos des grands ensembles : La création, massive et brutale, d’un cadre architectural neuf, sans transition avec le cadre préexistant, s’accompagne nécessairement de la création massive et aussi brutale d’une population sans traditions communes, sans histoires collectives.5

1 DANGELZER, Joan Yvonne, La description du milieu dans le roman français de Balzac à Zola, Les Presses modernes, 1938, p.8 PAQUOT, Thierry, Désastres Urbains, Les villes meurent aussi, La découverte, 2015, p.50 2

3

Ibid. p.54

Lewis Mumford ,La Cité à travers l’histoire, Seuil, 1964 4

CHOMBART DE LOWE, Paul Henri, « Vers une civilisation urbaine », Recherches et Débats, n°38, mars 1962, Fayard, p.78-93 5

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I/3 RATIONALISATION DU MILIEU DE LA FOLIE : ENTRE NÉCESSITÉ ET DIFFICULTÉS DE DÉFINITION Ce qu’il y a dans l’asile, parallèlement à la volonté d’offrir un milieu sain au contact de la nature, ramenant l’humain à ses valeurs premières, c’est aussi le désir de cadrer la folie par l’ordonnancement d’un espace propre à tempéré le désordre psychique. Les bâtiments doivent donc éloigner de l’esprit du malade toute idée de réclusion et, par l’ordre qu’ils expriment, réagir sur le trouble de son intelligence en élevant son âme et son cœur.1

Documents communiqués par C. Lenoble, Directeur du Centre Hospitalier spécialisé de Châlons-sur-Marne, et cité par de MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.16 1

PARCHAPPE, Des principes à suivre dans la fondation et la construction des asiles d’aliénés, op. cit., p.79 2

LAURO, Marc, « Charles-François Viel, architecte des hôpitaux parisiens et théoricien à la fin du XVIIIe siècle », In Situ n°31, 2017 3

Ci-dessus : Plan Général d’un projet d’Hôtel-Dieu, CharlesFrançois Viel, 1780, Mémoires de l’Académie des Sciences pour l’année 1786 (Consultation le 13/06/17) https://insitu.revues. org/13923#tocto1n6

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Cette déclaration du Docteur Guiraud, médecin-chef de l’asile de Châlon-surMarne entre 1847 et 1869, est parfaitement représentative de la conviction thérapeutique faisant de l’asile l’« instrument de thérapie » plébiscité par les aliénistes, par sa capacité à imposer un cadre rationnel à l’irrationnel.

La rationalisation : idéal fonctionnel au XVIIIe siècle

La première et la plus importante question du programme médical est la détermination des principes à suivre dans la disposition des asiles pour le classement des malades par catégories et pour la subdivision de l’établissement par quartiers.2 Ce que l’on sait bien, c’est que c’est Jean Etienne Esquirol qui donna à l’asile « classique » les principes invariants de sa conception. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il se refera pour établir ses principes à un architecte et à son œuvre. En 1772, l’Hôtel-Dieu de Paris subit un grave incendie qui engendrera de nombreux projets, repensant le lien entre forme et fonction d’un hôpital. L’un d’eux, en 1780, sera particulièrement remarqué, et quoique ne donnant pas suite à un projet construit, il marquera durablement l’Académie des Sciences. Issu de la collaboration entre l’architecte Charles-François Viel et le physicien Jean-Baptiste Le Roy, il s’oppose fortement aux modèles de l’époque en plaçant la science et l’hygiène au centre des préoccupations3. Certains de ses principes feront loi jusqu’au XXe siècle : la spécialisation des pavillons en fonction des pathologies, leur répartition en arrête le long d’une cour centrale et leur liaison par une galerie extérieure commune, et enfin l’axialité de l’accès et de l’administration et la mise en valeur de cette dernière par rapport au reste de l’établissement.


En cela, le projet de l’Hôtel-Dieu peut être considéré comme le premier plan de l’ère « classique » française, plus de 60 ans avant les prescriptions d’Esquirol. En innovant dans le milieu thérapeutique français, ce projet n’est cependant pas sans faire référence directe au Royal Naval Hospital de Plymouth. Conçu par l’architecte Alexander Rowehead de 1758 à 1765 (soit moins de dix ans avant l’incendie de l’Hôtel Dieu) il compose déjà ses 15 pavillons symétriquement autour d’une cour, les relie par une galerie et dispose centralement la chapelle et l’administration. Ci-dessus : Plan modifié du Royal Naval Hospital de Plymouth, Alexander Rowehead, 1758-65, Healthy Environmental concept, Health Architecture (Consultation le 13/06/17) http://healtharchitecture. wikifoundry.com/ Ci-contre : Perspective centrale du Royal Naval Hospital de Plymouth, Hospitais Estrangeiros, Architecturas da Saùde (Consultation le 13/06/17) www.arquitecturasdasaude.pt/ main/hospitais_est.html

La parenté apparaît évidente entre les deux plans, bien que les dimensions programmatiques du second soient plus restreintes et que les pavillons ne possèdent pas encore la forme rectangulaire particulière à l’ère « classique ». Si ces deux plans appartiennent au programme d’hôpital général, leur portée sera bien plus importante et durable dans celui d’asile psychiatrique, notamment pour le principe de cour qui permettra plus tard aux aliéné.e.s de sortir au grand air sans risquer de déranger l’ordre public. Esquirol assumera sa filiation à Viel, le considérant de la sorte : « Cet habile architecte devina en quelque sorte ce qui convenait à une maison d’aliénés; il avait compris les avantages des bâtiments isolés, des rez-de-chaussée, des petits dortoirs1. » C’est dès lors une équation délicate que pose l’aliéniste à l’architecte et à son projet, mise en lumière par la Loi sur les Aliénés et l’administration en prescrivant à ce dernier, au sujet des pavillons : Sachez trouver des combinaisons qui les concentrent, les disséminent et les réunissent en groupes ; qui les éloignent et les relient, et qui résolvent, pour elles, le problème de la division, de l’isolement, de l’indépendance, de l’unité et de l’ensemble.2

Voilà de quoi offrir aux architectes une occupation pour un siècle.

Cité par PARCHAPPE, Des principes à suivre dans la fondation et la construction des asiles d’aliénés, op. cit., p197 1

La loi sur les aliénés et l’administration, Cité par le Dr Louis Évrat, « Étude sur la reconstruction projetée de l’asile public des aliénés de l’Isère », dans Annales médicopsychologiques, 1852, p.20 2

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Etablissement des grandes règles : Le plan « classique »

ESQUIROL, Jean Etienne, Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal, Paris, J.-B. Baillière, 1838, p421 1

FALRET, Henri, De la construction et de l’organisation des établissements d’aliénés, Paris, 1852. Cité par le Dr Louis Évrat, Étude sur la reconstruction projetée de l’asile public des aliénés de l’Isère, dans Annales médico-psychologiques, 1852, p.20 2

PARCHAPPE, Des principes à suivre dans la fondation et la construction des asiles d’aliénés, op. cit., p.186 3

GRAND, « L’architecture asilaire au XIXe siècle, entre utopie et mensonge », op. cit., p.169 4

Ci-dessous : Plan d’hôpital idéal, gravé par Mr Lebas, architecte, d’après la description faite par Jean-Etienne Esquirol. Gravure offerte à W. C. Ellis, médecin en chef de l’asile d’Hanwell, et publié dans son ouvrage Traité de l’aliénation mentale ou de la nature, des causes, des symptômes et du traitement de la Folie, Paris, Librairie des Sciences Médicales, 1840

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Les prémices du plan « classique », on l’a vu, apparaissent dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Mais c’est véritablement au début du XIXe qu’il sera très précisément configuré par l’apport conséquent de Jean Etienne Esquirol, notamment à travers son rapport au Ministre de l’Intérieur en septembre 1818, intitulé Des Établissements d’aliénés en France, et des moyens de les améliorer. Cet aliéniste disciple de Pinel consacre toute sa carrière aux aliéné.e.s et au développement du milieu de leur traitement. Il instaure un rapport de force entre l’aliéniste et l’architecte, le second n’étant que la main du premier. On retrouve dans les publications nombre de références à cette hiérarchie : pour Esquirol, « Le plan d’un hospice d’aliénés n’est point une chose indifférente et qu’on doive abandonner aux seuls architectes1 », pour Henri Falret, « La construction d’un asile doit être plutôt l’expression d’une pensée médicale que celle de la création d’un architecte, tel savant et habile qu’il soit2 ». Et Parchappe d’ajouter : « L’asile d’aliénés, architecturalement conçu comme un système d’instruments d’actions déterminées, est devenu en quelque sorte un organisme dont le médecin est l’âme3 ». Le contraste entre la productivité théorique des médecins et celle des architectes sur le sujet de l’asile est sans équivoque. Si les premiers inondent le XIXe siècle d’écrits, les architectes font figure d’absents à ce débat4. Cependant, le duo aliéniste/architecte reste une condition déterminante pour permettre au premier de donner forme architecturale à ses idées. Esquirol travaille ainsi avec l’architecte Hippolyte Lebas à la concrétisation de ses principes thérapeutiques, et lui fait réaliser un plan supposé « idéal ».


Ce plan de Lebas offre une réponse remarquablement rationnelle au programme d’asile d’aliéné, et, s’il n’est jamais réalisé à l’identique, il fonde cependant les invariants du genre. La première partie de l’Asile de MaisonBlanche, construite un demi-siècle après, représente l’une des incarnations les plus fidèles de ce modèle. Au principe de hiérarchie, d’axialité, de symétrie, de séparation rationnelle des pavillons et de galerie commune, Esquirol ajoute la séparation nosographique1 des maladies, la séparation des sexes (« les hommes à droite, les femmes à gauche2 »), ainsi que nombre de précisions concernant la composition des bâtiments (« Sur les deux côtés de ce bâtiment central, et perpendiculairement à ses lignes, seront construites des masses isolées pour loger les aliénés3 »), des quartiers (« ces masses seront quadrilatères ayant intérieurement une cour entourée d’une galerie sur laquelle s’ouvriront les portes et les croisées des chambres4 ») ou des espaces paysagers (« La cour sera plantée, avec une fontaine au milieu5 »). Ci-contre : Cour d’un quartier avec plantations et fontaine. Asile de la Maison-Blanche Intérieur d’un Quartier, Carte postale début XXe siècle, éditée par le Patronage des Asiles de la Seine. (Consultation le 10/04/17) https://www.delcampe.com

La nosographie est la « classification méthodique des malades ». La séparation nosographique s’appuie donc sur les différentes classes de maladies pour établir une division « rationnelle » des malades. Ce principe est appliqué principalement dans la réalisation des asiles psychiatriques. Nosographie, Wikipédia (consultation 04/07/17) https://fr.wikipedia.org/wiki/ Nosographie 1

En outre, il décrit rigoureusement le plan intérieur des pavillons de traitement, en prescrivant des dortoirs traversant, et en situant les salles de jour, les cellules et même le poêle de chauffage. Alors qu’il plébiscite des constructions à rez-de-chaussée, tous les pavillons de Maison-Blanche sauf celui des gâteuses, les plus agitées, sont construits avec un étage, « pour des raisons d’économies6 » pourtant critiquées par Esquirol. Parchappe introduit une variable d’ajustement au dictât esquirolien : Je ne pense pas qu’il soit raisonnable ni possible de déterminer une forme, un type à imposer à l’asile d’aliénés en général. J’ai constamment refusé, dans l’exercice de mes fonctions d’inspecteur général, de me prêter à l’illusion des administrateurs qui s’imaginent que la détermination d’un tel type serait chose facile et utile.

ESQUIROL, Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal, op. cit., p.422 2,3,4,5

Contribution au diagnostic du patrimoine de la commune de Neuilly-sur-Marne, Département de la Seine-Saint-Denis, op. cit., p.45 6

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Toutes les fois qu’on m’a demandé mon avis sur la forme à adopter pour la création d’un asile, j’ai répondu : Donnez-moi votre programme et montrezmoi votre terrain.1 Malgré cette réserve, la composition symétrique et ségrégative de l’ensemble et le quartier répété ne sont jamais remis en cause. Morin-Goustiaux, en plaçant les gâteuses en bout du jardin à la française, au point le plus éloigné de l’entrée des visiteurs, respecte rigoureusement la règle, de la même façon que pour la séparation des sexes avec le plan du projet initial. Cette harmonie de lignes parallèles ou perpendiculaires, cette symétrie extérieure se reproduit dans la division et la coupe des salles et de leurs dépendances ... L’harmonie et la rigueur ainsi obtenues sont d’un grand effet sur nos malades2.

L’ultra-spatialisation de l’asile psychiatrique s’opère donc en lien direct avec les convictions thérapeutiques des médecins aliénistes de l’époque. Ces derniers, en proposant la constitution d’un milieu ordonné pour canaliser l’esprit des aliéné.e.s et ses manifestations chaotiques, se reposent ainsi plus sur leurs perceptions intimes que sur une science clairement démontrée. Là réside tout le contraste propre aux asiles d’aliénés : Comment concevoir un outil rationnel à partir d’idées subjectives ? Le grand débat sur la séparation nosographique est l’un des exemples les plus frappants de cette invraisemblance.

La séparation en débat : sexe, âge, pathologie, curabilité?

PARCHAPPE, Des principes à suivre dans la fondation et la construction des asiles d’aliénés, op. cit., p.192 1

Dr GUIRAUD, Documents communiqués par C. Lenoble, Directeur du Centre Hospitalier spécialisé de Châlons-sur-Marne, et cité par de MONTLIBERT, op. cit., p.16 2

PARCHAPPE, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.94 3

4

Ibid. p.79

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L’origine de la séparation nosographique se situe, selon Parchappe, à l’instruction rédigée par Colombier en 1785 pour la réforme de l’Hôtel-Dieu parisien: « ce médecin demandait que l’établissement destiné aux aliénés soit divisé en quatre corps de logis, de manière qu’il fût possible de séparer complètement les furieux, les tranquilles, les imbéciles et les convalescents3. » Suite à cette division, les aliénistes du XIXe siècle n’auront de cesse d’en établir de nouvelles selon leurs considérations propres. En effet, « qu’on tienne principalement compte de la nature de la maladie, [...] qu’on s’attache à la forme du délire, [...] qu’on ait plus particulièrement en vue les habitudes, les penchants et les manifestations, [...] qu’on ait égard aux chances de guérison » ou qu’on considère « l’absence ou la présence de maladies accidentelles »4, la définition de la division offre à l’aliéniste un immense champs des possibles. Si il est impossible de déterminer le nombre précis de divisions qui furent composées par les aliénistes, chaque asile faisant l’objet d’une nouvelle, le grand critère de rationalité, fierté d’Esquirol, peut donc être sérieusement remis en question.


VERS LA FIN D’UN MYTHE ? En 1895, lorsque Morin Goustiaux met en chantier Maison-Blanche, parfaisant la prise en charge psychiatrique de Paris, il y respecte scrupuleusement les concepts développés par d’illustres psychiatres dans la première moitié du XIXe siècle. Grâce à leur renommée nationale, par impératif de sécurité publique et par absence d’alternatives, ces derniers initient et maintiennent leur emprise sur la construction d’asiles pendant près d’un siècle, conférant à la folie sa première représentation spatiale et l’inscrivant dans l’esprit collectif comme désordre mental et maux sociétal. Le modèle architectural qu’ils développent, dont l’ultra-spatialisation est à la hauteur des craintes de la société vis-à-vis de ses anormaux, apporte ainsi une réponse quasi mystique à un problème non maîtrisable. Elle repose sur plusieurs critères appartenant soit à une perception sociale, soit à une conviction thérapeutique. En premier lieu, l’établissement d’une retraite, d’un monde en soi à l’abri de la ville, permet à l’aliéné de recouvrir son lien biologique à la Nature, condition supposée première à son traitement. Ensuite, l’imposition d’un cadre rationnel canalise son énergie désordonnée et lui fait prendre conscience d’une morale supérieure. Si ces intentions sont unanimement partagées et semblent alors parfaitement fondées, nous avons vu qu’elles participent plutôt de représentation sociales subjectives, si fragiles à l’épreuve du temps et de l’évolution de la science et de la société. Près d’une soixantaine d’asiles sont construits de la sorte, témoins à jamais fidèles de la confiance donnée à certains aliénistes, érigés en spécialistes absolus d’une science arbitraire. Néanmoins, la gratuité de ce modèle thérapeutique supposé scientifique ne tarde pas à éveiller des protestations, voyant plus en lui un subterfuge pour rendre la misère invisible qu’une solution souhaitable pour le bien-être des malades. Au tournant du siècle, de nouveaux protagonistes perturberont l’ordre établi à Maison-Blanche en faisant le dernier asile classique de l’histoire de la psychiatrie française, sans pour autant remettre fondamentalement en cause le modèle asilaire. Si l’on reconnaît en outre cette vérité, que, sous des formes analogues, des établissements peuvent présenter d’énormes différences, et réciproquement, que le même but peut être atteint au moyen d’établissements très dissemblables par la forme, on se convaincra facilement que ce n’est pas dans la forme des établissements, mais dans le but systématique qu’on s’est proposé en les fondant, que doivent être cherchés leurs caractères essentiels et le principe de leur classement pour une étude comparée.1

PARCHAPPE, Des principes à suivre dans la fondation et la construction des asiles d’aliénés, op. cit. p.192 1

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Planche comparative de Maison-Blanche et des douze asiles le précédant, présentés suivant leur axe de symétrie



Il importe dès lors de placer le malade dans d’autres milieux n’ayant de caractères spéciaux, où il aura l’illusion de la liberté, où sa vie sera celle de tout le monde, où il pourra se croire en villégiature. Évariste Marandon de Montyel


III NON-SPATIALISATION

L’ASILE-VILLAGE OU LA BANALISATION DE L’ASILE

Quelles ambitions thérapeutiques motivèrent le « village » à MaisonBlanche, et quelles conjonctions en firent un prototype mort-né ?


