L'image-fente (volume 2)

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UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE - PARIS 3 École doctorale 267 – ARTS et MEDIAS

CRECI - CRIR

DE LA FINESTRA A L’IMAGE-FENTE : ETHIQUE ET ESTHETIQUE DU CADRE A PARTIR DU DECALOGUE DE KRZYSTOF KIEŚLOWSKI

VOLUME 2 Par Olivier BEUVELET

Thèse de doctorat Esthétique et Études Cinématographiques

Sous la direction de Madame Murielle GAGNEBIN

Jury : Monsieur Bruno-Nassim ABOUDRAR, Professeur, Sorbonne-Nouvelle-Paris 3 Madame Murielle GAGNEBIN, Professeure émérite, Sorbonne-Nouvelle-Paris 3 (directrice) Monsieur André GUNTHERT, Maître de conférence, EHESS Madame Laurie LAUFER, Professeure, Université Denis Diderot - Paris 7 Madame Suzanne LIANDRAT-GUIGUES, Professeure, Vincennes-Saint Denis - Paris 8

Samedi 20 octobre 2012


IV- L’IMAGE-FENTE COMME CONCEPT HEURISTIQUE I (PHENOMENOLOGIE DES USAGES DE LA FENTE) « Toute photographie est une fiction qui se prétend véritable. En dépit de tout ce qui nous a été inculqué, et de ce que nous pensons, la photographie ment toujours, elle ment par instinct, elle ment parce que 1 sa nature ne lui permet pas de faire autre chose. »

Dans l’œuvre de Krzysztof Kieślowski et particulièrement dans son Décalogue où il pose dix fois la question de la représentation, la figure métadiscursive de l’image-fente nous amène, sur le mode d’une illusion consciente de ses enjeux et ainsi apte à mettre au jour un désir inconscient, à considérer l’image filmique comme une image percée donc susceptible de permettre un passage. L’ouverture et le passage sont ainsi les deux premières dimensions de l’image-fente. Je pourrais parler de caractéristique structurale pour l’ouverture et de fonctionnalité pour le passage. L’ouverture est la première donnée de la fente qui se définit comme une ouverture oblongue et informe, aux bords souples et irréguliers, «inscrite » dans une surface. Le passage est la seconde donnée, dans la mesure où l’ouverture informe d’une surface offre la possibilité d’un échange avec ce qui se tient au-delà de la surface, de l’autre côté, dans l’espace voisin. Si l’ouverture est un analogon de la fente, le passage correspond à ce qu’elle exprime, à ce qu’elle sollicite comme mouvement chez le spectateur. Ce passage s’effectue dans les deux sens. Comme un aller vers l’image, aller porté par la pulsion orale et la pulsion haptique, désir de saisir et de téter ou de boire, la bouche et la main du spectateur étant les passagers à peine clandestins du regard spectatoriel, le regard qui contemple et vient au musée, au cinéma, au théâtre, à l’opéra, ou plus crument au peep-show pour regarder, pour satisfaire son appétit. Cet aller est accompagné aussi d’un retour, à travers les motifs de l’écoulement, du jaillissement, de la sortie de l’image, un retour qui instaure un échange et une « continuité de matière », atmosphérique et matérialisée dans les fluides auxquels le regard est assimilé. Ce retour, appelé par la bouche et par la main, est marqué du signe de l’origine, dont la fente, réalité première qui s’impose comme le lieu du passage comme apparition, est la forme culturelle la plus courante. Cette approche nous amènera à considérer le désir inconscient qui hante l’œil du spectateur et qui s’exprime par la finestra comme forme contenante et signifiante, dans son affection par la fessura, qui l’effrite et la rend poreuse, éclairant au passage comment la figure travaille la Lettre, l’icône et surtout l’indice le symbole. 1

Joan Fontcuberta, Le baiser de Judas. Photographie et vérité (1996) Arles, Actes Sud, 2005, p. 11.


L’image-fente que nous avons vue comme dispositif visuel, comme figure métadiscursive chez Kieślowski, devient ici un concept, si on l’exporte ailleurs et si on la prend comme objet de la réflexion. Il s’agit maintenant pour moi de la définir comme concept permettant d’interroger l’image encadrée telle que l’a conçue Alberti à l’aube de l’ère moderne. En suivant ses trois dimensions, sa structure d’ouverture, sa fonctionnalité de passage et son intentionnalité liée à l’origine, nous allons suivre, à partir des films de Kieślowski et dans d’autres images, filmiques, photographiques ou picturales, le destin de ces dimensions, afin de pouvoir la définir plus positivement dans le dernier chapître où elle apparaîtra comme l’expression d’une nostalgie de l’objet primaire.


1) L’image-fente comme ouverture « Je pouvais supposer que l’émotion de l’Operator (et partant l’essence de la Photographie-selon-lephotographe) avait quelque rapport avec le « petit trou » (sténopé) par lequel il regarde, limite, encadre et met en perspective ce qu’il veut « saisir » (surprendre). »2

Le concept d’image-fente, met en jeu la part d’illusion de présence dans la relation de l’œil à la nature photographique de l’image filmique. Dans sa quête de réel dans l’image ellemême, dans son désir de rencontre réelle avec l’objet, l’œil du spectateur joue avec cette nature photographique comme garantie d’une présence, fût-il conscient de la dimension fictive de l’image. Le conflit essentiel que l’image-fente met alors en lumière, de par sa dimension heuristique, ainsi que l’ambivalence fondamentale qu’elle éclaire, entre présence et absence de l’objet représenté, s’y trouvent articulés à la présence d’un trou, au cœur de l’image, par lequel passerait quelque chose de l’objet représenté lui-même, qui rendrait sa présence haptique. Il est intéressant de s’interroger sur un aspect commun aux deux épisodes du Décalogue que Kieślowski a tournés pour le cinéma, Tu ne tueras point et Brève histoire d’amour : tous les deux sont construits autour d’un trou. Alors que le trou est directement situé sur la surface de l’image dans Le Décalogue 5 et Tu ne tueras point, découpé par l’utilisation d’un filtre qui crée un iris aux bords noirs et incertains, fruit de l’ingéniosité d’un chef opérateur ayant souvent collaboré avec Kieślowski, Slawomir Idziak, dans Le Décalogue 6 et Brève histoire d’amour, c’est autour du trou du guichet de Tomek, surface transparente et percée, que se jouera l’action essentielle des deux versions ; le retournement du regard vers son origine. Ce trou dans la surface du guichet et donc de l’image cinématographique, en vertu du mécanisme de déplacement réflexif de la mise en abyme opérée par le projet du Décalogue, est le point de départ de ce travail et l’origine même du concept d’image-fente. L’image-fente est d’abord cette image transparente issue de la finestra albertienne à laquelle s’ajoute le fantasme d’une ouverture réelle de la représentation, faisant de la peinture une fiction (l’histoire albertienne) documentaire (la fenêtre est ouverte). Elle trouve sa pleine mesure dans l’image photographique, qui est l’horizon inconscient de son « ouverture » dès les premiers temps des usages métapicturaux de la métaphore albertienne, et particulièrement dans l’image baroque qui met en scène, à de nombreuses reprises, le passage à travers le 2

Roland Barthes, La chambre claire, note sur la photographie, Paris, Gallimard-Seuil, 1980, p. 23.


cadre, ou par dessus le cadre, la continuité entre les deux espaces voisins est une constante de la recherche d’une vérité en peinture, vérité qui s’identifie facilement à la présence, considérée comme la vie de l’objet. Alberti précise bien que sa finestra est une comparaison explicite ; le cadre est pour lui « comme une fenêtre ouverte », laissant apparaître le dispositif comme un signe, mais elle a été comprise et retravaillée par le désir humain comme une métaphore, et le cadre est ainsi devenu « une fenêtre ouverte ». L’erreur courante de la dire « ouverte sur le monde » au lieu de l’histoire, est peut-être un indice de la prégnance de ce désir sur l’usage de la comparaison comme modèle de la représentation moderne. Comme si la représentation de l’ouverture avait dû devenir une hallucination de l’ouverture sous l’effet d’une nécessité. Et en réponse à cette nécessité, la photographie, telle qu’elle affirme, en son dogme majeur, son rapport indiciel à la réalité et à l’objet représenté, met en scène une entrée corporelle de l’apparence dans la surface de l’image, considérée alors comme une empreinte. A ce titre, l’image photographique est le prototype même de l’image-fente en ce qu’elle est supposée mettre le sujet regardant en relation directe avec l’objet regardé. a) L’index photographique pointé vers le corps du réel L’image-fente met ainsi en jeu l’ouverture de l’image filmique, son bord incertain et sa transparence photographique, dans un cas en mettant en jeu l’ouverture du support lui-même, dont l’iris du Décalogue 5 est ici une figure visuelle, dans l’autre en montrant la transparence photographique elle-même comme percée d’un vide, à travers le guichet du Décalogue 6, laissant une continuité aérienne, « continuité de matière », entre les deux espaces, apportant une greffe de réel dans l’image. Ainsi, si dans l’image peinte classique, toute vue à travers une fenêtre ou une embrasure met en scène l’ouverture théorique de la finestra albertienne, l’image-fente cinématographique repose elle sur un savoir « photographique » qui établit, entre l’image et son référent, un lien qu’André Bazin présente avec quelques nuances, comme essentiellement ontologique en 19453, que Rosalind Krauss, à la suite de Bazin et à l’appui de la théorie du signe de Peirce, qualifie d’ « indiciel » en 1977 4 et que Roland Barthes - parlant plus

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André Bazin, « Ontologie de l’image photographique » (1945) repris in Qu’est-ce que le cinéma ? vol. 1, Paris, Cerf, 1958 p. 11-19. 4 Rosalind Krauss, « Notes sur l'index » (traduit de l'anglais par J.-P. Criqui), L'Originalité de l'avant-garde et autres mythes modernistes, Paris, Macula, 1993 p. 63-91.


spécifiquement de la relation de l’œil à l’objet à travers sa photographie - qualifie d’« ombilical » en 19805. En 1983, dans L’acte photographique, Philippe Dubois présente en trois étapes les grandes conceptions de la relation que la photographie établit avec son référent. Evoquant tout d’abord la photographie comme miroir du réel, il aborde les discours qui faisaient de la photographie « une imitation on ne peut plus parfaite de la réalité »6 il évoque ensuite une seconde période de doute et de déconstruction du rapport entre la photographie et l’objet représenté qu’il qualifie de photographie comme transformation du réel, où il aborde les contestations techniques, idéologiques et sociologiques du dogme de la vérité photographique. Il affirme ainsi pour les résumer que selon ces conceptions iconoclastes, la photographie est « au même titre que la langue, affaire de conventions et instrument d’analyse et d’interprétation du réel. »7Il en vient ensuite à la conception qui selon lui rétablit un équilibre et dépasse les deux premières, celle qui consiste à voir la photographie comme trace d’un réel, dans le sillage des travaux que nous avons cités au paragraphe précédent. S’appuyant sur la trinité du signe de Charles Sanders Peirce, Icône, symbole et Indice, il ramène la première conception sous le signe d’un rapport iconique entre l’objet représenté et sa photographie, puis la seconde conception sous le signe du rapport symbolique (« codification des apparences ») et enfin la dernière sous celui de l’indice qui suppose une connexion physique entre l’objet et sa photographie. Il résume ce processus de la manière suivante : « La photo est d’abord index. C’est ensuite seulement qu’elle peut devenir ressemblante (icône) et acquérir du sens (symbole). »8 Ainsi c’est en déplaçant la question sur le terrain de l’acte photographique et de sa pragmatique que Philippe Dubois affirme l’authenticité de la photographie, par ce contact réel entre la lumière et la surface sensible. Il suppose une ouverture de la camera obscura par laquelle se ferait ce contact entre l’image et l’objet qu’elle porte en elle comme trace. Nous allons essayer de voir si cette approche peut éclairer notre compréhension du discours sur l’ouverture du médium que développe Le Décalogue. En effet, la première question que pose une approche de l’image-fente comme ouverture à partir du Décalogue, est bien celle de l’indicialité du médium photographique par 5

Roland Barthes, La chambre claire, op. cit. Philippe Dubois, L’acte photographique, Paris, Nathan Université, réédition, 1990, p. 21. 7 Ibidem, p. 36. 8 Ibidem, p. 50. 6


rapport auquel le cinéma n’est qu’une forme particulière de rendu (comme l’indique l’expression initiale de « photographies animées ») et d’articulation narrative (montage). C’est donc bien en interrogeant l’image photographique, matière même de l’image filmique, comme le fait Bazin dans son fameux article « Ontologie de l’image photographique », qu’il convient d’aborder l’image cinématographique, mais en questionnant avec scepticisme, c’est-à-dire sans idolâtrie de la présence ou de la trace photographique, cette ontologie qu’il a proposée, qui a été reprise par Rosalind Krauss au renfort des théories linguistiques de Peirce et qu’on retrouve condensée en un chiffre presque magique dans le « ça a été » de Roland Barthes. André Bazin, sans ambages, en se plaçant sur un plan plus psychologique que philosophique, écrit : « L’image peut-être floue, déformée, décolorée, sans valeur documentaire, elle procède par genèse de l’ontologie du modèle ; elle est le modèle. »9 Nous pouvons ainsi nous questionner sur la relation que la photographie entretient avec ce que Siegfried Krakauer nomme la « réalité matérielle » dont elle se nourrit et conserve l’apparence lumineuse. André Bazin, dans son célèbre article, écrit aussi que : « L’objectivité de la photographie lui confère une puissance de crédibilité absente de toute œuvre picturale. Quelles que soient les objections de notre esprit critique, nous sommes obligés de croire à l’existence de l’objet représenté, effectivement re-présenté, c’est-à-dire rendu présent dans le temps et dans l’espace. La photographie bénéficie d’un transfert de réalité de la chose sur sa production. » 10 Cette notion de transfert de réalité constitue l’étape décisive dans la construction du savoir photographique qui institue le fondement de notre rapport à la photographie, bien au-delà de la ressemblance, c’est d’après Bazin la connaissance que le sujet regardant a de la « genèse » de l’image qui lui confère sa valeur de vérité. On sait tous que s’il y a une photographie, c’est qu’un objet a renvoyé la lumière qu’il recevait sur une surface sensible à travers un « objectif » sans que la main humaine ne paraisse avoir contribué à l’élaboration de sa ressemblance ; sans qu’elle y ait proprement fabriqué l’image. En 1977, s’appuyant sur la théorie des signes de Peirce, Rosalind Krauss écrit dans son fameux article consacrant officiellement l’ontologie du photographique comme fondée sur l’indicialité que : « Toute photographie est le résultat d'une empreinte physique qui a été 9

André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ? op. cit. p. 16 Ibidem, p. 15 et 16.

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transférée sur une surface sensible par les réflexions de la lumière. La photographie est donc le type d'icône ou de représentation visuelle qui a avec son objet une relation indicielle. »11 Effectivement, dans le procédé photographique, comme nous l’avons remarqué au début de ce travail, tout porte à croire que la finestra est réellement « aperta », c’est-à-dire qu’il existe une continuité physique entre l’objet et sa représentation puisqu’un véritable passage de fluide lumineux s’effectue entre le champ où se tient l’objet photographié et l’intérieur de la camera obscura où son apparence va venir se « déposer » et se faire « saisir ». Le savoir photographique nous indique que le procédé photographique repose tout entier sur cette « entrée » de l’image de l’objet dans un espace voisin, aménagé pour la recevoir et la conserver. Le cadre de la fenêtre est bien ouvert et l’on peut considérer, à ce titre, que ce qui fait souvent office de première image photographique, la fameuse Vue du Gras effectuée par Nicéphore Niépce à Saint Loup de Varennes en 1826, est une mise en jeu de cette ouverture puisqu’on y voit une fenêtre ouverte qui vient doubler l’ouverture de l’objectif de l’appareil d’enregistrement. Cette ouverture réelle de la fenêtre du Gras est une mise en scène de l’ouverture de la finestra, une fiction de l’ouverture du support aux origines même du procédé photographique nous laissant considérer que l’espace du sujet imageant et celui de l’objet sont en continuité dans cette contiguïté physique qui sert à Philippe Dubois pour établir l’indicialité de la photographie. C’est précisément ce qui fait dire à Roland Barthes dans sa méditation sémiologique sur la photographie : « la peinture, elle, peut feindre la réalité sans l’avoir vue. Le discours combine des signes qui ont certes des référents, mais ces référents peuvent être et sont le plus souvent des « chimères ». Au contraire de ces imitations, dans la photographie, je ne puis jamais nier que la chose a été là. »12 Et plus loin, évoquant le lien organique entre le réel et l’image photographique, d’ajouter : « La photo est littéralement une émanation du référent. D’un corps réel, qui était là, sont parties des radiations qui viennent me toucher, moi qui suis ici ; peu importe la durée de la transmission ; la photo de l’être disparu vient me toucher comme les rayons différés d’une étoile. Une sorte de lien ombilical relie le corps de la chose photographique à mon regard : la lumière, quoique impalpable, est bien ici un milieu charnel, une peau que je partage avec celui ou celle qui a été photographié. »13 Ainsi donc, un lien de l’ordre d’une co-présence charnelle existe à ses yeux entre l’objet photographié et le sujet

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Rosalind Krauss, « Notes sur l'index » in L'Originalité de l'avant-garde et autres mythes modernistes, op. cit. p. 69. 12 Roland Barthes, La chambre claire, op. cit. p. 120. 13 Ibidem, p. 126.


regardant, à travers la photographie, induisant une ouverture réelle, la possibilité d’un contact, un continuum d’air entre les deux espaces, tout comme nous le suggère le dispositif de la transparence trouée mise en scène par l’utilisation des guichets dans l’œuvre de Kieślowski. Mais ce lien, comme nous allons le montrer, n’existe qu’à l’état de noème, en tant que paradigme connu de la photographie, dans le savoir photographique du sujet qui regarde l’image. Savoir et paradigme que résume le fameux « ça a été » de Barthes. C’est ce savoir qui vient instaurer a priori un effet de vérité, une greffe gnomique de réel pourrait-on dire, dans l’image photographique, cette greffe consistant à supposer une ouverture réelle, un trou par où est passé de la matière. Force est de reconnaître, qu’avec toutes les réserves que l’on peut faire sur cette idée de « lien ombilical » qui ouvre à beaucoup d’interprétations possibles14, il n’en est pas moins exact qu’il n’y a photographie que si les rayons lumineux émanant d’un objet entrent dans une camera obscura et y sont enregistrés par une surface sensible. Mais ce processus de fabrication d’image visiblement acheiropoïète est-il vraiment exempt de traces de la main de l’homme et en quoi diffère-t-il des autres processus imageant ? Y a-t-il une magie photographique ? Le processus photographique est-il une saisie réelle de présence devenue captive dans son apparence conservée, à la manière de la Véronique (vera icona), du suaire ou du Mandylion ? N’est-ce pas le fondement moderne et technique d’une nouvelle illusion susceptible de fonder un nouveau régime de croyance en la présence de l’objet dans son image, caractéristique que nous avons précédemment considérée comme la définition même de l’idolâtrie ? Nous sommes ici au cœur de la problématique éthique du Décalogue dans le questionnement qu’il fait du second commandement à travers sa pratique du cinéma. Qu’est-ce que voir ? Qu’est-ce que donner à voir ?... une photographie. Comme nous le verrons plus loin, et bien qu’il ne fût pas un praticien de la photographie15, Krzysztof Kieślowski a souvent évoqué la photographie dans ses films, et toujours dans son rapport à la présence de l’être photographié, à son retour, voire à sa résurrection (disparus, absents, retrouvailles...) On peut à ce titre considérer qu’il y a dans son rapport à l’image photographique et donc cinématographique une considération de ce pouvoir de résurrection de l’image considérée comme une empreinte.

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Nous nous y intéresserons dans les chapitres : « L’image-fente comme origine » et « L’image-fente comme objet primaire ». 15 Il a fait durant ses années à Łodz un reportage photographique sur la ville dont Irène Jacob m’a montré quelques clichés et qui sera montré dans l’exposition qui doit prendre place en septembre 2012 à Paris. Mais d’après la comédienne qui a travaillé avec lui, le cinéaste ne prenait pas de photographies. Entretien avec Irène Jacob, 19 juin 2012, Paris.


Tout d’abord, si ce procédé d’enregistrement de la lumière est incontestable, il n’en constitue pas pour autant l’intégralité du procédé photographique. Comme l’a démontré André Gunthert dans sa thèse de doctorat, l’étape décisive dans l’établissement de la photographie, loin d’être la simple conservation de l’image entrée dans la camera obscura par altération d’une surface sensible à la lumière, a été l’établissement d’un intervalle entre la prise de vue et la révélation de l’image, donnant naissance à la notion d’image latente. L’historien de la photographie et de la culture visuelle précise que les procédés d’obtention d’une empreinte lumineuse étaient connus bien avant les expérimentations de Niépce et que le saut décisif dans l’instauration du principe photographique n’est pas simplement la question optique de l’enregistrement mais celle, chimique, de la formation d’une image stable et satisfaisante. Il explique ainsi : « De nombreuses expériences d’impression par contact avaient été pratiquées depuis la fin du XVIII ème siècle, et plusieurs chercheurs avaient imaginé que l’on pouvait fixer par un tel moyen l’image projetée dans la camera obscura. (…) En choisissant une résine de préférence à un sel d’argent Niépce ne modifiait pas les données du problème. (…) Le pas suivant sera accompli par Daguerre qui, le premier, imagine la possibilité d’un intervalle entre la prise de vue et le fixage de l’image, occupé par une opération chimique d’amplification de la réaction photosensible : un renforcement de l’impression trop faible de la chambre noire, une multiplication de l’information optique de l’ordre de plusieurs millions de fois – bien plus que ce qu’aurait pu permettre toute amélioration de la substance photogénique elle-même. Il s’agit de la découverte de l’image latente, et du principe corollaire du développement. Fondée sur un état d’invisibilité de l’image, cette opération d’après-coup représente un haut degré d’abstraction et de maîtrise du processus photochimique, qui transfère l’essentiel de la question de la sensibilité du support sensible à l’agent révélateur, et déplace le moment clé du processus du stade optique (l’enregistrement de l’information) au stade chimique (la formation de l’image). »16 Le déplacement qu’effectue André Gunthert à la lumière des événements historiques et scientifiques, contribue à redéfinir le photographique qui reposait jusque là sur une définition très « optique » de la prise de vue, emblématisée par la Vue du Gras, pour en faire un processus de fabrication et de monstration d’image a posteriori, ce qui confère au procédé une dimension représentationnelle d’artefact que l’indicialité mise en avant tendrait à dissiper au 16

André Gunthert, La conquête de l’instantané, archéologie de l’imaginaire photographique en France (18411895), thèse de doctorat d’Histoire de l’Art, sous la direction d’Hubert Damisch, Paris, EHESS, soutenue en février 1999. Version numérique disponible à l’adresse : <http://issuu.com/lhivic/docs/la-conquete-de-linstantane> p. 60-62.


profit de l’idée de prélèvement. L’image latente, c’est l’opacité du support qui attend son révélateur pour s’ouvrir sur l’objet représenté, et non pas dans un geste de soustraction de matière, propre au phénomène de la déchirure, mais au contraire dans un mouvement de multiplication. La photographie est un procédé de production d’image à partir d’une empreinte lumineuse de l’objet, mais elle n’est pas l’empreinte elle-même, si l’on considère le rapport du négatif au tirage, l’image photographique est une contre-forme de l’empreinte qui a servi à sa fabrication. Mais cette empreinte est-elle vraiment le fruit d’un contact, fût-il lumineux, avec l’objet ? Notons alors un second argument, plus technique développé par André Gunthert concernant cette fois-ci les conditions optiques de la prise de vue photographique. Il critique l’indicialité postulée par Rosalind Krauss : « Pourtant, malgré sa beauté, cette approche est incorrecte. Sa prétendue fondation technique ne résiste pas à un examen détaillé. Alors que Krauss mobilise la notion d'index pour dégager l'idée d'une «relation physique17 » entre le signe et sa source, ce schéma s'avère plus proche de la conception traditionnelle des simulacres par Lucrèce18 que du comportement réel du flux lumineux. En faisant comme si le rayon atteignait directement le support, elle oublie le rôle décisif du dispositif optique. Comme l'indique Jean-Marc Levy-Leblond, «la transparence d'un milieu, ou son opacité (...) résultent d'un très complexe mécanisme : les photons lumineux incidents sont absorbés par les charges électriques du milieu (…) et les mettent en branle; ces charges réémettent alors de nouveaux photons, etc. C'est donc seulement le bilan de ces processus d'absorption et de réémission itérés qui permet d'établir si et comment le corps laisse passer la lumière ou la bloque. » En d'autres termes: «Les photons qui entrent dans une plaque de verre ne sont pas

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«As distinct from symbols, indexes establish their meaning along the axis of a physical relationship to their referents. They are the marks or traces of a particular cause, and that cause is the thing to which they refer, the object they signify», Rosalind Krauss, art. cit., p. 70 («A la différence des symboles, les index établissent leur sens sur l'axe d'une relation physique à leur référent. Ce sont les marques ou les traces d'une cause particulière et cette cause est la chose à laquelle ils réfèrent, l'objet qu'ils signifient», op. cit., p. 64). Les spécialistes de l'œuvre de Peirce font remarquer que la notion d'index est plus complexe. Mais la relation de Krauss à l'œuvre du philosophe, cité une seule fois en note dans l'article original, reste des plus ténues. (Note de l’auteur de l’article) 18 «Disons maintenant avec quelle facilité, quelle légèreté ces images se forment et, comme un flot intarissable, ne cessent de se détacher des corps. Car des éléments superficiels s'écoulent et rayonnent sans relâche de tous les objets. (...) Et de même que le soleil doit émettre en peu de temps de nombreux rayons pour que l'univers en soit constamment rempli, de même, et pour la même raison, il faut qu'en un instant les corps émettent de toutes parts, de mille manières, dans toutes les directions, de nombreux simulacres des objets puisque, partout où nous tournons le miroir, nous les voyons s'y refléter avec leur forme et leur couleur.», Lucrèce, De Natura Rerum, livre IV, 142-167 (traduction Alfred Ernout, éd. Les Belles Lettres, 1985, p. 11-12). (Note de l’auteur de l’article)


ceux qui en sortent. (…) Il y a bien eu un renouvellement complet de ces constituants de la lumière au sein du matériau19.»20 Il y a donc bien solution de continuité, épaisseur physique de la transparence ellemême, entre l’objet et l’image photographique qui en est tirée, et cette épaisseur physique varie selon le choix et l’action exercés par le photographe. André Gunthert précise ainsi dans le même article : « On ne saurait décrire un appareil photographique comme un médiateur transparent du réel : il doit plutôt être compris comme une machine à sélectionner des interprétations, selon un ensemble de paramètres aux interactions complexes, qui requièrent des choix précis. Un aiguillage plutôt qu'un miroir. »21 Le trou dans l’épaisseur de la transparence du support n’existe pas dans le processus photographique 22 , mais il y est postulé par le dogme de l’indicialité qui suppose une « continuité de matière entre les choses et les images » selon l’expression d’André Rouillé23, et cette « continuité de matière », c’est-à-dire pour nous l’ouverture réelle de la finestra, n’est concevable que si l’on considère la lumière comme une substance sans corps, un fluide parfaitement immatériel, de la même nature au fond que l’apparence elle-même, qui est le vêtement immatériel des choses considérées dans leur apparaître. Sans corps, la lumière, comme l’apparence, traverserait aisément le verre transparent, sans perdre de sa substance, la fenêtre est alors bien ouverte. En revanche, si l’on considère la lumière comme un corps physique composé de photons, il faut remarquer qu’elle bute alors sur le verre qui la recompose et se coupe de tout contact physique direct avec la surface à imprimer des couleurs et des formes qu’elle véhicule comme information sans en être à proprement constituée. L’idée que l’image photographique est composée par empreinte directe en vertu d’une « continuité de matière entre les choses et les images » repose ainsi sur une supposée double nature de la lumière, à la fois simple apparence immatérielle se déplaçant dans la transparence et aussi corps physique capable d’un contact24.

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Jean-Marc Lévy-Leblond, La Vitesse et l'ombre. Aux limites de la science, Paris, Seuil, 2006. p. 28-29. (Note de l’auteur de l’article) 20 André Gunthert, « L’empreinte digitale. Théorie et pratique de la photographie à l’ère numérique » article publié en pré-print sur le blog de l’auteur ARHV le 3 octobre 2007. (http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2007/10/03/506-l-empreinte-digitale - pnote-506-14) et publié in Giovanni Careri, Bernhard Rüdiger (dir), Face au réel. Éthique de la forme dans l'art contemporain, Paris, Archibooks, 2008, p. 85-95. 21 Idem. 22 Sauf dans le cas particulier du sténopé qui est à la marge du domaine photographique mais en incarne l’« essence » par son trou comme nous le rappelle la citation de Roland Barthes en épigraphe de ce chapitre. 23 André Rouillé, La Photographie. Entre document et art contemporain, Paris, Gallimard, 2005, p. 615. 24 Terme central dans le savoir photographique.


