Agir par la Culture n°28

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temps fort

Vendredi 28 octobr e 2011 à Birzeit : les élèves de la Palestinian Circus School investissent enfin leur école. Ce superbe résultat, nous le devons à tous ceux et toutes celles qui se sont mobilisés autour de ce projet, en Belgique et ailleur s ! MERCI ! www.asseoir lespoir.be Photo : PCS


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sommaire 2

TEMPS foRT

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éDITo PoRTRAIT PolITIquE :

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• 2012 : ZEBDA au second tour CôTé NoRD :

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• Dave Sinardet : Culture, médias et clivages linguistiques

dossier

dossier

JU STI CE S OCI AL E ET QU ES TI ON EN VI RON NE ME NTA LE

A l’a pproc he de boulev ers ement s écolog iques d’am pleur et d’une ac cent uat ion des inégalit és soc iales, on s’ aperçoit non seulem ent de leur origine s ouv ent com mune -l’éc onomie cap italis te- mais au ss i de leur profonde imbric atio n. L’enjeu de la déc ennie à v enir, c’ est bien celui de c onnect er et d’ agir avec c e double horiz on en têt e : la just ice envi ronnement ale et la just ice s oc iale, jouer sur l’une ent rainant le plus souv ent l’aut re. Dans ce doss ier, on interro ge l’art iculat ion ent re ces deux néc ess ités . Q uelles s ont les o ptions pos s ibles et les alter nativ es au « développ ement durable » lib ér al ? Q uelles réf lexions s ont po rt ées par le mouv ement d es object eurs de cro iss ance ? Comm ent agir en polit ique ? Comm ent agir sur le t errain ?

dossier

A JUSTER LA BAL ANCE ENVIRONNEMEN TALE COMME GL AIVE CONTRE L’ INÉGALITÉ SOC IALE

DoSSIER : JuSTI CE SoCIAlE

dossier

Objection d e croissance : nostalgie m oyenâgeuse o u

nécessité i ncontournabl e ? écDoug ologiBeckers e, au CC BY-SA 2.0L’par

LES O NG FACE AUX D EFIS SOCIAUX ET ENVI RONNEMENTAUX

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ET quESTIoN ENVIRoNNEMENTAlE

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dossier blalbla

fi l des années , es t de- amoindrir des ressources naturelles de plus en venue c entral e dans les r éfl ex ions in- plus rares ? Le défi est à proprement parler tell ectuel les et l’ ac tion poli tique. Pl us historique. Nous ne pouvons plus vivre comme enc ore, le s per tur batio ns de s éc o- si la nature était un réservoir inépuisable de sy s tèmes ont com me ef f ets dir ec ts matières et d’énergies dans lequel chacun puil’ aggr avati on de l a m is ère et des iné- serait à satiété. Face aux inégalités croissantes, gal ités . On ne peu t plus pens er et un milliard d’humains souffrent la faim, la question cruciale de la redistribution des richesses agi r san s l ier indi s s oci abl©ement KaYann - un fotolia.com proj et émanci pateur pour l’ homme et est plus que jamais d’actualité. C’est elle qui a structuré et structure encore le débat public. la déf ens e des équi li bres naturel s . dossier Mais elle est désormais insuffisante. Face à la Deux éléments pour commencer. Le 24 juin dégradation de la biosphère, la question de 2011, le Monde titrait sur l’effondrement des notre modèle de développement devient cenCONCIL IER J USTICE même pour les Accords de partenariats écono- bon marché et les syndicats peu ou pas existants. systèmes marins : « Les océans seraient à la trale. D’autant que la crise climatique aggrave miques entre l’UE et l’Afrique. Les mines à ciel ou- Parfois, comme c’est le cas au Vietnam, par exemET veille d’une crise biologique inédite depuis 55 considérablement lesSOCIALE inégalités sociales. La vert, les monocultures intensives destinées à ple, ce sont des entreprises extérieures qui font millions d’années ». Un trio mortel menacerait justice sociale doit rimer ENVIRONNEMENTALE avec la justice envil’exportation (notamment pour l’alimentation du pression à la baisse sur les salaires et l’applicales mers de la planète : accroissement de l’aci- ronnementale. Comment dès lors penser et bétail ou la production d’agro carburants) ont des tion des règlements de travail locaux en menadité de l’eau, augmentation de la température agir dans un nouveauBien que toutquigouvernement ait une large res- répercussions irréversibles sur l’environnement çant de se retirer du paysage économique paradigme préserve et extension des zones privées d’oxygène. Et les équilibres naturels politique en la matière, sans culpabiliser et la de biodiversité L’objection de croissance résulte enponsabilité premier lieu de constatent parlorsqu’on contre queparle notre mode dévelop- de zones souvent riches en res- national. Avec des conséquences désastreuses Je a n -Bap t is t e Go di no t es t u n d es m o t eu rs ce, sans parler de la surpêche qui a déjà réduit l’homme et sans renoncer sociale environnementale, on penseabsolument idéaux etdepement pro- est écologiquement sourcesintenable, naturelles. sur les conditions de travail et de vie des emd u m ou v em e n t p o li t iq u e d es o b je c te u rs la prise de conscience de l’inanitéde et justice deà nos la dangepois- du dogme àquela les responsabilité sociale entre- et prendre grès etéconomiste d’émancipation ? de cro is sadencprès e q uidee st90né%ecertaines n Be lg i quespèces e d a ns de rosité qui surtout voudrait qu’il va donc falloirdes en changer Et, en celaquidirecconcerne l’agrobusiness, vu son haut ployés de ces entreprises. Les investissements dé- marchandes peuvent et doivent car elles sonttion souvent prises, infiniment activités de pluslesdeacteurs mesure.concerNous savons aussi technologique, que cette la f o u lé esons. d ’u La n e caractéristique jo u rn é e t h ém? a« tL’ampleur iq u e à des il génère peu d’emploi au privés se font souvent au mépris des souveraineniveau et leJ rythme leur aggravation Téconomiste PLUS Q PREO CCUPAN Tparn’est les O Georgescu-Roegen, NGU NquiRAPP agisOR s ent s urnés l eUE l’ UL B en gâts fé v observés rie r 2009. e un e , tde rèCom s e nment - croître. iconoclaste, modernité nous aliène toujours continue environnementaux pasquestion. complètement comprises de position. Nous avons ainsi consacré tés pasnationales en matière de lois sociales et envien première ligne cette Si, plus. planElle local. g ag é , c o est hé reau-delà n t d a nde s stout a v isceioqui n davait u ter m oété nd enpréaculmontré l’absurdité : le processus de devenu nous faire perdre desloin savoir-faire usagesde deux dossiers à la question du modèle blé, maisau il est évident que d’être op-et desmoins jusqu’à présent, plan international, l’Union euraieprévu n arti ent-elclairement les la Rapport dimensdu i on ronnementales et de la souveraineté alimentaire nouveau GIEC (le Groupe économiqueLe est ma-ceux-ci àInterlasont fois et intellectuels quicette sontsituation, et d e l’ a cédemment ct io n p o lit iqou u eanticipé , i l e s t ».é gL’horizon aenv le m en t probable ironnementale av ectoutlaentier quesancré ti ondans so- la réalité posés, aupratiques, contraire complémentaires actuelnombre et de son alternative ropéenne reconnaît les atteintes que sociaux les entred’ONG du Sud idéale. Au vu deéconomique des Etats et des populations concernées, qu’elles d’Experts surpar le Changement gouvernemental tr ès i m pl de iq ucette é d a ns l e ?c om b a t 2020 c on t re ’een?- De térielle monde lui aussi les étroitement nécessaires àdroits l’accomplissement vie humaine crise Entre c'est-àcetiall2050, ux re sdu pons a bleets dès a u slors e inrégi d’oret même Ce travail a servi de base à des formations peuvent porter auximbriqués. humains d’une prises et du Nord demandent à leurs gouvernements de destisoient urbaines ou rurales. Ces dernières se climatique) en effet plus préoccupant : libre, juste et fraternelle pour Il enest découle qu’il n’yque a pas de des et sociale y substituer va h is se mdire en t demain. p u b li cit a ire . I l a a u ss i b ril - lois de la physique. néesles tantfirmes à nostransnationales 160 associations qu’à un public (notamment ceux travailleurs …!) et à l’en- contraindre ga nis a tions, nous i«ndique nt ic i comme nt à publier voient en effet privées de l’accès aux ressources réchauffement climat débouche croissance Le économique infiniedupossible sur un sur la des marchandise. Un équilibre harmonieux entre les la m me n t t é mo i gn é a u Pa rl em e n t à p ro p os de ressources et généraplus large. avons égalementrendant consacré notre les dispositions légalesnaturelles font encore ilals pcroonci li e nt ce s dé f is ma je urs . Pa vironnement, rc e Prédateurs un rapport social Nous et environnemental naturelles et à la terre, censées satisfaire leurs de la p ro Second p os it io n délément. e lo i in t e rdi sa n tsommes - depuis dans Une la fréquence, Nous monde auxchangements ressources limitées. fois cela com-l’intensité, humains et les écosystèmes a été possible ici (penque e s.pourpris, Pi e rr e T i te ux (F é dé radutisouvent on devient teurs de multiples nos modes « Université d’automne la «etdécroissance cruellement défaut pour pénaliser cellesetdeleprodu respect normes »en2010 leur àsein par besoins alimentaires de base. Ce sujet fait l’obcompte à la croissance éviàpollutions, l’agropastoralisme) reste dans plu- des sons m ot i on d quelques e s vo it u re s l es p lu po l lu a nt l’extension et la duréePIB des événements climasemaines 7 smilliards de Terriens. Etl’objection ronneetmedébouche nt Wa ll onie ) ce s de uxune duction de de consommation » et l’édition et 2011 à la « transition économique qui sont responsables ces atteintes.fondés Les ré-sur leLa« croissance fournisseurs sous-traitants. Elles de- jet».de différents articles du numéro hors-série de A u -de l à une d e s personne d o ss ie rs sur c o deux n cre tvit s, en ilI nte éville. t ar-Envi it Comment dente sur remise enet et sieurs tiques etlogiquement météorologiques extrêmes peut dé- endroits du monde. leurs toujours pluséconomique » méprisent également les condiAutant d’activités qui traduisent querevue Politique (Décembre 2011) publié par accords bilatéraux sur les qui investissements thè et cause l e s enj uxréduction qui lede s sous -tecents n- l’économie ut i le d e l’nourrir, in t er rologer ge r su r le s e ns mêtous m eme d eshommes, de laeboucher nosévénements vies par va de pair avec lemandent développement également de garantir l’existencel’attention de ces la sur des sans précédent correctement les nt issont (l’économisme). intime me nt lié s et pa rcde e que , traités tionsn’est de travail de vie d’une souportons à cette question fondamentaleSolidarité et libre« commerce entre» main-d’œuvre l’UE et cerou les à etl’occidentale a rompu ces équilibres etassorties place n d epermettre cro i ssa n l’accès ce , co naux ce psoins t pdea rfo de mécanismes contraignants clauses,nous Socialiste en collaboration avec l’agence CC BY 2.0 par Jim Linwood l’ ob j ec t ioleur vulnérabilité etcroissance l’exposition aux risques de santé et à ». « La L’objection e ne sui P aspas c al seulement e Bodi nalauxdécroissance ( Solida ritains téde l’empreinte fo u rr e-t o u t o u am b i gu q u i vé h ic ul l esva ntdonc désormais l’humanité devant des de seuils écosystévent considérée comme une etsimple participent l’agitation d’idées » que nous pays d’Amérique Latine (Colombie Pérou,variable vérification, pour de tout« accord bilatéral d’invesde presse InfoSud l’éducation, sans épuiser les écosystèmes et sont généralement le résultat de processus de p lu s fa n t a sq u e s c o m m e le s p lu s Soc no b liaesl is te écologique – absolument nécessaire – mais aussi miques probablement irréversibles : si nous pousd’ajustement. Ainsi,le les travailleurs sont les prenous attachons générer en marge en soutien accentuent phénomène d’acca), une j usti ce soc i al e p asentre s e autres) tissement signé par lesàétats membres et et l’UE. qui cherche l’ac-terres plus loin la dévastation monde, il est sons es p ér an ce s . a us s i pa rune l eposition rè gle résistante me nt deet créatrice que s ti ons mières victimes de processus industriels à notre critique et influence dess ca le Bodi naux parement des et les déplacements forcés dupolsavons quetravail bon d’analyse nombre d’entreprises dé- Pa Nous 10 enluants. dehorspaysannes que avec nous rendrons inhabitable aux publiques. l ié e s à l’ é complissement col ogie . et l’émancipation humaine Ce futprobable le cas hier l’amiante ce l’est de populations et indigènes. Il en va dela; terre localisentpolitiques vers des pays où la main d’œuvre est De va n t l e ca ra ct èr e c um u la t if d e s c ris es de l’économisme. humains. La recherche des équilibres aujourd’hui avec le sablage des jean's ou l’agri- entre la culture et la nature, les sociétés et les écosystèmes (d é mo g ra p h iq u e , s o cia l e, éc o n om i q ue , culture industrielle et son usage massif d’intrants Cependant, si la réflexion intellectuelle et le posicu lt u re ll e , f in a n ciè re , en v iro n nDES em e n - ENJEUX L’ ob j e ct io n d e cro i ss a nc e n’ e st -e ll e p as est donc vitale. Cela dit cette harmonie est aunocifs. Sur un autre plan,tant lestionnement idéologique ont 10 considérablement o u vr ag e s p ou r con st r uir e l’a lte r na tive hypothétique forces jourd’hui effectivement t al e…) q u i t ra ve rs e nt n o t re é p oqIMBR u e , la IQUÉS, u ne no s t al g ie f a rf el u e d ’ un re to uindustriels r il lu - hautement populations les moins favorisées trouvent évolués,Il la diffusion d’un tel message au sein des s’acharnentsedans la destruction. q ue s t io n d ’ u n e re m is e e n ca u se d ’u n e so ir e a u x m o n de s an c ie ns e t à u nlesh yp o - productivistes PAS OPPOSÉS desbien quartiers cumulant nui- vitaux publics complexe. i manue l d’ é col ogie, Yves Cochet, Bréal, 2009 cro i ss an c e in fi n ie f a ce à u n mo n d e f in i, t hé t iq u e é q ui li b re h ar mo n i eu x en tconfinées re l es dans que le retour aux les équilibres dé-prioritairement concernés semble - Antreste sances : trafic intense, paysage saccagé, Difficile, en effet, de sensibiliser de labruit, mobilisation politique des peuples. pendra im p règ n e pe t it à p e t it le s c on s cie n ce s e t hu m a in s e t l es éc o sys t èm e s ? - L e àc ces ont questions ra t na t ure l, Michel Serres, François Bourin, 1990 il fut de règle d’opposer préoccupa- air vicié, etc. le s p ra ti q u es . Peu x -t u te n t e r d e Longtemps, d éf i ni r des individus logiquement- et Llégitimement plus ’huma nit é di spa ra î tr a, bon dé ba rr as ! , Yves Pacsoce t te o b je ct io n à la cro is sa n ce ? tions environnementales croissance ne cherchent pas à Les objecteursetderevendications soucieux de leur situation matérielle que de l’état calet, Arthaud, 2006 ou à retourner en arrière. Ils dès les années 60 avec des penseurs de la planète ou même de leur quartier. D’autant remonter ledetemps ciales. Les défenseurs l’environnement étaient Amorcée - L e pa ri de la dé c rois s a nc e, Serge Latouche, Fayard, considérés comme des (petits) bourgeois plus de l’écologie politique tels André Gorz, cette ap- plus difficile que ce positionnement 2006 implique une préoccupés par le sort de la reinette12aux yeux proche d’un combat commun de l’environnement révision quantitativement- à Tlache baisse rnobydel, nos l a vi e cont a miné e, un film documentaire rouges que par le bien-être de la classe ouvrière et du social face à l’économie trouve aujourd’hui modes de vie. Nous sommes de pourtant convain-et Dominique Maestrali, Elzévir Films, 2009 David Desramé tandis que les syndicalistes et autres acteurs de un large écho à gauche de l’échiquier politique. cus que cette approche associant étroitement en-os pé rit é , ja lons pour un déba t pu- Re dé f inir l a pr la lutte sociale apparaissaient comme prêts à sa- Elle colore les programmes des partis et a donné jeux sociaux et environnementaux s’imposera bl ic, Isabelle Cassiers et Alii, L’Aube, 2011 crifier mère Nature sur l’autel d’un productivisme naissance à un nouveau courant : l’éco-socia- demain comme un impératif rapL ’a nnouveaux I de l ’ èr e é col ogique, Edgar Morin (et dialogue - des synonyme de croissance et de pouvoir d’achat. lisme. ports économiques ici et ailleurs. avec Nicolas Hulot), Tallandier, 2007 Nous sommes – heureusement ! – aujourd’hui - L ’homme é c onomi que e t le s e ns de l a v ie , Pe t it bien loin de cette vision caricaturale. Certes, le Chez Inter-Environnement Wallonie, ce lien s’imux conomi e, Christian Arnsperger, Textuel, t r aiP tieérrd’e alT titeer-é fossé séparant jadis les enjeux sociaux et pose comme un axe central de nos analyses et 2011 - Ve rs une dé moc ra t ie é col ogique, le citoyen, le savant et le politique, Dominique Bourg et Kerry Whiteside, Seuil, 16 2011 - L a s impl ic it é vol ont a ire c ont re le myt he de l ’a bonda nce , Paul Ariès, La découverte, 2010

M U NI T I O NS C U LT U R E LL E S P O UR A F FR O N T ER L E S P E R IL S À V E N I R

10 • Ajuster la balance environnementale comme glaive contre l’inégalité sociale

Par Jean Cor nil 12 • Jean-Baptiste G odinot : objection de croissance,

nostalgie moyenâgeuse ou nécessité incontournable ?