Double page précédente : 116 - Neuilly-sur-Marne - MaisonBlanche (S.-et-O.) - Pavillons Jean Bernard Vialles, Inventaire général, Département de la Seine-Saint-Denis, ADAGP, Base Mérimée

P

endant que la France développe et s’enlise dans une tentative de créer un modèle d’asile idéal si parfait qu’il conviendrait à tous et soignerait de lui-même les aliéné.e.s de leurs maux, l’Allemagne s’attaque au problème avec un angle sensiblement différent. Elle met en œuvre, grâce à différentes spécificités, les moyens d’expérimenter un modèle asilaire nouveau, dit d’Asile-Village, dont les qualités sociales et architecturales bousculent l’aliénisme « classique » français. Maison-Blanche est alors le premier prototype d’Asile-Village de l’Hexagone, bien avant que cette typologie ne connaisse un réel engouement du milieu médical et s’établisse comme référence à la suite des Grandes Guerres. Cette expérience est néanmoins condamnée dès l’origine par de multiples facteurs, en faisant un prototype mort-né. Au fil de cette partie, nous nous intéresserons aux phénomènes qui motivèrent la remise en question du modèle Esquirolien, puis étudierons l’impact de l’import du modèle d’Asile-Village sur le milieu psychiatrique asilaire, pour enfin conclure sur les conséquences concrètes de la mise en œuvre de cette expérience architecturale et sociale au sein de Maison-Blanche.

II/1 MODALITÉS DE RUPTURE AVEC L’ÈRE « CLASSIQUE »

La remise en cause d’une ultra-spatialisation stigmatisante et contre-productive

FALRET, Henri, De la construction et de l’organisation des établissements d’aliénés, Paris,1852, p.82 cité par GRAND, « L’architecture asilaire au XIXe siècle, entre utopie et mensonge », op. cit., p.186 1,2,3

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Dès le milieu du XIXe siècle, des protestations sont émises, soulignant les limites du modèle « classique » qui se diffuse en France. Ainsi en 1852, Henri Falret, psychiatre issu d’une illustre famille d’aliénistes, estime que le traitement moral appliqué aux malades dans les asiles qui lui sont contemporains se résume à « faire pour eux ce que l’on fait pour les enfants dans les collèges, pour les soldats dans les régiments ; c’est donner aux hommes une apparence commune et convenable beaucoup plus que les modifier au fond » et d’ajouter « c’est monotoniser les aliénés plutôt que les transformer ; c’est effacer l’individualité, au profit d’un type extérieur de convention1 ». Là réside toute l’ambiguïté de l’asile, veillant au rétablissement et à la réinsertion des malades en tant qu’individus particuliers, tout autant qui ne les isole et les confond dans un type social dévalorisé par le reste de la société. À l’opposé, Falret prône un « traitement, sinon tout à fait individuel, du moins, moins général2 » qui selon lui doit passer par la création de « conditions particulières de localité, de bâtiments et d’occupations3 ».


C’est, dans les faits, mettre en place une diversité spatiale moins anonyme que l’unité absolue régnant au sein des établissements ; une diversité que les institutions asilaires françaises, confrontées à un phénomène de surpopulation chronique et à un budget restreint ne permettant pas l’innovation architecturale, sont cependant incapable de réaliser de leur propre chef. Les objections soulevées par Falret n’auront donc pas d’influence sur la production des asiles d’aliénés jusqu’à ce qu’un courant artistique bouscule les schèmes de pensées des classes dominantes.

Si les prémices artistiques du XIXe siècle français s’inscrivent en continuité du Classicisme du siècle des Lumières, avec pour objectif la recherche de l’harmonie et l’expression de la perfection, en Allemagne, un courant artistique protestataire émergeant bouscule les codes et les conventions. Le « sentiment » remplace la « raison » dans l’acception de la beauté, au cœur de ce qui s’appellera le courant Romantique1. Les artistes cherchent à exprimer leurs personnalités par ce qu’elles ont de plus égoïste : les sentiments, l’intuition, les craintes et les passions. N’étant jusqu’ici considérées que comme causes de la folie, celles-ci composent soudain le nouveau sujet esthétique, et la quête d’idéal s’efface au profit de la rencontre avec la réalité, dans ce qu’elle a de plus instable et de plus mystérieux. L’individualité se charge de « génie artistique, irrationnel et créatif2 » et la vulnérabilité humaine dans un monde incertain s’inscrit peu à peu dans les esprits. Dès lors, le sauvage devient littéralement pittoresque3, et la Nature, bienfaisante. Les « masses urbaines et populaires4 » sont critiquées en opposition au monde rural, moins discipliné mais plus patient et fidèle à lui-même.

Il faut pourtant attendre le milieu du XIXe siècle pour que ce bouleversement artistique se diffuse outre-Rhin et influence enfin la « génération de médecins, d’administrateurs, de notables et, plus largement, de fractions des classes dominantes5 ». Si cette diffusion est si tardive comparé aux voisins allemands, c’est que le Classicisme est en France profondément ancré dans la « tradition gréco-latine » et ce depuis la Renaissance, là où il n’est en Allemagne qu’une période artistique passagère6. D’autre part, tandis que le romantisme influence en Allemagne directement la construction des asiles, conduisant à de nombreuse expérimentations évoluant jusqu’au type de l’Asile-Village, les Asiles français restent dans un premier temps strictement fidèles aux principes « classiques » pour deux raisons.

Ci-dessous : Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1817-1818 (Kunsthalle de Hambourg) Ce tableau, un des plus célèbres du Romantisme, témoigne de ce courant en figurant un homme de dos contemplant un paysage mystérieux entre voûte nuageuse et mer de brume. Vulnérable mais serein, il surplombe héroïquement un éperon rocheux qu’il semble posséder le temps d’une rêverie.

Romantisme, Wikipédia (Consultation le 29/08/17) https://fr.wikipedia.org/wiki/ Romantisme

1,2

« Qui est digne d’être peint, [...] qui charme ou qui frappe par sa beauté, sa couleur, son originalité » Pittoresque, CNRTL (Consultation le 29/08/17) http://www.cnrtl.fr/definition/ pittoresque 3

de MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.20 4,5

6

Romantisme, ibid.

55


Les asiles français sont d’abord un support de diffusion des valeurs classiques de l’Ordre Républicain. En ciblant les valeurs opposées de liberté et d’individualité, le Romantisme contrarie la République ordinale, et son incrémentation architecturale n’est donc pas considérée. De surcroît, l’omniprésence des figures de la psychiatrie « classique », à travers la notoriété de leurs écrits ou leurs emprises sur le Service des Aliénés et ses Inspecteurs, rend impensable l’expérimentation de modèles nouveaux. L’asile français reste donc figé pendant près d’un siècle, jusqu’à ce que Paul Sérieux, en visite en Allemagne en 1895, rende compte des qualités sociales stupéfiantes d’asiles de type « village » issus d’une psychiatrie sous influence Romantique. Cependant, le Romantisme seul ne peut expliquer l’apparition du modèle. Une particularité médicale germanique a effectivement permis de dégager les efforts nécessaires à l’invention de ce nouveau modèle.

Éclosion du plan pavillonnaire Allemand

Riel et Langermann, considérés par Parchappe comme les « deux plus illustres aliénistes de la Prusse », sont d’abord en Allemagne les ambassadeurs du mouvement de réforme de la psychiatrie initié en France par Pinel. Ils y dressent concernant la prise en charge des aliéné.e.s le même constat que ce dernier, déplorant leur état d’abandon « malheureux » et les traitements « cruels » qui leur sont infligés. Ils divergeront de l’aliénisme « classique » français à peu près au même moment qu’Esquirol, à travers ses Principes pour la construction des asiles, édicte l’organisation du traitement psychiatrique. Ainsi, ils plébisciteront une organisation alternative, basée sur « la séparation absolue des établissements de traitement et d’entretien ». PARCHAPPE, Des principes à suivre dans la fondation et la construction des asiles d’aliénés, op. cit., p.254-255 1

2,3,4

Ibid.

56

Dès les débuts de la prise en charge psychiatrique en Europe, initiés par les progrès français autour du traitement « moral », l’Allemagne, sous l’influence de Riel et Langermann1, expérimente une méthodologie divergeante de Pinel ou Esquirol. Ayant ressenti « l’importance de la part à attribuer à l’institution du traitement curatif dans la réforme des établissements d’aliénés2 » plus vivement que quiconque, ces deux psychiatres mettent en place une division radicale des malades mentaux. Cette division leur permet en réalité de maximiser les efforts sur ceux qu’ils jugent curables, au détriment des causes perdues d’avances. En poursuivant cette logique, les traitements médicaux et les lieux de prises en charge divergent radicalement de l’un à l’autre des groupes.

D’un côté, on trouve les incurables, ne méritant pas de traitements. Ils sont installés dans des « maisons de refuge », en majorité des hospices existants, où leur seront juste fournis les moyens nécessaires à leur subsistance. De l’autre, les curables, bénéficiant d’une attention accrue et de la construction d’établissements spécialement conçus, les « maisons de traitements ». Ainsi, « nature, forme et disposition des habitations, multiplicité et variété des moyens de traitement, nombre plus considérable des surveillants, aptitude plus élevée du personnel médical et administratif, spécialité du régime disciplinaire3 » sont autant de « conditions difficiles et coûteuses à réaliser4 » réunies pour permettre aux malades sélectionné.e.s de recouvrir leur raison.


En réduisant par deux le nombre d’asiles à construire et en privant en conséquence la moitié des aliéné.e.s d’un espoir de guérison, l’Allemagne s’offre les moyens d’expérimenter dans le but de mieux prendre en charge et d’offrir plus de libertés aux curables. Ces expérimentations conduites en pleine période Romantique se chargent bientôt des valeurs d’un retour à la nature et de ruralité, dans le respect de l’individualité de chacun. Peu à peu, l’asile de traitement, au début centralisé en un bâtiment ou dans plusieurs identiques reliés par des galeries, se divise, se propage, se diversifie et se banalise pour revêtir l’apparence d’un village rural, loin de l’image négative des hospices et des vieux asiles. Ainsi, aux curables est accordée l’illusion de vivre au sein d’une communauté ordinaire, répartie dans des bâtisses variées ne laissant rien présager de leur occupants. Il faudra attendre le tournant du XIXe et XXe siècle pour qu’un psychiatre français rapporte cette typologie en France et influence d’un même geste le cours de l’histoire.

Major de sa promotion puis médecin-adjoint des asiles de Perray-Vaucluse et de Villejuif, Paul Sérieux est nommé au même poste à l’asile de Ville-Evrard, dans le département de la Seine3. Lorsque pour répondre au problème de plus en plus important de l’alcoolisme, la Préfecture de la Seine prend la décision de construire l’asile de Maison-Blanche de l’autre côté de la route d’Allemagne, Sérieux, âgé de 30 ans, est mandaté par le Conseil Général pour effectuer des missions d’observations des « asiles de buveurs » en Allemagne, en Suisse et en Autriche, puis en Angleterre et en Italie4. Au cours de ces voyages, il assemble un grand nombre d’éléments dans plusieurs rapports afin d’aider à définir le programme de ce nouvel asile. De retour en France ce programme fait l’objet, comme l’écrit Pierre-Louis Laget, « d’un débat d’une ampleur tout à fait inaccoutumée5 » réunissant à la table « une pléiade de personnalités parmi les plus marquantes de l’aliénisme français6 » intriguées par ce programme nouveau. Si l’influence de Sérieux sur la réalisation de Morin-Goustiaux est d’abord affaiblie par cette exposition médiatique inopinée, elle sera nettement affirmée sur la deuxième aile de l’asile. Enrichi par de nouveaux voyages en Allemagne, il conteste sans tarder la conception de la première aile de Maison-Blanche et décrie l’« ère de satisfaction et d’ignorance des réformes réalisées au delà de nos frontières7 ». Il radicalise en cela un discours contestataire incarné dès 1897 par le médecin en chef des asiles publics de la Seine, Évariste Marandon de Montyel, fervent opposant à l’isolement.

Ci-dessous : Portrait de Paul Sérieux, Psychiatrie (consultation le 30/08/17) http://psychiatrie.histoire.free.fr/ pers/bio/serieux.htm

Paul (Raimond) SERIEUX , (consultation le 30/08/17) http://psychiatrie.histoire.free.fr/ pers/bio/serieux.htm 3

Sérieux, Paul (1864-1947), Identifiants et Référentiels pour l’Enseignement Supérieurs et la Recherche (IDRef ) (consultation le 30/08/17) https://www.idref.fr/027132838 4

LAGUET, « Naissance et évolution du plan pavillonnaire dans les asiles d’aliénés », op. cit., p.66 5,6

SÉRIEUX, Paul, L’assistance des aliénés en France, en Allemagne, en Italie et en Suisse, rapport préparé pour la Préfecture du département de la Seine, Conseil général / Paris : Impr. municipale, 1903, p.974 7

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MARANDON DE MONTYEL, Évariste, médecin en chef des asiles publics de la Seine, « La construction des établissements d’aliénés d’après les nouvelles données », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 3e série, t. 38, Sem. ,1897 , p.502 1,2,3,4

LAGUET, « Naissance et évolution du plan pavillonnaire dans les asiles d’aliénés », op.cit., p.67 5

Über us, Geschichte, Sächsiches Krankenhaus Altscherbitz, Fachkrankenhaus für Psychiatrie und Neurologie (consultation le 11/09/17) https://www.skh-altscherbitz. sachsen.de/ueber_uns/ geschichte/ 6

LAGUET, « Naissance et évolution du plan pavillonnaire dans les asiles d’aliénés », op.cit., p.67 7

DR BRESSLER, Johannes, Deutsche Heil und Pflegeanstalten für Psychischkranke in Wort und Bild, Halle a. S. Carl Marhold Verlagsbuchhandlung, 1910, p.345, 346 8,9,10

Dans La construction des établissements d’aliénés d’après les nouvelles données, ce dernier déclarait en effet que « l’expérience a démontré que ce système [l’isolement], loin de guérir, favorisait tout au moins l’incurabilité, s’il ne l’engendrait pas1 ». Décriant les « asiles actuels, aux hautes et épaisses murailles, au caractère et au cachet spéciaux, asiles mi-partie caserne et mi-partie prison, avec un cerbère féroce2 » incarné par le château d’administration, il milite à l’inverse pour éloigner « du malade toute chose susceptible de l’impressionner péniblement et de lui montrer qu’il est un séquestré3 ». C’est ainsi la volonté d’offrir une « illusion de liberté », de normalité et même de « villégiature », qu’il situe dans « l’asile-parc ou, de préférence, l’asile-village4 », reprenant à Sérieux sa typologie allemande.

Les nombreux voyages de recherche de Paul Sérieux ont donc une répercussion redoutable sur le milieu psychiatrique du début du XXe siècle. Parmi tous les bâtiments qu’il étudie et dont il consigne les plans, deux apparaissent comme particulièrement marquant dans l’apparition de la typologie d’Asile-Village. Pierre Louis Laguet en révèle la place prépondérante dans l’édition des deux rapports successifs de Paul Sérieux, L’Assistance des alcooliques en Suisse et en Allemagne en 1895 puis L’assistance des aliénés en France, en Allemagne, en Italie et en Suisse en 19035. Le premier est l’asile saxon d’Alt-Scherbitz dans la ville de Schkeuditz près de Leipzig, fondé le premier septembre 1874 par le Dr Köppe pour accueillir 250 malades mentaux6.

Ci-contre : Vue du bâtiment central inseré dans la végétation. SKH Altscherbitz (consultation le 11/09/17) https://www.skh-altscherbitz. sachsen.de Ci-dessous : Extrait du plan d’AltScherbitz, DR PAETZ, Albrecht, Die Kolonisirung der Geisteskranken in Verbindung mit dem OffenThür-System, ihre historische Entwickelung und die Art ihrer Ausführang auf Rittergut AltScherbitz, Julius Springer, Berlin, 1893, p.265

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Cet asile, avec ses « bâtiments indépendants s’apparentant à de coquettes villas, tous de plan différent7 » offre une image bien loin de toute idée carcérale. L’intérieur abandonne le « Korridorsystem8 » (système de couloir central), au profit du « Prinzipe der Diele9 » (principe de pièce centrale et commune desservant des pièces subalternes) rendant possible l’« OffenTür-System10 » (système des portes ouvertes) en simplifiant et en sécurisant l’espace.


Ci-contre, à droite : Villa A pour femmes de classes 1 et 2. DR PAETZ, op. cit., p.189,203 Ci-contre, à gauche : Villa E pour hommes de classe 1. Ibid., p.201,203 Ces deux villas au programmes similaires témoigne à la fois du style architectural régionaliste, de la composition autour d’une pièce centrale, des dimensions réduites et de la variété typologique de la vingtaine de pavillons d’aliéné.e.s de l’asile d’Alt-Scherbitz.

À l’extérieur, les « Mauern und Gitter1 » (murs et grilles) font place à des jardins, des étangs et des bosquets d’arbres. Une période d’observation dans l’établissement central permet de juger si les malades possèdent les conditions sociales et médicales suffisantes pour profiter du traitement dit « libre », et ainsi circuler à leur bon vouloir, pour se rendre à leur travail ou pour socialiser. Bien que la composition soit toujours axiale et symétrique à la manière « classique », l’aspect général d’Altscherbitz diffère largement de ce style : la séparation des pavillons, leur diversité et le style pittoresque lui donnent un caractère plus domestique qu’institutionnel. Il offre à Sérieux la représentation d’un asile ne « produisant pas sur les visiteurs, comme tant de nos v ieux asiles, cette triste impression de caserne, de prison2. »

Le second est l’asile de Galkhausen, à Langenfeld en Rhénanie Prussienne, fondé en avril 1897 par l’Assemblée Provinciale, et destiné à traiter 800 malades mentaux majoritairement de Cologne3. Reprenant les principes du « System der kolonialen Anstalten4 » (système d’asile colonial, dont l’archétype est Altscherbitz), Galkhausen amplifie la domesticité de l’asile, en établissant comme principe fondateur « Die möglichste Anlehnung an die den Gewohnheiten der Kranken geläufigen Einrichtungen der Privatwohnungen5 » : la référence la plus fidèle possible aux milieux de vie habituels des malades. Des mots comme individualisation, adapté, simplicité, amical, confortable ou chaleureux6 entrent dans la rédaction du programme, témoignant de l’attention portée à la création d’un milieu de vie accueillant. Bien que la séparation des sexes soit toujours matérialisée par la voie d’accès de l’asile, l’organisation du plan n’est plus orthogonale, et la symétrie disparaît.