C’est là qu’est peut-être ce qu’il faut désintriquer dans la notion d’index que Rosalind Krauss applique à la photographie, elle opère une fusion entre la notion psychologique d’apparence, l’image naturelle que porte toute existence visible (dimension iconique), et la lumière qui en « émane », conférant à cette apparence une consistance matérielle (dimension indicielle), et à cette lumière une valeur d’image qui serait susceptible, à ses yeux, de provoquer un contact physique et de laisser une trace, de créer une empreinte, étant capable d’« entrer » dans la camera obscura, en tant qu’apparence immatérielle et corps physique en même temps25. Or un objet renvoie la lumière, cette dernière n’« émane » de lui qu’au sens figuré, et il ne diffuse pas à proprement parler son apparence ou son image, cette lumière ne devient image que dans la perception interprétative qu’en ait un sujet regardant à l’aide d’un appareil optique ajusté, œil ou camera obscura, équipé d’un objectif ou d’une position adéquate (sténopé). Ainsi, en réalité, d’une part l’apparence n’entre pas dans la chambre mais est reconstituée par le processus chimique à partir d’informations lumineuses enregistrées et d’autre part cette apparence reconstituée ne garantit absolument pas la présence réelle de l’objet auquel elle est normalement attachée. On en a plusieurs exemples dans Le Décalogue lorsque Kieślowski filme directement une photographie sans en dévoiler les bords, dans Le Décalogue 2. Il est alors difficile, dans un premier temps, de distinguer ce qui est présenté comme le réel de ce qui est présenté comme une image du réel (la photographie). En tant que reconstitution d’une apparence, la photographie est simplement la conséquence matérialisée et visualisée de la présence d’un sujet regardant (ou d’un appareil d’enregistrement de la lumière) pour qui, et seulement pour qui, l’apparence peut exister. Le « ça a été » de Barthes peut se reconvertir en un « j’y ai été », seul garant de la vérité de l’image. N’établissant rien

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Contrairement à ce qu’avance Philippe Dubois dans L’acte photographique, l’enregistrement de la trace lumineuse (Index) sans la forme mimétique (Icône) fût-elle minime comme dans la Vue du Gras, ne constitue pas à proprement parler une photographie, mais une photo-trace. Ce n’est qu’au prix d’une suppression de la « graphie » du processus photographique que l’index règne sur l’ontologie du médium, et il serait alors possible de concevoir le simple bronzage comme photographie comme le fait Philippe Dubois à la page 59 de son essai : « Ce qu’il faut surtout noter, à ce stade-ci, c’est que la photographie, de par son principe constitutif, se distingue fondamentalement de systèmes de représentation comme la peinture ou le dessin (des icônes), autant que des systèmes proprement linguistiques (des symboles), tandis qu’elle s’apparente très significativement à des signes tels que la fumée (indice d’un feu), l’ombre (portée), la poussière (dépôt du temps), la cicatrice (marque d’une blessure), le sperme (résidu de la jouissance), les ruines (vestiges de ce qui a été là), etc. Tant qu’à rester dans la catégorie des index, peut-être qu’un des processus les plus proches de la photographie (une de ses meilleures métaphores ?) serait le bronzage des corps, cette exposition de la peau (surface au moins aussi sensible que l’émulsion : affaire de pellicule) à l’action des rayons solaires qui viennent y déposer leur douloureuse empreinte, rougeoyante puis assombrissante, réservant parfois, à certains endroits de l’anatomie, des zones blanches, vierges, traces en négatif de quelque chose qui a été là et s’est interposé dans l’exposition. »


de sûr au sujet de l’objet, la photographie est le témoin de l’intention d’un sujet imageant, qu’on peut percevoir dans le choix du cadrage, celui de l’objectif et de l’appareil, bref de l’ensemble des données techniques du dispositif de prise de vue. Ajoutons enfin que cette empreinte est redimensionnée par le truchement des appareils optiques qui font converger l’image naturelle vers la surface où la lumière doit être enregistrée et lui confèrent une netteté suffisante. Dans un billet sur son blog L’atelier des icônes, sur la plate-forme Culture Visuelle, André Gunthert contredit la théorie de l’empreinte par le constat que le changement d’échelle est « une transformation radicale » qu’il résume par l’aphorisme suivant : « Je ne pourrai jamais remettre mon pied dans son empreinte photographique. »26 Selon cette approche à laquelle nous nous affilions ici, la photographie n’est pas une empreinte mais une figuration utilisant en partie le processus de l’empreinte et cherchant à se résumer à ce dernier. Ce désir d’y voir une empreinte, d’y croire à la force contagieuse de l’empreinte, porte en lui la dimension d'ouverture de l’image-fente. L’empreinte et l’index sont alors à considérer comme des formulations, des réalisations hallucinatoires, de ce désir d’ouverture et donc de co-présence entre l’objet et son image photographique. A ce titre, ce que Laurie Laufer dit des photographies spirites qu’elle a étudiées dans le cadre de sa réflexion sur le deuil, peut venir ici éclairer cette dimension « illusionnaire » de l’ouverture de la photographie : « Même si les contours sont visibles, même si la fabrication de cette « super-illusion » ne trompe personne, il s’agit de la produire afin de tenter un nouage entre l’imaginaire, le symbolique et le réel qui donne au sujet un site vivable, habitable. C’est parfois la production d’une surface qui serait, selon le terme de Ferenczi, « illusionnaire», une fabrique d’illusions, et non pas illusoire qui maintiendrait le sujet au bord du gouffre mélancolique. Ces surfaces « illusionnaires » abritent une profondeur chaotique. Sans ces fabriques de suppléance, tout le corps serait entraîné dans l’abîme de la douleur. Ces surfaces « illusionnaires » permettraient de survivre et de vivre donc. »27 La force qui pousse ainsi à croire en cette ouverture de l’image, en cette magie de l’empreinte, serait alors à mettre en rapport avec les nécessités d’un deuil de l’objet qu’il s’agirait alors de réparer tout en le perdant. L’index et le doute qui le hante seraient en 26

André Gunthert, « Au revoir Monsieur Peirce », article publié le 12 février 2012 sur son blog L’atelier des icônes (http://culturevisuelle.org/icones/2313). 27 Laurie Laufer, « Au risque des images » in L’esprit du temps, Topique n° 107, février 2009, p. 137.


quelque sorte l’expression théorique de ce désir d’adhérence de l’image à son origine ; un maintien de l’objet dans une surface « illusionnaire », propre à permettre le jeu entre l’absence réelle et la présence psychique, accréditée par le maintien de l’apparence, comme dans une forme d’embaumement. C’est avec ces réserves et dans la perspective de la compréhension d’un désir de présence lié au deuil de la mère et à ses conditions, qu’il faut aborder le « ça a été » que Barthes situe comme noème de la photographie ; il n’est plus à interpréter comme un critère objectif de la vérité de l’image photographique mais plutôt comme la formulation condensée du savoir photographique qui accompagne tout regard sur une photographie. Quelque chose s’est effectivement tenu devant l’objectif, mais cela ne peut rester qu’à l’état d’un « ça » indéterminé ; était-ce l’objet lui-même ou seulement son apparence ? Ou encore le « ça » du désir du sujet regardant ? Pour un connaisseur de la terminologie freudienne tel que Barthes, l’emploi du mot « ça » ne peut être exempt d’un contenu pulsionnel. « ça a été » peut tout à fait vouloir dire, ainsi, « un désir de présence a été ». Mais ce qui est sûr, c’est que le référent de ce « ça » reste obscur ; le procédé photographique ne peut rien affirmer de plus. Au fond, nous pourrions reformuler le noème établit par Roland Barthes en disant que la photographie n’est qu’un faible « … a été vu » ou, pour reprendre l’expression de Patrick Peccatte un « « ça a été » visualisé »28. Incidemment, il peut être intéressant pour notre approche de chercher à comprendre ce que cette indicialité révèle du régime de croyance en l’image photographique puis cinématographique qu’elle instaure. Régime de croyance qui est au départ de la « dramaturgie du réel » chez Kieślowski et qui ne cessera d’être interrogé au fil de son œuvre à travers la figure de l’image-fente. Bien qu’il puisse convenir pour comprendre un désir d’ouverture de passage et d’origine apparu avec la finestra elle-même, et présent dans la peinture, et notamment dans la peinture baroque, le terme d’image-fente que nous avons donné à sa manière d’interroger l’image filmique, trouve sa profondeur et sa plénitude dans l’avènement du photographique, qui a posé comme réelle l’ouverture, la transparence aérienne du support des images, en s’appuyant notamment sur l’absence d’intervention de la main humaine dans l’aire de l’image elle-même. Nous avons vu au début de ce travail que c’est en réalité sur le cadre et dans l’opération de cadrage, que cette dernière s’est repliée pour faire l’image 28

Je reprends l’expression à Patrick Peccatte qui l’a utilisée dans son article intitulé « « ça a été » (visualisé) » sur son blog Déjà vu présent sur la plate-forme Culture Visuelle. (http://culturevisuelle.org/dejavu/1102)


photographique, cependant, à ne considérer que le plan de la surface où apparaît l’image, la fabrication de la ressemblance semble bien acheiropoïète. Chez Bazin, comme chez Krauss ou chez Barthes, l’image photographique est une véritable empreinte, elle se fait elle-même sans l’intervention de l’homme et c’est ce point précis de sa genèse qui lui confère l’essentiel de son objectivité et de sa crédibilité. L’image photographique est ainsi une image acheiropoïète et ce n’est pas par hasard si c’est le SaintSuaire de Turin que Bazin, fervent catholique, a choisi pour illustrer son article sur l’ontologie photographique29. Bazin dit ainsi à plusieurs reprises que c’est l’automaticité de la fabrication de l’image qui lui donne sa crédibilité : « Un doute subsistait sur l’image à cause de la présence de l’homme. Aussi bien le phénomène essentiel dans le passage de la peinture baroque à la photographie ne réside-t-il pas dans le simple perfectionnement matériel (la photographie restera longtemps inférieure à la peinture dans l’imitation des couleurs), mais dans un fait psychologique : la satisfaction complète de notre appétit d’illusion par une reproduction mécanique dont l’homme est exclu. »30 Il ajoute plus loin : « Pour la première fois, entre l’objet initial et sa représentation, rien ne s’interpose qu’un autre objet. Pour la première fois, une image du monde extérieur se forme automatiquement sans intervention créatrice de l’homme, selon un déterminisme rigoureux. »31 Enfin, il insiste sur ce point : « Tous les arts sont fondés sur la présence de l’homme ; dans la seule photographie nous jouissons de son absence. »32 La page suivante de son article est occupée par une photographie du Saint-Suaire de Turin, à côté de laquelle (ou duquel) il écrit encore : « Le dessin le plus fidèle peut nous donner plus de renseignements sur le modèle, il ne possèdera jamais, en dépit de notre esprit critique, le pouvoir irrationnel de la photographie qui emporte notre croyance. »33 Rosalind Krauss, elle, mobilise le readymade de Duchamp, dont nous avons déjà évoqué la proximité pragmatique avec l’acte de cadrage pour donner une métaphore de l’acte photographique, puisque « c’est Duchamp qui établit le premier la connexion entre l’index

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Remarque faite par André Gunthert lors d’une séance de son séminaire de l’EHESS ; Mythes, images, monstres, sur la théorie de l’enregistrement, le 2 février 2012 à l’INHA. 30 André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ? op. cit. p. 14. 31 Ibidem, p. 15. 32 Idem. 33 André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ? op. cit. p.16.


(comme espèce de signe) et la photographie. »34 S’appuyant sur sa collaboration avec Man Ray, qui a selon elle formulé par le Rayographe et à travers ses photogrammes, l’essence même de la photographie, Rosalind Krauss affirme ainsi la valeur d’empreinte de la phootgraphie : « Les Rayographes (ou comme on les appelle plus généralement les photogrammes) sont réalisés en plaçant des objets sur du papier sensible, en exposant l’ensemble à la lumière et en développant le résultat. L’image créée est celle de traces fantomatiques d’objets disparus ; elles ont l’air d’empreintes de pas sur le sable ou de marques laissées dans la poussière. Mais le photogramme ne fait que pousser à la limite ou rendre explicite ce qui est vrai de toute photographie. »35 Nous ne reviendrons pas sur ce qui distingue la photographie de ce type d’empreinte à la même échelle36, mais cette empreinte par contact réel qu’elle mobilise et qui n’est pas tout à fait comparable, par sa forme de contact, au procédé photographique, devient pour elle le paradigme même de l’index photographique, substituant ici, encore, une corporéité présente avec ses spécificités formelles, son contour, son apparence (l’objet déposé sur le papier sensible) à un flux de lumière qu’il convient de distinguer de l’apparence elle-même. Elle évoque ensuite « le caractère absolu de cette genèse physique, une genèse qui semble court-circuiter ou refuser les processus de schématisation ou de médiation symbolique qui opèrent dans les représentations graphiques de la plupart des peintures.»37 Passant de la présence à la genèse physique automatique de la photographie, elle établit ainsi l’absence de travail humain de symbolisation (et donc de signification) dans toute photographie. Puisque l’homme ne fait pas l’objet représenté, celui-ci est donc forcément authentique, tel qu’en luimême il paraît, et c’est d’ailleurs à cet endroit de son raisonnement qu’elle cite André Bazin sur l’ontogenèse de l’image photographique. Elle passe alors facilement au readymade qu’elle associe à la photographie dans son processus génétique. « Le parallèle entre la photographie et le readymade est renforcé par le processus de production de celui-ci. Il s’agit chaque fois de transposer physiquement un objet hors du continuum de la réalité jusqu’à répondre aux conditions précises dont relève l’image artistique – et cela par isolation ou sélection. »38 Si l’on a montré plus haut que l’on peut être d’accord avec cette idée que l’isolation et la sélection de l’objet sont des traits communs à la 34

Rosalind Krauss, « Notes sur l'index » in L'Originalité de l'avant-garde et autres mythes modernistes, op. cit. p. 67. 35 Ibidem, p. 69. 36 Voir plus haut le troisième argument d’André Gunthert. 37 Rosalind Krauss, ibidem, p. 71. 38 Ibidem, p. 74.


photographie et au readymade, il faut cependant souligner que l’opération n’est pas la même dans la mesure où le readymade est un prélèvement physique qui assigne à l’objet lui-même le rôle de se représenter, alors que la photographie est une restitution de l’apparence et non comme André Bazin et à sa suite Rosalind Krauss, le laissent entendre, du « modèle » luimême ni une transposition physique. L’erreur est ici de croire que la particularité du readymade d’être à la fois l’objet et sa propre représentation, son signe, établi par le contexte de son exposition vaut aussi pour la photographie, en vertu d’une analogie résidant dans l’acte de prélèvement de l’apparence. Simplement dans le cas du readymade, le prélèvement de l’apparence s’effectue par un prélèvement de l’objet lui-même, alors que dans la photographie, et c’est sa particularité, l’apparence est décollée de l’objet, qui lui, est laissé à son mutisme dans le continuum de la réalité. C’est d’ailleurs ce que souligne Catherine Perret dans un article sur la question : « le readymade constitue une manière pour Duchamp de s’interroger sur l’image photographique. Elle indique qu’il y a quelque chose de commun entre cette fiction qui hante la photographie sous la forme du décollement entre fonction indicielle et fonction iconique et ce qui « fait marcher » le readymade dont l’authentification est par ailleurs rendue problématique par son statut même d’objet reproduit en série, de telle sorte qu’il se donne à la fois comme cet objet ou ce readymade-ci et l’icône de cet objet : un readymade. »39 A la lumière de cette remarque, il apparaît que ce que la théorie de l’index cherche à établir pour se constituer en paradigme esthétique contemporain à partir du modèle photographique, c’est une équivalence entre l’apparence et la présence de l’objet, en recollant, à travers la notion d’empreinte, la dimension iconique (l’apparence mimétique de l’objet visà-vis de lui-même) et la dimension indicielle (cette empreinte lumineuse qu’est la photographie). Une totale fusion de la lumière reflétée et de l’apparence, formes et couleurs de l’objet, amène ainsi à voir un contact entre l’objet, devenu corps matériel dans la lumière qu’il reflète, et son image, considérée alors comme son empreinte « physique ». Or, comme nous l’avons montré, ce contact n’a pas vraiment lieu. On retrouve cette conception de l’empreinte acheiropoïète où l’apparence et sa supposée matérialité lumineuse se confondent chez Roland Barthes dans ce passage fameux de La chambre claire : « On dit souvent que ce sont les peintres qui ont inventé la Photographie (en lui transmettant le cadrage, la perspective albertinienne et l’optique de la 39

Catherine Perret, « Migrations de l’image : l’expositif » in Effets de cadre. De la limite en art, Saint Denis, PUV, 2003, p. 60.


camera obscura). Je dis : non, ce sont les chimistes. Car le noème « ça a été » n’a été possible que du jour où une circonstance scientifique (la découverte de la sensibilité à la lumière des halogénures d’argent) a permis de capter et d’imprimer directement les rayons lumineux émis par un objet diversement éclairé. La photo est littéralement une émanation du référent. »40 Et cette émanation se matérialise en véritable corps de l’apparence susceptible de s’imprimer sur la surface sensible. C’est d’ailleurs juste après cette remarque qu’il parle du « lien ombilical », c’est-à-dire organique et d’une peau partagée avec celui ou celle qui a été photographié. Et c’est à peine plus loin qu’il mobilise lui aussi le suaire de Turin au moment où il évoque l’étonnement qui est le sien devant la certitude que ce qu’il voit a bien été : « Peut-être cet étonnement, cet entêtement, plonge-t-il dans la substance religieuse dont je suis pétri ; rien à faire : la Photographie a quelque chose à voir avec la résurrection : ne peut-on dire d’elle ce que disaient les Byzantins de l’image du Christ dont le Suaire de Turin est imprégné, à savoir qu’elle n’était pas faite de main d’homme, acheïropoïétos ? »41 Il est intéressant par ailleurs de voir que l’ « émanation » dont il est question pour expliquer la valeur d’empreinte de l’image photographique renvoie dans son opération à une sorte de sudation qui est comme l’émanation, une exhalaison magique, de substance ressemblante hors du corps. Le suaire de Turin pour sa part est un linceul et non un sudarium comme la Véronique, cette appellation générique appliquée à toutes les images acheiropoïètes du Christ renvoie à ce processus d’émanation/sudation par lequel l’image se forme naturellement sur une surface au contact de laquelle elle est placée. Bien que conscientisée et souvent nuancée par ces évocations distanciées de la religion et de sa propre culture visuelle catholique (alors qu’il était d’origine protestante) la certitude du « ça a été » demeure un acte de foi qui s’appuie sur son savoir photographique, sur son expérience psychologique de la photographie de sa mère récemment décédée. Chez ces trois auteurs, la crédibilité de l’image photographique est une affaire de croyance qui s’appuie sur cette notion d’image « non faite de main d’homme » (acheiropïetos) introduite par Saint Paul pour distinguer les idoles des images du Christ et du Christ lui-même en tant qu’image de Dieu comme le rappelle Hans Belting : « Dans la théologie paulinienne, le qualificatif se rapporte au corps transfiguré. Les images qui se prétendaient de ce type revendiquaient certains privilèges du corps et faisaient des miracles comme des thaumaturges

40 41

Roland Barthes, La chambre claire, op. cit. p. 126. Ibidem. p. 129.


vivants, en laissant une empreinte et en se dupliquant sous forme d’images. »42 Nous ne sommes pas loin ici d’une définition de la photographie qui tire son aura du supposé contact initial entre le modèle et son image, et ceci même à travers sa reproduction mécanique comme l’a montré George Didi-Huberman, amendant la formule benjaminienne sur la perte de l’aura, dans La ressemblance par contact où il conclut ainsi son chapitre sur les formes auratiques d’images par contact : « La puissance de réversibilité que l’empreinte offre à l’institution chrétienne de l’image permet aussi – on ne s’en étonnera pas, (…) la coexistence d’un fantasme de la présence unique, qu’authentifie le contact, et d’un fantasme de la présence disséminée, capable de dispenser partout son pouvoir. Celui-ci est donc rendu possible par le « tirage » - épreuve elle-même tactile – d’une « copie efficace », ni appauvrie ni falsifiée, où se manifeste la transmission, la procession légitime de l’origine. »43 La réversibilité négatif-positif partagée par l’empreinte physique et la photographie, constitue une caractéristique fondamentale de l’empreinte et confèrerait donc aux tirages leur valeur « ombilicale », dans une chaine de formes et de contre-formes reliées entre elles par une suite de contacts. Mais si cet aspect de l’image acheiropoïète éclaire l’aura de la photographie fondée sur ce savoir photographique et le lien à l’origine de l’image, sur lequel nous reviendrons plus loin, il ne concerne pas directement le processus de formation de l’empreinte initiale qui devrait se fonder sur une fusion entre la matière de l’apparence et la substance charnelle du corps du Christ. A ce sujet, Hans Belting précise : « Si le Christ lui-même était l’image de Dieu « non faite de main d’homme », on ne pouvait cependant transposer sans autre forme de procès un tel concept aux images du Christ, qui étaient des artefacts sans vie et incapables de donner une idée de sa relation à Dieu. Mais ce terme « non fait de main d’homme », manifestement inventé par Saint Paul en personne, mérite qu’on l’examine plus attentivement. Non seulement il porte une attaque latérale contre les idoles dans lesquelles les païens cherchaient à incarner leurs dieux et auxquelles l’apôtre oppose le vrai corps du Christ, mais ce terme, Paul l’applique en outre exclusivement au corps transfiguré dans lequel le Christ est apparu après sa résurrection, en le soustrayant ainsi à toute comparaison possible avec d’autres corps et même avec la mort. »44 C’est alors le corps de Gloire qui est ici en jeu, le corps spirituel du Christ, celui qu’il soustrait au désir de contact de Marie-Madeleine mais qui s’offre en tant 42

Hans Belting, La vraie image, Paris, (Le temps des images), Gallimard, 2007, p. 97. George Didi-Huberman, La ressemblance par contact, Paris, Éditions de Minuit, 2008, p 90. 44 Hans Belting, La vraie image, op. cit. p. 99. 43


que fente à l’index de Saint Thomas qui prend cette apparition pour une hallucination. Un corps de lumière en somme, un corps ressuscité qui ne fait qu’« apparaître » à ceux qui le voient et ne peuvent que le croire, il est l’apparence faite corps dont les suaires, la Véronique ou le Mandylion sont les empreintes. Un corps de lumière où tout de même, l’œil de Saint Thomas peut plonger l’index (sous l’effet de la pulsion haptique) qui le hante. Ainsi, ce qui rapproche ces trois penseurs de l’indicialité photographique, c’est que l’idée centrale de leur adhésion au principe de l’Index et donc, selon notre approche, à l’ouverture réelle de la finestra permettant cette « continuité de matière entre les choses et les images », repose sur une confusion initiale entre la lumière (Index) et l’apparence (icône), ou plus exactement sur une croyance selon laquelle la matière lumineuse que reflète un objet correspond ontologiquement à son apparence, la constitue et donc « émane » directement de lui plus qu’elle ne rebondit sur lui et le dévoile au passage. L’apparence prendrait ainsi corps dans les photons de la lumière qui la dévoile, ce qui lui permettrait de venir former physiquement une empreinte qui s’inscrirait alors dans la longue tradition des images par contact et en vertu d’un processus d’émanation ou de sudation, de l’imago romaine au Suaire de Turin en passant par la Véronique… L’apparence serait efficace en elle-même, elle possèderait un corps matériel susceptible de laisser son empreinte. Nous ne sommes pas loin ici d’une incarnation de l’image qui n’est pas sans rappeler le discours paulinien sur le corps du Christ. En considérant que la lumière renvoyée par l’objet porte la forme en elle et que conjointement l’apparence s’y matérialise, l’Index de Rosalind Krauss ressemble étrangement à l’index que Saint Thomas enfonce dans la fente de la plaie du Christ dans la célèbre toile du Caravage.


Figure 178 : Le Caravage, l’incrédulité de Saint Thomas (1601) Huile sur toile (107 cm x 146 cm) Postdam, Palais du Sans Souci.

La théorie de l’Index est ici formulée dans son essence même comme le fruit de la quête d’une vérité de l’image, un effort pour retrouver la puissance ontologique de l’image acheiropoïète aux temps de la science. En enfonçant son index dans la fente au côté du Christ, Saint Thomas, substituant son index à son œil dans un mouvement haptique du regard, cherche à retrouver l’origine de l’image, le corps humain du Christ, et à répondre ainsi à la question de la corporéité de l’apparence. Son index signe la présence de ce corps ressuscité, non seulement par un contact mais par une entrée dans le corps de son apparence, par une vérification de la présence du corps sous le « vêtement » de l’apparence. La fente équivalente, placée à la même auteur sur son vêtement au niveau de l’épaule de Saint Thomas pourrait bien être une formulation de ce décollement entre présence et apparence, entre indicialitité et iconicité, fente entre le corps et son vêtement de visibilité, par où le doute s’est immiscé. Qu’une fente soit l’accès à l’origine de l’apparence qu’est la présence réelle du corps est un élément très intéressant dans l’élaboration du concept heuristique de l’image-fente, que nous essayons ici de mener. La fente se présente sur le corps du Christ, qui est dans la conception paulinienne une image de Dieu, comme une ouverture, un passage et une origine.

Ouverture. Dans les évangiles, la plaie au côté du Christ peut être comprise comme un équivalent de la déchirure du voile qui cache le Saint des Saints dans le Temple de Jérusalem. En effet, dans les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc, Luc) qui relatent le « crucifiement » de Jésus de Nazareth, il est dit que le voile du temple se déchire au moment où Jésus meurt.


« A ce moment, Jésus poussant de nouveau une grande clameur, rend l’esprit. Alors le rideau du temple se déchire en deux, du haut en bas, la terre est ébranlée. Les rochers se fendent, les sépulcres s’entrouvrent, de nombreux corps de ceux qui lui appartiennent endormis ressuscitent et, sortis des tombeaux après la résurrection de Jésus, entrent dans la ville sainte et apparaissent à beaucoup… » (Matthieu 27/50-53) « Alors Jésus, jetant un grand cri, expire. Le voile du temple se déchire du haut jusqu’en bas… » (Marc 15/37-38) « Le voile du sanctuaire se déchire par le milieu et Jésus s’écrie d’une voix forte -

Père, je remets mon esprit entre tes mains.

En prononçant ces paroles, il expire. » (Luc 23/45-48) Ainsi la mort de Jésus est ce qui rend visible ce qui était précédemment caché aux juifs ; la présence de Dieu sur terre, le Saint des Saints. C’est en mourant sur la croix que Jésus devient le Christ, et que son corps supplicié devient une image, un cadavre, c’est-à-dire une absence rendue présente. Hans Belting écrit ainsi dans “l’image et la mort”, cinquième chapitre de son recueil Pour une anthropologie des images : “A l’instant de la mort, le cadavre s’est transformé pour sa part en image figée qui ne fait plus que ressembler au corps vivant. Aussi Blanchot écrit-il que “le cadavre est sa propre image”. Il n’est plus un corps, il n’en est qu’une image. Personne ne peut se ressembler, sinon en image ou en tant que cadavre.” 45 La représentation de ce moment de cadavérisation du Christ deviendra progressivement l’image emblématique du christianisme avant d’en constituer le signe même, par métonymie. C’est le corps mourant ou mort du Christ qui deviendra l’image même de sa divinité dans le regard du croyant, les images qui le montrent sur la croix doublent par leur travail de figuration celui de la mort elle-même qui le fait image, elle aussi, au moment où il prend paradoxalement sa dimension divine en allant au terme de la kénose. La glorification vient de cette humiliation dans la mort. Cette apparition du divin sur terre correspond précisément à l’ouverture du regard sur le divin que constitue la déchirure du voile du Temple. Et du même coup, la qualité de masque qui manifeste la présence sans la montrer, qui caractérisait le voile du temple séparant le seul lieu où Dieu se tenait sur terre du monde des hommes, est transféré au corps du Christ 45

Hans Belting, Pour une anthropologie des images, Paris, (Le temps des images), Gallimard, 2004, p. 185-186.


supplicié. En mourant sur la croix, Jésus réconcilie les hommes avec Dieu, le voile se déchire donc, et son corps-image devient une ouverture entre les deux mondes (le visible et l’invisible). On peut ainsi aller plus loin et voir dans le corps du Christ, une nouvelle formulation du voile du temple, mais d’un voile déchiré, un voile qui indique mais n’empêche pas de voir. Dans l’évangile de Jean où il n’y a pas de référence au voile du Temple, c’est directement son corps qui est percé (déchiré) par la lance d’un légionnaire (Longin) qui veut vérifier sa mort46, et fait ainsi jaillir son sang mélangé à de l’eau, et c’est justement en plongeant sa main dans cette plaie (déchirure) que Thomas va croire en la résurrection de Jésus, et va donc accéder au Saint des Saints, à la présence de Dieu sur terre. (Jean 20/27-28). Dans l’épître aux hébreux attribué à un disciple de St Paul, le voile est directement comparé à sa chair ; « Ainsi donc frères puisque nous avons maintenant assurance d’accéder au sanctuaire, par la vertu du sang de Jésus, nous avons là à travers le voile qui le cachait – c’est à dire sa chair- une nouvelle voie, une route de vie… » Hébreux, 10/20. Ainsi son corps crucifié se substitue au voile du temple, en mourant il se déchire et déchire le voile, se déchirant, il révèle et donne accès, il dévoile… C’est un corps ouvert… et la fente à son côté droit prend toute sa puissance d’ouverture. Passage. Cette fente au côté droit est le lieu d’un double passage. D’une part celui d’un fluide hybride, fait de sang et d’eau salvatrice, par où l’eucharistie et le baptême arrivent sur la terre, dans le monde des humains. La fente est liée au passage des fluides et à l’écoulement, au reume, qui caractérise si bien la texture de l’image filmique. Elle est donc d’abord liée à l’oralité de l’eucharistie qui est littéralement une façon de manger l’image, manger le corps-image en vertu du processus de la transsubstantiation. Mais c’est aussi le lieu de passage de l’index de Saint Thomas qui vient dans un second temps vérifier la corporéité de l’apparition, la matérialité de l’apparence. Voici comment l’évangile de Saint Jean relate l’événement : « Thomas, appelé Didyme, l'un des douze, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint. Les autres disciples lui dirent donc : Nous avons vu le Seigneur. Mais il leur dit : Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point. Huit jours après, les disciples de Jésus étaient de nouveau dans la maison, et Thomas se trouvait avec eux. Jésus vint, les portes étant fermées, se présenta au milieu d'eux, et dit : La paix soit avec vous ! Puis il dit à Thomas : Avance ici ton doigt, et regarde mes mains ; avance aussi ta main, et mets-la dans 46

C’est par cette même fente que Saint Thomas viendra vérifier le contraire ; la vie de l’image.


mon côté ; et ne sois pas incrédule, mais crois. Thomas lui répondit : Mon Seigneur et mon Dieu ! Jésus lui dit : Parce que tu m'as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu, et qui ont cru ! » (Jean 20, 24-29). Il est remarquable que dans les propos de Jésus, voir soit l’équivalent de toucher pour vérifier la présence, que voir soit donc un moyen de vérifier la présence, éliminant définitivement tout doute concernant les apparences, le Christ établit une équivalence très intéressante entre voir et attester la présence. C’est ce glissement du toucher au voir, donc du voir comme contact certificateur, qui sera repris dans la théorie de l’Index (qui porte bien son nom). Cette vue présentée comme « directe » qu’offre la photographie tient sa valeur d’authenticité de cet index que l’œil du spectateur passe au travers de son cadre pour aller toucher « directement », transparence du support oblige, l’objet représenté. Nous l’avons vu plus haut, la transparence du support photographique devient une ouverture réelle, permettant un contact dans l’image-fente. Origine. En enfonçant son index dans la fente au côté du Christ, Saint Thomas cherche à mettre l’apparence en relation avec son origine, le corps. La fente est ainsi le chemin naturel vers l’origine, comme nous le verrons plus loin, elle donne forme à l’origine. Ici, elle se présente comme une déchirure sur la surface par où l’œil-doigt, l’œil tactile de la pulsion haptique, peut pénétrer le corps de l’image à la rencontre de son origine même, puisqu’en tant qu’image et en tant que corps, le cadavre est un readymade. En tant qu’ouverture réelle permettant un passage pour le regard vers l’intérieur d’un corps, la fente, transposée dans le corps de l’image filmique, est ce qui permet théoriquement au savoir photographique sur lequel elle s’appuie dans le champ du documentaire et de son esthétique naturaliste, d’établir ce lien « ombilical » entre le regard et l’objet. L’image-fente nous permet de comprendre le chemin que parcourt le regard pour emprunter l’ouverture dans un passage vers l’origine, à savoir le réel qu’il croit rencontrer dans la photographie. Ce parcours, Kieślowski l’a fait dans un de ses projets documentaires, le seul où il apparaisse personnellement, menant une enquête filmée. En effet, dans un court-métrage documentaire datant de 1968, Kieślowski, est filmé, en caméra portée et apparaissant souvent à l’image micro à la main selon les règles du cinéma direct, une enquête qu’il a entreprise à partir d’une photographie célèbre de la seconde guerre mondiale sur laquelle apparaissent deux enfants portant des armes. Le projet du film est de remonter le fil de la fabrication de cette photographie pour aller finalement à la rencontre des deux enfants, âgés de quinze années de plus, suivant d’une certaine manière le chemin du « lien ombilical » entre le sujet regardant qu’il est et les enfants


qu’il va littéralement toucher. Un retour à l’origine. La ressemblance n’a plus d’importance ici, ce qui compte dans cette vérification de l’indicialité, conformément à ce qu’en dit Philippe Dubois, c’est le lien indiciel. Il atteste ainsi l’existence de ces deux jeunes reliant l’image à ses modèles et matérialisant visuellement, dans une enquête dont on suit les différentes étapes, le « ça a été » Barthésien. A la fin du film, un des deux jeunes se souvient de la séance de prises de vue en regardant la photographie, point de départ, origine, du film, sur laquelle le film se clôt. Une double boucle est ainsi bouclée par cette fin, l’une qui va de la photographie à la photographie en passant par un retour au modèle, et l’autre qui va du début de l’enquête au début de l’enquête en passant toujours par la photographie. Il n’est pas anodin de constater que le film s’ouvre et se termine par un plan direct sur la photographie, (travelling) dont les bords sont absents de l’image. Ce type de superposition d’images, d’images d’images sans que la limite du cadre ne viennent avertir l’œil du fait que l’objet filmé n’est qu’une apparence en soi et non le référent lui-même, est assez courant dans l’œuvre de Kieślowski. Nous en avons déjà rencontrés certaines (télévision dans L’amateur, photographie dans Le Décalogue 2 …) ces images d’images nous invitent à deux réflexions. D’une part elles montrent comment la disparition du montant du cadre agit sur notre perception par une naturalisation de l’image filmée qui se substitue naturellement à l’image du film. Ainsi, il n’ y a jamais deux images, l’une étant celle de l’autre, mais bien au contraire une seule, celle de la photographie ou celle de la télévision bien que la couleur bleue et la texture voilée de cette dernière la distingue nettement du reste du film. Il faut attendre la réapparition du bord rigide du cadre pour que les deux couches d’images se décollent et qu’il en existe alors deux distinctes, celle qui est filmée dans celle du film lui-même. D’autre part, cette superposition montre aussi, très exactement, le point limite du processus d’enregistrement de la luminosité des choses, ce que le film montre n’est que l’apparence et non l’objet, or rien au début du plan ne permet de l’identifier. La matière de l’image photographique étant la même que celle de l’image filmique, l’œil ne les distingue pas, et ne peut donc voir qu’il s’agit de photographie filmée. Bien que ce procédé soit moins efficace avec l’image de la télévision, n’en est pas moins similaire dans son effet, l’écran de télé filmé par Filip dans L’amateur ne nous apparaît pas comme un écran filmé mais il est à l’écran du film, et ceci malgré le fait qu’on ait vu précédemment Filip se pencher vers le poste de télévision équipé d’une caméra. En effet, malgré cette ocularisation interne, l’image de télévision devient l’image même du film, elle est montée directement au niveau des autres images du film, étant de même texture. Ce que l’on voit alors c’est un concert de musique classique à travers une transparence déformée et voilée, mais pas un poste de télévision


retransmettant le concert. L’effet est net et correspond à ce que recherche Filip en s’approchant du poste et en cadrant l’écran sans ses marges ; une immersion dans l’illusion d’y être. Le film joue alors de cette illusion de trou permanent et donc de la « continuité de matière » entre le sujet regardant et l’objet regardé.

