Orfeo magazine N°8 - Édition française - Automne 2016

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m a g a z i n e

Rencontres Antonio Marín Manuel Bellido Paco Santiago Marín Rafael Moreno Visite L’Alhambra de Grenade N° 8 - Automne 2016 Édition française


320 pages en couleur Format : 24 x 30 cm Prix : 90 €

Les cinq premiers numéros d’Orfeo Magazine réunis dans un livre au tirage limité Pour le commander, cliquez sur le livre Directeur : Alberto Martinez Conception graphique : Hervé Ollitraut-Bernard Éditrice adjointe : Clémentine Jouffroy Traductrice français-espagnol : Maria Smith-Parmegiani Traductrice français-anglais : Meegan Davis Site internet : www.orfeomagazine.fr Contact : orfeo@orfeomagazine.fr

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orfeo Édito

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m a g a z i n e Grenade, ville de 250 000 habitants, est un cas unique au monde : plus de quarante luthiers sont en activité dans la ville et ses alentours. Et ils ne sont pas tous Espagnols : beaucoup sont venus d’autres pays attirés par leur savoir-faire et leur caractère généreux. Aujourd’hui, on peut dire que Grenade est devenue la capitale mondiale de la guitare. Nous vous proposons la visite de quatre ateliers : ceux d’Antonio Marín, de Manuel Bellido, de Paco Santiago Marín et de Rafael Moreno. Mais il est difficile d’écrire sur la guitare de Grenade sans tenir compte des références historiques, artistiques et culturelles de cette ville. Grenade, et l’Alhambra en particulier, ont eu une grande influence, séduit et émerveillé nombre d’écrivains et de musiciens comme Manuel de Falla, Francisco Tárrega, Claude Debussy, Andrés Segovia, John Irving, Marguerite Yourcenar, Victor Hugo, Federico García Lorca… Bonne promenade ! Alberto Martinez


La guitare à Grenade


Guitare construite par Rafael Vallejo en 1792 pour le roi Carlos IV.

Depuis le XVIe siècle la construction de guitares a été une activité importante de la ville de Grenade.


Francisco Manuel Díaz.

Eduardo Ferrer forma les luthiers de Yamaha dans les années 60. Ana Duran Ferrer, sa petite-fille tient la boutique.

José López Bellido, frère de Manuel Bellido.

Dans le Victoria and Albert Museum de Londres, se trouve le plus ancien chef-d’œuvre connu de lutherie grenadine : la guitare construite par Rafael Vallejo en 1792 pour le roi Carlos IV. Il s’agit d’une guitare de 16 chœurs (cordes doubles) merveilleusement décorée. À partir du XIXe siècle, les guitares gagnent en sobriété et s’adaptent aux nouvelles techniques musicales de Fernando Sor et Dionisio Aguado. Ces nouveaux instruments sortent des mains d’une nouvelle génération de luthiers : Agustín Caro, Antonio Llorente ou José Pernas. L’histoire de la guitare grenadine continue en 1875 avec la Casa Ferrer, fondée par Benito Ferrer et reprise par son neveu Eduardo Ferrer (Segovia commença sa vie artistique avec une guitare de Benito Ferrer). La famille Ferrer et Manuel de la Chica, considérés comme les fondateurs de l’école contemporaine de Grenade, formèrent beaucoup des luthiers qui ont donné à la ville sa renommée actuelle et l’ont hissée au rang de capitale mondiale de la guitare. La rue de la guitare Depuis sa création, La Casa Ferrer se trouve dans la rue principale qui permet d’accéder au Palais de l’Alhambra : la Cuesta de Gomérez. Peu à peu, d’autres ateliers se sont installés autour de celui de Ferrer, transformant la rue en « rue de la guitare ». Cette rue se termine devant la Puerta de las Granadas, l’une des plus belles portes de la ville, par laquelle on accède au parc de l’Alhambra. Sa construction date de la visite de Carlos I d’Espagne en 1526 et elle doit son nom aux trois grenades qui la décorent au-dessus du blason impérial. Les boutiques pour touristes ont commencé à remplacer les ateliers des luthiers mais heureusement, certains résistent et perpétuent la tradition de la rue.


Les boutiques pour touristes chassent peu à peu les luthiers. Ci-dessous : la Puerta de las Granadas.


José Marín Plazuelo et José González López admirent la guitare construite par Antonio Marín et Robert Bouchet.

Antonio Marín, le pat


Il a construit des guitares pour Manuel de la Chica et Eduardo Ferrer, fut l’associé de Manuel Bellido et l’ami du luthier français Robert Bouchet. Antonio Marín a aidé beaucoup de jeunes luthiers et a la réputation d’être toujours disponible pour conseiller un confrère.

triarche de Grenade


La lettre de Robert Bouchet avec les détails de construction de ses guitares (1977).

“Le système Bouchet permet d’obtenir une guitare au son très équilibré.”