Retrouver sur www.agirparlaculture.be une bibliographie développée des ouvrages et documentaires qui permettent d’aller plus loin sur ces thématiques

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14 • Joëlle K apompolé et olivia P’tito : Justice sociale

et justice environnementale en politique 16 • les oNG face aux défis sociaux et environnementaux Par Pascale Bodinaux et Pier re Titeux

à BAS lA CulTuRE : 18 • Voyage au bout d’une poupée russe

Par Denis Dargent RéflEXIoNS : 19 • R aff aele Si mon e : le monstre doux contre la gauche MéDIAS : 21 • Ignacio Ramonet et la théorie de l’évolution des espèces médiatiques Par Marc Sinnaeve PRATIquES EN AMATEuR 23 • Rester motivé, c’est une affaire de chœur Par Denis Dargent l’AIR Du TEMPS 25 • Tu te souviens ? Par Daniel Adam 26 DéCouV ERTES


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édito

l’année 2011 aura permis à notre mouvement de concrétiser un certain nombre d’objectifs importants. D’abord l’évolution du magazine que vous avez sous les yeux. Vous êtes nombreux à nous adresser des messages d’encouragement sur la forme et les contenus d’ « AGIR PAR lA CulTuRE. » Nos choix éditoriaux autour de l’articulation entre culture et politique, entre Art et engagement, et notre volonté de favoriser une analyse critique plurielle tout en valorisant de nouvelles pratiques sociales et culturelles, rencontrent un lectorat croissant et c’est un encouragement important pour le comité de rédaction. Notre dossier abordé dans ce numéro, « Justice sociale et question environnementale », témoigne bien de cette volonté de traiter des vrais problèmes contemporains. Et l’interview de Zebda s’inscrit dans notre volonté de donner la parole à des artistes engagés. Depuis quatre ans, Présence et Action Culturelles, Mouvement d’éducation permanente qui édite ce magazine, s’est investi sans compter dans la création d’une école de cirque dans les territoires occupés de Cisjordanie. Cet espace de création et de résistance existe aujourd’hui à Birzeit, dans des locaux entièrement rénovés par l’association palestinienne Rewac en collaboration avec les élèves et les professeurs de la Cambre. Cette réussite n’a été possible que grâce à la mobilisation de plusieurs centaines d’associations, de 2500 artistes professionnels et amateurs et des milliers de citoyens qui ont participé à notre opération « Asseoir l’Espoir ». Cette coopération s’inscrit parfaitement dans le combat pour la reconnaissance des droits des Palestiniens, reconnaissance qui vient enfin de déboucher sur une victoire diplomatique, à savoir le vote très largement majoritaire pour l’adhésion de la Palestine à l’uNESCo. Mais l’année 2011 aura vu aussi une dégradation inacceptable des conditions d’accueil des populations Roms et des gens du voyage, tant chez nous que dans le reste de l’Europe. outre le scandaleux jeu de ping-pong auquel se livrent les différents niveaux de pouvoir pour ne pas garantir un accueil décent, il faut bien constater que les représentations stigmatisantes de ces populations sont légions. C’est pourquoi nous lançons dans les prochains jours une campagne intitulée « WElCoME RoMS ! » en collaboration avec la ligue des Droits de l’Homme. Cette campagne connaîtra des développements importants en 2012, notamment au travers d’un partenariat avec la très dynamique Maison du livre de Saint Gilles. A suivre…

Yanic Samzun Dir ecteur de publication

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AGIR PAR lA CulTuRE N°28 une publication de Présence et Action Culturelles ASBl – 8, rue Joseph Stevens - 1000 Bruxelles – Belgique - www.pac-g.be - N° Tél : 02/545 79 11 Tirage : 10.000 exemplaires, imprimés sur papier recyclé Editeur resp onsable : Yanic Samzun Rédacteur en chef : Aurélien Berthier - aurelien.berthier@pac-g.be – 02 545 77 65 Equipe rédactio nnelle : Daniel Adam, Sabine Beaucamp, Jean Cornil, Denis Dargent, Marc Sinnaeve. ont p ar ticip é à ce numér o : Pascale Bodinaux, Yannic Keepen, Nathalie Misson, Pierre Titeux. Créd its photo gr ap hiques : Nathalie Caccialupi, André Delier, Jean-françois Rochez Photo co uver tur e : © KaYann - fotolia.com lay-o ut : Nino lodico Abonnement et mailing : Maria Casale Pour recevoir gratuitement AGIR PAR lA CulTuRE par la poste ou pour vous désinscrire de la liste d’envoi, prière de contacter Maria Casale par mail (maria.casale@pac-g.be) ou par téléphone (02/545 79 11) ou de vous rendre sur le site www.agirparlaculture.be

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portrait politique

2O12 : ZEBDA AU SECOND TOUR ! le groupe toulousain Zebda était en concer t le 25 novembr e der nier dans le cadr e du festi val des liber tés org ani sé par Br u xell es laï que, date bel ge de l eur pr emièr e tou r n ée depu is 20 03. Deux de ses membr es, Mustapha Amokr ane et Magyd Cherfi se sont prêtés au jeu du por tr ait pol itiqu e afi n d’abor der dif fér ents aspects de l eur car r ièr e ar ti sti que et militante, leur point de vue sur la situation sociale en fr ance ainsi que le r appor t entr e la gauc he et l a qu estion postcoloniale. Pour quoi un groupe comme le v ôtr e, i mpor t ant dans l a sc ène m us ic ale fr ançaise comme dans l’univ er s polit ique (on se souv ient de l’élection de 4 c onsei ll er s m un ic ipau x de la l is te Mot i vé- e-s qu e v ous av i ez in it iée) av ait-il quitté la scène ? Mouss : on n’a pas quitté la scène, on avait décidé de mettre Zebda, cette entité collective, entre parenthèses pendant une dizaine d’années, car on avait le besoin impératif d’aller explorer des univers artistiques qui seraient plus propres aux individus. Magyd en l’occurrence a fait deux albums et deux livres, Hakim et moi avons fait trois albums et beaucoup de tournées, beaucoup de concert. Par rapport à la dimension politique, on a toujours eu une histoire associative intimement

© Jean-francois Rochez

liée à notre histoire culturelle. à savoir que ce n’est pas le groupe qui a créé l’association, mais l’association qui a créé le groupe. on a toujours beaucoup lié la dynamique musicale, l’expression artistique à une expression plus culturelle au sens de l’action citoyenne. on a toujours essayé de faire le lien entre les deux. Pour nous, ça a toujours été indissociable. on a été jusqu’au bout de la logique puisqu’on a été jusque dans le cadre électoral en portant une liste aux élections municipales. D’ailleurs, on s’est posé la question : est-ce qu’on n’a pas touché la limite d’une participation politique ? on n’a pas de regret, on a vécu des choses fabuleuses, notamment dans le cadre de la campagne, mais quelque chose nous a dépassé et nous a mis dans une position délicate. quelque chose qui nous a en quelque sorte substitués au politique. C’était décev ant ? Est-ce que vous ret enteriez l’expérience élect or ale ? Ma gyd : Pas décevant. Ce qui s’est passé c’est qu’on a suscité l’espoir. Pour un artiste, le problème c’est quand il suscite l’espoir... J’en avais parlé avec Bertrand Cantat de Noir Désir il y a quelques années, il était terrorisé, car les gens attendaient de lui, de l’artiste, qu’il change le monde. Et nous qui sommes allés au bout de la démarche, les gens attendaient que cet espoir soit réalisé. En entrant dans la politique, les gens pensent qu’on va mettre en place ce qu’on a porté. Par exemple, la mixité sociale. les gens nous demandent des 5

comptes après coup « Alors ? ». Eh ben alors, on avait quatre élus au Conseil municipal, démunis, sans pouvoir, dans l’opposition, minoritaire… le danger est là. Comment apporter une forme d’espoir ou d’énergie sans basculer dans l’illusion qu’un groupe de rock puisse remplacer un politique élu par le peuple. Vous êtes restés soudés ? Vous avez c ontin ué à vous voir pendant toutes c es années ? Magyd : on est soudé à notre façon. on est des frères. Il y a quelque chose d’historique, d’affectif, de philosophique, d’idéologique qui nous lie sans qu’on ait à passer tous nos weekends ensemble. Pour moi c’est définitif. Vous v ous r efor mez pour de bon ? Magyd : on ne peut pas anticiper. Y a-t-il une réalité pour nous dans la scène francophone ? on sent que ça se passe pas mal du tout. à nous de voir au jour le jour où est-ce que ça nous mène. D ans l’album « le br uit et l’odeur », on ent endait un extr ait d’un discour s de Jac ques Ch ir ac , est -c e qu e dans v otr e album à venir début 2012, « Sec ond tour », on entendr a des extr aits de Nicolas Sar kozy ? Mouss : on s’est posé la question, mais on s’est dit qu’on pourrait faire un album entier seulement avec des extraits de ses discours !


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portrait politique Et puis, il y avait quelque chose de très spontané dans « le bruit et l’odeur », une réaction naturelle. on ne sait pas absolument reproduire les recettes qui ont pu fonctionner et on a aussi une volonté de changer, de trouver des axes différents pour aborder une même thématique. on peut en profiter pour constater qu’à l’époque de cette sortie de Chirac en 1991, il y a eu une espèce de réaction unanime pour la condamner. Aujourd’hui, l’insulte raciste, islamophobe, ces discours-là sont portés régulièrement sans aucun problème par toutes sortes d’hommes et de femmes politiques. Ils insinuent que c’est une façon pour la droite d’être « décomplexée » et que : « il faut dire les choses quand même, ils sont quand même pas chez eux ». C’est insinué en permanence. C’est un peu dramatique. q uel ser a l e fi l c ondu ct eur de « Second tour ? » Ma gyd : Je crois que c’est un album qui est fidèle à tous les autres : les thèmes restent les mêmes, car notre combat reste le même depuis le début. Après, artistiquement, on trouve des nouvelles couleurs, dans le texte, des nouvelles façons de le dire. Mais ça reste du Zebda ! Mouss : on est dans le pur Zebda dans cet album-là. Après toutes ces années de break, on a constaté qu’on avait une patte, un truc bien à nous, qu’on était très heureux de retrouver. C’est un des premiers plaisirs : se retrouver, retrouver cette alchimie multifacette. Avec à la fois un texte important, qui joue un rôle fort, qui aborde une thématique via le média de la poésie sociale et puis une musique qui permette l’énergie et qui intègre des volontés multiples qu’on apprécie particulièrement, la musique noire américaine, jamaïcaine, la chanson française, le hip-hop, le rock… Vous êt es con tent s de r em ont er su r scène ? Magyd : on a un besoin vital de dire quelque chose puisqu’on a passé toute notre vie à élaborer, même inconsciemment, quelle est la justesse du combat à mener, car il y a combat à mener. Notre vie elle est faite pour combattre, certainement parce qu’on est issu de l’immigration. Nos parents ont été les esclaves d’une société moderne occidentale, nos amis, nos enfants sont dans le danger de ne pas être

intégrés. Notre façon de vivre est un combat et Zebda permet de déployer au plus large cet esprit de combat, mais dans sa dimension spectaculaire, au sens premier du terme. C’est donc vital pour nous de pouvoir dire, divulguer notre message qui nous semble singulier. le plaisir est d’entendre en réponse le public dire « oui, on est d’accord avec vous, avec cette acuité-là ». Votr e album s’appelle « Second tour », c’est une référ ence aux élections présidentielles fr ançaises, il sor tir a avant les élections ? Mouss : oui, il sortira avant les élections. évidemment, c’est un jeu de mots par rapport à la période politique, mais c‘est aussi notre second tour à nous, notre second chapitre. Après avoir construit cette aventure très familiale, chacun a tenté une aventure à l’étranger et puis tout le monde revient à la maison, on se retrouve comme des adultes, chacun a exploré. le contexte électoral est un contexte privilégié pour une sortie d’album. on n’a pas décidé de revenir spécialement pour ça, on avait déjà pris la décision. Mais on s’est dit que ce serait débile de sortir notre album après les élections alors qu’on a tellement de choses à porter. Alors, on va le faire et l’assumer concrètement en espérant que le second tour présidentiel apporte le changement. Est-ce que v ous soutenez un candidat ou une candidate en par tic ulier ?

gens comme nous, issus de cette histoire-là : « Vous êtes ici chez vous ». Au contraire, tous les signaux étaient ou sont encore inverses : « Vous êtes français, mais… », il y a toujours un moment où : « oh, arrête, t’as déjà de la chance d’être-là ». Magyd : ou encore « N’en demandez pas trop quand même ». Il y a toujours un « quand même », un « mais », une préposition. Et nous, on fait la guerre à la préposition en question ! Votre br eak a duré 8 ans, quelles évolut ions soc iales vous avez constatées en fr ance dur ant cet te période ? Mouss : Il s’est passé ce qu’on craignait, les politiques libérales et ultralibérales ont installé une logique de démantèlement d’un certain modèle social. Il y a eu une perte du pouvoir politique envers les pouvoirs économiques. Ce sont des thématiques qui ont d’abord été abordées par des mouvements altermondialistes comme ATTAC, des mouvements auxquels on a participé. Cette critique, cette idée que le politique avait perdu son pouvoir sur l’économique est à présent actée. Concrètement, ça veut dire qu’il va y avoir des scissions entre les populations, entre celles qui ont accès et celles qui n‘ont pas accès. qui n’ont pas accès et qui malheureusement auront de moins en moins accès, car celles qui ont accès se protègent et sont protégées.

Magyd : Je me souviens, il y a une trentaine d’années, de la promesse sur le vote des immigrés. Je parle d’une promesse non-tenue.

C’est très présent dans le langage. En france, ça fait des années que les campagnes électorales se centrent autour de la notion d’insécurité. Mais attention, insécurité au singulier. C’est-à-dire l’idée que l’insécurité ou la sécurité, c’est seulement celle de la propriété privée. Il n’y pas de dimension plurielle : il n’existerait pas d’insécurité sociale, affective… Il y a une logique de discours qui est bien installée et qui alimente tout ça, qui alimente la pratique, sans vergogne, d’avocats d’affaires qui sont au pouvoir et qui pratiquent le hold-up électoral en instrumentalisant la peur.

Mouss : on est profondément attaché à cette question de l’histoire de l’immigration, cette question postcoloniale, parce que c’est notre histoire. la gauche n’a pas été au bout, elle n’a pas par exemple aboli la double peine, elle n’a pas envoyé des signaux, elle n’a pas dit à des

En même temps, il y a forcément des alternatives et des sources d’espoir qui naissent en réaction. on est attentif à ça. on a la chance de tourner, de bouger, on se rend bien compte qu’un peu partout, il y a des choses qui se passent face à ça.

Magyd : on réfléchit à ça. on essaye d’éviter de soutenir une personne, mais plutôt une idée. Je pense qu’on va avoir des réflexions entre nous sur comment tout ça peut se conjuguer sachant qu’on est évidemment porteurs de valeurs de gauche. Mais sachant aussi que la gauche nous a beaucoup éreinté. C’est-à-dir e ?

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portrait politique Depuis une dizaine d’années, les choses se sont aggravées du point de vue social. on n’a pas réfléchi à ce que signifiait dans un pays riche, industrialisé, une société où le monde du travail ne représente plus ce qu’il représentait, avec ses dimensions culturelles, de transmissions, de place, etc. on met les gens dans des situations de précarité, ensuite on les insulte en leur disant : « Vous êtes des assistés ». Ils font ça sans problèmes. une certaine classe moyenne est réceptive à ces messages, car elle est formée de gens qui viennent de plus bas et qui ont choisi de fermer la porte derrière eux par honte de ce qu’ils ont été, de leurs origines. on est bien dans une problématique sociale et culturelle. les politiques, à gauche, ont trop souvent considéré que la problématique n’était que sociale : « Réglons le social, on réglera tout ». oui, le problème est social, mais il est aussi éminemment culturel : on refuse de regarder l’identité individuelle, ce que deviennent les gens, comment ils évoluent dans l’exclusion, dans le traumatisme. E t qu ell es év olut ion s au ni v eau des quar tier s populaires ? Magyd : Il y a eu une désagrégation du mouvement associatif, éreinté par les nouvelles politiques sociales et culturelles. le tissu associatif s’est disloqué en raison du manque de financement, du manque d’encouragement, et du manque d’empathie. Ce dernier point est

important : il s’agit du fait de sentir qu’on est digne d’intérêt. les quartiers sont encore plus à l’abandon. Au début des années 80, il y a eu ces fameuses marches des beurs, pour l’égalité, on n’hésitait pas à dire « Vive la République », à se revendiquer comme français. Aujourd’hui, on voit la génération des 15-18 ans se balader avec des T-shirts « Maroc en puissance », « Maghreb united » ou « Viva Algeria ». Ce sont des mômes qui n’y sont souvent jamais allés. Nous, de deuxième génération, on y passe quelques semaines de vacances. Eux, ils sont déconnectés des réalités maghrébine ou subsaharienne, et ils ont pourtant trouvé ça comme refuge. C’est dire l’état de la déliquescence. on peut considérer ça comme une marche arrière d’un point de vue citoyen dans ces zones-là. E st -c e qu’ il y a u ne per sonne que v ous adm ir ez, u n per son nage qui a guidé votr e act ion ? Magyd : Je n’en vois aucune, je ne vois que des approches. Rien d’idéal pour nous. Mouss : Mandela a joué un rôle quand j’étais adolescent. Il m’a permis de fantasmer sur cette idée de l’engagement et du combat, sur le côté romanesque qu’on aime bien mettre dedans, ce côté poétique dans le rapport à la résistance, l’idée qu’il ne faut pas attendre d’être pendu par les pieds pour résister. Certaines figures comme ça m’ont renvoyé cette idée d’un

combat noble sans non plus virer au romantisme total. Nous-mêmes, on fait tout pour démystifier le rôle qu’on doit jouer tout en le jouant le plus possible. Et puis il y a des lectures, frantz fanon pour ne citer que lui. Magyd : quand je parlais d’approches, une amie me rappelait que dans les années 70, pendant les combats féministes, on disait « la lutte des classes d’abord, on verra la condition des femmes ensuite ». Dans les années 80, quand nous on s’est engagé, on a entendu « la lutte des classes d’abord, les reubeus on verra ensuite ». Du coup, il y a quand même un parallèle pour nous à faire avec les luttes des femmes. Cette façon de dire « c’est pas prioritaire ». C’est ce qui manque dans les propositions politiques de gauche cette façon de dire… Mouss : … cette façon de dire « Tu crois pas que t’exagères un peu ? », de ne pas mesurer à quel point ça peut être traumatique d’être constamment considéré comme suspect. à partir du moment où on nie le traumatisme, on crée des situations de rupture. Propos r ecueillis par Sabine Beaucamp et Aurélien Ber thier http://zebda.artiste.universalmusic.fr/

© Jean-francois Rochez

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côté nord

DAVE SINARDET : CULTURE, MÉDIAS ET CLIVAGES LINGUISTIQUES ©André Delier

Dave Sinar det est poli tologue et est pr of esseur à la VuB, à l ’uni ver si té d’ Anver s et aux facul tés uni ver sitair es Saint-louis (fuSl) où il donne le cour s « Media en Politiek » en néerlandais dans le cadr e du pr ogr amme bilingue des fuSl. Il est aussi chroniqueur au « De Standaar d » depu is 4 an s et l ’a été au Soir pendan t deu x ans. Dave Sinar det est sur tout connu dans les médias fr ancophones comme politologue néer landophone à qui on s’empr esse de demander son expertis e en mati èr e de pol itiqu e belge. Rencontr e autour des médias et de la cultur e.

