Orfeo magazine N°16 - Édition française - Automne 2020

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m a g a z i n e Les origines de la guitare L’évolution des cordophones dans le monde

N° 16 - Automne 2020 Édition française


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© OrfeoMagazine Directeur : Alberto Martinez Conception graphique : Hervé Ollitraut-Bernard Éditrice adjointe : Clémentine Jouffroy Traductrice français-espagnol : Maria Smith-Parmegiani Traductrice français-anglais : Meegan Davis Site internet : www.orfeomagazine.fr Contact : orfeo@orfeomagazine.fr

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orfeo Édito

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m a g a z i n e Ont collaboré à ce numéro :

Anne-Emmanuelle Ceulemans Musée des instruments de musique de Bruxelles

Claire Chantrenne Musée des instruments de musique de Bruxelles

Rémy Jadinon Conservateur des collections musicologiques de l’Africa Museum de Tervuren

Lucas Chaumard Étudiant en musicologie à l’Université de Paris

L’arc du chasseur et le roseau de la préhistoire sont les deux objets simples qui ont donné naissance à toute l’histoire de la musique. Ce sont des objets très particuliers parce qu’ils produisent des sons harmoniques (sons de fréquences double, triple, quadruple… de la vibration fondamentale), ce qui est rare dans la nature. L’homme ajoutera d’abord une caisse de résonance à l’arc pour amplifier le son de la corde et plus tard, un manche à la caisse. Ces instruments primitifs vont évoluer de manières différentes selon les régions du monde et, vers le xvi e siècle, notre chère guitare va naître en Espagne de ses origines européennes et orientales. Dans ce numéro d’Orfeo je vous propose de faire un voyage dans le temps : une histoire de la guitare racontée par Emilio Pujol en première partie, suivie de l’évolution de la famille des instruments à cordes pincées dans le monde. Les cousins proches ou lointains de la guitare, des instruments fascinants et souvent d’une grande beauté. Bonne lecture. Alberto Martinez


Une histoire de la Dans les années 60 à Paris, le musicien et compositeur catalan Narcís Bonet, successeur de Nadia Boulanger à la direction du Conservatoire américain de Fontainebleau, professeur au Conservatoire de Paris et directeur adjoint de l’École normale de musique de Paris, organise une série d’émissions à Radio France Internationale et invite le grand guitariste et compositeur Emilio Pujol à parler de l’histoire de la guitare. Voici des extraits de ces entretiens radiophoniques.

1944, le jeune Narcís Bonet étudie la guitare avec Emilio Pujol à Barcelone.

L’origine, la naissance et les transformations de la guitare espagnole racontées par Emilio Pujol. Le regard d’un musicien sur l’évolution de l’instrument et l’apport des compositeurs et des guitaristes.

Narcís Bonet – Aujourd’hui, nous commençons une série d’émissions sur l’histoire de la guitare avec la personne la plus compétente pour traiter de ce sujet : Emilio Pujol, guitariste formé par Francisco Tárrega, historien, compositeur et professeur de guitare à l’École normale de musique de Paris, au Conservatório Nacional de Lisboa et à l’Accademia musicale Chigiana Siena. Nous tenons à le remercier pour sa précieuse collaboration dans ces émissions en langue espagnole de la Radiodiffusion-télévision française (RTF). Dans cette première émission, nous parlerons des origines de la guitare. Les origines de la guitare Emilio Pujol – La guitare, comme on le sait, appartient au groupe des instruments à cordes pincées  : ceux-ci, selon la mythologie antique, auraient leur origine dans la lyre. Peut-être l’arc de l’homme primitif était-il aussi plus qu’un instrument de chasse et de combat…

Peinture rupestre néolithique.


guitare Harpiste, terre cuite. Eshnunna, circa 1500 avant J.-C.

Planche du livre « Description de l’Égypte », Paris, 1809. Harpe triangulaire. Égypte, circa 1000 avant J.-C. Sur la base de recherches iconographiques et historiques, on constate que les instruments à cordes pincées, connus des civilisations les plus lointaines de l’Orient ancien, sont divisés en deux groupes : certains munis d’un manche, plus ou moins long afin d’obtenir plusieurs notes de chaque corde, comme pour la guitare ou le violon ; les autres, sans manche, permettant aux cordes de vibrer dans

Harpe arquée. Égypte, circa 1300 avant J.-C.



Chefs-d’œuvre de la poterie grecque : vases en terre cuite représentant Apollon avec la lyre (kithara), circa 500 avant J.-C.


“La guitare latine, c’est la guitare des troubadours.” leur intégralité, comme pour la cithare, la harpe ou le clavecin. Les musicologues qui ont traité des origines de la guitare jusqu’à aujourd’hui présentent deux hypothèses : selon la première, il s’agirait d’un instrument dérivé du luth assyro-chaldéen, importé en Espagne grâce aux transmissions successives des Égyptiens, des Perses et des Arabes. Selon la seconde, l’instrument se serait développé en même temps par différentes transformations : du luth assyrien en cithare romaine, puis en vihuela espagnole, qui était au xvie siècle, l’équivalent de notre guitare actuelle. N. B. – Lorsque les Arabes ont importé leur guitare en Espagne, en ont-ils trouvé une autre d’origine gréco-romaine que les Espagnols avaient déjà ? E. P. – C’est ce que disent les cantigas de Alfonso el Sabio, dans lesquels apparaissent deux guitares différentes et parfaitement définies : l’une de type ovale, avec incrustations et dessins arabes, et l’autre avec des courbes latérales en forme de huit. La première, appelée guitare mauresque, se composait de trois chœurs de cordes, c’est-à-dire de trois cordes doubles ; la seconde, appelée guitare latine, en avait quatre. Au moment historique où l’on trouve la guitare latine, c’est-à-dire aux xve et xvie siècles, elle est munie de quatre chœurs accordés en deux quartes distantes d’une tierce majeure, c’est-à-dire : dofa/la-ré, comme la vihuela, qui est le même instrument mais plus grand, auquel un chœur supérieur de cordes et un chœur inférieur ont été ajoutés à des distances d’une quarte. La guitare latine N. B. – Pourriez-vous, Maestro, préciser d’autres caractéristiques de la guitare latine ? E. P. – Le manche comportait cinq frettes faites

En haut : Cantigas de Santa Maria, 1270. En bas : Orphenica lyra de Miguel de Fuenllana, 1554. de cordes nouées à la distance nécessaire pour déterminer chaque demi-ton sur la même corde. C’était la guitare qui, au Moyen Âge, entre les mains des troubadours et des ménestrels, animait en Espagne, en France et en Italie principalement, les cours et les réunions populaires. N. B. – Y a-t-il des traces musicales écrites pour la guitare de cette époque ? E. P. – Les plus anciennes sont celles de Alonso


« Guadalupe », la vihuela du Musée Jacquemart-André, Paris.

Mudarra, imprimées à Séville en 1546, celles de Adrian Le Roy imprimées à Paris en 1551, celles de Miguel de Fuenllana, imprimées à Séville en 1554 et celles de Melchior de Barberis, publiées à Venise en 1549. Ces œuvres, fantaisies et danses pour la plupart, sont traitées dans un style profane avec la même rigueur contrapuntique que les œuvres polyphoniques vocales de la même époque. La vihuela N. B. – Pouvez-vous nous parler de la vihuela ? E. P. – Tous les instruments à cordes avec manche s’appelaient autrefois vihuelas. Le mot était une déformation du nom latin fidicula, dérivé de fides ou cordes. De viole, vigola ou vigüela, il a fini par désigner deux types d’instruments : vihuela de arco, avec toute la famille des violons, et vihuela de mano, qui se joue avec les doigts, c’est-à-dire la guitare, le luth et la vihuela elle-même. La résurgence des arts en Espagne à l’époque glorieuse des monarques catholiques a été un facteur d’amélioration des instruments de musique et de même que les cordes ont augmenté

sur la harpe et les touches sur le clavecin, deux cordes (ou chœurs) ont été ajoutées à la guitare qui en avait quatre, l’une dans les aigus et l’autre dans les graves. Cette tessiture élargie de deux quartes a permis des compositions d’une plus grande ampleur et d’une plus grande richesse contrapuntique. Et, pour différencier cette guitare, qui permettait de jouer des œuvres plus importantes, de l’autre, plus petite et donc destinée à un rôle moins important, ils ont convenu de l’appeler vihuela de mano. N. B. – Donc la vihuela n’était autre que la guitare, mais avec deux cordes de plus ? E. P. – Exactement. Fuenllana mentionne la « vihuela à quatre cordes qu’on appelle guitare », et Bermudo, quand il écrit que « la guitare peut être une vihuela en ajoutant une chanterelle et une sixième » prouve que la vihuela a son origine dans la guitare. Ses principales caractéristiques sont : une caisse en forme de huit comme celle de la guitare, avec des courbes moins accentuées, un manche avec dix frettes de corde autour et six paires de cordes entre le chevalet et les chevilles. N. B. – Y a-t-il une vihuela authentique aujourd’hui ?