À 83 ans il continue à travailler dans son atelier de la Cuesta del Caidero en compagnie de José Marín Plazuelo (son neveu), José González López (beau-frère de Plazuelo) et Juan Antonio Correa Marín (petit-fils d’Antonio). Antonio Marín est la référence indiscutable de Grenade. Orfeo – Racontez-nous votre amitié avec Robert Bouchet. Antonio Marín – Notre amitié date de 1977 quand j’ai voyagé à Paris pour faire sa connaissance, suivant les conseils d’un ami japonais. Son système de barrage de la table d’harmonie – avec la barre sous le chevalet et les barrettes qui augmentent en épaisseur vers les aigus – m’a tout de suite intéressé. La barre Bouchet (« barre d’âme »), en donnant plus de consistance à la table dans la zone des aigus, permet d’obtenir une guitare au son très équilibré et avec un très


Jacques Bertier, Robert Bouchet, Guy Déséglise et Antonio Marín (1979).

bon sustain. Après ma visite, il m’a envoyé une lettre dans laquelle il m’expliquait en détail toute la construction de ses tables, me proposait une nouvelle forme pour la tête de mes guitares et un dessin pour mes étiquettes. Plus tard, il est venu passer un mois à Grenade et à cette occasion, en travaillant ensemble, nous avons fait une guitare que je garde précieusement. En 1979, nous avons passé trois mois en France à travailler ensemble chez Guy Déséglise, un ami commun et nous avons fait trois guitares. Bouchet était toujours surpris par mon habileté et ma rapidité dans le travail. Orfeo – Votre capacité de production est surprenante, comment est-ce possible ?

A. M. – Quand on a une bonne organisation, faire une guitare ou quatre c’est la même chose. Autre raison de cette efficacité : le travail en famille qui crée une bonne ambiance. Nous préparons d’avance tous les composants de la guitare par séries : manches, rosaces, tables… En fonction du temps et de l’humidité, on prépare ou on colle. Ensuite, chacun fait ses guitares tout en nous aidant mutuellement. En revanche, le vernis qui est une opération presque aussi longue que celle de faire une guitare et qui demande une pièce sans poussière, est donné à faire à des vernisseurs professionnels. Ndlr - Antonio Marín a construit plus de 2 000 gui-

L’atelier d’Antonio Marín.



Vue à 180° de l’intérieur d’une guitare d’Antonio Marín où l’on voit clairement la « barre Bouchet ».


Élégance, sobriété et qualité des bois sont la signature d’Antonio.



“Quand on a une bonne organisation, faire une guitare ou quatre c’est la même chose.” tares dans ses 60 ans de lutherie, José Marín Plazuelo environ 800 en 42 ans et José González López 200 en 27 ans.

Toutes les parties de la guitare sont fabriquées en série.

Orfeo – Quelles sont les différences entre les guitares de flamenco et les guitares classiques ? A. M. – J’emploie le système Bouchet pour les classiques. En revanche, je fais les « flamencas » en mettant seulement les barrettes, comme faisait Torres. La table des flamencas est aussi plus mince ; on cherche à obtenir un son plus brillant, plus « cristallin » comme disent les flamenquistes. Une autre différence, c’est le motif des rosaces : j’en fais un pour les guitares classiques et un autre pour les flamencas. La touche de la guitare de flamenco doit être plate pour pouvoir utiliser le capodastre, mais la touche des classiques est façonnée un peu arrondie pour laisser plus d’espace sous les cordes graves en se rapprochant de la bouche. Orfeo – Quels sont les détails les plus importants de vos guitares ? A. M. – Pour moi, la table d’harmonie et son bar-

Table en épicéa en cours de finition.


José González López en train de coller les filets d’une de ses guitares.


La pièce où sont faites toutes les découpes de bois.

“Le travail en famille crée une bonne ambiance.” rage restent toujours les plus importants, mais j’essaie aussi de soigner une homogénéité, une esthétique générale. Les collages doivent être faits avec soin et par temps sec. En cas d’humidité élevée, nous ne faisons pas de collages. La guitare voyage beaucoup et avec les changements de climat, si les collages ont été faits par temps humide, la guitare aura des problèmes. Aujourd’hui, il y a une demande pour plus de volume mais… pourquoi ? Ces nouvelles guitares qui pèsent comme un piano ont beaucoup de volume mais le son n’a ni qualité, ni couleur, ni équilibre. Elles font surtout du bruit ! Je ne crois pas que la guitare ait besoin de plus de volume. Quand nous étions jeunes, nous allions écouter Segovia quand il venait à l’auditorium de Grenade. Il jouait sans amplification et on l’entendait jusqu’au dernier rang. Un autre avantage que les guitaristes trouvent au système Bouchet, c’est la bonne projection et l’équilibre du son. Le détail le plus important, c’est que le sillet du chevalet s’appuie bien

