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L’histoire des salons d’art

UNE VÉRITABLE SAGA !

Si l’édition 2021 de ST-ART permet à la foire strasbourgeoise d’art contemporain de fêter son quart de siècle, l’histoire des salons d’art en France remonte au xviie siècle, à une époque où L’Académie royale de peinture et de sculpture vivait, sans le savoir, ses dernières décennies avant d’être bannie par les révolutionnaires en 1793…

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L’

institution des salons est intimement liée à la création de l’Académie royale de peinture et de sculpture, la plus ancienne institution d’État chargée en France, de 1648 à 1793, de réguler et d’enseigner la peinture et la sculpture durant l’Ancien Régime.

En 1663, c’est l’article 25 des statuts de l’Académie qui prévoyait une « fête de l’Académie au premier samedi de juillet de chaque année » où chacun des « officiers et académiciens était tenu d’apporter quelque morceau de son ouvrage pour servir à décorer le lieu de l’Académie quelques jours seulement ». Après quelques piètres tentatives, le premier « salon » digne de ce nom se tint donc en avril 1667 dans la grande salle et la cour du Palais Brion et fut inauguré par Colbert, en personne.

Le salon du Louvre en 1787, gravure de Pietro Antonio Martini.

Malgré cette première ramure, les académiciens restèrent plutôt circonspects devant l’obligation qui leur était faite d’exposer leurs œuvres. On ne compta que dix expositions jusqu’en 1706. Après un long silence durant l’époque de la Régence, le salon redémarra en 1725 et vit alterner les événements annuels ou bisannuels. En 1733, il connut une innovation notable avec l’apparition du premier catalogue digne de ce nom qui permit de satisfaire une vieille revendication : connaître le nom des participants et pouvoir bénéficier d’une nomenclature précise des œuvres exposées. Cette seconde vague d’expositions eut lieu dans le salon Carré du Louvre et pour partie dans la galerie Apollon. La moyenne des exposants oscilla autour de la cinquantaine et celle des œuvres accrochées autour de 250. Une statistique précise fut initiée pour l’année 1773 : 60 exposants (38 peintres, 12 sculpteurs et 10 graveurs) ont présenté cette année-là 479 œuvres (331 peintures, 65 sculptures, 80 gravures et 3 tapisseries).

Dès 1746, une commission veillait déjà « à la qualité des ouvrages présentés » : l’ancêtre des actuels jurys ou comités de sélection.

En 1672, une concurrence s’installa devant l’académisme royal. On créa cette année-là l’Académie de Saint-Luc issue de l’ancienne Communauté des maîtres peintres et sculpteurs de Paris. La concurrence ne dura que le temps de sept expositions consécutives… Neuf expositions bisannuelles de l’Académie « royale » se succédèrent sans interruption sous le règne de Louis XVI, de 1775 à 1791. Mais évidemment et entre-temps s’était ouverte la période révolutionnaire. Elle devait tout changer…

LIBERTÉ OU SÉLECTION, L’ÉTERNELLE ALTERNATIVE

Le principe des salons ne fut en aucune manière remis en cause par les révolutionnaires de 1789. Mais ils tentèrent un radical changement d’esprit en mettant sur pied dès le 21 août 1791 la première exposition publique et internationale des

« DURANT TOUTES CES ÉPOQUES, LES HISTORIENS D’ART ONT SU Y CAPTER LES DIVERSES ÉMERGENCES DES TENDANCES DE L’ART. »

artistes vivants et non plus des seuls membres des corporations d’antan. C’est l’Assemblée nationale fraîchement élue qui en définit les contours « considérant qu’il n’y avait plus pour aucune partie de la Nation ni pour aucun individu aucun privilège, qu’il n’y avait plus ni jurandes ni corporations (…) » décréta que « tous les artistes français ou étrangers, membres ou non de l’Académie de peinture et de sculpture, seraient également admis à exposer leurs œuvres… » Le chaos fut quasi immédiat : 247 artistes, 767 œuvres (dont près de 600 peintures). Dès 1798, on en revint à un choix déterminé par l’examen d’un jury (et 15 membres nommés par le gouvernement).