Emilio Pujol avec deux copies de la vihuela « Guadalupe » : à gauche, avec la copie faite en 1936 par Miguel Simplicio (Barcelone), à droite, avec la copie de José Jacopi (Buenos Aires). E. P. – La seule authentique connue aujourd’hui, et que j’ai l’honneur et la satisfaction d’avoir découverte en 1935, se trouve précisément ici à Paris, au Musée Jacquemart-André. Elle date de l’an 1500 et le nom de « Guadalupe » est marqué au fer sur la tête, probablement parce qu’elle provenait du monastère d’Estrémadure en Espagne (Real Monasterio de Santa María de Guadalupe). L’œuvre la plus ancienne connue pour la vihuela est le livre intitulé « El Maestro », écrit en tablature, par Don Luis de Milan et publié à Valence en 1536. Ce qui est extraordinaire chez cet auteur, c’est sa grande habileté et son génie pour varier et développer des thèmes malgré les possibilités modales et instrumentales limitées de cette époque. Hautement inspiré, il a fait avec cette œuvre, un véritable monument de la musique espagnole. Les vihuelistes du XVIe siècle N. B. – Nous continuons notre parcours avec une autre grande figure de la vihuela : Narváez, l’auteur de « Los seis libros del Delfín ». E. P. – Les dates exactes

de naissance et de mort de Narváez sont inconnues, mais on peut déduire qu’il est né à la fin du xve siècle, puisque la publication de « Los seis libros del Delfín » date de 1538. Lors de la création de l’Instituto Español de Musicología, j’ai été chargé de faire la transcription de l’ensemble de l’œuvre de Narváez, qui a été publiée à Barcelone en 1945. Celle de l’œuvre de Alonso Mudarra a suivi, puis celle de Valderrábano. L’une des « Romanesca » de Alonso Mudarra, contient la succession d’accords qui a donné naissance à la « Folía de España », la cadence typiquement andalouse, thème universellement connu. Avec l’œuvre de Esteban Daza, « El Parnaso » imprimée à Valladolid en 1576, le cycle des productions vihuelistiques proprement dites est clos. Il ne dura que quarante ans dans le deuxième tiers du xvie siècle, après avoir commencé à Valence avec « El Maestro » de Luis de Milan en 1536. N. B. – « El Parnaso » de Esteban Daza signifie le déclin de la vihuela, n’est-ce pas ? Bermudo : « Declaración de instrumentos musicales », 1555.


“Il est probable que Vicente Espinel, qui était musicien et guitariste, ait ajouté la cinquième corde à la guitare espagnole.” Vicente Espinel. E. P. – Oui et non. Ce n’est pas une éclipse totale mais partielle. La vihuela à six chœurs tombe en désuétude tandis que les guitares à quatre et cinq chœurs restent. Ce qui se passe, c’est que lorsque les instruments à clavier et à archet se perfectionnent, les musiciens se désintéressent de la vihuela, attirés par le volume sonore et l’étendue plus importants de ces instruments. Et puis, la vieille guitare latine à quatre chœurs réapparaît, pas entre les mains de grands musiciens, mais dans celles de gens du peuple. De la vihuela à la guitare espagnole N. B. – Est-ce Vicente Espinel qui a ajouté la cinquième corde ? E. P. – Il est probable que Vicente Espinel, qui était musicien et guitariste, en raison des caractéristiques de sa voix, ait ajouté la cinquième corde. La guitare avant Espinel était majoritairement jouée par des personnes sans formation qui accompagnaient intuitivement leurs chansons et leurs danses. Elle était jouée de deux manières :

grattée et pincée. La première, en frappant toutes les cordes en même temps avec le revers des doigts, que Bermudo appelait « musique frappée », et la seconde, en jouant chaque note avec un doigt différent. N. B. – À la fin du xvie siècle, nous trouvons une autre figure importante : le docteur Juan Carlos Amat. E. P. – En effet, le docteur Juan Carlos Amat est l’auteur de la première méthode écrite pour la guitare. Elle est d’ambition modeste, mais elle est si ingénieuse qu’elle englobe de manière condensée tous les enseignements pour faire les accords principaux dans tous les tons majeurs et mineurs sur toutes les cordes, pour les appliquer correctement, les transposer dans différents tons et improviser avec eux sans difficulté. N. B. – Quand les livres de musique de guitare espagnole ont-ils commencé à paraître en Italie ? E. P. – Le premier est celui de Girolamo Montesardo Méthode de guitare écrite par J. C. Amat.


Thomas Duran, SÊville 1684. La seule guitare espagnole connue du xviie siècle.


Matteo Sellas, luthier Allemand ĂŠtabli Ă Venise, circa 1650.


Marqueterie et matériaux exceptionnels : écaille de tortue, ébène, ivoire et nacre.

Joachim Tielke, Hamburg 1693.

Jean Voboam, Paris 1699.

publié à Bologne en 1606, soit dix ans après la première édition de la méthode de Amat à Barcelone. Montesardo prétend avoir inventé un alphabet qui consiste à désigner chacun des douze accords majeurs et mineurs par une lettre de l’alphabet, au lieu de les représenter par un nombre, comme l’avait fait Amat. Et c’est en se basant sur cet alphabet que les œuvres de Ambrosio Colonna, Pietro Milioni, Sanseverino et d’autres apparaissent au cours du xviie siècle.

N. B. – Et en France, y a-t-il des signes du développement de la guitare espagnole ? E. P. – En 1626, soit trente ans après l’œuvre de Amat, apparaît à Paris l’œuvre curieuse d’un guitariste espagnol, Luis de Briceño, qui fut le professeur de Louis XIII. Cet ouvrage intitulé « Método muy facilísimo para aprender a tañer la guitarra a lo español » ne contient que les accords frappés, ou rasgueados, avec leurs valeurs respectives et les paroles en dessous, mais sans la mélodie.


Gerrit van Honthorst, « Femme jouant de la guitare », Utrecht 1624.

Francesco Corbetta et ses disciples du XVIIe siècle N. B. – Aujourd’hui, nous continuerons notre voyage qui, de l’Italie, nous mènera en France via Francesco Corbetta. E. P. – Francesco Corbetta est né à Pavie vers 1620. Il était au service du duc de Mantoue qui le recommanda à Lully qui le présenta à son tour à Louis XIV. Il resta plusieurs années à Paris et à Versailles. À la demande de Charles II d’Angleterre dont l’épouse était portugaise, il fut nommé professeur auprès de la reine et musicien de la cour. Son succès personnel fut tel qu’il mit la guitare à la mode à la cour et resta au service de Charles II à Londres. Il revint ensuite en France où il mourut en 1681. Il a doté la guitare d’un répertoire considérable et formé une pléthore de disciples, notamment en France. N. B. – Quels étaient ses plus éminents disciples ? E. P. – Le plus important est Robert de Visée, qui succéda à Corbetta au poste de guitariste à la cour de Louis XIV. Son œuvre de compositeur « Livre de guitare dédié au Roi » est, d’une part un complément à l’œuvre de Corbetta, et d’autre part un reflet de la spiritualité artistique de Lully, considérée comme l’initiatrice du lyrisme national et qui sera développée plus tard par Rameau, Couperin, Fauré, Debussy, Ravel. N. B. – Il est curieux de voir qu’à cette même époque, alors que le luth est tellement apprécié en Europe, la guitare a pu avoir un tel succès. À quoi pourrait-il être attribué ?

“À cette époque, la guitare est plus intime, plus maniable que le luth et davantage enracinée au sein du peuple.” E. P. – Corbetta et Visée en France ont suscité autant de ferveur que Espinel et Amat auparavant en Espagne et en Italie. La guitare est plus intime, plus maniable que le luth et davantage enracinée au sein du peuple. N. B. – Et après Francesco Corbetta, qui se démarque en Italie ? E. P. – Son disciple Grana principalement, qui, avec Foscarini et le comte de Roncalli, enrichissent le répertoire de la guitare de manière considérable. N. B. – Et l’Espagne, Maestro ? E. P. – Non seulement l’Espagne mais aussi le Portugal, comme le prouvent les chroniques portugaises décrivant la passion pour la guitare à l’époque du roi Don Sebastián, les mérites du vihueliste Rodrigues de Cubilhao, et les manuscrits qui existent à l’Université de Coimbra de la musique chiffrée pour guitare composée par des auteurs portugais du xviie siècle. En Espagne, la figure la plus importante de cette période historique de la guitare est l’Aragonais Gaspar Sanz, né à Calanda, vers 1640. Ndlr – L’œuvre de Gaspar Sanz influencera le compositeur espagnol Joaquín Rodrigo, notamment pour sa Fantaisie pour un gentilhomme, écrite à la demande du guitariste Andrés Segovia.


Italie, circa 1800. Six cordes simples.

JeanNicolas Grobert. Paris, circa 1830. Guitare ayant appartenu à Niccolo Paganini et à Hector Berlioz.

Johann Stauffer, le grand luthier autrichien. Vienne, 1830.