au milieu de la barre, afin que la pression des cordes s’exerce au maximum sur elle. Orfeo – Parlant du chevalet, vous le faites toujours avec douze trous ? A. M. – Non, pas toujours. L’avantage d’attacher les cordes ainsi, c’est de les appuyer toutes de la même manière sur le sillet. Les flamenquistes l’ont adopté plus facilement que les guitaristes classiques. Il y a eu des exceptions : les guitares que j’ai faites pour Pepe Romero et Vicente Cobes par exemple, sont à douze trous. Orfeo – Quelle est votre opinion sur les guitares anciennes ? A. M. – Nous les connaissons bien car nous avons parfois à restaurer des guitares de Torres ou de Santos Hernández. J’ai senti que la voix de ces guitares avait changé avec le temps et je crois qu’on ne peut pas les copier. On ne peut pas copier le travail du temps, l’usure, le vieillissement du bois, la cristallisation de la colle. C’est comme le vin… on ne peut pas copier les vieux vins.


José Marín Plazuelo travaille à côté d’Antonio Marín depuis 40 ans.


Manuel Bellido, Ă la rec

Manuel Bellido et ses fils, Mauricio et JesĂşs.


cherche de l’équilibre

Il a appris la lutherie dans l’atelier d’Eduardo Ferrer, fut l’associé d’Antonio Marín et finit par s’installer à son compte. Son désir permanent d’améliorer ses guitares l’a fait souvent changer de barrage, de gabarit et de mode de construction.


JesĂşs Bellido choisit une table dans le magnifique stock de bois de la famille.


Les Bellido font divers types de rosaces.

“En plus d’être très adroit, Jesús a une autre qualité, il n’a pas peur de se tromper.” Aujourd’hui, à 80 ans, il continue à travailler dans son atelier du Paseo de las Palmas en compagnie de ses fils, Jésus et Mauricio. Orfeo – Depuis quand travaillez-vous en famille ? Manuel Bellido – Je n’ai jamais obligé mes fils à travailler avec moi. La lutherie est un travail honnête, qui donne beaucoup de satisfactions, mais pas beaucoup d’argent ! Mes fils y sont venus tout seuls. Le premier, Jésus, s’est mis à 13 ans à faire deux guitares à mes côtés pour gagner de l’argent et pouvoir s’acheter une mobylette. Bien sûr, je l’ai aidé et conseillé. Un jour, quand les guitares étaient finies, le marchand d’instrument anglais Ivor Mairants est passé à l’atelier. Il a été tellement surpris de voir Jesús, si jeune, qu’il a acheté une de ses guitares et m’a demandé la permission

d’annoncer Jesús comme le luthier plus jeune au monde dans le livre Guinness World Records ! En plus d’être très adroit, Jesús a une autre qualité, il n’a pas peur de se tromper. Pour moi, c’est très positif, parce que nous apprenons aussi grâce à nos échecs. Jesús est capable de faire 20 ou 25 guitares par an, il est celui d’entre nous qui produit le plus. Mauricio aussi est venu à l’atelier de lui-même. Il a commencé par le vernis au tampon et il continue à le faire remarquablement, mais depuis quelque temps il a commencé à construire des guitares complètement. Le vernis au tampon est très difficile et demande une grande patience. Le résultat dépend de beaucoup de facteurs et chacun doit trouver ses solutions : la forme du tampon, les bons gestes, la force d’appui de la main… Aujourd’hui, Mauricio peut rivaliser avec les meilleurs.


© Clémentine Jouffroy

“La table n’est pas la seule chose importante ; tout intervient dans la construction d’une guitare.” « Je n’ai jamais obligé mes fils à travailler avec moi. » Travailler en famille est très agréable et excellent pour l’organisation du travail. Si nous faisons de chevalets, par exemple, nous les faisons pour tous et ensuite chacun construit les guitares à sa manière. Je n’ai pas non plus obligé mes fils à faire les guitares à ma façon. Orfeo – Que pouvez-vous nous dire de la construction de vos guitares ? M. B. – Il y a des luthiers qui trouvent une manière de faire les guitares et qui continuent comme ça toute leur vie, avec peu de changements. Moi, je suis tout le contraire, j’aime essayer différentes solutions. En ce moment, je fais un nouveau modèle que j’appelle « Auditorio ». La table d’harmonie n’a pas le barrage traditionnel mais neuf brins en diagonale et parallèles. Le grand avantage de ce barrage, c’est qu’il me permet d’affiner encore plus la table. J’obtiens une guitare qui maintient bien le son, équilibrée et avec des bons aigus. Contrairement aux idées de

Torres, je crois que la table n’est pas la seule chose importante. Je pense qu’il est nécessaire de trouver un équilibre général dans la construction d’une guitare où tout intervient. Pour les mêmes raisons, je ne donne pas beaucoup d’importance au barrage ; si un barrage fonctionne bien, c’est parce qu’il y a beaucoup d’autres choses bien faites à l’intérieur. J’ai fait des guitares avec cinq, sept, huit et neuf brins, certaines avec le renfort sous le chevalet, d’autres pas. Le bois n’est jamais le même. Mais ce que j’ai toujours fait, c’est une table plus épaisse du côté des aigus. Le niveau des guitaristes a beaucoup augmenté, ils ont développé des techniques qui exigent des guitares avec plus d’équilibre, plus de justesse tout au long du manche. La guitare est arrivée à un niveau de perfection tel que les différences se trouvent dans les petits détails. Table en attente du barrage avec neuf brins en diagonale et parallèles.