Le trou dans le visible que nous expose le guichet de Tomek, qui est au cœur de la compréhension de la dimension d’ouverture de l’image-fente, est l’incarnation de cette greffe de réel que le dogme photographique de l’indicialité opère sur les images photographiques. Comme s’il s’agissait du nombril de l’image photographique, il interroge sur ce lien « ombilical » entre notre œil et le réel à travers le procédé photographique, mais nous verrons aussi qu’il en exprime la qualité illusoire. Les guichets sont généralement des lieux de refus et de déception. Après avoir regardé l’image-fente sur ses bords travaillés par la dissolution sous l’effet de ce désir que nous aurons l’occasion de préciser plus loin, il convient donc de regarder son centre, le trou dans le visible, ce point de contact illusoire que Kieślowski a admirablement disposé sous nos yeux dans différents films et dont il a fait le cœur de l’épisode 6. Ce trou dans la surface filmique de l’apparence des choses, ce trou pour la bouche et la main, c’est le dispositif visuel du guichet d’administration qui le lui a fourni, dès son premier film documentaire de fin d’études à l’école de Lodz. Nous commencerons par prendre la mesure de ce qu’implique ce dispositif du guichet exploité à plusieurs reprises par Kieślowski dans son œuvre et particulièrement développé dans Le Décalogue 6 et Brève histoire d’amour, que nous considérerons comme la matrice structurale de l’image-fente, nous poursuivrons ensuite par l’analyse de l’iris dans Le Décalogue 5 et sa version cinématographique Tu ne tueras point.


b) Le trou du guichet dans Le Décalogue 6 ou la greffe de réel (Voir extrait 10)

Figures 179 et 180 : Le Décalogue 6 (00 :15 et 00 :20)

Au début du Décalogue 6, un plan panoramique nous offre une occasion remarquable d’appréhender visuellement ce trou supposé qui, dans l’image filmique, se présente comme la promesse d’une rencontre réelle avec l’objet, qui restera à jamais ajournée. Magda, reprise cinématographique de Marie-Madeleine dans cet épisode où il est question de voir et de toucher, est vue de profil (Figure 179) et semble s’impatienter en agitant une feuille qui ressemble à un avis de mandat postal. Elle fait un pas en avant, vers la gauche de l’écran et nous découvrons alors, à l’occasion d’un léger panoramique qui la suit, un trou, dans l’air, à la hauteur de son regard (Figure 180). Ce trou rond nous révèle qu’elle est derrière une vitre que nous identifions vite comme étant celle d’un guichet. De l’apparition de ce cercle constitué de vide au cœur de la fenêtre supposée « ouverte » de l’image filmique, naît ainsi un plein, concomitant, celui de l’épaisseur transparente et invisible de la surface vitrée qui sépare l’espace administratif du guichet (côté du spectateur) de l’espace public du bureau de poste (champ de la représentation). Ce dispositif du guichet se superpose alors à celui du film et nous en révèle ainsi des potentialités. Cette vitre rappelle au regard du spectateur, encore sur le seuil de cette fiction, que ce qu’il verra sera vu à travers la surface plane et transparente du support de l’image filmique, surface qu’on appelle écran, c’est-à-dire une aire de projection et de protection. Ce qui avait valeur de « réel » directement perçu est ainsi mis à distance, « placé derrière », présenté comme séparé de l’œil du spectateur par l’épaisseur de l’écran (vitre). Mais dans le même temps, le trou visible, l’absence locale et circulaire de cette épaisseur transparente, apparaît


comme une promesse, révélant une virtualité de l’image ; le support est troué, l’écran porte une ouverture, la surface de l’image filmique permet un échange47. C’est la matière même de ce trou, sa texture pour l’œil, comme promesse d’une présence ou d’un contact « réels » avec un élément dont le statut reste à déterminer, qui constitue un objet de réflexion très intéressant pour essayer de comprendre comment l’imagefente met en jeu la relation de l’œil à l’image de film, dans sa quête d’un contact, sans cesse ajourné, avec le réel, c’est-à-dire avec la présence matérielle de l’objet représenté. Présence de l’objet que l’image filmique porte en elle tout en le masquant, en le recouvrant de son apparence. (fonction de l’écran) Ainsi, avec l’apparition de ce trou, l’image purement transparente du film, qui était censée nous montrer directement le réel re-connu comme fictif (mais matériellement existant ; le bureau de poste n’est pas un décor virtuel, mais il était devenu un signe en étant filmé), selon une combinaison du principe perspectif de l’ouverture de la finestra albertienne, et du procédé photographique selon lequel la fenêtre est réellement ouverte, se mue en une image, toujours transparente, mais dont la surface est réellement trouée, c’est-à-dire ouverte sur le réel directement accessible du lieu de tournage. Alors que le début du plan plaçait l’œil devant une ouverture virtuelle donnant sur un réel « cinématographique » conventionnel, purement virtuel (c’est-à-dire ici fictif) où apparaissait Magda (le personnage), la fin du plan et l’apparition du trou situe soudain l’œil devant un lieu plus réel, accessible directement par l’ouverture du trou, un lieu non plus seulement fictif pris dans l’histoire mais le lieu réel du moment du tournage, le « réel » que la fiction recouvre de ses signes, lieu de la présence de la comédienne en chair vivante. Ce sont ainsi les vrais cheveux de Grazina Szapolowska, l’interprète de Magda, qui nous sont accessibles par l’ouverture de ce guichet et non plus simplement ceux du personnage fictif auquel elle prête son apparence. Le trou opère une sorte de déchirure de la texture fictive du film, de sa dimension fantasmatique, pour donner, au cœur même de la fiction, un accès au réel qu’elle masque en le mettant en scène. D’une certaine manière, de la fiction, l’image passe ici au documentaire, déchirant la convention représentationnelle du monde pour aller à la rencontre inédite et surprenante avec un réel fortuit, au hasard de la prise de vue. L’effet de surprise a ici son importance, le trou saisit la conscience du spectateur, mettant en abyme un dispositif visuel, comme ces rideaux que les peintres plaçaient au bord 47

Voir plus bas pour une analyse de la dimension de l’échange et du passage.


de leurs toiles pour mettre en scène l’ouverture virtuelle du support et l’acte de dévoilement qu’opérait l’illusion perspective. Mais cette mise en abyme de l’ouverture du support de l’image filmique, cette sollicitation de la dimension haptique du regard correspond-elle pour autant à une rencontre avec le réel dans l’image ? Ou n’est-elle que sa présence à l’état virtuel ? Kieślowski formule ici la grande interrogation qui traverse et nourrit son œuvre et dont sa carrière emblématique est une expérimentation. Est-il possible de saisir le réel dans l’image filmique ? En d’autres termes, si l’on rapporte la question à ce plan : Les cheveux de la comédienne sont-ils plus réels à la hauteur du trou que lorsqu’ils sont perçus à travers la vitre (artifice conventionnel dévoilé par le trou) du guichet ? Ou encore ; quel est le degré de réalité de la main qui hante le regard ? Le trou de ce guichet se présente comme une greffe de réel (vide, contact, passage) sur ce que nous considérions préalablement comme la réalité virtuelle de la fiction cinématographique. Un surplus de présence et de contact potentiels au cœur de l’illusion conventionnelle, un accès plus direct encore que celui de l’image de fiction aux corps représentés puisqu’il ne s’agit plus de l’espace-temps artificiel du récit mais de l’ici-maintenant de la présence des corps. Une survivance de l’approche documentaire, chère à l’auteur, au cœur de sa fiction. Apparaissant à la surface de l’image, précisément à l’endroit où le regard du spectateur la touche, à l’interface entre les deux espaces, ce trou figure aussi l’ouverture virtuelle du support et témoigne de la capacité de l’image filmique, fondée sur les vertus de la capture photographique du réel, à donner un accès direct à l’espace représenté. Ce que vous voyez existe bien, l’image vous dit que vous pourriez presque le toucher, ou tout au moins vous invite à désirer le faire, à le faire d’une certaine manière, avec le regard. On ne touche qu’avec les yeux ! C’est une reformulation possible de l’avertissement du Christ à Marie-Madeleine, « Noli me tangere », avertissement qui semble avoir constitué le paradigme de cet épisode du Décalogue. En effet, Tomek, le postier-voyeur à la place duquel ce premier plan nous place, habite en face de chez Magda et passe de longs moments à la regarder à travers sa fenêtre, à l’aide d’une lunette d’approche. C’est lui qui la fait venir à son guichet de poste en glissant dans sa boîte aux lettres de faux avis de mandats postaux. Il cherche à se rapprocher d’elle le plus possible sans pour autant vouloir l’atteindre réellement, son regard établit avec elle une sorte


de rapport asymptotique qui se superpose à la tension haptique que le trou instaure au cœur de son dispositif privilégié (guichet) comme au cœur de l’image. Il cherche à la toucher sans contact réel. Ainsi, Tomek emprunte-t-il souvent l’orifice de son guichet pour la toucher du regard comme nous le montre ce plan qui suit immédiatement le premier.

Figure 181 : Le Décalogue 6 (00 :25) (Extrait 10)

Vu en plan semi-subjectif depuis le dos de Magda, Tomek légèrement caché par des reflets, place précisément son regard dans l’ouverture pour dévorer Magda du regard. Le trou se dote alors d’une dimension orale (véritable destination de cet orifice qui est disposé à la hauteur de la bouche pour permettre l’échange verbal entre le guichetier et l’administré) qui formule bien, au passage, la substitution du scopique au verbal dans la relation muette du spectateur fasciné à son objet. La bouche hante l’œil de Tomek au même titre que sa main, mais ce n’est pas une bouche qui parle, c’est une bouche qui « tète » l’écran, pour reprendre l’expression de Murielle Gagnebin48 ; le trou offre à la fois la possibilité d’une succion et d’une caresse virtuelles. Un jour, Magda, excédée par le fait qu’aucun mandat ne l’attend à la poste quand elle y vient, passera sa main à travers l’ouverture du guichet et fera ainsi intrusion dans l’espace de Tomek. Le photogramme ci-dessous nous montre un passage réel d’un espace à l’autre, ce que le regard laisse à l’état virtuel de par son immatérialité, la main de Magda l’accomplit, elle traverse l’écran.

48

Murielle Gagnebin, Authenticité du faux, lectures psychanalytiques, Paris, PUF, p. 29.


Figure 182 : Le Décalogue 6 (18 :29)

Ainsi, contre toute attente, ce n’est pas la main du spectateur qui franchit le seuil de l’aire représentée mais c’est celle de Magda qui fait irruption dans l’espace de Tomek, l’obligeant à sortir de son retrait, et l’amenant plus tard à entrer en contact réel avec elle. L’ayant invité à entrer chez elle, la jeune femme l’incitera à glisser sa main entre ses cuisses, contact réel avec l’origine fantasmatique de son désir qui provoquera instantanément la mort du jeune postier en tant que source invisible de son regard ; il s’enfuira et tentera de se donner la mort en se tranchant les veines des poignets. Ayant survécu à cette mutilation visant à se couper de la possibilité d’un contact (c’est la main de l’œil qui y est attaquée), Tomek reviendra à son guichet mais dira « Je ne vous observe plus » à une Magda perdue parce que devenue elle-même demandeuse de ses regards. L’épisode se conclut sur ce retournement du regard et cet échange des places qui fait du spectateur de film placé du côté de Tomek, l’objet du regard de Magda dans ce regard à la caméra où le rôle du trou dans le guichet comme greffe de réel dans l’image est mis en évidence une fois de plus…

Figure 183 : Le Décalogue 6 (56 :27)


C’est donc un échange virtuel entre l’espace de la représentation et celui du spectateur qui est mis en jeu par l’apparition de ce trou, échange impossible, réellement, mais auquel il est tout de même possible de prêter vie. N’étant pas sûr que cet échange soit une vraie chose, le spectateur n’est pas sûr non plus qu’il ne soit qu’une représentation ; l’espace fictif du film est une réalité virtuelle pour l’œil qui peut y pénétrer dans son regard, devenu corps pour luimême dans un champ immatériel. Si la comédienne n’est pas présente, Magda, elle, l’est pleinement, et son regard, lui aussi est présent, aussi réel que si le trou était un vrai trou. Car le regard est de toute façon visible et invisible, présent et absent en tant que geste immobile, contact sans contact. Ce que le spectateur voit sur le photogramme ci-dessus, c’est le regard de Grazina Szapolowska, invisible et pourtant présent, traversant la surface de l’image et venant le toucher directement à un degré de réalité qui est - pour reprendre la définition que Bergson donne de l’image au début de Matière et mémoire – « une certaine existence qui est plus que ce que l’idéaliste appelle une représentation, mais moins que ce que le réaliste appelle une chose, - une existence située à mi-chemin entre la « chose » et la « représentation »».49 Cette existence à mi-chemin de la matière brute et de son apparence visuelle pourrait être précisément la texture de ce trou, image par excellence, qui manifeste l’existence d’un contact virtuel ; pas un contact représenté, pas un contact réel, mais un contact représenté perçu comme réel. Ou plus exactement, ce trou dévoilerait la nature virtuelle de ce qui fait office de rencontre avec le réel dans l’image filmique. Car s’il y a une chose réelle que ce plan (ainsi que les deux précédents) manifeste, c’est bien la réalité de ce trou, qui, sans apporter plus de visibilité au visage de Grazina Szapolowska, le rend plus proche que le reste de son corps situé derrière la surface vitrée du guichet. C’est au fond cet échange virtuel que le trou rend possible ; comme si le réel nous disait en substance : certes il y a l’écran entre toi et moi, mais au cœur de l’écran, le trou de l’image, sa puissance virtuelle qui nous rapproche... Notons ici que la puissance de cette image dépend essentiellement de la manière dont elle joue de sa nature photographique, du savoir photographique qui l’accompagne. C’est parce que le spectateur est censé savoir que Grazina Szapolowska existe vraiment, ailleurs, et qu’elle s’est réellement tenue devant ce trou50, que l’image filmique de son apparence se dote d’une force particulière qui serait celle d’un contact réel, d’une empreinte conservée. En effet,

49

Henri Bergson in Matière et Mémoire (1896), 7ème édition, (Quadrige) Presses Universitaires de France, 2005, p.1. 50 Il s’agit là du « ça a été » que Roland Barthes détermine comme le noème de la photographie dans La chambre claire que nous avons déjà évoqué.


comme nous l’avons vu plus haut, c’est à partir de la croyance en une entrée réelle de l’apparence lumineuse d’un corps dans la camera obscura, où son empreinte serait conservée par contact, que se constitue l’image du film, selon le procédé photographique et son savoir. Ce serait une ouverture réelle de la fenêtre d’Alberti, qu’incarnerait la photographie, qui laisserait l’objet se peindre lui-même, par contact immatériel mais réel, tout comme celui du regard sur la surface de l’image. Toute la force et la magie du cinématographe, en ses débuts, repose sur ce miracle d’une représentation photographique de la vie en mouvement, qui s’opère sans intervention de la main, une image acheiropoïète donc, et qui reposerait sur la présence et l’entrée spectrale d’un vrai corps (l’apparence lumineuse) dans un espace destiné à l’accueillir. Comme nous l’avons vu dans la première partie, la première image photographique a été prise par Nicéphore Niépce à travers une fenêtre ouverte dans sa maison du Gras à St-Loup-de-Varennes, indiquant au passage, comme dans le rébus d’un rêve, que la photographie naît dans l’ouverture réelle de la fenêtre. La première image photographique est ainsi la représentation d’un « trou », d’une ouverture qui met en abyme le processus qui a mené à sa constitution ; l’entrée supposée réelle d’une apparence dans un espace clos où se tient l’œil.51 Reprenant le même phénomène d’échange entre les espaces, l’ouverture du guichet établit, au cœur de la transparence du support, la possibilité d’une rencontre avec le réel. Mais cette rencontre, mythe fondateur du cinéma documentaire, est caractérisée par l’échec. Car cet échange entre les espaces n’existe que dans l’interprétation que l’œil humain, dirigé par le paradigme culturel de la photographie, fait de cette opération imageante. L’objet n’est pas plus présent dans sa photographie qu’il ne l’est dans son dessin, sa peinture ou même son mot. Nous avons là les termes d’une quête du réel dans l’image et d’un renoncement qui expliquent peut-être les choix éthiques de Kieślowski. c) Les guichets chez Kieslowski ou la rencontre ajournée Magda vient ici demander quelque chose qu’elle n’obtiendra pas -nous ignorons quoià l’autorité du côté de laquelle ce plan nous place, du côté du guichetier, donc, de celui à qui revient le pouvoir de refuser ou d’accepter, c’est-à-dire d’agir et de donner corps au désir de Magda. Or ce désir d’obtenir un objet n’est jamais satisfait, le guichet et son trou n’offrent que des promesses non tenues.

51

A l’origine les premières plaques enduites de bitume de Judée s’appelaient des rétines.


On peut alors se demander quelle importance accorder au fait que ce soit un guichet qui serve de dispositif visuel à la prise de conscience que provoque ce trou au cœur de l’image. Car pour le spectateur aussi, ce trou et ce guichet sont des promesses dont il sait qu’elles ne seront pas tenues mais auxquelles, tout de même, il se plaît à croire. D’une certaine manière, le dispositif du guichet est une figuration de la relation du spectateur à l’image filmique, il exprime la demande de rencontre à jamais ajournée avec la présence réelle de l’objet dans son image. Demande sur laquelle repose en partie l’édifice du cinématographe. Kieślowski mènerait là une réflexion imagée sur la demande du spectateur, comparant l’écran à une sorte de guichet du réel suscitant un espoir qu’il serait incapable de satisfaire vraiment, à l’image de la plupart des guichets qui apparaissent dans ses films. En effet, à y regarder de près, l’œuvre de Kieślowski est parcourue de nombreux guichets qui sont autant de lieux de déception et de rencontre ratée pour les personnes (documentaires) ou les personnages (fictions) qui s’y affrontent. Dès ses débuts à l’école de cinéma de Łodz, Krzyzstof Kieślowski a utilisé le guichet comme dispositif visuel. Son second film d’étudiant porte même entièrement sur ce qui se passe autour d’un guichet ; Urzad, le bureau (1966) présentait des bribes d’échanges verbaux enregistrés des deux côtés d’un guichet de l’administration chargée de distribuer les pensions de retraite sur des images des administrés attendant une réponse, faisant la queue... Filmé de part et d’autre du guichet, le film reprenait assez précisément la séparation en deux espaces qu’on peut observer au début du Décalogue 6. Comme nous le montrent les deux photogrammes suivants :

Figures 184 et 185 : Le guichet (00 :47 et 00 :51)


La disjonction opérée par le jeune cinéaste entre le son et l’image, correspondait à la séparation complète qu’instaurait le guichet entre les administrés et l’administration à laquelle ils s’adressaient, le visuel et le verbal ne se rencontraient pas, comme on pourra le voir dans certains de ses films52, et laissaient apparaître une faille, un hiatus, que les échecs des différentes demandes venaient visualiser. La paroi vitrée du guichet, étroite entre deux montants larges de bois blanc, matérialisait cette séparation tandis que le trou, déjà présent, établissait une intimité avec la peau, avec le corps des administrés. On ne se comprenait pas autour du guichet, les échanges étaient difficiles et bien souvent, il manquait quelque chose à l’administré pour obtenir ce qu’il demandait, cependant, entre le cinéaste et ses sujets, une relation s’établissait qui cherchait à réduire cette distance imposée par le dispositif, comme s’il s’était agi de percer la paroi pour toucher la vérité des êtres qui offraient leur détresse au regard du guichetier. Ainsi, par ce trou, comme l’écrivent Piesiewicz et Kieślowski dans les récits-scénarios des épisodes du Décalogue, au moment où Tomek, dans Le Décalogue 6, avoue à Magda qu’il l’épie ; « L’incident, d’administratif, devient intime. »53 C’est le trou qui soudain nous amène à cette intimité. Dans ce court-métrage de six minutes, Kieślowski cherchait à saisir l’intimité des demandeurs, leur solitude devant le regard invisible de l’administration, le trou était la manifestation de ce désir de savoir, de toucher le réel de ces existences, et le guichet le lieu de l’échec de cette rencontre, comme nous le montre ce photogramme, qui rappelle (ou plutôt annonce) à bien des égards, celui de la fin du Décalogue 6.

Figure 186 : Le guichet (04 :31)

52

Particulièrement dans Le Décalogue 9 où cette disjonction sert de support à la jalousie de Romek. Voir Olivier Beuvelet : « L’ombre d’une absence, jalousie et jalousies dans Le Décalogue 9 de Krzysztof Kieślowski » in L’affrontement et ses images, Seyssel, Champ Vallon, 2009 p 242-260. 53 Krzysztof Kieślowski et Krzysztof Piesiewicz, Le Décalogue, récits, op. cit. p. 179.


Ainsi, comme cette vieille femme, Magda demande quelque chose, elle regarde de notre côté, à notre gauche, mais sa demande restera lettre morte, comme la nôtre, aucune rencontre n’est encore possible de part et d’autre de ce guichet du réel qu’est l’image du film. Dans Refrain (1972), le guichet occupe encore une fois l’espace du film. Kieślowski y filme la vie d’un bureau des pompes funèbres où des administrés viennent déclarer la mort de leurs proches et effectuer les démarches funéraires. On y voit à l’œuvre le traitement administratif de la mort avec ses formalités et ses phrases types. La caméra de Kieślowski n’exploite pas la frontalité avec la surface du guichet percée d’un trou, cependant, celle-ci apparaît dans un plan latéral où le trou prend une dimension mystérieuse et profonde.

Figure 187 : Refrain (06 :18)

Le trou apparaît ainsi en négatif, de biais si bien qu’il ressemble à une fente oblongue, sur une surface vitrée blanchie par la lumière et qui n’est ainsi pas transparente, il semble se substituer à la tête de l’interlocuteur du guichetier, et surtout, il donne sur un néant. Entièrement tourné vers les membres de l’administration, cette unique vue sur le guichet semble indiquer qu’il n’y a pas d’au-delà du guichet pour le représentant de l’État ; l’autre y est un trou noir malgré les efforts que font les individus pour humaniser le lieu, le dispositif du guichet, extrêmement important dans le contexte d’un État totalitaire, est irrémédiablement le lieu d’une rencontre avec le néant. Deux ans plus tard, dans Premier amour (1974), le guichet apparaît naturellement dans cette nouvelle étape esthétique pour Kieślowski qui poursuit son exploration visuelle des rapports entre les citoyens polonais et leur administration ainsi que celle des possibilités de l’image filmique dans sa quête de vérité.


Figure 188 : Premier amour (04 :45)

Caché assez loin derrière la guichetière, Kieślowski filme la demande réelle de logement formulée par le jeune couple qu’il suit depuis que Jadzia, la jeune fille est enceinte de quatre mois. Délaissant l’administration de la vieillesse et de la mort, il filme ici celle de la vie à travers l’installation d’un très jeune couple. Ils veulent un logement et s’adressent naturellement à l’administration d’État qui s’occupe d’attribuer des logements. Ici encore, le guichet étatique est un lieu d’insatisfaction de la demande qui y est formulée, pressés de s’installer ils souhaitent connaître les moyens d’accélérer la procédure, ce qui leur est présenté comme impossible. L’utilisation cinématographique du guichet ne suit le dispositif le plus souvent utilisé d’une transparence trouée. L’image-fente est ici disposée par l’interposition d’un objet, un meuble avec des tiroirs ouverts, par ailleurs la surface vitrée est elle-même signifiée par un texte en lettres de couleurs. L’échec de la demande ne se dote donc pas d’une dimension scopique de l’ordre de celle que formule le trou dans le guichet de Tomek, mais une anecdote concernant cette demande peut être éclairante pour comprendre comment le cinéma a pu être mis en jeu, en dehors de ses images. Krzysztof Kieślowski raconte dans ses mémoires que ce film lui a permis d’ « accomplir quelque chose d’utile ». En effet constatant à l’occasion de cette séquence très peu mise en scène, que les délais pour obtenir un appartement étaient d’environ cinq ans, il a malicieusement écrit un projet de suite à ce film, centré sur les premières années de l’enfant à naître au moment de la séquence, et en a présenté le texte à la télévision, très puissante en Pologne à cette époque, qui s’est montrée très intéressée. Il a alors suggéré que pour les commodités du projet et pour que le film ait l’air plus optimiste, il serait bon que le jeune couple obtiennent un appartement assez rapidement, ce qui fut fait. « Et la télévision leur trouva un appartement grâce à ses relations haut placées. J’ignore où. Dans la commune, dans


le parti ou à la mairie, peu importe où. L’important, c’est qu’ils ont reçu un appartement quand Ewa avait six mois. Un vrai appartement beau et grand. » 54 Cette expérience périphérique au film lui-même montre bien de manière latérale, sur quel axe le cinéaste s’est finalement procuré cette rencontre avec le réel dans le cinéma. Alors qu’il la cherchait prioritairement dans l’image elle-même, comme en témoigne son questionnement permanent des surfaces réfléchissantes et du médium cinématographique dans sa texture photographique, désireux de libérer l’image de son instrumentalisation propagandiste, c’est surtout au niveau de la relation avec les sujets filmés, sur le registre de la responsabilité, qu’il a saisi le réel et qu’il a pu agir sur lui. Moins dans les images elles-mêmes qu’en agissant à travers leur effet sur les spectateurs, n’échappant pas finalement, à leur instrumentalisation. D’une certaine façon, c’est la projection des images qui touche plus que les images elles-mêmes qui n’échappent pas à leur statut de représentation. Le réel n’est pas dans l’utilisation du dispositif du guichet dont nous voyons qu’il se dérobe toujours à son utilité (illusion du réel dans l’image) mais dans sa manipulation. Dans L’hôpital (1975), le guichet est à peine esquissé dans un plan où l’on peut voir les chirurgiens de l’Hôpital de Varsovie venir chercher leur paie en se courbant devant un guichet hors-champ afin de communiquer la le trou, cette foi-ci placé au bas de la vitre.

Figure 189 : L’hôpital (09 :07)

La séquence est rapide, elle se situe à 17 heures dans le découpage de la journée par tranches horaires qui sert de trame au film. Ici, le guichet satisfait l’attente des médecins qui reçoivent leur rétribution pour leur journée de travail. Remarquons que le guichet est hors-

54

Krzysztof Kieślowski, Le cinéma et moi, op. cit. p. 88.


champ, qu’on ne le voit pas directement et qu’il est signifié par sa fonction de délivrance d’un objet. Mais il n’est pas l’objet d’une demande de la part d’un administré, bien au contraire il répond à une forme d’exigence économique dans une routine où les mots sont inutiles. Le rôle du guichet comme lieu de l’échec d’une rencontre dans l’image cinématographique se retrouve en revanche esquissé dans Le calme (1976), d’une manière qui annonce l’échec de Jacek dans Le Décalogue 5 et Tu ne tueras point.

Figure 190 : Le calme (00 :50 :55)

Antek se rend au cinéma, la caissière lui demande s’il veut une place « devant », il répond « derrière », elle lui demande ensuite « sur le côté ? », il lui répond « au bout »… Le guichet, et à travers lui l’instance omnivoyante qu’il représente de manière allégorique, ignore tout de son interlocuteur parce que précisément, il est soumis au seul visible, aux seules apparences qui elles, demeurent muettes, sans signification. Quand il devance maternellement la demande, le guichet se trompe, tombe à côté, obligeant le sujet à reformuler sa demande. Il rate sa cible, malgré les anneaux des cercles qui visent Antek dans le plan sélectionné, le guichet « tire » à côté de l’être et de son désir. Dans La gare (1980), les guichets sont nombreux. L’intérêt de ce court-métrage documentaire est de mettre le dispositif du guichet en relation avec l’œil invisible de la surveillance vidéo qui prend progressivement le pas sur la caméra du cinéaste au point de s’y substituer dans le montage à la fin55. Filmé depuis le point de vue de l’autorité, mettant en

55

Notons ici que cette substitution se poursuivra au-delà du film lui-même puisque la police saisira les pellicules du film dans les bureaux de la production afin de vérifier si une personne suspecte de crime ne se trouvait à la


scène le regard en retrait que le pouvoir étatique porte sur les voyageurs, La gare superpose le point de vue du guichetier et celui du gardien caché derrière ses écrans de contrôles. Les voyageurs sont filmés à l’improviste, à leur insu, surpris dans leur monde intérieur au milieu de la foule. Le documentariste agissant à l’insu des sujets filmés se trouve ainsi implicitement comparé à ce vigile qui surveille la gare à travers ses écrans et oriente les caméras. Un an après L’amateur (1979), Kieślowski poursuit ainsi sa réflexion critique sur l’image documentaire en explorant cette fois-ci la dimension du pouvoir d’emprise que prend le filmeur sur le filmé. Le guichet établit un rapport de pouvoir entre le guichetier et l’administré, rapport que Kieślowski souligne peut-être en montrant la révérence que font les voyageurs en s’adressant au guichetier. On les voit en effet incliner la tête pour formuler et surtout entendre ce qui leur est dit, puisque le trou se trouve au bas de la vitre, à la hauteur du comptoir.

Figures 191 et 192 : La gare (03 :45 et 04 :37)

Placé de biais sans qu’il sache avec certitude s’il est derrière ou devant le guichet, du côté de l’administré (Figure 191) ou du côté du pouvoir scopique (Figure 192), le spectateur n’est mis en relation avec le dispositif que de manière indirecte, à partir des attitudes des corps et des paroles des voyageurs, ce qui le place en définitive du côté de l’administration, c’est-à-dire du côté du pouvoir. Et, en vertu de la conduction subjective du cadrage, il participe de ce travail de surveillance qui s’insinue dans celui du cinéaste documentariste. Ce n’est donc plus en tant que transparence trouée que le guichet met en jeu allégoriquement et opérativement l’image cinématographique, mais en tant qu’instrument de contrôle des apparences. Loin de promettre une rencontre réelle par la trouée du contact au cœur du visible, le guichet montre la limite du regard aux apparences.

gare, parmi les passants, au moment du tournage, transformant littéralement et au premier degré, par détournement de son usage, le film du réalisateur en surveillance vidéo.


Dans Le hasard (1981), le guichet joue encore un rôle central dans la perspective qui est la nôtre ici. Le Hasard est un film qui propose trois hypothèses à partir d’un même point de départ. A la mort de son père, Witek décide d’interrompre ses études de médecine et de prendre le train à la gare de Łodz. A trois reprises, le même plan, vu du guichet de la gare, est repris et sert de seuil aux trois versions différentes. Dans la première, Witek réussit à attraper son train et rencontre un dirigeant communiste, il entre au parti et y prend du grade. Dans la seconde, il rate son train et percute violemment le chef de gare, ce qui lui vaut de faire de la prison et de rencontrer des militants catholiques auxquels il se lie. Dans la troisième, il rate son train, rentre chez lui et reprend ses études de médecine. A la fin du film, il prend un avion qui explose à son décollage, au moment de l’explosion, il revoit défiler toute sa vie. Il est possible que le film soit une reviviscence de ses vies virtuelles articulées ici à l’acte de prendre un billet « étudiant » pour Varsovie, et de se précipiter pour attraper son train.

Figure 193 : Le hasard (00 :07 :22)

Le guichet se devine ici au trou qui occupe le bas de l’écran, initialement caché par la tête de la guichetière, il finit par être dégagé et servir d’axe, de point de passage, au regard plein d’attente de Witek. Ce trou vient greffer une idée sur la surface de l’image filmique, idée qu’il convient peut-être de comprendre comme étant avant tout l’idée d’une rencontre. La réalité conventionnelle du cinéma, c’est-à-dire le film comme réseau de signifiants, comme répétition, comme habitude, comme automaton, pourrait-on dire, en utilisant les catégories aristotéliciennes empruntées par Lacan dans son Séminaire XI, devient porteuse d’une ouverture, ouverture s’apparentant à la tuchè, au hasard justement, à ce qui ne se prévoit pas. La tuchè, nous dit Lacan lors de la séance de son séminaire du 5 février 1964, est « la rencontre avec le réel »56, mais il ajoute lors de la séance suivante, le 12 février 1964 :

56

Jacques Lacan, Séminaire XI, les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, p. 62.