La guitare au XVIIIe siècle N. B. – Au xviiie siècle, lorsque les grands génies de la musique, Bach et Händel, puis Haydn, Mozart et Beethoven, apparaissent, la guitare est reléguée à un usage presque exclusivement populaire. À quoi attribuez-vous ce manque d’intérêt ? E. P. – L’apogée de la guitare au xviie siècle est dû à Francesco Corbetta, puis à Robert de Visée en France et à Gaspar Sanz en Espagne. Plus tard, la guitare artistique entre dans une période de léthargie en Europe mais c’est au sein du peuple que la guitare a toujours trouvé refuge et protection. N. B. – À la fin du xviiie siècle, on retrouve la guitare à six chœurs, le même nombre que sur la vihuela. À qui devons-nous cette innovation ? E. P. – Ce qui est curieux c’est qu’on l’ignore, comme on ignore également qui a supprimé les cordes doubles, c’est-à-dire les chœurs utilisés par les vihuelistes. Une innovation qui a perduré jusqu’à aujourd’hui pour différentes raisons : la difficulté à trouver deux cordes également justes, la facilité de jeu avec des cordes simples et ses plus grandes possibilités expressives. L’école italienne N. B. – Qui sont les principaux architectes de l’école italienne ? E. P. – Fernando Carulli, né à Naples en 1770, s’installe à Paris en 1797, où il se consacre à la composition et à l’enseignement. Sa production abondante reflète un musicien habile et prolifique. Ses disciples les plus éminents étaient : Filippo Gragnani et le célèbre organiste Alexandre Guilmant. Matteo Carcassi, né à Florence en 1792, s’installe également très jeune à Paris et jouit d’une grande estime dans cette capitale. Sa méthode pour la guitare publiée par la maison Schott à Mayence contient vingt-cinq études, dont certaines sont encore populaires aujourd’hui. Mauro Giuliani, né à Bologne en 1780, est sans aucun doute le plus important des trois. Fin 1807, il s’installe à Vienne, où il se consacre à l’enseignement. Il crée un nouveau type d’instrument, la « guitare Terz », plus petite que l’actuelle, accordée une tierce majeure au-dessus, pour laquelle il compose plusieurs œuvres accompagnées d’un


Étonnant cheviller en forme de nœud. France, circa 1800.


“Après Sor, la guitare retombe dans une nouvelle léthargie, comme si l’art de cet instrument avait dit son dernier mot.” gorien, le violon, le violoncelle et la composition. Il ne s’est mis à la guitare que plus tard. En 1813, nous trouvons Sor à Paris, où il est devenu célèbre et s’est lié d’amitié avec Cherubini, Mehul et Pleyel. Et c’est justement cet environnement qui le pousse L’école Espagnole e vers l’opéra, le ballet et la panau XIX  siècle e tomime où il obtiendra ses plus N. B. – Au xix  siècle, la guitare est grands succès. relancée et envahit les réunions et Il écrit des sonates, des thèmes théâtres de la société espagnole. avec variations, des études, E. P. – Une des caractéristiques des fantaisies et des divertisdes guitaristes de cette époque, sements pour guitare seule et est que presque tous, français, espour deux guitares. Sa nature pagnols ou italiens, ont composé de musicien et d’artiste lui a et publié leur méthode pour la guipermis de créer une œuvre pertare. Peut-être parce qu’il est plus sonnelle qui élève l’instrument facile d’enseigner ce que l’on sait à son plus haut niveau. que d’apprendre ce que les autres Après Sor, la guitare retombe savent… De toutes ces méthodes, le travail Guitare de René Lacote, 1835. dans une nouvelle léthargie didactique qui a résumé et cana- Étiquette signée par Sor, ayant comme si l’art de cet instrument avait dit son dernier mot. lisé la technique de la guitare du appartenu à Julian Bream. e Des réminiscences demeurent. xix  siècle, dont une partie prévaut En France : Napoléon Coste, disciple de Sor encore, est celui de Dionisio Aguado. et excellent harmoniste ; en Italie, Regondi ; en Aguado, né à Madrid en 1784, publia sa méthode Belgique, Molino ; en Autriche, Mertz ; en Angleen 1825 sous le titre « École de la guitare », méterre, Pelzer et en Espagne, le célèbre Julián thode qui aborde tous les problèmes techniques Arcas, qui avec ses qualités de virtuose et de de son temps. Beaucoup de guitaristes qui lui ont compositeur de thèmes populaires espagnols, succédé ont été formés par ses enseignements, entretient les braises qui allumeront la nouvelle et même aujourd’hui, alors que la technique a flamme de la guitare. beaucoup évolué, son contenu est extrêmement N. B. – Vous étiez disciple de Tárrega et, pousutile pour l’étude de l’instrument. sé par votre admiration et votre gratitude envers N. B. – Mais la grande figure de cette période hisvotre professeur, vous avez publié une biographie torique est Fernando Sor. de cette grande figure guitariste du xixe siècle. E. P. – Naturellement. Fernando Sor est né à Barcelone le 13 février 1778. À l’âge de 7 ans, il E. P. – Tárrega apparaît après la léthargie qui suit entre dans la célèbre Escolania de Montserrat où la mort de Fernando Sor. Mais les circonstances il étudie pendant neuf ans l’orgue, le chant grédans lesquelles Tárrega est né et s’est développé quatuor ou d’un orchestre. Dans le même temps, d’autres noms importants ont émergé avec la guitare, tels que Gragnani, Diabelli, Legnani et même Paganini.


Guitare à sept cordes de Napoléon Coste faite par René Lacote. Paris, 1850.

n’étaient pas vraiment les plus propices pour le destiner à la place élevée qu’il occupe dans l’histoire de la guitare. Tárrega est né à Villarreal de los Infantes le 21 novembre 1852 dans une famille modeste. Très jeune, son père l’initie à la guitare et en 1860, il commence ses études de solfège et de piano. Plus tard, il étudie le piano, l’harmonie, le contrepoint et la composition au conservatoire de Madrid. Ses professeurs lui conseillent de se consacrer à la guitare et Tárrega, satisfait par son jeu de plus en plus raffiné, laisse la guitare envahir ses heures de travail jusqu’à l’arrêt de ses études de piano. Dès lors, et vivant dans le meilleur environnement musical d’Espagne, le piano devient uniquement un instrument de contrôle, d’aide à la bonne réalisation de ses adaptations classiques et romantiques pour la guitare. D’où la nouvelle technique, la nouvelle esthétique et les découvertes sonores qui ont déterminé les

fondements de son école. La technique de Tárrega était d’un réalisme aussi objectif et véridique que celui de Velázquez sur ses toiles. Chaque note devait avoir le volume, l’intensité et l’intention que leur interprétation exigeait. Entre l’intention et le toucher, entre chaque geste et son intensité, dictés par la volonté, il devait y avoir un accord parfait. Pas la moindre irrégularité n’était tolérée. C’est pourquoi il a toujours travaillé, non seulement pour le plaisir de jouer, mais aussi pour l’amour de la vérité que son art exigeait. La difficulté de la guitare, disait-il, commence quand on veut bien en jouer. L’école de Tárrega n’est pas une question de système ou de forme, mais de fond. Son premier commandement est : bien jouer ; au début peu mais bien ; puis beaucoup et toujours bien. N. B. – Je pense que l’une des préoccupations techniques de Tárrega était la délicate question de l’ongle, comme c’était déjà le cas pour Fuenllana au xvie siècle et aussi plus tard pour Sor.


Assis : Enrique García, Miguel Llobet et Emilio Pujol.

E. P. – C’est vrai. Dans ses expériences avec les instruments à archet, Tárrega avait réalisé à quel point le son noble, large et humainement expressif de la corde frottée par l’archet éclipsait le son dur, court et parfois blessant de la corde pincée avec le plectre ou avec l’ongle. «  La voix de la guitare doit être quelque chose entre l’humain et le divin » disait-il. Sor aussi déclarait qu’il ne pouvait pas supporter la guitare jouée avec l’ongle. Mécontent alors de la dureté de l’attaque de la corde, il s’efforça de trouver un son pur en limant le bord saillant de l’ongle avec lequel il attaquait la corde, jusqu’à le supprimer complètement. Et il ne s’est arrêté qu’après avoir obtenu une certaine consistance de la pulpe des doigts, ce qui donnait à la corde un son sans dureté, robuste et chaleureux, avec un maximum d’intensité et de richesse. Cela l’obligea à rechercher une nouvelle position de la main droite, caractéristique de l’école de Tárrega. N. B. – Mais on ne peut pas terminer sans parler d’un autre grand guitariste… E. P. – Naturellement, de Miguel Llobet, né à Barcelone en 1878. Aussi doué pour la peinture que pour la musique, il ne l’a choisie qu’après avoir entendu Tárrega. Avec le grand maître comme guide, il a commencé avec succès sa carrière en donnant des concerts à Valence, Malaga

et Séville, culminant avec d’autres au Théâtre de la Comédie de Madrid et au Palais Royal, qui ont consacré sa renommée de grand artiste. N. B. – L’important chez Miguel Llobet est qu’étant installé à Paris et proche de Ricardo Viñes, Claude Debussy, Maurice Ravel et Manuel de Falla, ses qualités d’excellent musicien ont dépassé celles du peintre. Dans les harmonisations des chansons catalanes pour guitare qu’il a alors écrites, il a ouvert la voie à la conception moderne de l’instrument. E. P. – Oui, “ El Mestre ”, “ La Pastoreta ”, “ Canço del lladre ” et d’autres sont de véritables joyaux du répertoire actuel de la guitare. N. B. – Aujourd’hui, nous arrivons à la fin de notre histoire de la guitare dans laquelle Emilio Pujol a été notre guide. Avant de nous séparer, j’aimerais vous demander, Maestro, une prédiction sur l’avenir de ce merveilleux instrument. E. P. – Nous ne pouvons pas risquer les prophéties. L’instrument n’est qu’une voix qui transmet ce que l’âme du musicien lui impose. L’évolution mentale de l’artiste est la seule qui peut déterminer sa future esthétique. La guitare est d’une telle générosité qu’elle s’adapte facilement à n’importe quel genre, forme ou style musicaux. Elle exige une seule condition : chaleur et grandeur d’âme.