DR BRESSLER, Deutsche Heil und Pflegeanstalten für Psychischkranke in Wort und Bild, op. cit., p.345 1

BONNET, médecin-chef de la 4e section de Maison-Blanche, Rapport sur le serv ice des aliénés, Préfecture de la Seine, Paris, Chaix, 1910, p.343 2

DR BRESSLER, Deutsche Heil und Pflegeanstalten für Psychischkranke in Wort und Bild, op. cit., p.287 3

4

Ibid., p.346

5

Ibid., p.288

« Individualisierung », « angepassten », « Einfachheit », « freundliche », « behaglich », « wohnlichen », traduits par Paul de Greslan. Ibid., p.288 6

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Ci-contre : Plan de l’asile de Galkhausen. L’asile est construit au sein d’un bois préexistant, dont les arbres, bosquets et parties les plus remarquables sont préservés et dictent le tracé des voies, de sorte que les pavillons paraissent intégrés à la forêt. L’ensemble renvoit ainsi une « image charmante et scénique », d’un effet jugé bénéfique pour les aliéné.e.s en traitement. « Rheinsische-provinzial Heil und Pflegeanstalt Galkhausen », DR BRESSLER, Deutsche Heil- und Pflegeanstalten für Psychischkranke in Wort und Bild, op. cit., p.289

LAGUET, « Naissance et évolution du plan pavillonnaire dans les asiles d’aliénés », op. cit., p.67 2

« unerlässliche Voraussetzung », traduit par Paul de Greslan DR BRESSLER, Deutsche Heil und Pflegeanstalten für Psychischkranke in Wort und Bild, op. cit., p.343 3

4

Ibid., p.287

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Des tracés sinueux permettent aux malades de rejoindre leurs différentes villas champêtres à travers un parc à l’anglaise1 particulièrement travaillé, dont l’espace central regroupe les « services généraux - chapelle, administration, salle des fêtes, bains2 », comme le ferait une place de village ordinaire. Galkhausen dessine ainsi en 1897 la première illustration complète du modèle d’Asile-Village allemand, en germe depuis la moitié du siècle. Si l’« Offen-Tür-System » y tient une place si importante, déjà bien marquée à Altscherbitz, c’est qu’il est considéré, à travers l’octroi d’une liberté considérable, comme la condition sine qua non 3 à l’« intensiven landwirtschaftlichen Beschäftigung4 », le travail agricole intensif. Ce dernier permet à l’asile d’être auto-suffisant et aux malades de recouvrir la raison par le travail paysan. Il constitue de fait un des ingrédients fondamentaux du modèle.

Sérieux, largement inspiré par ses voyages d’études et en particulier par ces deux asiles, renforce dans les premières années du XXe siècle ses objections à l’encontre du modèle d’asile « classique ». Après une période de débat l’opposant aux conservateurs depuis VilleEvrard, il parvient en 1908 à hériter de l’asile de Maison-Blanche dont il devient médecin-chef. À son arrivée, il finalise le chantier de l’aile dédiée aux épileptiques, appliquant les règles de l’Asile-Village et transformant irrémissiblement le milieu asilaire.


II/2 VERS UNE REDÉFINITION DU MILIEU ASILAIRE La construction de l’aile « village » de Maison-Blanche, terminée en 1909, porte en elle un potentiel outrepassant largement Maison-Blanche. C’est en réalité une redéfinition spatiale et sociale radicale du milieu asilaire et de ses ambitions qui y apparaît.

Des nouveaux ingrédients pour une attention nouvelle ?

Au début du XXe siècle, nous l’avons vu, les « problèmes sociaux1 » (alcoolisme, prostitution, pauvreté, criminalité...) ont largement remplacé les « problèmes de morale2 » comme supports admis de la genèse de la Folie. L’Asile-Village, en renforçant la part de la Nature dans le traitement, semble tout adapté pour résoudre ce changement de paradigme. Cependant, la mise en place de ce modèle ne participe pas de la même représentation partagée que l’asile « classique » :

Autant dans la phase précédente médecins aliénistes et architectes partageaient les mêmes représentations, autant ici, les commanditaires (surtout les politiciens) et les médecins (héritiers des conceptions d’une liberté romantique) s’entendent sur un malentendu. Pour ceux-là, la « nature » est une forme d’ordre qui leur permet de surcroît de rechercher la satisfaction de leurs intérêts immédiats, pour ceux-ci, la « nature » est une force supérieure à laquelle on doit se soumettre et, pour les uns comme les autres, la « nature » est l’antidote des « fléaux sociaux ».3

Bien que les objectifs ne soient pas communs aux promoteurs et aux spécialistes, leur entente pour l’aile « village » de Maison-Blanche propose néanmoins des dispositifs inédits en France, visant le développement d’une forme de liberté supportant l’éclosion d’une sociabilité faisant défaut aux asiles « classiques ». Afin d’offrir une sensation de liberté aux aliénées, l’aile « village » est conçue aussi bien pour minimiser leur conscience de l’enfermement, que pour restreindre au maximum leurs contraintes physiques. Les innovations portent donc d’un côté sur la perception sensitive du milieu, et de l’autre sur son expérience concrète, ces deux phénomènes n’étant pas strictement dissociés. D’abord, il s’agit de donné à l’asile un « heureux aspect4 » d’« agglomération humaine quelconque5 » où le malade puisse se sentir chez lui. Le plan urbain n’est donc plus symétrique et homogène, mais crée au contraire « une multitude d’espaces extérieurs individualisés, adaptés au mode de prise en charge des patientes6. »

de MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.24 1,2,3

Dr BONNET, Rapport sur le service des aliénés, op. cit., p.343 4

LOHR, Evelyne, « De l’asile au secteur : Evolution de l’architecture psychiatrique et de son rapport au territoire dans la banlieue Nord-Est de Paris du milieu du Dix-Neuvième Siècle à nos jours », Ville et santé mentale; Projections, politiques, ressources, sous la direction de Aurélia Michel, Actes du colloque organisé par le Pôle Science de la ville, Université Paris Diderot, 29 et 30 mai 2007, p.64 5

Contribution au diagnostic du patrimoine de la commune de Neuilly-sur-Marne, Département de la Seine-Saint-Denis, op. cit., p.48 6

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Ci-dessous : La composition urbaine de l’aile « village » propose une vision du milieu asilaire radicalement opposée à celle de l’aile « classique ». Les éléments « classiques » évoqués par Lucile Grand sont ici transformés : La symétrie et la hiérarchie sont abolies au profit d’une composition pittoresque, et le quartier autonome et répété devient un quartier différencié, intégré à un parc.

Il n’est d’ailleurs plus hiérarchisé « du plus présentable à l’in-montrable », mais repartit les pavillons des alcooliques, des épileptiques et des hystériques par simple juxtaposition. Symboles d’unité du milieu asilaire, les galeries sont supprimées et les pavillons participent ici d’un village. Certaines fonctions telles que le réfectoire sont partagées, de sorte qu’une vie sociale s’épanouisse. De plus, les pavillons ne sont plus identiques et assemblés de part et d’autre d’une cour, mais se différencient et offrent chacun un espace extérieur spécifique, immergé au sein d’un parc à l’anglaise commun. Seule la séparation des aliénées en fonction de leur pathologie n’est pas remise en question, tirant certainement partie de l’approximation entourant encore ce domaine au début du XXe siècle.

Les deux critères de rupture du « village » à Maison-Blanche

1. Diversité spatiale et non-hiérachisation

2. Le pavillon ouvert

Le recours à la « normalité », ou l’aliéné en villégiature

Contribution au diagnostic du patrimoine de la commune de Neuilly-sur-Marne, Département de la Seine-Saint-Denis, op. cit., p.48 1

FROMENT, Pierre, architecteconseil du Ministère de la Santé Publique et de la Population, « Evolution de l’architecture et des équipements des centres psychiatriques », Architecture d’Aujourd’hui, 1959, n°84, p.24 2

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De toutes les préoccupations sous-jacentes à la création de l’aile « village », celle d’offrir au malade un cadre de vie « normal » où il puisse vivre au plus proche de ses habitudes tient une place majoritaire. Pierre Froment, architecte-conseil du Ministère de la Santé Publique et de la Population, décrit en 1959 ce qu’il imagine de la vie d’un malade dans un hôpital-village. Son récit, bien que rédigé 40 ans plus tard, transcrit le milieu souhaité par Sérieux en réalisant l’aile « village » de Maison-Blanche : On imagine un malade quittant son pavillon comme il quitterait son logement [...], travaillant une partie de la journée, déjeunant sur la grandplace, dans une cafétéria où il retrouve ses camarades. La soirée se passe à jouer aux boules sur une esplanade plantée, ou bien à jouer aux cartes : en un mot, il se livrera à toutes les occupations familières de l’homme sain qu’il était et qu’il redeviendra.2


Après avoir tenté d’imposer un ordre moral aux malades mentaux à travers l’homogénéisation stricte de l’architecture, au mépris de toute considération médicale spécifique aux différentes pathologies, les médecins aliénistes mettent donc en place à Maison-Blanche les premiers pavillons d’hébergement différenciés. Ce faisant, alors que Morin-Goustiaux ne présente qu’une base et une variante pour 14 pavillons, l’aile « village » fait état de 7 typologies différentes, pour un total de 12 pavillons. Ces typologies, à un ou deux niveaux, proposent une intéressante variété de formes, de la barre à la forme en Y, en passant par la croix et l’équerre. Cette diversité a pour but premier de composer un environnement urbain « riant2 », éloignant du malade toute idée de « de caserne, de prison3. » Ci-contre : Représentation comparative des pavillons d’hébergement « village », orientés sur le même axe et disposés selon une évolution morphologique

La conception architecturale des pavillons se montre adaptée aux pathologies de leurs occupants. Les hystériques et épileptiques, sujets aux « paroxysmes4 » que décrit Esquirol comme des moments brusques de grande agitation, sont tous installés en rez-de-parc, ce qui leur évite de se blesser dans les escaliers et de gagner rapidement l’extérieur pour « s’exposer au grand air5 ». Par ailleurs, cette disposition permet un service et une surveillance aisée, dans ces services jugés difficiles. Un des pavillons des hystériques est conçu en barre. Composé de cellules d’isolement, cette disposition confère à chacune un espace extérieur individuel, séparé des autres par un mur maçonné faisant office de coupe-son. Les alcooliques sont quant à eux installés dans des pavillons moins étalés mais d’un niveau supplémentaire, autorisé par leur état plus calme. Malgré ces multiples particularités, les pavillons des hystériques et des alcooliques sont tous dotés d’un élément analogue : une « salle de jour » à angles tronqués, permettant aux aliénées de se regrouper dans une pièce lumineuse et aménagée confortablement. Cet espace à la géométrie particulière apparaît comme une réminiscence des pièces de jour des pavillons de l’aile « classique ». Composées de la même manière (fenêtre dans la troncature, ouverture en triptyque en face principale) et présentant des dimensions identiques, elles témoignent ainsi de l’existence une continuité architecturale entre l’aile « classique » et l’aile « village ».

Dr BONNET, Rapport sur le service des aliénés, op. cit., p.343

2,3

ESQUIROL, Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal, op. cit., p.425 4,5

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1. Les pavillons

Ci-dessus : Les différentes strates du découpages du parc à l’anglaise : zones de malades, cheminements, jardins.

Une cour de l’aile « village » fait en moyenne 1382 m², soit 30 m² de jardin par aliéné. Dans l’aile « classique », ce ratio n’est que de 17,8 m². Les aliénées de la nouvelle aile jouissent donc d’une surface en moyenne 160% fois supérieure. On retrouve une augmentation identique dans la part d’espace paysager partagé par aliéné : de 121,4 m², cette partie passe à 195 m². 1

2. Réunis en « zones »

3. Reliés par des cheminements

4. Délimitant des jardins uniques

L’assemblage urbain hasardeux des pavillons au sein d’un parc boisé permet sa subdivision en espaces extérieurs spécifiques et individualisés. Cette subdivision, aiguisée par la présence de bosquets artificiels, de voies de circulations principales et de chemins de promenades, composent un paysage pittoresque, ou chaque édifice se découvre au détour d’un lacet, et fait l’objet d’une mise en valeur travaillée. Les dimensions de la cour d’un pavillon varient en fonction des pathologies des aliénées qu’il accueille1. Logées entre chemins de promenade, bosquets et pavillon, ces cours font parties intégrantes du parc. La légère clôture, haute d’un mètre cinquante, qui les en sépare ne vient que rappeler leurs limites. Les regards s’échangent du parc commun aux jardins, et tout participe à la création d’une émulation sociale entre les malades.

La surface des cours varie de 800 m² jusqu’à 2200 m². Les alcooliques, dont l’état nécessite rarement une surveillance accrue, sont souvent dans le parc commun, tandis que les épileptiques sont gardés à vue, dans le jardin de leur pavillon, justifiant ainsi plus de surface. Un arbre par aliéné. Calculs de Paul de Greslan d’après photographies aériennes et relevés GEOMETRIC, mars 2016 2

de MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.21 3

Ci-contre : Deux pavillons d’épileptiques et leurs jardins. Cette photographie, juste après la livraison de l’aile « village », représente autant l’atmosphère souhaitée que le caractère complètement artificiel du parc. Aujourd’hui, les arbres étant matures, cette partie semble construite a posteriori entre les bosquets d’arbres d’une forêt. Mémoire 014 ADAGP J-B Vialles, Base Mérimée

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Le traitement paysager de l’aile « village » de Maison-Blanche, support d’un environnement adapté aux aliénées, garanti du reste l’unité de l’équipement public autrement qu’à travers la seule architecture des lieux. À la régularité des grandes perspectives et l’ordonnancement institutionnel de l’aile « classique » se confronte le caractère naturel et modeste du nouveau parc. Bien que le nombre d’arbre par aliéné est identique de part et d’autre de l’axe central2, leur composition met en parallèle deux conceptions opposée de la Nature : la Nature contrôlée du jardin à la française et la « Nature Sauvage mais recomposée3 » du jardin à l’anglaise.


La variété harmonieuse, un dilemme esthétique À l’unisson avec les aspects formels, urbains et paysager, l’esthétique des bâtiments joue aussi un rôle déterminant dans la recherche d’une variété harmonieuse. Autant les modénatures que leurs mises en œuvre sont utilisées pour résoudre cette ambiguïté. Contrairement à l’asile de Morin-Goustiaux, le dessin de l’extension « village » n’intéresse que peu la scène nationale. L’architecte même de cette partie n’est pas connu avec certitude ; tout au plus suppose-t-on que c’est Raphaël Loiseau, architecte départemental de la Seine pendant cette période1. Ce manque de débat architectural est sûrement à l’origine du remploi de caractéristiques des pavillons antérieurs, d’où une conception aux relents « classiques ». Concurremment à la présence systématique des salles de séjours citées plus tôt, les pavillons « villages » possèdent par ailleurs la même largeur de 8,6 m, les mêmes hauteurs de plancher et les mêmes côtes de faîtage que leurs homologues « classique ». La composition des façades et de leurs ouvertures démontre au demeurant une copie rigoureuse de ces derniers. Les baies, de hauteur et de largeur identiques, scandent la façade d’une même trame invariable de deux mètres.

Les pavillons de l’aile « village » se distinguent néanmoins de leurs voisins à la fois par leurs mises en forme originales, mais aussi et plus particulièrement par le dessin de leurs façades. En effet, bien que ne présentant que 7 formes différentes, les 12 pavillons composant ce secteur sont tous parfaitement uniques grâce aux nombreuses variations de matériaux et de modénatures. Les jeux de briques, l’utilisation d’enduit tyrolien, et parfois même la réalisation de motifs en stuc constituent un éventail de possibilités esthétiques largement utilisé. Ils donnent à chacun des « personnalités2 », au sens latin du terme ; ils sont utilisés comme autant de « masques » que l’architecte manipule pour individualiser chaque pavillon.

Ci-dessus : Trois trames d’un pavillon de Morin-Goustiaux. © Ateliers Lion, le 26/01/16 Retouchées par Paul de Greslan

Contribution au diagnostic du patrimoine de la commune de Neuilly-sur-Marne, Département de la Seine-Saint-Denis, op. cit., p.46 1

Personnalité, du latin Persona, le masque. Personnalité, Wikipedia (consultation le 20/09/17) fr.wikipedia.org/wiki/ Personnalité 2

De gauche à droite : Pavillons 41, 44, 42 et 45. Des volets PVC ont été ajoutés aux fenêtres du 42, et une rangée de fenêtres sur deux a été murée dans le 45, suite à un réaménagement. © Ateliers Lion, le 26/01/16 Retouchées par Paul de Greslan

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II/3 LE MODÈLE ASILAIRE CONTESTÉ Paul Sérieux expérimente pour la première fois en France, à Maison-Blanche, le modèle de l’Asile-Village. Cependant, les espoirs portés par ce prototype sont confrontés à l’envergure des problématiques liées à l’émergence de conflits généralisés.