« la rencontre en tant qu’elle peut être manquée, qu’essentiellement, elle est la rencontre manquée. »57 Ce trou est la manifestation de cette rencontre avec le réel contenu dans son apparence au sein de l’image, dont on comprend vite qu’elle sera essentiellement manquée, ou tout au moins éternellement ajournée. Mais ici, l’échec n’est pas directement dû à un refus de la guichetière, celle-ci satisfait la première demande de Witek, qui s’en va vite avec son billet de train pour Varsovie. L’échec réside plutôt dans le déploiement des trois hypothèses, qui côte à côte constituent ce que Slavoj Zizek appelle des « réalités alternatives » dans son essai Lacrimae Rerum58. Courant derrière son train, Witek bute sur le réel, semble le rencontrer vraiment, au-delà du guichet, lorsque sa main attrape le train. D’autres guichets, dans Le Décalogue notamment, sont des lieux de la déception, de l’échec et de la rencontre impossible. Dans Le Décalogue 5, Jacek s’adresse au guichet d’un cinéma dont il se voit refuser l’entrée. Il erre depuis des heures dans la ville, agité par un regard en mal d’objet, mais la guichetière lui indique qu’il n’ y a pas de film à voir avant l’après midi et que le film qu’il veut voir est « emmerdant ». Elle le renvoie à sa demande de présence visuelle inassouvie et lui indique même la station où il rencontrera le chauffeur de taxi qu’il tuera violemment quelques minutes plus tard. L’échec est ici lourd de conséquence et la rencontre avortée libère une violence qui résidait en puissance chez ce jeune homme dévasté par la perte de sa petite sœur dont il conserve la photographie comme une relique. Le plan qui nous le montre face au guichet et face à une femme qui se regarde et l’ignore, elle s’enlève des cheveux blancs, met en évidence deux éléments intéressants

57 58

Ibidem. p. 65. Slavoj Zizek, Lacrimae rerum, op. cit.


Figure 194 : Le Décalogue 5 (02 :43)

D’une part, l’échange est refusé, la jeune femme ne regarde pas Jacek ni le spectateur que l’image place de son côté – nous ne passerons jamais de l’autre côté de la vitre du guichet- le trou du guichet instaure une relation à sens unique qui enferme le futur tueur et le spectateur dans leur position de témoin invisible, comme dans le photogramme du Décalogue 6 où nous pouvons voir Tomek plonger son œil dans l’orifice pour dévorer Magda du regard alors qu’elle ne le regarde pas. Mais, alors que dans Le Décalogue 6, le spectateur était témoin d’un échange auquel il était étranger, ici, il est renvoyé à sa solitude et à sa condition d’invisibilité. Il n’existe pas pour l’image, celle-ci, au lieu de lui donner l’illusion d’une présence et celle de la possibilité d’un échange, fut-il virtuel, le renvoie à son échec, à l’échec de sa rencontre avec le réel dans l’image, et paradoxalement, le confronte au réel de l’image, comme absence, comme vide, comme trou. C’est ce que nous indique le second aspect intéressant de ce plan. Le trou du guichet se conjugue avec le trou que les bords noirs de l’image de Slawomir Idziak viennent dessiner à même le film. L’utilisation de l’iris établit une analogie entre la surface trouée du guichet et celle de l’écran, superposant un trou sur un trou, l’image filmique se présente ainsi comme un guichet donnant sur un vide. L’image (comme la guichetière) ne nous regarde pas ! C’est précisément cet échec qui constitue le réel de l’image ; Or, c’était là probablement le dernier espoir de Jacek qui s’était rendu chez un photographe pour demander l’agrandissement de la photographie de sa petite sœur perdue et qui est visiblement en quête d’un objet perdu. Dans Le Décalogue 7, les guichets s’opposent à deux reprises aux désirs de Majka, la jeune femme qui cherche à se réapproprier son enfant (Ania) que sa mère (Ewa) lui a « ravi » à la naissance pour lui « épargner » le scandale d’une maternité trop précoce. Au début du


film, Majka se présente devant le guichet d’une administration pour obtenir des visas, elle prépare sa fuite à l’étranger avec sa propre fille qu’elle compte reprendre à sa mère.

Figure 195 : Le Décalogue 7 (02 :11)

La guichetière lui délivre un visa à son nom mais refuse de lui en donner un au nom d’Ania, car seule la mère officielle de l’enfant peut faire cette demande, or pour l’administration, elle n’est que la sœur d’Ania. Ici encore, le guichet est un lieu où le réel se dérobe, disparaît derrière l’illusion des apparences administratives. Alors que Majka vient y chercher un passage vers son droit et sa légitimité de mère, elle ne trouve qu’une paroi sans orifice, un reflet dans lequel il lui est difficile de se voir mère de son enfant. La jeune femme voit s’éloigner ce à quoi elle a légitimement droit au nom même d’une protection de ses propres droits.

Figure 196 : Le Décalogue 7 (50 :50)

A la fin du film, alors qu’elle fuit avec Ania qu’elle vient d’enlever, Majka se réfugie dans le guichet d’une gare, elle se réfugie derrière la guichetière qui accepte de l’accueillir,


plongée dans la lecture de Madame Bovary, et s’assoupit avec Ania en attendant un train qui doit arriver deux heures plus tard. Ses parents qui se sont lancés à ses trousses arrivent à leur tour à ce guichet et demandent à la guichetière, qui lit toujours Madame Bovary, si elle n’a pas vu une « jeune fille avec une enfant ». La guichetière fait mine de réfléchir. Et voilà que, jetant un œil derrière le guichet, Ewa voit Ania et peut ainsi la récupérer sous les yeux de Majka, impuissante à lutter contre sa mère et l’ordre des apparences qu’impose son impérieux désir de maternité putative. Ce passage est très intéressant car il formule d’une manière négative cet échec de la rencontre avec le réel, que représente le dispositif du guichet dans les films de Kieślowski, en mettant en scène la réussite d’une rencontre avec l’illusion. C’est ainsi dans le fait que la mère virtuelle trouve sa fille virtuelle derrière le guichet, malgré la complicité surprenante de la guichetière qui cette fois-ci est du côté de Majka et de la vérité mais sans le savoir et au nom d’une solidarité romanesque59, en formulant une demande qui repose elle aussi sur un faux témoignage, que réside cet échec d’une vraie rencontre avec le réel (ici la reconnaissance des véritables liens générationnels). Majka n’est plus une « jeune fille », mais en réalité une femme, une mère, comme Ewa. Cependant, allant vers le guichet à la recherche d’une illusion, de son illusion d’être la mère d’Ania, Ewa se voit satisfaite dans sa demande, alors que sa propre fille, la mère réelle de l’enfant, perd à jamais sa vraie fille et la réalité de son statut de mère. Ainsi dans ce film, le guichet distribue des réalités virtuelles à ceux qui en demandent; entièrement voué aux illusions, il ne peut satisfaire le désir que de ceux qui mentent et se satisfont de ces illusions. La guichetière lit Madame Bovary et nous indique ainsi de quel côté se tient le dispositif du guichet, c’est le lieu du Bovarysme, du reflet illusoire, du soi imaginaire, celui où l’on peut « se concevoir autre qu’on est » selon la définition qu’en donnait Jules de Gaultier dans son essai de 189260. La mère virtuelle repart avec son enfant virtuel alors que la mère réelle, dépossédée de sa fille, est dépouillée de sa réalité.

59

La guichetière qui lit Madame Bovary, demande à Majka si elle fuit son « mec », ce à quoi Majka répond « je fuis ». La guichetière lui propose alors de venir chez elle (dans son guichet) pour se reposer. Un léger glissement s’opère ainsi entre l’imaginaire romanesque du Bovarysme et la réalité de Majka… Le guichet (comme le film) est à même de satisfaire le bovarysme de chacun. 60 Jules de Gaultier, Le Bovarysme. La Psychologie dans l’œuvre de Flaubert (1892), Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2006.


Le guichet est dans l’œuvre de Kieslowski le lieu de ce constat d’échec du désir de l’objet qui hante l’élan du regard vers l’image transparente, c’est-à-dire l’image qui repose sur la perspective (entendue ici comme vue à travers) et ainsi sur la transparence du support. Nous allons voir maintenant que ce trou dans la transparence du guichet correspond à l’ouverture de l’iris aux bords noirs qu’on peut voir dans Le Décalogue 5 et dans une moindre mesure dans Tu ne tueras point. C’est à chaque fois l’ouverture du support et la rencontre possible avec l’objet qui y est mise en jeu, mais alors que le trou du guichet promettait de manière allégorique une rencontre amoureuse avec l’objet du désir amoureux (et de la pulsion scopique), le trou de l’iris, à même le support du film, annonce la radicalité mortifère de cet échec. C’est ce que nous allons observer dans la partie suivante. d) L’iris dans Le Décalogue 5 et Tu ne tueras point Si le trou du guichet comme métaphore de l’ouverture « indicielle » de l’image photographique, est aussi l’expression d’un désir qu’on peut associer à la notion freudienne d’Eros61, le trou formé par l’iris dans Le Décalogue 5 et dans une moindre mesure dans sa version cinématographique Tu ne tueras point, peut être associée à celle de Thanatos. Le premier, dans la clarté solaire de sa transparence, offre à l’œil l’illusion d’une jouissance matérielle de l’objet représenté. Le second, ombreux, nocturne, cache en partie l’image et en fait une lueur glauque cernée d’obscurité. Sexualité archaïque dans l’un, meurtre ancestral dans l’autre, vie morte et mort vivante, chacun des deux longs-métrages issus des Décalogue 5 et 6, présente sa version de la rencontre ajournée avec le réel que propose l’image filmique. Une fois sur le mode de l’Eros trompeur, c’est alors la face de présence dans l’image qui est mise en jeu, une autre fois sur le mode de Thanatos, c’est alors la face d’absence de l’image qui prime. Quand la présence illusoire devient réelle, la mort survient, quand l’absence postulée devient réelle, c’est aussi la mort qui arrive. Au fond, il semblerait que dans ces deux films, la mort surgisse quand l’image quitte son ambivalence fondamentale, quand elle cesse de danser entre absence et présence de l’objet, entre transparence et opacité, quand elle meurt en tant qu’entre-deux. Dans Le Décalogue 6, la rencontre physique avec l’objet du désir, la fente du sexe de Magda, débouche sur la mort, dans Le Décalogue 5, c’est l’impossibilité de cette rencontre, ou plus exactement peut-être la rencontre avec le vide ; un échec devant le trou du guichet (du 61

C’est une Brève histoire d’amour.


cinéma) qui avait précédemment permis le contact (guichet de poste) qui débouche sur la mort. Le contact réel dans l’image, avec l’objet ou avec son absence, c’est-à-dire au fond la fin de l’ambivalence, correspond à la mort de l’image, et débouche sur la mort du sujet, qui cherche à se suicider en se coupant la main coupable, enlevant ainsi le désir de contact de son regard. L’échec du contact, la rencontre du vide de l’image, entraîne la mise à mort de l’autre, après lui avoir caché le visage, c’est-à-dire après avoir effacé le contact visuel avec l’autre sujet. Dans les deux cas, c’est la mort de l’entre-deux virtuel qui suscite la violence. Tomek se tue parce qu’il perd l’image dans l’objet, Jacek tue parce qu’il perd l’objet dans l’image. Si Le Décalogue 6 explore jusqu’au seuil de la mort62 la question du désir scopique et la peur du contact charnel avec l’objet interdit, Le Décalogue 5, lui, est entièrement voué au travail de la mort comme revers d’un Eros anéanti sur le seuil d’une salle de cinéma. Les deux films, tournés pour le cinéma en premier et sortis en salles alors que Le Décalogue lui-même était encore en tournage, forment d’ailleurs un diptyque cinématographique au sein même du polyptyque télévisuel. Leurs titres en polonais sont très proches, faisant penser à l’existence d’une série dans la série. Ils sont à la fois symétriques et antithétiques ; Film court sur l’acte de tuer63 pour Le Décalogue 5 et Film court sur l’acte d’aimer64, pour Le Décalogue 6. Ils sont aussi à l’articulation des deux moitiés du Décalogue et forment ainsi une sorte de charnière en miroir qui renforce de leur poids la jointure cinématographique entre les deux panneaux du polyptyque télévisuel, entre les deux arches des tables de la Loi, entre les deux thèmes de la vie et de la mort. C’est d’ailleurs exclusivement dans Le Décalogue 5 que le cinéma - comme lieu de rencontre avec une présence dans l’image - est explicitement mis en jeu dans le polyptyque. On n’y parle de cinéma que pour y évoquer l’échec de la rencontre que cherche Jacek dès le début de son errance. Le moment déclencheur du récit dans les deux versions du scénario (Décalogue 5 et Tu ne tueras point) est justement celui de la rencontre avortée entre Jacek et la présence féminine qu’il recherche et que le cinéma aurait pu lui procurer dans un film d’amour. Nous avons vu plus haut que, dès le début, c’est la guichetière du cinéma qui le dissuade d’aller voir un film d’amour en lui disant qu’il est « emmerdant » et qui lui indique ensuite, innocemment, la station de taxis où il trouvera sa victime. A ce moment précis de la demande de Jacek et de son échec qui font basculer le jeune homme vers sa pulsion de mort – 62

La tentative de suicide de Romek. Krotki film o zabijaniu 64 Krotki film o milosci 63


l’autre se dérobant dans sa présence illusoire à l’image - le trou du guichet déjà analysé se double du trou de l’iris. Le contact amoureux illusoire est cerné de mort, Eros et Thanatos se partageant la scène, superposant leurs trous. On y voit en effet, selon cette perspective, le trou de l’origine, celui de la présence dans l’apparence du visible, se retourner soudain en trou du tombeau. Et le crime de Jacek semble avoir le même sens que le faux suicide de Tomek, le premier tuant un homme après avoir échoué à voir l’origine dans l’image féminine de l’affiche, le second se punissant d’avoir brutalement pris conscience de la nature de son désir de contact avec cette origine féminine (maternelle) de l’image. Au fond, l’inceste et sa peur sont au cœur, à l’articulation centrale du polyptyque, ce qui rapproche le projet de la conception freudienne du second commandement telle qu’il la développe dans L’homme Moïse ou la religion monothéiste.65 Le Décalogue 5 se distingue alors de sa version cinématographique puisque dans Tu ne tueras point, l’iris est pratiquement absent et que ses bords sont éclaircis66.

Figure 197 : Le Décalogue 5 (02 :43)

Figure 198 : Tu ne tueras point (00 :03 :45)

Krzysztof Kieślowski donne une raison purement technique et donc fortuite à cette différence : « Certaines techniques demandent à être affinées au moment de la copie. Si on rate la copie, les filtres créent un effet de saleté indescriptible. Par exemple, si on regarde Tu ne tueras point à la télévision, on a l’impression d’une faute technique. Si on enregistre le film sur une cassette et qu’on le projette, on remarque que les filtres font apparaître des cercles. 65

Voir partie II, chapitre 1. Notons aussi que les plans utilisés ne sont pas les mêmes (l’écart entre le trou du guichet et la prise sur le mur du fond) dans les deux films, ce qui témoigne non seulement d’intentions différentes mais aussi en fait deux œuvres distinctes. Kieślowski n’a donc pas fait deux versions du même film pratiquement mais deux œuvres autonomes, l’une appartenant à un polyptyque sur le décalogue à partir de la question de la représentation où l’iris prend un sens particulier comme trou dans la surface et l’autre à un diptyque portant sur Éros et Thanatos. 66


Pourquoi ? Parce que la télévision renforce le contraste. Aussi ce qui est clair apparaît un peu plus clair, et ce qui est foncé apparaît un peu plus foncé. Au lieu de créer une ambiance, les filtres donnent l’impression d’être troués, ce qui produit évidemment un résultat catastrophique. »67 « Résultat catastrophique ». Soit. Mais bien que ce trou soit le fruit d’un transfert technique et non explicitement d’une intention esthétique, il est intéressant pour notre approche que ce phénomène corresponde aussi pertinemment à la démarche qu’on peut noter dans l’usage que le cinéaste fait des guichets et d’autre part à une pratique du trou assez récurrente chez le chef opérateur responsable de la fabrication artisanale et de l’utilisation de ces filtres, Slawomir Idziak68. En effet, ce dernier, ayant collaboré à plusieurs reprises avec Kieślowski semble ainsi avoir une prédilection pour les surfaces percées de trous, prédilection qui entre en parfaite congruence avec la réflexion cinématographique de Kieślowski et en particulier, dans cet épisode, avec la dimension métacinématographique de son propos. Ainsi, dans Le passage souterrain (1973), première fiction de Kieślowski, Slawomir Idziak et Krzysztof Kieślowski avaient-ils déjà développé l’usage du trou dans une séquence qui présentait une image-fente, - la première – et mettait en jeu le regard du personnage et à travers celui-ci, celui du spectateur69. Le passage souterrain raconte les retrouvailles douloureuses d’un couple séparé depuis un an dont l’homme, professeur en voyage scolaire à Varsovie, essaie de reconquérir le cœur de sa femme qui a demandé le divorce. Il lui rend visite dans la boutique où elle décore une vitrine, dans un passage souterrain. Elle est venue vivre à Varsovie et travaille comme étalagiste. Entièrement tourné en caméra portée à l’épaule, ce premier film de fiction de Kieślowski a gardé les caractéristiques du cinéma direct, une image incisive dont les bords mordent et coupent des pans de « réel ». Il s’agit donc d’une fiction qui cherche à atteindre un haut degré de naturalisme, en reproduisant un regard incarné et bien présent dans l’espace représenté. Cette image emportée dans l’espace fictif correspond à un regard spontané posé sur le réel par un sujet imageant qui se déplacerait et dont les cahots de l’image traduiraient les mouvements du corps. L’image-fente est ici établie par l’abolition de la fermeté du cadre qui

67

Krzysztof Kieślowski, Le cinéma et moi, op. cit. p. 181. Ajoutons que Kieślowski avait souvent tendance à nier toute intention esthétique, laissant ainsi la porte ouverte au travail d’interprétation des spectateurs. 69 Cette image trouée a déjà été étudiée dans la partie II. 68


passe de limite rigide à zone incertaine d’échange entre le champ et le hors-champ. Puisque les mouvements de la caméra suivent ceux d’une tête, ce dispositif visuel suppose un œil collé à la fente, contre la paroi ; il n’y a pas de distance, de mise en évidence du cadre, c’est-à-dire d’une découpe au cœur du champ de vision, c’est le bord même du champ de vision, cette zone trouble et instable d’échange entre le champ et le hors-champ, qui fait office de bord de l’image. Avec un cadrage en caméra portée, le spectateur est comme collé contre l’écran, mouvant son œil devant l’ouverture informe pour aller voir à gauche ou à droite ce qui se passe dans l’espace voisin. Une séquence du film nous amène ainsi à considérer comment le principe esthétique de la caméra portée, qui concerne l’ensemble du film peut être envisagé par l’image ellemême dans une première mise en abyme réflexive : (Voir extrait 11)

Figure 199 : Le passage souterrain (21 :19) – Il regarde…

Figures 200, 201 et 202 : Le passage souterrain (21 :22 à 21 :27) - … à travers la fente. (Extrait 11)

Caché derrière une vitrine couverte de papier journal70, un homme observe, à travers une petite déchirure dans le papier, ce qui se passe dans un passage souterrain du centre de Varsovie où son ex-compagne agence la vitrine d’une boutique de souvenirs. Dans les trois 70

Il s’agit donc d’une écriture qui opacifie la transparence de la vitrine et opère donc, symboliquement, un passage de la vue au signe, cette fente est donc un signe, le signe du rapport de l’œil au monde qu’elle établit elle-même dans le film lui-même.


photogrammes ci-dessus, on le voit suivre du regard un couple qui emprunte le passage souterrain. Pour cela, il opère un déplacement latéral vers la gauche afin de « cadrer » leur mouvement vers la droite du cadre. On peut observer dans ce plan un double mouvement, celui du corps du personnage sujet-regardant qui ne manipule pas la fente mais cherche à l’utiliser comme passage pour son regard et celui de la fente elle-même qui est ainsi amenée à se déplacer dans le cadre de l’image correspondant au regard externe du filmeur. Ce décalage, qui ressemble au glissement de deux plans, deux lamelles d’images superposées, est particulièrement ingénieux pour faire ressortir la différence entre l’ocularisation interne (fente utilisée par le personnage) et l’ocularisation externe (cadre utilisé par le filmeur). L’un des mouvements se voit directement à l’écran ; la fente est d’abord dans la partie gauche de l’image (figure 200), puis elle se déplace vers son centre (figure 201) et se retrouve à droite (figure 202), à la fin du plan. L’autre se perçoit dans le mouvement même du cadre qui incarne la présence du corps du sujet regardant qui est aussi le sujet imageant (le filmeur). En effet, ce déplacement correspond à un déplacement du corps du filmeur. Ce léger hiatus entre le cadre de l’image et le trou par lequel le personnage-spectateur regarde ce qui se passe au-delà de la vitrine opère dans l’image de fiction une mise en abyme de son cadrage et établit ainsi une correspondance claire entre l’esthétique de la caméra portée et la fente par laquelle le personnage regarde ce qui se passe de l’autre côté. L’apparition de ce dispositif d’observation renvoie à celui du filmeur lui-même et signe ainsi l’entrée du cinéaste dans une réflexion sur le cinéma à partir des moyens du cinéma lui-même. L’image-fente apparaît ici comme un moyen de mettre en évidence l’axe du regard d’un personnage en circonscrivant son lieu de passage et comme une évocation du dispositif cinématographique dans lequel l’œil du spectateur est collé à la fente et son corps déplacé par le mouvement du cadrage du filmeur. L’écran de papier journal que le couple a disposé sur la vitrine pour éconduire les regards des passants, et surtout ceux des hommes, qui se portaient sur les cuisses de la femme qui agençait la vitrine, correspond ainsi à l’écran du film. L’image-fente est la déchirure de cet écran, son ouverture sur l’espace voisin. Il est intéressant d’observer que c’est à l’issue d’un retournement du regard que l’image-fente est apparue. Jaloux du regard porté par un homme, de l’extérieur vers l’intérieur de la vitrine, sur les cuisses de son épouse, le personnage masculin, jette d’abord son café sur la vitre71, geste de débordement du liquide hors de son contenant que l’on trouvera souvent repris dans l’œuvre fictionnelle de Kieślowski, puis décide d’opacifier la surface vitrée pour enfin y faire un trou. 71

Geste d’agressivité contre la transparence de la surface qui annonce, dans Le Décalogue 5 et Tu ne tueras point, le geste de Jacek qui catapulte le marc de son café sur une vitrine pour attirer l’attention de deux fillettes.


Il est alors devenu le sujet regardant à travers la jalousie. L’image-fente matricielle que représente ce dispositif dans ce tout premier film de fiction possède ainsi, comme nous le verrons plus loin la structure qui formera le cœur de l’histoire du Décalogue 6 où un retournement du même ordre s’opère autour du guichet de Tomek. Ce goût du cercle au sein même de l’image se retrouve justement dans Le Décalogue 6 à travers la notion de lentille grossissante qui officie auprès du regard de Tomek comme un surcroît de paroi transparente qui au lieu d’éloigner, rapproche le sujet regardant de l’objet regardé, à travers l’usage de la lunette d’approche. Mais à cette lentille grossissante utilisée par Tomek correspond un autre cercle disposé sur le trajet de son regard et opérant un mouvement inverse.

Figure 203 : Brève histoire d’amour (00 :01 :18)

Situé de manière incongrue sur la surface de la fenêtre de la chambre de Magda, cet œil de verre, rappelant l’œil de bœuf des portes d’entrée, opère une mise en abyme de l’image elle-même en contenant de manière concentrique l’ensemble du champ. Contraire apparent du trou du guichet de Tomek, ce surplus de matière opère sur le plan visuel un mouvement également inverse, il a pour fonction d’éloigner pour contenir l’ensemble le plus large possible. Il est en cela dans un mouvement contraire à celui de la lentille de la lunette d’approche qu’utilise Tomek pour observer Magda. Cependant, placé sur la vitre à même la transparence, il en matérialise et en visualise la présence, la rendant épaisse et déformante. Il est à la fois l’œil et le trou, rappelle à la fois la surface et l’appareillage optique qui rend l’image possible. Instituant une image anamorphosée au sein de l’image elle-même, cette lentille crée un hiatus sur la surface qui peut constituer une nouvelle fente, entrant plus profondément et plus largement dans le champ, déchirant la transparence simple en une


ouverture anamorphosée qui n’est pas sans rappeler celle du crâne des Ambassadeurs (1533) de Hans Holbein Le jeune.

Figure 204 : Hans Holbein Le jeune, Les ambassadeurs (1533) Huile sur panneau de chêne (207 cm x 209,5 cm) Londres, National Gallery.

Le crâne que seul un jeu optique de miroir peut recomposer pour le spectateur vient alors jouer avec la planéité et la profondeur du tableau, donnant à la fois l’illusion d’une entrée dans la profondeur de la toile et rappelant en même temps l’artificialité de la représentation - la dénonçant donc comme illusion, vanité incarnée par le crâne. Le rapport entre cette forme oblongue qui déchire l’image et les lentilles ou boules de verre utilisées par Kieślowski pour mettre l’image en abyme, est certes assez lointain ; elles se distinguent par le fait que nous avons dans un cas un objet et dans l’autre une surface transparente qui renvoie à l’ensemble, mais elles se ressemblent en ce qu’elles sont porteuses d’une anamorphose présente dans l’image comme une pastille optique posée à même la transparence du support. Elles y établissent un seuil et y rappellent, selon une symbolique différente (vanité ou trompel’œil) que l’image est le fruit d’un dispositif optique dont la transparence peut être altérée. On peut retrouver cette présence du cercle de verre dans le cadeau que Tomek offre à Magda lorsqu’il se rend chez elle pour la première fois.


Figure 205 : Brève histoire d’amour (00 :52 :19)

Ce cadeau est précisément une boule de verre dans laquelle est sertie une maison bleue qui se tient debout, contrairement à celle qui apparaîtra dans La double vie de Véronique72. Ce présent est fait au moment où la jeune femme reçoit le postier qui la regarde avec avidité depuis des mois dans son appartement et essaie de le séduire. Cet œil de verre est justement posé sur le rebord du cadre d’une tapisserie que Magda est en train de faire, un endroit où on a vu son œil se porter au début du film, alors qu’elle mettait ses doigts en carré autour de son regard, formant un cadre comme un cinéaste, pour isoler une portion de son œuvre. La maison reste debout, en évidence dans le champ de l’image. Elle semble indiquer ici à la fois que Tomek installe son œil chez Magda, qu’il lui transmet son regard avide et que ce regard, incarné métonymiquement par son organe (l’œil de verre) constitue lui-même le domicile que s’est choisi le jeune homme puisque c’est dans ce regard lui-même que loge le désir du voyeur. Il établit par ce geste un chiasme qui constitue la formule du désir scopique de Tomek ; l’œil est dans la maison, la maison est dans l’œil… Chez Kieślowski, le cercle arrondi de verre, déformant l’image et opérant un jeu de mise en abyme de l’activité scopique et qui ramène l’image cinématographique dans la tradition des attractions visuelles et des jeux optiques de son origine est repris et développé, prenant même une importance considérable dans La double vie de Véronique (1991). Dès le début du film, un verre déforme le regard que porte une enfant, Weronika, sur la nature qu’elle observe en la présence d’une petite feuille de printemps. Un cercle de verre déforme ainsi son œil qui apparaît démesuré au milieu de son visage, qu’il masque presque entièrement.

72

Il s’agit d’une boule très proche de celle qui apparaît dans la main de Kane agonisant dans Citizen Kane d’Orson Welles, que Kieślowski avait vu des dizaines de fois.


Figure 206 : La double vie de Véronique (00 :00 :40)

Très vite, la lentille se retire et l’on découvre qu’il s’agissait d’une loupe qu’une mère tenait entre l’œil de la petite fille et la feuille qu’elle avait placée sous son regard. Le cercle de verre mettait en jeu ici l’espace qui se tient entre l’œil et l’objet, matérialisant au passage le regard lui-même. Les images qui suivent immédiatement le prologue situé dans l’enfance du personnage et nous montrent Weronika adulte marchant d’un pas volontaire dans la rue sur une musique aérienne, sont, elles aussi, présentées en anamorphose, probablement due à un filtre déformant, comme une boule passant devant l’objectif.

Figure 207 : La double vie de Véronique (00 :01 :15)

Un peu plus loin, c’est le verre des lunettes du père de Weronika, devenue adulte, qui sert de pastille optique et permet de mettre en abyme une image, image qu’il est justement en train de confectionner lui-même.


Figure 208 : La double vie de Véronique (00 :05 :51)

Le père de Weronika dessine un village polonais avec ses toits de tuiles rouges et son église, et l’on peut voir le double clocher apparaître en miniature dans le cercle du verre de lunette qu’emprunte son regard et à côté de lui, celui du cadreur. Le cercle isole, cadre aussi, ce que le regard du sujet imageant représenté est en train d’observer attentivement. Son usage ici nous éclaire sur la fonction de cette pastille optique, fonction qu’on peut d’ailleurs étendre aux trous du guichet et à l’iris, aussi ; il s’agit de matérialiser et ainsi de visualiser le regard, lui-même, dans son intention de sélection. En effet, sont ici exposés et qualifiés, non seulement son point d’impact (le cercle est une cible pour ce qu’Alberti appelle « le prince des rayons ») mais aussi son lieu de passage ainsi que son opération sur l’image, opération d’avalement (mise en abyme et réduction de la pastille optique) et opération de contact (à travers le trou de la transparence). Ainsi, ces deux trous sont en mesure de formuler les deux pulsions essentielles du regard humain, la pulsion orale et la pulsion haptique, dont il sera question dans le dernier chapitre. Alors que Weronika quitte sa ville en train, elle regarde le paysage derrière la vitre à travers une boule de verre qui modifie l’apparence du monde à ses yeux. Juste avant qu’elle n’utilise cette boule de verre, elle a vu le paysage se tordre à travers le verre probablement déformé de la baie vitrée du wagon, puis a directement regardé la caméra, interpellant ainsi le spectateur. Voyage en train, moment de cinéma, la séquence est l’occasion d’un jeu optique pour la jeune femme qui sort une boule de verre où sont serties quelques petites étoiles et commence à regarder le monde qu’elle s’approprie par la vue et par le geste de la main qui s’apparente ici à un geste de cadrage.


Figure 209 : La double vie de Véronique (00 :08 :36)

Le paysage qui défile le long des rails se présente alors renversé, comme les toutes premières images du film qui montrait une ville à l’envers vue par une enfant (Véronique ou Weronika) qui avait elle-même la tête renversée et était dans les bras de sa mère. Alors que le paysage directement vu défile, flou, et tapisse le fond de l’image, la boule disposée volontairement par Weronika nous montre les maisons renversées. L’image perçue directement à travers la fenêtre du train se double d’une image inversée, plus nette, plus cadrée. Un double. Weronika a elle aussi son double inversé en France, Véronique, qui bénéficie des erreurs de son « modèle » polonais et évite ainsi les écueils de la vie. Laquelle des deux Véroniques est la vraie ? Qu’est-ce qu’une vraie image (vera icona) ? C’est la question que le personnage Jacek pose à travers son crime dans Le Décalogue 5 et Tu ne tueras point. Jacek est venu vers le guichet de la salle de cinéma poussé par le visage de l’actrice qu’il a contemplé sur l’affiche du film. Comme Romek, il cherche l’amour, d’abord celui, perdu de sa petite sœur, morte par sa faute (écrasée par un de ses amis avec qui il s’était enivré) et dont il garde précieusement l’image photographique, comme une relique. Et ensuite celui de Beata, la jeune fille dont il est amoureux et pour laquelle il va commettre le vol du taxi, de manière absurde et gratuite. C’est bien une quête de présence féminine dans l’image que Jacek mène dans un premier temps à travers la ville de Varsovie, comme le montrent un certain nombre d’étapes où prennent place des tentatives de rencontre qui se soldent à chaque fois par un échec. Tout d’abord, c’est le visage de l’actrice d’un film sur l’affiche qui l’attire vers la salle de cinéma où il s’adresse à la guichetière. Il se colle à la vitrine qui protège l’image et cherche même à la forcer, à la manière d’un Antoine Doinel (en fait son ami René) volant la


photographie d’Harriet Andersson (Monika) dans Les quatre cents coups. Mais il n’y parvient pas, et cherche dans le cinéma la possibilité de se rapprocher de cette présence. Le trou du guichet du cinéma se double alors de celui de l’iris qui vient souligner le premier, l’isoler du reste du visible et renforcer l’impression de perforation aux yeux du spectateur. Mais cette présence féminine qu’est la guichetière l’éconduit aussi. Il erre alors dans Varsovie et s’arrête devant le portrait d’une enfant qu’un dessinateur de rue est en train de réaliser. Il regarde la petite fille puis le dessinateur qui le regarde à son tour. Un malentendu s’installe. Il poursuit son chemin. Plus tard, c’est chez une photographe qu’il entre avec la photographie de sa petite sœur défunte. Il en veut un agrandissement. La photographe le prévient que les stries des pliures sur la surface de l’image ne pourront pas être effacées, il demande alors s’il est vrai que l’on peut voir sur une photographie si la personne représentée est vivante ou morte. Il cherche à savoir s’il existe un lien organique, « ombilical » dirait Barthes, entre la photographie et son modèle. Ce lien n’existant pas il reprend son errance et s’arrête pour boire un café dans une cafétéria du centre-ville, à deux pas de l’arrêt de taxi où il trouvera sa future victime. Là, assis derrière la vitrine, il regarde dans la rue, deux petites filles qui s’arrêtent sans le voir. Il jette alors le marc de son café sur la vitre et attire ainsi leur attention. Elles sourient, il sourit comme un enfant, elles s’en vont ensuite et lui serre sous la table de formica du café la cordelette avec laquelle il va commettre son crime. Les retrouvailles visuelles avec l’image de sa petite sœur défunte ne sont que fugaces et le marc noir étalé sur le verre épais de la vitrine vient comme lui rappeler la séparation fondamentale entre les deux espaces. La surface est infranchissable. Et le marc de café, qui est aussi une matière informe dans laquelle certains lisent l’avenir est peut-être un rappel involontaire ou indirect de la dimension fatale de cette séparation radicale tout autant qu’une visualisation de l’épaisseur informe et sombre du revers de sa pulsion scopique. En catapultant le marc de café sur ces fillettes, Jacek donne forme dans l’informe à sa pulsion scopique transmutée, immédiatement après la disparition de l’objet - le départ de ces fillettes qui rappellent sa sœur - en pulsion de mort.