Portrait de Tårrega par Catherine Keun. À gauche, sa guitare Antonio de Torres de 1864.


La famille des cordophones

à cordes pincées et leur évolution selon les régions ASIE Luth à manche long « tamburi ». Inde, xviie siècle.

AFRIQUE Harpe-luth « kora ». Afrique, xixe siècle.


“Si on veut connaître un peuple, il faut écouter sa musique” Platon

AMÉRIQUE Gibson double manche EDS-1275. Kalamazoo, 1960.

MOYEN ORIENT Luth « guinbri ». Afrique du nord, xxe siècle.

EUROPE Luth. France, xxe siècle.


Afrique, la parole et la corde On pense rarement à l’Afrique comme étant le continent des instruments à cordes et on réduit souvent ses patrimoines musicaux aux emblématiques ensembles de tambourinaires. L’Afrique, berceau de l’humanité, est pourtant riche de nombreux instruments à cordes qui accompagnent les paroles chantées des poètes, les cantiques des religieux, les incantations des thérapeutes ou les récits des historiens traditionnels.

Luthiste, fresque égyptienne, circa 1400 avant J.-C.

Qu’il s’agisse des arcs musicaux, des harpes, des vièles, des lyres ou autres cithares, toutes les sous-catégories instrumentales y sont représentées, voire dépassées avec des croisements qui sont propres au continent comme les « pluriarc », « harpe-luth » ou « harpe-cithare » pour ne citer qu’eux. Nous limiterons notre présentation à quelques instruments à cordes pincées, laissant volontairement de côté tout un pan des patrimoines musicaux africains, ceux des cordophones à cordes frappées ou frottées. La question de l’origine Les toutes premières sources iconographiques attestant de la présence d’instruments à corde en Afrique sont des peintures rupestres du massif de l’Ennedi au nord-est du Tchad qui datent du quatrième millénaire avant notre ère, mais aussi des peintures murales égyptiennes du Nouvel Empire où l’on observe clairement une procession de musiciennes jouant de la harpe, du luth et de la lyre. Survolons maintenant le continent africain à travers les cordophones les plus emblématiques avec l’idée d’esquisser en quelques exemples, la riche diversité et la représentativité de cette entité organologique sur le continent. La harpe-luth kora de Sénégambie La kora est sans doute l’instrument à cordes africain le plus connu en Europe. Historiquement jouée par les musiciens et griots des grands chefs de l’empire Mandingue, qui s’en accompagnaient pour conter les récits historiques de la noblesse, les généalogies familiales ou encore faire les louanges d’ancêtres héroïques, la kora combine les caractéristiques de la harpe – les cordes sont sur un plan perpendiculaire à la caisse de résonance –, et du luth avec l’emploi d’un chevalet. L’instrument est construit à partir d’une calebasse recouverte d’une peau qui sert de résonateur. Les vingt et une cordes de l’instrument sont fixées sur un manche en bois


Luth « konting » (similaire au « ganbare » du Mali). Sénégal, xixe siècle.

Harpe-luth « kora ». Afrique, xixe siècle et harpe-cithare « mvêt », Gabon, xxe siècle.

à l’aide d’anneaux de serrage ou bien de chevilles qui permettent d’accorder l’instrument. Le luth ganbare du Mali Chez les Soninkés, le ganbare est traditionnellement joué par les griots lors des fêtes de funérailles ou tout simplement lors de réjouissances. C’est un luth à trois ou quatre cordes généralement confectionnées par le musicien lui-même. La caisse de résonance est taillée dans une seule pièce de bois en forme de cuvette sur laquelle est tendue une peau faisant office de table d’harmonie. Le manche, en bois lui aussi, traverse la caisse de part en part mais s’arrête au niveau d’un orifice percé sur la table d’harmonie où il sera fixé à un cordier. Cette spécificité lui vaut le nom de luth à pique intérieure. La harpe-cithare mvêt du Gabon Les cordes du mvêt sont perpendiculaires aux caisses de résonance en calebasse et sont soulevées par un chevalet. Dans les modèles les plus anciens, les cordes sont des lanières en raphia ou en bambou. Elles sont attachées par des anneaux de serrage en matière végétale qui permettent l’accord de l’instrument. Le récit du conteur est entrecoupé de parties improvisées où l’on intègre les problèmes de la société contemporaine comme l’adultère, la


Joueur de kora. Mali, 1973.



corruption politique, ou les pannes récurrentes des nouveaux outils technologiques. Le pluriarc lokombe du bassin Congo Un pluriarc est un instrument constitué de plusieurs arcs, fixés sur une caisse de résonance, sur lesquels on va attacher des cordes avec des anneaux de serrage. Le musicien-conteur joue de l’instrument pour le divertissement, lors de l’intronisation d’un chef coutumier, des chants de guerre ou encore lors d’un rituel de guérison. La lyre bagana d’Éthiopie La lyre en Afrique orientale est à l’image de la harpe-luth de l’Afrique occidentale, l’instrument emblématique des chanteurs-poètes. On la retrouve du nord de l’Éthiopie jusqu’au sud du Kenya. La lyre bagana d’Éthiopie est certainement l’instrument le plus sacré des cultures Amhara et les répertoires qui lui sont associés sont constitués de chants religieux joués dans des contextes intimistes ou ont pour vocation de créer un lien avec le monde invisible. Les harpes d’Afrique centrale Dès le début du xxe siècle, les harpes d’Afrique centrale ont attiré la curiosité des Européens et ont suscité un fort intérêt tant du point de vue scientifique, qu’artistique et commercial. Un élément incontestable de la popularité des harpes africaines en Europe relève de leur esthétique, qu’il s’agisse de leurs manches finement sculptés, des caisses de résonance aux éléments figuratifs ou tout simplement de leurs qualités acoustiques. Les harpes ngombi Fang du Gabon Au Gabon, le ngombi est une harpe arquée à

Lyre « bagana ». Éthiopie, xxe siècle.


À gauche : pluriarc « nsambi ». Afrique Centrale, xxe siècle. Ici, harpe « ngombi ». Gabon, xxe siècle.


Le luthier Jean-Luther Misoko Nzalayala, alias « Socklo » fabrique et répare des guitares depuis 1978 à Kinshasa. huit cordes, accordées selon un système hexatonique. Le manche est noué à la caisse de résonance par des ligatures en fibre végétale ou en fil de fer. La caisse de résonance est prolongée par une protubérance souvent sculptée. L’instrument est aujourd’hui utilisé dans le cadre rituel, lors de cérémonies d’initiation des hommes ou de guérison des femmes, mais également dans le cadre profane pour accompagner les expressions musicales contemporaines. Les harpes ngombi Ngbaka de la RD du Congo Les harpes ngombi se distinguent de leurs homonymes gabonais par la forme anthropomorphe de leurs caisses de résonance et le nombre de cordes, accordées selon une échelle pentatonique. Les harpes kundi Zandé de la RD du Congo La harpe kundi était l’instrument emblématique des musiques de cour des populations Zandé de la RD du Congo. Les visages sculptés au sommet du manche sont caractéristiques de cette époque. La pratique de l’instrument s’est ensuite popula-

risée au début du xxe siècle. L’instrument compte cinq cordes accordées selon une échelle pentatonique. Les harpes peuvent être jouées en duo par des chanteurs-poètes, accompagnant des narrations tantôt historiques, lyriques ou satiriques, ou accompagner les xylophones manza. La guitare Socklo de Kinshasa Depuis le début du xxe siècle, la guitare est le cordophone le plus récurrent dans les expressions musicales populaires d’Afrique et particulièrement dans la RD du Congo, berceau de la rumba. Nous finirons ce rapide parcours des instruments à cordes pincées en Afrique par les guitares du luthier Jean-Luther Misoko Nzalayala, dit Socklo. Elles sont construites dans son atelier à Kinshasa en utilisant de nombreux matériaux de récupération tels que des plaques de contreplaqué pour les caisses de résonance, des morceaux de métal pour les frettes et des câbles de freins ou du bobinage électrique de voiture pour les cordes. Rémy Jadinon


Les instruments africains ne se limitent pas à l’expression musicale : ils peuvent avoir aussi une signification rituelle ou religieuse. Harpe « kundi ». Afrique Centrale, xixe siècle.

Harpe arquée anthropomorphe. Afrique Centrale xixe siècle.

Détail d’une harpe « kundi ».