Sous l’Empire, les expositions devinrent bisannuelles et redevinrent annuelles dès 1833, conséquence directe de l’instauration du nouveau régime. L’exposition de 1873 fut ainsi la 100e , celle de 1937 la 150e et tout s’enchaîna pour fabriquer ce qu’on espérait être une longue histoire presque continue… L’acmé de l’alternance entre période de liberté de participation et plus rigoureux système de sélections fut sans doute atteint en 1824 où 2000 œuvres furent « présentées ». Un jury une nouvelle fois plus sélectif fut institué. On alla même jusqu’à organiser en 1863, sous le règne de Napoléon III, un « Salon des refusés » qui ne fut à l’évidence pas la panacée universelle, Manet et Courbet y voisinant avec une impressionnante kyrielle de « médiocres ». Dans la foulée, on réforma radicalement l’Académie des beaux-arts et ce fut la fin du Salon en tant qu’institution nationale unique. On revint à la tradition des salons corporatifs…

Ce que le Salon des refusés de 1863 ne put pérenniser, les impressionnistes le réalisèrent dès 1867 avec leurs propres expositions. Cette même année, après l’exclusion des Femmes au jardin de Monet, Émile Zola écrivait à Valabègue : « Paul (Cézanne) est refusé, (…) tout le monde est refusé, (…) le jury ferme la porte à tous ceux qui prennent la route

Le salon d’Automne 1912 à Paris. Sur ce cliché d’époque, on distingue des œuvres de Kupka, Modigliani, Picabia…

L’INCONTOURNABILITÉ DE LA CRITIQUE…

nouvelle… » Manet décida alors d’imiter Courbet qui l’avait déjà tenté en 1855 : présenter tout seul ses propres tableaux. En 1874 fut organisée ce qu’on considère aujourd’hui comme la première exposition des impressionnistes en tant que tels : 165 toiles furent présentées à l’atelier du photographe Nadar, boulevard des Capucines, Degas le proclamant ainsi : « Le mouvement réaliste n’a plus besoin de lutter avec d’autres. Il est, il existe, il doit se montrer à part. Il doit y avoir un Salon réaliste… » Huit expos se tinrent jusqu’à 1886, cette dernière se tenant sans Monet, Renoir et Sisley qui n’acceptèrent pas la présence de Signac et Seurat, illustration évidente de la difficulté de maintenir l’homogénéité d’un mouvement artistique tant les égos s’y démultiplient immanquablement.

Reste qu’une véritable éclosion de salons se développa en ces années-là. Le plus notable fut donc le salon dit des « Artistes indépendants » qui innova en excluant jury et récompenses. Les Nabis y furent accueillis. On y vit pour la première fois « les bizarreries cubistes » de Braque. En 1911, il fut le lieu de la première expo d’ensemble du groupe cubiste. Entre-temps, en 1903, on créa le « Salon d’Automne ». Le Salon de mai, puis celui d’Hiver suivirent…

On a peut-être du mal aujourd’hui à imaginer le véritable engouement autour de ces événements (en 1876, l’ensemble des salons enregistrèrent 500 000 entrées payantes, certains dimanche voyant 50 000 visiteurs pousser leurs portes). Renoir écrivait en 1881 : « Il y a dans Paris à peine quinze amateurs capables d’aimer un peintre sans le Salon. Il y en a quatre-vingt mille qui n’achèteront même pas un nez si un peintre n’est pas au Salon. Voilà pourquoi j’y envoie tous les ans deux portraits, si peu que ce soit. Mon envoi est tout commercial… »

L’instrument majeur de cette popularité des salons d’art fut bien sûr l’émergence de la critique. Le coup d’envoi dut donné dès 1746 par La Font de Saint-Yenne qui réclamait alors pour « le spectateur désintéressé et éclairé », le droit de critiquer. Diderot enfonça le clou avec ses « Salons » véhéments, Baudelaire défendant « la critique partiale, passionnée, politique c’est à dire à un point de vue exclusif celui d’un point de vue qui ouvre le plus d’horizons possibles ». À l’inverse, Delécluze défendit jusqu’au bout la tradition la plus établie dans le Journal des Débats, Théophile Gautier quant à lui analysant avec passion la modernité dans Le Moniteur universel…

Sans les salons, rien de tel n’aurait pu exister. Durant toutes ces époques, les historiens d’art ont su y capter les diverses émergences des tendances de l’art, y perfectionnant sans cesse leurs connaissances en privilégiant toujours l’esthétisme aux manifestations plus ou moins commerciales… a

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