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Patricia Houg
ST-ART A 25 ANS !
Dans cet entretien, Patricia Houg, la directrice artistique de ST-ART 2021, revient sur les circonstances particulières dans lesquelles se place cette 25e édition de la plus ancienne des foires régionales d’art contemporain. Si la crise sanitaire a eu raison de l’organisation de l’édition 2020, ce grand week-end de novembre 2021 devrait sceller les retrouvailles entre les collectionneurs, le grand public, les galeries et les artistes, après cette aussi longue attente…
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Le monde de l’art contemporain estil d’ores et déjà capable de mesurer les conséquences sur son activité de la crise sanitaire qui a débuté au printemps 2020 ?
À l’instar de la quasi-totalité des activités humaines et économiques, et ce à l’échelle planétaire, non, je ne crois pas. Pas encore. L’impact a été si considérable… Les artistes, les galeristes et tous les autres professionnels du secteur se sont brutalement retrouvés isolés les uns des autres, dans l’incapacité totale d’exprimer leurs raisons d’être essentielles : le partage avec l’Autre, la rencontre, les échanges artistiques dans leur acceptation la plus humaine.
Je pense plus particulièrement aux galeristes qui, hormis la mise en œuvre la plus rapide et pertinente possible des échanges via internet, la vidéo et les réseaux sociaux, se sont retrouvés dans l’impossibilité frustrante de ne plus pouvoir présenter le travail de leurs artistes. Une autre conséquence a été moins pointée :
Patricia Houg
leurs structures n’ont pas toutes été éligibles, et de loin, aux aides mises en place par l’État. Malgré tout ça, les galeristes ont relevé les défis de cette situation de crise et ont su manifester envers et contre tout leur passion et la vitalité de leur engagement pour permettre aux artistes d’être vus par le plus grand nombre. La profession de galeriste subit traditionnellement de multiples clichés très durs et défavorables à tort, ceci par le manque de connaissance du public des véritables fonctions et rôles de ce métier particulier. En effet, le galeriste est découvreur, producteur, soutien, diffuseur, et souvent mécène, car s’il est convaincu par ses choix et la pertinence de collaborations avec tels ou tels jeunes artistes, il lui faut de nombreuses années de soutien et d’investissement pour faire émerger un nouveau talent…
L’annulation de ST-ART 2020 digérée, cette édition 2021 est particulière, c’est celle du 25e anniversaire de la manifestation…
Il faut quand même se souvenir qu’en 1995, la création de cette foire d’art contemporain « en province » paraissait comme un pari audacieux et improbable, en tout cas quasi impossible à tenir dans la durée. Vingt-cinq ans plus tard, ST-ART, animé par la même passion que je relevais pour les galeristes, a su à l’évidence et malgré les a priori, s’ancrer dans le calendrier des rendez-vous nationaux de l’art contemporain… Cette année encore, la manifestation poursuit son chemin et son engagement pour la création contemporaine et les galeries d’art. Elle réunit soixante exposants, un bon chiffre dans le contexte de la reprise des activités des galeristes, offrant au public de collectionneurs, institutionnels, professionnels et amateurs, un panorama complet de la création artistique contemporaine. Cette édition anniversaire proposera aux visiteurs un programme différent et renouvelé avec une grande exposition et un cycle de conférence permettant d’aborder les questions liées à l’art, à la collection,