La désillusion de l’Asile-Village à Maison-Blanche

Bien que proposant un renversement inouï du milieu asilaire, l’expérience de Maison-Blanche échoue fortement. En effet, dans les années consécutives, seul un asile est construit sur le même modèle, celui de Fleury-lesAubrais, près d’Orléans, en 19131. Deux raison peuvent expliquer cet échec thérapeutique et architectural. Tout d’abord, l’expérimentation du « village » de Paul Sérieux s’effectue en limite directe d’un grand asile « classique ». S’il y instaure bien un milieu innovant, l’influence que porte ce voisin est telle qu’il est inconcevable d’y imaginer des pratiques thérapeutiques véritablement révolutionnaires. La reprise d’éléments de conception conditionne déjà la prise en charge des aliénées, les espaces intérieurs des édifices étant fortement similaires à ceux des pavillons « classiques » (dortoirs, salle de jour, etc...). Plus déterminant encore, la porosité entre le personnel des deux parties, la « classique » étant antérieure à la « village », compromet définitivement l’émergence d’un traitement davantage social. Le personnel y opérant est nécessairement de formation « classique » ; il ne possède de fait aucune des clefs pour à la fois mettre en place et maîtriser l’« Offen-tür-System » (système des portes ouvertes), composant primordial de l’Asile-Village, et ainsi faire fructifier ce milieu inédit. La prise en charge est identique d’un côté comme de l’autre, et même si « la nouvelle section [...] continue à être fort appréciée des malades2 » grâce à son « heureux aspect3 », aucune évolution significative du traitement ou du rétablissement des aliénées n’est observée. Bien qu’intégrant de façon prometteuse les réformes allemandes, le fonctionnement de cette section ne permet donc pas de prise de conscience thérapeutique et ne fait l’objet d’aucune mise en lumière à l’échelle nationale.

de MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.70 1

Dr BONNET, Rapport sur le service des aliénés, op. cit., p.343 2,3

Dr SERIEUX, L’assistance des aliénés en France, en Allemagne, en Italie et en Suisse, op. cit., p.43 4

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En 1914, six ans après l’ouverture de Maison-Blanche, le premier conflit planétaire éclate en Europe. Une grande partie des asiles est réquisitionnée pour y installer des hôpitaux militaires. Maison-Blanche, dont la position géographique à proximité de Paris est hautement stratégique, n’échappe pas à cette situation. Ses aliénées sont évacuées les 4 et 5 septembre 19141, et il ne reprend son fonctionnement normal que quatre ans plus tard. Aucun asile n’est construit pendant cette période en France, et les impératifs à la fin du conflit sont plus « aux réhabilitations ou remises en état d’hôpitaux qu’à de nouvelles constructions2 ». La construction de nouveau site ne reprend vraiment qu’au début des années soixante.

La pression économique consécutive de la Première Guerre Mondiale met à mal les bonnes volontés du développement de la sociabilité, en faisant perdre à la politique asilaire la gestion du long terme. Aussitôt la reprise du fonctionnement normal, l’administration de Maison-Blanche est rattrapée par une augmentation importante du nombre d’aliénées prises en charge, plaçant l’asile en état de surpopulation. Pour faire face à ce manque de place, plusieurs extensions et élévations défigurent les services généraux au centre de l’asile, avec par exemple la transformation des cuisines, de la buanderie et de la pharmacie, sans toujours porter attention au respect du style architectural originel3. Deux sections de pavillons sont construites, dans des styles radicalement opposés témoignant des hésitations et tiraillements entre préoccupations sociales et réalité des moyens économiques. La première est mise en chantier en 1932 du côté « village ». Il s’agit d’un sanatorium de style Normand, livré en 1935 pour héberger 64 tuberculeuses4. Par sa composition en U faite d’une aile principale avec fronton et de deux ailes secondaires délimitant un jardin, et par certains détails pittoresques comme son campanile, elle prolonge le parc à l’anglaise et s’inscrit dans la continuité de l’Asile-Village. Au même moment, une toute autre histoire se joue du côté « classique ». Écrasée par les restrictions économiques et devant trouver une solution pour loger les malades, l’administration se résout à un retour à une conception du XIXe siècle en construisant en 1934 une nouvelle section de 6 pavillons perpétuant rigoureusement au Nord l’organisation « classique » de MorinGoustiaux. Les pavillons sont conçus par l’entreprise construction métallique Fillod suivant un procédé modulaire breveté de tôles d’acier et de cuivre assemblées en sandwich et remplis de « paille et de sciure de bois5 ».

« Les grandes étapes de la construction de Maison-Blanche », L’hôpital psychiatrique de Maison-Blanche à Neuilly-surMarne Seine-Saint-Denis Tourisme (consultation le 22/09/17) www.tourisme93.com/maisonblanche.html 1

COLDEFY, De l’asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France, op. cit., p.98 2

Contribution au diagnostic du patrimoine de la commune de Neuilly-sur-Marne, Département de la Seine-Saint-Denis, op. cit., p.49 3

4

Ibid. p.52

5

Ibid. p.50

Ci-dessous, en haut : Fronton du sanatorium Normand. Sevak Sarkissian, le 28/05/15 © Ateliers Lion associés Ci-dessous, en bas : Façade d’un pavillon Fillod Sophie Mutschler, le 26/01/16 © Ateliers Lion associés

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Ci-contre : Nouvelles sections dans les deux ailes de MaisonBlanche. Le sanatorium s’intègre dans le parc à l’anglaise, tandis que les pavillons Fillods poursuivent la composition « classique » de Morin-Goustiaux.

Ces derniers peuvent ensuite être assemblés rapidement sur site, tout en présentant un coup de fabrication et de montage faible. Sur le plan de la répartition intérieure, les pavillons ne présentent aucune des évolutions proposées par Paul Sérieux trente ans plus tôt. En desservant les pièces par des couloirs, en sur-cloisonnant et en disposant peu d’espaces communs, ils rendent les aliénées dépendantes du personnel et complique ainsi la thérapie individuelle. En résumé, c’est vers la simplicité et la rationalité de l’ordonnancement urbain « classique » que se tourne Maison-Blanche pour résoudre ses maux, la recherche spatiale et esthétique en moins.

Bâtis pour ne durer que 15 ans comme réponse temporaire à la crise de surpopulation mais toujours en place aujourd’hui, ces pavillons symbolisent la victoire des impératifs budgétaires sur la recherche du bien-être des malades, de même que le mépris ou l’omission de l’évolution du milieu asilaire connue trois décennies auparavant. À l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, le système asilaire se trouve donc dans l’incapacité de garantir une prise en charge humaine à l’aliénée, que ce conflit nouveau rend catastrophique.

Émergence du mouvement désaliéniste pour la fin de l’ère asilaire

1 « Le XXe siècle », Evénements déterminants dans la genèse de la psychiatrie (consultation le 25/09/17) http://psychiatrie.histoire.free.fr/ psyhist/gene.htm#chrono

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Juste avant la Seconde Guerre Mondiale, un changement linguistique préfigure un renversement complet de la psychiatrie. En 1937, soit presque cent ans après la publication de la Loi sur les Aliénés, une circulaire paraît dans le Journal Officiel, substituant le terme d’hôpital psychiatrique à celui d’asile d’aliéné1. L’aliéné devient donc un malade psychiatrique, rapprochant ainsi la psychiatrie du reste de la médecine dont elle était jusqu’alors indépendante.


Pendant la Seconde Guerre Mondiale, au minimum 40 000 malades1 décèdent dans les hôpitaux psychiatriques français, soit un tiers de leur population. À Maison-Blanche, de 2 600 malades en 1940, la population passe à 1 700 en 1943, avec un taux catastrophique de mortalité en 1942 de 30% par an (8% en temps normal)2. Cette hécatombe dans le milieu asilaire, sans commune mesure ailleurs, est en lien direct avec le contexte alimentaire et économique de l’Occupation. En effet, alors que la famine nationale est rendue supportable dans le reste de la société par le marché noir, la solidarité et le troc, l’asile-hôpital psychiatrique, victime de son isolement, ne bénéficie d’aucun soutien. Là, bien que bénéficiaire de l’assistance publique, le malade interné perd peu à peu tout lien avec la société, jusqu’à devenir transparent, invisible. C’est ce phénomène de mort sociale qui précède parfois de plusieurs décennies la mort biologique, qui est en cause dans la famine des années d’Occupation.3

Bien que des serres agricoles soient construites et des parcelles cultivées pour fournir Maison-Blanche en nourriture, leur rendement est insuffisant pour la quantité de malades. En novembre 1943, Jacques Vié, médecin chef de la 5e section, dresse un constat terrible, celui de malades dont « toute l’activité s’est orientée vers l’acquisition de substances alimentaires ». Condamnées à « manger l’herbe dans les cours, choisissant parfois le pissenlit, le trèfle ou le plantain », ou « des champignons par kilogrammes4 » pour celles ayant accès au parc à l’anglaise, les malades abandonnées par leurs familles perdent rapidement plusieurs dizaines de kilogrammes. Seules celles qui reçoivent une aide de l’extérieur parviennent à maintenir un poids sain. Les retentissements de cette famine dans tous les cercles de la société française, en ciblant le système asilaire et en criant son injustice, précipitent bientôt sa réforme, portée par certains psychiatres. Christian de Montlibert en fait le constat : La « bourgeoisie moderne » ne pouvait en effet se reconnaître dans des formes directes et brutales de domination qui exprimaient, à ses yeux, des archaïsmes correspondant à des états dépassés des rapports sociaux d’autant plus inutiles qu’inefficaces.5

Pendant l’Occupation et après la Libération, des médecins consciencieux repèrent vite les conséquences dramatiques que peuvent avoir l’isolement et le milieu asilaire sur la santé des malades. Dès lors, tirant de leur constat des convictions « désaliénistes », ils engagent une révolution médicale psychiatrique sans précédent.

Ci-dessus : Rescapés, après la Seconde Guerre Mondiale, de l’hôpital psychiatrique de Clermont-de-l’Oise. AJZENBERG, Armand, Le choc des images, le poids des mots, 21 MAI 2014, Médiapart. (consultation le 26/09/17) blogs.mediapart.fr/armandajzenberg/blog/210514/le-chocdes-images-le-poids-des-mots

COLDEFY , De l’asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France, op. cit., p.98 1

L’Hôpital Psychiatrique de Maison-Blanche sous l’Occupation (consultation le 25/09/17) psychiatrie.histoire.free.fr/ psyhist/hec/mb.htm 2

Von BUELTZINGSLOEWEN, Isabelle, L’Hécatombe des fous. La famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’Occupation, Paris, Aubier, 2007, p. 400 3

VIÉ, Jacques, Résurgence des instincts alimentaires à la faveur de la disette chez des psychopathes, communication présentée en Novembre 1943 à la Société médicopsychologique. 4

de MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.34 5

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Médecin-directeur du service des femmes dans l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban pendant l’Occupation, Lucien Bonnafé est de ceux-là, pour qui les « pseudo-hôpitaux psychiatriques français sont des usines à fabriquer et à entretenir la folie1 ». Et d’ajouter : « Mais l’expérience de Saint-Alban prouve surabondamment qu’il est plus facile de remédier à ce vice qu’on ne peut le croire avant toute expérience2. »

C’est dans ce petit hôpital de campagne que naît le mouvement désaliéniste, fruit de la rencontre fortuite de personnalités telles que des résistants, des juifs, des médecins, des artistes et des intellectuels, dans un contexte de relations sociales denses entre malades et environnement familial3. Très actif sur la sociabilité des patient.e.s pendant l’Occupation, il est un des seuls hôpitaux français à n’avoir connu aucune mortalité due à la famine. De cette situation exemplaire, Bonnafé tire une volonté tenace de « renverser la situation actuelle de l’assistance psychiatrique en France4 », en mettant l’accent sur le « rendement social, la responsabilité, la dignité » à travers la discipline nouvelle de l’ergothérapie, dans le cadre idéel d’un « hôpital-asile-village ». Menant une croisade de communication sans répit depuis Saint-Alban puis à son poste de conseiller technique au ministère de la Santé, il place en proue de ses injonctions l’ouverture du milieu asilaire pour humaniser le traitement psychiatrique. Que dirais-tu si, à la surprise des vieilles croûtes, on y assistait à une série d’interventions unanimement dirigées dans le même sens, plaidant la même cause sur des plans et en des termes du polymorphisme le plus étonnant.5

Bientôt, grâce à son engagement sans faille, il sèmera les bases de l’abolition définitive de l’ère psychiatrique asilaire française.

Extraits d’une lettre du Dr Lucien Bonnafé, alors médecin-directeur de l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban (Lozère) à son collègue Paul Bernard en 1943, publié par COLDEFY, De l’asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France, op. cit., p.149-152 1,2

3

COLDEFY, ibid., p.148

BONNAFÉ, Extraits d’une lettre à son collègue Paul Bernard 4,5

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LE « VILLAGE » À MAISON-BLANCHE, UNE CHIMÈRE MORTE-NÉE L’expérimentation à Maison-Blanche du modèle de l’Asile-Village est conçue par le docteur Paul Sérieux comme opposition romantique à l’uniformisation du traitement psychiatrique au sein d’un asile « classique ». En effet, le Romantisme provoque en France - bien que tardivement - un renversement des valeurs sociétales, en remplaçant la « raison » par le « sentiment » et l’« idéal » par le « réel ». Le docteur Sérieux accumule donc lors de ses voyages le bagage nécessaire à la mise en place d’une réforme du milieu asilaire, en prenant exemple sur les asiles allemands d’Alt-Scherbitz et Galkhausen. Ses objectifs sont doubles et visent l’atténuation de la perception de l’enfermement : assurer une prise en charge « libre » des aliénées, et proposer une image familière de l’institution asilaire. Pour ce faire, il orchestre la mise en place d’un conception ouverte, basée sur la liberté, les échanges et la banalisation architecturale. En adoptant une posture architecturale pittoresque à l’allemande, l’aile « village » offre effectivement une vision plus ordinaire du milieu asilaire, répondant par la non-spatialisation (diversité et individualité) à l’ultra-spatialisation « classique » (ordre et homogénéité). Néanmoins, la continuité architecturale de l’aile « classique » à l’aile « village » de même que le non-renouvellement des pratiques thérapeutiques compromettent dès le début, par manque de moyens affectés, la possibilité de changer véritablement les conditions de vie des aliénées. Seule l’image de l’asile évolue, pas sa réalité vécue : le prototype est mort-né. Plus tard, c’est aussi ce manque de moyens qui justifie le retour à la formule « classique », à rebours de tout bon-sens thérapeutique. L’hécatombe des aliéné.e.s à la Seconde Guerre Mondiale, en mettant en évidence cette absence de considération de la pire des façons qu’il soit, précipite enfin l’ère asilaire à travers une prise de conscience brutale. Plusieurs facteurs seront employés pour ouvrir l’asile, conduisant inéluctablement à son atomisation définitive. Institution conçue pour accueillir et soigner les fous, l’asile était devenu une institution folle et déshumanisée, dont les rituels et les règlements répressifs visaient à masquer et à contenir la folie. Changer l’asile apparaissait donc comme une exigence humanitaire, dans une société où, au sortir de la guerre et de l’univers concentrationnaire, l’aspiration démocratique, qui allait par ailleurs soulever les peuples colonisés et les minorités opprimées, se faisait de plus en plus sentir.1

HOCHMANN, Jacques, Histoire de la psychiatrie, PUF, « Que saisje ? », Paris, 2004, p.94 1

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Certes, il est impossible d’échapper à la nécessité de la fonction psychiatrique : mais il faut ouvrir l’hôpital et, dans la mesure du possible, maintenir les personnes prises en charge au sein de leur milieu naturel, ou les y réinsérer après traitement. George Daumezon


IIII DÉ-SPATIALISATION

L’AVÈNEMENT DU QUOTIDIEN COMME NORMALITÉ

Comment l’évolution techniciste de la psychiatrie a-t-elle confisqué la responsabilité médicale de l’architecture et transformé l’approche thérapeutique, précipitant ainsi l’abandon du milieu asilaire ?


Double page précédente : Avenue de la Roseraie Sevak Sarkissian, le 28/05/2015 © Ateliers Lion associés

À

l’instant où se soulève en France une vague désaliéniste indignée par le milieu asilaire et ses conséquences extrêmes pendant l’Occupation, les progrès de la Science, boostés par les deux conflits mondiaux successifs, apportent la première génération de médicaments neuroleptiques : le Largactyl. Tout à coup, les malades psychiatriques ne nécessitent plus de restrictions physiques pour parer leurs excès dangereux et le milieu asilaire perd sa fonction la plus légitime, l’isolement. Point de renversement total dans la considération du milieu asilaire et de son intérêt, la pharmacopée entraîne dès lors une série d’avancées techniques et sociales conduisant irréversiblement au retour de la psychiatrie en ville. On peut donc se demander comment cette évolution techniciste de la psychiatrie a subtilisé la responsabilité médicale de l’architecture et transformé l’approche thérapeutique, précipitant ainsi l’avènement du quotidien en tant que normalité. En premier lieu, nous analyserons l’évolution des traitements psychiatriques et leur influence sur le milieu asilaire. Nous poursuivrons ensuite sur les modalités précipitant son obsolescence. Nous finirons cette étude par la politique de sectorisation, sur ses ambitions de même que sur la réalité de sa concrétisation.

III/1 L’ÉVOLUTION DES TRAITEMENTS

de MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.29 1

Ergothérapie, Wikipédia (Consultation le 04/10/17) https://fr.wikipedia.org/wiki/ Ergoth%C3%A9rapie 2

Historique, Association Nationale Française des Ergothérapeutes (Consultation le 04/10/17) http://www.anfe.fr/historique 3

COLDEFY, De l’asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France, op. cit., p.148 4

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Dans la première moitié du XXe siècle, une série d’avancées scientifiques permet de mieux cerner les phénomènes responsables des troubles psychiatriques. Les recherches sur l’hystérie, la découverte de l’inconscient, la création de la psychanalyse, les principes d’hygiène mentale diffusés par les programmes de santé publique provoquent « une transformation des représentations de la “folie” en “maladie mentale”1». Le milieu asilaire offre le cadre idéal pour tester et développer les innovations thérapeutiques, en mettant à disposition de vastes espaces et rassemblant une forte concentration de malades. Il est donc le lieu privilégié de toutes les expérimentations de la psychiatrie dans la seconde moitié du XXe siècle.