Amérique, de la guitare baroque L’histoire des cordophones à cordes pincées en Amérique commence par l’arrivée des colons espagnols. Si la musique est une manifestation inhérente à l’être humain, présente dans toutes les cultures, nous trouvons peu de traces de cordophones dans les civilisations précolombiennes. Les instruments à cordes vont se développer grâce à différentes sources européennes et africaines. Amérique latine En dehors de la harpe, on trouve surtout une grande diversité d’instruments dérivés de la guitare, importée au xvie siècle durant les conquêtes espagnole et portugaise. Voici une sélection de quelques instruments représentatifs de ce continent.

deux instruments sont des adaptations de la braguinha portugaise, introduite par des immigrants de l’île de Madère. Le cavaquinho est monté avec quatre cordes métalliques. Très populaire au Brésil et au Cap-Vert, il accompagne de nombreuses musiques traditionnelles (samba, choro, morna, etc.). Musiciens de rue. Le ukulélé hawaïen traditionnel est Charango Mexique, circa 1900-1910. entièrement fabriqué en bois de Le charango est un petit luth prokoa et, à la différence du cavaquinbablement inspiré des guitares baho, il est équipé de quatre cordes en nylon. roques. Il serait originaire de la ville bolivienne de Potosí ou de la ville péruvienne de Ayacucho au Tres xviiie siècle. Il est présent aujourd’hui en BoIl s’agit d’une petite guitare rudimentaire, falivie, dans le sud du Pérou et dans le nord briquée à partir du xviie siècle à Cuba, monde l’Argentine, joué par les hommes lors de festivités ou de rites agraires. Le chatée avec trois chœurs de cordes (tres signifie rango est un instrument à cordes pincées trois en espagnol). Il s’est répandu ensuite à avec cinq cordes doubles (accordage Porto Rico, à la République dominicaine et pentatonique). La caisse est traditionnelau Mexique avec la musique latino-amélement confectionnée avec la cararicaine. Les tres sont aujourd’hui montés pace d’un tatou mais peut aussi avec des cordes en métal et font parêtre en bois de cèdre ou de noyer. tie de presque tous les orchestres typiques des Caraïbes. Cavaquinho  Le cavaquinho, populaire au Cuatro Brésil, par­­ tage ses origines Il est utilisé dans toute l’Améavec le ukulélé hawaïen. Les rique latine, mais son rôle

Cavaquinho. Brésil, xxe siècle.

Guitare « requinto ». Colombie, xxe siècle.


à l’électrique Dans la construction monoxyle, l’instrument est taillé dans une seule pièce de bois. est particulièrement important dans les groupes musicaux des pays du nord de l’Amérique latine et des Caraïbes où il participe au folklore, permettant d’accompagner les danses et les chants populaires. Le cuatro (qui signifie quatre en espagnol) est une petite guitare à quatre cordes doubles, taillée dans une seule pièce de bois (fabrication monoxyle). Il existe aujourd’hui des cuatros à cinq chœurs. Requinto Le requinto appartient à une vaste famille d’instruments à cordes pincées, largement répandue en Amérique du Sud. S’apparentant à la guitare renaissance et à la vihuela espagnole, il se présente sous des formes et des tailles différentes selon les régions et les univers culturels. Le requinto a six cordes en nylon au Mexique et en Argentine, alors qu’il a douze cordes métalliques regroupées en chœurs doubles au Pérou, et des chœurs triples au Venezuela et en Colombie. Harpe Elle provient de la harpe baroque espagnole, introduite en Amérique du Sud pour être jouée dans les églises avant qu’elle ne le soit dans les milieux populaires. La harpe a évolué de manières différentes selon les régions, aussi bien dans le nombre de cordes que dans sa fabrication et dans les essences de bois utilisées. Elle est très présente dans la musique du Paraguay, du Venezuela, de la Colombie et du Mexique.

En haut : luth « charango » avec carapace de tatou. En bas : harpe diatonique « arpa llanera ». Venezuela, xxe siècle.


orchestres de dixieland et de jazz Amérique du Nord jusqu’aux années 20 et il sera proAux États-Unis, les techniques de fagressivement remplacé par les guibrication des cordophones ont deux tares « archtop ». origines : celle des colons espagnols d’abord et celle des luthiers émigrés Résonateur « dobro » des autres pays d’Europe ensuite. Il s’agit d’une guitare à résonateur Seul le banjo a une origine africaine. conçue dans les années 20, un Comme le faible volume sonore de système visant à amplifier l’instrula guitare l’empêchait de faire partie ment sans faire appel à l’électricité. des formations musicales, elle a été L’idée reprend le principe du hautéclipsée par les mandolines et les parleur : un cône en aluminium fait banjos jusqu’aux années 30. office de résonateur dans le corps Motivés par l’arrivée de la radio et Bluesmen américains. de la guitare, qui fonctionne alors des enregistrements sonores, les luLafayette, Louisiane. comme le caisson d’une enceinte. thiers de guitares ont alors cherché Le son très particulier de la guià faire jeu égal en volume avec les tare à résonateur reste associé aux orchestres autres instruments. Les guitares ont changé de de bluegrass, aux bluesmen et aux musiciens forme, augmenté de taille et ont été équipées de hawaïens. Son inventeur John Dopyera et son microphones. frère créent la marque Dobro (contraction de Dopyera Brothers) devenu le mot générique Mandoline pour désigner toute guitare à résonateur. C’est un petit luth originaire d’Italie, probablement une évolution de la mandora, importé par Guitare « acoustique » (flat top) les immigrants italiens de la fin du xixe siècle. La guitare acoustique est l’un des instruments La mandoline est rapidement adoptée par cerles plus populaires des États-Unis. Alors qu’Antains orchestres et enseignée dans les écoles tonio de Torres donnait à la guitare les caractéet universités, surtout au sud des États-Unis, ristiques de la guitare classique moderne, des comme la guitare ou le banjo. milliers d’Allemands émigraient aux États-Unis, Des orchestres de douze mandolines ou plus dont le luthier Christian Frederick Martin. C’est deviennent très populaires. En 1905, Gibson lui qui va mettre au point la guitare « flat top » va révolutionner l’instrument avec ses modèles au début du xxe siècle. Partant de la guitare « A » et « F », radicalement différents de la mandoline italienne. romantique européenne, il remplace les cordes en boyau par des cordes en acier et renforce Banjo son barrage. La table d’harmonie est restée Le banjo est un cordophone d’origine africaine, plate mais le gabarit général s’est diversifié popularisé aux États-Unis par les esclaves au (parlor, orchestra, dreadnought, jumbo) laissant e presque toujours place à un manche avec quaxix  siècle. À l’origine, c’est un cadre circulaire torze frettes hors caisse. sur lequel est tendue une membrane. Quatre cordes en métal passent sur un chevalet flottant Guitare « jazz » (archtop) et sont accrochées à un cordier. Son accordage, Créées par Orville Gibson, ces guitares se caest en général en « open tuning », donnant un ractérisent par la table bombée, les ouïes en accord parfait de sol majeur. F et le chevalet flottant, à l’image des violons. Avec le temps, il reçoit des frettes, une cinElles ont été adoptées par les musiciens de jazz quième corde (plus courte), des mécaniques et et électrifiées à partir des années 30. parfois un résonateur. Le banjo fera partie des


Mandoline Gibson F5. Kalamazoo, 1929.


C. F. Martin, 1860.

National Duolian, 1932.

Gretsch White Falcon, 1958.


C. F. Martin OM-28, 1930.

Gibson SJ-200, 1951.

Fender Telecaster, 1952.


Gibson Les Paul Custom « Black Beauty ». Kalamazoo, 1959.

Banjo, Hercules McCord. USA, circa 1884.

Guitare électrique Les différents projets pour électrifier les guitares, commencés en 1932 par Adolph Rickenbacker, aboutissent dans les années 50 et 60 avec la création des guitares «  solid body  » (sans caisse de résonance), comme les modèles Telecaster et Stratocaster de Leo Fender, et Les Paul de Gibson. Ces trois modèles restent encore aujourd’hui les grandes références des guitares électriques. Le plus grand volume obtenu avec les amplificateurs et la variété d’effets générés par des « pédales », favoriseront la naissance de quantité de groupes, de nouveaux styles musicaux (rock, pop, funk, reggae, métal…) et donneront à la guitare une popularité sans précédent.



Asie, continent de la diversité L’Asie qui abrite plus de la

moitié de la population mondiale a vu se développer plusieurs grandes civilisations sur son immense territoire. Malgré les distances, les déserts et les chaînes de montagnes presque infranchissables, des influences réciproques ont eu lieu au long des millénaires.

Cithare longue « Qin ». Chine, xixe siècle. Cithare longue « Koto », détail. Japon, xvie siècle. Les instruments de musique ont voyagé et se sont adaptés pour répondre aux exigences esthétiques et à des modes de vie aussi divers que ceux des nomades, des paysans ou des cours impériales. Le commerce, les migrations, la propagation des religions, les guerres, l’organisation politique ont tous contribué à ces phénomènes. Nous pensons souvent au Proche-Orient comme au berceau des instruments à cordes grâce à la richesse des témoignages antiques concernant les luths, les harpes et les lyres. Une autre grande famille d’instruments à cordes s’est cependant développée à l’autre extrémité de l’Asie :

les cithares longues représentées par le koto du Japon, le zheng et le qin de Chine. Les cithares Les cithares n’ont pas de manche, les cordes sont tendues sur toute la longueur du corps de l’instrument. Le koto et le zheng comportent autant de chevalets mobiles que de cordes, chacune produisant une seule note. Le qin par contre, instrument emblématique des lettrés chinois, n’a ni chevalets ni frettes : treize points de nacre correspondant aux nœuds harmoniques servent de repères pour le jeu. Les cordes, traditionnellement en soie, actuellement souvent en matières synthétiques, sont jouées tant à vide qu’en pressant le doigt sur la table, ou sont effleurées pour produire divers harmoniques. Une infinité d’ornements et de nuances de timbre sont essentiels dans la musique de qin et sont notés dans des tablatures très précises. Les cithares d’ExtrêmeOrient, présentes dans les pays influencés par la civilisation chinoise, n’ont pas été adoptées audelà des déserts d’Asie centrale. La harpe La harpe par contre, qui repose aussi sur le principe d’une note par corde, a voyagé d’ouest en est en contournant l’Himalaya et le plateau tibétain tant par le nord que par le sud. On en a de


Harpe arquée « saung-gauk ». Birmanie, xixe siècle.


