Shtar ac Var Matin

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Var Shtar Academy : les porte-voix du pénitencier

Coachés par le gotha du hip-hop français, le rappeur toulonnais Mirak et d’autres détenus (Malik et Badri) ont enregistré, à la maison d’arrêt de Luynes, un disque abouti sur la prison

L

’opus carcéral de la Shtar (prison, en argot) Academy ne peut être comparé qu’à lui-même. En ce sens qu’il est le premier disque à sortir de taule. Le tout premier, en France, à avoir été « écrit, produit, et enregistré » entre quatre murs, à la maison d’arrêt de Luynes près d’Aix-en-provence. Depuis le collectif 11’30 contre les lois racistes (1), aucun projet n’avait réuni un tel plateau de rappeurs : Orelsan, Psy 4 de la rime, La Fouine, Lino, Médine, Keny Arkana, Disiz (exLa Peste), Némir, Sat, Mister You, Tunisiano… « Tous les artistes ont donné du leur et l’album s’est construit sur la longueur. Avec Tony Danza (le réalisateur), on savait ce qu’on voulait », pose l’ex-détenu et boss de l’association Fu-Jo, Mouloud Mansouri, auteur du projet.

Casting draconien

En soi, l’existence du groupe est déjà une victoire pour les trois rappeurs amateurs qui le composent : Mirak, Malik et Badri – encore sous les verrous pour vols en réunion et cambriolages –, retenus à l’issue d’un casting draconien. « À l’intérieur, beaucoup te le disent : si tu sors et que tu n’as plus rien, tu peux facilement refaire des conne-

De la radio Skyrock au plateau du Grand Journal de Canal +, le rappeur Mirak (en bleu), et l’ancien DJ et détenu Mouloud Mansouri ont fait le tour des médias pour défendre l’album de la Shtar ac’.

(Photo Eric Estrade)

ries », concède Karim – alias Mirak –, qui a vécu dix-huit ans dans la cité de la Florane, à l’ouest de Toulon. Des conneries, il en a fait, et les a payées, en purgeant sa peine. Trente-trois mois de prison, pour trafic de stupéfiants. Avant de tomber, Mirak faisait un peu de rap. « Le passé, ce n’est pas que

je veux tirer un trait dessus, mais le but de la Shtar’ac, c’est de sortir trois personnes des choses qu’elles faisaient avant, pour se consacrer à d’autres objectifs », enchaîne l’ex-détenu de 35 ans, crâne rasé.

Histoires cash

« C’est une opportunité de

fou », lâche-t-il, assis en terrasse de l’Oasis sur les plages du Mourillon. « En cellule, et lors des promenades, on ne pensait qu’à écrire, chercher des thèmes. Il fallait qu’on soit au niveau ». Pour rivaliser, en un éclair, avec le gratin du rap hexagonal. « Ils sont venus en prison, et nous ont donné

des conseils, des techniques d’écriture et de respiration. À leurs côtés, on a franchi un cap », souffle Mirak. Au fil des séances, Mouloud et Tony apportaient leur touche. « On a passé plus de cent jours en prison. On leur a amené des thèmes, des instrus… Au début, on les a laissés écrire un peu

tout et n’importe quoi. Des textes très normaux, sur les histoires de quartiers, les bagnoles… Ça me rendait fou ! Je leur ai mis la pression pour qu’ils se recentrent sur leur parcours de taulard, car c’est ça que les gens veulent entendre », persiste l’ancien DJ, de retour de Paris, où la Shtar’ac s’est mise en lumière. Du plateau du Grand Journal, de Canal +, à l’émission Planète rap, sur Skyrock, les ex-taulards de la Shtar’ac se sont retrouvés, en un éclair, sous le feu des projecteurs. « Ce n’est pas parce qu’on ne vend pas autant d’albums que Booba qu’on est en dessous. Mon souhait, c’est de les amener jusqu’aux Victoires de la musique, en 2015 », argue Mouloud. La suite? « Deux festivals nous ont approchés, mais le groupe ne fera pas de scène avant la sortie de Badri. J’espère que les juges tiendront compte du travail accompli ». SÉBASTIEN BOTELLA sbotella@nicematin.fr

1. En 1997, ce collectif de rappeurs s’était formé contre la loi Debré sur l’immigration.

Savoir +

Shtar Academy (Because music), 13,99 euros, disponible dans les lieux de vente habituels et plateformes de téléchargement.

Mouloud Mansouri, de Fu-jo : « L’album s’inscrit dans la durée » « Beaucoup s’inspirent de notre vécu. Parce que le leur c’est une arnaque / Tu veux sentir de la taule ? Écoute l’album de la Shtar ac’ », envoie Badri, dans la reprise calibrée des Portes du Pénitencier. Sans forcer le trait, les dix-huit titres relus par l’administration pénitentiaire – A la sortie avec Joke, n’a pas passé le contrôle – reflètent le quotidien carcéral des trois détenus. Les premiers pas en cellule (Primaire), les permissions, visites au parloir (Le trajet), les relations parfois tendues avec les surveillants (Chacun son rôle), les rares instants d’évasion (J’ferme

les yeux), et, pour finir, le jour de sortie (Libérable). « Cet album ne se consomme pas en un jour, ou un mois... Il s’inscrit dans la durée », avance Mouloud Mansouri. Comme les artistes, les trois rappeurs toucheront des droits d’auteurs. Et les bénéfices, si tant est qu’il y en ait, seront reversés à l’association Fu-Jo, auteur du projet de A à Z.

Concerts en prison

Les trois rappeurs amateurs Badri, Malik et le Toulonnais Mirak (Photo D.R) (de g. à dr.) retracent leur parcours de taulards.

Depuis six ans, l’association basée à Toulon se démène pour organiser des concerts en prison, des ateliers d’écriture, de coaching scénique et de musique assistée

par ordinateur (MAO). Déterminé, à sa sortie de zonzon en 2008, l’exDJ hip-hop Mouloud Mansouri (lire Var-matin Toulon du 23 avril 2013) a fait jouer, avec peu de moyens, des artistes tels qu’Iam, Sexion d’Assaut, Diam’s, Olivia Ruiz, Soprano, Kery James, Orelsan et bien d’autres, dans les centres de détention du sud-est. En février, Grand Corps Malade et le rappeur Tunisiano (ex-Sniper) sont attendus, respectivement, à Nice et Toulon. Le festival Hip-hop convict, destiné à réunir des fonds pour financer les actions, a été reporté au 17 octobre. S. B.


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