Le modèle Auditorio avec la partie arrière de la tête complètement fermée.


Manuel Bellido fait la rosace de ses guitares avec un motif inspirÊ de l’Alhambra.


Voici comment il combine les diffĂŠrents types de bois pour faire ses rosaces.



Mauricio vernit les guitares dans une pièce à part.


Les diffÊrentes pièces sont faites en avance et en petites sÊries.


“Les colles traditionnelles refroidissent très vite et posent des problèmes pour le collage des grandes surfaces.” D’autre part, les guitaristes ont progressé en virtuosité mais perdu l’oreille : ils cherchent plus de volume et négligent la qualité du son. Orfeo – Quels autres détails y a-t-il dans le modèle Auditorio ? M. B. – En remplaçant les chevilles en bois par des mécaniques à la demande de certains clients, j’avais noté que le caractère du son changeait. Alors j’ai fermé la partie arrière de la tête de la guitare pour essayer de retrouver la rigidité perdue à cause des ouvertures. Le résultat m’a plu et je l’ai adopté pour l’Auditorio. Comme je vous l’ai dit, le barrage est en diagonale avec neuf brins. Le talon est fait avec un seul morceau de bois parce que je le trouve plus solide ainsi. Le collage est aussi très important et les colles ont beaucoup progressé. Les colles chaudes, traditionnelles, refroidissent très vite et posent des problèmes au moment du collage des grandes surfaces. La solution est de chauffer les pièces, mais cela fait perdre beaucoup de temps. Les colles modernes ont résolu ce problème. J’aime beaucoup travailler avec le cyprès. Quand je travaille avec le palissandre de Rio, qui se fend facilement, je double le fond et les éclisses avec une couche de cyprès à l’intérieur. Ce doublage donne une bonne rigidité à la guitare et évite certaines déformations. Je ne crois pas que cela change le son, sa

finalité est avant tout de renforcer le palissandre. Jadis, les voyages étaient plus longs et les instruments s’adaptaient peu à peu  ; aujourd’hui on prend l’avion à Madrid, on descend à Mexico quelques heures plus tard dans un climat complètement différent et la pauvre guitare doit résister à ces changements. C’est un cauchemar ! L’intérieur du manche de l’Auditorio a un renfort en carbone. Avant, j’utilisais l’ébène ou le palissandre, mais le carbone me permet de l’affiner d’avantage si nécessaire. Tout contribue à l’équilibre général. Je construis des guitares parce que j’aime ça et je prends le temps nécessaire pour les faire le mieux possible ; ça m’est égal de les vendre ou pas. Comme le modèle Auditorio est le fruit d’une vie de luthier, j’aimerais que Mauricio le continue. Orfeo – Quelles différences y a-t-il entre vos guitares classiques et de flamenco ? M. B. – Il n’y a pas beaucoup de différences. Le fait d’avoir un bon guitariste à proximité, qui essaye les guitares, fait progresser le luthier. Ici, par affinité et tradition, nous avons plus de contacts avec des flamenquistes. Je n’ai pas envie de faire des guitares de flamenco « negras », pourquoi faire si les « blancas » sonnent très bien ?

Presse chauffante pour cintrer les éclisses.


« Je construis des guitares parce que j’aime ça. »

“J’emploie des tables en cèdre uniquement pour les classiques, pas pour les guitares de flamenco.” Dans les flamencas, j’ajoute une frette « zéro » pour améliorer le confort de la main gauche et mieux aligner les cordes ; c’est comme avoir un capodastre. Mais je l’ajoute uniquement dans les flamencas car les guitaristes classiques sont plus conservateurs. En revanche, j’emploie des tables en cèdre uniquement pour les classiques, pas pour les guitares de flamenco. Je me rappelle que dans les années 60, quand je travaillais avec Antonio Marín, on avait d’énormes difficultés pour trouver du bon bois pour les tables et on avait acheté un peu de cèdre du Canada pour essayer, quand personne ne l’utilisait encore. Nous avions construit plusieurs guitares avec ces tables mais, comme elles étaient d’une couleur plus foncée que celles en épicéa, les gens ne les aimaient pas.

Alors, on leur passait une couche de « blanc d’Espagne » pour les éclaircir ! L’Espagne de cette époque était différente, on essayait de survivre, de gagner un peu d’argent pour manger. Orfeo – Comment peut-on définir la guitare de Grenade ? M. B. – La guitare de Grenade a une construction particulière. Elle est légère, confortable et pas très large. Celles que fait Jesús sont les plus proches de la guitare grenadine typique. L’inspiration vient surtout de Santos Hernández, plus que de Torres. Mais parler des guitares anciennes est difficile : les guitares ont changé, les cordes ont changé et nos oreilles ont changé aussi.