Bien sûr, la manière dont notre système est organisé, tant au niveau politique qu’au niveau médiatique, incite à analyser en terme de blocs et donc à renforcer le clivage communautaire. les partis politiques sont tous organisés sur base linguistique, il n’y a pas de partis nationaux. Il n’y a pas de médias nationaux non plus et ils n’organisent même pas d’émissions politiques ensemble. Nous avons donc des partis francophones qui s’adressent uniquement à des électeurs francophones à travers des médias francophones. Tout cet appareillage politique est très séparé.

q uel r egar d por t ez- v ous sur l a m an ièr e dont l es fr an cophon es per çoiv ent leu r s con ci toyens f lam ands, ont-ils les bonnes c lés pour se com pr endr e mutuellem ent ?

les médias ont certainement leur part de responsabilités. Ce n’est pas la faute des journalistes mais celle de ce système politique et médiatique dans lequel ils travaillent. Par exemple, j’entends souvent des journalistes francophones et néerlandophones se plaindre que des ministres fédéraux de l’autre rôle linguistique ne veulent pas venir dans des émissions ou débats. C’est bien sûr surtout parce qu’ils n’ont pas d’intérêt électoral à le faire. C’est un élément qu’il faut prendre en compte.

Ce problème de perception mutuelle se trouve peut-être déjà un peu dans votre question. Je parle de la tendance à présenter les flamands et les francophones comme deux blocs homogènes. les francophones et les flamands ne sont bien sûr pas tous les mêmes, les perceptions qui existent chez les francophones sur les flamands et inversement sont toutes aussi diverses. Dans la question communautaire, un des problèmes, c’est justement cette homogénéisation, y compris dans l’analyse politique. Dans les médias francophones, on parle souvent de « la flandre » qui veut ceci ou cela, mais, en fait, la flandre est une société probablement aussi divisée que l’est la Belgique. Certes, les résultats électoraux en flandre vont plus à droite, mais en même temps il existe un monde entre la flandre de Groen ! et celle du Vlaams Belang.

les médias r enfor cent -ils les c li v ages linguistiques ?

l es ar ti stes cont ri bu ent à estom per c e conf lit linguist ique, ils t r av aill en t dans l’optique de créer ensemble. Ne sont-ils pas de bons indicateur s ? En tout cas, quand on compare la flandre avec d’autres régions dans le monde où il y a des demandes pour plus d’autonomie comme le québec, la Catalogne ou l’écosse, on constate que dans ces régions-là, beaucoup d’artistes sont assez nationalistes. Parce que leur demande d’autonomie vient d’une sorte de quête de reconnaissance culturelle. En flandre, cela a pu être le cas dans le passé mais depuis quelques années, on constate qu’une grande 8

partie du monde culturel flamand est plutôt belgiciste et se distance explicitement du nationalisme flamand : Tom lanoye ou Dimitri Verhulst en littérature, Clouseau, Milow Deus ou Daan en rock. Pourtant, la culture est une compétence exclusive des communautés en Belgique. on peut d’ailleurs se demander si c’est si bien logique. Récemment, des artistes flamands ont plaidé pour une compétence fédérale pour la culture, complémentaire à celle des communautés. l’idée était soutenue par des responsables politiques comme Karel De Gucht, Rik Torfs et Caroline Gennez. Mais cela n’a pas créé un vrai débat. Pourtant, ce ne serait pas illogique. on pourrait alors soutenir des initiatives culturelles qui ne sont pas spécifiquement flamandes ou francophones mais bilingues, imaginer des collaborations entre un théâtre à Anvers et un théâtre à Charleroi. finalement, si on veut garder une Belgique fédérale – et c’est bien sûr légitime de dire qu’on ne veut plus la garder – et donc continuer à former un pays, on doit essayer d’abolir la mécompréhension mutuelle qui nous fait perdre énormément de temps. Tentons alors d’organiser au mieux ce vivre ensemble. Si on veut garder une solidarité interpersonnelle fédérale, il est aussi important d’avoir une base commune. Pourquoi n’aurions-nous pas également une compétence fédérale au niveau des médias, pour soutenir activement des collaborations entre VRT et RTBf, par exemple des débats communs ? Car, finalement, quel est l’intérêt d’avoir des systèmes qui créent des malentendus communautaires, des clichés et des caricatures ? Pr opos r ecueillis Sabine Beaucamp Retrouvez cette interview dans une version étendue sur www.agirparlaculture.be


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dossier

JUSTICE SOCIALE ET QUESTION ENVIRONNEMENTALE A l’approche de boul ever sements écologiques d’ampleur et d’une accentuation des inégalités sociales, on s’aperçoit non seulement de leur origine souvent commune -l’économie capitaliste- mais aussi de leur profonde imbrication. l’enjeu de la décennie à venir, c’est bien celui de connecter et d’agir avec ce double horizon en tête : la justice environnementale et la justice sociale, jouer sur l’une entr ainant le plus souvent l’autre. Dans ce dossier, on inter roge l’ar ticulation entre ces deux nécessités. quelles sont les options possibles et les al ter nati ves au « développement dur able » libér al ? quelles réflexions sont por tées par le mouvement des objecteur s de croissance ? Comment agir en politique ? Comment agir sur le ter r ain ?

© KaYann - fotolia.com


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AJUSTER LA BALANCE ENVIRONNEMENTALE COMME GLAIVE CONTRE L’INÉGALITÉ SOCIALE

l’écologie, au fil des années, est devenue centr ale dans les réflexions intellectuelles et l’action politique. Plus en cor e, les per turbation s des écos ystèmes ont comme eff ets di r ects l’aggr avation de la misèr e et des inég ali tés. on ne peut pl us pen ser et a gir san s lier indi ssocia blement un projet émancipateur pour l’homme et la défense des équilibr es naturels. Deux éléments pour commencer. le 24 juin 2011, le Monde titrait sur l’effondrement des systèmes marins : « les océans seraient à la veille d’une crise biologique inédite depuis 55 millions d’années ». un trio mortel menacerait les mers de la planète : accroissement de l’acidité de l’eau, augmentation de la température et extension des zones privées d’oxygène. Et ce, sans parler de la surpêche qui a déjà réduit de près de 90 % certaines espèces de poissons. la caractéristique ? « l’ampleur des dégâts observés et le rythme de leur aggravation est au-delà de tout ce qui avait été prévu précédemment ou anticipé ». l’horizon probable de cette crise ? Entre 2020 et 2050, c'est-àdire demain.

CC BY 2.0 par Jim linwood

Second élément. Nous sommes depuis quelques semaines 7 milliards de Terriens. Et une personne sur deux vit en ville. Comment nourrir, loger correctement tous les hommes, leur permettre l’accès aux soins de santé et à l’éducation, sans épuiser les écosystèmes et 10

amoindrir des ressources naturelles de plus en plus rares ? le défi est à proprement parler historique. Nous ne pouvons plus vivre comme si la nature était un réservoir inépuisable de matières et d’énergies dans lequel chacun puiserait à satiété. face aux inégalités croissantes, un milliard d’humains souffrent la faim, la question cruciale de la redistribution des richesses est plus que jamais d’actualité. C’est elle qui a structuré et structure encore le débat public. Mais elle est désormais insuffisante. face à la dégradation de la biosphère, la question de notre modèle de développement devient centrale. D’autant que la crise climatique aggrave considérablement les inégalités sociales. la justice sociale doit rimer avec la justice environnementale. Comment dès lors penser et agir dans un nouveau paradigme qui préserve les équilibres naturels sans culpabiliser l’homme et sans renoncer à nos idéaux de progrès et d’émancipation ? uN RAPPoRT PluS quE PREoCCuPANT le nouveau Rapport du GIEC (le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Changement climatique) est en effet plus que préoccupant : « le réchauffement du climat débouche sur des changements dans la fréquence, l’intensité, l’extension et la durée des événements climatiques et météorologiques extrêmes et peut déboucher sur des événements sans précédent ». « la vulnérabilité et l’exposition aux risques sont généralement le résultat de processus de


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CC BY 2.0 par Vagawi

développement associés à la dégradation de l’environnement, à une urbanisation rapide et non planifiée dans des zones dangereuses, à des défauts de gouvernance et à la faiblesse de moyens d’existence des plus pauvres », écrit encore le GIEC qui a estimé que 95 % des morts dans les catastrophes naturelles entre 1979 et 2004 vivaient dans des pays en développement. Ils sont à la fois plus exposés aux risques naturels et moins aptes à faire face aux catastrophes et à conjurer leurs effets destructeurs. quel que soit l’angle d’approche, de la monoculture à la perte de la biodiversité, des phénomènes climatiques extrêmes à la santé publique en termes de pesticides, d’obésité ou d’asthme, ce sont toujours les populations les plus précarisées, chez nous et plus encore dans les pays du Sud, qui subissent de plein fouet le dérèglement des cycles naturels. En ce sens, la lutte contre l’inégalité sociale est indissociablement liée à celle qui vise à rétablir et à préserver les équilibres fondamentaux de la biosphère. à défaut d’une prise de conscience planétaire et de politiques beaucoup plus volontaristes, les différends entre de plus en plus d’humains pour des ressources de plus en plus raréfiées, des hydrocarbures aux forêts, des minerais précieux à l’eau, vont s’exacerber de manière dramatique. on peut déjà dresser la cartographie actuelle des conflits géopolitiques pour l’accaparement de ces biens vitaux, du contrôle des terres en Afrique jusqu’à la gestion des barrages sur les grands fleuves. les constats sont aveuglants. Pourtant, dans la majorité des cas, la cécité demeure la règle. Pourquoi donc, selon l’expression de Jean-Pierre Dupuy, ne croyons-nous pas à ce que nous savons ?

Parce que, et exprimé en termes caricaturaux tant une analyse plus fine s’avère indispensable, nous pensons et nous interprétons encore le monde avec une perspective mentale héritée du siècle précédent. Notre logiciel intellectuel qui réagit à l’intentionnalité humaine, au jugement moral, à la visibilité et à l’immédiateté d’un phénomène pour que nous le prenions en compte, même s’il reste pertinent pour la compréhension des rapports de forces des humains, devient inopérant devant les métamorphoses des cycles de la nature. Il va falloir se résoudre progressivement à penser en même temps, selon la classification d’Edgar Morin, que l’ordre comporte du désordre, que la science éclaire et aveugle, que la civilisation contient la barbarie, que raison et passion sont complémentaires, que la raison pure est déraison… Sans quoi, écrit le philosophe, « le probable est la désintégration. l’improbable, mais possible, est la métamorphose ». Cela se traduit, sur le plan de l’action, par l’imagination d’une politique de l’humanité qui inclurait des normes tout à la fois complémentaires et antagonistes : « mondialisation/démondialisation, croissance/décroissance, développement/enveloppement, transformation/conservation ». Superbe et essentiel programme politique pour les chercheurs d’un futur décent. D EVE loPPEMEN T DuRA Bl E o u DE CRoISSANCE ? face à ces douloureux constats – la crise environnementale amplifie la redistribution inégalitaire des richesses – et face à la nécessité de repenser notre grille d’interprétation du réel, nous nous sentons comme hagards dans le brouillard, sans boussole doctrinale pour forger notre destin. Devant ces incertitudes, en reprenant une classification d’Andreu Solé dans « Développement durable ou décroissance ? », cinq positions politiques types peuvent être identifiées : -

Posi ti on 1 : attitude ultralibérale selon laquelle, pour protéger l’environnement, il faut faire confiance à l’initiative privée et limiter au maximum les interventions de l’état.

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Posit ion 2 : l’intégration du développement durable comme opportunité pour de nouveaux marchés. C’est le capitalisme vert 11

ou la croissance verte. -

Posi tion 3 : elle se fonde aussi sur les vertus du développement durable, mais dans une perspective réformiste du capitalisme par l’économie solidaire et l’altermondialisme.

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Position 4 : c’est une attitude de rupture avec le système qui met en exergue la décroissance, la relocalisation de l’économie et critique radicalement la logique du profit, du marché et de la consommation.

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Posit ion 5 : elle rejette à la fois le développement durable et la décroissance dans une logique révolutionnaire d’écosocialisme.

Ces cinq positions-types, une conservatrice, deux réformistes et deux révolutionnaires, sont bien évidemment ultra-simplifiées dans la très courte présentation que j’en fais. Elles impliquent chacune un rapport à soi, aux autres et à la nature qui varie considérablement, mais elles permettent, certes de manière caricaturale, à chacun de se situer actuellement face aux impasses planétaires. Mais, croisées avec la typologie décrite par Edgar Morin, elles devront évoluer, voire se chevaucher sous certains aspects. Voilà sans doute un des enjeux majeurs de la nouvelle politique à construire. Imaginer une science de la complexité qui combine des éléments à la fois convergents et contradictoires pour répondre aux urgences du monde. l’éducation populaire doit se saisir de ces options cardinales. Elle se doit de les mettre en débat-citoyen en brisant le prisme traditionnel de nos représentations du politique. Par sa démarche singulière, son interrogation permanente, la mise en perspective critique de tout, et surtout de ce qui apparaît comme évident, naturel ou de bon sens, elle questionne sans tabous et hors de l’idéologie marchande dominante, tous les chemins de l’avenir. la question civilisationnelle qui inclut au premier chef les rapports entre les hommes et la nature, la lutte contre les inégalités sociales par la justice climatique, en devient chaque jour, et à mesure de l’étendue des dégâts, plus capitale. Jean Cor nil


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Objection de croissance : nostalgie moyenâgeuse ou nécessité incontournable ? CC BY-SA 2.0 par Doug Beckers

Jean-Baptiste Godinot est un des moteur s du mouvement poli tique des obj ecteur s de croissance qui est né en Belgique dans l a foul ée d’u ne jour née th ématique à l ’ul B en février 2009. Jeun e, très engagé, cohér ent dans sa vision du monde et de l’action politique, il est également très impliqué dans le combat contr e l’env ahissement publicitair e. Il a aus si brillamment témoigné au Par lement à propos de la proposition de loi interdisant la promotion des voitur es les plus polluantes. A u-del à des dossi er s concr ets, i l étai t utile de l’inter roger sur le sens même de l’objection de croissance, concept parfois four r e-tout ou ambigu qui véh icul e l es pl us fan tasqu es comme les plu s nobl es espér ances. Dev ant le car actère cumulatif des crises ( démo gr a phiqu e, s oci ale, écon omi que, cu ltu r elle, fi nan ci èr e, envi ronn ement al e…) qui tr aver sent notr e époque, la qu esti on d’une r emis e en caus e d’u ne cr oi ssance infi nie face à un monde fin i, imprègne petit à petit les consciences et l es pr ati ques. Peu x-tu ten ter de défin ir cette objection à la croissance ?

l’objection de croissance résulte en premier lieu de la prise de conscience de l’inanité et de la dangerosité du dogme économiste qui voudrait que les activités marchandes peuvent et doivent infiniment croître. Georgescu-Roegen, économiste iconoclaste, en a montré clairement l’absurdité : le processus économique est tout entier ancré dans la réalité matérielle du monde et dès lors régi lui aussi par les lois de la physique. Il en découle qu’il n’y a pas de croissance économique infinie possible sur un monde aux ressources limitées. une fois cela compris, l’objection à la croissance du PIB devient évidente et débouche logiquement sur une remise en cause de la réduction de nos vies par l’économie (l’économisme). l’objection de croissance n’est donc pas seulement la décroissance de l’empreinte écologique – absolument nécessaire – mais aussi une position résistante et créatrice qui cherche l’accomplissement et l’émancipation humaine en dehors de l’économisme. l’objecti on de cr oissan ce n’est-ell e pas u ne n os talgi e f arfelu e d’un r etou r ill usoire aux mondes anciens et à un hypot héti qu e équi libr e h ar monieu x entr e les humains et les écosystèmes ? les objecteurs de croissance ne cherchent pas à remonter le temps ou à retourner en arrière. Ils 12

constatent par contre que notre mode de développement est écologiquement absolument intenable, qu’il va donc falloir en changer et prendre la direction de plus de mesure. Nous savons aussi que cette modernité nous aliène toujours plus. Elle continue de nous faire perdre des savoir-faire et des usages à la fois pratiques, sociaux et intellectuels qui sont nécessaires à l’accomplissement d’une vie humaine et sociale libre, juste et fraternelle pour y substituer la marchandise. un équilibre harmonieux entre les humains et les écosystèmes a été possible ici (pensons à l’agropastoralisme) et le reste dans plusieurs endroits du monde. la croissance économique qui va de pair avec le développement « à l’occidentale » a rompu ces équilibres et place désormais l’humanité devant des seuils écosystémiques probablement irréversibles : si nous poussons plus loin la dévastation du monde, il est probable que nous rendrons la terre inhabitable aux humains. la recherche des équilibres entre la culture et la nature, les sociétés et les écosystèmes est donc vitale. Cela dit cette harmonie est aujourd’hui effectivement hypothétique tant les forces productivistes s’acharnent dans la destruction. Il semble bien que le retour aux équilibres vitaux dépendra de la mobilisation politique des peuples.