Sur le plateau Facebook Live, de gauche à droite : Henri-François Debailleux, journaliste et critique d’art, Jean-Luc Fournier (Or Norme), Patricia Houg & Serge Hartmann (DNA) à la conservation, toutes animées par des professionnels. Avec 33% de nouveaux exposants et 21% de galeries internationales pour huit pays représentés – Allemagne, Belgique, Corée du Sud, Espagne, France, Italie, Pays-Bas – ST-ART 2021 sera à la hauteur de son quart de siècle d’existence.
Il y a une preuve indubitable de son dynamisme et de son esprit d’initiative en cette année particulière: ST-ART a su œuvrer aux côtés de ses exposants en renforçant la communication digitale de l’événement, permettant aux galeristes déjà engagés de bénéficier d’une visibilité maximale. Entre mars et octobre derniers, trois émissions en direct via Facebook live ont permis de maintenir le contact. Elles ont été énormément suivies… Lors du premier plateau en direct le 11 mai dernier, j’ai eu l’occasion de rappeler qu’en 25 ans, ST-ART avait présenté, découvert et promu plus de 600 artistes par an. La Foire a en outre proposé des expositions d’exception, de la Maison Européenne de la Photographie au Museo Picasso Barcelona, elle s’est récemment ouverte au design avec une exposition autour de l’assise.
Henri-François Debailleux a également rappelé lors de cette même émission ce qu’il écrivait en 2017 : « Et de même qu’en football il y a toujours eu des clubs formateurs, il y a en art des galeries découvreuses, des galeries laboratoires, des galeries tremplins, des galeries qui proposent et promeuvent des artistes jeunes ou émergents. Des galeries qui, elles aussi ont besoin de foires, qui font un travail essentiel, un travail de fond (…) L’art et le marché sont deux choses bien distinctes qui de temps en temps peuvent se croiser. Encore faut-il un point de rencontre. ST-ART en est devenu un. » Personnellement, je ne connais pas de meilleure description de ce qu’est fondamentalement ST-ART dans le paysage des événements d’art contemporain en France.
Déjà prévue au programme de l’édition de l’an passé malheureusement annulée, l’exposition centrale nommée Futuræ place délibérément l’événement sous le signe de l’écologie…
Oui, cette exposition réunit six artistes, Vaughn Bell, Jérémy Gobé, Ha Cha Youn, Clay Apenouvon, Luc Lapayre et Ryo Tomo dont le travail questionne résolument les enjeux écologiques. Le monde change ! Les préoccupations climatiques, le développement durable, l’écologie, sont au cœur du débat public. Ce débat, les artistes s’en emparent déjà depuis plusieurs années. Le réchauffement climatique est au cœur de leur travail. L’espace dédié à cette exposition, composée d’installations, d’œuvres de grandes dimensions, questionnera la définition même de l’artiste et le rôle social de l’œuvre d’art comme engagement esthétique, culturel, éthique… Futuræ sera complétée par l’exposition Il n’y a pas de planète B présentée sur son stand par la Région Grand Est, qui a accordé son soutien au titre de l’aide à la création pour les artistes qu’elle présente…
Et puis, à l’occasion de cette nouvelle édition du salon ST-ART, la galerie l’Estampe, en collaboration avec les éditions Rémy Bucciali, présentera, au sein d’un espace qui lui sera dédié, un hommage à Raymond Waydelich. Ce sera un événement dans l’événement, non ?
Absolument. Cet artiste singulier, dont le travail revêt une multitude de langages, est aujourd’hui l’artiste alsacien vivant le plus populaire en France, et sa renommée dépasse largement nos frontières. Son œuvre est une méticuleuse et fantaisiste méditation plastique, à la fois mélancolique et pleine d’humour, sur le temps et la mémoire… Je suis certaine que tous nos publics, les collectionneurs comme les visiteurs plus traditionnels vont apprécier la mise en valeur de l’œuvre de Raymond Waydelich par la vingt-cinquième édition de ST-ART… » a
FUTURÆ :
LES EXPOSANTS ET LES ARTISTES DE ST-ART VIVENT AVEC LEUR TEMPS…
ST-ART 2021 souligne les efforts de ses exposants et de leurs artistes pour comprendre les grandes thématiques d’aujourd’hui. Après une édition 2019 tournée vers le design, les questions environnementales sont au cœur de l’événement Futuræ et parsèment les œuvres présentées par l’exposition Il n’y a pas de planète B sur le stand de la Région Grand Est.
Si l’environnement s’est imposé comme un sujet crucial, et encore plus après la récente période de confinement et le constat alarmant de l’état de notre planète à l’ère de la mondialisation, il est devenu également une priorité pour les artistes.
« Dans notre espace baptisé Futuræ et dédié aux installations ou œuvres de grandes dimensions, nous avons décidé pour 2021 de montrer les propositions de six artistes internationaux sur le thème « Le monde change », rappelle Patricia Houg.
La directrice artistique de ST-ART a donc invité des artistes pour lesquels le réchauffement climatique est au cœur de

Ryo Tomo, La constellation de la daurade
leur travail. L’espace dédié à cette exposition, composée d’installations, d’œuvres de grandes dimensions, questionnera la définition même de l’artiste et le rôle social de l’œuvre d’art comme engagement esthétique, culturel, éthique. Il s’agit bel et bien de voir comment les artistes s’emparent des questions liées aux changements climatiques et abordent l’écologie et le développement durable.
« La situation, liée à l’épidémie de Covid-19, a renforcé nos pensées sur la catastrophe climatique et écologique que la planète est en train de vivre », expliquent Heather Ackroyd et Dan Harvey, deux artistes qui travaillent depuis longtemps déjà sur ce sujet. « Nous sommes sûrs que nos styles actuels de vie ne peuvent plus continuer et que, si nous voulons survivre, il faut les changer. Ces modifications semblaient quasiment impossibles dans la courte fenêtre de temps dont nous disposions pour lutter contre le changement climatique. Pourtant, lors du confinement, beaucoup de changements sont devenus réalité. La question est de savoir comment éduquer les populations et les politiciens, qui doivent prendre conscience de cette extrême urgence et la considérer avec autant de sérieux que les crises liées au Covid-19.


