Locarno, baptêmes du jeu next.liberation.fr/cinema/2019/08/16/locarno-baptemes-du-jeu_1745682 16 de agosto de 2019 L’orage est passé avec fureur sur Locarno, son festival international du film qui décernera ses prix samedi, ses échoppes aux vitrines repeintes ad nauseam de motifs léopard, ses baigneurs et sa peuplade de cinéphiles détrempés sous intense perfusion d’images fortes. Et si le lac Majeur sera contre toute attente demeuré sagement dans son lit - surpris par la brutalité de l’ondée, on se voyait pourtant déjà rallier l’hôtel en pédalo -, ce sont les films qui, eux, ne cessent de déborder les cases, les cadres et même la toile. Etrange syndrome de la vie festivalière, éprouvé lors de cette 72e édition du festival suisse comme rarement auparavant : on a beau s’exfiltrer de temps à autre des salles de projo, on finit toujours par recroiser, accoudé au bar ou le nez dans un bol de gnocchi, quelque personnage directement prélevé dans les plans ou les plis d’un film vu la veille, qui paraît alors surgi de l’écran sans avoir pris la peine de se changer entre-temps. Mais, comment, cet escogriffe roumain en simili-pyjama pailleté ou ce gaillard intense, œil bandé et dreads en cascades superbes, habiteraient de plain-pied le même monde, et ne seraient donc pas pures chimères costumées par les besoins d’une fable ? Singulièrement, ces êtres qui portent et prolongent le présent de films nés de leurs vies propres semblent à tort ou à raison aller et venir partout à leur aise sans avoir à se transfigurer - à l’image comme au dehors, dans une comédie de mœurs serbo-roumaine (l’alerte autofiction Ivana the Terrible, d’Ivana Mladenovic), un ghetto lisboète ou les rues de Locarno. Surtout, tous ont cela en partage de se présenter à nous par l’entremise de récits rivés à l’ultracontemporaine question du déracinement, de l’exil, de l’enlèvement contraint à un lieu, ou à un âge, où les uns et les autres pouvaient se croire arrivés chez eux plutôt que de passage. Et tous ces films qu’ils habitent, parmi les plus marquants du festival 2019, pourtant porteurs du label «fiction» - pour ce que vaut encore cette vieille lune - et attifés des artifices que cela suppose, embarquent ainsi à leur bord des acteurs entraînés par aucun conservatoire, puisque c’est leur existence même qui les exerce depuis longtemps à leur comédie humaine particulière, projetée à l’écran, puis trimbalée sur les scènes de festivals. Comme s’il fallait, pour incarner pareille condition d’arrachement à soi ou à chez soi, littéralement injouable, avoir composé avec elle au point d’en porter les leçons et les affects en sa mémoire ou sa chair, prêts à être livrés, rejoués pour la caméra - et celle-ci ne saurait se trouver plus noble vocation en retour que de déjouer tout ce que les existences de ces néoacteurs supposent de fatalités, d’injonctions à l’ombre. A eux la lumière - sale temps pour les pros.
Peintre Il y a longtemps, plusieurs décennies déjà, que Pedro Costa a renoncé à l’économie usuelle de la production de cinéma pour travailler en peintre, accompagné d’une équipe restreinte à quelques collaborateurs fidèles («Des gens qui ne sont pas des super-héros de la chose, si bien qu’il faut beaucoup de temps, de travail, et de bagarre»), avec pour matière première des individus devenus des amis, des compagnons et un livre ouvert où puiser les paysages mentaux ou vécus patiemment reproduits sur sa toile. Ce fut la Vanda de Dans la chambre de Vanda (2000), puis le Ventura d’En avant jeunesse ! (2005) et Cavalo Dinheiro (2014, léopard d’argent à Locarno). Ventura que l’on retrouve dans sa somptueuse dernière réalisation, d’une magnitude sans équivalent à Locarno cette année : Vitalina Varela, dont le titre est aussi le nom de l’immense héroïne, apparition déjà inoubliable du film précédent, en laquelle Costa a trouvé un nouveau «miroir de patience», un absolu de majesté et d’obstination. «C’est un film fait et tourné par cinq personnes, mais il doit tout à Vitalina, c’est elle qui l’a écrit, elle qui joue, a déclaré le cinéaste en préambule. J’étais à son service, j’ai essayé de voir de quoi elle voulait parler. Quand on tournait, presque tous les jours pendant presque un an, je la ramenais vers 1/3