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CC BY-SA 2.0 par Akeg

le très polémique mot de « déc roissance » n’est-il pas une provocation face à la précarité et la misère qui enfle dans nos pays i ndus trial isés et pl us encor e face à la souffrance des peuples du Sud ? le terme « décroissance » utilisé seul est porteur de trop de malentendus. Précisons-le pour indiquer qu’il s’agit de la décroissance de l’empreinte écologique des riches, régions ou personnes. une fois cela posé, il est clair que cette décroissance matérielle des riches est une idée utile pour sortir du capitalisme et du productivisme, et que les pauvres ont tout à y gagner. le mode de vie occidental n’est pas durable, encore moins universalisable. les pauvres — du sud et du nord — ne pourront pas rattraper les riches. Comme le gâteau ne peut plus grandir, pour réduire les inégalités, il faut prendre l’argent là où il est, c'est-à-dire chez ceux qui en ont trop, puis le redistribuer. Mais ne nous y trompons pas : au regard d’une part des limites écologiques que l’on doit respecter pour ne pas dévaster la planète et d’autre part de la nécessité minimale de justice sociale qu’est la garantie d’un accès équitable aux ressources pour chaque humain, il est clair que les classes moyennes occidentales se trouvent au-delà du seuil de consommation qui pourrait être partagé par tous. Nous sommes les riches des pauvres ! Il y a là quelque chose de fondamental qui rompt deux conser vatismes : -

sans pour autant tomber dans la culpabilisation, il est clair qu’il est trop facile d’extérioriser les difficultés en rendant une classe lointaine fautive de tout, cela serait une posture irresponsable et impuissante ;

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en plus de la redistribution, il nous faut revoir en profondeur nos façons de comprendre la richesse et la pauvreté, sous peine de retomber dans le piège de la croissance et de nous enfermer dans un monde toujours plus injuste qui condamne les pauvres à la misère.

B eaucoup parien t su r les avan cées des technosciences pour résoudre notamment l es dés équil ibr es c li matiques, le défi

démogr aph ique ou la souver ai neté al imentaire. Est-ce une chimère ou une espér ance ? le mot technoscience me semble bien choisi puisque ce dont il est question ici n’est pas la science, ni la technique. la technoscience, cette sorte fuite en avant technologique justifiée par le scientisme, transforme le monde en profondeur en mettant l’homme au service de la machine, laquelle sert le profit et la croissance économique. Cette technoscience fait partie du problème, pas de la solution. Elle se présente comme le salut par le savoir et de la puissance combinés, prétend corriger par la technologie les catastrophes créées par elle, au nom de la croissance, qui est insoutenable. Pensons aux projets risqués déjà hors de prix et pourtant encore non-fonctionnels de séquestration du carbone : il s’agit de développer des machines pour stocker le Co2 sous terre parce que la machinerie thermique a consumé le pétrole qu’elle a préalablement permis d’extraire du sol. les oGM promus par les entreprises les plus criminelles et soutenues notamment par la Commission européenne, alors que les peuples y sont largement opposés, constituent une menace majeure pour la biodiversité, la souveraineté alimentaire et les paysans qui nous nourrissent, tout en privatisant le vivant. les sciences, lorsqu’elles savent douter et ne sont pas corrompues par les intérêts marchands, indiquent que pour faire face à l’urgence de la crise, il faut réduire la taille de l’économie, organiser la désescalade de la puissance industrielle. C’est un passage obligé, et un choix politique. la technique peut être une partie de la solution pour autant qu’elle soit contrôlée démocratiquement, mais une partie seulement. Edgar Morin diagnostique une crise de civilisation majeur e qui risque d’empor ter notre humanité ver s l’abîme. Est-ce une vision millénariste et catastrophiste face aux av ancées de notre modèle de développement et face à la nécessité d’avoir confiance en notr e moder nité ? 13

un faisceau d’indices malheureusement toujours plus nombreux pointe directement vers l’abîme. Prenons trois exemples d’actualité parmi d’autres, qui rendent visibles des dynamiques de fond qui confirment ce diagnostic : la crise de la dette témoigne de la décomposition de la forme actuelle du capitalisme de marché ; les guerres en Irak, lybie, Afghanistan sont des guerres du pétrole c'est-à-dire d’appropriation de ressources matérielles devenant rares ; la famine dans la corne de l’Afrique, prévue depuis un an, indique le sort que l’on réserve aux pauvres du monde, qui subissent là-bas les pires effets du colonialisme et du post-colonialisme en même temps que du bouleversement climatique historiquement créé par le riche occident, ici. on voit où mènerait le cours des choses s’il devait être continué sur la même pente : l’effondrement économique puis social chaotique, l’accroissement des tensions géopolitiques, l’explosion de la misère et la mort de population entière. le destin de l’humanité n’est pas écrit et le millénarisme n’est pas la tasse de thé des objecteurs de croissance. Mais pour échapper à un destin désastreux qui est désormais visible et qui pourrait être le nôtre si nous ne nous ressaisissons pas, l’humanité doit être capable de regarder en face la possibilité de catastrophe, comme conséquence logique de notre mode de développement et non comme accident imprévisible. En ce sens, il nous est utile d’être ce que Jean Pierre Dupuy appelle des « catastrophistes éclairés » : ce n’est qu’à la condition que nous sachions prendre conscience des conséquences, même les pires, de ce que nous entreprenons que nous pourrons décider d’actions permettant d’éviter l’ornière qui mène à l’abîme. Nous avions placé toute confiance en notre modernité, laquelle a trahi ses promesses. Nous devons désormais nous défier de cette modernité pour la dépasser et avoir confiance en notre capacité à inventer du neuf, en partant du meilleur de l’ancien et en mettant l’imagination au pouvoir. Et en plus, ça n’est pas triste, bien au contraire ! Pr opos r ecueillis par Jean Cor nil www.respire-asbl.be


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dossier blalbla

JUSTICE SOCIALE ET JUSTICE ENVIRONNEMENTALE EN POLITIQUE Joëlle K apompolé et olivia P’tito. Deux d ép utées r ég ionales, l ’une wallo nne, l ’autr e b r uxello ise. D eux car actèr es q ui très tôt ont p ris co nsc ienc e d e l ’enjeu des boul ever sement s d es c yc les de la natur e et qui associent tot alement émancip at ion so ciale et p réser v at ion d es équilib res natur els. Regard croisé. le so cia lisme a histor ique ment son c entr e de g r avit é auto ur de la quest ion so cia le. quel e st l’é vé neme nt concret qui vous a conv aincue de lier indissolublement l’égalité des tr availleur s avec la défense de l’envir onnement ? Joëlle K a pompolé : Je ne pense pas à un seul événement en particulier. Il s’agit d’une prise de conscience qui s’est développée en moi basée sur la multiplication des catastrophes naturelles, la médiatisation des conclusions du GIEC et du protocole de Kyoto, l’exposition Yann Arthus-Bertrand organisée par Présence et Action Culturelles, le film d’Al Gore « une Vérité qui dérange », les débats menés au sein du Collectif pour une écologie sociale, mes lectures,… olivia P’tito : Mes études en droit social puis en droit de l’environnement m’ont convaincue du lien entre ces enjeux. Parallèlement, le 1er paragraphe de la Charte de quaregnon qui fonde mon attachement aux valeurs du PS d’autre part : « les richesses, en général, et spécialement les moyens de production, sont ou des agents naturels ou le fruit du travail -manuel et cérébral- des générations antérieures, aussi bien que de la génération actuelle ; elles doivent, par conséquent, être considérées comme le patrimoine commun de l'humanité ». les bases de ce combat ont été posées en 1894… à nous de le continuer. quelle est la figur e politique, intellect uell e, ou cul tur el le q ui à vos yeux

r e présente le mieux l’ar ticula tion des e njeux environne mentaux et sociaux ? olivia P’tito : Riccardo Petrella, docteur en sciences politiques et sociales, qui s’engage entre autres- pour l’eau en refusant sa privatisation. J’ai eu la chance de participer à un débat à ses côtés, à l’occasion du lancement de sa campagne européenne, campagne au cours de laquelle. Il a d’ailleurs salué la tradition belge ayant préservé le caractère public de son réseau hydrique par le biais des intercommunales. Joëlle Kapompolé : Dominique Bourg, professeur de philosophie de la nature à l’université de lausanne, car il insiste de manière pertinente sur la répartition inégalitaire de la richesse sur notre planète et pose la question de notre mode de consommation basé sur l’accumulation de biens matériels.

olivia P’tito : Toute catastrophe est humainement dramatique, mais ma vision n’a pas changé : nous devons sortir du nucléaire. Cependant, ce n’est pas du « y a qu’à » car il faut tout à la fois garantir la sécurité, y compris d’approvisionnement, baisser la consommation énergétique (avec une population en plein boom démographique à Bruxelles, rappelons-le) ainsi que la facture énergétique et répondre à nos engagements environnementaux. les défis sont donc énormes, mais nous devons être prêts à les relever. Joëlle K apompolé : Cette catastrophe a juste confirmé ma conviction que le nucléaire n’est pas une solution à long terme pour notre planète et pour ses habitants. une transition vers des énergies renouvelables s’avère, plus que jamais, nécessaire. En outre, cette transition doit s’opérer à un coût raisonnable pour les citoyens.

l’é colo g ie po lit ique a -t-e lle i nsuf fisamment pris en compte la pauvr eté, l’exclusion sociale et les inégalités qui s’accroissent c hez nous, en Europe et da ns les pays en développeme nt ?

quelle est la mesur e, en ter mes d’écol og ie socia le , que vo us r êve rie z d e fa ir e adopter a u sein de votr e assemblée pa r lementair e ?

Joë lle K apompolé : Malheureusement non. Très longtemps, le débat a été confisqué par des intellectuels privilégiés qui ne voulaient pas (ou ne pouvaient pas) comprendre la réalité vécue par les plus démunis de notre société. à l’heure actuelle, consommer bio reste un luxe et l’impossibilité de se chauffer correctement prend des proportions catastrophiques.

Joë lle K apompolé : J’aimerais que les indicateurs alternatifs (indice de soutenabilité environnementale, indice de bien-être, indicateur de progrès véritable, empreinte écologique…) deviennent la norme pour notre gouvernance dans toute la fédération Wallonie-Bruxelles à côté des indicateurs classiques tels que la croissance ou le produit intérieur brut.

ol iv ia P’t ito : NoN ! la pauvreté augmente… Voilà pourquoi il est urgent de partir du social PouR relever le défi environnemental. on doit arrêter de penser « groupement d’achats solidaires » (y compris d’énergie) ou potagers urbains sans en faire profiter prioritairement les plus démunis.

olivia P’tito : la création d’un véritable encadrement des loyers fixé en tenant compte de l’état du bâtiment y compris au niveau énergétique. Car, outre que les prix n’ont fait qu’augmenter en Région bruxelloise, une large majorité de notre population est locataire et non-propriétaire contrairement aux deux autres Régions. Cette situation rime avec inégalités sociales et précarité énergétique.

la catastr ophe de f ukushima a-t-elle modifié votre analyse de l’enjeu du nuc léaire ? 14


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dossier A l’inver se, quelle est la plus mauvaise mesur e législat ive que vo us a vez é té contr aintes de vote r en matiè re envir onnementale ? olivia P’tito : Je m’interroge souvent sur les énormes budgets consacrés aux primes énergie qui, certes depuis l’an passé et au prix de longs débats, ont été modifiées afin de tenir compte des revenus des bénéficiaires, mais s’apparentent encore souvent à des effets d’aubaine. le retour sur investissement tant en termes d’économies d’énergie que d’emplois devrait être plus mesurable… Joë lle K a pompolé : les décrets relatifs aux aéroports même si nous avons réalisé du bon travail en matière de réduction des nuisances sonores et environnementales. En ma tiè r e d e p ro duc tio n e t d e consomma tion, de nor mes sociales et e nvir onne menta les, l’éta t do it-il êt r e p lus co nt r a igna nt o u fa ut-il f ai r e confiance aux citoyens ? olivia P’tito : ouI il faut faire confiance aux citoyens, MAIS en l’accompagnant afin que ses choix soient éclairés en tant que consommateur au milieu de l’écologie de marché actuelle. Il importe aussi de « réguler » certains marchés créés de toutes pièces (PEB, sols pollués, etc.) et bien sûr imposer des normes et sanctions comme ce qui concerne la propreté. Joëlle K apompolé : l’état doit jouer son rôle et édicter la norme. Par contre, il faut sans cesse convaincre les citoyens de la pertinence de celles-ci pour susciter l’adhésion de tous.

Êtes-vous fa vor a ble à une ré gulation des prix de l’éner gie et dans l’affir mati ve, sur quels critèr es ?

un paysa ge, un roman… qui symbolise pour vo us l’alliance des deux justices, la sociale et l’environnementa le ?

olivia P’tito : ouI bien évidemment, l’accord de gouvernement prévoit d’ailleurs l’instauration d’une tarification solidaire -comme pour l’eau- dès que la compétence nous sera transférée. Il faudrait aussi interdire aux fournisseurs la répercussion dans leurs prix des taxes, environnementales ou liées aux missions de service public, qui leur sont imposées.

Joëlle K a pompolé : le film « one water » que j’ai pu présenter à une centaine d’étudiants de 4ème secondaire dans le cadre de mes activités de présidente du Contrat de Rivière de la Haine. Ce film montre les multiples façons dont l’eau touche les êtres humains tout autour du globe. Il a été filmé dans 15 pays, sur les 2 hémisphères, pendant une période de 5 ans. J’ai apprécié les séquences visuelles fortes, les commentaires ainsi que la musique jouée par l’orchestre philharmonique de Russie. Surtout, j’ai été heureuse d’échanger mes impressions avec celles des jeunes présents dans la salle.

Joë lle K apompolé : évidemment, je suis favorable à une régulation des prix de l’énergie. Je pense qu’il faut travailler sur les prix de l’énergie elle-même et sur les coûts de distribution, ce qui implique d’agir au niveau fédéral et au niveau régional. le moins que l’on puisse dire, c’est que la libéralisation de l’énergie n’a pas été favorable au consommateur. l e dé ve lop pe ment d ur a ble , av ec ses quatr e pilier s, vous a ppar aît-il comme un mod èl e op ér a tio nnel d e gouve rna nce f ac e aux ca ta st ro phe s c lima tiques et a ux per turbations des c yc les naturels ?

ol iv ia P ’ti to: l’enjeu de cette alliance des deux justices et la vulgarisation des enjeux afin que chacun puisse s’en emparer. l’humour y a donc sa place et Jamel Debbouze a bien résumé les choses : « Ma mère, c’est elle qui a inventé l’écologie : un bain pour 7 ! ». Côté BD, « les innocents » sonnent comme un « retour à la nature » de Etienne Davodeau, plus habitué à des thèmes clairement sociaux… Pr opos r ecueillis par Jean Cor nil

Joë lle K a pompolé : En tout cas, je n’en vois pas d’autres pour l’instant. olivia P’tito : Ce qui compte c’est la transversalité opérationnelle qui doit exister derrière ce concept de développement durable : les administrations doivent travailler ensemble. u ne pr od ucti on cultur e lle , une c hanson, un film, une recette, un ta blea u,

LE NUCLEAIRE : UN PARI PASCALIEN Alexandre lacroix, dans un dossier sur le nucléaire de Philosophie Magazine, décrit un saisissant parallèle avec le pari de Pascal sur l’existence de Dieu. Il est rationnel de croire en Dieu, selon Pascal, en regard des bienfaits éternels qu’il nous apporte s’il existe. Si Dieu existe, nous gagnons tout. A l’inverse, et en parabole, il serait fou de croire aux vertus du nucléaire même si le risque d’un accident est infime. Car s’il se produit, nous perdons tout… Après Tchernobyl et fukushima, la question du nucléaire est plus que jamais d’une brûlante actualité, tant en termes de sécurité des populations qu’en ce qui concerne le retraitement des déchets. l’énergie nucléaire (à peine 3% de la production de l’énergie mondiale) est non seulement très onéreuse à produire mais constitue évidemment un danger majeur comme nous l’a rappelé brutalement le drame du Japon. Il aura fallu cette tragédie moderne pour que certains états, comme l’Allemagne, se convertissent encore plus aux énergies renouvelables ou entament enfin le débat comme la france. Chez nous, à l’heure où sont écrites ces lignes, les négociations ont confirmé le respect de la loi sur la sortie du nucléaire, c'est-à-dire la fermeture en 2015 de Doel 1 et 2 et de Tihange 1. les quatre derniers réacteurs devraient être fermés entre 2022 et 2025. Saluons aussi l’exceptionnelle pétition de Greenpeace qui a déjà recueilli plus de 100.000 signatures. (JC)

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dossier blalbla

LES ONG FACE AUX DEFIS SOCIAUX ET ENVIRONNEMENTAUX C omment les oNG qui a gisse nt sur le t er r ain a r ticulent-e lles la d ime nsion environnementale avec la question sociale ? Deux responsables au sein d’organisations, nous indiquent ici comment ils concilien t ces défis majeur s. Parce que pou r Pier r e Titeu x (fédération Inter-Environnement Wallonie) ces deux thèmes et les enjeux qui les sous-tendent sont intimement liés et parce que, en suiv ant Pascale Bodinaux (Solidarité S ocialiste), une ju stice sociale passe au ssi par le règlement de questions liées à l’écologie.