Figure 210 : Le Décalogue 5 (17 :13)

Ainsi donc, ici encore, l’ouverture promise par l’image s’avère être un leurre, le vide espéré est un plein, une vitre, ou plus généralement une transparence matérialisée, qui offre l’objet pour l’œil et en même temps le soustrait à la main que l’ouverture a elle-même sollicitée. Le plein espéré est un vide. Il n’ y a pas d’objet. L’image est un objet vide d’objet. Comme l’exposent ces taches de marc de café étalées sur la vitrine et dévoilant la présence de la surface infranchissable, l’élan scopique du regard se heurte à une impossibilité… et le rond informe du marc sur la vitre indiquant le destin tragique du désir de réunion du regard devant l’image correspond exactement au cercle d’air qui ouvre l’épisode suivant et nous indiquera au contraire l’ouverture du support. L’un et l’autre de ces cercles indique à sa manière les deux formes de déséquilibres qui peuvent affecter le regard du sujet qui refuse de jouer avec l’entre-deux –l’ambivalence- des images. L’un, Jacek, visualise avec cette tache sombre qui double l’iris noir, l’opacité et la clôture du support et l’irrémédiable constat de l’absence de l’objet dans la représentation. C’est cette rencontre impossible dans l’image qui le mène au meurtre. L’autre, Tomek, visualise la transparence du support et son ouverture virtuelle, et c’est justement la rencontre réelle avec l’objet, au-delà de l’image, qui le mène au suicide. Ni l’un ni l’autre n’a su se tenir à mi-chemin, entre absence et présence, transparence et opacité, clôture et fermeture. Refusant de danser devant l’image, de changer de pied pour rester en équilibre, chacun a suivi le chemin de la fusion avec un aspect de l’image ; son néant pour Jacek et son origine incestuelle pour Tomek. Passage impossible dans un cas, passage insupportable dans l’autre, l’enjeu du passage par l’image, l’image-fente comme passage, est au cœur de ce que ce concept met au jour de la relation de l’œil à l’image.


2) L’image-fente comme passage « Depuis les vues des frères Lumière, la sortie ou l’entrée est devenue un spectacle du cinématographe. »73

L’image-fente est d’abord une ouverture, une ouverture qui, par son aspect fortuit (cf. embrasures, persiennes, dispositifs de fortune, regards caméra…) et son contour informe (cf. plus haut dans Le passage souterrain), circulaire (cf. le trou du guichet), tremblant (cf. la caméra portée) ou flou (cf. les objets interposés), se présente comme une déchirure et une apparition. Quelque chose y apparaît dans la déchirure d’un support masquant, voilant, qui perd ainsi de sa continuité et par où passe le regard vers cet objet. Nous sommes alors devant une forme de passage, rendu possible par l’idée que la finestra est réellement ouverte, qu’elle n’est pas qu’un templum théorique mais une fente réelle. Non plus, pour reprendre les termes d’Alberti, une fenêtre « à partir de laquelle » l’histoire représentée pourra être considérée, mais une fenêtre à travers laquelle l’objet représenté, qui n’est plus une fiction narrative, peut être touché. L’image-fente porte donc en elle le passage, elle affecte la finestra sur sa bordure et fait de l’image non plus une zone cadrée, délimitée, mais une faille dans l’invisibilité. Elle constitue l’espace voisin non comme un espace conçu par le sujet énonciateur de l’image mais comme un espace à peine dévoilé par la déchirure fortuite du support. Accréditant ainsi l’existence autonome de l’espace voisin, elle rend possible un passage. La question est pour nous de savoir à quel type de corps l’image-fente offre cette possibilité de passage. a) Passage à travers le guichet et échange des places dans Le Décalogue 6 et Brève Histoire d’amour Brève histoire d’amour, présente le même processus de retournement du regard que l’épisode 6 du Décalogue dont il est la version longue. Nous allons suivre leur trame commune sur ce plan à partir du Décalogue 6 et voir à l’occasion les ajouts présents dans la version pour le cinéma. Au début du Décalogue 6, comme nous l’avons vu plus haut, Tomek voit Magda à travers la vitre du guichet sans que le spectateur ne perçoive la présence de la paroi de verre (Figure 211). Le plan est subjectif, aucune médiation n’est utilisée pour nous amener à Magda, les points de vue du spectateur et de Tome se confondent, si bien que l’activité du voyeur et celle du spectateur se confondent aussi, elles sont marquées par 73

Suzanne Liandrat-Guigues, Esthétique du mouvement cinématographique, Paris, Klincksieck, 2005, p.133.


l’absence de reflets sur la vitre ; la séparation, la planéité de la surface de la représentation sont « oubliées », par leurs regards. Le trou qui apparaîtra viendra, entre autres choses, symboliser rétrospectivement la transparence de l’écran perçu dans les premiers photogrammes.

Figure 211 : Le Décalogue 6 (00 :15) (Extrait 10) Absence de reflets dans le regard de Tomek, plan subjectif

Dans le plan suivant (Figure 212), deux éléments, dans la composition de l’image, permettent au spectateur de prendre conscience de la présence de la vitre, manière, pour le réalisateur, de montrer que le regard de Magda, qui correspond à ce point de vue, est un regard conscient des mécanismes de la représentation, et notamment de la séparation irrévocable entre les deux espaces ; aussi bien entre le guichet et la salle de la poste qu’entre l’espace tridimensionnel de l’image filmique et celui de la salle de projection. Ainsi un reflet apparaît sur la surface vitrée, et le plan est semi-subjectif (apparition de dos de celle qui regarde), ce qui met à distance le regard du spectateur en lui imposant la présence d’un relais, un médiateur. Son point de vue est alors partagé, il a dans son champ de vision une personne en train de voir.


Figure 212 : Le décalogue 6 (00 :25) (Extrait 10) Des reflets dans le regard de Magda, plan semi-subjectif

Dans une mise en scène millimétrée, Tomek a planté son regard juste dans le trou du guichet, montrant ainsi qu’il cherche à fendre la surface de la représentation pour accéder de l’autre côté en se tenant complètement dans son regard. Le dispositif du guichet permet ainsi de distinguer deux qualités de regard qui vont s’inverser dans la suite de l’histoire. Un regard conscient de ses limites et donc de la surface sur laquelle apparaissent les reflets, et un regard absolu, absorbé dans ce qu’il « touche ». La main de Tomek est d’ailleurs face à un orifice tout comme ses deux yeux. Le reste du corps restant séparé. Dans la suite du film, Magda va devenir dépendante du regard de Tomek et elle va finir par se mettre à sa place dans la position de celui qui observe, oublie son regard, se perd comme sujet absorbée dans son activité scopique. Tomek, lui, conclura le film en lui disant qu’il ne l’observe plus. Le moment de l’échange des rôles est attaché à la rencontre réelle entre les deux personnages. En effet, c’est après avoir passé sa main dans l’orifice (Figure 213) pour lui tendre un formulaire que Magda va faire sortir Tomek de son poste d’observation. Sa main va surgir dans l’espace du spectateur et l’inviter à franchir à son tour la paroi de l’écran transparent qui les séparait corporellement et les réunissait visuellement en même temps.


Figure 213 : Le Décalogue 6 (18 :29) Le passage de l’autre côté, la main dans la fente.

Juste avant cette rencontre, lorsque Magda entre dans le bureau de poste pour y présenter deux avis de mandats postaux qu’elle a trouvés dans sa boîte, elle est filmée en plan semi-subjectif (Figure 214), ce qui indique une prise de distance entre le regard du spectateur et celui de Tomek, le travail de la prise de conscience fait son œuvre et le regard de Tomek devient un relais conscient pour celui du spectateur. On peut ajouter à cela que l’ouverture ronde rappelle la présence de la paroi, la surface de la représentation est bien présente dans le regard du personnage qui commence à sortir de sa fascination muette. Le spectateur est alors amené à se rapprocher du point de vue de Magda, puisqu’il voit Tomek à travers son point de vue à elle (Figure 215) dans un plan subjectif qui le met concrètement à sa place dans l’échange administratif qui va suivre. Les reflets sont toujours bien présents, le visage de Magda apparaît clairement, fantomatique, flottant au-dessus de celui de Tomek qui la fixe tandis qu’elle se tient horschamp. L’inversion des rôles semble en cours et le spectateur reste du côté de celui qui charge son regard d’une demande, d’un espoir. Ici la demande est d’autant plus forte que le postier a fait en sorte que celle qu’il désire vienne lui demander quelque chose, qu’elle attende en vain quelque argent de sa part. Il s’arrange pour en être regardé afin de mieux la voir.


Figure 214 et 215 Le Décalogue 6 (17 :39 et 18 :35) Présence de la paroi (reflets) et plan semi-subjectif, éloignement / Reflets et plan subjectif, rapprochement.

A la suite de cette intrusion dans son espace, intrusion qui pourrait s’apparenter à une éclaboussure, un surgissement de l’objet réel dans l’espace du spectateur, Tomek va aller rejoindre Magda dans la rue pour lui avouer que ces mandats sont des faux, qu’il en est l’auteur et qu’il a tout fait pour la faire venir à la poste. « Pour la voir ». Il lui avoue ensuite qu’il l’observe régulièrement depuis la fenêtre de sa chambre. Elle le bouscule physiquement, le gifle, pour le repousser et lui dire de décamper. Ils se reverront plus tard pour prendre un verre ensemble, puis chez Magda dans la fameuse scène cruciale et particulièrement intéressante pour notre approche, que nous aurons l’occasion de retrouver plus loin. Mais d’abord, voyons comment le dispositif du guichet fonctionne dans le processus de retournement du regard et de passage d’un espace à l’autre, dans la suite du film. Après la disparition de Tomek, hospitalisé après s’être ouvert les veines, la version longue du récit, Brève histoire d’amour, fait apparaître un plan qui ne se trouve pas dans l’épisode 6 ; Magda revient au bureau de poste afin de le revoir et de s’excuser et voici ce qu’elle trouve (Figure 216).

Figure 216 : Brève histoire d’amour (01 :09 :54)


Le guichet fermé manifeste la caducité du dispositif et la fin des observations de Tomek pour faire venir Magda. Le guichet comme dispositif visuel au service du désir de Tomek est caduc, la partie est terminée. C’est à ce point que les deux versions diffèrent et présentent des fins différentes mais qui mettent toutes deux Magda à la place de Tomek. A la fin du Décalogue 6, dans un épilogue où le retournement du regard s’accomplit complètement, Magda revient et trouve une dernière fois Tomek à son poste, il est guéri, à tous les niveaux, elle s’approche de lui. Tomek est alors vu en plan semi-subjectif, les reflets sont à peine perceptibles, le cadre suit Magda qui avance vers le guichet, un contrechamp subjectif adoptant le point de vue de Tomek nous montre qu’il la regarde de face, elle approche son regard du trou dans la paroi vitrée, et le glisse dans la fente initiale, un contrechamp montre alors Tomek derrière son guichet. Il est vu par Magda à travers le trou (Figure 217), « directement perçu », la paroi a disparu de son champ de vision. Le regard de Magda a donc pris le trajet que celui de Tomek empruntait au début du film, c’est désormais elle qui utilise le passage pour aller voir son spectateur discret ; la surface de la représentation qui tient le spectateur dans un espace séparé de celui de la représentation est « oubliée », Magda cherche à voir celui qui l’observait comme elle avait elle-même été vue. Elle a adopté cette modalité directe, haptique, du regard. Tomek lui dit alors fièrement qu’il ne l’observe plus.

Figure 217 : Le Décalogue 6 (56 :12) Tomek, vu par Magda en plan subjectif à travers le trou, selon un angle qui rappelle le premier plan du film.


Figure 218 : Le Décalogue 6 (56 :27) Magda vue par Tomek en plan subjectif, elle a pris sa place

Le Décalogue 6 s’achève alors sur un regard à la caméra (Figure 218) devant lequel le spectateur a pris la place de Tomek. Ce regard à la caméra de Magda, qui emprunte le cercle d’air qui souligne son passage du côté du spectateur, de celui qui cherche un trou dans l’image, complète la mise en jeu de l’image-fente dans cet épisode. En prenant la place de Tomek en tant que sujet regardant, Magda met Tomek à sa place d’objet regardé, et par ce retournement complet du point de vue, le spectateur se retrouve, lui aussi, à la place de ce qu’elle regarde. C’est alors à lui d’interroger son propre regard, dans une invitation qui pourrait se formuler ainsi : Et toi que je vois à travers l’ouverture, comment me vois-tu de ton côté ? Quelle est la qualité de ton regard ? Il y a la vitre du guichet, l’écran, l’image filmique, et le mystère de la présence du personnage, de son contact direct, au cœur de cette image. Nous avons vu plus haut la question du regard à la caméra dans ce qu’il ouvre et utilise un passage dans la surface de l’image, abolissant l’absorbement des personnages dans leurs actions et fondant, paradoxalement, la crédibilité de l’artifice cinématographique (et pictural). Si le regard à la caméra touche sa cible, c’est que l’image est ouverte et qu’elle permet un passage, fût-il celui d’un regard. Cette frontalité du personnage qui regarde « devant le tableau » rappelle celle des modèles des toiles de Manet analysées par Michael Fried74, qui établissaient un nouveau rapport de franchise avec le spectateur. C’est la dimension métacinématographique de l’image-fente qui est ici mise en avant.

74

Voir Michael Fried, Le modernisme de Manet, traduction de Claire Brunet, Paris, Gallimard, 2000.


Par ce mécanisme réflexif, Tomek et le spectateur sont ainsi associés dans leur fonction d’observateurs discrets devenus visibles, débusqués, mais ils ne se réduisent pas l’un à l’autre, alors que Tomek est absous par la demande de la femme d’être regardée, son regard étant alors lavé de la souillure de sa perversité par le fait qu’il n’enfreint plus d’interdit, qu’il ne lève plus de voile, celui du spectateur, dans ce dernier plan, est laissé à lui-même au seuil d’une interrogation qu’il pourra d’ailleurs partager avec le cinéaste lui-même. En effet, dans ce dernier plan, Magda regarde Tomek dans le « contrechamp » de la fiction, elle regarde celui qui la filme - le technicien représentant Kieślowski - dans le « contrechamp » technique et bien sûr le spectateur dans le « contrechamp » du lieu de projection75. Le film a suivi le retournement de son regard, son passage de la place d’objet regardé à celle de sujet regardant ; l’image-fente est une ouverture entre deux espaces voisins, elle s’ouvre des deux côtés et laisse un passage, c’est ce que rappelle aussi le regard à la caméra qui, loin de dénoncer le dispositif cinématographique comme installation artificielle, établit au contraire un lien authentique entre les deux espaces. Le cercle d’air qui ouvrait le film comme promesse d’accès au corps de la femme pour le regard de Tomek, le clôt comme lieu d’un échange concret entre les deux espaces, puisqu’il a la même valeur de l’autre côté. Chacun des deux personnages a pris la place de l’autre pour expérimenter cette modalité du regard qu’on pourrait qualifier d’idolâtre, comme recherche d’un contact réel avec l’objet, d’une présence réelle dans l’apparence, d’une fusion avec l’objet par le regard. Chacun est venu concrètement dans l’espace de l’autre, Tomek vient chez Magda dans une séquence où elle lui demande de la caresser, ce qui aura des conséquences tragiques pour le jeune homme. Magda, après le drame, viendra dans la chambre de Tomek, où sa logeuse lui dévoilera le dispositif de vision rapprochée qu’il utilisait pour l’observer. L’échange des rôles trouvera son accomplissement dans les plans où Magda guettera, à l’aide de jumelles de théâtre, le retour de Tomek, devenue dépendante et sûrement curieuse de découvrir ce que recèle le regard du voyeur. La richesse allégorique du film réside en effet dans la façon dont Kieślowski n’isole pas le regard du voyeur des autres regards possibles. Le Décalogue 6 n’est pas un film sur le voyeurisme mais sur le fait de voir pour voir, avec toutes les nuances de regard que cet usage de l’œil peut receler. Tomek a commencé à regarder Magda parce que l’ami dont il occupe la 75

Irène Jacob m’a dit que le cinéaste avait l’habitude de se tenir très près des comédiens, présent autour de l’objectif de la caméra, souvent à leur contact, il lui arrivait de les toucher pour leur donner le « top » ou de leur faire des gestes, les orientant ainsi à la manière d’un marionnettiste. Elle dit qu’il voulait que ses comédiens sentent qu’il y avait quelqu’un dans la caméra ; façon de montrer comment le cadre était réellement habité par le réalisateur. Entretien du 18 juin 2012, Paris.


chambre, le fils de sa logeuse, lui avait dit que Magda était une femme jolie et légère. Il la regardait initialement comme un voyeur regarde une femme en train de faire l’amour, mais son jeu pervers a évolué, il renonce dans une séquence du film à l’observer dans un moment érotique et va même jusqu’à l’empêcher de faire l’amour avec l’un de ses amants. Il lui expliquera aussi qu’il a cessé de se masturber en l’observant. Sa pulsion sexuelle directe s’est muée en une sorte de fétichisme amoureux ; son regard est labile, il cherche la rencontre dans la fente que représente le trou dans la paroi, il se fait exclusif et manipulateur, mais il est aussi caressant et tendre, parfois empathique. Plus qu’à une observation des ressorts psychologiques du voyeurisme, c’est à une réflexion sur le dispositif du regard que nous invite le film. Ajoutons que la fin différente de Brève histoire d’amour où le regard à la caméra à travers le trou du guichet n’existe pas renforce cette interprétation en adoptant davantage le point de vue de Magda alors que ce retournement est vécu depuis celui de Tomek dans l’épisode. A ce titre le long-métrage opère un retournement diégétique plus net puisque ce qui apparaît au début comme l’histoire de Tomek devient celle de Magda et de son manque à la fin. Dans une séquence finale, celle-ci entre dans la chambre de Tomek, où tout avait commencé dans la première séquence, et elle s’empare de sa lunette de vue pour regarder vers son propre appartement. Et dans une séquence fantasmatique, elle se voit entrer chez elle, comme Tomek l’avait vue au début du film (reprise du même plan) et se voit pleurer sur la table de sa cuisine, se livrant à elle-même son intimité comme Tomek l’a vue76. L’échange ne consiste plus seulement à voir comme Tomek voit mais à se voir avec les yeux de Tomek, exprimant ici le type d’attachement narcissique qu’elle peut avoir avec le regard de son « voyeur ». Dans un ultime plan, pour confirmer cette interprétation, Tomek apparaît chez elle, comme dans un rêve, et vient la réconforter… Il est alors complètement passé dans son regard, il a marché dans le spectre de son champ de vision jusqu’à elle et à sa douleur. Il a accompli ce passage de son corps dans son regard et c’est Magda elle-même qui le formule. Le Décalogue 6 comme Brève histoire d’amour mettent en scène un passage à travers le trou d’air du guichet, passage du regard de Tomek puis de la main de Magda, de son corps donc, qui vient le chercher, le heurter, et finalement le caresser. L’enjeu du film est ainsi situé autour du dispositif du guichet et de son trou dans la transparence de sa surface, cet enjeu est celui du passage du corps en tant que regard et conjointement du regard en tant que corps. b) Passage du regard-corps… 76

Elle sait qu’il l’a vue parce qu’il le lui dit plus tôt dans le film (00 :31 :58) « Hier, vous avez pleuré ! » pour lui prouver qu’il a accès à son intimité.


Figure 219 et 220 : Le décalogue 6 (01 :07 et 01 :18) (Extrait 12) « Décalogue, six », pluie de verre sur le sol. Entrée en jeu de Tomek…

Dans la séquence suivante du Décalogue 6, celle du générique qui intervient après le prologue du guichet, une vitre vole en éclats, hors-champ, et tombe en une myriade de flocons de verre qui s’écrasent sur un parquet près duquel se tient la caméra, en plongée. (Voir extrait 12) Nous sommes dans un gymnase, comme le montrent des espaliers vers le haut du cadre, sur un terrain de basket-ball comme nous le découvrirons par la suite, une ligne blanche vient dessiner un angle droit comme le coin d’un cadre. Le seul objet filmé est ici la limite d’une aire de jeu. C’est d’ailleurs sur cette limite réelle que viennent choir les éclats de verre qui sont, eux, la métonymie d’une effraction de la limite, du verre d’une fenêtre comme limite d’un espace. Le titre du film, Dekalog, szesc, apparaît alors et souligne la dimension emblématique du plan. Le titre, c’est-à-dire le nom du film, et la ligne blanche du terrain, travaillent ensemble pour définir, délimiter, associant une nouvelle fois l’acte de nommer et celui de cadrer. La lettre « K » du titre trouve d’ailleurs une sorte de reflet inversé dans la forme graphique que constitue les lignes de l’angle du terrain adossé au montant droit du cadre. La ligne du cadre mise en abyme par celle du terrain constitue une forme graphique qui renvoie une nouvelle fois à celle de la Lettre. Il s’agit à chaque fois de nommer et de faire advenir l’objet sur un plan imaginaire. Écran brisé, la paroi de verre invisible a volé en éclats, on ne peut éviter de penser alors, dans la perspective qui est la nôtre ici, à la vitre du guichet du plan précédent, à la surface de l’image ; la communication entre les espaces peut avoir lieu, Tomek accomplira


physiquement ce que le trou permettait à son regard dans le plan d’ouverture du film, passer de l’autre côté. La limite qui est dessinée sur le sol et qui sépare un intérieur d’un extérieur va d’ailleurs être franchie. En effet, quelques secondes plus tard, Tomek apparaît, tombant du hors-champ situé en haut du cadre, ayant sauté d’une lucarne dans la pénombre du gymnase. Il est entré par effraction dans cet espace où il a atterri, les pieds juste au bord de la ligne blanche qui définit l’intérieur et l’extérieur du terrain de sport. Très vite, son pied franchit la ligne, il se déplace alors à l’intérieur du cadre blanc, fait quelques pas se retourne et, quittant le terrain de sport, disparaît dans l’embrasure d’une porte ouverte au fond de la salle. Il entre ainsi trois fois à l’intérieur d’un cadre ; celui qui délimite le champ, celui qui délimite le terrain et celui qui s’ouvre dans la profondeur vers un arrière-monde inconnu du spectateur. Ces franchissements de seuils peuvent, de manière métaphorique, signifier qu’il est passé à l’acte dans sa quête scopique (l’effraction tient lieu d’acte de par son caractère irréversible), qu’il est physiquement entré dans l’image, il a fait un pas, réalisant son désir. En un seul plan, le spectateur assiste ainsi à trois passages d’un espace à l’autre, à trois traversées du seuil d’un cadre et ainsi à l’entrée – on pourrait dire à la montée - du corps du postier voyeur– et au-delà du sujet regardant - dans son propre regard. Tout d’abord, l’entrée dans le champ de Tomek venant du hors-champ s’accompagne de la chute de morceaux de verre qui indiquent qu’une paroi a été brisée. C’est probablement, dans un enchaînement logique, la vitre du guichet qu’on vient de voir qui a volé en éclat. Ce qui le séparait de l’objet de son regard, ce qui faisait écran à son désir de contact avec cet objet, est aboli. Il abolit la surface transparente qui ne laissait passer que le regard et se trouve de plein pied dans l’espace où se plongeait son regard. C’est précisément après avoir brisé la paroi de verre que Tomek entre dans le champ, l’entrée de son corps dans l’image du film correspond ainsi au franchissement de cette séparation désormais abolie. Chose aussi surprenante, il entre dans le champ par le bord supérieur de l’image - ce qui est très rare au cinéma - et dans un mouvement de chute. Cette façon d’entrer associée à l’obscurité qui règne dans la salle du gymnase peut laisser penser qu’il pénètre dans un sous-monde, qu’il entre dans une couche inférieure de son regard, qu’il investit les arcanes du voir. Ensuite, l’entrée dans le cadre du terrain de basket manifeste à la fois la dimension ludique de son activité scopique, il s’agit pour lui de jouer avec le regard de Magda, avec la honte, avec sa pulsion. Le franchissement de la limite du terrain souligne le caractère transgressif de son intrusion. L’effraction, restée hors de vue, est visualisée par le chevauchement de cette ligne blanche qui rappelle que Tomek a bafoué (ou est en passe de le


faire) une convention essentielle de son voyeurisme ; ne pas entrer dans le champ de celle qu’il observe. La règle du jeu n’est pas respectée, et l’univers très réglementé du sport, avec ses lignes, ses sanctions, ses zones…est particulièrement apte à signifier ici qu’il y a dans le geste de Tomek une forme de tricherie. A la fin de ce plan allégorique, Tomek disparaît, franchissant le seuil d’une porte qui apparaît comme une fente luminescente ouvrant sur le fond sombre de la pièce un passage vers le hors-champ. Il entre avec tout son corps dans un nouvel espace poussé par l’appétit de son œil, comme nous le découvrirons plus tard, puisqu’il vient en ces lieux pour dérober une lunette d’approche qui lui permettra de mieux observer Magda. Ce nouveau franchissement de seuil l’amène tout entier dans l’espace voisin où se porte son regard, il passe d’abord la tête pour voir avant de s’avancer dans le champ de son regard (figure 221). Nous avons dans cette séquence introductive et rendue emblématique par sa position de seuil, isolée de l’espace diégétique, une formulation allégorique de la question de l’épisode 6 du Décalogue et plus largement du Décalogue tout entier ; que désire le spectateur ? Qu’estce que voir, qu’est-ce que donner à voir ?77

Figure 221 : Le Décalogue 6 (01 :34) (Extrait 12)

Que vient faire Tomek dans ce lieu qui semble éloigné de l’univers où le spectateur l’a rencontré dans la séquence précédente ? La suite de la séquence nous indiquera qu’il est venu voler une lunette d’approche dans un débarras du collège où se trouve le gymnase, il est venu dérober un petit tube cylindrique doté de lentilles grossissantes qui tient tout à la fois du 77

Placée dans l’intimité de la relation scopique entre un voyeur et celle qu’il aime regarder, la question ne portera pas ici sur le voyeurisme en tant que disposition psychique à trouver dans son regard même l’objet de la pulsion. Comme nous le verrons plus loin, il s’agira de mettre en jeu la dimension haptique et la dimension orale du regard afin de mettre au jour ce qui hante véritablement le regard avide du spectateur (indépendamment du voyeurisme). Nous postulons ici qu’il s’agit d’une quête de l’origine et que l’image y est conçue comme la possibilité d’un passage vers cette origine. L’image-fente est l’image comme ouverture et comme passage vers l’origine, c’est-à-dire comme retour vers l’objet re-présenté et mis en absence par l’image.


viseur de la caméra et de la longue-vue. Une matérialisation du regard et un symbole phallique. Dès que Tomek disparaît de l’autre côté, par l’embrasure de la porte, un « cut » net nous amène au plan suivant qui montre Magda chez elle, vue de l’extérieur, par Tomek luimême, elle apparaît dans le rectangle de lumière dessiné par la fenêtre de sa cuisine ; le tiers droit de l’image étant obturé par le mur de l’immeuble. Ce qui suit directement l’entrée de Tomek dans cette pièce inconnue est précisément le champ de son regard porté sur Magda. La contiguïté de ces deux plans - Tomek disparaissant dans le rectangle de la porte qui mène de l’autre côté et Magda apparaissant dans celui de la fenêtre depuis son point de vue - crée un écho visuel (effet de continuité) qui laisse penser que Tomek est passé du côté de ce que le spectateur voit ensuite. Il est entré tout entier dans ce qu’il regarde, il se tient dans le champ de son propre regard. La séquence de la recherche et du vol de l’objet qui suit la disparition de Tomek par l’embrasure de la porte, est ensuite entrecoupée de plans montrant Magda chez elle, toujours vue de l’extérieur à travers les « fentes » étroites et verticales que dessinent les fenêtres de son appartement dans la façade de son immeuble. Elle est regardée de chez Tomek, selon l’angle de vue qui sera celui des séances d’observation qui suivront, mais si l’on suit la logique du montage alterné, au moment où elle est chez elle, Tomek est en train de voler le matériel de vue rapprochée, la logique de la proximité des temps et de l’écart des espaces, propre au montage alterné, montrant des actions simultanées dans deux lieux différents, nous incite à penser que Tomek n’est pas chez lui. C’est donc le spectateur qui regarde Magda. Au début de la séquence ; par le travail du montage, le spectateur est laissé seul face aux apparitions de Magda, il est une nouvelle fois dans une activité d’observation cachée. Ce n’est qu’à la fin de ce montage alterné que les deux espaces se rejoignent, Tomek manipule sa lunette et Magda continue de se promener en tenue légère dans son appartement. Le spectateur avait-il devancé Tomek ? Tomek n’est-il arrivé qu’à la fin avec le fruit de son larcin ? Les deux espaces (gymnase et appartement de Magda) du montage alterné étaient-ils perçus de façon décalée dans le temps ? La séquence du vol était-elle un flashback ? Etait-il derrière sa lunette depuis le début ? C’est probable, mais aucune réponse claire ne sera donnée. Une confusion est ainsi établie entre le regard de Tomek et celui du spectateur qui aura l’habitude d’être désorienté par la façon dont le montage de Kieślowski inquiète son regard.


c) Où la fenêtre est une porte… Après l’évocation du passage du corps de Tomek par l’ouverture de la porte, il peut être intéressant de revenir sur un type d’image-fente déjà évoqué et présent à de nombreuses reprises dans Le Décalogue et qui prend une signification particulière si on le considère dans sa relation au thème du passage ; les embrasures de portes. Leur abondance est d’abord liée au fait qu’un grand nombre de cadrages ont été effectués dans des appartements assez exigus et que le cadrage à travers une embrasure y est un impératif, à la fois sémantique et technique. Il faut, d’un côté, signifier l’étroitesse et l’intimité des lieux, l’influence des murs sur les corps des personnages, et en même temps, s’adapter au fait qu’aucun recul - aucune profondeur - n’est techniquement possible sans filmer les personnages, dans une autre pièce, à travers les embrasures des portes. Comme nous l’avons vu plus haut, il s’agit aussi de mettre en scène l’apparition du corps dans un cadre, la saillie du visible à la surface de l’étendue transparente définie par le cadre (ce qui fait office de toile ou d’écran) et de visualiser les lieux où se tient la parole dans le film. Les seuils sont des lieux où les choses se disent car prendre la parole est une forme d’apparition au regard de l’autre, apparition que le chambranle de la porte dispose et souligne. Ainsi, les embrasures de porte sont d’abord des fentes qui intensifient l’apparition d’une part et d’autre part redoublent et soulignent ainsi l’effet d’intrusion du regard dans l’autre espace. Respectant en cela leur nature janusienne ; elles sont à la fois une entrée pour le regard et une sortie pour les corps donnés à voir. Elles sont l’indication du lieu où les apparitions et les regards se rencontrent à la surface de l’image. Cependant, l’embrasure n’est pas uniquement une figure métadiscursive, elle n’est pas seulement une image-fente, mais elle constitue et présente un trait important de l’image-fente en tant que concept heuristique. L’embrasure est avant tout un lieu de passage situé entre deux espaces qu’elle relie et sépare en même temps. En cela, au-delà de son rôle réflexif formel qu’a analysé Victor I. Stoichita dans L’instauration du tableau, elle nous dit que toute image construite à partir de la finestra est potentiellement une porte qui s’ouvre au regard conçu comme un corps apte à en franchir le seuil. Elle se présente ainsi comme l’expression d’un désir d’entrer dans l’image. C’est à la fois une figure métadiscursive ancienne, étudiée par Victor I. Stoichita dans L’instauration du tableau, mais aussi l’expression de cette invitation à entrer en elle, lancée par la fessura qui hante la finestra et la travaille au bord. Or entrer en elle, c’est faire disparaître l’embrasure derrière soi, franchir le seuil c’est abolir l’embrasure.


