L'image-fente (volume 2)

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qu’il va littéralement toucher. Un retour à l’origine. La ressemblance n’a plus d’importance ici, ce qui compte dans cette vérification de l’indicialité, conformément à ce qu’en dit Philippe Dubois, c’est le lien indiciel. Il atteste ainsi l’existence de ces deux jeunes reliant l’image à ses modèles et matérialisant visuellement, dans une enquête dont on suit les différentes étapes, le « ça a été » Barthésien. A la fin du film, un des deux jeunes se souvient de la séance de prises de vue en regardant la photographie, point de départ, origine, du film, sur laquelle le film se clôt. Une double boucle est ainsi bouclée par cette fin, l’une qui va de la photographie à la photographie en passant par un retour au modèle, et l’autre qui va du début de l’enquête au début de l’enquête en passant toujours par la photographie. Il n’est pas anodin de constater que le film s’ouvre et se termine par un plan direct sur la photographie, (travelling) dont les bords sont absents de l’image. Ce type de superposition d’images, d’images d’images sans que la limite du cadre ne viennent avertir l’œil du fait que l’objet filmé n’est qu’une apparence en soi et non le référent lui-même, est assez courant dans l’œuvre de Kieślowski. Nous en avons déjà rencontrés certaines (télévision dans L’amateur, photographie dans Le Décalogue 2 …) ces images d’images nous invitent à deux réflexions. D’une part elles montrent comment la disparition du montant du cadre agit sur notre perception par une naturalisation de l’image filmée qui se substitue naturellement à l’image du film. Ainsi, il n’ y a jamais deux images, l’une étant celle de l’autre, mais bien au contraire une seule, celle de la photographie ou celle de la télévision bien que la couleur bleue et la texture voilée de cette dernière la distingue nettement du reste du film. Il faut attendre la réapparition du bord rigide du cadre pour que les deux couches d’images se décollent et qu’il en existe alors deux distinctes, celle qui est filmée dans celle du film lui-même. D’autre part, cette superposition montre aussi, très exactement, le point limite du processus d’enregistrement de la luminosité des choses, ce que le film montre n’est que l’apparence et non l’objet, or rien au début du plan ne permet de l’identifier. La matière de l’image photographique étant la même que celle de l’image filmique, l’œil ne les distingue pas, et ne peut donc voir qu’il s’agit de photographie filmée. Bien que ce procédé soit moins efficace avec l’image de la télévision, n’en est pas moins similaire dans son effet, l’écran de télé filmé par Filip dans L’amateur ne nous apparaît pas comme un écran filmé mais il est à l’écran du film, et ceci malgré le fait qu’on ait vu précédemment Filip se pencher vers le poste de télévision équipé d’une caméra. En effet, malgré cette ocularisation interne, l’image de télévision devient l’image même du film, elle est montée directement au niveau des autres images du film, étant de même texture. Ce que l’on voit alors c’est un concert de musique classique à travers une transparence déformée et voilée, mais pas un poste de télévision


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