L’ergothérapie, ou l’activité ludique comme traitement

L’ergothérapie, étymologiquement la thérapie par l’activité (ergon, en grec)2, naît au début du XXe siècle aux États-Unis d’Amérique (occupational therapy)3. Elle est importée en France pendant la Seconde Guerre Mondiale à Saint-Alban par Lucien Bonnafet, sous la direction de son médecin-directeur Paul Balvet4.


Nourrie par des ambitions similaires à celles du travail agricole utilisé par les aliénistes dès Philippe Pinel pour permettre « l’exercice tout le corps en plein air1 » favorisant le « bien-être du malade2 », l’ergothérapie porte néanmoins en elle une volonté dépassant la simple « occupation3 » des malades. Lucien Bonnafé, en faisant de cette méthode la « préoccupation axiale du service », justifie son intérêt comme suit : La thérapeutique par le travail n’en est que le noyau , l’essence en est l’exploitation profonde chez tout malade des capacités non aliénées : rendement social, responsabilité, dignité ; cela va du cardage de la laine ou du tri de perles de couleurs à la représentation théâtrale en passant par l’horticulture, la gymnastique, le chant, etc ...4

Ces activités divergent donc fortement des travaux proposés par Parchappe (assistance administrative, ménage, agriculture, construction et rénovation, blanchissage et couture). En visant uniquement l’éveil individuel et social des malades, elles ne participent pas du « but économique5 » propre au travail aliéniste. Elles ne constituent plus un moyen de subsistance pour l’administration, et ne sont donc pas forcées. Sportives ou artistiques, elles sont aussi moins difficiles physiquement mais plutôt dirigées vers la créativité, le travail personnel et de groupe. Les rapports sociaux sont bouleversés : alors que le travail aliéniste est dirigé par une « domination directe sur les reclus6 », l’ergothérapie est fondée sur la « médiation des animateurs, des travailleurs sociaux, des moniteurs de gymnastiques et de sport7 ». Dès lors, « l’écoute, l’émergence des besoins et la participation8 » prévalent au paternalisme et révèlent une évolution de la société dans son ensemble, selon Christian de Montlibert. En 1960, alors que sont construits au Nord une chaufferie centrale et 300 lits supplémentaires dans 3 pavillons en forme de manivelles, l’ergothérapie se dote de ses premiers locaux spécifiques. « En fonction du degré d’autonomie et de la pathologie des malades », des activités « manuelles (ateliers de ferronnerie, bois, électricité…) » et « des petits travaux de confection (rémunérés)9 » y sont proposés aux patientes volontaires. Ils sont construits en béton et en brique pour héberger rapidement l’ergothérapie.

PARCHAPPE, Des principes à suivre dans la fondation et la construction des asiles d’aliénés, op. cit., p.183 1,2,3

BONNAFE, Extraits d’une lettre à son collègue Paul Bernard, op. cit. 4

PARCHAPPE, Des principes à suivre dans la fondation et la construction des asiles d’aliénés, op. cit., p.183 5

de MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.29 6,7,8

BACLET, Michelle, entretien épistolaire avec Paul de Greslan, le lundi 24 avril 2017 9

Ci-contre : Local d’ergothérapie entre deux pavillons « classique » de Morin-Goustiaux, photographie prise par Sophie Mutschler, le 21/01/2016 © Atelier Lion associés

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Ces locaux s’intègrent méticuleusement au cœur des ailes « classique » et « village » par leur architecture et leur disposition attentive. Certaines activités prennent au contraire place dans des constructions existantes. Le pavillon « village » n°53 de l’ex-service des hystériques est par exemple reconverti en local d’ergothérapie. Appelé Atelier du Non Faire et crée par Christian Sabas en 1983, il est à dédié à l’expression corporelle à travers les arts plastiques et la peinture. Avec trente ans de fonctionnement et près de 8 000 œuvres produites, cet espace permit aux patients de manifester plastiquement une tourmente mentale aux nombreux visages1. De même, la salle des fêtes est utilisée comme cinéma-théâtre dont les artistes sont les patientes, et le réfectoire de l’aile « village » en local d’ergothérapie multiusages. Ci-contre : Intérieur du NonFaire, photographie prise par Juliette Lafitte, le 13/11/2013 © Atelier Lion associés

Voir à ce sujet le reportage Arte Journal « Sauver les peintures de l’atelier du « Non Faire ». Cet ouvrage documente à la fois l’intérêt d’un tel programme mais aussi les dangers auxquels il est confronté avec le projet immobilier Maison-Blanche. FOSSARD, Ludovic et CLERE, Guillaume, le 2 janvier 2016 (consultation le 21/01/18) https://info.arte.tv/fr/sauver-lespeintures-de-latelier-du-nonfaire 1

de MONTLIBERT, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, op. cit., p.34 2

DENIKER P., « Qui a inventé les neuroleptiques ? » Confrontations Psychiatriques, 1975, n°13, p. 7-17 3

Ci-dessous : étuis original de Largactil, Psychiatrie.histoire (consultation le 21/10/2017) http://psychiatrie.histoire.free.fr/

À Maison-Blanche, la conception des locaux d’ergothérapie rend donc un hommage respectueux aux deux modèles architecturaux de l’asile, et témoigne d’un renouement avec la considération du bien-être des patientes. Cependant, ce moment de « bienveillance architecturale » n’est que de courte durée et bientôt le développement du traitement chimique rend tout effort spatial superflu.

L’apparition des psychotropes neuroleptiques

C’est dans le creuset des sciences humaines qu’allait se développer cette nouvelle alchimie sociale où l’intériorisation des contraintes, en structurant les cadres de la pensée et de l’action en douceur remplaçait l’imposition brutale.2 Les années cinquante voient l’invention des premiers médicaments psychotropes neuroleptiques3, avec la chlorpromazine, découverte par Henri Laborit en 1951 et commercialisée sous le nom de Largactyl.

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Étymologiquement « calmant les nerfs1 », les neuroleptiques ont des effets tranquillisant et anti-délirant si important que le surnom imagé de « camisole chimique » leur est attribué. Leur impact dans le monde psychiatrique est sans précédent. Si jusqu’alors le psychiatre n’avait d’autre choix que de rivaliser d’architecture, de grand air et d’activités ludiques ou sportives pour capter et canaliser l’esprit du patient en évitant les manifestations violentes de ses troubles psychiatriques, l’avènement de la pharmacopée rend tout à coup ces attentions bien accessoires en neutralisant chimiquement. L’enfermement ainsi intériorisé met pour la première fois hors d’état de nuire les malades, et leur prise en charge physique n’est soudain plus un enjeu de sécurité publique. Les éloigner de la ville et de la société n’est plus primordial, ce qui transforme radicalement l’intérêt accordé à l’asile-hôpital psychiatrique. Que faire d’un outil conçu pour enfermer lorsqu’enfermer est inutile ? Les neuroleptiques arrivent à Maison-Blanche à partir des années 1970, bien après leur première commercialisation française. La population internée est maximale. 3500 malades sont contenus entre les murs d’enceintes de l’hôpital psychiatrique, entassés dans les différents pavillons. Dans ce contexte extrême, et alors que l’hôpital continue de fonctionner machinalement, l’arrivée de ce traitement offre d’abord à tous une grande respiration. Pendant l’entre-deux-guerres, la surpopulation de Maison-Blanche contraint à abandonner la séparation des patientes suivant des principes nosographiques. Les patientes ainsi mélangées, sans égard à leurs pathologies respectives, cohabitent difficilement et les surveillantes doivent régulièrement recourir à l’usage de « camisoles, médicaments, injections de calmants, isolement2 » pour maintenir l’ordre. Les neuroleptiques, en shootant les malades excitées, apaisent fortement le climat sous tension régnant à l’intérieur des pavillons. De la même façon, ils permettent l’introduction tranquille de la mixité de genres des patient.e.s et des soignant.e.s. Une cohabitation pacifique se met en place et vient soulager le travail du personnel encadrant. Par ailleurs, l’utilisation de ces médicaments autorise des « sorties dans les jardins des pavillons et ensuite dans les parcs internes à l’hôpital [...] de plus en plus fréquentes3 », celles-ci n’étant normalement réservées qu’aux plus calmes des patient.e.s. Ces sorties sont d’un double effet : d’un côté, elles réduisent l’encombrement des pavillons et participent à l’amélioration des conditions de vie. D’un autre côté, elles permettent aux patient.e.s de jouir d’un degré de liberté inédit en décidant de leurs déplacements dans l’hôpital et en développant des interactions sociales. Ce faisant, elles offrent aux soignant.e.s une occasion nouvelle d’observer le « comportement hors pavillon des patientes4 ».

Neuroleptique, de « neuro- » (qui a trait aux nerfs, nerveux) et « -leptique » (qui affecte en calmant, dérivé du grec « saisir ») Il faut donc garder à l’esprit que ces médicaments ne sont aucunement curatifs, et n’ont qu’un effet symptomatiques, en agissant sur les conséquences plutôt que sur les causes des troubles psychiatriques. 1

BACLET, Michelle, entretien épistolaire avec Paul de Greslan, le lundi 24 avril 2017 2

3,4

Ibid.

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Il aura donc fallu attendre soixante ans et l’utilisation de calmants chimiques pour permettre à Maison-Blanche de mettre en place un système équivalent à celui de l’Offen-Tür (portes ouvertes) allemand, à partir duquel avait pourtant été rêvée l’aile « village ».

III/2 TERREAU DE L’OBSOLESCENCE DE MAISON-BLANCHE

Les neuroleptiques, en mettant hors-jeu sur les plans pratique et économique la question architecturale comme moyen d’influencer le comportement des patient.e.s, ouvrent le champ libre à une politique d’hébergement dégagée de toute responsabilité spatiale.

La condition économique et la surpopulation

La crise de surpopulation que connaît Maison-Blanche au tournant des années soixante-dix ne lui est pas singulière. En France, une grande partie des hôpitaux psychiatriques la subit d’une manière similaire. La raison est claire: « les maladies psychiatriques ne débouchent/débouchaient que très rarement sur un diagnostic permettant aux patients de se réinsérer dans la société civile1 ». Faute de disposer d’autres endroits où les transférer, il faut donc les garder au sein de l’hôpital psychiatrique et c’est ce déséquilibre entre les entrées et les rares sorties qui encombre le milieu asilaire au-delà du raisonnable. La courbe ascendante du nombre de malades interné.e.s ne s’infléchira qu’avec le développement d’offres de soin alternatives à l’internement asilaire. Sur la quasi-totalité des hôpitaux psychiatriques français concernés par la sur-occupation et le manque de moyens économiques, beaucoup se résolvent à l’emploi d’une même solution pour y faire face : les préfabriqués. Le cas de l’asile de Lesvellec dans le Morbihan est révélateur de cette situation nationale :

BACLET, Michelle, entretien épistolaire avec Paul de Greslan, le lundi 24 avril 2017 1

De l’asile de Lesvellec à l’Établissement Public de Santé Mentale Morbihan, 100 ans d’histoire de la psychiatrie morbihannaise, EPSM Morbihan, 2013, p.38 2

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Au début de 1965, malgré tous les efforts, la surpopulation est telle qu’il faut trouver rapidement une solution. Avec l’accord des autorités de tutelle, un contrat est passé pour la construction de deux pavillons préfabriqués de 28 lits chacun pour les hommes et les femmes. En 1967, le surencombrement persistant, deux nouveaux pavillons préfabriqués identiques aux précédents sont installés. Construits en dépannage pour quelques courtes années, leur utilisation va durer au-delà du raisonnable puisque le dernier de ces quatre pavillons n’a pu être fermé qu’en 2009.2


De la même façon une extension de Maison-Blanche et Ville-Evrard est décidée en 1961. 17 bâtiments préfabriqués sont construits en 1969, dont 10 uniquement à Maison-Blanche. En périphérie de l’hôpital existant sur 13,1 hectares agricoles acquis pour l’occasion, ces nouveaux pavillons (8 pour adultes et 2 pour enfants) hébergent 50 patient.e.s chacun, soit 500 lits supplémentaires1. Ils introduisent une conception du milieu hospitalier radicalement distincte du reste de l’hôpital.

Ci-contre : Bâtiments en « Patio » préfabriqués ajoutés en périphérie Nord et Ouest de l’asile de Maison-Blanche

Les patios : vers une introversion de la psychiatrie La conception urbaine de l’ensemble des pavillons en patio diffère largement de tout ce qui existe à Maison-Blanche. Pour la première fois, le caractère piéton de l’espace hospitalier est remis en cause. Alors que partout dans le reste de l’hôpital, la conception d’espaces piétons qualitatifs et détachés des voies carrossables fait l’objet d’une attention accrue, par exemple pour les galeries piétonnes de Morin-Goustiaux, aucun cheminement piéton spécifique n’est réalisé dans cette partie. Pire encore, les voies carrossables ne sont pas même équipées de trottoirs. Dès lors, toute circulation piétonne se fait directement sur la chaussée, ce qui rend les déplacements des patient.e.s hors pavillons difficiles voire dangereux eu égard au passage fréquent d’automobiles.

« La construction de l’ « asile » de Maison Blanche », « Un peu d’histoire », CH Maison-Blanche (consultation le 29/10/17) http://www.ch-maison-blanche. fr/Etablissement/Un-peu-dhistoire 1

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Ci-dessous, à gauche : Relation de l’entrée principale d’un pavillon à patio avec la voirie. Aucun seuil ne n’est aménagé pour le piéton : les voitures sont garées jusque sous le porche d’entrée. Par ailleurs, la façade sur voirie est très opaque, voire défensive. Sevak Sarkissian, le 28/05/2015 © Ateliers Lion associés Ci-dessous, à droite : Vue d’un patio de Ville-Evrard, identique à ceux de Maison-Blanche. Alors que quelques haies verdissent le sol goudronné, la seule perception de l’extérieur se résume à celle des peupliers d’Italie doublant le mur d’enceinte de l’hôpital. L’institut de formation des cadres de santé (consultation le 229/10/17) http://ifsi-ifcs.eps-ville-evrard.fr

L’observation du traitement paysager renforce cette analyse. Nous avons vu que dans les ailes « classique » et « village », un arbre est planté par malade hébergé. Ces nombreux arbres, d’une cinquantaine d’espèces différentes, participent d’un même intérêt pour la qualité des espaces paysagers de l’hôpital, en correspondance directe avec la volonté romantique de renouer avec la Nature. À l’inverse, les arbres plantés autours des pavillons en patio sont rares et dispersés : moins d’un arbre pour dix patient.e.s. Certes, un espace extérieur délimité par des clôtures grillagées est accolé à chaque pavillon, mais composé d’une pelouse rase et sans ombre, il n’est que d’un agrément très limité. De ces faits, tandis que dans les autres secteurs l’introduction des neuroleptiques permet aux malades de jouir des jardins et parcs extérieurs, la conclusion ici est des plus tragiques : rien n’est conçu pour la sortie des malades.

L’architecture de ces bâtiments manifeste en elle-même une telle vision du milieu hospitalier. Les patios en sont une représentation flagrante. Tout d’abord, leur surface est extrêmement exiguë eu égard au nombre de patient.e.s interné.e.s : 420 m² pour 50 individus soit 8,4 m² par patient. C’est plus de deux fois inférieur aux cours de l’aile « classique », et près de quatre fois inférieur à celles de l’aile « village ». Ensuite, là-où ces dernières sont végétalisées et en contact avec les parcs communs, cellesci sont goudronnées et complètement encloses par l’architecture. Enfin, le contraste entre les ouvertures intérieures et extérieures est sans équivoque. À titre d’exemple, l’étude du taux d’ouverture des façades sur la longueur du pavillon 38 démontre que la façade côté patio est près de trois fois plus ouverte que celle donnant sur l’extérieur. Les baies sont effectivement à la fois bien plus hautes (toute hauteur : 2.5m contre 1.5m) et près de deux fois plus nombreuses.

Entrée

80


Hauteur

Longueur

Nombre

Surface (m²)

Façade intérieure Baies intérieures Pourcentage d'ouverture (%)

3,2 2,5

30 1,35

1 18

96 60,75 63,3

Façade extérieure Baies extérieures Pourcentage d'ouverture (%)

3,2 1,5

58 1,35

1 20

185,6 40,5 21,8

L’usage de la ventilation mécanique, rendue nécessaire par la forte profondeur des pavillons (jusqu’à 17 mètres par endroits) ainsi que la climatisation permettent même de s’affranchir totalement du climat extérieur. En somme, la généralisation des techniques regénératives1, en plus de défigurer la cinquième façade des pavillons, accentuent encore la rupture avec le reste du milieu hospitalier, et plus largement, avec le monde. En outre, elles figent le bâti en l’état et conditionnent fortement toute possibilité d’évolution. Michelle Baclet, infirmière à Maison-Blanche de 1957 à 1988, apporte un éclairage à une telle conception : l’objectif est de « construire vite et pas cher ». Le personnel soignant n’est d’ailleurs pas consulté pour « donner son avis sur telle ou telle disposition à mettre en œuvre2 », signant de fait la fin du binôme architecte/psychiatre et la fin de l’hôpital comme « expression d’une pensée médicale3 », au profit du couple technicien/comptable. Il en résulte une inadaptation des surfaces intérieures communes jugées « trop petites » et donc un renforcement des tensions entre patient.e.s et soignant.e.s.