Pour être plus précis, disons que l’embrasure de porte, en tant que seuil, porte en elle la fonction de passage qui constitue le second attribut du concept heuristique d’image-fente. Le passage est à l’origine même de la notion de finestra, elle-même héritière de l’expérience de Brunelleschi qui sert de mythe originaire à la construction en perspective. Dans son essai L’origine de la perspective, Hubert Damisch écrit au sujet de l’expérience de Brunelleschi, que la fameuse vue du baptistère, qu’on considère généralement comme ayant été faite comme à travers une fenêtre, pourrait aussi bien avoir été une vue à travers une porte. « Si un tableau, suivant la métaphore d’Alberti, peut être considéré comme une fenêtre percée dans un mur et à travers laquelle le spectateur est censé regarder vers l’extérieur, ce n’est pas sans une apparence de raison que Filarète, (…) devait assigner au plan de projection une forme carrée qui prendra dès lors valeur de principe, sinon d’archétype. Par voie de conséquence, on admettra que, dans le contexte du mythe d’origine, le prototype ne pouvait lui-même être que carré, qui répondait cependant moins à la donnée d’une fenêtre qu’à celle d’une porte. Or là où l’image de la « fenêtre » implique une solution de continuité entre le sol où est établi l’observateur et celui qui fait l’assise de la représentation, il n’en va plus de même de celle d’une porte, quand bien même le seuil en serait précédé de quelques marches ou s’ouvrirait sur un intérieur en contrebas, ainsi que c’est respectivement le cas, aujourd’hui, à Florence, pour la cathédrale et pour le baptistère. »78 Hubert Damisch montre que Brunelleschi a pu se tenir, non pas dans l’encadrement de la porte (fermée) de la cathédrale qui fait face au baptistère, mais à l’intérieur même de l’édifice, légèrement en retrait, utilisant ainsi les montants et le seuil de la porte comme base de son carré, et traçant à même l’air la ligne du haut du quadro qui « s’imprimera à même le ciel bien en dessous du linteau. »79 La porte, derrière le chambranle de laquelle Brunelleschi se serait posté pour regarder le baptistère à l’aide de son dispositif, offre en effet la possibilité de cadrer le champ de vision à partir du sol sur lequel, dans de nombreux tableaux, des dallages servent à créer une profondeur et ainsi à creuser l’espace tridimensionnel dans le tableau. Comme c’est le cas dans la fameuse Annonciation d’Ambrogio Lorenzetti que commente Daniel Arasse80.

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Hubert Damisch, L’origine de la perspective, op. cit. p. 124-125 Idem. 80 Daniel Arasse, « Un archange auto-stoppeur » in Histoires de peintures, Paris, Folio Essais, 2006, p. 99-110. 79


Figure 222 : Ambrogio Lorenzetti L’annonciation (1344) Détrempe sur bois (122 cm x 177,5 cm) Sienne, Pinacothèque nationale.

C’est par le pavement, c’est-à-dire en regardant le seuil, que l’image se creuse et que la surface s’ouvre. Loin d’être une fenêtre, le cadre ressemble bien ici à une porte. La finestra correspondrait ainsi davantage aux conditions de la toile elle-même, le quadro, le quadrilatère qu’Alberti inscrit sur la surface à peindre et qui sera pour lui « comme une fenêtre ouverte à partir de laquelle l’histoire représentée pourra être considérée »81 et à la peinture exposée sur un mur (fresque ou tableau) plutôt qu’au seul dispositif qui a permis la saisie de l’image. On pourrait alors considérer qu’il s’agit de mettre derrière une fenêtre, (ou dans une fenêtre) puisque le cadre est encore accroché à ce qu’il montre et qu’il en est le support, la limite et la base géométrique, ce qui a été vu à travers une porte, (puisqu’il semblerait qu’on peint à partir du sol et non à partir du ciel, tout en se tenant dans un autre espace), ce qui pourrait en partie expliquer l’abondance des dallages dans les tableaux en perspectives, ces derniers étant plus visibles dans une vue à travers une porte (ou de plein pied) que dans une vue à travers une fenêtre qui attire davantage le regard à hauteur d’homme, ainsi que l’abondance du motif de la porte ouverte dans les tableaux classiques, porte qui apparaît, selon l’angle, comme une fente, longue et étroite, ouverte dans une paroi, donnant sur un espace contigu. En effet, le fait que ce soit probablement à travers le cadre d’une porte que cette expérience ait été menée, pourrait indiquer, chez le sujet imageant, un désir de construire

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Leon Battista Alberti, La peinture, op. cit. p. 83.


l’image en perspective à partir d’un dispositif qui rendrait possible, au moins dans l’idée, un passage à travers, de l’autre côté, une entrée virtuelle dans l’espace représenté. Mais bien évidemment impossible au corps, ce passage virtuel ne se concrétiserait qu’au niveau de l’œil qui, dans le dispositif de Brunelleschi, apparaît dans un petit trou, au cœur de l’image peinte, reflété par le miroir. Œil qui affleure au lieu du point de fuite qui correspond, dans cette perspective monoculaire, au point de vue, dans une sorte d’intégration spatiale du spectateur, réduit à son point de vue, dans l’espace représenté. La grande différence entre la fenêtre et la porte, c’est que la fenêtre est faite pour laisser passer le regard, alors que la porte, elle, l’est pour laisser passer des corps. La fenêtre est une porte pour le regard. Le regard est le corps susceptible de franchir le seuil de la fenêtre. Et c’est dans cette fonction, précisément, comme invitation à entrer dans la toile, à réunir, sans solution de continuité, l’espace de la représentation et l’espace du spectateur, que le motif de la porte, en peinture, exprime peut-être une attente que le cinéma va satisfaire, lorsque s’ouvriront les portes de l’usine Lumière et que sortiront les corps des ouvrières. On peut d’ailleurs remarquer que le dispositif mis en place par Louis Lumière lors de cette première expérience de photographie animée, témoigne de cette complémentarité de la porte et de la fenêtre, dans l’acte conjoint de regarder et de représenter qui est le propre de la peinture ressemblante, en héritier de la perspective albertienne, il ouvre la fenêtre d’un appartement sur l’historia et cadre cette embrasure de porte qui depuis des siècles expose et retient les corps des personnages représentés. D’une certaine manière, faisant cela, il retourne le dispositif, se place dans le cadre (de la fenêtre) et filme l’entrée de différents personnages dans un cadre comme sa propre entrée dans l’espace à représenter. Les opérateurs Lumière ne tarderont pas à « enjamber » la fenêtre pour venir au milieu de l’espace filmable pour le filmer en expérimentant assez vite les conditions de la présence du filmeur dans l’espace filmé. N’étant pas encore un regard sans corps, le filmeur se fait souvent voir, et il est regardé par « les petits personnages agiles » qui peuplent les vues 82 . On l’évite ostensiblement, on le regarde, on s’arrête devant lui, il est là, avec son corps visible. Son regard est encore appendu à son corps, il n’a pas encore rejoint la fiction de sa présence invisible dans l’espace filmique.

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Notons tout de même que dans les vues narratives ou fictionnelles, l’opérateur est plus souvent oublié. De même que la première vue, La sortie des usines Lumière, est prise par Louis Lumière depuis un appartement situé en face de la porte, en cachant l’opérateur, selon un dispositif


Le corps de Tomek, en disparaissant par l’embrasure de cette porte juste avant que le générique ne nous montre Magda rentrant chez elle, filmée selon un cadrage de la fenêtre d’en face, qui rappelle ceux de Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock, pourrait ainsi rejoindre l’espace de la représentation, celui où se projette son regard lorsqu’il observe Magda. La fente permet ici au corps du regardeur de se rendre où son regard s’échappe, c’est-à-dire dans l’espace voisin, le regard devenant une extension du corps capable de se glisser par l’ouverture de la fente. Le sujet regardant est ainsi à l’origine et au bout de son regard, il gratte, caresse, pince l’image sans jamais la toucher autrement que sans contact. Alors que la finestra maintient le corps du spectateur à une certaine distance en lui assignant une place précise, qui entérine donc son existence en tant que corps visible et incarné, l’image-fente, elle, l’évanouit, l’ignore en tant que corps visible et ne l’envisage que comme une conscience visuelle, un œil désincarné. Que ce soit dans le cas du regard à la caméra, dans celui des jalousies ou des persiennes, dans celui de la caméra portée ou des embrasures de portes83, l’image-fente suppose un œil collé à l’ouverture, ou plus précisément une absence de recul. La finestra se présente comme un dispositif dans lequel le corps du spectateur est pris en compte et maintenu à une certaine distance, en un lieu que lui assigne une image faite pour son œil qui occupe la pointe de la pyramide visuelle dont le cadre est une interruption, une image construite à partir des montants du cadre et ouvrant donc sur un espace accroché à ce cadre. Loin d’être une ouverture sur un espace autonome, la finestra albertienne est en fait une clôture. Hubert Damisch, dans son essai Un souvenir d’enfance par Piero Della Francesca dit à ce sujet : « Une fenêtre donne, a vue sur l’extérieur, et le spectacle qu’elle découvre, tout ce qui se laisse voir à travers elle, s’inscrit dans des limites précises, mais qui varient en fonction de la distance : si je m’approche d’elle, mon champ de vision s’élargira, si je m’en éloigne, il ira rétrécissant. Ce qui correspond, comme on dirait aujourd’hui, dans le langage qui est celui du cinéma plus encore que de la photographie, et jusque dans l’effet de zoom auquel il prête, à une manière de cadrage. Le terme ne désignant rien d’autre, comme l’écrit Pascal Bonitzer, que cette découpe partielle- et éventuellement partiale- de la réalité : une réalité dont on doit dès lors supposer qu’elle va se prolongeant derrière le mur ou la paroi, par-delà les limites de

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Seules, les embrasures de portes, mettant en jeu le passage de l’autre côté en redéfinissant le bord à l’intérieur même de l’image supposent un certain recul, le visualisent et ce faisant, éloignent l’œil de la fente, mais c’est pour la montrer tout entière.


la fenêtre, ainsi que seraient censées le faire des lignes de fuite du tableau, la métaphore trouvant en fait dans la photographie, et plus encore dans le cinéma, sa justification ultime. Or ce n’est aucunement d’une découpe de cette espèce que procède la construction perspective telle que la décrit Alberti, mais de la détermination (du latin determinare, «marquer les limites de… ») du champ qu’on dira être celui du tableau en tant qu’il se règle sur le dispositif perspectif. Un champ dès l’abord strictement défini dans sa forme (rectangulaire) autant que dans ses limites : son ouverture se confondant en fait avec sa délimitation même.»84 Ce modèle se retrouve pleinement dans le dispositif du voile tenu par un cadre et divisé en sections carrées qu’Alberti nommait « voile intersecteur » et qui devait être placé entre l’œil du peintre et les corps et les objets à représenter de façon que le peintre n’ait plus qu’à recopier, section par section, ce qui apparaissait sur la surface du voile (sorte de fenêtre). La fenêtre d’Alberti est avant tout une comparaison, le texte dit « comme une fenêtre ouverte… », il s’agit d’un procédé technique opératoire plus que d’une ouverture au regard, ce qu’évoquerait davantage la notion d’image-fente, qui porte en soi cette idée d’ouverture fortuite pour le regard et cette autonomie vis-à-vis de l’espace représenté. L’image-fente apparaît alors non plus comme une fenêtre intentionnellement ouverte dans un geste inaugural, mais présente le bord de l’image comme une simple ouverture, fortuite, devant laquelle le corps du spectateur serait sans place attribuée puisque totalement ignoré et donc sollicité dans son désir de se rapprocher et d’entrer. En effet, en faisant comme si elle ne le voyait pas, la fente invite le corps du spectateur à se rapprocher en toute sécurité pour coller son œil à l’ouverture et se re-trouver entièrement dans son regard, de l’autre côté, à la conquête (ou dans l’attente) du hors-champ. Le regard entre dans la fente comme un corps emprunte une porte. Mais ce regard est un corps inattaquable, intouchable, in-coupable. Eternellement entier puisque sans chair. Le regard est un corps de complétude. Les dispositifs présentant l’image comme une fente abolissent ou estompent la distance entre l’œil et la surface de projection, la photographie et le cinéma exigent du sujet imageant qu’il colle son œil dans un viseur85. Quant aux spectateurs, s’ils sont à la recherche de la place que leur attribue le tableau, ils choisissent leur place de manière plus aléatoire au cinéma. Le film n’est pas fait pour être 84

Hubert Damisch, Un souvenir d’enfance par Piero Della Francesca, Paris, (La librairie du vingtième siècle) Seuil, 1997. p. 137-138. 85 Une phénoménologie des pratiques du corps dues à l’utilisation du numérique reste à faire.


vu d’un endroit précis, notamment parce que, dans sa condition d’œuvre reproductible, il n’a jamais les mêmes dimensions et n’a pas de lieu précis. Photographies et films sont des fentes dans l’espace réel, ils existent non pas comme objets singuliers, mais comme champ de vision. La photographie comme le film attendent surtout un œil devenu corps entier et coupé du corps physique qui ne sert à rien, et non un spectateur incarné susceptible de se déplacer devant le tableau. Ils sont les médiums privilégiés de l’image-fente. L’œil et la fente se confondent, si bien que l’image-fente86, comme dispositif visuel, correspond à l’œil d’un témoin, mais d’un témoin discret, invisible de tous, y compris de luimême. Cette image-fente permettrait ainsi la fusion du sujet regardant avec l’espace regardé par absorption de son corps après sa réduction à un pur regard, comme dans l’expérience de Brunelleschi qui, selon Damisch, a abrité son corps dans l’entrée de la cathédrale Santa Maria del fiore pour glisser son œil dans le trou de son dispositif et regarder le baptistère à travers l’embrasure de la porte. Ainsi donc, devant l’image conçue comme une fente, le spectateur est voyant invisible, dispensé d’assumer son regard, il n’existe que dans le corps de ce regard, comme s’il n’y avait pas de solution de continuité entre l’image et son corps, ce qui permet de parler de fusion. Dans la finestra, le spectateur est pris en compte, l’image étant construite de manière à lui attribuer une place, le cadre agit alors comme une scène de théâtre, il indique le lieu du spectacle et s’adresse aux regards des spectateurs qui existent alors comme sujets d’un travail d’interprétation. Alors que la fessura absorbe le spectateur, la finestra et son cadre structurant le fixe dans sa position de sujet. d) Le personnage-regard, une figure du passage Le regard, le corps regardant, arrêté dans son activité scopique, dans ce geste immobile et invisible qu’est l’acte de regarder, est très présent dans Le Décalogue. Les personnages se regardent les uns les autres, s’observent à travers les fentes, fenêtres, jalousies, embrasures ou encore baies vitrées que le hasard place devant eux… Ces témoins discrets, comme des filmeurs anonymes, source de l’ocularisation interne dans le Décalogue, sont ainsi les personnages eux-mêmes, qui offrent au spectateur un point de vue in situ et parfois une vue subjective (marquée par des affects comme la jalousie) sur l’histoire. Postés comme des 86

Il s’agit ici du premier degré de l’image-fente, celui du dispositif visuel dans lequel un regard emprunte une fente pour regarder un objet.


sentinelles, ils gardent les lieux en ouvrant des champs qu’ils chargent de leurs désirs, de leurs peurs, de leurs espoirs. Mais tous ses regards sont ancrés dans l’espace-temps fictif du film, ils ont des noms, des professions, ce sont des personnages dont le regard est exposé, ils tissent dans le polyptyque un réseau de champs de vision qui est la conséquence de leur existence, mais non leur raison d’être. Or, dans huit des dix épisodes du Décalogue, une personne (incarnée par le comédien Artur Barciś) apparaît de façon récurrente, sans jamais rien dire, n’ayant pour fonction que de regarder, de dévisager les personnages ou le spectateur. Ce n’est pas à proprement parler un personnage, dans la mesure où il n’a pas d’identité connue, c’est un figurant récurrent si l’on considère le terme comme désignant à la fois le comédien secondaire et son rôle mineur dans le film. Cependant, il est souvent présent à un moment ou en un lieu importants de la vie des personnages qu’il croise, et s’il n’intervient jamais, il peut tout de même avoir une incidence sur les événements. C’est le cas dans Le Décalogue 4 où il sort d’un canoë après avoir traversé une rivière, se met à marcher en le portant sur sa tête, et dévisage Anka au moment où elle s’apprête à transgresser l’interdit paternel concernant la lettre de sa mère qu’elle ne devrait pas encore ouvrir. L’échange appuyé de regards entre eux semble, dans un premier temps, la faire renoncer. Apparaissant dans des situations qui peuvent rappeler celles dans lesquelles Hitchcock apparaissait dans ses films, il est souvent intégré à la situation en tant que simple passant (Le Décalogue 6 et 9), interne ou infirmier d’un hôpital (Le Décalogue 2), employé de la voirie (Le Décalogue 5) et dans le même épisode peintre dans la prison où Jacek est incarcéré (Le Décalogue 6), conducteur de tramway (Le Décalogue 3), étudiant en philosophie (Le Décalogue 8), ou encore sous l’apparence de cet intriguant personnage qui porte sur sa tête un canoë (Le Décalogue 4). Témoin involontaire de l’action, ce personnage change de fonction sociale, de tenue, et d’attitude, si bien que c’est, seul, le corps et le visage du comédien Artur Barciś qui font référence, qui servent à l’identifier. Ce hiatus entre le rôle et le corps crée une sorte de fente dans l’univers fictionnel de la petite cité de Varsovie où les personnages sont censés vivre. Il n’en dénonce pas complétement la facticité mais ouvre un passage hors diégèse entre les épisodes, il manifeste une hétérotopie qui fend la cohérence de cet univers fictif et établit un autre plan au cœur même de cet univers banal. Si son rôle est intégré à la situation, bien que parfois mystérieux (Le Décalogue 4, Le Décalogue 6), le fait qu’il soit facilement


reconnaissable et que ce soit justement le corps nu sous l’habit qui l’identifie si évidemment, nous amène à nous interroger sur ce corps. Qu’incarne-t-il ? Comme nous l’avons déjà vu, il arrive bien que d’autres personnages se retrouvent d’un épisode à l’autre, comme simples silhouettes, mais dans chacune de leurs diverses apparitions, c’est le personnage qui réapparaît et non uniquement le corps du comédien, il est dans une situation et porte alors des habits et des accessoires qui l’identifient facilement et sert ainsi de fil conducteur, de lien, entre les différents épisodes. Seul Tomek, qui est vu derrière un guichet de poste par les deux frères du Décalogue 10, semble « déplacé » puisque le bureau de poste en question n’est pas celui où il officiait dans Le Décalogue 6, mais le spectateur peut bien se dire qu’il a changé de lieu d’affectation à la suite de son aventure avec Magda. Il a toujours le même métier et le même rôle. La vraisemblance est sauve.

Figures 223 à 230 (de gauche à droite et de haut en bas) : Le Décalogue 1 (00 :18), Le Décalogue 2 (45 :05), Le Décalogue 3 (27 :24), Le Décalogue 4 (12 :13), Le Décalogue 5 (20 :12), Le Décalogue 6 (29 :12), Le Décalogue 8 (14 :39), Le Décalogue 9 (02 :04) Principales occurrences du personnage-regard (Artur Barciś) dans Le Décalogue.

Une continuité cohérente s’installe ainsi d’un épisode à l’autre, dessinant les paysages d’une

Comédie

Humaine

cinématographique

dont

les

différents

compartiments

communiquent. Cependant, cette personne qui apparaît au milieu des personnages, semble,


elle, au contraire, par l’invraisemblance de son cas, extérieure à cet univers où pourtant elle occupe des fonctions concrètes. Le hiatus entre son corps reconnaissable (celui d’Artur Barciś au visage fin et tranchant) et ses fonctions sociales différentes ouvre à une interrogation sur son vrai rôle. De nombreux commentateurs du Décalogue l’appellent « l’ange »87 à la suite de Kieślowski88, Véronique Campan, elle, parle de « l’observateur muet » et mobilise la figure Ahasvérus, « le juif condamné à errer, exclu de tout lieu comme de toute époque, parce qu’il n’a pas voulu reconnaître l’image du divin en Jésus. »89 Fidèle à son idée de voir comme centrale, dans le polyptyque, la question de la représentation du divin, s’appuyant en cela sur une lecture restrictive de la portée du second commandement90, Véronique Campan en vient à cette association qu’elle n’explore pas au-delà du thème de l’errance et évoque ensuite l’arpenteur kafkaïen… Or cette association entre ce personnage et Ahasvérus est très féconde. En effet son « observateur muet » nous est présenté tout d’abord assis à côté d’un feu, dans la nature, tel un pâtre antique, c’est ainsi qu’il ouvre la série et met immédiatement le spectateur en joue avec son regard perçant. Il apparaît aussi vêtu d’un long manteau et portant des valises dans Le Décalogue 6, ce qui pourrait faire de lui un éternel voyageur, et il a un air étrange et erratique dans l’épisode 4 lorsqu’il sort de son canoë et le porte sur sa tête. Dans les épisodes 3, 5, 791 et 9, son apparition est liée au voyage ou au déplacement92. Il est dans une position différente dans le second épisode où il se présente sous les oripeaux d’un infirmier ainsi que dans le huitième où il est un étudiant du cours d’éthique que donne Zophia. Il semble cependant bien être marqué par les attributs de l’errance ; errance sociale, identitaire et géographique. 87

Il peut être utile de souligner ici que ce terme utilisé par Kieślowski trouve un écho (et peut-être une source) dans le polyptyque médiéval du musée de Varsovie qui a initialement inspiré Krzysztof Piesiewicz, où l’on voit dans chaque case, un ange et un démon qui cherchent à influencer les personnages confrontés à des tentations de transgresser chacun des interdits du décalogue. Sans être directement transposable au rôle de « l’ange » de Kieślowski, qui n’est pas une incarnation du bien, cette présence d’un regard extérieur, au moment de la transgression, rappelle celle du Décalogue. Il semblerait que tout choix implique le regard de l’autre, tout choix doit avoir un témoin, ou tout au moins, tout choix suppose un une mobilisation de l’instance du surmoi incarnée ici par le regard extérieur. 88 «Mais qui est ce type ? Le laitier ? Un homme qui porte une échelle ? Krzysztof dit que c’est un ange. Je demandai : un ange comment ? Si c’est un ange, donne-lui un attribut qui montre que c’est un ange ; et pas seulement un type qui rode dans le coin. Mais, il me dit qu’il devait en être ainsi. » Propos de Dariusz Jablonski rapportés par Alain Martin et tiré du film Still Alive de Maria Zmarz-Koczanowicz (2006), in Krzysztof Kieślowski. L’autre regard, Paris, C/O Irenka, 2010, p. 157. 89 Véronique Campan, Dix brèves histoires d’image. Le Décalogue de Krzysztof Kieślowski, op. cit. p. 51. 90 Je considère pour ma part qu’il porte sur toute forme de représentation iconique, conformément à ce qu’en disent les pratiques, et que c’est ainsi qu’il met en jeu la responsabilité du cinéaste. 91 On l’y voit de loin, il porte des béquilles et s’approche d’un train mais n’est pas utilisé comme source d’un regard mis en évidence comme c’est le cas dans les autres épisodes. 92 Chauffeur de tramway dans Le Décalogue 3, employé de la voirie (gardien des routes) dans Le Décalogue 5, près d’un train dans le 7 et à vélo dans le 9.


Cette association avec Ahasvérus est d’autant plus féconde qu’elle met en jeu le refus de reconnaître le Christ comme une image de Dieu et donc dénonce une idolâtrie, un attachement au signe iconique au détriment de son revers d’invisibilité, de sa dimension symbolique, de sa mise en absence du signifié, source de la puissance du verbe et de la coupure initiale qui fonde l’éthique dans le décalogue mosaïque. Le personnage-regard incarne dans le polyptyque cette faculté de percevoir l’enjeu éthique des situations et comme nous l’avons vu, de repérer, par son rôle d’admoniteur, le moment où un attachement idolâtrique va faire (ou défaire) son travail de fusion du sujet avec l’objet perdu. Il est donc l’incarnation du choix éthique, en tant que capacité à faire le deuil de la continuité, en tant qu’invitation à la discrétion (dans tous les sens du terme), en tant que regard de l’autre, regard venu de l’autre et en particulier de l’autre côté, c’est-à-dire du côté du spectateur. C’est ici que réside sa première dimension ; « l’ange », « l’observateur muet », est notre émissaire dans l’espace diégétique du Décalogue. Il est plus exactement notre regard incarné, il ne fait rien d’autre que porter ce regard qu’il nous a montré au tout début dans la toute première case du polyptyque. A la fois conscience non dupe qui erre dans le monde et pointe l’index de son regard sur les idolâtries des hommes qu’il croise, il est aussi le fruit de notre propre idolâtrie, résultat de notre désir de pénétrer dans le corps de l’image, d’y (a)voir un commerce avec l’origine. Il est un personnage-regard, c’est-à-dire le corps visible de notre regard de spectateur de film intégré à l’espace diégétique du film. Agissant en cela comme les trompe-l’œil souvent présents au début des épisodes, il utilise notre pulsion scopique pour lui apprendre à se méfier d’elle-même, à se déprendre de son attachement à l’origine. Comme un œil caché dans l’anonymat des fonctions subalternes qu’il occupe avec discrétion, il n’est là que pour voir, pour être l’incarnation d’un regard invisible de pur spectateur de l’action, ce regard évanescent qui prend chair, ici dans l’œil universel des différents témoins qu’il incarne et que le hasard dispose dans les environs des personnages, aux moments cruciaux de leur choix. Il interroge le moment. On le voit en effet au moment des choix ou des désillusions qui se présentent aux personnages, et tout particulièrement au début de la série, dans les tout premiers plans du Décalogue 1. C’est justement lui qui ouvre la série, il est le premier être humain apparaissant dans cet univers fictif et son regard à la caméra initial, alors que le spectateur ne sait pas encore qu’il le reverra à plusieurs reprises et sous différentes identités sociales, au fil des films de la série, marque la scène d’une profondeur éthique qui s’établira rétrospectivement. Dans le premier épisode, il interroge directement l’idolâtrie du spectateur de film, son attachement à l’image et à sa capacité de


résurrection. La tante de Pawel regarde son neveu vivre sur l’écran de télévision alors même qu’elle vient d’apprendre sa mort. Très présente dans le premier film, l’idolâtrie est mise en jeu par le regard à la caméra initial. C’est bien le rapport du spectateur à l’image du film qui fait l’objet du polyptyque. Dans les autres cas, il souligne le moment du choix ou de la désillusion. Quand Tomek court dans la cour de la cité en traînant une carriole chargée de bouteilles de lait, il semble le prévenir du regard des risques qu’il prend dans cette illusion dont il se nourrit, dans cette lactation de l’image de Magda. Dans Le Décalogue 9, il croise deux fois Romek, lorsque celui-ci apprend son impuissance et vient de lancer sa voiture sur un bas-côté de la route, puis à la fin, lorsqu’il fonce tête baissée sur son vélo en direction d’un pont inachevé. Le personnage-regard accompagne ce geste idolâtre qu’est le choix du suicide, suppression totale de soi pour ne pas avoir à supporter la suppression de la partie, accepter sa propre castration qui prend ici forme dans une défaillance virile. L’idolâtrie, on l’aura compris, par son caractère fusionnel avec le maternel dans la quête de l’origine, se présente comme un refus de l’incomplétude et par là comme une rivalité avec la toute puissance paternelle, et particulièrement celle de Dieu. Il est aussi présent auprès de Dorota, dans le second épisode, lorsqu’à l’hôpital, elle regarde son mari mourant et se demande si elle va pouvoir ou non garder l’enfant qu’elle porte en elle et qui est le fruit de sa relation adultérine. Elle non plus ne veut pas accepter la perte, c’est-à-dire sa part de souffrance. Ou son mari meurt et l’enfant vivra, ou son mari vit et elle avortera. Deux totalités s’excluant l’une l’autre semblent s’offrir à son choix, et l’entredeux d’une souffrance et d’une perte éventuelle de l’amour de son mari lui semble impossible. Dans l’épisode 3, c’est encore au moment d’une velléité suicidaire chez Ewa que le personnage-regard, aux commandes d’un tramway se présente face au véhicule où se tiennent les anciens amants. La voiture déviera au dernier moment, et Janusz, au volant demandera à Ewa si « ça va comme ça ? », si son goût de la mort est satisfait. Ewa est idolâtre, elle ne peut renoncer à son ancien amant qu’elle embarque dans une fiction qu’elle a soigneusement confectionnée en guise de dernier espoir avant un suicide planifié. Dans le quatrième épisode, Ania tient un objet fétiche faisant figure d’origine entre ses mains, sous la forme de la lettre de sa mère lui indiquant supposément le nom de son vrai père, au moment où elle va réparer ce manque, retrouver sa complétude identitaire, forcément illusoire, « l’ange » la regarde et elle y renonce. A la fin, avec l’accord de celui qui l’a élevée comme un vrai père, elle brûlera la lettre et renoncera ainsi à son idolâtrie de l’origine et de


l’identité, passant ainsi, assez explicitement, du nom du père au fameux non dupe erre, et acceptant cette errance. Dans le cinquième épisode, Jacek est dans le taxi, derrière sa future victime, lorsque le personnage-regard porte son œil sur lui. Il apparaît alors dans la position d’un arpenteur, un employé de la voirie, tenant des instruments dans ses mains. Il regarde dans la direction du jeune idolâtre qui refuse à la présence de sa petite sœur. Confronté au néant de l’image, comme nous l’avons vu, il va tuer littéralement la présence sans image du chauffeur après avoir pris soin de cacher son visage sous une couverture où poindra un sang épais et sombre. Dans Le Décalogue 7, le personnage-regard est à peine présent93, est vu de loin sur le quai de la gare au moment précis où Majka doit monter dans le train qui la séparera définitivement d’Ania, sa fille mais aussi sa sœur selon le mensonge familial. Elle renonce alors à cette idolâtrie qui consiste à prétendre pouvoir posséder un être, elle renonce à cette restauration phallique qu’aurait représenté sa réunion idéale avec cet objet que sa propre mère lui avait pris. Dans le huitième épisode, étudiant en éthique, il fixe le spectateur durant le témoignage d’Elzbieta, comme pour lui indiquer qu’il ne faut pas, non plus, idolâtrer l’éthique. Ce personnage pourrait être la projection de tout spectateur, en tant que passant anonyme, dans le film, il pourrait être, aussi, une incarnation de ce regard-corps que l’imagefente attire dans l’espace voisin. Un spectateur absorbé par le film, mais conscient de son désir d’absorbement, un spectateur éclairé en somme, qui jouerait avec l’image, comme un enfant avec une bobine de fil, et aurait conscience des enjeux de son amusement. Encore une fois, il ne faut pas compter sur Krzysztof Kieślowski pour fournir une signification officielle et définitive à la présence de cette figure énigmatique. Avec l’art du doute et celui de proposer des formes sans les encercler d’une glose d’auteur théoricien, Kieślowski laisse sa théorie suivre son chemin dans les images, seules. Il dit simplement au sujet de la présence de ce personnage-regard : « Il y a un personnage qui est filmé dans presque tous les films. Je ne sais pas qui c’est. Le gars arrive et regarde. Il nous observe. Il n’a pas l’air particulièrement heureux de nous voir. Il se promène, examine notre travail et poursuit sa route. Il n’apparaît pas dans le film VII94 parce que je l’ai mal filmé et j’ai dû faire des coupures. Il n’apparaît pas non plus dans le film X où il y a des plaisanteries sur le trafic 93

Un plan plus rapproché avait été tourné, mais Kieślowski, peu satisfait, ne l’a pas utilisé, il ne reste que cette vue très lointaine. 94 On l’aperçoit tout de même au loin, sur le quai, près du train, dans la séquence finale.