DES ENJEUX IMBRIQUÉS, PAS OPPOSÉS longtemps, il fut de règle d’opposer préoccupations environnementales et revendications sociales. les défenseurs de l’environnement étaient considérés comme des (petits) bourgeois plus préoccupés par le sort de la reinette aux yeux rouges que par le bien-être de la classe ouvrière tandis que les syndicalistes et autres acteurs de la lutte sociale apparaissaient comme prêts à sacrifier mère Nature sur l’autel d’un productivisme synonyme de croissance et de pouvoir d’achat. Nous sommes – heureusement ! – aujourd’hui bien loin de cette vision caricaturale. Certes, le fossé séparant jadis les enjeux sociaux et

environnementaux n’est pas complètement comblé, mais il est devenu évident que loin d’être opposés, ceux-ci sont au contraire complémentaires et même étroitement imbriqués. Prédateurs de ressources naturelles et générateurs de multiples pollutions, nos modes de production et de consommation fondés sur le « toujours plus » méprisent également les conditions de travail et de vie d’une main-d’œuvre souvent considérée comme une simple variable d’ajustement. Ainsi, les travailleurs sont les premières victimes de processus industriels polluants. Ce fut le cas hier avec l’amiante ; ce l’est aujourd’hui avec le sablage des jean's ou l’agriculture industrielle et son usage massif d’intrants industriels hautement nocifs. Sur un autre plan, les populations les moins favorisées se trouvent confinées dans des quartiers cumulant les nuisances : trafic intense, bruit, paysage saccagé, air vicié, etc. Amorcée dès les années 60 avec des penseurs de l’écologie politique tels André Gorz, cette approche d’un combat commun de l’environnement et du social face à l’économie trouve aujourd’hui un large écho à gauche de l’échiquier politique. Elle colore les programmes des partis et a donné naissance à un nouveau courant : l’éco-socialisme. Chez Inter-Environnement Wallonie, ce lien s’impose comme un axe central de nos analyses et 16

prises de position. Nous avons ainsi consacré pas moins de deux dossiers à la question du modèle économique actuel et de son alternative idéale. Ce travail a servi de base à des formations destinées tant à nos 160 associations qu’à un public plus large. Nous avons également consacré notre « université d’automne » 2010 à la « décroissance » et l’édition 2011 à la « transition économique ». Autant d’activités qui traduisent l’attention que nous portons à cette question fondamentale et participent de « l’agitation d’idées » que nous nous attachons à générer en marge et en soutien à notre travail d’analyse critique et influence des politiques publiques. Cependant, si la réflexion intellectuelle et le positionnement idéologique ont considérablement évolués, la diffusion d’un tel message au sein des publics prioritairement concernés reste complexe. Difficile, en effet, de sensibiliser à ces questions des individus logiquement et légitimement plus soucieux de leur situation matérielle que de l’état de la planète ou même de leur quartier. D’autant plus difficile que ce positionnement implique une révision quantitativement à la baisse de nos modes de vie. Nous sommes pourtant convaincus que cette approche associant étroitement enjeux sociaux et environnementaux s’imposera demain comme un impératif des nouveaux rapports économiques ici et ailleurs. Pier re Titeux


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dossier CONCILIER JUSTICE SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE Bien que tout gouvernement ait une large responsabilité politique en la matière, lorsqu’on parle de justice sociale et environnementale, on pense surtout à la responsabilité sociale des entreprises, car elles sont souvent les acteurs concernés en première ligne par cette question. Si, jusqu’à présent, au plan international, l’union européenne reconnaît les atteintes que les entreprises peuvent porter aux droits humains (notamment ceux des travailleurs …!) et à l’environnement, les dispositions légales font encore souvent cruellement défaut pour pénaliser celles qui sont responsables de ces atteintes. les récents accords bilatéraux sur les investissements ou les traités de libre commerce entre l’uE et certains pays d’Amérique latine (Colombie et Pérou, entre autres) accentuent le phénomène d’accaparement des terres et les déplacements forcés de populations paysannes et indigènes. Il en va de

même pour les Accords de partenariats économiques entre l’uE et l’Afrique. les mines à ciel ouvert, les monocultures intensives destinées à l’exportation (notamment pour l’alimentation du bétail ou la production d’agro carburants) ont des répercussions irréversibles sur l’environnement et la biodiversité de zones souvent riches en ressources naturelles. Et, en ce qui concerne l’agrobusiness, vu son haut niveau technologique, il génère peu d’emploi au plan local. Au vu de cette situation, nombre d’oNG du Sud et du Nord demandent à leurs gouvernements de contraindre les firmes transnationales à publier un rapport social et environnemental rendant compte du respect des normes en leur sein et par leurs fournisseurs et sous-traitants. Elles demandent également de garantir l’existence de ces clauses, assorties de mécanismes contraignants de vérification, pour tout accord bilatéral d’investissement signé par les états membres et l’uE. Nous savons que bon nombre d’entreprises délocalisent vers des pays où la main d’œuvre est

MUNITIONS CULTURELLES POUR AFFRONTER LES PERILS à VENIR

bon marché et les syndicats peu ou pas existants. Parfois, comme c’est le cas au Vietnam, par exemple, ce sont des entreprises extérieures qui font pression à la baisse sur les salaires et l’application des règlements de travail locaux en menaçant de se retirer du paysage économique national. Avec des conséquences désastreuses sur les conditions de travail et de vie des employés de ces entreprises. les investissements privés se font souvent au mépris des souverainetés nationales en matière de lois sociales et environnementales et de la souveraineté alimentaire des Etats et des populations concernées, qu’elles soient urbaines ou rurales. Ces dernières se voient en effet privées de l’accès aux ressources naturelles et à la terre, censées satisfaire leurs besoins alimentaires de base. Ce sujet fait l’objet de différents articles du numéro hors-série de la revue Politique (Décembre 2011) publié par Solidarité Socialiste en collaboration avec l’agence de presse InfoSud Pascale Bodinaux

10 ouvrages pour constr uir e l’alter native -

Antimanuel d’écologie, Yves Cochet, Bréal, 2009 le contrat naturel, Michel Serres, françois Bourin, 1990 l’humanité dispar aîtra, bon débarr as !, Yves Paccalet, Arthaud, 2006 le pari de la décroissance, Serge latouche, fayard, 2006 Tcher nobyl, la vie contaminée, un film documentaire de David Desramé et Dominique Maestrali, Elzévir films, 2009 Redéfinir la prospérité, jalons pour un débat public, Isabelle Cassiers et Alii, l’Aube, 2011 l’an I de l’ère écologique, Edgar Morin (et dialogue avec Nicolas Hulot), Tallandier, 2007 l’homme économique et le sens de la vie, Petit tr aité d’alter-économie, Christian Arnsperger, Textuel, 2011 Ver s une démocratie écologique, le citoyen, le savant et le politique, Dominique Bourg et Kerry Whiteside, Seuil, 2011 la simplicité volon tair e contre le myth e de l’abondance, Paul Ariès, la découverte, 2010

Retrouver sur www.agirparlaculture.be une bibliographie développée des ouvrages et documentaires qui permettent d’aller plus loin sur ces thématiques

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à bas la Culture

VOyAGE AU BOUT D’UNE POUPÉE RUSSE © Nathalie Caccialupi

l es lecteur s attentifs de cette chronique – un milliard d’individus au bas mot… – savent que son leitmotiv, outre la défense achar née de l’ar t d’en bas, est implicitement, et métaphoriquement, contenu tout en tier dan s une pou pée r usse. l e message est on ne peut plus clair : tout est dans tout ! Et réciproquement. Mais qui est-elle au juste cette poupée russe, aussi appelée matriochka ou poupée gigogne ? C’est une idole. De bois. Très impudique puisqu’elle nous invite à voyager au plus profond d’elle-même. une expédition de l’étagère vers le centre de la Terre, par strates ou couches successives. Suivant la technique de l’oignon. Mais pourquoi diable répondre à son appel ? l’objet de ce voyage n’est-il pas, en effet, prédéfini par la logique torve d’un fabricant ou pire, d’un commanditaire ? Il n’y a donc pas de raison valable à cette aventure de salon, si ce n’est la pulsion de la quête…

Vers qui, vers quoi ? une star de l’effeuillage ? les douze apôtres ou les douze salopards ? un dictateur peut-être ? Puis un autre, puis un autre, puis un autre… Jusqu’au plus petit des dictateurs. Dont la cruauté serait inversement proportionnelle à la taille. Il doit exister aussi une poupée russe islamiste dont on dévoilerait, au fur et à mesure, les mollahs et ayatollahs empilés (très difficile à prononcer ça) jusqu’à la révélation du prophète : un morceau de bois non peint celui-là, ne figurant rien d’autre que la matière elle-même. Et si Mahomet n’était au fond que la métaphore du vide originel dont nous sommes toutes et tous issus ? De l’hypothèse théologique à la pataphysique spatiale, il n’y a qu’un pas. C’est pourquoi certains disciples d’Alfred (Jarry) pensent également que le big bang lui-même prit naissance à la plus infime limite d’une poupée russe. Selon cette théorie, l’expansion de l’univers serait donc le produit du développement continu, par couches, de la plus petite à la 18

plus grande, d’une formidable poupée ! Et tôt ou tard – d’aucuns disent bientôt… – une couche incommensurable submergera notre univers tout entier. la dernière ligne d’horizon de l’humanité, au-delà de laquelle nous ne verrions que du vide, serait donc bel et bien la face cachée d’une poupée gigogne ! une sorte de miroir céleste sur lequel, l’espace d’un instant, se reflèteront nos vanités qu’on croyait éternelles. Bien fait pour nos gueules. Et si cette histoire de va-et-vient n’avait finalement aucun sens ? Profitons dès lors des quelques instants qui nous restent pour vous conseiller un détour par les œuvres plastiques superbes de Sara Conti, artiste montoise qui utilise notamment les formes galbées de la matriochka comme support de création. Tapez Sara Conti sur votre moteur de recherches et laissezvous surprendre. C’est bien quand nos vies s’emboîtent, non ? Denis Dargent


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réflexions

LE MONSTRE DOUX CONTRE LA GAUCHE ENTRETIEN AVEC RAFFAELE SIMONE

Raffaele Simone est professeur de linguistique à l’uni ver sité de Rome. Il a publié en 2010 aux Editions Gallimard « le monstr e doux, l’occident vir e-t-il à droite ? ». Ce li vr e a connu un vif succès et a secoué la réflexion sur la g auch e. Dans le cadr e de Phi lo, les r encontr es philosophiques de PAC en collabor ation avec Philosophie Magaz ine, il est venu débattr e à Br uxelles avec Paul Magnette en novembr e dernier sur l’avenir du socialisme. D epuis 2008, c’est la crise du capital ism e, une cr ise ban cai r e et fi nan c ièr e, et en m ême t emps, la g au c he eu r opéenne, c om m e on l ’a v u au x élec tions eur opéennes de juin 2009, perd les élect ions ? Comment c onc iliez-vous cet appar ent par adoxe : C’est une belle remarque que vous faites et il me semble que c’est une très juste vérité. on

aurait attendu après la crise ou même pendant la crise que les gens se déplacent au fur et à mesure vers la gauche, car même les gouvernements de droite, tels que celui de Bush à l’époque, ont dû prendre des mesures de gauche, comme nationaliser ou contribuer de manière lourde au financement des banques et des entreprises financières. Mais malheureusement cette attente ne s’est pas réalisée. Pourquoi ? à mon avis, la réponse est contenue dans le titre même de mon livre. les gens sont tellement pénétrés par les monstres doux, la culture du monstre doux, que l’on ne se rend même plus compte du fait qu’il y a des moments où les mesures de gauche sont nécessaires. on est tellement infiltré par ce paradigme que l’on n’arrive même pas à faire valoir ses propres intérêts. Dans les moments de crise, la gauche est nécessaire, et les crises sont des moments où elle se révèle de la manière la plus efficace. Malheureusement, ce signal n’a pas été reçu par les électeurs, en Europe tout au moins. Ce n’est donc pas un paradoxe, c’est un tournant historique qui se manifeste là. Vous expl iquez dans vot r e l i vr e que nous vi vons sous la for me d’un léviat han m édiat ic o-f in an c ier, u ne for m e de pieuvr e suave où les mot s d’or dr e s on t auj our d’h ui pour les gens : c onsomm er, s’amuser, r ester jeunes. la gauc he appar aît à l’inver se comme l e par ti de l a compassion, du sacri fice, des limites, de la r enonciation. Com ment dépasser l’alter nativ e entr e c es deux conc eptions de v aleur s c ult ur elles ? Ce n’est pas à moi heureusement d’indiquer les voies par lesquelles il faut modifier les attitudes actuelles des électeurs. C’est plutôt une tâche des politiques en tant que telles au sein de la gauche. la gauche a raté, une série très im19

portante de rendez-vous historiques. Par exemple, elle n’a pas compris la valeur et le sens de la révolution numérique. on l’a considéré tout d’abord comme une sorte d’amusement, une sorte d’entretien superficiel alors que la révolution numérique allait modifier en profondeur jusqu’à notre esprit même. De plus, ils n’ont pas compris la signification véritable des phénomènes d’émigration de masse, d’émigration clandestine et non-clandestine. la quantité de rendez-vous historiques que la gauche a raté explique le fait qu’elle ne soit pas encore à la hauteur des temps présents. Dans cette époque, comme le consumérisme l’a emporté pratiquement partout, la nécessité de se sentir jeune, de pratiquer les sports, de s’adonner aux soins du corps, etc., cela correspond par contraste à la réduction graduelle de la compassion et de la solidarité. Et donc, on délègue, on transfère la solidarité aux organisations de charité comme Médecins sans frontières, Emergency, etc., mais ce faisant, on réduit la mesure dans laquelle on fait personnellement de la solidarité. Il y a un autre élément, me semble-t-il, que vous n’avez pas mentionné dans ce paradigme, c’est celui que la culture numérique qui joue un rôle essentiel dans ce panorama actuel et qui a contribué de manière extrêmement lourde et même dramatique, à brouiller, dans les esprits, la distinction entre le fait réel et le fait représenté c’est-à-dire entre le fait « dur » et sa reproduction sous forme d’images, de pixels, d’écrans d’ordinateurs ou de télévision. Si cette confusion ne persiste pas dans les esprits les plus avertis, la confusion est totale dans l’esprit des foules, dans le peuple au sens réducteur qu’il faut parfois attribuer à ce terme. à partir de quoi voit-on ce fait qui, pour moi, est extrêmement grave ? à partir du fait que, par exemple, on peut s’amuser dans un contexte de guerres, de rébellions, de massacres : là, on peut faire de belles photos, on peut faire des


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réflexions prises de vue par portables et les distribuer dans le monde entier par You Tube ou via d’autres forums sociaux. Donc, la confusion est continue et totale. on produit parfois des faits simplement pour qu’ils soient reproduits en images. C’est donc une artificialisation de faits qui a contribué à faire trembler la distinction qui est à la base de la conscience rationnelle de l’occident.

Pour l’instant on a des espoirs vis-à-vis de ce gouvernement mais les perplexités sont nombreuses pour les raisons que je viens de décrire. En plus, il y a un grand banquier dans ce gouvernement dont le rôle est le plus important de tout le cabinet. Il y a beaucoup de catholiques, peut-être un peu trop par rapport à la composition naturelle de la population italienne.

De toute façon, on adresse les félicitations les plus fortes à ce gouvernement qui va assumer une tâche énorme qui est celle de reconstruire un pays qui a été terrassé par une administration catastrophique. En plus, il faut reconstruire, avec une patience religieuse, la moralité publique, car le moral de mon pays est aussi complètement à plat. Pr opos r ecueillis par Jean Cor nil

Est-ce le pr olongement des analy ses d’Alexis de Tocqueville, du despotisme doux, dont vous dites dans votr e livr e « le monst r e doux » : on a hébété la v olon té plu tôt qu e de c her c her à la briser ? C’est une citation de Tocqueville que j’ai souvent employée et discutée dans mon livre parce qu’il me semble que ce petit texte, ces quelques pages de son « De la démocratie en Amérique », contient une sorte de prophétie foudroyante. Il l’a formulé par rapport à son époque, mais cette description s’adapte, me semble-t-il, parfaitement à la situation actuelle. Il y a quelqu’un qui dispose de nous et qui veut que l’on s’amuse sans souffrir, mais en se soumettant à des volontés qui ne sont pas les nôtres. Vous êt es it al ien. l’Itali e vi t u n m om ent polit ique impor tant. Silvio Berlusconi vient de quitter le pouvoir. Il a été r emplacé c omm e Pr emier ministr e par Mari o Mont i et c e que d’auc u ns a ppellent u n gouver nement de t ec h n ocr at es. Cela v ous lais se-t -i l perpl exe ou bien est- ce pou r v ous u ne espér ance pour le renouveau de votre pays ? Tout d’abord, on a fait la fête pour célébrer le départ de ce monsieur qui a marqué d’une manière si dure, si triste et méprisable presque 20 ans de notre histoire. Mais après la fête, on a commencé à se demander : qu’est-ce que cela représente ce gouvernement « technique », comme on le dit en Italie, formé surtout de professeurs d’université, mais surtout de professeurs d’université qui sont pour la plupart des professionnels importants, puissants, richissimes, et donc qui ne représentent pas au sens propre les intérêts de la population d’un pays comme l’Italie. 20


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IGNACIO RAMONET ET LA THÉORIE DE L’ÉVOLUTION DES ESPÈCES MÉDIATIQUES Tant dans l’explosion du jour nalisme, son der nier ouvr age, qu’à la tribune de l’univer sité de Mons-Hainaut où il s’exprimait début n ovembr e 20 11 à l ’invit ation de Tél é Mons-B orina ge, l e diagn os tic d’u n mon de médiatique « tc her nobyli sé » que pose l’an cien dir ecteur du mensu el le Mon de dipl omat ique est san s appel. Alor s, Ignacio Ramonet convoque la théorie de l’évolution pour r assurer : le journ alis me, l ui, exi ster a touj ou r s. Dans de n ouveaux habi ts et à t r aver s des pr atiques régénérescentes. Wikileaks a montré la voie. « Ce à quoi l'on assiste aujourd'hui, dans le secteur de l'information et des médias, c'est à un changement d'écosystème, une mutation structurelle parmi les plus importantes et les plus profondes dans l'histoire de la communication. » Ignacio Ramonet n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, nous sommes à l’aube d’un processus d’extinction massive. Tous n’en meurent pas, mais tous sont touchés. à commencer par les quotidiens de la presse papier, dinosaures de la nouvelle ère numérique, pris dans la tourmente des fermetures, des plans d’économie et de licenciement : 120 quotidiens ont disparu aux états-unis pour 25.000 emplois détruits entre 2008 et 2010. la diffusion de la presse écrite y chute de 10 % par an. D’autres « espèces » sont, elles aussi, menacées de disparition. Des chaînes d’information en continu s’éteignent. Signe que les grands groupes multimédias, ces mastodontes constitués dans les années 1980 et 90, se sont avérés inefficaces, face à la prolifération des nouveaux modes de diffusion de l’information, pour protéger leurs fleurons et leurs intérêts. Troisième groupe au monde, News Corporation, propriété de Rupert Murdoch, a reconnu des pertes annuelles supérieures à 2,5 milliards de dollars. le financial Times, un des hérauts les plus prestigieux du capitalisme libéral dans le monde, paie ses rédacteurs trois jours par semaine…

CC BY-SA 2.0 par Harshil Shah

manque à gagner qui en résulte ne sont pas épongés par les gains de lecteurs sur la Toile : même en hausse, l’audience Internet rapporte moins auprès du marché publicitaire. que ce soit sur le Net, les smartphones ou les tablettes, les recettes du numérique demeurent une toute petite partie des revenus globaux des groupes médias. Et lorsque les sites web des grands journaux passent au toutpayant, comme le Wall Street Journal ou le Times de londres, la fréquentation s’effondre : de 22 millions à 200.000 pour ce dernier. uNE INfoRMATIoN quI NE VAu T RI EN

la question tarabuste les patrons de presse du monde entier. Sans que personne ne soit encore parvenu à trouver la martingale. la baisse constante des ventes des journaux papier et le

Ignacio Ramonet pose les termes de l’équation. la prolifération des nouvelles entreprises de communication, qu’il s’agisse des firmes télécoms, de 21

Google, de facebook ou de Twitter, contribue à la maximalisation de la recherche des profits. Dans cette optique, l’information est une matière première que l’on vend et revend, peu importe le contenu. Ce qui compte, c’est de pouvoir la proposer au plus grand nombre : « le marché de l’information ne consiste plus à vendre de l’information aux gens, mais à vendre des gens, des consommateurs, aux annonceurs. » la seule valeur de l’info, dans cette optique, c’est sa consommation.