Les effets de la conception de ces bâtiments sont étonnamment jumeaux de ceux de l’introduction du traitement chimique, via les neuroleptiques, sur les modalités de prise en charge des patient.e.s. Les constructions spatialisent, par la typologie du patio, le nouveau paradigme de l’enfermement. Aussi sûrement que les malades, dorénavant contraint.e.s à l’intérieur de leur propre esprit, n’ont accès à la réalité qu’à travers le filtre de cette camisole chimique qui les anesthésie, les patios se détournent du monde extérieur pour n’offrir qu’un monde en soi, contenu dans la forme architecturée des pavillons et dans l’étendue visible depuis les rares fenêtres périphériques. Aux prémices de la politique de sectorisation, le dernier grand volet de l’histoire de la spatialisation de la psychiatrie à Maison-Blanche propose paradoxalement sa vision la plus extrême et séquestrante. Cette situation est si caricaturale que les soignant.e.s eux-mêmes préféreront travailler dans les pavillons « classiques » ou « villages » plutôt que dans ceux en patio4.

Ci-dessus, à gauche : Tableau de comparaison de l’ouverture des façades du patio et extérieure sur le long côté du pavillon 58, effectué par Paul de Greslan Ci-dessus : Ce pavillon, comme tous ceux de sa typologie, focalise la majorité de ses interactions avec l’extérieur dans son patio. Vue aérienne orthophotographique du pavillon 58, datant de 1983 © Géoportail

Le terme « regénératif » est ici emprunté à Reyner Banham, dans l’architecture de l’environnement bien tempéré. Ce dernier oppose trois « modes » de contrôle du climat intérieur : « Conservatif », « Sélectif » et « Regénératif ». Contrairement aux deux premiers, le « mode regénératif » se base essentiellement sur des éléments techniques pour contrôler et réguler le climat artificiellement, tels que la climatisation ou la ventilation mécanique. The University of Chicago Press, 1964. 1

BACLET, Michelle, entretien épistolaire avec Paul de Greslan, op. cit. 2

FALRET, Henri, De la construction et de l’organisation des établissements d’aliénés, op. cit., p.82 3

BACLET, Michelle, entretien épistolaire avec Paul de Greslan, op. cit. 4

81


L’hypothèse de la réhabilitation, entre espoirs et moyens

Ci-dessus : Plan de la structure originelle et de l’extension du pavillon n°43. Echelle 1.300

BACLET, Michelle, entretien épistolaire avec Paul de Greslan, op. cit. 1

« Une galerie pour relier : hôpital de maison-blanche, extension et réhabilitation de l’unité de soins 43 », Architecture intérieure, CREE, n°266, juilletaoût 1995, p.112-113 1

Ci-dessous, à gauche: Vue de la cour du pavillon, sur la façade raccordant l’architecture originelle et l’extension. Ci-dessous, à droite : Vue de l’escalier de secours, jouant astucieusement d’un appendice existant.

L’analyse critique des préfabriqués en patio et de leur urbanité soulève la question de la réhabilitation, en contrepoint de la construction neuve. En effet, alors que les pavillons « classiques » et « villages » ont « toujours permis de dispenser les soins dans de bonnes conditions1 », certains n’accueillent déjà plus de patient.e.s, ouvrant le champs libre à leur réutilisation en les adaptant aux nouvelles techniques thérapeutiques. Bien que conçu vingt ans plus tard, la transformation du pavillon 43 forme un bon cas d’étude pour mesurer la faisabilité de cette réutilisation. En 1990, le CHS Maison-Blanche lance un concours pour réhabiliter un pavillon. Les architectes Delaittre, Crosnier, Besson et Sogno, non lauréats, retiennent néanmoins l’attention de l’administration en mettant « en avant le besoin d’intimité » et en proposant « un concept de façade épaisse en bois, intégrant au verso des éléments de mobilier1 ». Aussi, on leur attribue le pavillon 43 pour mettre en pratique leurs idées, dès 1993. Pour préserver le nombre de lits tout en remplaçant les dortoirs par des chambres simples, et ajouter les nouveaux programmes, la salle de jour est démolie, et une extension en structure filaire acier et remplissage bois épaissi de cinq mètres l’aile Sud et l’allonge de quatorze. Les piliers, détachés des façades, se succèdent au rythme des chambres et forment une exostructure portant l’étage et la toiture courbée. La majorité des chambres sont abritées derrière, profitant de cette nouvelle épaisseur du bâti. Le raccord entre l’architecture originale et sa transformation est finement travaillé. La façade de l’étage d’origine est creusée pour permettre d’accueillir les mêmes chambres que l’extension et de prolonger la file de piliers. Elle exprime aussitôt finement l’histoire de ce pavillon transformé mêlant différents styles architecturaux et modes constructifs, et augmente d’autant son intérêt architectural. Malgré toutes les qualités que présente l’importante réhabilitation du pavillon 43, elle fait pourtant figure de curiosité au sein du patrimoine bâti de Maison-Blanche.

Extension

82

Original


Les pavillons « classiques » et « villages » encore en fonction ne font ainsi les frais que de légers réaménagements intérieurs à grand renfort de cloisons « placo » sous-divisant les dortoirs en chambres. Or les caractéristiques intrinsèques de ces bâtiments (faible profondeur et importante hauteur sous plafond) obligent à une action de restructuration plus substantielle, à l’instar de celle du pavillon 43, pour atteindre l’efficacité spatiale recherchée. Plusieurs motifs expliquent la singularité de l’expérience du pavillon 43. Tout d’abord, alors que les préfabriqués sont économiques et construits de façon rationnelle sur la base de 2 modèles répétés (à patio unique: 1290 m² ou à deux patios : 1500m²), la réhabilitation recquière une attention poussée à la grande diversité des dizaines de pavillons existants (en particulier dans l’aile « village »). Elle nécessite pour celà un coût d’opération non négligeable : 9,915 millions de francs pour le pavillon 431. Cet aspect financier est doublé d’une raison purement pragmatique ; l’hôpital étant en fonctionnement, il est par conséquent plus aisé de bâtir en périphérie que d’ouvrir des chantiers dans les ailes originelles, dont les effets nuisibles (« bruit, poussière,... ») auraient un impact pénible pour les patient.e.s et leurs soignant.e.s2. À Maison Blanche, la construction de nouvelles surfaces va donc de pair avec l’abandon d’autres. Cette conjoncture plonge peu à peu l’E.P.S.M3 dans un état paradoxal mêlant délaissement et sur-occupation. Son paroxysme correspond à l’application nationale de la Sectorisation à l’automne 1971.

III/3 SECTORISATION : LA FIN DE « L’ASILE DE CAMPAGNE » ET L’ABANDON DE MAISON-BLANCHE

La sectorisation est annoncée par la circulaire du 15 mars 1960. Elle est permise par l’invention du traitement « chimique » et portée par l’engagement au long cours de Lucien Bonnafé et du reste des psychiatres désaliénistes, dont ceux de l’hôpital de Saint Alban. Son objectif : diviser les départements en secteurs de 70 000 âmes et y affecter une même équipe médicale, pour assurer « la continuité indispensable entre le dépistage, le traitement sans hospitalisation quand il est possible, les soins avec hospitalisation et, enfin, la surveillance de postcure4 ». Sous-entendant la volonté de conserver les malades dans leurs milieux sociaux, elle engage une politique de rupture avec la logique concentrationnaire du milieu asilaire. L’envergure des transformations préalables à accomplir pour son fonctionnement (sur les plans législatifs, architecturaux, administratifs et en ressources humaines) est telle que sa mise en place nationale ne se fait qu’à partir des années soixante-dix.

Soit 1095 €/m², ce qui, au cours du Franc en 1993, est du même ordre de grandeur que la construction des préfabriqués. « Une galerie pour relier : hôpital de maison-blanche, extension et réhabilitation de l’unité de soins 43 », Architecture intérieure, op. cit. 1

D’après Michelle Baclet, entretien épistolaire avec Paul de Greslan, op. cit. 2

Le Centre Hospitalier Spécialisé (CHS) devient Etablissement Public de Santé Mentale (EPSM) par la loi de réforme hospitalière du 31 juillet 1991, motivée par des raisons d’opinion publique. (consultation le 01/11/2017) https://fr.wikipedia.org/wiki/ Établissement_public_de_ santé_en_France 3

Circulaire relative au programme d’organisation et d’équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales, 15 mars 1960. (consultation le 02/11/2017) http://psychiatrie.histoire.free.fr/ legisl/sector/1960.htm 4

83


Le retour à la ville, du milieu asilaire au milieu de vie La politique de sectorisation prône la préservation des malades au sein de leur quotidien. Plus qu’une désolidarisation d’avec le lieu de l’asile, c’est en fait une volonté de prise en charge dynamique, en mettant à profit le milieu social du patient comme support et levier thérapeutique. Elle s’appuie sur une transformation de la représentation sociale de la folie vers les maladies psychiatriques, étayée à la fois par une meilleure connaissance de ce qu’elles sont et par le développement des neuroleptiques. Selon Magaly Coldefy :

Le consensus se fait donc autour d’une mission propre au désaliéniste : mettre la société en position de tolérer les objets qu’elle rejette, au lieu de les prendre en tutelle.1

COLDEFY, De l’asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France, op. cit., p.153 1

BRISSET, Charles et MIGNOT, Hubert, Comptes-rendus des Journées psychiatriques de 1967, dans Livre Blanc de la Psychiatrie Française, 1967, p.27 2

Référence à Misoufle A. , Architecture et santé mentale. Vers la transformation d’une maison bourgeoise en accueil de jour. Mémoire pour le diplôme d’architecte, École d’architecture de Strasbourg, 1986, dans de MONTLIBERT, Christian, L’impossible autonomie de l’architecte, op.cit. , p.29

Pour ce faire, le psychiatre agit « dans le milieu et parfois sur le milieu2 », faisant du facteur humain en lui-même un agent thérapeutique. Les relations entre l’individu souffrant de troubles psychiatriques et son entourage, la construction d’une vision du monde et d’un positionnement personnel sont autant de moteurs utilisés pour préparer la réinsertion, accessibles uniquement dans un contexte d’ouverture et de disponibilité. Ainsi, le travail de médiation sociale est approfondi hors les murs de façon plus intimiste : « la psychologisation se transforme en psychanalyse, le sport devient technique de relaxation, l’ergothérapie évolue vers le maniement de matériaux plus naturels3 ». Pour permettre la concrétisation de cette politique, des nouveaux programmes relocalisent la psychiatrie au plus proche du milieu de vie des habitants dépendants d’un secteur. Centres médico-psychologiques, hôpitaux de jour, unités de soins spécifiques, ateliers thérapeutiques, foyers postcure ou encore structures d’addictions, entre autres, sont autant de sites essaimés au sein du secteur pour encourager la proximité et l’accessibilité des soins. La distribution et la diversification de l’offre psychiatrique, par opposition avec la centralisation asilaire, vise un dessein unique. Pauline Rhenter écrit : Dé-spécifier le milieu de soins, tel est l’objectif assigné au secteur.4

3

RHENTER, Pauline, De l’institutionnel au contractuel : psychiatrie publique et politiques de santé mental en France (19452003), Université Lumière Lyon 2, Ecole doctorale des Sciences Humaines et Sociales, 2004 4

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À cette dé-spécification du milieu psychiatrique répond implicitement sa dé-spatialisation, engageant la mort de l’utopie asilaire. Le quotidien prend naturellement la place dans le fil de l’histoire d’autres notions supposées un jour indispensables pour un bon rétablissement : l’ordre à l’époque « classique » puis la relation sociale dans l’expérience « village ». Cependant, malgré les volontés louables portées par la sectorisation, elle semble dès le début se heurter à l’évolution des modes de vie de l’après-guerre.


Développée à Saint Alban pendant la Seconde Guerre Mondiale, la sectorisation est basée sur un schéma de relations sociales au sein d’un village dans une société agricole, qui, s’il n’est déjà plus applicable partout en France dans l’entre-deux-guerres, est définitivement brouillé par l’aprèsguerre. Selon Magali Coldefy, « l’exode rural a amené depuis moins d’un siècle beaucoup de populations dans les villes et a considérablement complexifié les relations sociales des individus1 », mettant ainsi à mal la notion de « tissu social » dans lequel s’ancre le secteur. De plus, le développement conjoint des transports à grande vitesse et des techniques de communications à longue distance, avec la téléphonie, la télévision puis le satellite de télécommunication, permet au réseau social de s’étirer et de se dissocier bientôt complètement du milieu géographique. François Tosquelles, collègue à Saint-Alban et proche de Bonnafé, s’interroge déjà : Je me suis demandé, dans un procès autocritique, si cette notion de secteur n’était pas une conception qui était valable seulement disons dans la Catalogne de 1934 ou même dans la France d’avant guerre, c’est à dire lorsque le milieu paysan pesait d’un poids réel dans la structure des rapports de production.2

Et d’ajouter :

Autant dans les dispensaires qui ont été créés en Lozère en 1941, je savais à peu près ce que je faisais, autant par exemple quand je me suis occupé d’un dispensaire à Melun, alors là j’ai jamais su ce que j’y foutais, en dehors du fait que je prescrivais du Largactyl et que j’y héritais d’un certain nombre de scotomisations. Jamais je n’ai pu soigner quelqu’un dans un dispensaire classique à Melun.3

La confrontation avec la réalité sociale de la deuxième moitié du XXe siècle est doublée par des modalités techniques de définition des secteurs. À l’ambition clinique initiale se surimposent rapidement des logiques géographico-mathématiques (70 000 habitants par secteurs), administratives, et parfois même carriéristes. La majorité des psychiatres souhaitent effectivement disposer dans leur secteur d’un « morceau de la ville » ou d’un « pied à l’hôpital4 » pour ne pas être délégué « à la campagne », loin de toute décision. Ils influencent l’administration et forment en ce sens une composante décisive du découpage de la sectorisation. Loin est l’ambition sociale bienveillante à l’origine de cette politique. Cette situation est particulièrement vraie en Île-de-France, et notamment pour l’E.P.S.M Maison-Blanche. Une caractéristique intrinsèque porte en effet le coup de grâce à son site asilaire de Neuilly-sur-Marne.

COLDEFY, De l’asile à la ville..., op. cit., p.156 1

2

Ibid., p.169

TOSQUELLES, François, in FOURQUET & MURARD, « Histoire de la psychiatrie de secteur », op. cit. 3

COLDEFY, De l’asile à la ville..., op. cit., p.178 4

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La fin de l’asile et l’abandon du site de Neuilly-sur-Marne

FAVEREAU, Éric, « MaisonBlanche: un hôpital qui cherche asile », Libération, 19 avril 2003 1

COLDEFY, De l’asile à la ville ... op. cit., p.231 1

2

Ibid. p.236

Daumézon, cité dans Fourquet & Murard, 1980, chap. 3 3

« Présentation de l’E.P.S Maison Blanche », Hôpital Maison Blanche (consultation le 03/11/2017) www.ch-maison-blanche.fr/ 4

Ci-dessous : La situation des secteurs de Maison-Blanche vis-à-vis de l’hôpital de rattachement, à Neuilly-surMarne. Figure 42 extraite et modifiée de COLDEFY, De l’asile à la ville ..., op. cit., p.241

Partout en France, les sites des asiles départementaux restent souvent en fonctionnement (comme hôpitaux centraux d’hospitalisation)et deviennent les points de bases déterminants - dits « hôpitaux de rattachements » - à partir desquels se déploie la politique de sectorisation. Certaines situations multiplient pourtant les difficultés. C’est le cas de Maison-Blanche, considérée comme « la plus importante restructuration de la psychiatrie française1 » des années quatre-vingt-dix et deux-mille, et vraisemblablement la plus compliquée. L’origine de son fonctionnement explique cette particularité. À la fin du XIXe siècle, Maison-Blanche est conçu pour recevoir les malades parisiennes distribuées arbitrairement après un passage à l’asile central de Sainte-Anne, de la même façon que l’asile de Perray-Vaucluse1. Aucune aire géographique ne lui est donc spécifiquement attribuée. Plus tard, pour répondre au développement de la rotation des malades sans nécessairement passer par Saint-Anne et à l’apparition des neuroleptiques, des « aires de recrutement2 », prémices des secteurs, sont informellement fixées par des « petits arrangements entre amis3 » entre le médecin des Hôpitaux psychiatriques de la Seine et les psychiatres médecins-chefs des différents hôpitaux-asiles franciliens. Maison-Blanche hérite ainsi du quart Nord-Est parisien, et c’est tout naturellement que cet héritage est réutilisé lors de la définition des secteurs en 1971. Les 8e, 9e, 10e, 17e, 18e, 19e et 20e arrondissements, soit une population de plus de 710 000 habitants et donc 10 secteurs4, sont alors officiellement rattachés à un site hospitalier basé à plus 15 km de là. De cette conjoncture peu commode résultent deux conséquences opposées : d’un côté, et le « processus de désinstitionnalisation » les plus poussés de France, d’un autre, l’abandon d’un site asilaire.