de reins, j’ai préféré ne pas y mêler ce gars. J’ai sans doute eu tort. Il fallait le montrer aussi. »95 Il est donc là pour nous observer, observer notre travail, on peut se demander qui représente cette troisième personne du pluriel utilisée dans cette formulation et de quel « travail » il s’agit. Ce personnage a en tout cas un point en commun avec le spectateur, celui d’arriver et de regarder et de n’être là que pour cela. Le premier épisode, comme une sorte d’incipit, nous fait entrer dans le cadre spatiotemporel de la série. Il nous initie aussi au rythme de la narration et établit un type de relation avec nous ; il s’agira de prendre le temps de regarder attentivement les signes, et le tout premier est le regard à la caméra initial de ce personnage-regard. Il est ainsi important de remarquer que le personnage-regard dans sa toute première occurrence est associé à la coexistence entre l’eau glacée (immobilité) et l’eau fluide (mobilité). Nous avons vu plus haut qu’il est possible de voir dans l’opposition entre ces deux états de l’eau une équivalence avec l’opposition qui réside entre les deux états de l’image photographique, glacée, comme on le dit souvent de son papier, dans la photographie, et fluide au cinéma. Entre ces deux médiums de nature commune se tient la question de l’apparition des corps et de leur possible sortie du champ par le franchissement du seuil que représente le cadre. Or, dans le récit, la toute première image du Décalogue96 nous présente ce hiatus entre eau glacée et eau fluide, comme la première fente, la première faille perçue, et c’est justement cette glace qui sera le lieu d’un drame terrible dans la suite du film. Elle se fendra sous le poids de Pawel et de son camarade, durant une glissade en patins à glace. Leurs corps, disparus dans l’eau fluide après avoir trouvé un passage malheureux à travers la surface glacée, seront remontés un à un, sous les projecteurs des pompiers qui donneront d’ailleurs à la scène l’aspect extérieur d’un plateau de tournage. Mais cette image de sortie des corps par la fente de la surface brisée sera l’inversion complète d’une naissance et, peut-être, la mise en abyme négative du désir d’entrer dans l’eau vive du présent filmique qui habite le regard du spectateur. L’apparition sur ce plateau si bien éclairé est celle du mort dans l’image, du cadavre en tant qu’image. Si l’on poursuit la comparaison à la manière d’une interprétation de rêve, on peut dire que la mort naît de l’image. C’est ici sa face d’absence qui est en jeu. La mort, comme contraire de la naissance, pourrait alors remplacer, par déplacement, une autre

95

Krzysztof Kieślowski, Le cinéma et moi, traduit du polonais par Margot Carlier et Véronique Patte, éditions noir sur blanc, Paris, 2006. p.176. 96 Voir plus haut la figure 133.


forme de contraire de la naissance ; le retour à l’origine, la fusion avec la mère qui hante l’œil idolâtre. Le premier regard du personnage-regard accomplit lui aussi un passage, il cherche autour de lui, dans le vide et se tourne vers le spectateur, dans un regard à la caméra appuyé qui semble poser une question à celui qui le regarde. Il établit ainsi un lien avec ce dernier, met au jour le dispositif cinématographique dès le début et retourne son regard, ce regardcorps qu’il incarne, vers sa source. Le spectateur est donc invité par ce premier regard traversant la fente que constitue l’écran dans le mur, à considérer son propre regard comme un des « personnages » du film. On peut ainsi considérer que ce personnage-regard est l’incarnation du spectateur, fruit de son absorbement devant le film, il en est aussi la figure réflexive, l’admoniteur. Devenu corps dans son regard, il se situe au cœur de l’espace filmé qui se déploie dans toutes les directions autour de lui, et il cherche parfois à s’oublier, on le voit dans ses regards absorbés, il lui arrive aussi de se prendre comme objet de son propre regard, dans un moment tychique, d’éveil, comme nous incitent à le penser les regards à la caméra de l’épisode 1 et de l’épisode 8. Ce personnage étonnant, protéiforme, nous invite à considérer les modalités du passage du regard-corps du spectateur dans l’espace voisin qui est à même d’envelopper l’espace de la salle de projection et d’escamoter par le jeu du découpage et particulièrement de la figure du champ-contrechamp, le corps du spectateur qui se trouve ainsi « réduit » à un œil invisible. Cependant, ce désir d’entrer dans l’espace représenté n’est pas le propre du cinéma, il est lié à l’usage de la finestra, dans la mesure où elle est aussi une image-fente en devenir, la fessura la travaillant de son invitation à l’ouverture, au passage et à l’origine. Cette entrée dans l’image est ainsi très explicitement présente chez Diderot, dans ses écrits sur la peinture française de la seconde moitié du XVIII ème siècle, comme l’a montré Michael Fried en développant, à partir de ces textes, la notion d’absorbement.97

97

De ce mot ancien le Littré nous donne la définition suivante : « Etat d’une âme occupée entièrement. (…) Entre les deux mots absorption et absorbement, tous deux pris au figuré pour signifier l’état d’une âme préoccupée, absorbement vaut mieux. »


e) L’absorbement comme entrée du regard-corps dans l’image Nous retrouvons dans l’hypothèse précédemment formulée d’un personnage-regard considéré comme l’incarnation de la présence du spectateur en tant que regard dans l’espace de la représentation, l’idée qui est au départ de l’analyse que Michael Fried fait de la tradition picturale française dans le travail qu’il déploie à travers ses trois essais portant sur la relation entre le spectateur et le tableau, La place du spectateur (1990), Le réalisme de Courbet (1993) et Le modernisme de Manet (2000). Dans le premier ouvrage de la série, il développe à partir des écrits de Diderot sur la peinture, dans ses critiques de salons, la thèse selon laquelle la peinture de personnages absorbés dans des activités très « absorbantes » comme la prière, la contemplation, la lecture correspondrait à l’affirmation d’une fictive inexistence du spectateur, le peintre cherchant ainsi à gommer la théâtralité dans la peinture, dans un but qui reste à déterminer et dont nous pouvons penser qu’il pourrait être de mieux faire croire à l’existence autonome des personnages. Dans un second temps, c’est l’absorbement du spectateur dans le tableau, par le travail de son propre regard et l’ouverture de la toile à la présence de son œil flâneur (paysages pastoraux, personnages secondaires) qui fait l’objet de sa réflexion, sans que ce régime soit opposé directement au premier. Les deux absorbements (ou plutôt l’absorbement du personnage et l’absorption du spectateur par le tableau) se rejoignent en effet dans la mesure où l’enjeu en est la place du spectateur et la façon dont la peinture française du XVIII ème siècle cherche à le déloger du lieu que la perspective lui assignait, pour l’évaporer, escamoter son corps, en faire une pure conscience visuelle. Travail du désir de voir, que le cinéma, et son découpage qui promène le spectateur dans l’espace diégétique, accomplira pleinement. Michael Fried écrit ainsi : « Je dirais à présent que deux conceptions de l’art de peindre coexistent dans les salons et dans les textes qui s’y apparentent, conceptions qui travaillent toutes deux essentiellement à ce que j’ai précédemment nommé une dé-théâtralisation du rapport entre le tableau et le spectateur. La première d’entre elles, ou conception dramatique, demande qu’on établisse la fiction de l’inexistence du spectateur dans et par la représentation convaincante de personnages totalement absorbés dans leurs actions, passions, activités, sentiments et états d’esprit. (Et, nous l’avons vu, persuader le public contemporain qu’un ou plusieurs personnages étaient absorbés de la sorte finit par requérir des mesures de plus en plus sévères. Partout où c’était chose possible, on produisait cette fiction en en subsumant les personnages dans une composition et une structure unifiées qui donnaient à l’ensemble du


tableau les caractéristiques d’un système clos et autonome. La seconde d’entre elles, ou conception pastorale, que l’on doit finalement voir comme un surgeon ou même une déclinaison particulière de la conception dramatique, demande qu’on établisse la fiction opposée, mais à bien des égards équivalente, d’une présence physique du spectateur dans le tableau. »98 Le spectateur est donc, d’une manière ou d’une autre, « déplacé », il doit quitter sa position de sujet d’un regard critique, se voir oublié par le tableau ou s’oublier dans le tableau, mais dans tous les cas, il se trouve dans l’impossibilité de demeurer le point vers lequel tout convergeait dans la peinture en perspective de la Renaissance. Il est artificiellement effacé par un tableau qui gagne ainsi, encore, en autonomie et donc en crédibilité. Pour croire à la représentation, il faut gommer sa théâtralité, mettre le spectateur non plus devant une fenêtre mais devant une glace sans tain et exclure le point de vue du spectateur de la composition du tableau. Michael Fried évoque ainsi, en creux, les procédés de composition par lesquels le genre pastoral permet au spectateur d’entrer dans le tableau. « Enfin, on n’y99 voit jamais l’unité perspective du tableau fracturée et interdisant par là virtuellement au spectateur de saisir la scène comme une totalité unique et instantanément perceptible. Cette fragmentation tend à mettre en question – voire à dissoudre – l’immobilité imaginaire de la position du spectateur face à la toile. (…) Il est également fascinant de voir le personnage du pêcheur s’introduire dans l’espace du tableau en bas à droite alors que d’autres personnages, en bas à gauche (une femme et son enfant sur le dos d’une mule, un homme et un chien), semblent sur le point de sortir du tableau. Cet ensemble suggère l’idée d’un circuit qui commencerait en bas à droite, explorerait l’ensemble de la scène, et s’achèverait en sortant du tableau en bas à gauche- même si rien ne fixe ni ne prédétermine les points d’entrée et de sortie ou l’itinéraire qu’il convient d’y suivre. »100 Ainsi, l’entrée du spectateur est-elle favorisée par la multiplication des points de vue, par l’abolition de l’unité synoptique et par la présence d’un personnage-relais, pris non pas pour ce qu’il est, mais pour l’action qu’il accomplit. Nous retrouvons ici certains des éléments qui composent le personnage-regard du Décalogue.

98

Michael Fried, La place du spectateur, esthétique et origines de la peinture moderne, Paris, (NRF Essais) Gallimard , p. 131-132. 99 Il parle des toiles de Claude et de Salvator Rosa qui ont, selon lui, influencé Vernet pour son Paysage avec personnage et chute d’eau mais qui n’ont pas les caractéristiques de composition permettant leur ouverture au spectateur. 100 Michael Fried, La place du spectateur, op. cit. p. 134.


Mais, chez Kieślowski, la question de la théâtralité ne se pose pas dans les mêmes termes que chez les peintres, les moyens du cinéma ont répondu aux aspirations de la peinture dans les domaines de l’inclusion du spectateur en tant que pur regard et de son exclusion en tant que corps matériel. Le seul corps du spectateur est ainsi son propre regard. La série du Décalogue et la fonction du personnage-regard procèderaient plutôt de la démarche de Manet lorsqu’il peint le regard de Victorine Meurent dans Le déjeuner sur l’herbe. Il place, au cœur même de la représentation, une interrogation sur le regard qu’elle suscite, il cherche à méduser le spectateur, à le prendre de front. Et si l’on regarde ici le trajet de Tomek dans Le Décalogue 6, on peut y voir le passage d’un regard fasciné, un regard absorbé par son objet à un regard libéré par la parole, celle-là même qu’il adresse à la fin du film à Magda « Je ne vous observe plus. » Ce renoncement final marque l’accès de Tomek à un comportement éthique. Considérant que Kieślowski cherche à mettre en jeu les questions essentielles qui structurent le second commandement de la loi mosaïque - Qu’est-ce que voir ? Qu’est-ce que donner à voir ? - on peut voir dans l’évolution du regard de Tomek comme dans la diversité des qualités de regards du personnage-regard, la disposition des deux pôles entre lesquels s’équilibre le regard dans l’aire judéo-chrétienne sur laquelle s’étendent les peurs véhiculées par le second commandement. D’un côté l’adhésion complète de l’œil à l’image, l’oubli du regard, la fusion idolâtrique, l’absorption du spectateur par l’image, qui est facilitée par la forme de la fessura qui se présente comme une ouverture fortuite sur un espace autonome où le regard seul, l’œil étant « collé » à la paroi séparatrice, peut se faire corps dans l’espace de la représentation. De l’autre côté de cet axe sur lequel se tiennent les images, la séparation nette et visible de l’œil et de ce qu’il regarde, la mise à distance par le dispositif subjectivisant de la finestra, qui met le cadre en valeur, le rend présent dans l’œil du spectateur, affermissant la limite entre l’espace de la représentation et celui où elle advient et transformant dans la conscience du spectateur, la vue en signe. La finestra est un dispositif et la fessura son symptôme, son affection et l’expression du désir qu’elle porte et qui s’est progressivement porté sur elle. L’image-fente, elle, met en lumière ce processus, d’abord en tant que nouveau dispositif visuel, puis comme figure métadiscursive (séries iconographiques, types) et enfin, de manière plus générale, comme concept heuristique.


A la base de ce processus, finestra et fessura ne s’opposent pas radicalement et ne correspondent pas à des modèles conçus d’un bloc en une seule fois. Bien évidemment, elles portent chacune en soi-même son contraire. Ces deux façons de penser les images disposées sous le regard des spectateurs ne sont jamais complètement distinctes l’une de l’autre et ont pour vocation de rendre compte de la relation qui s’établit, à travers elles, entre le spectateur et l’image qu’il regarde. Cependant il est possible de repérer dans la plupart des images une relation dialectique entre la finestra et la fessura qui soutient et détermine celles de l’absence et de la présence, de la planéité et de la profondeur, de l’opacité et de la transparence, de la surface et de l’ouverture et in fine de l’image comme vue et de l’image comme signe. Je parle ici de la place que tient l’origine, en tant qu’elle est l’objet représenté aussi bien que l’objet inconscient de la représentation, dans le regard du spectateur. L’icône et l’indice peirciens touchent à l’origine par la puissance de l’apparence ou par celle de l’empreinte, alors que le symbole, et plus encore le signe verbal saussurien établit une coupure mais aussi une couture entre le signifiant et le signifié. C’est peut-être dans un jeu entre l’absence et la présence de ce vide, de cet espace où se produit l’opération de signification, que le cadre des images intervient, selon qu’il se présente comme une ouverture informe permettant un passage vers l’origine (fessura) ou comme une structure architecturale solide relevant de la Lettre et de son vide (finestra). En tout cas il semble que ce que nous appelons communément le cadre soit l’élément qui orchestre la relation à l’origine qui se joue dans toute image mimétique.


V-L’IMAGE-FENTE COMME CONCEPT HEURISTIQUE II (PSYCHANALYSE DES ENJEUX DE LA FENTE) « Qu’est-ce que le sujet cherche à voir ? Ce qu’il cherche à voir, sachez-le bien, c’est l’objet en tant qu’absence. »101

Une première étape phénoménologique nous a amenés à expliciter le fonctionnement visuel de l’image-fente comme mise au jour des intentions du regard humain lorsqu’il se porte sur l’image encadrée héritière de finestra albertienne. L’image se présentant comme structurellement « ouverte », comme ouverture et, selon sa dimension d’image-fente, comme une embrasure ou tout au moins un mieu de passage pour le corps. Dans l’acte de regarder, acte invisible qui laisse souvent le corps immobile, l’entrée dans l’image se fait par le regard qui est alors conçu comme un corps, ou plutôt une partie du corps capable de toucher et comme nous le verrons de goûter le visible. Selon moi, dans le polyptyque de Krzysztof Kieślowski, cette corporéité du regard se lit, se comprend, dans la présence de ce personnage énigmatique qui n’a d’autre rôle que « d’être là » et « de regarder », comme le spectateur de film. Il est à proprement parler le regard devenu corps dans l’espace de la représentation tout comme l’était, d’une certaine manière, l’admoniteur albertien. Mais ici, l’admoniteur est luimême l’objet qu’il indique, et qui constitue le sujet clandestin du film : le regard, à travers les deux questions ; qu’est-ce que voir ? Qu’est-ce que donner à voir ? qui renvoient aux deux axes du second commandement et qui hantent le polyptyque. Si le regard est un corps ou un prolongement du corps du spectateur ; à savoir un geste invisible émanant de son corps, alors il doit être possible de concevoir la relation à l’image à partir des éléments physiques qui pourrait traduire cette présence du corps dans l’image. Nous sommes peut-être proches ici de ce que Deleuze, à la suite de Cézanne, nomme la sensation. Il indique ainsi : « La sensation, c’est ce qui est peint. Ce qui est peint dans le tableau, c’est le corps, non pas en tant qu’il est représenté comme objet, mais en tant qu’il est vécu comme éprouvant telle sensation (ce que Lawrence, parlant de Cézanne, appelait l’ « être pommesque de la pomme »). »102 Ainsi, les objets représentés sont-ils dotés d’une épaisseur de sensation qu’ils transmettent, partagent, par conduction, par sollicitation des organes, à ceux qui les regardent avec le corps de leur regard qui les caresse (haptique) ou les goûte (oralité).

101 102

40.

Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit. p. 280. Gilles Deleuze, Francis Bacon, Logique de la sensation, I, (1981) Paris, (L’ordre philosophique), Seuil, p.


Dans la suite de ce travail, je vais essayer de montrer à partir d’un corpus élargi autour des films de Kieślowski, comment s’établit dans l’image-fente, la présence de l’objet dans sa représentation, où il apparaît comme origine et comme sensation de l’origine. Il se trouve que par la sensation de sa forme, la fente renvoie à l’origine, comme espace autre, initial et originaire, à la fois interdit et objet de toutes les interrogations. En tant qu’origine ancrée en l’autre, en tant que représentation de cette perte de l’origine (et de ce gain du monde dont elle est l’origine) que représente la naissance, le motif de la fente originaire, du sexe féminin, hante les représentations et le désir de l’œil et se trouve innocemment mobilisé (pas montré) par Albrecht Dürer, par exemple, lorsqu’il doit illustrer l’usage du voile intersecteur (figure 9). Il semble que la clarté de la finestra, sa dimension appolinienne d’élément architectural lumineux, soit d’autant plus forte qu’elle recèle en elle son contraire, une transparence (une perspective) qui ouvre pleinement sur l’objet comme origine de l’image. Cet effet de présence réelle, qu’on peut voir à l’œuvre comme but de la quête picturale de la vie de l’image, exprimée de manière romanesque par Balzac dans Le chef d’œuvre inconnu ou par Zola dans L’œuvre, sera ici compris comme ce qui témoigne de ce rapport à l’origine, que certains sujets imageant ont su exprimer de manière plus radicale. J’observerai dans un premier temps les modalités de cette mise en jeu de l’origine dans l’image, notamment à travers des exemples divers qui me semblent la formuler, afin de montrer en quoi le concept d’image-fente peut mettre en lumière l’enjeu essentiel de sa dimension d’ouverture et de passage comme désir d’origine (la connaître, la maîtriser, la posséder). J’observerai ensuite comment ce concept peut constituer une formulation du désir d’image comme trace de la relation à l’objet primaire, à travers des sollicitations de la bouche et de la main.


1) L’image-fente comme origine « Le spectateur se voit offrir en prime une autre sorte de plaisir, beaucoup plus intense, beaucoup plus délicieux. N’en soupçonnant même pas la nature, il ne songe pas, pour s’en protéger, à convoquer ses forces 103 intérieures de censure. Il jouit, sans savoir de quoi il jouit. »

L’origine est le troisième élément qui compose le concept d’image-fente dans sa dimension heuristique, c’est-à-dire dans sa capacité à rendre compte du désir qui hante toute image composée sur le modèle albertien de la finestra. Après avoir exploré l’ouverture comme étant essentiellement portée par le dogme photographique de l’indicialité qu’annonce la « fenêtre ouverte » d’Alberti et le passage comme la capacité de cette fenêtre à être une porte, un seuil, que seul le regard comme prolongement réel du corps peut franchir, il convient désormais d’observer vers quoi cette ouverture et ce passage mènent. Or ce qui gît au cœur de la finestra, lorsqu’elle quitte le domaine pictural pour structurer le mode photographique de représentation de la réalité matérielle, c’est le rapport à l’origine. L’origine de l’image est l’objet représenté et la nécessité de le quitter tout en le conservant, dans cet entre-deux si bien défini par Bergson dans sa définition de l’image : « Et par «image» nous entendons une certaine existence qui est plus que ce que l’idéaliste appelle une représentation, mais moins que ce que le réaliste appelle une chose, - une existence située à mi-chemin entre la « chose » et la « représentation »104. Comme nous le rappelle le mythe de Dibutade qui évoque si bien le départ de l’objet à l’origine de la confection de l’image, c’est bien sûr le travail de l’absence de cette origine rendue présente à travers l’image mimétique, qui est mis en jeu. L’image encadrée, l’image cadrée, l’image cadre, devient fente quand l’objet se fait présence au bénéfice d’un retrait visuel ou psychique du cadre lui-même dans la conscience du sujet regardant. Ne reste alors que l’objet, lui-même, dans l’illusion de son apparence mais surtout de sa présence « indicielle », origine béante dans laquelle l’œil abolit la tension de la séparation. Notre hypothèse ici est que la relation photographique à l’objet, telle que Rosalind Krauss l’a formulée en tant que dogme « moderne » de l’image et de l’Art, est précisément l’expression paradigmatique de ce désir de retour à l’origine dans l’image qui commence avec la finestra albertienne et la hante de manière conflictuelle. Tout aussi illusoire que l’image picturale dans son rapport à l’objet représenté, l’image photographique, qu’on peut considérer comme une exploration des possibilités de la finestra, bénéficie d’un 103

Dominique Fernandez, Eisenstein, Grasset, 2004, p. 235. (à propos de la scène de la bataille sur la glace dans Alexandre Nevski) 104 Henri Bergson in Matière et Mémoire, op. cit. p.1.


régime de croyance bien plus grand dans la mesure où le dogme de l’indicialité, le noème barthésien du « ça a été », nous incite à considérer qu’elle est réellement ouverte sur son origine. Elle est selon Barthes, susceptible d’établir un lien « ombilical » entre le regard du spectateur et l’objet photographié. On pourrait en tirer l’axiome suivant, plus l’image paraît ouverte, plus l’origine y apparaît. a) Image de l’origine, origine de l’image Dans une conférence sur le hors-champ donnée à l’Ecole Normale Supérieure le 24 octobre 2005105, Marie-José Mondzain dit : « Il n’est pas d’opération imageante qui ne passe par un geste de mise en absence, d’élision du réel, de séparation d’avec ce que j’appellerai un point d’origine, un point de départ. S’il y a une origine à l’image, elle n’est autre que la séparation d’avec cette origine. » L’image est donc à la fois séparation d’avec son origine, son point de départ, c’est-à-dire probablement l’objet, et en même temps trouve son origine dans cette nécessité de rendre présente en elle l’origine mise en absence. Nous voyons ainsi se mettre en place à l’origine de la production des images, le jeu de présence de l’absence qui est le propre de l’oscillation des images cadrées. A la fois fusion et séparation, vue directe et signe, l’image est insaisissable, entre le réel de l’absence, auquel elle échappe en partie par son illusion et l’imaginaire de la présence auquel elle n’appartient pas complètement grâce au travail du cadre et de la signification. En elle, le réel élidé reste d’une manière condensée dans sa représentation, ce qui rend possible un retour illusionnaire vers son origine réelle dont l’image marque et conjure la séparation et la perte. C’est ce que formule Serge Tisseron dans Psychanalyse de la Bande dessinée : « Le geste graphique par lequel se reproduit –et s’assimile peu à peu- l’inévitable de la séparation, ce geste, par son prolongement sur le papier, produit l’inverse d’une séparation : il produit une inclusion. »106. Le geste imageant est ici à la fois mise à distance et maintien sous le regard ; « Peut-être les premiers gribouillis de l’enfant sont-ils ce geste par lequel l’image confuse de la mère qui l’habite est « excorporée » sur le papier – où son regard l’embrasse -, avant d’être objectivée – c’est à dire nommée et constituée en objet détaché. »107 L’image est ici à la fois le résultat d’une prise de distance vis-à-vis de la matrice dont le sujet

105

Marie-José Mondzain, Le hors-champ pouvoir invisible, 24 octobre 2005, (http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=924) 106 Serge Tisseron, Psychanalyse de la bande dessinée, (1987) Paris, Flammarion, 2000, p. 48. 107 Ibidem, p. 50.

Paris,

ENS.


doit s’écarter pour se constituer, dans un geste de symbolisation qui le met sur le chemin du langage, et en même temps le moyen d’un retour, par le contact visuel, vers cette origine, à jamais établie dans une sorte d’absence présente. L’image est pour Serge Tisseron comme la peau de la mère, elle a le pouvoir de nous toucher, de nous contenir et de calmer notre regard. Elle agit comme un baume. L’ambivalence de l’image tient donc au fait qu’elle est à la fois le signe de cette séparation puisque le réel en est élidé mais aussi un nouvel objet de substitution, une réalité en soi, capable de formuler et d’apaiser le manque par le jeu d’une illusion consentie. L’image possède un pouvoir réparateur, cicatrisant, que l’œil humain doit contrôler. L’objet réel est absent de sa représentation, et l’image qui le maintient dans le champ visuel, qui en constitue la nouvelle chair, se dote d’un pouvoir balsamique ; une sorte de réunion du séparé qui est à la source de l’idolâtrie, celui de l’illusion de la présence réelle de l’objet dans sa représentation matérielle, pouvoir de l’image sur et contre lequel s’est construit le champ du regard occidental. L’image y apparaît à la fois indispensable et dangereuse, apaisante et menaçante. C’est dans cette perspective que l’étude de l’articulation entre le regard et l’imagefente met en jeu le rôle du cadre, essentiellement comme la garantie d’un équilibre entre confiance et méfiance vis-à-vis de l’image, comme manifestation de la circonscription de l’image et comme autorité protectrice du sujet du regard. Cadre qu’on pourrait alors considérer comme une sorte de prolongement symbolique des fonctions d’éloignement et de mise en scène de la puissance des images, présentes dans le sanctuaire primitif de la grotte et dans l’édifice religieux médiéval. Le rapport de ces images puissantes à l’architecture qui les enveloppe, qu’elle soit aménagement d’une alcôve naturelle ou édifice gothique entièrement fait pour elles, s’avère des plus complexes et mériterait de plus longs développements. Disons pour nous en tenir à ce qui peut éclairer notre approche, que l’édifice possède les deux dimensions de la finestra (c’est un cadre solide qui peut tenir à distance) et de l’image-fente, on y entre par une ouverture et on y entre pour trouver une origine, puisque la puissance des images religieuses vient justement de leur relation à cette origine108. Le rôle joué par le cadre dans la relation que l’homme occidental entretient avec les images serait alors de permettre une entrée sous contrôle dans l’image, dans le corps maternel

108

Dans la religion Catholique, cette origine n’existe vraiment que dans l’eucharistie lors de la transsubstantiation, l’hostie étant la seule vraie image-fente du Christ. Mais elle est aussi présente dans la dimension reliquaire de certaines images acheiropoïètes qui peuvent être exposées.


de l’image qui, à partir de la Renaissance et le développement du dispositif de la finestra ne concernerait plus que l’œil sans corps, au point de fuite, du sujet devenu évanescent. La tension entre le dispositif de la finestra s’appuyant sur le cadre et celui de la fessura, tendant à l’effacer, correspondrait alors à celle qui traverse le rapport ambivalent de l’homme occidental aux images ; désir d’un retour dans le champ visuel vers l’origine, comme « présence dans l’apparence » du côté de l’œil tenté par l’idolâtrie et rappel de la conscience à la mise en absence dans l’image, rappel à la séparation du côté du cadre tranchant. Dans l’œuvre de Kieślowski, ce rapport à l’origine est souvent présent dans le cadre d’un questionnement réflexif du médium cinématographique à travers différentes sortes de mise en jeu, plus ou moins conscientes. Nous avons déjà eu l’occasion d’observer comment la jalousie et les jalousies étaient associées dans Le Décalogue 9 pour mettre en évidence l’impossibilité du sujet de voir son origine en dehors de ces réitérations anachroniques de la scène originaire que sont les visions jalouses. L’enjeu du dispositif de la jalousie est alors de permettre au sujet de voir son origine et il nous permet d’envisager ce qui se joue en profondeur dans ce que nous appelons ici l’image-fente. Ainsi, voir dans la jouissance phallique de sa femme sa propre absence, voir qu’il y est en creux, qu’il en est le négatif, la fente, c’est en effet ce que Romek semble rechercher et redouter dans la mise en place du dispositif visuel de la jalousie (écoutes, fentes, persiennes…) qui viserait non pas à rendre visible (ou audible) ce qui se passe quand il n’est pas là, mais plutôt à se voir ne pas être là, à se sentir absent, éludé. L’épisode 9 invite ainsi son spectateur à sonder l’attente qui hante l’œil du jaloux, une présence en tant qu’absent au cœur de la scène dont le désir de son épouse l’exclut irrémédiablement et que nous pouvons considérer comme la scène originaire, la fiction qui vient occuper la place de l’origine. Ainsi, dans la recherche d’une vision réelle de cette scène d’amour où son conjoint le remplace par un ou une autre, où il manque à sa place, où il se voit dans l’ombre de son absence présente dans son champ de vision entamé, le jaloux trouve peut-être, dans une jouissance douloureuse, l’impression de se voir existant en tant qu’absent en son origine, la scène originaire prenant corps dans la scène d’adultère en vertu de caractéristiques communes. Il remédierait ainsi à la douleur de n’avoir même pas été absent en son origine puisque seules sont absentes les choses qui existent.


Mais après la découverte, c’est la chute, le jaloux ne supportant pas cette vérité qu’il a pourtant ardemment cherchée. Il croit ainsi réparer son origine, se réunifier après une division, alors qu’au fond, il ne va rencontrer que son impuissance à être, la place de son origine en l’autre. Ainsi Romek, en « choisissant » le dispositif de la jalousie tout en se voulant parfaite image aux yeux de sa femme, cherche-t-il peut-être à voir, tout en se punissant, la scène originaire d’où il aimerait se sentir absent, cette image qui s’établit entre lui et son origine, origine qui lui échappe, qui se situe dans un en-deça de sa vie auquel il n’aura jamais accès, qui ne le regarde pas, qu’il ne peut pas regarder. On peut ajouter à l’appui de cette interprétation que deux plans du film placent le spectateur dans la position d’un enfant qui observerait ce type de scène.

Figures 231 et 232 : Le Décalogue 9 (09 :25 et 31 :03)

Dans le premier plan, il se trouve à mi-hauteur, ce ne semble pas être le point de vue d’un adulte (le lit est trop haut) et regarde de l’autre côté, dans la chambre, l’étreinte de Romek et de Hanka pour qui l’acte sexuel est exclu. Kieślowski le place ainsi volontairement dans la peau d’un habitant des lieux qui observerait, en passant dans un couloir, une scène dans une pièce adjacente. Mais, à mieux y regarder on constate que c’est encore un reflet, une illusion qui nous les montre ensemble car, dans la réalité, ils ne peuvent faire l’amour. Dans le second plan, le spectateur est pris à partie par Hanka qui le regarde en souffrant alors que son amant lui fait l’amour. Cette impression de douleur et d’agression rappelle le mode sur lequel est généralement vécue la scène originaire par le sujet qui la fantasme ou qui la voit. De plus, l’apostrophe ainsi faite au spectateur le situe à hauteur du lit, c’est-à-dire assez bas pour avoir la taille d’un enfant qui serait ici témoin impuissant du « supplice » de sa mère. Il est ainsi interrogé sur l’attente de son propre regard par Hanka qui le fixe. Quand nous aurons ajouté que cette scène d’amour est entendue par Romek qui est caché sur le palier de l’immeuble où


elle a lieu, il sera peut-être plus clair que cette vision que cherche Romek s’apparente à la scène originaire. Le spectateur est dans la position de l’enfant que Romek redevient ici en allant espionner son épouse, il le devance dans la réalisation de son fantasme. Ainsi, pour Romek, marquer ce moment de son absence serait peut-être déjà y être, y avoir sa place assurée. Or c’est sa place, sa fragilité, son impuissance à s’incarner, qui angoisse le jaloux109. Cette approche du moment crucial du spectacle terrible de sa femme avec son amant pour en être (en naître ?) ne peut se faire in fine qu’au prix de sa disparition. Le Décalogue 9 nous a fait remonter jusqu’à l’origine supposée du désir de voir jalousement, c’est-à-dire à travers une jalousie, un dispositif visuel qui s’appuie sur la figure de la fente, une ouverture réelle et sans forme fixe, qui dissimule le sujet regardant et ampute son champ de vision. L’usage de la fente dispose ainsi une jalousie entre le spectateur et l’espace de la représentation, à la fois reflet sur une surface plane et profondeur de champ, ouverture, l’invitant lui aussi à une forme de disparition en tant que corps présent et, dans le même temps, à une présence physique en tant que regard. Comme nous allons le voir, cette figuration visuelle se trouve de manière encore plus explicite dans Le Décalogue 6, où l’on voit Tomek tenter de se suicider après avoir touché la fente du sexe de Magda. Après avoir mis sa main dans la fente, il s’enfuit chez lui pour se fendre la main. On peut aussi la voir dans une scène cruciale d’un film charnière de sa carrière, la fameuse scène de l’accouchement de Jadzia dans Premier amour, scène au terme de laquelle il filme les larmes sur la joue de Romek110. L’accouchement filmé est d’ailleurs, de Dziga Vertov à Denis Gheerbrant, une figure récurrente du cinéma (« direct » ou « vérité ») qui tend vers une rencontre avec le réel. Enfin, ce rapport à l’origine est pour le cinéma un rapport à la photographie, et il est intéressant d’observer la place qu’elle tient dans les films de Kieślowski, de son premier court-métrage documentaire sur la question - La photographie en 1968 - à son rôle dans Trois couleurs ; Rouge (1994), son dernier film.