L’orn


nement de l’Alhambra La beauté des ornements de l’Alhambra est depuis longtemps une source d’inspiration des nombreux luthiers dans la décoration des rosaces de leurs guitares.

Les derniers rayons d’un soleil hivernal éclairent l’Alhambra et les sommets de la Sierra Nevada.






“L’Alhambra représente un sommet de perfection de l’art mauresque.” Nous vous proposons une visite de ce merveilleux palais en compagnie des textes de l’architecte anglais Owen Jones : The Grammar of Ornament. Ce livre, publié la première fois en 1856, devint un outil important durant cette période, car il incitait les architectes à s’ouvrir à d’autres formes d’arts décoratifs provenant de cultures et de pays que Jones avait traversés ou étudiés. En annexe de l’édition, une centaine de pages d’illustrations d’ornementations de Chine, de Perse, des Indes, d’Arabie et d’autres cultures figuraient, reproduites grâce au nouveau procédé de la chromolithographie. Owen Jones, en compagnie de l’architecte français Jules Goury (qui sera victime de l’épidémie de choléra), est arrivé à Grenade en mars 1834 avec l’intention de réaliser une étude exhaustive de l’Alhambra. Ils y sont restés six mois, un temps intensément employé à faire toutes sortes de croquis, dessins, élévations,

moules en plâtre, calques, hypothèses reconstructives de la couleur, qui ont abouti à ce qu’on peut considérer comme la première étude exhaustive des aspects chromatiques et ornementaux de l’Alhambra. The Grammar of Ornament « Si nous avons emprunté nos illustrations des ornements islamiques exclusivement à l’Alhambra, ce n’est pas seulement parce que c’est l’œuvre que nous connaissons le mieux, mais aussi parce que c’est une œuvre dans laquelle leur merveilleux système de décoration a atteint le point culminant. L’Alhambra représente un sommet de perfection de l’art mauresque, au même titre que le Parthénon celui de l’art Grec. Nous ne connaissons aucune œuvre aussi bien adaptée à servir d’illustration dans une gram-

Portrait d’Owen Jones.




Dessins originaux d’Owen Jones et Jules Goury.



Détail réunissant les trois grands thèmes décoratifs de l’Alhambra : épigraphiques, végétaux et géométriques.


“C’est l’œuvre dans laquelle leur merveilleux système de décoration a atteint le point culminant.”

maire d’ornement, que ce palais de l’Alhambra, où chaque ornement contient une grammaire en lui-même. Dans l’Alhambra, nous retrouvons l’art parlant des Égyptiens, la grâce naturelle et le raffinement des Grecs, les combinaisons géométriques des Romains, des Byzantins et des Arabes. Nous croyons que la vraie beauté dans l’architecture, résulte de ce “repos que ressent l’âme lorsque la vue, l’intelligence, et l’affectivité sont satisfaites”. Dans la décoration de l’Alhambra, on ne trouve jamais d’ornements inutiles ou superflus : chaque motif surgit paisiblement et naturellement de la surface décorée. Toutes les lignes naissent les unes des autres sans débordements ; on ne saurait rien ôter sans nuire à la beauté de la composition… » Owen Jones, Londres 1856



Paco ajuste le sillet de tête de sa première 50 aniversario.


Paco Santiago Marín, naissance de la “50 aniversario” Assister à côté du luthier, aux premières notes d’une guitare qui vient d’être finie est toujours un moment d’émotion. Mais, assister à la naissance d’un nouveau modèle l’est encore davantage.


“J’essaie de faire la meilleure guitare possible, je soigne encore d’avantage les détails et la qualité des bois.” Je suis à Grenade, dans l’atelier de Paco Santiago Marín, et Paco est très inquiet : il vient de mettre les cordes sur le premier exemplaire de son modèle 50 aniversario et il attend l’arrivée de son propriétaire, le guitariste japonais Ichiro Suzuki… Paco Santiago Marín a commencé à travailler à l’âge de douze ans dans l’atelier d’ébénisterie de son père et plus tard, il a appris la lutherie avec son oncle Antonio Marín. Il construit ses guitares de manière traditionnelle, mais sa quête permanente de perfection lui a fait créer des modèles tous les dix ans qui réunissent les connaissances acquises. Il a son atelier en plein centre de Grenade et travaille avec son fils Luis. Orfeo – Que pouvez-vous nous dire du modèle 50 aniversario ? Paco Santiago – J’ai un peu modifié le gabarit et quelques détails par rapport à mon précédent modèle, la 40 aniversario. La caisse est plus longue d’un demi-centimètre afin de mieux appuyer le bras droit et, même si cela paraît incroyable, ce petit détail change le son, l’améliore et je l’ai adopté.