Au dessus : Jérémy Cobé, Corail Artefact En dessous : Luc Lapraye, Ouh là là, il va faire très chaud ! Le monde est différent maintenant ». Après avoir participé à la Cop 26 de Glasgow début novembre, le duo d’artistes britanniques pense présenter à ST-ART un portrait en herbes basé sur la photosynthèse végétale ainsi que deux images en noir et blanc, réalisées suivant la même méthode puis photographiées.
« OUH LÀ LÀ, IL VA FAIRE TRÈS CHAUD ! »
Dans ses sculptures comme Ouh là là, il va faire très chaud, où onze chaises s’enfoncent peu à peu dans la mer, Luc Lapraye parle, lui aussi, du réchauffement de la planète et de l’augmentation menaçante du niveau de l’eau. Ses œuvres, réalisées à partir de matériaux de récupération, passionnent le public car celui-ci s’intéresse de plus en plus au recyclage et donc à la diminution de l’impact carbone.
Le Togolais Clay Apenouvon, de son côté, va exposer une installation de sa série Film Noir, où le plastique joue un rôle important. « Le plastique est intrinsèquement lié à notre monde

consumériste actuel, où l’artificiel vient envahir le naturel jusqu’à l’étouffement de celui-ci », explique l’artiste qui a commencé dès 2010 ses recherches sur les questions de l’environnement et de sa pollution par le tout plastique.
Ce travail a inspiré des mouvements citoyens tels que Plastic Attack (anti-plastique), qui continuent à se développer aux quatre coins du monde. « L’une des missions de l’art est de donner à voir certains points de vue des réalités dans lesquelles nous vivons sans forcément en être conscients » résume Patricia Houg.
Au cœur de ST-ART 2021, Futuræ présente les œuvres de Vaughn Bell, Jérémy Gobé, Clay Apenouvon, Ha Cha Youn, Luc Lapayre et du strasbourgeois Ryo Tomo, fondateur de Strasbourg Art Photography. a
À gauche : Julie Faure-Brac, Chasse à l’envers (extrait de l’installation), 2017 Ci-dessous : Clay Apenouvon, Material insanity au Macaal


François Génot, We are all Lichens, 2020
IL N’Y A PAS DE PLANÈTE B
Pas en reste, la Région Grand Est a confié à Vincent Verlé le soin de réunir sur son stand les œuvres de Guillaume Barth, Stefania Crisan, Julie Faure-Brac, Vanessa Gandar, Delphine Gatinois, François Génot et Émilie Vialet, sept artistes qui ont tous reçu le soutien de la Région au titre de l’aide à la création.
Il n’y pas de planète B affirme avec force le titre de cette expo que quelques mots extraits de La Vie des plantes du philosophe Emanuele Coccia résument bien : « L’espace dans lequel nous vivons n’est pas un simple contenant auquel nous devrions nous adapter. Sa forme et son existence sont inséparables des formes de vie qu’il héberge et qu’il rend possibles. L’air que nous respirons, la nature du sol, les lignes de la surface terrestre, les formes qui se dessinent dans le ciel, la couleur de tout ce qui nous entoure sont les effets immédiats de la vie, dans le même sens et avec la même intensité qu’ils en sont les principes ». Les œuvres de ces sept artistes sont à découvrir sur le stand de la Région Grand Est. a
R.E. Waydelich
La truculence et l’humour en cinquante ans de carrière
À l’occasion de la 25e édition de ST-ART, la galerie l’Estampe, en collaboration avec les Éditions Rémy Bucciali, présente, au sein d’un espace qui lui sera dédié, un hommage à R.E. Waydelich.
Cet artiste singulier, dont le travail revêt une multitude de langages, est aujourd’hui l’artiste alsacien vivant le plus populaire en France, et dont la renommée dépasse largement nos frontières. Son œuvre, peuplée de créatures fantasmagoriques, est d’une truculence, d’un humour et d’une poésie insolites. Passionné d’archéologie, il s’en est inspiré pour développer son « archéologie du futur » : il assemble, peint et conserve les choses, telles que le monde et l’environnement apparaissent à différentes époques.
Collectionneur infatigable d’objets et de photos, R.E. Waydelich s’est construit une œuvre protéiforme, qui mêle collages, assemblages, installations. C’est une méticuleuse et fantaisiste méditation plastique, à la fois mélancolique et pleine d’humour, sur le temps et la mémoire. Les œuvres présentées dans l’exposition proviennent de la collection particulière de l’artiste, ainsi que des Éditions de l’Estampe et de Rémy Bucciali.



À gauche : Sans titre – sculpture Ci-dessus : Le chien – bronze – installation – Avec l’aimable autorisation de la galerie L’Estampe – 2020

Ci-dessus : La nuit du crocodile – aquagravure originale – 2012 – Avec l’aimable autorisation de la galerie L’Estampe – 2020 À droite : Composition – techniques mixtes



À gauche : Kreta – aquarelle Ci-dessus : Le Rheims – aquagravure sur papier fait main – 54 x 73 cm