Harpe « waji ». Nuristan, xxe siècle.

rares témoignages archéologiques et surtout des représentations picturales dans les grottes bouddhiques des Routes de la Soie sans oublier les harpes précieusement conservées à Nara, capitale du Japon au viiie siècle. La migration de la harpe par le sud est magnifiquement représentée par le saung-gauk, souvent très orné, instrument emblématique de la musique birmane si particulière. Le saung-gauk est une harpe arquée dont l’accord se fait par un système de liens comme on en voit dès l’antiquité et non par des chevilles. Les premières représentations de harpes en Birmanie datent du viie siècle dans un cadre bouddhique. D’autres modèles de harpes sont encore disséminés en Asie du Sud comme le bin baja au centre de l’Inde ou la harpe des Karens de Birmanie et de Thaïlande. Elles témoignent de la présence ancienne de la harpe sur un territoire très étendu. Le waji par exemple, instrument propre à la province montagneuse du Nuristan à l’est de l’Afghanistan, est utilisé pour accompagner chants et récits. Il est formé d’une caisse de bois recouverte d’une peau tendue par des liens. Une pièce de bois recourbée, à laquelle sont attachées quelques cordes, est fixée à cette caisse et traverse la table d’harmonie. L’origine étrangère de la harpe, du luth, et plus tard des vièles, empêchera toujours ces instruments d’entrer dans les ensembles des rituels

d’État en Chine, bien qu’ils soient présents dans divers orchestres profanes au service de la cour. Le luth Le luth s’est répandu dans tout l’Ancien Monde. Il atteint l’Extrême-Orient par les routes d’Asie Centrale et se retrouve en Chine dès le début du premier millénaire. Si les grottes bouddhiques d’Asie centrale témoignent d’une grande diversité de modèles de luths, le pipa piriforme a pris un grand essor et est actuellement encore un des principaux instruments de la musique chinoise. Il a connu au siècle dernier des modifications qui en


À gauche : Luth « pipa ». Chine, xviie siècle. Luth « shamisen ». Japon, xixe siècle.

Luth à manche long « krajappi ». Thaïlande, avant 1913.

ont fait un instrument virtuose tout en restant un instrument important des répertoires traditionnels. De Chine, l’instrument est passé en Corée et au Japon. La table d’harmonie du biwa japonais est protégée par une pièce de peau contre les chocs donnés par le plectre. Sa forme est proche des anciens pipas et il a gardé les ouïes en croissants de lune qu’on trouve dans des peintures qui ont plus de mille ans. Plusieurs modèles de biwa correspondent à différents types de musique et permettent d’obtenir les sonorités typiques des différents styles. Le pipa vu de face fait penser à l’oud et au luth


Luth « tar ». Iran, 1950. Luth « kacapi ». Indonésie, xxe siècle. Luth à manche long « sarasvati vina ». Inde, xxe siècle.


Luth à manche long « tamburi ». Inde, xviie siècle. Luth « biwa ». Japon, xixe siècle. Luth « rabab ». Afghanistan, xixe siècle.


Ravi Shankar avec son luth « sitar ».

Cithare sur bâton « bin-sitar ». Inde, xviie siècle.

d’Europe mais sa structure est très différente : il s’agit d’un instrument monoxyle très peu profond, à la caisse lourde en bois épais dont la face interne est peu travaillée. L’instrument peut cependant être richement orné, avec le chevillier décoré d’une chauve-souris (de bon augure en Chine), des frettes en os et le cordier joliment sculpté. L’Asie connaît aussi une grande variété de luths à manche long aussi différents que le sanxian à trois cordes et à caisse rectangulaire en Chine, l’élégant et très grand krajappi à quatre cordes de Thaïlande ou les luths joués par divers peuples de Chine et d’Asie du Sud-Est. La caisse du sanxian (littéralement «  trois cordes ») chinois est formée d’un cadre de bois très épais recouvert des deux côtés par une peau de serpent. Cet instrument populaire est utilisé notamment pour accompagner des récits chantés. Il a très probablement atteint le Japon par Okinawa et est à l’origine du shamisen, construit sur un même schéma, avec un cadre formé de

quatre côtés collés entre eux. L’absence de reptiles de grande taille au Japon fera remplacer les peaux de serpent par des peaux de chat, de chien, ou parfois par du papier épais. Les régions himalayennes sont principalement de culture bouddhiste lamaïque. À côté des instruments de musique rituels, on y trouve des flûtes et un luth : le sgra-snyan. Il est formé d’une seule pièce de bois creusée, sa table d’harmonie est en peau et il comporte parfois une autre partie couverte de bois. Le chevillier est sculpté en forme de tête de cheval ou de monstre marin et le corps porte un décor sculpté dans la masse. Ce luth à cinq ou six cordes, sans frettes, est joué avec un plectre ; il accompagne les chants et les danses. Les instruments des îles L’Indonésie et les Philippines ont développé un instrumentarium partageant de nombreuses similitudes. Si on pense d’abord aux orchestres de gamelan et aux ensembles de métallophones


Luth « sgra-snyan ». Tibet, xxe siècle.

Cithare tubulaire « sasando ». Indonésie, xxe siècle.

pour ces deux pays, on y trouve aussi des instruments très originaux comme le sasando sur l’île de Timor, une cithare tubulaire historiquement apparentée à la valiha de Madagascar. Le sasando, formé d’une section de bambou sur laquelle les cordes sont tendues, est entouré d’un écran amplificateur et décoratif composé de feuilles de palmier assemblées. Ces pays ont aussi développé des luths à frettes connus sous l’expression « luths bateaux » en raison de leur forme. Parmi eux, le kacapi à deux cordes de forme effilée et le sapeh plus massif à trois cordes de métal. Le luth et la cithare de l’Inde Nous terminerons ce rapide survol de quelquesuns des instruments à cordes pincées de l’Asie par l’Inde avec un luth et une cithare. Le sitar (qui n’est pas une cithare), instrument phare de la musique classique de l’Inde du Nord est un luth à manche long avec des cordes mélodiques tendues au-dessus de frettes courbes et des cordes sympathiques tendues entre le manche et les

frettes. Cet instrument souvent richement décoré, porte parfois une gourde fixée sous le haut du manche, comme on le voit sur les portraits de Ravi Shankar. Le bin-sitar, lui, est une cithare sur bâton posée sur deux gourdes-résonateurs. Cet instrument dont le corps ressemble au manche d’un sitar peut, ou non, comporter des cordes sympathiques. Il était en usage dans la musique classique hindoustani mais semble plus rare actuellement. Parmi les instruments venus d’ailleurs et adoptés en Asie, on connaît bien le cas du violon intégré à la musique carnatique de l’Inde du Sud. Le cas de la guitare est moins connu. Elle a été adoptée au Vietnam et transformée en rehaussant les frettes pour permettre des ornements modifiant la hauteur des sons. Elle intègre alors des ensembles d’instruments à cordes où on la trouve à côté d’autres luths typiquement asiatiques. Claire Chantrenne


Europe, les instruments de la polyphonie De l’antiquité gréco-romaine à nos jours, du cistre à la balalaïka, du Portugal à la Turquie, traversée de l’Europe instrumentale. L’Antiquité Durant l’Antiquité gréco-romaine, les instruments à cordes pincées les plus fréquemment représentés sont la lyre, la cithare et la harpe. La lyre et la cithare se caractérisent par des cordes de longueurs à peu près identiques et un joug formé de deux bras et d’une barre transversale. Les cordes sont tendues entre la barre transversale et la table d’harmonie, en passant sur un chevalet qui transmet les vibrations à la table. En cela, la lyre et la cithare se différencient de la harpe, dont les cordes sont de longueurs décroissantes. Les représentations d’instruments à manche sont plus rares et leurs noms sont incertains. Le Moyen Âge Après la chute de l’Empire romain, la lyre tombe en désuétude en Europe occidentale. En revanche, la harpe et les instruments à manche se maintiennent et se développent. Parmi ces derniers, on rencontre Guiterne attribuée à Hans Ott. Nuremberg, 1450.

diverses formes. Une caractéristique commune de ces instruments réside dans le fait que leur chevillier présente des chevilles frontales. Les noms servant à désigner les instruments à cordes pincées au Moyen Âge font l’objet de débats musicologiques. Deux termes posent des problèmes particuliers : la « guiterne » et la « citole ». Aujourd’hui, on admet qu’à la fin du Moyen Âge, la guiterne est un instrument de forme arrondie. À l’opposé, la citole est un instrument dont la caisse de résonance adopte la forme d’une boîte, avec des coins plus ou moins marqués. Au xive siècle, certaines sources iconographiques présentent des exemples précoces de frettes. Les chevilles latérales, d’influence arabe, deviennent assez courantes. Il est probable que la plupart des instruments aient été construits de manière monoxyle, c’est-à-dire qu’ils aient été taillés dans une pièce de bois unique. Seule la table d’harmonie était rapportée. Ce type de facture est illustré À droite : Athanasius Kircher « Musurgia Universalis », 1650.