Asile de Maison-Blanche

H Sites d’hospitalisation intra-muros

Limites psychiatriques de Paris Limites de l’E.P.S.M Maison-Blanche

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Bien que des structures alternatives se développent intra-muros à partir des années 1970, c’est bien à Neuilly-sur-Marne que sont hospitalisés les malades (de 3000 en 1970 à 500 en 19951) jusqu’en 1998. À cette date ouvre le premier site d’hospitalisation de Maison-Blanche à Paris, la clinique Rémy de Gourmont implantée sur la Butte Bergeyre dans le 19e arrondissement. Cette nouvelle structure donne corps à la décision du Conseil d’Administration en 1996 de transférer progressivement tous les lits sur Paris, sous la direction de Patrick Mordelet et sous-pression de la Fédération des associations de malades mentaux. C’est ensuite au siège de l’établissement de déménager au pied du cimetière du Père Lachaise en 1999. Enfin, un calendrier voit se succéder les constructions de nouvelles unités d’hospitalisation², retirant définitivement au site asilaire toute fonction thérapeutique. L’E.P.S.M Maison Blanche est un des seuls établissements à se détacher presque entièrement de son site d’origine et à répartir ses structures d’hospitalisations dans la même logique de proximité que ses autres programmes de prise en charge3. Le transfert des compétences hospitalières vers Paris oppose néanmoins les patient.e.s aux soignant.e.s. Les premiers semblent adhérer immédiatement aux nouveaux sites, à la construction desquels ils ont apporté un soutien décisif. Le manque d’espace extérieur est pallié par la qualité d’une structure « proche de leur domicile, accessible aux familles et aux amis, et moins stigmatisant que le site de Neuilly-sur-Marne4 ». La clinique ne ressemble pas à un hôpital psychiatrique, ce qui rend la réalité plus présentable au visiteur familier.5

L’aspect dévalorisant, reproché à Morin-Goustiaux par le docteur Sérieux au début du XXe siècle, réapparaît donc un siècle plus tard. Les critiques ne font d’ailleurs pas de différence entre « classique » ou « village ». La gravité architecturale et la position centrale de l’administration joue sans doute beaucoup dans cette vision englobante du site. De leur côté les psychiatres, majoritairement opposés au retour intramuros, entrent en grève et bloquent le transfert. Leurs motifs sont à la fois le manque de moyens attribués pour réaliser cette évolution sereinement, mais aussi la réalité de malades psychiatriques « dans des situations dont ils doivent être soustraits6 ». Pour ceux-là, à qui la ville « est totalement contre indiquée », l’intérêt du site de Neuilly est évident. Parce que soit, on les garde bien, chimiquement isolés dans une petite chambre à Rémy de Gourmont, soit, on fait d’autres choses qui demandent beaucoup plus de personnel et de temps. Il s’agit de soigner autrement avec des activités et de la place. C’est pourquoi il faut garder une unité d’hospitalisation aérée où les gens peuvent circuler, faire du bruit et où on ne gêne pas un voisin râleur.7

Ci-dessus : Trois couvertures de presse titrant sur la longue transformation de MaisonBlanche. En haut : Libération, 23 septembre 1993 Au milieu : Métro, septembre 1996 En bas : Libération, 19 avril 2003

COLDEFY, De l’asile à la ville ... op. cit., p.246 1

FAVEREAU, Éric, « MaisonBlanche: un hôpital qui cherche asile », Libération, 19 avril 2003 2

COLDEFY, De l’asile à la ville ... op. cit., p.246 3

« Maison Blanche : une restructuration en devenir », Mission Nationale d’Appui en Santé Mentale, Pluriels, 2000, n°24, p.1-17 4

Usager cité par BATAILLE, P., SAUVAYRE, A., SALCEDO, H., OHANA, J., L’ouverture d’un hôpital psychiatrique de proximité à Paris : l’expérience de la clinique Rémy de Gourmont, 2000 5

Psychiatres anonymes interviewés. Ibid. 6,7

87

B j m a N C


Ces arguments entendus ont motivé la création d’une unité d’hospitalisation de longue durée sur le site asilaire, dans un groupe des pavillons en patios à l’Est. Les patient.e.s affilié.e.s incurables y sont encore aujourd’hui hebergés, ce qui leur permet d’accèder librement aux espaces extérieurs. Néanmoins, le développement du projet urbain du Grand Paris par Ateliers Lion associés ne manquera pas de poser de nouvelles difficultés de cohabitation.

Une des explications du retrait de l’asile par l’E.P.S.M réside enfin dans son propre mode de financement, comme mis en lumière par Magaly Coldefy. Au cours du déploiement de la sectorisation dont l’objectif est, nous l’avons vu, de limiter le recours à l’hôpital par d’autres types de structures, le budget attribué aux établissements reste indexé aux nombre de journées d’hospitalisations1. Dès lors, Maison-Blanche, asphyxié d’un côté par une législation le contraignant à développer sa prise en charge dans Paris et de l’autre par la nécessité de trouver l’économie suffisante pour pallier la perte du nombre d’hospitalisations, est poussé à un sacrifice sans précédent : abandonner son site asilaire au profit d’un nouveau milieu psychiatrique, la ville.

COLDEFY, De l’asile à la ville ... op. cit., p.327 1

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L’ATOMISATION DE L’ASILE, LA VICTOIRE DU QUOTIDIEN L’hécatombe de la Seconde Guerre Mondiale met sur la place publique les insoutenables conditions de détentions des patient.e.s, et forge une volonté partagée de réformer le milieu psychiatrique français. Cette volonté prend, à travers l’insurrection désaliéniste, un caractère social donnant de l’importance aux relations des malades comme supports pour conjurer leur isolement. Sa concrétisation passe d’abord par l’ergothérapie, l’activité comme traitement. En déplaçant la relation purement thérapeutique du patient au soignant vers une relation horizontale entre animateur et participant, c’est l’ensemble des rapports au sein du milieu hospitalier qui s’en trouve bouleversé. L’introduction des médicaments neuroleptiques joue aussi un rôle crucial dans l’amélioration des conditions de vie des patient.e.s, en leur permettant de jouir d’un degré de liberté inédit dans le milieu psychiatrique français.

L’impact de la pharmacopée est pourtant bien plus fondamental. En rendant les patients inoffensifs, c’est véritablement elle qui permet à la psychiatrie de se dé-spatialiser, et d’espérer un jour se détacher du site inquiétant de l’asile. Mais la transition prend plusieurs décennies et une énergie immensurable, et condamne en attendant la construction des formes spatiales les plus séquestrantes de la prise en charge des « fous » : les « patios ». En d’autres termes, elle provoque la disparition de la conception architecturale au profit d’un calcul technico-économique. Les « patios » n’autorisent en effet qu’une perception partielle, segmentée, et lointaine de l’extérieur et ne laissent présager aucune échappatoire - ils abritent aujourd’hui les unités de séjour de longue durée, dernières fonctions actives du site asilaire. Ces locaux apparaîssent comme n’étant que le reflet d’une confrontation entre perte d’intérêt public, crispation économique et difficultés d’usages. Ils discréditent une réhabilitation demandant plus de précaution et conduisent, par la dispersion incontrôlée du milieu hospitalier, à négliger les ailes historiques de l’hôpital. Pourtant, les malades, dorénavant inoffensifs, réintègrent bientôt la ville qui si longtemps les a craintivement tenu à l’écart. Ce retour au quotidien en tant que normalité (officialisé par la politique de sectorisation) autorise à garder les malades dans leur « milieu social » - dont on sait pourtant l’incohérence d’avec la situation sociétale de l’après-guerre. L’E.P.S.M Maison-Blanche est ainsi rapatrié intra-muros et, par une conjoncture administrative inouïe, est contraint au sacrifice de son site asilaire pour se maintenir en vie.

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L’ENSEIGNEMENT DE MAISON-BLANCHE

L’architecture au service d’une norme situationnelle


L

’asile de Maison-Blanche est un témoin majeur de la spatialisation psychiatrique en France. Ce mémoire révèle la pluralité des rapports entre architecture et psychiatrie qui y ont été développés. De la période « classique » à la sectorisation, en passant par l’expérience sociale du « village », cette étude propose et articule trois spatialisations - ultra-spatialisation, non-spatialisation et dé-spatialisation. Celles-ci sont conçues à partir de trois ensembles architecturaux et urbains, juxtaposés entre les murs de l’enceinte asilaire et extraordinairement préservés dans leurs états respectifs d’origine. Jusqu’à l’arrivée du traitement chimique avec l’invention des neuroleptiques au début des années 1950, l’architecture est le principal « agent thérapeutique » utilisé par les psychiatres pour tenter de calmer les malades. Son utilisation est plébiscitée et fait l’objet d’un fort engouement, faute d’alternative. Les grandes figures de la psychiatrie au XIXe siècle, tels que Jean Etienne Esquirol ou Maximilien Parchappe, ne rédigent d’ailleurs pas un traité sans mentionner les bons ingrédients pour cuisiner la parfaite architecture de soin. À MaisonBlanche comme ailleurs, ceux-ci sont d’abord «classiques » ; la symétrie, la répétition, l’ordonnancement et la hiérarchie organisent rigoureusement les pavillons de traitements. Ils séparent femmes et hommes, classent les pathologies, répartissent le long de galeries communes et hiérarchisent selon le degré d’agitation des patient.e.s. Ils sont la réponse logique à une vision sociétale de la folie comme « désordre » de l’esprit. En outre, la disposition « à la campagne » renforce le lien à la Nature et permet le jaillissement d’une « raison primitive », base de toute guérison. À mesure que le Romantisme remplace le Classicisme et oppose le « réel » à l’ordre « idéal » comme valeur esthétique, la vision du milieu psychiatrique évolue, initiée à Maison-Blanche par le Docteur Sérieux. Elle prend appui sur un humanisme divers et varié, par opposition à l’universalité « classique ». Dorénavant, la recette se repartit entre individualisation et la banalisation. Les pavillons forment un ensemble de composition et d’architecture pittoresques, avec pour objectif la création d’un milieu plaisant atténuant la perception de l’enfermement. Cependant, la pauvreté des moyens attribués pour la réalisation de ce modèle bat en brèche les ambitions initiales et contraint au retour à un néo-classicisme rationaliste et industriel. Lorsqu’ils sont introduits au milieu du XXe siècle, les neuroleptiques enthousiasment. En jouant le même rôle que l’architecture (apaiser les patients), tout en étant à la fois indépendant du contexte (politique, économique, sociétal, géographique) et bien moins onéreux qu’elle, ils offrent un nouvel espace de respiration à l’administration psychiatrique.

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Ils apportent pour la première fois une solution au manque chronique de moyens (financiers, spatiaux, humains) auquel est confrontée la psychiatrie depuis la création des premiers asiles. Dans un premier temps, ils discréditent les efforts faits sur les espaces de prise en charge, et relèguent l’architecture au simple statut d’abri. Les locaux conçus à Maison-Blanche à cette période sont représentatifs des maux qu’engendre un tel paradigme. Dans une logique économique écrasante, les bâtiments à patio sont en effet conçus dans le plus grand fonctionnalisme, par l’utilisation croisée du préfabriqué bon marché et des techniques regénératives. Les liens entre intérieur et extérieur y sont raréfié, et confinent les malades dans une intériorité spatiale oppressante. Dans un second temps, ces médicaments autorisent le maintien des malades, pacifiés, dans leur quotidien. La grande distance entre Paris et MaisonBlanche et la nécessité de dégager les financements suffisants pour réaliser la Sectorisation façonnent alors une situation inextricable ; l’institution est condamnée à l’abandon de son site asilaire pour s’offrir son retour en ville. À la question de la capacité de l’architecture à être un « agent thérapeutique » omnipotent, ce mémoire propose les réponses suivantes :

Premièrement, l’étude de Maison-Blanche nous enseigne que l’architecture ne dépend jamais que d’elle-même. Elle est même fondamentalement liée au contexte (économique, politique, social, humain) qui lui permet d’éclore et dans lequel elle se déploie. Aucune ambition thérapeutique (aussi inspirée, révolutionnaire ou bienveillante soit-elle) n’a réussi à se spatialiser en architecture au sein de cet asile sans qu’y soient affectés les moyens nécessaires. Or, le contexte économique de plus en plus contraint à MaisonBlanche a permis une métamorphose satisfaisante des idées en milieu qu’au tout début, lorsque Morin-Goustiaux conçoit et réalise l’aile « classique » de l’asile. Dix ans plus tard, l’échec du prototype « village » - à proposer une prise en charge ouverte - prouve qu’il n’est déjà plus possible de réussir une telle opération. L’architecture ne donne corps à la volonté du psychiatre que lorsqu’elle est supportée par un contexte favorable. Secondement, cette recherche démontre aussi qu’à Maison-Blanche, ni l’architecture, ni les neuroleptiques ne sont finalement des agents thérapeutiques. Ils sont seulement des outils (plus ou moins naturels) pour apaiser les personnes atteintes de troubles psychiatriques, mais pas des remèdes médicaux traitant ces troubles. En outre, ces outils n’ont fait appel à Maison-Blanche qu’à des jugements de valeur et de moyen pour décider l’un de l’autre, hors de tout critère scientifique. Aujourd’hui, le traitement chimique est de plus en plus remis en question, à la fois à cause de son utilisation préventive excessive et grâce au retour en force de l’architecture dans le débat psychiatrique contemporain. 94


Ainsi à Maison-Blanche, la spatialisation de la psychiatrie a été immuablement soumise à l’évolution des codes sociétaux de la normalité. En France, cette situation semble être une généralité, et ce jusqu’à un jour (peut-être ?) accepter que le « normal » n’existe pas ; qu’il y a autant de façons légitimes d’exister que d’êtres vivants. Aussi, ce mémoire pose la question de la tangibilité de la norme, sur laquelle société et architecture contemporaines reposent dans notre culture occidentale.

Afin d’étudier et de représenter ce territoire spécifique, j’ai réalisé une multitude de schémas explicatifs, qui accompagnent, illustrent et entrent en résonance avec le travail d’écriture. Ces schémas constituent une banque de figures élémentaires du milieu asilaire et forment un ressource pouvant être réutilisée à l’avenir. J’ai convoqué des images extraites des missions photographiques d’Ateliers Lion associés (auxquelles j’ai d’ailleurs participé), et les ai communiquées pour appuyer mon propos. Je suis entré en contact avec une infirmière ayant travaillé à Maison-Blanche pendant plus de trente ans, au cours desquels ont été introduits les neuroleptiques et a été mise en place la sectorisation. J’ai ainsi pu recueillir des informations sur MaisonBlanche (sur le quotidien des soignants, les conditions d’hospitalisation et de vie dans le milieu asilaire) plus authentiques qu’aucun ouvrage ne me le permettait. J’ai par ailleurs démêlé les généalogies fondatrices de Maison-Blanche, et mis en exergue les événements qui ont influencé son évolution spatiale. Ce faisant, j’ai compilé de façon inédite une histoire de la spatialisation psychiatrique allant de la fin du XIXe siècle au début du XIXe, qui jusqu’aujourd’hui ne figurait qu’en morceaux émiettés entre d’innombrables sources. Cette histoire, particulière à Maison-Blanche, permet à présent d’éclairer la lecture architecturale de l’ensemble des autres milieux asilaires en France. En cela, j’ai utilisé mes compétences d’investigation, d’analyse, de synthèse et de représentation au profit d’un travail de recherche universitaire approfondie.

Cette approche factuelle a en outre été enrichie par une approche sensible, développée dans le cadre du travail audiovisuel « une histoire de Fou ». En offrant une perception du site « sur le vif », cette vidéo montre sans détour aussi bien l’état de mort imminente (entre abandon et chantier) dans lequel se trouve Maison-Blanche que ses ambiances et l’imaginaire qui l’entoure. Elle documente ainsi une situation urbaine exceptionnelle en voie de disparition ; une urbanité en huis-clos protégée pendant un siècle par de hauts murs, en pleine péri-urbanité de petite couronne parisienne. Une quasi-ville où la nature est depuis quinze ans la seule occupante et où elle se développe librement, au grès des saisons. Cette approche est entrée en résonance avec le travail académique et lui a conféré un caractère intense et indispensable, eu égard à l’enjeu perceptible. 95


La réalisation de ce mémoire a nécessité l’appropriation de ressources dans des champs bien différents de l’architecture. Psychiatrie, philosophie, sociologie, urbanisme ou encore l’histoire sont autant de disciplines universitaires rencontrées et employées afin d’enrichir et de donner du sens à l’étude architecturale de ce territoire. Grâce à elles, ce mémoire propose une étude de la spatialisation psychiatrique prenant en considération la multitude des dynamiques contextuelles influençant la conception et l’emploi des lieux de prises en charge. Il offre un point de vue dégagé sur ce sujet, détaché autant que possible des schèmes sociétaux actuels. Par ailleurs, cette ouverture disciplinaire est un apport non négligeable à mon enrichissement personnel et contribue sans aucun doute à affiner mon regard critique. Enfin, ce mémoire a appelé un prolongement ; une question n’avait pas trouvé de réponse satisfaisante, et a nécessité un développement propre : Jusqu’à quel point un espace aussi particulier qu’un asile psychiatrique peutil influencer le comportement de celui qui le fréquente ?

Pour y répondre, un travail de récit prospectif a été invoqué, en prenant pour site l’asile de Maison-Blanche. Par sa configuration close et par la juxtaposition de milieux urbains radicalement différents, il m’a semblé être le terrain idéal pour imaginer la composante prédéterminée par l’espace du comportement humain. Un jardin à la française prédispose-t-il à l’organisation, un parc à l’anglaise à la sociabilité, et un patio à l’introspection ? Une proposition en forme de trois nouvelles est proposée dans le livret n°2 : Dissocié

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Gala-Benzin, Marionetten, 2016

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ANNEXES

Extraits de la correspondance ĂŠpistolaire avec Michelle Baclet Bibliographie



CORRESPONDANCE ÉPISTOLAIRE AVEC MICHELLE BACLET

Ci-contre : Contribution au diagnostic du patrimoine de la commune de Neuilly-sur-Marne, Département de la Seine-SaintDenis, op. cit., p.32

Infirmière à Maison-Blanche de 1957 à 1988 Le 24 avril 2017 par correspondance postale

Paul de Greslan : A quelle période avez-vous travaillé à Maison-Blanche ? Michelle Baclet : J’ai travaillé à Maison-Blanche de 1957 à 1988 Quel y a été votre métier/votre évolution professionnelle ? 1957 à 1960 : administratif 1960 à 1982 : infirmière psychiatrique 1982 à 1988 : surveillante

Avez-vous eu l’occasion de fréquenter tous les secteurs ? J’ai travaillé au sein de divers services, à savoir : • les entrants : pensionnaires arrivants qui vont être répartis dans divers pavillons suivant leurs pathologies, • les agités : pensionnaires difficiles, • divers pavillons (les semi-agités, les grands délirants, les séniles) J’ai particulièrement travaillé chez les personnes âgées (séniles…) Dans quel secteur préfériez-vous travailler dans l’hôpital ?