Dos en palissandre indien et érable. J’essaie de suivre la demande des guitaristes qui veulent toujours plus de qualité, plus d’équilibre, plus de sustain. La 40 aniversario avait déjà une bonne puissance, je ne crois pas pouvoir l’augmenter encore beaucoup et je ne veux pas utiliser les matériaux modernes. Je construis selon la tradition et je pense que la construction classique donne déjà suffisamment de possibilités. J’ai la chance d’être entouré de guitaristes de très bon niveau et très exigeants (Ndlr. : Joaquín Clerch, David Martinez) qui m’ont poussé à améliorer lentement mais constamment mes modèles jusqu’à arriver à celui-ci : la 50 aniversario. J’essaie de faire la meilleure guitare possible, je soigne encore davantage les détails, la qualité des bois et je passe plus de temps pour la construire. Pour le moment, je ne pense pas pouvoir aller plus loin : j’ai mis dans cette guitare, tout mon savoir de luthier depuis cinquante ans. Orfeo – Comment travaillez-vous la table d’harmonie ? P. S. – Je suis de ceux qui croient que le plus important, c’est la table. Mes tables ont un barrage asymétrique, dans la tradi-


La 50 aniversario rĂŠunit tout le savoir aquis par Paco MarĂ­n en 50 ans de lutherie.



Le changement de dimensions de la 50 aniversario a nécessité la fabrication d’un nouveau moule.

tion de Torres, mais qui a beaucoup évolué avec l’expérience et les recherches. J’accorde une même importance au bois de la table qu’au bois des barrettes. Je mesure et je choisis les barrettes au toucher. Leur flexibilité, leur résistance, la manière de les travailler, tout compte et tout intervient dans l’équilibre général. Finalement, c’est la main qui doit dire comment travailler la table. Selon les demandes, j’emploie l’épicéa ou le cèdre. Nous, les luthiers de Grenade, nous sommes plutôt habitués à travailler l’épicéa, mais ce n’est pas un bois facile à travailler. Pour moi, il est plus difficile de faire une guitare réussie avec une table en épicéa qu’une avec du cèdre. Le cèdre est plus docile, même s’il a l’inconvénient d’être plus tendre, plus délicat à travailler. Dernièrement j’ai essayé de faire des tables avec l’épicéa Sitka américain (picea sitchensis) et j’ai bien aimé. C’est un bois un peu plus tendre que l’épicéa allemand et il produit un son entre l’épicéa et le cèdre. Je ne considère pas, comme beaucoup de mes collègues, qu’une partie de la table correspond aux sons aigus et l’autre aux sons graves. Je ne suis pas convaincu : pour moi la guitare est un

tout. Par exemple, dans le modèle 50 aniversario, j’ai amélioré les aigus en renforçant un peu la zone qu’on attribue aux graves. Et ça marche ! Mes changements sont toujours très lents car j’ai peur de gagner d’un côté et de perdre de l’autre. Pour cette raison, je préfère réunir tous les dix ans ce que j’ai appris et amélioré. J’ai toujours cherché plus d’équilibre et plus de sustain. Des bons graves, on en a toujours ; le problème ce sont les aigus et en particulier, la première et la seconde cordes qui sont les plus difficiles à réussir. Orfeo – Quels bois employez-vous pour le fond et les éclisses ? P. S. – Je construis plutôt des guitares classiques, très peu de flamencas. Je les aime bien, mais je me suis consacré davantage à la guitare classique. J’aime travailler le palissandre indien. L’utilisation du palissandre de Rio est devenue trop contraignante, j’utilise donc plutôt celui de Madagascar, surtout pour son apparence. Les Asiatiques aiment beaucoup les bois avec des dessins. Moi, je préfère les guitares sobres, avec peu de décoration. La guitare est un ins-


La 30 aniversario reste son modèle le plus vendu.


Le motif des rosaces de Paco porte la signature de la famille MarĂ­n.

Les fonds avec un renfort central sont caractĂŠristiques de certaines guitares de Grenade.

Le barrage de la 30 aniversario vu en transparence.


Paco avec la deuxième guitare faite entièrement par lui.

“La 30 aniversario est mon modèle le plus connu et encore le plus demandé.” trument, pas un meuble, ce qui compte c’est qu’elle sonne bien. Mon fils Luis fait aussi des guitares et m’aide dans l’atelier en préparant des pièces en séries : manches, tables… En revanche, ses guitares sont complètement différentes des miennes. Orfeo – Vous continuez à faire le modèle 30 aniversario ? P. S. – La 30 aniversario est mon modèle le plus connu et encore le plus demandé. J’ai fait l’une de mes premières pour Leo Brouwer en 1991 et depuis nous sommes très bons amis. C’est la guitare avec laquelle il a composé toute son œuvre depuis cette date. J’étais content avec les guitares de concert que je faisais à l’époque, mais j’ai voulu aller plus loin, en cherchant plus de qualité et en travaillant davantage les détails.Alors, j’ai décidé de réunir tout ce que j’avais appris dans mes années de luthier, les expériences positives, modifier un Timbre cubain émis en hommage à Leo Brouwer.