Cistre. Angleterre, xviiie siècle.

par la guiterne attribuée à Hans Ott. S’il est authentique, cet instrument est un des rares cordophones médiévaux parvenus jusqu’à nous. Le luth et ses développements Le luth, apparu en Europe au xive siècle, introduit une nouvelle manière de construire les instruments : par l’assemblage de nombreuses pièces de bois autour d’un moule. Cette technique, tout comme l’instrument lui-même, est d’origine arabe. Sur le luth, la caisse de résonance revêt la forme d’une coque construite par la juxtaposition des côtes de bois ployées au fer. La technique de l’assemblage permet de construire des instruments

Luth, France, xxe siècle.

plus légers, en dépit de leur taille parfois impressionnante. À partir du xvie siècle, elle se généralisera peu à peu à l’ensemble des instruments à cordes et à manche. Le luth, quant à lui, évolue au fil des décennies. Au xve siècle, il est généralement équipé de cordes de boyau regroupées en un nombre limité de chœurs. Ceux-ci se multiplient peu à peu, notamment grâce au progrès de la boyauderie. L’invention des cordes filées, au milieu du xviie siècle, permet d’accroître la tessiture vers le grave. À la fin de l’époque baroque, en Allemagne, le Le bouzouki grec (à gauche), comme le saz turc, ont des origines extra-européennes.


luth peut compter jusqu’à treize chœurs. Après cette époque, l’instrument tombe dans l’oubli. Les frettes du luth consistent toujours en des cordes de boyau nouées autour du manche. Néanmoins, il est possible qu’à la fin du Moyen Âge, certains luths n’en aient pas encore été pourvus, à l’image du luth arabe. Vers 1600, plusieurs instruments apparentés au luth sont inventés, en particulier dans le but d’exécuter la basse continue nouvellement théorisée. Ces instruments possèdent un double chevillier et des cordes graves qui ne peuvent pas être raccourcies sur la touche et sonnent donc à vide. Parfois, ils sont munis de cordes métalliques. Selon les sources, on les nomme théorbe, chitarrone ou archiluth. Ces instruments ne sont cependant pas standardisés, de sorte que la disposition des cordes et des chevilliers puisse largement varier. Le cistre Le nombre important de cordes sur le luth rend l’instrument difficile à accorder. En 1713, Johann Mattheson écrit que si un luthiste atteint l’âge de quatre-vingts ans, il en a certainement passé soixante à s’accorder (Das neu-eröffnete Orchestre, Hambourg, 1713). L’animosité de Mattheson à l’égard du luth explique sans doute cette boutade, mais le besoin d’instruments plus simples à accorder est réel. Au xviie siècle, le cistre répond en partie à cette exigence. Grâce à ses cordes métalliques, il tient mieux l’accord. Les frettes, également métalliques, sont incrustées dans le manche et l’instrument comporte souvent des demi-frettes qui permettent de jouer de manière diatonique dans le grave et de manière chromatique dans l’aigu. Une variante plus tardive du cistre est la guitare anglaise, un instrument très répandu en Angleterre entre 1750 et 1810 environ, également utilisé en France à la fin du xviiie siècle. Cet instrument revêt souvent la forme d’une poire. La guitare anglaise était surtout prisée par un public privilégié, souvent féminin, cherchant à jouer un répertoire simple. En haut : guitare portugaise. Porto, xixe siècle. À droite : archiluth attribué à l’atelier Magno Tieffenbrucker. Venise, 1640.


Un théorbe gigantesque. « Lady Mary Campbell » de James Macardell, mezzotinte (manière noire). Angleterre, 1762. « Le joueur de luth » tableau du Caravage (détail). Italie, 1596.



Pour faciliter son usage et son jeu, l’instrument fut équipé d’un système d’accordage à vis (parfois désigné sous le nom de « Preston tuners ») et d’un mécanisme à clavier durant les années 1770. La guitare portugaise serait un dérivé de la guitare anglaise et du cistre ; elle aurait hérité également des « Preston tuners » mais sous une forme modifiée. C’est l’instrument caractéristique du fado.

passer d’un instrument à l’autre avec une certaine aisance. Au xviiie siècle et au début du xixe siècle, la mandoline est équipée de différentes sortes de cordes. Dans le courant du xixe siècle, l’acier s’impose.

Guitares hybrides Au milieu du xviiie siècle, un nouveau type de guitare se développe : la lyreguitare. Cet instrument possède un manche équipé de six cordes comme la guitare classique, mais sa forme est La mandoline inspirée de la lyre antique. L’intérêt de e Toujours au xviii  siècle, un autre inscet instrument est plus visuel que muHarpe-luth. Edward sical : il permettait aux femmes des mitrument à cordes métalliques connut Light, Londres lieux privilégiés d’adopter des poses un essor remarquable. Il s’agit de la ca. 1810. « à la grecque ». Plusieurs d’entre elles mandoline, et plus particulièrement se firent représenter de cette manière. de la mandoline napolitaine. Le corps de l’instruAu xixe siècle, plusieurs autres types de guitares ment rappelle celui du luth, mais il est plus petit et plus profond. La table n’est pas plane, elle est voient le jour, dont les modèles varient, mais qui pliée à hauteur du chevalet. Le chevillier est plat sont toutes équipées de cordes supplémentaires e et au xviii  siècle, il est muni de chevilles placées que l’on fait vibrer à vide. En Angleterre, Edward e Light fait breveter en 1816 un instrument appelé à l’arrière. Au xix  siècle, les mécaniques se géné« British Harp-Lute ». La base de l’instrument est ralisent. La table est percée d’une ouïe circulaire. arrondie comme celle d’un luth. Les cordes méloL’instrument est toujours joué à l’aide d’un plectre, diques peuvent être raccourcies à l’aide de frettes. ce qui explique la présence d’une plaque de proLes autres cordes, plus longues, sont fixées à une tection sur la table. L’accord de la mandoline est console semblable à celle d’une harpe. le même que celui du violon, ce qui permet de

Lyre-guitare. France, e xix  siècle.

La lyreguitare était inspirée de la lyre grecque. France, xixe siècle.


Mandoline faite par Antonius Vinaccia. Naples, 1781.


Balalaïka. Russie, xxe siècle. En Autriche, au xixe siècle, un type de guitare à double manche voit le jour sous le nom de Kontragitarre. Le manche fretté permet de raccourcir les cordes comme sur une guitare classique, tandis que le manche non fretté supporte des cordes plus longues que l’on fait sonner à vide. Ce modèle instrumental est étroitement associé à un répertoire local, la Schrammelmusik. La balalaïka La balalaïka est un instrument à cordes pincées dont le corps est triangulaire. Il se distingue par son long manche équipé de trois cordes, qui peu­ vent être de boyau ou d’acier. La balalaïka provient de Russie et est à l’origine associée au monde paysan. Au xixe siècle, elle gagne ses lettres de noblesse. Une famille complète de différentes tailles voit le jour et fait son apparition en concert. La cithare Durant l’Antiquité, le terme cithare (kithara en grec) renvoie à un instrument semblable à la lyre, pourvu de deux bras et d’une barre transversale à laquelle sont fixées les cordes. Le même mot peut cependant aussi désigner un instrument

dépourvu de manche, très apprécié en Allemagne méridionale et en Autriche au xixe siècle et durant la première moitié du xxe siècle. Cette cithare se présente sous la forme d’un boîtier de forme variable, recouvert de cordes métalliques de longueurs inégales. Les premières cordes peuvent être raccourcies de la main gauche grâce à des frettes. Elles servent à jouer la mélodie à l’aide du pouce de la main droite, auquel est fixé un plectre. Les autres cordes servent à l’accompagnement. La guitare Selmer-Maccaferri En France, en 1932, la société Selmer et le luthier Mario Maccaferri inventent une guitare acoustique particulière qui deviendra l’instrument préféré de Django Reinhardt et l’instrument incontournable du « jazz manouche ». Cette guitare se caractérise par ses cordes en acier, un pan découpé à droite du manche pour faciliter l’accès aux notes aiguës et une ouïe qui adopte la forme d’un D (« grande bouche »), ou d’un ovale (« petite bouche »). Certaines sont équipées d’un résonateur. Anne-Emmanuelle Ceulemans

Deux exemples de cithares. Allemagne, xixe siècle.


Guitare de « jazz manouche » Selmer-Maccaferri. Paris, 1951.