« C’est ce qui explique, pour l’essentiel, la mauvaise qualité de l’information journalistique actuelle », renchérit l’ex-éditorialiste en chef du Diplo (comme l’appellent ses plus fidèles lecteurs et amis). Pour être la plus attirante et la plus rentable possible, en effet, elle doit, selon les dogmes en vigueur, être


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CC BY 2.0 par Katerha

instantanée, simple, manichéenne, émotionnellement forte, people… Par ailleurs, comme elle est en offre surabondante dans la multiplicité des flux qui s’entrecroisent, selon la logique du marché, « cette information ne vaut rien ». or, comment faire du profit avec « du rien » ? une information qui ne vaut rien se vend difficilement. Alors, les éditeurs l’offrent… le plus largement possible, en essayant ainsi de bénéficier de davantage de retombées publicitaires, et en la subventionnant, pour le reste, par les rentrées de la presse papier. Mais comme ils la proposent gratuitement ou presque cette information web, ils ne vont pas non plus dépenser trop pour la produire. on réduit les effectifs et les moyens, y compris dans les rédactions non web. on prolétarise les entrants dont le statut professionnel, économique et social se détériore : c’est le cas en particulier pour les galériens du web. Et on compense le manque à gagner des ventes par l’intrusion du marketing dans le rédactionnel… quand le magazine en ligne Slate appartenant au groupe du Washington Post commente un livre ou un DVD, des liens relient le texte au site de vente en ligne Amazon. Pour chaque vente effectuée, Slate perçoit 6 % du prix. la déontologie journalistique s’est toujours montrée sourcilleuse à l’égard de l’étanchéité de la frontière entre information et communication notamment commerciale. Cette barrière, on le voit, a été « explosée », elle aussi. WI KI l EAK S, l’oX YGÈ NE D’uN NouV EAu BI oToPE Hier, le journalisme « idéal » se revendiquait éclaireur de la société ou éducateur du peuple, ses contenus s’efforçaient de fabriquer de la citoyenneté, il se vivait conciliant pour les plus vulnérables et impitoyable pour les plus puissants. Aujourd’hui, à leur corps défendant ou non, nombre de journalistes des médias d’information centraux cherchent avant tout à « fasciner le peuple » (à l’égard duquel ils n’éprouvent que condescendance), ils font eux-mêmes partie des people (moins, c’est vrai, dans l’espace francophone belge), et ils se font les vecteurs – par simplification, par « objectivité », par conformisme professionnel, par adhésion au diktat de l’événement, par renoncement au questionnement de l’ordre des choses… – des recettes de la globalisation économique et financière libérale.

« les grands médias posent un réel problème à la démocratie, se désole celui qui a été le premier à formuler le concept de la pensée unique (dans un éditorial de 1995). Ils ne contribuent plus à élargir le champ démocratique, mais à le restreindre, voire à se substituer à lui. les groupes médiatiques sont devenus les chiens de garde du désordre économique établi. Ces groupes sont devenus les appareils idéologiques de la mondialisation. » Aux états-unis, poursuit-il, un cinquième des membres des conseils d’administration des mille principales entreprises des états-unis siège également à la direction des plus grands médias : « la communication est devenue une matière première stratégique. le chiffre d’affaires de son industrie s’élevait en 2010 à 3.000 milliards d’euros (15 % du PIB mondial) ». le pire demain, pour autant, n’est pas certain. le journalisme, Ignacio Ramonet en est convaincu, existera toujours, car « c’est un pilier essentiel de la démocratie ». Si des médias disparaissent au fil de la mutation en cours, « de nouveaux biotopes se développent qui proposent d’autres façons de faire du journalisme ». une évolution bornée par le phénomène Wikileaks : « Il existera un avant et un après Wikileaks dans l’histoire du journalisme qui s’écrira dans quelques années », soutient celui qui a été (élu) directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008. la philosophie de l’entreprise de Julian Assange est que, en démocratie, tout secret est fait pour être dévoilé. Par la divulgation d’archives et de documents confidentiels, ce que Wikileaks a démontré et démonté, en marge des contenus exhumés euxmêmes, estime Ignacio Ramonet, c’est l'illusion que nous avions d'être bien informés, alors que « des continents entiers d’informations nous faisaient défaut sur des affaires aux enjeux extrêmement graves. » Pour Ignacio Ramonet l’enseignement principal de Wikileaks, c’est que le journalisme défini comme la recherche et la mise au jour de ce qui est caché par les pouvoirs ne fonctionne tout simplement plus dans les médias classiques. MoRDRE lE DoIG T PluTôT quE SCRuTER l A luNE C’est sans doute pour cela que la très grande majorité d’entre eux a réagi en stigmatisant les méthodes et en dévalorisant les contenus de Wikileaks : 22

« les révélations de Wikileaks ne nous ont rien appris que nous ne connaissions pas déjà », a entonné – avec beaucoup de mauvaise foi – le chœur médiatique… sans même prendre la peine de se pencher sur les informations recelées dans les fuites publiées. Préférant mordre le doigt plutôt que scruter la lune que celui-ci pointait… Et au bout du doigt, notamment, Wikileaks a dévoilé l’existence d’un gigantesque état sécuritaire occulte parti des états-unis. En tient lieu de confirmation, en quelque sorte, la violence de la réplique et l’extrême sévérité des peines infligées aux Cassandres : « Pour avoir fait circuler librement des informations cachées – alors même que la libre circulation de l'information est au cœur du concept hyper valorisé de la société de l'information – le soldat américain Bradley Manning [NDA : à l’origine de la fuite des câbles sur les opérations de l’uS Army en Afghanistan] a été embastillé par une justice médiévale. » quant à Julien Assange, quoi qu’en aient jugé la justice britannique, Paypal ou Mastercard (qui ont tenté de le ruiner), « rien n’arrêtera le mouvement qu’il a enclenché, pronostique Ramonet, puisqu'avec la numérisation, les archives sont dématérialisées et accessibles à tous ». Et de rappeler que la mission première du journalisme est moins de diffuser, en l’ayant retraité, de l’information que l’on reçoit ou que l’on trouve en masse, que de chercher l’information rare, c’est-à-dire celle qui se dissimule. Dans une société parmi les plus éduquées de l’histoire de l’humanité, et dans un monde de plus en plus complexe, selon Ignacio Ramonet, la demande d’une information de qualité, d’un journalisme critique permettant le recul et porteur de points de vue exprimés honnêtement, d’analyses en profondeur, et de données occultées ne va cesser de croître. Et qui sait ce que réserve l’avenir, confie l’hôte d’un soir de Télé MB et de l’université de Mons : « l’écriture a 5.000 ans. Il a fallu 500 ans, à partir de l’invention de l’imprimerie, pour que s’épanouisse l’humanisme à l’échelle de nos sociétés. le web n’existe que depuis 22 ans. or, combien de changements d’une profondeur globale dans nos vies depuis… » Il en est persuadé : d’autres suivront. Marc Sinnaeve


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RESTER MOTIVÉ, C’EST UNE AFFAIRE DE CHœUR © Philippe Perniaux

fin août, avec l’aide du CPAS et d’Artic le 27 , Pr ésence et A cti on Cul tu r elles (PAC) Char ler oi réunissait une c hor ale citoyenne, sous la houl ette d’ un animateur hor s du commun . A pr ès une pr estation r emar quée au festival de la chanson ouvrièr e en octobr e, le ch œu r a contin ué de battr e… Réci t d’u ne aven tu r e par ticipati ve. Marchienne-au-Pont, 8 novembre 2011 : olivier Bilquin, notre maître chanteur, accueille à sa manière les choristes dans le local de répétition prêté par la Maison pour associations. « Je suis très content de vous revoir… Je n’ai pas encore bu le vin mais j’ai mangé le saucisson ! » les exercices d’échauffement peuvent commencer dans la bonne humeur. Déambulation aléatoire, les pieds se déroulent sur le sol, les bassins se tendent vers l’arrière, on mâche, on bâille sans retenue, on laisse les premiers sons descendre le plus bas possible. on accompagne le son dans sa chute, avant de remonter sur un rythme de plus en plus soutenu… un mois plus tôt, ces femmes et ces hommes se produisaient sur la scène de Charleroi-Danses, dans le cadre d’un 1er festival de la chanson ouvrière plein à craquer. la chorale, rebaptisée depuis lors « Chœur des motivés du 8

octobre », remporta ce soir-là un succès massif, tout à fait mérité. Ce fut l’apothéose d’une aventure humaine commencée quelques semaines plus tôt. D ’uN RéSEAu l’AuTRE l’idée d’une fanfare ouvrière ou d’une chorale traînait dans les tiroirs de PAC Charleroi depuis un certain temps déjà. Nous voulions rassembler un groupe de musiciens ou de chanteurs amateurs qui pourraient se produire à l’occasion de quelques grands rendez-vous populaires de la région. C’est le festival de la chanson ouvrière, organisé par Taboo, Centre jeunes de la fGTB, qui servit de catalyseur à nos envies. Nous décidâmes de constituer une chorale dont les membres ne possèderaient aucune connaissance particulière des techniques du chant, et de mettre en place en un temps record un ensemble vocal capable de se produire en ouverture du festival. Pour y interpréter deux, trois, voire quatre chansons. Au final, le chœur offrit au public un répertoire de six chansons, après seulement dix répétitions… le recrutement des participants s’opéra dans un partenariat étroit avec deux actrices bien connues dans la place : florence Trifaux, res23

ponsable du Plan de participation sociale, culturelle et sportive du CPAS de Charleroi, et Carmela Morici, coordinatrice régionale d’Article 27(mention spéciale aussi à leslie Raone de l’asbl Promotion famille). En activant nos différents réseaux, grâce aux contacts individuels et à notre inscription dans les réseaux sociaux, nous avons mobilisé une soixantaine de personnes, de tous âges, de tous horizons, ayant parfois une certaine expérience du chant et du chant choral, aucune le plus souvent. florence et fabrice (de PAC), motivés, se joignirent au groupe. C’est ensuite la logique du hasard (à la faveur du désistement du premier animateur pressenti…) qui nous a permis de rencontrer celui qui allait constituer la pièce essentielle de ce puzzle participatif : olivier Bilquin, le thaumaturge souriant, le sorcier de l’imprévu, le passionné transpirant d’énergie. à la mi-août, le dispositif était en place, le « chant » des possibles s’ouvrait à nous, sans qu’aucun des partenaires ne puisse prévoir, à ce stade, ce qui allait réellement se passer. le premier atelier, la première rencontre, se déroula le 23 de ce même mois, alors que l’été pourri se poursuivait… D’emblée, olivier imprima un caractère collectif à l’aventure en


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© Philippe Perniaux

pratiques en amateur

lançant son tonitruant : « on fait ce chœur avec tout le monde et on s’adapte à tout le monde ! » Moment clef. la répétition avait commencé depuis cinq minutes à peine. Place à l’échauffement. « PluS uN TRANSMISSIoN »

PARTAGE

q u’uNE

le même olivier, interrogé le 13 septembre, avant que ne démarre la cinquième répétition : « les choses ne se déroulent pas comme je les avais prévues parce que je n’avais rien prévu… C’est un groupe que je ne connaissais pas et dont pas mal de personnes ne se connaissaient pas non plus ; beaucoup d’entre elles n’ont jamais chanté de leur vie, en tout cas pas en choeur. Donc, a priori, je ne me suis pas fixé d’objectifs, on commence puis on va jusqu’où on va… Mais à ce stade, c’est déjà une satisfaction parce qu’on a du monde et que ce monde est revenu à chaque fois, c’est qu’ils y trouvent du plaisir. Pour moi ce genre de chœur a d’abord une vocation sociale, ce sont des gens qui se rencontrent et qui partagent un truc ensemble. Sinon on ne fait pas un chœur… Ils aiment ça, donc ils reviennent. Pour ce qui est de l’objectif musical, je dirais qu’on a déjà atteint un certain niveau, et on sera plus loin le 8 octobre. où ? Je n’en sais rien, est-ce qu’on aura un chant, deux chants ou trois, je ne sais pas. Mais je remarque déjà une qualité, une qualité d’écoute, une qualité de production, il y a une envie de produire du son de la part du chœur. Pour moi l’objectif est déjà atteint. » le musicien n’avait pourtant pas l’habitude de travailler avec un groupe hétéroclite, suivant un timing aussi serré. « J’ai animé une chorale d’une cinquantaine de personnes pendant 15 ans, mais il y avait une connaissance réciproque — je savais où je pouvais les emmener — et puis l’expérience des choristes qui per-

mettait d’aller plus loin. Ici, on se retrouve un certain nombre de fois pour produire un résultat… Il faut s’adapter à la façon dont le chœur répond, autant sur l’appréciation du répertoire qu’on propose que sur la façon dont ils chantent. Mais le niveau est vraiment chouette, il y a un son, tout de suite il y a eu une matière sonore sur laquelle on pouvait travailler. » Afin de coller à la thématique « chanson ouvrière » du festival, l’option retenue fut de soumettre aux participants des textes relevant du domaine de la lutte. lutte des classes ? luttes ouvrières ? où commence la lutte, où finit-elle ? Pour qui, pour quoi ? Il s’agissait surtout de construire collectivement un répertoire, parallèlement au rythme soutenu des répétitions. Nos propositions, intuitives, suscitèrent assez vite une large adhésion, notre volonté étant d’éviter la caricature, la révolte gnangnan ou la rengaine datée. D’où, au final, ce cocktail imprévisible fait de standards indémodables (le temps des cerises, Bella Ciao), d’un mix détonnant (la version Chant des partisans/Motivés de Zebda), d’un classique contemporain en Vo (The Partisan de léonard Cohen) et puis de choses beaucoup moins improbables qu’il n’y paraissait au départ (les mains d’or de lavilliers et Alors on danse de Stromae).

« Ma méthode, poursuit olivier Bilquin, c’est d’amener les gens à découvrir ce qu’ils doivent chanter avec un niveau d’exigence un peu caché, ne pas être rébarbatif, ne pas être cassant. une dame me disait que mes remarques, je les faisais avec humour, ainsi on prend les choses plus facilement. Ça fonctionne bien avec les chœurs amateurs, je ne suis pas sûr que ça marche autant avec un chœur professionnel, les pros ce sont tous des chanteurs, avec une formation vocale dans leur parcours. Il n’y a pas le même plaisir à venir aux répétitions, certains auraient même tendance à cacheton24

ner, tandis que les gens ici viennent pour le plaisir avant tout, le plaisir de chanter et de voir du monde. Certains viennent parce que c’est une activité en groupe. J’insiste sur le plaisir. Moi aussi j’y prends du plaisir, je ne suis pas un fonctionnaire. (…) J’essaye de transmettre un savoir, c’est vrai, mais c’est plus un partage qu’une transmission, partage d’un savoir et d’un plaisir. » Plaisir, laisser-faire et savoir-faire. Hasard et nécessité. l’éducation permanente n’est pas une science exacte, c’est une pratique qui se calque sur les envies et les aspirations de chacun, chacune. Ce qu’exprime frida avec ses mots à elle : « J’adore ces initiatives citoyennes culturelles ! on se rassemble, on forme un mélange, on se lance et on se laisse aller, on se laisse emporter. Je ne maîtrise pas la langue anglaise par exemple, mais je me laisse aller par rapport aux autres, je chante sur les paroles des autres, c’est magnifique ! » la suite de cette aventure s’écrivit d’elle-même, dès le 8 octobre, alors que le public, conquis, exigeait un rappel : la volonté de continuer fut unanime et deux nouvelles prestations furent programmées en novembre. Toutes et tous motivés, jusqu’à une date indéterminée… Denis Dar gent


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l’air du temps

TU TE SOUVIENS ? Rev en ir d'exi l com por t e des risques, comme r entr er une aiguille dans un vieux disque… (R.D esjar dins)