Plutôt les entrants car il y avait plus de diversités de pathologies. Travailler chez les entrants était plus qualitatif et médicalement mieux assisté par les internes (médecins psychiatriques). Cela devait être l’avis général des soignants, certains aimaient aussi travailler en ergothérapie mais vers les années 1970 quand cela a été créé. Comment a évolué l’usage des différents secteurs/bâtiments/unités au court de votre carrière ?

Dans chaque pavillon, les pathologies des patients étaient mélangées. Les malades les plus dangereux étaient plutôt rassemblés dans un pavillon spécifique (cellules, isolement…). Il n’y avait pas de cloisonnement en fonction de maladies spécifiques, les pathologies étaient mélangées. De mon entrée jusqu’en 1972, les patients étaient traités par des méthodes de cette époque (camisoles, médicaments, injections de calmants, isolement) et à compter de 1972 sont arrivés les neuroleptiques (camisole chimique). Par contre, ce n’est pas pour cela que les structures des pavillons ont changé et les patients étaient toujours mélangés (pas de classement par pathologie).

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Y avait-il une différence de traitement entre le secteur à la française et le secteur à l’anglaise? Pour ma part, je n’ai pas entendu ni remarqué de différences du comportement des patients qu’ils soient dans un cadre dit « à la française » ou « à l’anglaise ». Quels étaient les traitements en fonction des différents troubles psychiatriques ? Les pathologies les plus courantes des patients étaient : • des trisomiques, • des épileptiques, • des alcooliques, • les déments, (en cas de crise : isolement en cellule avec camisole en haut) • les maniaques, • les débiles, • les toxicomanes mais à partir des années 1980, La plupart des malades avaient un traitement à base de calmants et une surveillance plus ou moins permanente. Quelles évolutions marquantes avez-vous vécu dans la psychiatrie ?

Au début de ma profession, l’hôpital psychiatrique vivait en vase clos, hormis les visites des proches autorisées environ 2 fois par semaine. À l’arrivée des neuroleptiques, les malades étant moins agités, les visites sont devenues plus régulières mais toujours sous surveillance des infirmiers et dans une salle commune existante dans chaque pavillon (les malades et leurs visiteurs n’avaient pas l’autorisation de se retrouver seuls et bien sûr interdit en dehors de l’enceinte du pavillon et de sa cour interne). Par contre, comme précisé ci-avant et même depuis l’arrivée des neuroleptiques, il n’y a pas eu de pavillon dédié à telle ou telle pathologie (les patients étaient mélangés). Il est à noter qu’au début de ma carrière les hommes et les femmes n’étaient pas mélangés aussi bien au niveau des patients qu’au niveau du personnel soignant (les hommes infirmiers pour maîtriser les patients masculins). Ce n’est qu’au moment de la sectorisation vers 1972 que Maison-Blanche recevrait définitivement les malades de Paris et Ville Evrard ceux du 93 et que les pavillons devenaient mixte ( soignants/patients). Les médecins ont commencé à laisser nombre de patients sortir du pavillon (grâce aux neuroleptiques et l’évolution de traitements médicamenteux qui rendaient les patients moins agités) tout en restant dans l’enceinte globale de l’hôpital (des fugues ont forcément commencé). Les diverses évolutions n’ont pas entraîné de réticences voire même plutôt bien acceptées (mixité, évolutions thérapeutiques…) 101


Comment s’est effectuée la transformation des bâtiments existants et/ou la construction de nouveaux bâtiments ? Les bâtiments existants ont été peu transformés, les espaces « lingerie, salles d’eau » ont été améliorés et compte-tenu de l’évolution des médicaments prescrits, les pièces dédiées aux patients agités ont été au fur et à mesure prévues en chambres. À ma connaissance, la construction des nouveaux bâtiments résultait du manque de places disponibles pour les nouveaux entrants. En effet, les maladies psychiatriques ne débouchent/débouchaient que très rarement sur un diagnostic permettant aux patients de se réinsérer dans la société civile, d’où une accumulation de patients dans les bâtiments existants et donc nécessité de constructions neuves.

Les derniers « pavillons » construits étaient de structures légères, souvent de plain-pied avec des surfaces communes moins importantes que celles des bâtiments initiaux. Je pense qu’il fallait construire vite et pas cher. En tout cas et à ma connaissance, le personnel soignant n’était pas consulté pour donner son avis sur telle ou telle disposition à mettre en œuvre au niveau des locaux. Ces nouveaux bâtiments avaient des surfaces communes plus petites (voir trop petites...) ce qui renforçait la « promiscuité » entre patients et soignants, donc plus de tension. En général, les soignants préféraient travailler dans les anciens pavillons. Aurait-on pu faire face aux évolutions thérapeutiques en rénovant seulement les bâtiments existants et en n’en construisant pas de neuf ?

Je pense que oui, puisque la fonctionnalité des anciens bâtiments à toujours permis de dispenser les soins dans de bonnes conditions depuis mon entrée jusqu’à mon départ de l’hôpital. Je pense que le choix de construire du neuf résultait de : • l’enceinte générale de l’hôpital était énorme en surface au sol donc pas de gêne à la construction de bâtiments neufs, • un coût peut-être moins onéreux que de réhabiliter de l’ancien, • aucune interaction avec les malades et le personnel soignant (bruit, poussière…) Quelles activités étaient proposées aux patients ?

En fonction du degré d’autonomie et de la pathologie des malades, il y avait des activités diverses dans l’enceinte (ergothérapie), principalement : • manuelles (ateliers de ferronnerie, bois, électricité…) • des petits travaux de confection (rémunérés ) • art plastique, peinture, photographie… • 1 salle de cinéma, théâtre 102


• des cours de tennis, du foot • En extérieur : piscine, stade municipal, Ces activités ont toujours évolué avec les années.

Quels étaient les usages des jardins et du parc ? A l’arrivée des traitements permettant d’apaiser les patients, leurs sorties dans les jardins des pavillons et ensuite dans les parcs internes à l’hôpital ont été de plus en plus fréquentes. Ce sont les médecins qui décidaient des modalités de ces sorties. Dans l’ensemble, cela à contribué au bien-être des soignants (moins de monde dans le pavillon), des patients, et aussi à une meilleure observation de leur comportement hors du pavillon. Je pense que les patients les moins atteints préféraient les parcs, ils étaient moins visibles vis-à-vis des soignants, certains d’ailleurs arrivaient à faire quelques ballades non autorisées en ville…

Selon-vous, les cadres paysagers des jardins à la française et à l’anglaise ont-ils eu une influence sur le traitement des malades ? Difficile à dire concernant les malades, leurs centres d’intérêt (quand ils en ont) répondent à d’autres critères que ceux des personnes non atteintes de problèmes psychiatriques. Je ne sais pas répondre à cette question.

Diriez-vous que la condition des malades de Maison-Blanche n’a jamais cessé de s’améliorer durant votre séjour ? Il est évident que les conditions des malades se sont nettement améliorées au fur et à mesure du temps, principalement dû au confort médicamenteux et aussi des ballades dans les parcs, de l’ergothérapie et de la formation des soignants. Par contre, en termes d’évolution des conditions de l’habitat ...

Ci-contre : Plan de repérage joint au courrier envoyé. Ce plan permit des échanges précis avec Michelle Baclet, en lui représentant les différents ensembles architecturaux. Contribution au diagnostic du patrimoine de la commune de Neuilly-sur-Marne, Département de la Seine-Saint-Denis, op. cit., p.32

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RESSOURCES BIBLIOGRAPHIQUES Livres et traités : • TENON, Jacques, Mémoires sur les hôpitaux de Paris, commande de Louis XVI à l’Académie des sciences, Imprimerie Ph.-D. Pierres, 1785 • PINEL, Philippe, Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale, JA. Brosson, Paris, 1809

• ESQUIROL Etienne, Des Établissements d’aliénés en France, et des moyens de les améliorer, Rapport présenté au ministre de l’intérieur en Septembre 1818

• ESQUIROL Etienne, Aliénation Mentale, des illusions chez les aliénés, Librairie Médicale de Crochard, Paris, 1832 • ESQUIROL Etienne, Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal, Paris, J.-B. Baillière, 1838 • ELLIS, Traité sur l’aliénation mentale, Librairie des Sciences Médicales, Paris, 1840 • FALRET, Henri, De la construction et de l’organisation des établissements d’aliénés, Paris,1852. • PARCHAPPE, Maximilien, Des principes à suivre dans la fondation et la construction des asiles d’aliénés, Paris, Librairie de Victor Masson, 1853

• DAGONET, H. , Traité élémentaire et pratique des maladies mentales, suivi de considérations pratiques sur l’administration des asiles d’aliénés, Paris, 1862 • DR PAETZ, Albrecht, Die Kolonisirung der Geisteskranken in Verbindung mit dem Offen-Thür-System, ihre historische Entwickelung und die Art ihrer Ausführang auf Rittergut Alt-Scherbitz, Julius Springer, Berlin, 1893

• Notice sur les asiles publics d’aliénés et colonies familiales, Préfecture du département de la Seine, Direction des Affaires Départementales, Services des aliénés, Imprimerie et Librairie Centrales des chemins de Fer, Paris, 1900 • DR SERIEUX, Paul, L’assistance des aliénés en France, en Allemagne, en Italie et en Suisse, Préfecture du département de la Seine, Conseil général, Paris, 1903 • DR BRESLER, Johannes, Deutsche Heil- und Pflegeanstalten für Psychischkranke in Wort und Bild, Halle a. S. Carl Marhold Verlagsbuchhandlung, 1910

• DR BONNET, médecin-chef de la 4e section de Maison-Blanche, Rapport sur le service des aliénés, Préfecture de la Seine, Paris, Chaix, 1910

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• VON UEXKÜLL, Jacob, Mondes animaux et monde humain, 1934, traduction française éd. Denoël, 1965 • DANGELZER, Joan Yvonne, La description du milieu dans le roman français de Balzac à Zola, Les Presses modernes, 1938 • MUMFORD, Lewis, La Cité à travers l’histoire, Seuil, 1964

• BRISSET, Charles et MIGNOT, Hubert, Comptes-rendus des Journées psychiatriques de 1967, dans Livre Blanc de la Psychiatrie Française, 1967, p.27 • MITSCHERLICH, Alexandre, Psychanalyse et urbanisme. Réponse aux planificateurs, tr. Michel Jacob, éd. Gallimard, 1970

• FOUCAULT Michel, Folie et déraison, histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1972 • FOUCAULT Michel, Surveiller et Punir, Gallimard, 1975

• ILLICH, Yvan, Némésis médicale. L’expropriation de la santé, Seuil, 1975 • HOF, Gérard, Je ne serai plus psychiatre, 1976

• P. MOREL, C. QUETEL, Les Médecines de la folie, Hachette, Paris 1985

• RIBOULET Pierre, Naissance d’un hôpital, Paris, Plon, collection « carnets », 1989

• De MONTLIBERT, Christian, L’impossible autonomie de l’architecte : sociologie de la production architecturale, Strasbourg : Presses Universitaires de Strasbourg, 1995 • DEVAUX, Jean David, Les espaces de la folie, 1996

• NANCY, Jean-Luc, Être singulier pluriel, Galilée, 1996

• BATAILLE, P., SAUVAYRE, A., SALCEDO, H., OHANA, J., L’ouverture d’un hôpital psychiatrique de proximité à Paris : l’expérience de la clinique Rémy de Gourmont, 2000MALDINEY, Henri, Existence, crise et création, éd. Encre marine, 2001 • 1900-2000 Centenaire de Maison Blanche, EPS Maison Blanche, 2001

• Contribution au diagnostic du patrimoine de la commune de Neuilly-surMarne, Département de la Seine-Saint-Denis, Direction de la Culture, de la Jeunesse et du Sport, Bureau du Patrimoine, Pantin, Février 2004 • HOCHMANN, Jacques, Histoire de la psychiatrie, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2004 • La lettre, Hôpital Maison Blanche, 2006

• von BUELTZINGSLOEWEN Isabelle, L’Hécatombe des fous. La famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’Occupation, Aubier, 2007 105


• Villes et Santé Mentale; Projections, politiques, ressources, Actes de colloque organisé par le pôle science de la Ville sous la direction de Aurélien MICHEL, Université Paris Diderot, Le Manuscrit, 29 et 30 mai 2007 • De l’asile de Lesvellec à l’Établissement Public de Santé Mentale Morbihan, 100 ans d’histoire de la psychiatrie morbihannaise, EPSM Morbihan, 2013

• PAQUOT, Thierry, Désastres Urbains, Les villes meurent aussi, La découverte, 2015

• BUBIEN, Yann et JAGLIN-GRIMONPREZ, Cécile, Architecture pour la psychiatrie de demain, Presses de l’EHESP, mars 2017

Articles de revues :

• MARANDON DE MONTYEL, Évariste, médecin en chef des asiles publics de la Seine, « La construction des établissements d’aliénés d’après les nouvelles données », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 3e série, t. 38, Sem. ,1897

• FROMENT, Pierre, architecte-conseil du Ministère de la Santé Publique et de la Population, « Evolution de l’architecture et des équipements des centres psychiatriques », Architecture d’Aujourd’hui, 1959, n°84, p.22-29 • CHOMBART DE LAUXE, Paul-Henry, « Vers une civilisation urbaine », Recherches et Débats, n°38, mars 1962, Fayard, p.78-93.

• CHOMBART DE LAUWE, Paul-Henry (1913-1998), « Les intérêts contre les besoins », La Pensée, n°180, 1975 • Deniker P., « Qui a inventé les neuroleptiques ? », Confrontations Psychiatriques, 1975, n°13

• Fourquet & Murard, « Histoire de la psychiatrie de secteur », recherches, n°17, 1980, p.266 • Moniteur des travaux publics, n°4674, 25 juin 1993, p.62-64

• « Une galerie pour relier : hôpital de maison-blanche, extension et réhabilitation de l’unité de soins 43 », Architecture intérieure, CREE, n°266, juillet-août 1995, p.112-113

• Mordelet, P., « Restructuration hospitalière et transformation d’un hôpital psychiatrique : l’exemple de Maison-Blanche », Gestions hospitalières, 1997, n°370, p. 719-723. • LONGIN, Yves, « Petite histoire des hôpitaux psychiatriques français », Évolution Psychiatrique, 1999, n°64, p.611-625

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• « Maison Blanche : une restructuration en devenir », Mission Nationale d’Appui en Santé Mentale, Pluriels, 2000, n°24, p.1-17

• FAVEREAU, éric, « Maison-Blanche: un hôpital qui cherche asile », Libération, 19 avril 2003

• LAGUET, Pierre Louis, « Naissance et évolution du plan pavillonnaire dans les asiles d’aliénés », Livraisons d’histoire de l’architecture, 2004, n°7, p071-84 • KOVESS-MASFETY, Viviane, Architecture et psychiatrie, Le Moniteur, 2004

• GRAND, Lucile, « L’architecture asilaire au XIXe siècle, entre utopie et mensonge », Bibliothèque de l’École des chartes, 2005, n°163, livraison 1, p.165-196

Sites internets :

• Psychiatrie, histoire et évenements http://psychiatrie.histoire.free.fr/psyhist/hec/mb.htm • « Psychiatrie », Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Psychiatrie

• « Un peu d’histoire », CH Maison-Blanche http://www.ch-maison-blanche.fr/Etablissement/Un-peu-d-histoire • « Maison-Blanche », Seine-Saint-Denis Tourisme http://www.tourisme93.com/maison-blanche.html

• « Histoire autour de la Folie », Une ligne Rouge, Paule Muxel et Bertrand de Solliers http://unefinelignerouge.com/histoires-autour-de-la-folie-1/

Thèses :

• RHENTER, Pauline, De l’institutionnel au contractuel : psychiatrie publique et politiques de santé mental en France (1945-2003), Université Lumière Lyon 2, Ecole doctorale des Sciences Humaines et Sociales, 2004 • HORASSIUS JARRIÉ, Nicole, Le secteur de psychiatrie, histoire, organisation, éthique et déontologie, Ecole de la magistrature, 2006 • COLDEFY , Magali, De l’asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France, Université Paris 1 Panthéon‐ Sorbonne, École doctorale de géographie, 2010

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REMERCIEMENTS Mes enseignants de mémoire, Paul Landaueur, Fanny Lopez, et en particulier Mathias Rollot, pour son implication, son aide et sa bienveillance à travers les différentes phases d’élaboration de ce mémoire.

Ateliers Lion associés, pour m’avoir permis de travailler pendant sept mois sur la reconversion de l’asile de Maison-Blanche, et en particulier Sevak Sarkissian, responsable du projet et mon chef de stage, pour avoir aidé la rédaction de ce mémoire en fournissant des informations et documents cruciaux. La famille Baclet, pour leurs retours et leur intérêt porté pour mon mémoire. Elle m’a fait prendre conscience de certains aspects du fonctionnement d’un hôpital psychiatrique dans la deuxième moitié du XXe siècle.

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Ce mémoire interroge les phénomènes d’interdépendance entre architecture et psychiatrie en France au cours des deux derniers siècles, dans le cadre d’un asile d’aliéné témoin de bouleversements majeurs: l’asile public d’aliénées de Maison-Blanche à Neuilly-surMarne, aujourd’hui Établissement Public de Santé Maison-Blanche. Grâce à la constitution de trois notions architecturales associées à trois périodes thérapeutiques, l’ultra-spatialisation pour la période Classique, la non-spatialisation pour l’Asile-Village et la dé-spatialisation pour la pharmacopée et la Sectaurisation, il questionne les conditions de fabrication des milieux du traitement de la folie. Plus largement, le sujet abordé est la responsabilité et le crédit accordé à l’architecte et à l’architecture dans des domaines très spécialisés, tels que la psychiatrie. Comment la psychiatrie s’est-elle spatialisée dans les formes construites de l’asile de Maison-Blanche ? Quelle confiance thérapeutique fût donnée à l’architecture, et quels en fûrent les résultats ? Ces questions, et bien d’autres, trouveront certainement leurs réponses dans ces éléments réunis. �


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