Moyen-Orient, le “roi” oud Le croissant fertile est le berceau de nombreux instruments de musique, notamment à cordes pincées. Ceux-ci sont encore majoritaires au MoyenOrient. Le plus représentatif d’entre eux, le oud, est le « roi des instruments ». Avant d’examiner quelques instruments repré­ sentatifs du Moyen-Orient, intéressons-nous à leurs origines. L’Antiquité Après les arcs des chasseurs de la préhistoire, les plus anciens instruments connus sont les harpes et les lyres (fin du troisième millénaire avant notre ère). Mille ans plus tard, en Mésopotamie, l’ajout d’un manche donnera naissance aux luths. La harpe apparaît à Sumer. Harpe arquée, elle a la forme d’un angle ou d’un arc. Les cordes sont tendues en diagonale entre les deux côtés. Cinq cents ans plus tard, la présence de ces harpes s’étend vers l’Égypte, et plus tard vers la Grèce et l’Inde. En certains endroits, l’usage de harpes arquées a survécu jusqu’à aujourd’hui. La facture sumérienne progresse, donnant naissance à d’autres styles de har­ pes qui évolueront, en se diffusant géographiquement, vers les formes modernes de l’ins­tru­ ment connues au­jour­d’hui. C’est par exemple dans la civilisation cycladique, du troi­sième millénaire avant notre ère, qu’on trouve les plus anciennes traces de harpes « fermées » par un troisième côté, annonçant la facture actuelle. L’une des plus anciennes repré­ sentations d’instruments à cor­

des pincées est celle d’une lyre provenant de Megiddo (actuellement en Israël). Cette lyre est en forme de trapèze avec à la plus petite base, une table d’harmonie munie d’un chevalet. La lyre n’a pas de manche et ses cordes sont parallèles à la table d’harmonie. S’il s’agit généralement d’un petit instrument, il y avait cependant à Sumer de grandes lyres en bois richement ornées et recouvertes de matériaux précieux. Posées au sol, elles étaient parfois jouées par deux musiciens en même temps, alors que la plupart des lyres sont tenues dans les bras. Cette magnifique facture nous est parvenue à travers les instruments datant de – 2600, mis à jour dans le cimetière royal de Ur. Un autre modèle de lyre, plus léger et joué au plectre, va se répandre dans la région grâce à sa facilité de transport. En – 2000, un autre instrument apparaît en Mésopotamie : le luth, avec un manche qui permet de modifier la longueur de vibration des cordes et jouer plusieurs notes différentes sur une même corde (en organologie, la famille des luths englobe de nombreux instruments, pas seulement le luth européen de l’époque baroque). Le luth mésopotamien se répand en cinq cents ans à travers tout le Moyen-Orient, et donnera naissance à une multitude d’instruments. Le plus célèbre est le oud. Le oud, roi des luths Le oud est un luth à manche court. Son royaume s’étend dans tout le Moyen-Orient, et même au-delà. Au début du troisième siècle, il apparaît dans l’Empire perse comme variante de luth local. Il garde des différences techniques avec d’autres luths à

Harpiste. Cyclades, ca. 2800 avant J.-C.


Réalisation d’une copie de la harpe trouvée au cimetière royal de Ur, en Mésopotamie. Circa 2500 avant J.-C.



Luth « guinbri ». Afrique du Nord, xxe siècle.

ment, le nombre de cordes et même la manière dont ils sont accordés peuvent être très différents. Le oud n’est cependant pas le seul des très nombreux types de luths présents au Moyen-Orient.

Luth « oud ». Syrie, 1931. À gauche : planche du livre « Description de l’Égypte », Paris 1809. manche court de l’époque, comme le barbat, perse également, dont la table est faite de peau tendue, quand celle du oud est en bois. La diffusion de cet instrument fut peut-être favorisée par celle de la religion manichéenne apparue à cette époque en Perse. En effet, les prosélytes de cette religion s’accompagnaient d’un luth à manche court dont il n’est pas certain mais probable qu’il s’agisse du oud. C’est après l’invasion de l’Andalousie par les Maures en 711 que le oud est introduit en Europe. Il va s’y répandre pour devenir l’instrument connu sous le nom de luth. Les cordes de cet instrument sont réparties en quatre à six « chœurs », paires de cordes jouant la même note à l’octave ou à l’unisson. La touche est lisse, sans frettes. Il est joué au plectre, le plus souvent fait de plumes d’aigles encore de nos jours. La facture du oud n’est pas fixe et unifiée. Le oud s’étant largement propagé, il existe de nombreuses variations régionales. Le nombre de pièces utilisées dans sa construction, la taille de l’instru-

Les tanbûr, une famille nombreuse Les tanbûr sont des luths à long manche avec frettes. Comme le oud, le tanbûr est une évolution du luth mésopotamien. Les écrits du philosophe Al-Farabi, à la fin du premier millénaire, sont la plus ancienne référence connue à cet instrument. Dans le livre « Description de l’Égypte » (Paris, 1809), G. A. Villoteau distingue cinq variantes rien qu’au Caire. Le saz, le baglama, le buzuq ou le setar : autant de noms pour désigner soit des variations véritables de l’instrument soit des variations locales de dénomination. La caisse de résonance, traditionnellement en bois, parfois en métal de nos jours, est généralement en forme de poire. Tout comme celles du oud, les cordes des tanbûr sont organisées en chœurs. Les tanbûr ont de dix à vingt-quatre frettes. On pourrait penser qu’un instrument à frettes ne permet pas de jouer de musique microtonale, mais certains tanbûr ont des frettes mobiles, qui sont ajustées avant de jouer afin de correspondre à l’échelle qui va être utilisée.

Luth « tanbûr ». Moyen-Orient 1930.


Le guinbri, instrument mystique Un autre luth notable est le guinbri (ou guembri). Il possède entre une et trois cordes. Il n’a pas de tête, les chevilles sont fixées directement sur le manche, manche qui transperce partiellement la caisse de résonance. Si le guinbri est assez répandu en Égypte, cet instrument est surtout emblématique des mystiques Gnawa, présents essentiellement au Maroc. Le kissar, héritier des lyres antiques Le kissar est une ancienne lyre des peuples de Nubie, encore utilisée de nos jours en Égypte et en Éthiopie. Quoique traditionnellement en carapace de tortue, le résonateur est plutôt fait de bois à l’époque actuelle. Sa caisse de résonance est recouverte d’une peau dans laquelle sont percés deux ou trois petits trous et les cordes sont enroulées autour de la traverse supérieure. Le kanoun, un cousin du psaltérion Le kanoun est une cithare sur table qu’on trouve dans une zone assez large, couvrant le MoyenOrient et allant jusqu’en Asie centrale ou en Grèce. L’orthographe diffère selon la région : une variante assez connue est qanun. Comme l’indique son nom, cet instrument est apparenté aux canons, psaltérions européens du Moyen Âge. Le résonateur, trapézoïdal, est fait de bois. La table d’harmonie est percée de trois ou quatre ouïes et peut être incrustée de mosaïques. Les cordes du kanoun sont regroupées en chœurs de deux (pour les graves) ou trois cordes, accordées à l’unisLuth « rebab ». Algérie, xixe siècle.

Lyre « kissar ». Éthiopie, xixe siècle. À droite : planche du livre « Description de l’Égypte », Paris, 1809. son. Leur nombre varie entre soixante-trois et quatre-vingtquatre et elles sont pincées à l’aide de petits plectres fixés à l’index de chaque main. Le rabab, instrument multiforme Le nom rabab et ses variations (rubab, rebab)яdésignent plusieurs types de cordophones différents du Moyen-Orient. Comme pour les tanbûr, leur existence et certaines de leurs caractéristiques sont rapportées par Al-Farabi à la fin du premier millénaire. Certains de ces instruments sont des luths, donc généralement à cordes pincées, tandis que d’autres sont des vièles jouées avec un archet. Cette deuxième facture a fait son chemin en Espagne avec les Maures et à partir d’environ 1300, a prêté son nom au rebec, premier violon européen. Une riche diversité Chercher une évolution linéaire des instruments à cordes pincées du Moyen-Orient est tentant autant qu’infondé. Le propre de ces instruments est de présenter une multitude de variantes locales, et pour une même variante, des dénominations diverses. Il convient d’en admirer leur étonnante richesse protéiforme ! Lucas Chaumard Cithare « kanoun ». Turquie, xixe siècle.



Remerciements Je remercie tous ceux qui ont participé à ce numéro et en particulier, le professeur de guitare et collectionneur parisien Hervé César, qui m’a confié la transcription intégrale écrite des émissions de radio de Narcís Bonet et Emilio Pujol. Pour la recherche documentaire, merci à Catherine et Philippe Delepelaire (Paris), Marisa Ruiz Magaldi (Museu de la Música, Barcelona) et Sílvia Farrús (Patrimoni Bibliogràfic i Documental de l’Institut d’Estudis Ilerdencs). Pour l’écriture des textes, un grand merci à Anne-Emmanuelle Ceulemans et Claire Chantrenne (Musée des instruments de musique, Bruxelles), Lucas Chaumard (Université de Paris) et Rémy Jadinon (Africa Museum, Tervuren). Alberto Martinez

Crédits photo Africa Museum, Tervuren : pp. 25, 29 (2), 30, 31 Biblioteca Nacional de España : p. 11 Christian Descombes : p. 33 Carlos González : p. 9 Catherine Keun : p. 21 Library of Congress, Washington : pp. 32, 34 Metropolitan Museum of Art, New York : pp. 1, 5, 6, 13, 16, 18, 24, 38, 40, 42, 50, 54, 55, 58, 62 Musée de la musique, Paris : pp. 14, 16, 17, 19, 22 (2), 23, 25 (2), 28, 31, 33, 41, 43, 44 (3), 45 (3), 46, 47, 51, 56, 61 (3), 62 (2) Musée des instruments de musique, Bruxelles : pp. 40, 42, 43, 47 Musée du quai Branly, Paris : p. 31 Museu de la Música, Barcelona : pp. 20, 51 Music Emporium, Lexington : p. 35 Penn Museum, Philadelphia : p. 59 Sinier de Ridder : p. 12 Victoria & Albert Museum, London : pp. 14, 54

Paris, novembre 2020 Site internet : www.orfeomagazine.fr Contact : orfeo@orfeomagazine.fr


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