© Daniel Adam

qu'est-ce qui m'a pris d'ouvrir cette boîte ? C'était même pas de la nostalgie, et puis j'ai hor r eur de ça ; faut vivr e avec son temps, comme on dit. J'essaye, comme tout le monde, mais s ans dou te qu e pour y voir cl air, i l f aut êtr e pl us pu gn ace qu 'av ant. Avant quoi ? Je ne sais pas moi, vous avez de ces questions ! la guerre du Golfe, vous vous souvenez, la première guerre à la télé, comme un feuilleton, ou bien celle de 2001, vous savez bien, les avions dans les tours et tout ça, mais là, visiblement, c'était pas les mêmes qui avaient écrit le scénario. J'en étais où moi ? Ah oui, la nostalgie, camarade, la nostalgie, celle qui n'est plus ce qu'elle était. Donc, cette boîte, avec mes 45 tours. Bob Azzam, celui de Mustapha… « Chérie je t'aime chérie je t'adore… ». un libanais. Tiens, ça va aujourd'hui le liban ? là-dessus suit un autre Bob : Martin. Je les avais classés par ordre alphabétique ou quoi ? Il chantait, lui aussi, le temps des cerises, quand même. Il est où ce temps-là ? « …ne pourra jamais fermer ma douleur… ». Bon, on se reprend, il y a Jeannette Batti, à peine cachée derrière une ombrelle, qui chante quand

on est honnête. Mais oui Jeannette que le monde est honnête, quelle question ! Regarde, les banques par exemple, honnêtes jusqu'au bout de leurs villes et communes, c'est pas beau ça ? Mince alors, je l'avais complètement oubliée cette pochette de Tony Danieli, son alto et son orchestre. faut dire, on était en 1964. le regard qui tue de la fille sur la pochette avec un décolleté qu'on regrette tout de suite de n'avoir pas acheté le 33 tours. Il y a deux slows : finis de rêver et Du chagrin pour toujours. Je me dis que c'est un peu ça que nous annoncent les technocrates de l'Europe du libre échange (entendez : arnaque permanente). Ben zut alors, Solange Berry. Solange Berry ! Vous vous souvenez de Solange Berry ? Moi non plus, alors pour réparer cette injustice, j'écris son nom trois fois. quand elle chante Ne t'endors pas sur les lauriers, je me demande si j'ai bien refilé aux plus jeunes tout ce qu'il fallait, question valeurs. Et puis ils en feront ce qu'ils veulent, mais enfin, j'espère que je n'ai pas oublié un truc ou l'autre, histoire que je ne me sente pas obligé d'écrire dans trente ans « Révoltez-vous », parce qu'ils n'auront rien vu venir. David Whitaker interprète 4 inédits de loulou Gasté qui, comme vous le savez, était le mari de line Renaud. le 45 tours s'intitule Ce 25

soir après dîner et la photo de la pochette est, comment dire, bah, voyez vous-même. Dingue, non ? on parlait de la révolution, avant, et on disait souvent, en rigolant, qu'on la ferait après la douche, mais après le dîner c'est bien aussi. Sauf qu'à bien regarder dans nos assiettes, on a peut-être intérêt à la commencer là aussi, la révolution. Tiens, frank Sinatra avec son chapeau, et défilent des images de las Vegas, de mafia (qu'on disait), de whisky et quoi encore. Mais sa chanson, Strangers in the night, putain, il y a en a plus d'un qui a dû chialer en l'écoutant, quand elle passe dans le métro et qu'ils sont sur des cartons à essayer de passer une nuit de plus. Soit. un petit dernier pour la route ? le bateau miracle, une chanson, quatre interprètes : Becaud, The Golden Gate quartet, Miriam Makeba et los Wawanco. C'était une belle idée, en 68, un disque voué à la campagne mondiale contre la faim. Je ne sais pas si ça a vraiment marché. Ce qui est sûr, c'est que rester chez soi ne sert à rien non plus. D'ailleurs, je vais sortir, voir comment va le monde aujourd'hui. Daniel Adam


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découvertes R oMAN l a merditude des choses Dimitri Verhulst Editions Denoël, 2011

Ce roman écrit par Dimitri Verhulst a reçu en 2009 le libris literature Prize, il a été porté à l’écran par félix Van Groeningen, et a remporté le prix Art & Essai au festival de Cannes. la merditude des choses dresse le portrait d’un clan de marginaux déjantés, amoureux de la dive bouteille. un roman tout à la fois hilarant et mélancolique. le lecteur plonge dans la Belgique profonde, un village quelque part en flandre à Reetveerdegem. le personnage Dimitri vit avec son père et ses trois oncles chez sa grand-mère, une femme conciliante qui s’occupe des tâches ménagères, les laisse boire sa maigre pension et nettoie le mobilier avant le passage de l’huissier. Nous sommes bien au cœur d’un univers absurde. les Verhulst ne travaillent pas sauf lorsque c’est absolument nécessaire. Ils passent le plus clair de leur temps à se perdre dans des beuveries épiques, défendent à coups de poing l’honneur familial, organisent des Tours de france éthyliques ou des courses de vélo nudistes. « Mes premières années, je les ai passées avec mes parents dans la Kantonstraat, dans la minuscule cour d’une ruelle disposant d’une pompe à eau collective et de toilettes communistes, c’est-à-dire un trou dans une planche placée exactement au-dessus du puits perdu. les murs intérieurs du living étaient trempés et dans le bois vermoulu des châssis on enfonçait des boules de papier froissé contre les courants d’air. » un roman que vous prendrez plaisir à lire et qui vous transporte dans une autre dimension. (Sabine Beaucamp) www.dimitriverhulst.net (en néerlandais)

ESSAI/INTERNET I nter net r end-il bête ? Nicolas Carr Robert laffont, 2011 A-t-on vraiment de plus en plus de mal à lire un texte long en entier ? Est-ce normal de lire moins de livres ? Est-ce à cause d’internet ? Nicolas Carr, journaliste et spécialiste des nouvelles technologies se demande dans cette étude fascinante dans quelle mesure l’usage d’internet change la manière dont notre cerveau traite l’information. Il utilise notamment les dernières découvertes des neurosciences sur la plasticité du cerveau : celui-ci n’est pas fini une fois pour toutes à la fin de l’adolescence mais se remodèle en permanence tout au long de la vie en fonction des activités principales que l’on choisit de faire. Internet, ses outils et ses usages de plus en plus fréquents participent de fait à une reconfiguration, non seulement cognitive, de nos capacité à récolter les informations, mais aussi, anatomique, de nos organes sensoriels eux-mêmes. En suivant histoire et sociologie des techniques, il nous rappelle qu’internet, à l’instar de l’horloge mécanique, l’imprimerie ou de la carte, est une technologie intellectuelle dont l’usage régulier influe sur nos perceptions du monde, à un niveau individuel comme à un niveau sociétal. Ses conclusions inquiètent quelque peu. Internet n’attire notre attention que pour la disperser. Sans être jamais réactionnaire et en reconnaissant toujours ses bienfaits, l’auteur pointe néanmoins le fait que le net est un environnement qui favorise la lecture en diagonale, la vitesse au détriment de la qualité, l’apprentissage superficiel « vite vu, vite oublié », ou la pensée hâtive et distraite. Avec comme conséquences : un déficit d’attention (du aux liens hypertextes et aux interruptions fréquentes) ; une surinformation stérilisante (être partout, c’est être nulle-part) ; une altération de notre mémoire (car sous-traitée aux banques de données) ou encore une mécanisation des processus de l’exploration intellectuelle (on se moule aux logiques du programme) qui se répercute dans tous les aspects de notre vie. Nous lisons certes plus vite que jamais (« efficacement »), mais nous sommes de moins en moins incités à comprendre un texte en profondeur. la pertinence made in Google (rapidité de la recherche, accès en priorité aux pages les plus populaires) remplace peu à peu le creusement du sens et rend de moins en moins fréquent le moment 26

« inefficace » de contemplation, pourtant tout aussi nécessaire à un esprit bien fait, ne serait-ce que pour consolider les connaissances apprises et éviter qu’elles ne fassent que passer fugacement. C’est tout notre côté humain qui est en jeu. le danger étant moins qu’une intelligence artificielle surpasse celle de l’homme, mais plutôt que notre intelligence se nivelle au niveau de la très mécanique intelligence artificielle. (Aurélien Berthier) www.nicolasgcarr.com (en anglais) ESSAI/ECoNoMIE l’homme économique et le sens de la vie, Petit tr aité d’alter-économie Christian Arnsperger Editions Textuel, 2011 Parmi les très nombreux ouvrages qui analysent la crise du capitalisme, et plus particulièrement la déroute systématique de l’ordre marchand depuis septembre 2008, le livre de Christian Arnsperger devrait être impérativement lu. Il est à la fois simple et dense. Il combine une vision philosophique des impasses de notre civilisation avec des propositions pragmatiques comme le revenu de transition économique. Dans le prolongement de ses œuvres précédentes (Critique de l’existence capitaliste et éthique de l’existence postcapitaliste, les Editions du Cerf, 2005 et 2009), Christian Arnsperger nous convie au travers d’un examen impitoyable de notre « capitalisme intérieur » à une sortie existentielle du capitalisme par une prise et conscience du rôle central de nos désirs consuméristes pour conjurer notre double finitude, celle des autres et celle de notre mort. Indispensable pour vivifier l’éducation populaire dans une perspective critique de l’anthropologie aliénante qui préside à notre destin. (Jean Cornil) www.editionstextuel.com


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découvertes l a finance imaginaire Anatomie du capitalisme des « marchés financier s » à l’oligarchie Geoffrey Geuens Aden, 2011

les marchés euphoriques, les marchés inquiets et à rassurer à coup de plan d’austérité… Mais qui sont les marchés ? Sait-on seulement qu’ils ont des noms et des adresses bien précises ? Et si on sait les identifier, pourquoi n’est-ce pas plus simple d’intervenir ? Pourquoi malgré les discours incantatoires prônant une régulation des marchés, rien ne change ? Pourquoi une différence telle entre discours anticapitalistes qu’on a vu fleurir à droite comme à gauche et les actes politiques qui les mettraient en œuvre ? En fait, si la phrase « l’état doit reprendre la main sur la finance » est l’une des plus prononcées cette année, elle l’est en majorité par un personnel politique très investi dans le monde des affaires et qui, partant, aura du mal à abjurer ses engagements précédents. Comme jadis le sociologue américain Charles Wright Mills (l’élite du pouvoir, les Cols blancs), Geoffrey Geuens opère une sociologie des élites et conclut à la présence d’un appareil non pas militaro-industriel, mais politico-financier. En son sein, la porosité entre milieux politiques et milieux d’affaires est totale. on ne compte plus les allers-retours entre hauts postes de compagnies (médias, énergie, distribution) et fonctions politiques déterminantes, et ce, quelle que soit la couleur politique de ses acteurs. l’oligarchie, loin d’être un fantasme de complotistes, est une réalité qui est ici mainte fois démontrée et documentée. l’ouvrage est aussi l’occasion de monter les capacités performatives des acteurs du marché qui, par leurs discours, instituent des situations bien réelles. Il présente en outre une présentation des acteurs les plus représentatifs du capitalisme anglo-saxon qui domine actuellement et dont les imbrications entre pouvoirs publics et groupes financiers est l’une des caractéristiques principales. (AB)

ESSAI / PHIloSoPHI E u ne Rolex à 50 ans, A -t-on l e dr oit de r ater sa vie ? Yann Dall’Aglio flammarion, Antidote, 2011 Jacques Séguéla à Télématin le 13 février 2009 : « Comment peut-on reprocher au président de la République d’avoir une Rolex ? une Rolex, enfin ! Tout le monde a une Rolex ! Si à 50 ans on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie ! ». Cette incroyable affirmation, contre laquelle le publicitaire se rétractera une semaine plus tard, traduit parfaitement l’inconscient qui irrigue le propos de notre époque. Des signes extérieurs de richesse, une accumulation infinie de biens et votre vie trouve tout son sens : travaillez plus pour gagner plus pour consommer plus ! Et ma Swatch ? à l’inverse de tout un mouvement, à la fois intellectuel et très concret, qui valorise la frugalité, la croissance spirituelle, la lenteur, le silence, la contemplation… et qui porte la critique majeure au matérialisme ivre qui assigne une direction à nos existences : acheter avec de l’argent que l’on n’a pas, des biens dont on n’a pas besoin pour impressionner des gens que l’on n’aime pas. Au départ de ce condensé central de notre modernité, tel qu’exprimé par Séguéla, Yann Dall’Aglio construit un petit bijou de philosophie dans la collection Antidote au profit de ceux qui veulent, au-delà des consensus mous et des fausses évidences, se construire un regard sur le monde par eux-mêmes et pour eux-mêmes. (JC) http://editionsflammarion.flammarion.com/ l a planète des sages, Encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies Charles Pépin et Jul Dargaud, 2011.

Tous philosophes, les gr andes idées tout simplement ouvrage collectif Prisma, 2011 Je persiste à croire, contre ceux qui me taxeront de vecteur d’une pensée trop stratosphérique pour nourrir les insubordinations du présent, que le long chemin de la philosophie peut non seulement servir à s’élever un petit peu plus soi-même, mais également fournir, avec les sciences humaines, un bagage conceptuel utile au décryptage du réel et donc aux stratégies pour les transformer. C’est pourquoi, au fil des numéros d’Agir par la culture, je pense judicieux d’attirer l’attention sur des initiations, modestes, mais pédagogiques, à la réflexion et à la jubilation que peut apporter la fréquentation de grands écrivains et savants qui ont tenté de déchiffrer les enjeux qui se posent à l’homme depuis les origines. Pour reprendre la maxime d’Emmanuel Kant : que puis-je connaître, comment dois-je me comporter ; que m’est-il permis d’espérer ? les universités populaires, de celle de Caen avec Michel onfray à celles de liège ou de Bruxelles, représentent une magnifique voie pour démocratiser la connaissance et aiguiser l’esprit critique qui fait tant défaut en cette surmédiatisation persistante. la lecture permet aussi cette familiarisation avec des œuvres souvent complexes pour autant que l’auteur possède les vertus didactiques, ce qui n’est pas si fréquent. En témoigne le travail de Charles Pépin, collaborateur au très stimulant Philosophie Magazine, dont j’ai présenté dans cette rubrique « Ceci n’est pas un manuel de philosophie ». Il récidive avec le dessinateur Jul pour dresser avec humour les portraits et les systèmes des grands penseurs de l’histoire et pas celle parfois trop exclusive de la rationalité occidentale. En témoigne aussi l’ouvrage collectif édité à la fois à londres et à New Delhi, qui dresse un panorama mondial de la philosophie en invitant, enfin car c’est relativement rare, des intellectuels africains. (JC) www.dargaud.com

www.aden.be

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découvertes ESSAI/ENVIR oNNEMENT l’animal est l’avenir de l’homme Dominique lestel fayard, 2010

« Ceux qui se soucient des animaux ne sont pas des femmes ou des adolescents à la sensibilité exacerbée, mais des individus qui constituent l’avant-garde d’une nouvelle culture en gestation. Car qui s’attaque aux animaux agresse aussi l’homme. Et arguer qu’aimer l’animal revient à détester l’homme est une ineptie qui devrait faire honte à ceux qui la professent » écrit Dominique lestel en ouverture d’un passionnant petit livre consacré aux rapports entre les animaux et les hommes. le débat sur l’humanité et l’animalité devient aujourd’hui de plus en plus central. De élisabeth de fontenay à Peter Singer, de Vinciane Despret à Jonathan Safran foer, les essais se multiplient sur cette question complexe que beaucoup encore considèrent comme secondaire, voire ridicule. Je pense tout le contraire. l’animal est notre interlocuteur, notre partenaire privilégié. Pour autant que nous rompions avec le mythe multiséculaire de l’homme insulaire, arraché à la nature, étranger et perdu dans ce monde comme l’affirmait Jean-Paul Sartre. « le vrai problème existentialiste de l’homme n’est pas que sa vie n’ait aucun sens et qu’elle soit absurde, mais qu’elle s’inscrive au contraire au plus profond d’ellemême dans le développement et l’extension du vivant » écrit encore Dominique lestel. (JC)

l’homme. Il faut éviter que ce berceau ne devienne notre tombeau collectif, telle est notre tâche. « Seule force originale du demi-siècle écoulé, écrit Bruckner, l’écologie, c’est son mérite, a remis en cause les finalités du progrès, posé la question des limites. Elle a réveillé notre sensibilité à la nature, souligné les effets du dérèglement climatique, constaté l’épuisement des ressources fossiles. à partir de ce credo collectif s’est greffée toute une scénographie de l’apocalypse. l’écologie est devenue l’humeur dominante de ce début de siècle ». le souci de l’environnement est légitime poursuit Bruckner, mais le catastrophisme nous transforme en enfants qu’on panique pour mieux les commander. Derrière les commissaires politiques du carbone, c’est peut-être un nouveau despotisme à la chlorophylle qui s’avance écrit-il encore. C’est sûr, ce livre bouscule. Il n’y va pas de main morte Pascal Bruckner. Malheureusement, ce pamphlet contre l’écologie reste à l’état de pamphlet, point. En effet, il ne contient et ne s’appuie sur aucune donnée chiffrée, aucune rigueur scientifique, il est creux, sans argument, ni preuve. Pascal Bruckner s’abandonne complètement à écrire son hostilité à la critique « verte ». un livre finalement peu constructif qui ne s’emploie qu’à déconstruire le kit de base de l’écologie bienpensante, et qui n’apporte aucune alternative. à lire si vous pensez qu’une course de vitesse est engagée entre les forces du désespoir et les puissances de l’audace. (SB) http://www.grasset.fr ESSAI/PolITIquE l e manifeste du par ti communiste Karl Marx et friedrich Engels Illustration par frans Masreel Aden, 2011 (1848)

Paru pour la première fois en 1848, le Manifeste du parti communiste a eu le retentissement sur l’histoire que l’on connaît (participant tout de même à quelques révolutions d’envergure). Cette publication prend place à un moment où la pensée marxiste opère un retour en force dans le champ intellectuel après une période de bannissement, « fin des idéologies » oblige. Publiée par l’éditeur bruxellois Aden, cette version du Manifeste reprend le texte original enrichi des préfaces successives écrites par ses auteurs, Marx et Engels. Celles-ci témoignent de l’évolution du mouvement ouvrier à la fin du 19è siècle. Des notes (celles de Engels comme celle de divers commentateurs) viennent ajouter à la compréhension et la contextualisation du document politique. Il est illustré de belles et nombreuses gravures expressionnistes du belge frans Masereel. Ce texte d’une centaine de pages résume la pensée marxiste et donne à lire une version de combat du socialisme. Il rend centrale la lutte des classes comme moteur de l’histoire alors que se développe la révolution industrielle et une féroce exploitation des travailleurs. Il insiste sur un internationalisme de la lutte à une époque de durcissement des nationalismes. Et il appelle au remplacement de la société bourgeoise où les prolétaires sont soumis à la classe par une société communiste. Dans celle-ci, la propriété bourgeoise (privée) serait abolie, l’égalité entre tous les hommes (et femmes) établie, l’impôt progressif mis en place, l’héritage serait supprimé, les moyens de transport et le secteur bancaire nationalisé, l’éducation publique rendue gratuite pour tous et le travail des enfants abolis. à lire ou relire dans cette édition agréable pour ceux qui veulent se targuer de connaître l’histoire de la gauche et s’apercevoir des permanences du système capitaliste. (AB) www.aden.be l’extinction des lumières olivier Starquit les Territoires de la Mémoire, 2011

www.fayard.fr l e fanatisme de l’A pocalypse Pascal Bruckner Grasset, 2011

Pourquoi adhéronsnous benoîtement à un système qui nous opprime ? Pourquoi, nés libres, consentonsnous à vivre dans les fers, selon la maxime de Jean-Jacques Rousseau. Pourquoi cette servitude volontaire, selon l’œuvre fameuse de étienne de la Boétie ? olivier Starquit, au départ d’une judicieuse préface de Jacques Généreux, tente une adaptation moderne de l’exploitation consentie. Dans

le nouvel ouvrage de Pascal Bruckner « le fanatisme de l’Apocalypse » n’est pas tendre avec l’écologie. Il tient une plume plutôt incisive à son égard. la planète est malade. l’homme est coupable de l’avoir dévastée. Il doit payer. Sauver la terre, punir