peu le gabarit et mieux sélectionner les bois. Je continue à faire la 30 aniversario à un prix plus bas que celui de la 50 aniversario pour les guitaristes qui ne peuvent pas dépenser autant d’argent. Orfeo – Quelles sont ces deux guitares que je vois dans l’atelier ? P. S. – L’une est la seconde guitare que j’ai construite, en 1967, très simple, quand je travaillais chez Antonio Marín. Elle sonne bien mais elle n’a rien à voir avec celles que je fais maintenant : on a beaucoup gagné en qualité. Comme je n’avais pas d’étiquettes, j’avais collé une étiquette d’Antonio signée par moi. L’autre est la guitare que j’ai faite pour Leo Brouwer en 1991. Elle est ici par hasard, pour refaire son vernis et remplacer les frettes. Avec Leo nous sommes tellement amis qu’il a fait graver nos initiales sur la tête (LP). C’est une 30 aniversario et elle figure dans les timbres postaux cubains de 2014 en hommage aux soixantequinze ans de Leo.


Dans l’étiquette de la guitare de Leo Brouwer, on lit : « À mon frère Leo ».

La guitare construite pour Leo Brouwer avec les initiales du guitariste et du luthier.


Dans son petit atelier de la rue Jesús y María, Rafael Moreno terminait une guitare dessinant des huit avec le tampon, faisant entrer la pierre ponce dans les veines du palissandre et bouchant les pores avant le vernis final. Sur un meuble derrière lui, la radio inondait l’atelier avec le cante jondo d’Enrique Morente…

Rafael Moreno, l’homme qui parle avec le bois


Rafael Moreno a travaillé pour Manuel Bellido, Antonio Marín et Eduardo Ferrer avant de s’installer à son compte.


« La guitare doit être belle, elle doit avoir une esthétique générale. »


L’élégance du chevalet à 18 trous.

Orfeo – Avec quels bois aimez-vous travailler ? Rafael Moreno – Ça m’est égal. Plus le bois est dur, mieux je le travaille : le palissandre de Rio et l’ébène sont mes préférés. Le cyprès aussi quand il est dur. L’avantage du cyprès, c’est son odeur, très agréable et persistante. Quand je rentre à la maison après une journée de travail avec du cyprès, ma femme me demande de ne pas me laver tout de suite pour profiter de l’odeur que j’ai sur moi ! Le grand problème du bois est qu’il n’est jamais le même. Un jour, Pepe Romero est venu à l’atelier avec l’une des guitares que je lui ai faites en me demandant de lui en faire une autre identique mais avec le manche plus épais. Je lui ai dit que je pouvais épaissir le manche de cette guitare mais qu’en faire une autre identique était impossible ! Orfeo – Quel type de barrage avez-vous utilisé ? R. M. – J’ai essayé différents barrages, toujours asymétriques, mais ils ne

changent pas beaucoup le résultat. Depuis quelque temps, je fais mes tables d’harmonie avec un éventail inversé : six brins qui s’ouvrent vers la bouche. Il est important de connaître le langage du bois. Il te demande : « Fais-moi plus épais » ou « Fais-moi plus mince » et il faut savoir l’écouter. Quand tu touches le bois, il te dit comment faire. C’est un langage qui ne s’apprend pas à l’école, il s’apprend avec l’expérience, en faisant beaucoup de guitares. Orfeo – Quelles différences y a-t-il entre une guitare de flamenco et une classique ? R. M. – Guitare, il n’y en a qu’une. Je ne vois pas de différence, je ne crois pas qu’il y ait des guitares classiques et des guitares de flamenco. Bien sûr, quand je fais une flamenca, je fais une caisse plus étroite et je règle les cordes plus bas, mais la Voici une table en cours de fabrication avec le barrage en éventail inversé.


“J’essaie de faire un instrument équilibré. Il n’est pas question de volume mais de couleur, de nuances.”


Le motif de la chaîne est caractéristique des dernières guitares de Moreno.



« Tout le monde n’aime pas ma grenade, certains la trouvent trop fragile. »


“Le collage doit être parfait pour ne perdre aucune vibration.” construction est la même et le travail aussi. Chaque guitariste a sa manière de jouer et la guitare ne sonne pas de la même manière selon qui la joue. J’essaie de faire un instrument équilibré. Il n’est pas question de volume mais de couleur, de nuances. La guitare est comme les chaussures : on ne peut pas demander à quelqu’un de l’essayer à ta place. Orfeo – Certaines de vos guitares n’ont pas le motif de la grenade dans la tête, pourquoi ? R. M. – Parce qu’on me le demande. Tout le monde n’aime pas ma grenade, certains la trouvent trop fragile. J’ai toujours fait les deux motifs et il y a des gens qui préfèrent le plus traditionnel, de type Torres. Orfeo – Quels sont les détails importants dans votre manière de faire ? R. M. – La guitare est une œuvre d’architecture ! J’essaie de renforcer les points qui travaillent le plus. Le plus important, pour moi, c’est le collage. Il doit être parfait pour ne perdre aucune vibration. J’ai fait aussi les fonds en trois pièces, ajoutant une pièce complète comme renfort de la partie centrale, celle qui travaille le plus et où convergent le plus de forces. Un autre détail est ma manière de nouer les cordes dans le chevalet : j’aime que les cordes tirent le plus bas possible pour éviter ce basculement du chevalet vers l’avant qui se produit avec le temps.