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découvertes « l’extinction des lumières », il met en relief tous les éléments, de la langue à la publicité, du formatage de l’information au culte du consommateur, qui nous conduisent à nous résigner au monde tel qu’il est et à nous priver de tout imaginaire alternatif. l’idéal du XVIIIe siècle d’un homme autonome, libre et tendu vers un futur de promesses, s’effondre. l’obscurité et l’obscurantisme imprègnent nos cerveaux et notre rapport aux autres dans la gestion – la digestion ? – de la cité. Nous sommes devenus des spectateurs de nos vies et du grand spectacle mondialisé. Ce petit livre salutaire est une élévation vers la lucidité et la prise de conscience des grilles invisibles qui enferment notre regard critique et amoindrissent nos horizons. (JC)

riche en exemples relatifs à de nombreuses situations vécues. Serge Saada montre comment des actions menées dans l’esprit de l’éducation populaire soulèvent des questions purement esthétiques, à même de faire évoluer les contenus et la pratique artistique. Il cherche à réconcilier l’exigence esthétique à la préoccupation citoyenne. Serge Saada était invité à la table ronde des Journées la Scène organisées en partenariat avec PAC à l’IHECS (Bruxelles) les 18 et 19 octobre sur le thème : « Publics de la culture : savoir réinventer pour faire sens ». Son discours fut fort apprécié. (SB)

s’intéresse aux moyens d’améliorer le système éducatif. (AB) www.cultureetdemocratie.be MuSIq uE/RoCK T he feelies Here Before Bar/None Records/Namskeïo, 2011

www.editions-attribut.fr ESSAI/ENSEIGNEMENT

www.territoires-memoire.be ESSAI / CulTuRE Et si on par tageait la Cultur e ? Serge Saada Editions de l’attribut, 2011

Il s’agit d’un essai sur la médiation culturelle et le potentiel du spectateur qui place la culture en questions. fort de son expérience, Serge Saada illustre avec un regard sensible les conclusions des études faisant apparaître des inégalités sociales dans la fréquentation des théâtres. Il dépasse toutefois le simple constat pour défendre l’idée du potentiel du spectateur, d’un spectateur à qui on laisserait le temps de se construire, d’un individu dont la propre culture ne serait pas jugée comme illégitime face à la culture instituée. le médiateur culturel a un rôle essentiel à jouer, celui de passeur qui sait se retirer au moment opportun pour laisser à l’individu la possibilité de continuer seul le chemin. le médiateur n’amène rien et surtout pas la culture. Ce livre est

les Cahier s de Culture et Démocratie N°3 l’indispensable révolution Culture et création au cœur de l’enseignement Culture et démocratie, 2011 Ce numéro 3 des Cahier s de Culture et Démocr ati e est consacré à la place et au rôle de l’art, de la culture et de la création dans l’enseignement. Il présente les synthèses et conclusions des débats de 6 tables-rondes organisées par l’ASBl Culture et Démocratie qui sont à chaque fois assorties d’un commentaire critique. l’ouvrage se termine sur un « nouveau contrat culturel pour l’enseignement », proposition d’un renouvellement des paradigmes de l’enseignement obligatoire et supérieur qui émane de ces travaux afin d’initier « l’indispensable révolution » du secteur. Il y est questions des pédagogies alternatives, de l’éducation à l’image, de la formation culturelle et artistique dans l’enseignement supérieur, du projet « art et école ». Cet ouvrage collectif aborde de manière transversale ces thématiques et permet une réflexion sociétale plus large encore. Il s’agit de remettre l’art et la culture au centre de l’enseignement (et de la formation des enseignants), qui est actuellement largement consacré à l’utilitaire, en reconnaissant à ceux-ci des capacités non seulement émancipatrices aussi pédagogiques. leur rôle pour élargir le spectre des connaissances ou le langage est à légitimer au sein de l’institution et il faut rendre tangible les nombreux ponts entre art et savoir qui existent. C’est grâce à eux qu’on pourra par exemple diffuser une compréhension critique du monde de l’image dans lequel nous baignons. Il s’agit également de clarifier le rôle du médiateur culturel au sein de l’institution scolaire, mais aussi d’aller vers la généralisation des principes et méthodes de l’enseignement dit alternatif à l’ensemble des écoles francophones. Propos novateurs, réponses et propositions concrètes à des problèmes bien posés donnent toute son importance à cet ouvrage peu onéreux (5 euros) pour qui 29

Surprise surprise “The feelies” groupe américain, auteur de quatre albums entre 1980 et 1991, viennent 20 ans plus tard, avec Here Before, de sortir un nouvel album ! C’est en 1986 que The feelies ont véritablement décollé avec leur album intitulé « The Good Earth ». une pop aérienne, psychédélique inspirée par le Velvet underground et les regrettés REM. Certes, 20 ans ont passé, mais l’on n’a rien vu venir. Non, non rien n’a changé, « Here Before » est plaisant, on y retrouve avec bonheur, sans aucune pointe de nostalgie, les mêmes spirales de guitares effilées, la même voix sombre même s’ils n’affichent plus leurs airs de students universitaires, le temps ayant fait son travail. à l’écoute de l’album on replonge dans les années 80, exactement à l’identique. le seul intérêt, c’est que les générations actuelles puissent découvrir un groupe qui a enjoué toute l’ère punk. Cela suffit pour dire qu’il faut s’y référer. Pour les plus vieux d’entre nous, c’est un bon rafraîchissement musical. Ne pas passer à côté donc. (SB) www.thefeeliesweb.com


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découvertes John Cale Paris 1919 Warner Records, 2011 John Cale vient de sortir dans son intégralité, une reprise de son album paru en 1973 « Paris 1919 ». C’est avec bonheur, délectation, que l’on prend plaisir à écouter un chef-d’œuvre lumineux, solaire de l’Histoire de la musique rock qui n’a pris aucune ride en trente ans. l’intemporalité de sa beauté est restée intacte. Membre du légendaire Velvet underground de 1965 à 1968 (date à laquelle il quitta le groupe pour un problème d’ego avec lou Reed), il est tour à tour auteur-compositeur interprète, multi-instrumentaliste. Il entama sa carrière solo en 1970. Pionnier de la scène punkrock, il a collaboré avec de nombreux artistes, tels que : Patti Smith, The Modern lovers, The Stooges, Brian Eno, Phil Manzanera, Nico etc. Son album « Paris 1919 » est une véritable perle discographique, composé de chansons fortes, sans artifice quelconque. Sa renaissance 37 ans plus tard, permettra aux jeunes générations de découvrir sa musique glam rock, garage rock et remémorera aux plus vieux l’inestimable talent qu’est celui de John Cale. à écouter de toute urgence et sans modération ! (SB) www.john-cale.com K er en Ann 101 EMI, 2011 Depuis quatre ans, on s’interrogeait sur l’absence de nouveaux albums de Keren Ann dans les bacs. la chanteuse et musicienne néerlandaise Keren Ann revient en 2011 avec un album intitulé “101” et un premier single « My name is trouble ». C’est en 1997 que Keren Ann démarre sa carrière, elle est alors assez ignorée du public. Jusqu’à sa rencontre avec Benjamin Biolay, où la complicité aidant, tout s’est

déclenché. Ils écrivent la même année un album pour Henri Salvador « Chambre avec vue » qui remporte deux Victoires de la musique en 2001 et les font dès lors entrer dans la sphère des auteurscompositeurs. Avec son sixième album studio, la chanteuse a opté pour un univers aux sonorités pop et électro. Ce qui est totalement différent des précédents albums, beaucoup plus susurrés. on a l’impression qu’avec ce sixième album « 101 », elle se révèle sous les traits d’une femme beaucoup plus affirmée, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Elle nous plonge dans un univers musical à la fois teinté de fragilité et d’intensité. (SB) www.kerenann.com u.S. Gir ls Go grey Siltbreeze, 2010 les song-writer girls se multiplient comme des petits pains ces dernières années. Il s’agit d’abord des folk-girls redécouvertes après des décennies d’occultation. Ainsi Sybille Baier aux compositions dépouillées et émouvantes enregistrées dans les 70’s. on ne doit leurs sorties en disque qu’à la découverte de ces enregistrements par ses enfants au grenier qui ont, à juste titre, estimé qu’il fallait le partager avec le monde. ou encore Vashti Bunyan, géniale auteure folk que ne renierait pas un fan de Patti Smith ou Nick Drake, qui abandonna sa carrière en 1970, faute de succès. Mais il s’agit aussi des lo-fi girls actuelles, qui ont rajouté à ce folk minimaliste et expressionniste tout l’héritage du mouvement riot grrrls des années 90 ainsi que des sonorités issues d’univers aussi différents que l’indus, l’électro ou les scènes expérimentales. Dans la lignée des Cocorosie (mais en mieux et moins lassant), des artistes comme Jana Hunter ou u.S. Girls proposent un folk tourmenté où les guitares et voix passent par une série d’effets. u.S. girls c’est Meghan Remy, une musicienne de Baltimore à la pop bruyante et déconstruite qui fabrique des paysages musicaux d’une beauté complexe. on a pu dire d’elle qu’elle était la Brian Eno des années 50 mais, précisons, des années 2250. Elles et les autres sont à savourer un peu partout sur internet. (AB) http://www.myspace.com/sibyllebaier http://www.myspace.com/vashtibunyan http://www.janahunter.tk/ http://www.myspace.com/usgirlsss 30

Snowy Red The ultimate Edition 1980-1984 onderStroom Records, 2010 Snowy Red était l’un des groupes de la scène électro belge les plus inspirées des années 80. Maîtrisant les ondes minimales et un chant éthéré, proche des Tuxedomoon et autre Digital dance, le groupe a composé des morceaux/complaintes proche d’un Suicide, mais typiquement belge, qu’il détaille en quatre albums : Snowy Red, The Right To Die, Vision et The Beat is over. quelques perles de l’électropop intemporelle telle que « So low » (en collaboration avec la mystérieuse Carol), « Euroshima », « Come on dance » ou « Maud is dead » ont depuis rejoint le panthéon des tubes underground coldwave. la mort de son chanteur et principal fondateur Micky Mike en 2009 empêcha malheureusement un projet de reformation. leurs deux premiers disques ont été réédités en vinyle tout récemment par onderstroom Records. à se procurer directement chez les disquaires s’il en existe encore près de chez vous. la fierté du pays ! (AB) www.myspace.com/snowyred Penguin Cafe orc he stra Glassheart J Records, 2011 Ce groupe anglais, apparu en 1974, est un groupe peu banal, dont la musique est quasiment inclassable. formé par Simon Jeffes, ce groupe ne compte à ses débuts que deux permanents à savoir : Simon Jeffes (guitariste) et Helen liebmann (violoncelliste). Au gré de 24 ans de composition, Simon Jeffes recrute à chaque fois des musiciens différents pour ses albums. Décédé en 1997, c’est désormais son fils Arthur qui a pris la relève et la direction du groupe. Penguin Cafe s’est créé avec comme leitmotiv de mettre de côté leur formation classique, en 1976 ils réalisent la première partie du concert de Kraftwerk. à cette époque leur 1er album sortait sous le label expérimental de Brian Eno (excusez du peu !). S’il fallait définir au mieux la musique de Penguin Cafe, on pourrait dire que l’on passe de la guitare aux synthés en passant par le ukulélé, le


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découvertes trombone, etc. Au fil des albums, on l’identifie mieux en y retrouvant des similitudes folkeuses à la Yann Tiersen ou à l’esthétique du compositeur américain Philip Glass. En 2011, Arthur Jeffes dirige et sort l’album « Glassheart », une pure merveille pour les amateurs de musique minimaliste et répétitive. Album vivement conseillé, qui vous donnera sûrement l’envie d’écouter toute la discographie de Penguin Cafe. (SB) www.penguincafe.com T he Kinks Something Else Sanctuary uK, 2011 Plus encore que les Beatles ou les Who, les Kinks dans les années 60 incarnent à eux seuls tous les thèmes, toutes les images, toute la mythologie de la pop anglaise. Ils ont inspiré et propulsé à l’avant-plan beaucoup de groupes, devenus par la suite, légendaires dans l’Histoire du Rock. En juillet 2011, vient de ressortir le double CD « Something Else » (Editions Deluxe), album paru en 1965. la pochette ne s’y trompe pas, elle conserve bien le style de l’époque. Cet album est étrange, absolument irrésistible, captivant, intemporel, teinté d’un air de mélancolie. on y retrouve des chansons à boire « Harry Rag », des chansons contestataires, des chansons populaires de caractère qui parlaient des réalités sociales de ces années-là : «Situation vacant » ; « Waterloo Sunset » ; « Death of a clown ». En 1965, l’album « Something else » se bouclait au moment où les Beatles sortaient « Sgt’s Peppers », il est un fait que les Kinks n’ont jamais réussi à s’installer dans les charts américains pendant la British Invasion. Car c’était sans compter sur la rivalité de choc avec les Rolling Stones, les Who, les Beach Boys ou encore les Byrds. Ce qui est certain, c’est qu’ils ont servi de modèle à d’autres chroniqueurs de l’Angleterre quotidienne, tels Paul Weller des Jam, Morrissey ou Jarvis Cocker de Pulp. à l’époque avec leur morceau « lola », ils abordaient avant tout le monde des thèmes comme les travestis et l’homosexualité, qui seront repris par le glam rock (David Bowie, T.Rex, Roxy Music). Ce double CD est du pur bonheur, il est du genre à vous faire danser seul(e) au beau milieu de sa cuisine ! à ajouter d’urgence à votre collection musicale (SB) www.thekinks.info Tels Alain Bashung Compilation Barclay, 2011

Cet album hommage (un de plus me direz-vous !) consacré au grand artiste qu’était Bashung, n’a pu voir le jour que si les interprètes qui se sont approprié un de ses titres, étaient des amis proches, des gens qu’il aimait ou avec qui il avait travaillé. Ce CD/DVD hommage s’adresse à la fois à des amoureux de versions alternatives aux succès du disparu ou à des amoureux des artistes qui se sont livrés à l’exercice. Chacun d’entre eux a choisi le morceau qu’il a eu envie de reprendre et a eu une totale liberté d’interprétation pour retravailler le morceau comme il l’entendait, avec les musiciens et les producteurs qu’il souhaitait. Doté d’une pochette sympa sous les traits de crayon de Moebius, cet album propose des titres appartenant à la deuxième partie de la carrière de Bashung, celle que l’on aime le plus. Ainsi, Noir Désir reprend le titre « Aucun express » de l’album fantaisie militaire. Gaëtan Roussel propose une version originale de « J’passe pour une caravane ». Dionysos regorge toujours autant de nervosité et d’inventivité avec « 2043 ». Christophe reprend avec brio « Alcaline ». Miossec -et ça lui va bien- s’essaie à « osez Joséphine ». la surprise vient de la gente féminine, Vanessa Paradis et Keren Ann, dont les interprétations sont assez inattendues. la première propose une version folk d’ « Angora », la seconde lance une version électro de « Je fume pour oublier que tu bois ». Citons également « Ma petite entreprise » reprise par Benjamin Biolay dans une version dandy. Côté moins réussi, M interprète « Madame rêve », Raphaël , un peu faiblard « l’apiculteur » et les BB Brunes « Gaby oh Gaby », no comment ! (SB) www.alainbashung.fr CINEMA/DVD Some where un film de Sofia Coppola2011 Sofia Coppola signe ici son quatrième long-métrage. « Somewhere » n’est pas son meilleur, loin de là. Son scénario est pauvre en action, en dénouement, il s’affuble d’une lenteur désarmante. l’histoire ne démarre pas vraiment, pour faire court Johnny Marco, acteur à la réputation agitée, vit dans un hôtel légendaire de Hollywood. Cette star de cinéma au bord du gouffre et de l’overdose mondaine vit une

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espèce de « solitude peuplée », oscillant entre ennui, désabusement, abus d’alcool et de filles, amoureux de sa ferrari, qui fait l’objet de longues séquences dans le film. on le voit souvent rouler sur des routes aux grandes étendues qui mènent on ne sait où. un beau matin, sa fille Cleo de 11 ans, vient vivre à ses côtés pendant quelque temps. le temps que sa mère prenne du recul et réfléchisse. A partir de là, Johnny Marco savoure chaque instant passé avec sa fille et se rend compte qu’au fond en ces 11 ans d’absence, il a tout raté. Sa vie prendra désormais un autre sens, Johnny a découvert la richesse sentimentale de cet ange blond. Auréolé du lion d’or à la dernière Mostra de Venise, ce film a été très mal reçu par la critique. la plastique est très réussie, très soignée, sûr on retrouve là le talent de Sofia Coppola, mais pour le reste la déception est bien présente, on attend que le film décolle, ce qui n’arrive jamais et quand la fin s’annonce, c’est comme si deux heures durant, on n’avait rien vu venir. à voir si vous aimez « The Strokes », la musique du film est plaisante, mais pour le reste on passera allègrement son tour ! (SB) www.somewhere-lefilm.com/sofia-coppola Submarine un film de Richard Ayoade 2011 Décalé, c’est le mot qui convient le mieux à cette comédie dramatique. oliver Tate, le personnage principal vit une adolescence compliquée, doux rêveur, sensible, il voudrait sortir de ses pensées platoniques, pour connaître les vrais plaisirs de chair avec Jordana une collégienne pleine d’aplomb. Mais la rude vie scolaire lui fait goûter au harcèlement, aux blessures assassines. Plongé dans le dico, il détient un vocabulaire improbable, ce qui le rend sûr de lui. l’histoire fera mener à oliver Tate, deux combats de front, le sien, celui de la conquête de Jordana, il apprendra à découvrir et à définir ses responsabilités amoureuses. Et celui de ses parents dont le père est dépressif et la mère revit une seconde adolescence en compagnie de son premier amour devenu une sorte de gourou qui dégage une zénitude douteuse et qui vient s’installer en face de chez eux ! Absolument désopilant, plein de subtilités sur fond d’humour très très british. Vaut le détour, un bon moment cinéma. un premier film d’un réalisateur prometteur (SB). film disponible en DVD en décembre 2011 www.marsfilms.com/film/submarine


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