Voici les deux motifs qui terminent la tête de ses guitares : la grenade ou les trois lobes.


« J’aime faire tout dans mes guitares et tout à ma manière. »

L’illustration de ses étiquettes est l’œuvre du peintre Ignacio Meco.


“Si vous voulez faire un pot-au-feu trop vite, ça ne marche pas. Avec les guitares c’est pareil.” Il est aussi très important de donner une voûte à la table pour opposer plus de résistance aux mouvements du chevalet. J’aime faire tout dans mes guitares et tout à ma manière, même les sillets en os. J’achète des os de bœuf chez le boucher, je les coupe et ensuite je les blanchis à l’eau oxygénée. La guitare doit être belle, elle doit avoir une esthétique générale. Un instrument bien fait a plus de chances de bien sonner, indifféremment du barrage ou du bois choisis. Il n’y a pas de secrets… l’essentiel, c’est la sensibilité de chacun et l’amour que tu apportes à l’ouvrage. C’est comme la cuisine : tous les plats de nos grands-mères ou de nos mères étaient très bons. Pourquoi  ? Parce qu’elles passaient des heures à les faire, les heures qui étaient néces-

Guitare de 11 cordes (2003). saires. Si vous faites un pot-au-feu trop vite, ça ne marche pas. Avec les guitares c’est pareil. Il faut beaucoup pratiquer, la théorie ne sert à rien. Il faut toujours apprendre, s’améliorer. Celui qui croit tout savoir a tort. Je pense qu’il y a des gens qui font des guitares et d’autres qui sont luthiers. Celui qui fait des guitares les fait pour gagner de l’argent ; le luthier les fait en espérant laisser une œuvre. Le luthier travaille avec amour, avec plaisir et c’est pour ça que les guitares sont réussies  ! Si voir partir une guitare que tu viens de finir te fait de la peine, si cela te fait souffrir comme de te séparer d’un fils, alors tu es un vrai luthier !

La marmite pour chauffer la colle, témoin silencieux de tant de guitares…


Chaque ami de Rafael Moreno a une tasse à son nom dans l’atelier.


Federico García Lorca (1898 - 1936)

Peu de poètes ont autant écrit sur la guitare que Federico García Lorca. Toute sa vie il fut un amoureux de cet instrument et de ses racines gitanes. Lorca, né à Fuente Vaqueros, petit village près de Grenade, est le poète et dramaturge espagnol le plus lu de tous les temps. Une grande partie de son travail est inspirée par les traditions populaires ainsi que par le flamenco et la culture gitane. En 1922, Lorca organise, avec son ami le compositeur Manuel De Falla, un concours de cante jondo à Grenade : « Pour pousser un cri d’alarme » nous dit-il, car « Les vieux emportent avec eux dans leur sépulture, de véritables trésors des générations qui les ont précédés. » En 1928, son livre de poésie, Romancero Gitano, lui donne une grande renommée. Les poèmes qui suivent sont extraits de son œuvre Poème du cante jondo (1921). Adivinanza de la guitarra est un des poèmes que García Lorca dédia au guitariste espagnol Regino Sáinz de la Maza et que, en 1956, inspira le solo de guitare El Polifemo de Oro que le compositeur britannique Reginald Smith Brindle écrivit pour Julian Bream.

Ci-dessus et à droite : deux dessins de García Lorca.


La guitare

Devinette de la guitare Au carrefour rond, six vierges dansent. Trois de chair et trois d’argent. Les rêves d’hier les cherchent mais il les tient enlacées, un Polyphème d’or. La guitare !

Commence le pleur de la guitare. De la prime aube les coupes se brisent. Commence le pleur de la guitare. Il est inutile de la faire taire. Il est impossible de la faire taire. C’est un pleur monotone, comme le pleur de l’eau, comme le pleur du vent sur la neige tombée. Il est impossible de la faire taire. Elle pleure sur des choses lointaines. Sable du Sud brûlant qui veut de blancs camélias. Elle pleure la flèche sans but, le soir sans lendemain, et le premier oiseau mort sur la branche. Ô guitare ! Ô cœur à mort blessé par cinq épées.


Paris, novembre 2016 Site internet : www.orfeomagazine.fr Contact : orfeo@orfeomagazine.fr


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