109

Relevons ici que le sous-titre de cet épisode est « Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain », parole qui, s’adressant à Romek, l’élimine déjà de sa place. 110 Krzysztof Kieślowski filme aussi les larmes de Jadzia lors de son mariage, il fait alors un zoom rapide sur sa joue pour y saisir les traces de l’émotion, mais celles qu’il filme juste après avoir filmé l’accouchement sont peut-être plus intime que celles du mariage, visibles de tous les participants. C’est pourquoi je considère que ce sont cers dernières larmes qui constituent les lacrimae rerum de Slavoj Zizek.


b) La fente de Fontana ou la fessura de l’indice pur L’œuvre de Lucio Fontana, à travers ses toiles fendues, ces œuvres intitulées « concetto spaziale »111 peut fournir des pistes de réponse à la question du rapport à l’origine dans l’indicialité. En ouvrant la toile après avoir renoncé à la représentation conventionnelle de la réalité, l’artiste italien invite le regard du spectateur à franchir réellement l’épaisseur du support, à travers le cadre de la finestra et fait ainsi surgir l’espace du spectateur dans l’enceinte même du tableau. L’espace n’y est plus représenté, il y est en effet réellement présent. L’image est alors traitée comme une ouverture, mais la fente est à la fois un modus operandi et un opus operatum, un procédé de spatialisation et un motif visuel. Elle est lieu de passage et signe. Ce qui est très intéressant dans la fente de Fontana, c’est en effet qu’elle est le representamen d’une fente, puisque étant présentée dans un cadre dans une œuvre d’Art qui demeure un tableau, elle apparaît au spectateur comme la représentation d’une fente, et qu’elle est aussi une fente réelle, puisqu’elle ouvre véritablement le support. Contrairement aux lignes effilées de Barnett Newman qui constituent des fentes peintes, dans l’ordre du pigment et donc de la peinture, les fentes de Fontana procèdent, elles, d’une sorte de geste incantatoire thaumaturgique qui consisterait à faire advenir un objet en le représentant, sous prétexte que l’action s’opère dans l’espace sacré du templum du cadre. La fente de Fontana fusionne le signifiant et le signifié grâce à l’indicialité parfaite du procédé, comme c’est censé être le cas dans le cinéma ou, d’une manière plus générale, dans les procédés photographiques où l’objet déposerait, selon le dogme fondateur du régime de croyance en vigueur, son empreinte lumineuse. Cependant, dans le cas de la fente de Fontana, l’objet est réellement présent dans sa représentation. La fente de Fontana est une vraie fente tout autant que la représentation d’une fente présentée dans un cadre au milieu d’un tableau, selon les modalités « classiques » de la représentation, en cela, elle est le lieu d’une présence réelle de l’objet représenté dans sa représentation, elle fonde indirectement le rapport représentation-objet de l’indicialité photographique, elle est un paradigme naturaliste ou documentaire qui apparaît au même moment que le cinéma direct et le cinéma vérité dans l’après-guerre. Cette image-fente là a donc une dimension paradigmatique qui pourrait se formuler par un souci de faire advenir l’objet lui-même dans sa représentation ; du readymade aux performances « réelles » en


passant par le néo-réalisme, le free cinéma, le cinéma direct ou vérité et le naturalisme de la Nouvelle Vague… Fontana accomplit ainsi concrètement, par l’établissement de la fessura, l’ouverture de la finestra dont nous avions vu qu’elle était portée en germe par le dispositif albertien et ses évolutions ultérieures. Le paradoxe tient sans doute à ce que voulant « se libérer de l’héritage de la Renaissance » en introduisant un espace réel en lieu et place d’un espace représenté artificiellement au moyen de la perspective, Lucio Fontana en accomplit l’ultime désir, dépassant encore l’effort photographique, il inscrit à même l’œuvre le « lien ombilical » entre la chose et son image. On pourrait dire qu’avec lui, dans un geste de renoncement à l’illusion perspectiviste qui maintenait le tableau dans le champ de l’architecture et du verbe, le fantasme refoulé de la Renaissance devient réalité dans une régression presque psychotique où la peinture devient « hallucination » de son objet. Ayant renoncé à la ressemblance par le signe, il déchire la surface pour la remplacer par la notion d’espace, abolir du même coup la dichotomie classique entre les deux espaces voisins et substituer la chose même à sa représentation. Dans Spatialistes II (Milan, 18 mars 1948) manifeste de son mouvement spatialiste qui succède à son Manifesto Blanco, il précise les ambitions de son travail : « Mais notre intention n’est pas d’abolir l’art du passé ou d’arrêter la vie : nous voulons que le tableau sorte de son cadre et que la sculpture quitte sa cloche de verre. Une expression d’art aérien d’une minute équivaut à celle qui s’étale sur un millénaire, dans l’éternité. (…) Si l’artiste s’enfermait auparavant dans ses tours, s’il se représentait lui-même et représentait son étonnement, s’il voyait le paysage à travers des fenêtres, si, ensuite, quittant ses châteaux pour la ville, abattant les murs et se mêlant aux autres hommes, il regarda de près les arbres et les objets, aujourd’hui, nous les artistes spatialistes, nous nous sommes évadés de nos villes, nous avons percé notre enveloppe, notre écorce physique, et nous nous sommes contemplés de haut, en photographiant la Terre à partir de fusées en vol. »112 Il est intéressant de relever ici, l’analogie établie entre la sortie du tableau de son cadre et la sortie de l’âme de l’artiste de son enveloppe charnelle, évoquant une extase dans laquelle les espaces intérieurs et extérieurs seraient abolis. Image de la fusion mystique, de l’union de l’âme et de Dieu (ici l’espace). On voit qu’à l’enfermement lié à la fenêtre, à sa clôture spatiale et à son cadre s’oppose l’ouverture à l’infini de la fente qui « perce l’enveloppe » ; la surface et le cadre.

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Lucio Fontana, catalogue de l’exposition du Musée d’Art Moderne du Centre Georges Pompidou, 1987. Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1987.


En effet, la fente de Fontana vient s’opposer sémantiquement à la fenêtre qui est censée la contenir, en brisant la clôture dans le sens de la profondeur, et en transformant la relation que le cadre établissait avec le spectateur. La fente « abolit » la puissance contraignante et limitative du cadre, et attire l’œil du spectateur. Celui-ci n’est plus disposé par le cadre qui avait tendance à le placer au sommet d’une pyramide visuelle dont ses quatre côtés formeraient la base, à une distance idéale dictée par ses dimensions. L’espace sur lequel elle ouvre n’est accessible qu’à un œil collé à la toile et la curiosité pousse le spectateur, celui qui veut voir, à glisser son œil dans la fente. La fente réelle brise le cadre comme lettre carrée instituant un processus de signification ménageant un espace vide de liaison entre signifiant et signifié, fût-il iconique, au sein du signe pictural.

Figure 233 : Lucio Fontana, Concetto spaziale, attesa, 1960. 100 x 80 cm. Londres, Tate Modern.

La fente de Fontana constitue peut-être une formulation picturale, à l’aube de cette ère du soupçon113 qui s’ouvre après le cataclysme de la Seconde guerre mondiale et de son génocide, d’une mise en question des modes conventionnels de la représentation (jugés trompeurs et inefficaces pour humaniser l’homme), qui se manifeste à la même époque dans le cinéma européen dans le sillage du néo-réalisme italien avec le naturalisme de la nouvelle vague et du cinéma direct dont les esthétiques jouent contre le cadre fixe et soigné du cinéma professionnel. On peut relever à ce titre, ces fentes dans la toile que sont les regards à la caméra présents dans des films comme Monika de Bergman (1953), A bout de souffle de Godard 113

Nathalie Sarraute publie son essai en 1956.


(1960), Les quatre cents coups de Truffaut (1959), ou, encore en 1960, le documentaire de cinéma-vérité de Jean Rouch et d’Edgar Morin Chronique d’un été, l’association de l’esthétique naturaliste du documentaire ou du reportage (caméra à l’épaule, son direct, tournage dans la rue en situation réelle, intérieurs étroits, mélange de documents et de fiction…) et des moments de retournement du regard vers la salle avec les célèbres regardscaméras de chacun des trois premiers films ou les deux séquences finales de Chronique d’un été. Dans ce dernier film, on peut voir les co-réalisateurs du film présenter leur travail, monté, aux personnes qu’ils ont filmées. Le retournement du regard sur la salle se fait ainsi concrètement, dans le film, et ce n’est pas le regard du personnage qui se tourne vers la caméra mais plus directement celui des cinéastes qui filment la salle où leur film est projeté, les personnes filmées devenant elles-mêmes spectatrices de leur propre image. Cet échange des places entre regardé et regardant permet de réunir, ici aussi, les espaces voisins en un seul, celui du film, en créant un recul à l’intérieur même de l’œuvre dans un acte qu’Edgar Morin qualifie de « regard sur le regard ». Cette projection du film aux personnages fait elle-même partie du projet du film, c’est une façon d’intégrer au travail lui-même une réflexion sur les conditions de ce travail, démarche réflexive et métadiscursive qui traverse tous les arts à cette époque et qui, d’une certaine manière, cherche à retrouver du vrai dans l’artificiel en mettant en joue l’artificiel dans l’œuvre même. De même que la fente de Fontana est une vraie fente, faite au prix de la destruction de la fiction picturale, les douleurs intimes de Chronique d’un été sont de vraies douleurs, faites au prix d’une destruction de la fiction cinématographique. La séquence filmée de la projection est ainsi l’occasion pour chacun des « personnages » du film de commenter la relation qui s’instaure dans le film entre la vérité et l’apparence, ou entre le réel filmé et le réel vécu. Ainsi Marceline Loridan, rescapée de Birkenau évoque-t-elle un moment très émouvant du film où elle s’adresse à son père assassiné à Auschwitz, en disant qu’elle avait eu l’impression, au moment du tournage, de jouer son rôle. On peut aussi voir le jeune Régis Debray, un des étudiants filmés dans l’entourage de Marceline Loridan, déjà très intéressé par les images, dire du film : « On passe d’un naturel qui est finalement très faux à un gros plan sur Marilou qui n’arrive jamais (dans la réalité) et qui est sans doute beaucoup plus vrai, et c’est le passage de l’un à l’autre qui fait tout l’intérêt du film. » Confusion, échange entre l’espace du vrai et celui de sa représentation sont ainsi mis en lumière par le commentaire qui en atteste l’authenticité à la manière d’un regard à la caméra. Comme chez Fontana, ce retournement du film sur lui-même instaure une


sorte de pureté indicielle puisque, comme c’est le cas dans le readymade, l’empreinte est l’objet lui-même, le film représenté est le film vu. En repartant de cette notion d’origine de l’image comme objet d’origine, nous allons voir comment Kieślowski, et d’autres auteurs, ont pressenti et formulé le rapport à l’origine qui se joue dans les médiums héritiers de la finestra albertienne. D’une manière parfois crue, parfois plus condensée, l’origine s’y montre comme la finalité de la mise ne jeu de la fente, non pas comme un enjeu pulsionnel visant un accomplissement sexuel, mais comme un enjeu scopique dont le but apparaît être la fusion avec l’objet. Cette fusion est appendue au rapport inconscient au sein maternel comme objet primaire et s’appuie donc sur les deux canaux sensoriels de cette relation première, l’oralité et le toucher, la palpation. Boire, téter ou brouter l’image et la caresser, la tenir dans sa main, la palper, sont les deux grands élans qui structurent la pulsion scopique. La main et la bouche étant les deux passagers clandestins du regard. Nous verrons donc au terme de cette exploration comment l’image-fente nous permet d’appréhender ces deux dimensions, haptique et orale, du regard. c) Le doigt dans la fente et le retour à l’origine du monde

Figure 234 : Le Décalogue 6 (38 :21) (Extrait 13)

Le moment le plus intense de la relation entre Tomek et Magda dans Le Décalogue 6 et Brève histoire d’amour se situe dans une scène qu’on pourrait qualifier de tragico-érotique, dans laquelle Tomek est séduit par celle qu’il observe depuis si longtemps. (Voir extrait 13) Après avoir accepté son invitation à entrer chez elle, il en vient à la caresser, à sa demande, dans un moment où la dimension haptique de son regard se réalise dans un contact physique.


Voici comment les co-scénaristes du Décalogue racontent la scène dans le récit écrit qu’ils en ont fait : « Magda saisit les mains de Tomek et les pose sous sa robe de chambre. Tomek frôle ses cuisses ; la robe de chambre de Magda s’entrouvre. Magda : Ne ferme pas les yeux. Tu as des mains douces, grandes mais douces.114 Magda fait remonter ses mains de plus en plus haut. Tomek se met à trembler légèrement ; sa respiration devient de plus en plus rapide et malgré l’interdiction de Magda, il ferme les yeux. Tout à coup, ses mains se serrent sur les cuisses de Magda, il aspire une bouffée d’air, puis l’expire bruyamment, aspire de nouveau, essaie de retrouver une respiration normale, mais n’y parvient pas. La fièvre de Magda retombe. Elle sourit. Magda : ça y est ? »115 La main de Tomek a touché la fente du sexe de Magda, elle est entrée dans le corps de Magda par le chemin qui est aussi celui de l’origine, cette origine du monde que Courbet avait peinte dans un geste d’une grande franchise picturale, et qui a la particularité de présenter le sexe féminin à la fois comme un objet érotique (image) et comme un objet interdit (titre évoquant la naissance et l’accouchement). Cette fente-là, archétype de la fente, ouvre effectivement sur un autre espace, un espace intérieur et originaire, sans séparation, un espace fusionnel ; le corps de la mère, dont le sujet garde peut-être, à travers sa vie pulsionnelle, une certaine nostalgie. La pulsion pouvant être considérée comme une attraction puissante, comme un irréfragable besoin de suppression de la distance vis à vis de l’objet. En 1955, Jacques Lacan a acquis et conservé cette toile dans sa maison de campagne de Guitrancourt, cachée par un dispositif ingénieux de glissières sous une peinture évocatrice de son beau-frère André Masson, Terre érotique. Dans La théogonie d’Hésiode, Gaïa (la terre) est justement L’origine du monde que précède Chaos, la fente, la faille, la béance primordiale. En peignant cette origine du monde, Courbet nous montre à la fois la terre originaire, dont Hésiode nous dit qu’elle a « un large sein » et la faille originaire d’où tout vient au jour.

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Notons au passage que la construction syntaxique par juxtaposition laisse penser qu’il existe un lien logique entre le regard et la caresse, comme si Magda disait à Tomek ; « Ouvre les yeux car tu as les mains douces » sous-entendant que ses mains douces sont dans son regard. 115 Krzysztof Kieślowski et Krzysztof Piesiewicz, Le Décalogue, récits, op. cit. p. 191.


Comme c’était le cas auparavant lorsqu’il était caché derrière un rideau vert chez Khalil Bey, son commanditaire en 1866, ou ensuite par un système d’huisserie derrière une autre toile de Courbet, Le château de Blonay, L’origine du monde est chez le psychanalyste l’objet d’un masquage et d’un dévoilement et se place de manière très signifiante sous une autre toile, comme pour en indiquer la vérité ineffable116. L’origine y devient terre maternelle, celle-là même dont sont faites les premières idoles, celle à qui l’on confie les morts. Tout tableau réaliste nous guide vers une origine. La toile radicale et franche de Gustave Courbet formule d’une manière très directe et très claire ce mouvement de retour à l’origine par l’image, déplacement d’un désir incestuel117, qui réside dans l’attachement idolâtrique aux images. Ce contact de la main de Tomek, manifestation visible et concrète de son regard découvert, mis au jour, avec l’objet qui est au cœur même de sa pulsion, le sexe de la femme devenu, soudain, dans un moment tychique, sa propre origine118, va entraîner chez lui un cataclysme qui se manifestera d’abord par un orgasme involontaire, décharge purement psychique soudaine et humiliante pour lui, puis par sa fuite. Il retourne alors chez sa logeuse où, après s’être enfermé dans la salle de bain, il se fend les poignets avec une lame de rasoir. On voit alors le sang s’écouler de son corps ouvert par les fentes qu’il vient d’y faire dans une bassine qu’il a pris soin de remplir d’eau. Ses yeux ouverts sur le vide, figés dans l’hébétude, sont secs. Ce sont ses mains, devenues le prolongement de son regard, qui « pleurent », qui laissent une nouvelle fois s’échapper un fluide corporel. Dans ce geste violent qui n’aura pas de conséquence tragique, Tomek se punit à la manière d’Œdipe, dans une sorte de castration du regard, de la dimension incestuelle du regard, dimension résidant dans sa capacité de contact avec l’origine interdite. C’est la fonction haptique du regard qu’il tente de couper. Il a remplacé la présence dans l’apparence propre à son rapport idolâtrique à l’image de Magda par une présence insupportable, il a remplacé l’acte scopique, invisible et secret par un passage à l’acte, effrayant, si l’on considère qu’il a pris conscience trop brutalement de la nature de son désir de voir Magda. Comme nous le montrera l’épilogue du film, ce geste de coupure aura un effet sur lui, la saignée aura fait partir le mal, il pourra affirmer à Magda : « Je ne vous observe plus ». 116

Informations tirées de L’origine du monde, documentaire video de 28 minutes réalisé par Jean-Paul Fargier, dans le cadre du DVD collectif Gustave Courbet, par Romain Goupil, Jean-Paul Fargier et Alain Jaubert, Paris, Arte video, 1996, 108 mn. 117 Il ne s’agit ici d’un désir de rapport sexuel avec la mère, mais d’un désir de symbiose, d’annulation de la séparation qu’on retrouve aussi dans les élans mystiques. 118 Tomek est un orphelin, il n’a aucun souvenir de ses parents et vit chez une logeuse qui est la mère d’un ami ; son jeu avec le regard est peut-être lié à cette absence.


Ainsi, sans l’affirmer clairement, le film nous laisse penser que ce qui alimentait la pulsion de Tomek était de l’ordre d’une recherche de fusion avec l’origine à travers l’image par le biais du regard. On peut reprendre cette dimension de la relation à l’image-fente, en évoquant le film de Pedro Almodovar, Parle avec elle (2001), dans lequel le personnage principal, Benigno, infirmier s’occupant au quotidien du corps inerte d’une jeune femme (Alicia) tombée dans un coma profond à la suite d’un accident, lui raconte (sans savoir si elle comprend) un film ancien qu’il vient de voir dans un ciné-club. (Voir extrait 14) Benigno est amoureux d’Alicia, qu’il avait l’habitude d’observer à travers sa fenêtre pendant qu’elle dansait dans une grande salle aux baies vitrées, située en face de l’appartement où il vivait avec sa mère. Le film entier a pour objet métacinématographique la mise en jeu du regard et l’attachement idolâtrique de Benigno au corps de la danseuse. Celle-ci est en effet inerte, comme une statue de chair. Il est engagé pour la masser, apaiser ses douleurs, et surtout lui parler, continuer de la considérer comme une personne. Une statue à laquelle on parle qu’on vénère et qu’on pétrit, Alicia est une idole, elle n’est plus que l’image de la femme animée qui fascinait Benigno. Mais il anime cette image en lui parlant, en la rendant présente dans son discours, il hallucine sa présence dans son corps qui n’est visiblement plus qu’une enveloppe d’apparences. L’amant qui rétrécit, le film vu par Benigno la veille de la séquence qui nous intéresse semble l’avoir profondément marqué parce qu’il met en scène son propre fantasme et la nature de la relation qu’il entretient avec le corps-image d’Alicia. Sa transposition visuelle par Almodovar pour illustrer le récit verbal qu’en fait Benigno nous offre une méditation cinématographique très intéressante sur L’origine du monde de Courbet. L’amant qui rétrécit119, raconte l’histoire d’un homme, Alvaro, qui rétrécit à la suite de l’ingestion par erreur d’une potion chimique concoctée par sa femme, Amparo. Une fois devenu petit, il est haut de cinq ou six centimètres, Alvaro rentre vivre chez sa mère, secrètement, et s’y fait oublier. Mais Amparo finit par le retrouver et le ramène avec elle chez elle, c’est alors qu’a lieu une scène très surprenante et très directe qui formule bien les enjeux inconscients du rapport fétichiste que Benigno entretient avec le corps inerte d’Alicia. Il faut remarquer que Benigno est en train de masser le torse nu d’Alicia au moment où il lui raconte cette histoire et que son sein est mis en évidence par la cadrage. On voit en effet dans ce petit

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Titre dans lequel il faut probablement entendre « l’homme qui régresse ».


film dans le film, le personnage d’Alvaro, entrer entièrement dans ce qui représente le sexe de sa femme, en ressortir bouleversé et se mettre nu pour y retourner et y demeurer.

Figure 235 : Pedro Almodovar, Parle avec elle (01 :04 :42)

Figure 236 : Gustave Courbet, L’origine du monde, 1866huile sur toile, (46 cm x 55 cm) Paris, Musée d’Orsay.

L’image de cet homme qui réalise concrètement ce passage à travers la fente, la fusion amoureuse, en s’incorporant dans l’objet de son amour, nous procure un exemple très cru et très direct de la tension dialectique qui réside entre la finestra et l’image-fente. Il accomplit ouvertement et consciemment le désir de fusion par le regard qui habite Benigno dans sa relation visuelle avec Alicia. Comme dans l’œuvre de Courbet telle qu’elle est aujourd’hui exposée au Musée d’Orsay (figure 236), la finestra s’y manifeste de manière épaisse et forte, dans son conflit avec la fente qui présente ici son visage le plus nu, le plus offert, le plus vulnérable au regard. L’épais cadre doré fait suite aux dispositifs de masquage qui avaient été indispensables à l’exposition voilée du tableau de Courbet. Dans le film de Pedro Almodovar, le cadre noir souligne la mise en abyme signifiante du film dans le film d’un côté, et crée une distance vis-à-vis de l’image, de l’autre. Ce dispositif nous montre que l’incandescence d’une manifestation si directe de l’arrière-scène du regard, oblige à mobiliser une forme quadrangulaire qui se rappelle ainsi vivement au spectateur et atténue la présence de la fente en en faisant une représentation. Le cadre épais est ici une mise à distance et une protection du regard contre les effets de l’illusion, comme c’est le cas dans la présentation de l’œuvre de Courbet. L’épaisse corniche isole et atténue ce gros plan direct et très réaliste sur le sexe d’une femme qui est, d’après le titre, le sexe d’une mère universelle pour tout ce que connaît l’homme (le monde et sa représentation). En lui donnant ce titre, Courbet fait paradoxalement de cette image pornographique (c’est-à-dire une image au degré zéro de la signification) une allégorie de la


représentation picturale, la mise en absence de quelque chose d’autre, invisible, un désir présent dans le regard. Ce n’est pas simplement un nu provoquant, c’est la part inconsciente du désir d’illusion qui se retrouve exprimée ici. L’origine. Le sexe offert se trouve transfiguré par le nom que porte le cadre. Voulant concurrencer la photographie pornographique, Courbet en met en évidence par la peinture et sa valorisation de l’objet, son imaginarisation de l’objet, la fente que la photographie essaie d’établir dans les conventions picturale en béant littéralement sur son objet. Son tableau présente l’objet interdit par excellence, la possession interdite aussi, celle de l’origine, c’est la révélation d’une vérité concernant le regard dans sa quête de retour à l’origine par l’image. L’œil réaliste de Courbet veut la vérité crue de la photographie, il aura la fente originaire. Son vrai visage ? Ainsi, en suivant cette idée, on peut considérer que cet espace voisin vers où tend le regard-corps à travers le dispositif de l’image-fente pourrait être l’univers intérieur, intra-utérin du corps de la mère, cet espace où le corps flotte dans une absence de conscience réflexive, sans séparation, sans la rampe su cadre. La dimension aqueuse, fluide de l’image cinématographique, sa capacité à absorber le corps du spectateur, à mettre son œil dans un état de flottement, sans conscience réflexive, dans un état d’absorbement ou de régression120, pourrait alors s’apparenter à ce désir inconscient de retour à l’origine, l’image étant le territoire où s’élabore le rapport à l’absence présente de la mère, de l’enveloppe maternelle, dans la conscience du sujet. Quelques œuvres récentes ou contemporaines nous proposent des formules susceptibles de permettre au spectateur d’effectuer et de comprendre ce trajet. Dans Etant donnés…, son œuvre ultime, dévoilée en 1966, après sa mort, Marcel Duchamp installe un dispositif qui est très proche de celui de Courbet et constitue d’une certaine manière une figure complète du concept heuristique d’image-fente. A mi chemin entre les jeux optiques du diorama et ceux du peep-show, Duchamp invite le spectateur à s’approcher d’une vieille porte en bois – un ready-made - fermée, sur laquelle deux trous ont été faits à la manière de ceux d’un peep-show immense ou encore du kinétoscope. Le corps nu d’une femme gisant sur une sorte de terrain vague construit comme un décor offre à la vue du spectateur sa fente légèrement et étrangement ouverte qui se place ainsi au cœur de la représentation. Nous ne sommes ici ni dans une représentation picturale ni dans une représentation photographique, mais dans une installation qui joue sur les trois dimensions et 120

Nous y reviendrons avec le texte de Jean-Louis Baudry plus loin.


la présence réelle des objets en tant que représentation d’eux-mêmes, comme dans le readymade dont nous avons vu plus haut les liens établis par Rosalind Krauss avec la notion peircienne d’Index. Dans un article intitulé « Marcel Duchamp, Etant donnés, the deconstructed painting », traduit en anglais par John Irons, Pia Hoy affirme que « la dernière œuvre de Duchamp anticipe le retour du Réel que nous constatons dans l’Art contemporain »121

Figures 237 et 238 : Marcel Duchamp Etant donnés : 1°) la chute d'eau, 2°) le gaz d'éclairage, (1966) Montage de divers matériaux : vielle porte en bois, briques, velours, bois, cuir tiré sur une trame en métal, branchage, aluminium, fer, verre, plexiglas, linoléum, coton, lampes à gaz, moteur, etc. (242,5 cm x 177,8 cm x124,5 cm) Musée de Philadelphie, donation Fondation Cassandra

Nous y retrouvons les trois éléments repérés et analysés ici dans la constitution de l’image-fente comme concept permettant de rendre compte des conditions dans lesquelles l’œil se porte sur les images dans le champ de la représentation ouvert par la finestra albertienne. Tout d’abord la porte, ici fermée pour le corps du spectateur qui ne peut pas pénétrer dans l’œuvre, s’ouvre au seul regard par deux petits trous. Nous avons ainsi, associées, l’idée d’une entrée signifiée de manière métonymique par son habituelle figuration picturale (la porte) et l’exclusivité du regard comme seul capable d’entrer. Ouverture pour le corps et passage pour le regard. Plus loin, sur la paroi opposée d’une antichambre vide, une ouverture informe a été pratiquée dans un mur, à la manière des interventions de Gordon 121

« Duchamp's last work anticipates the "Return of the Real" that we are witnessing in contemporary art. » in « Marcel Ducahmp, Etant donnés. The deconstructed painting » article lu sur le site Tout-fait. The marcel Duchamp studies online journal. <http://www.toutfait.com/issues/issue_3/Articles/Hoy/etantdon_en.html> consulté le 25 avril 2012.


Matta-Clark sur des murs d’immeubles, par où le regard peut passer directement dans un troisième espace, clos comme la boîte de la peinture en perspective ; celui de la « représentation ». La vue ainsi offerte par Etant donnés… est une véritable vue en perspective, si l’on accorde à ce terme le sens de vue traversante. La simultanéité des trois passages (du seul regard) à travers un trou, une ouverture informe dont les bords ondulés se rappellent à l’œil, et une porte close, mais invitant tout le corps à entrer, dispose, physiquement et allégoriquement, les différents éléments qui constituent l’ouverture et le passage dans l’image-fente, telle qu’elle travaille la finestra. Le paysage du fond rappelle d’ailleurs les fonds des peintures en perspective de la Renaissance, que le tableau cite ainsi à partir du motif pictural de Vénus. En effet, de nombreuses Vénus, notamment celle de Giorgione et celles de Titien, présentent un paysage en leur fond, associé à l’exposition du corps nu d’une femme allongée, qui n’est pas toujours clairement identifiée comme Vénus par la narration mais s’y réfère toujours par sa nudité. Chez Titien (figure 165), le paysage se creuse d’autant plus dans la profondeur du champ que la moitié du fond est obturé par un pan, rideau voilant parfois ou pan mystérieux dans la Vénus d’Urbino observée plus haut. Il s’agit là, comme nous l’avons déjà vu à partir du texte de Daniel Arasse, d’associer le phénomène de l’apparition de la veduta, le dévoilement d’un voir, à celle de la nudité, du corps dévoilé. Le corps de Vénus est ainsi une allégorie de la peinture dans sa venue au visible et dans sa charge affective ou pulsionnelle qu’il s’agit alors d’apaiser. De par le récit fait de sa naissance par Hésiode, Vénus, née du sperme qui a dégoutté du membre viril d’Ouranos, tranché par son fils Cronos avec la complicité de sa mère, Gaïa, se présente comme le fruit de la sublimation d’un chaos pulsionnel devenu beauté apollinienne. Elle joue d’ailleurs ce rôle auprès des regards qui se portent sur elle, elle apprend d’une certaine manière au spectateur à voir la nudité comme un Nu, elle apprivoise le pulsionnel qui hante l’œil (souvent considéré a priori comme masculin en Occident) pour l’initier à la contemplation. La fente, chaos originaire, devient un objet culturel qui permet de jouer avec la pulsion scopique. Ici, reprenant le motif cru de L’origine du monde, Duchamp place la fente originaire au cœur de la représentation et comme le point de passage du regard traversant la finestra. La porte, le trou rond, l’ouverture informe dans le mur et enfin la fente du corps de Vénus mènent à la veduta et au readymade et en composent les éléments, le passage. La chute d’eau dont il est question dans le titre apparaît comme une peinture, alors que le gaz d’éclairage (équivalent paraphrastique du sfumato renaissant qui montre, pour sa part, le gaz de l’éclairement ? ) apparaît, lui, selon les modalités du readymade. L’image-fente est ainsi décomposée dans ses trois dimensions – ouverture, passage, origine - ainsi que dans sa texture


photographique, dans son indicialité que vient manifester le readymade associé à la peinture et au dispositif perspectif de la finestra, dont les bords sont travaillés par l’image-fente. La finestra est un dispositif proche de celui du peep-show, qui fait disparaître le corps du spectateur, le réduit à un ou deux yeux collés à une ouverture, voit vaciller la rectitude architecturale de sa construction initiale sous l’effet du lien à l’origine qui hante le regard du spectateur. Enfin, la présence de ce corps que rien ne vient mettre à distance, et plus particulièrement de cette fente étrange qui évoque le sexe féminin mais ressemble bien davantage à une plaie, vient fournir son objet à la pulsion sollicitée par ce dispositif. L’origine comme blessure. Dans L’humanité, Bruno Dumont offre un écho visuel contradictoire à L’origine du monde ainsi qu’un prolongement à Etant donnés... Passant de l’un à l’autre dès le début du film dont il se présente alors comme l’origine diégétique et visuelle. Dès les premières minutes du film le crime qui servira de ressort narratif au récit, est présenté au spectateur dans une image tranchante et très crue, insupportable.

Figures 239 et 240 : Bruno Dumont, L’humanité (00 :05 :06 et 00 :05 :25)

Cette représentation violente de la fente originaire, ici ensanglantée par un viol, va jusqu’à rendre le regard insoutenable dans une évocation de Courbet qui en constitue le parfait négatif. Il y a là, peut-être, une illustration de La violence du voir à laquelle Gérard Bonnet a consacré un essai, dans lequel il affirme que « voir, c’est renvoyer sur l’autre le risque de disparition dont on se sent menacé »122. En reprenant la structure du dispositif des jalousies observé plus haut, on peut dire que cette origine morte et blessée, qui manifeste si crument la castration, c’est-à-dire la menace de disparition dont le sujet regardant peut se sentir menacé, est l’équivalent d’une disparition affectée à l’image. Cette image est irregardable parce qu’elle n’est pas une apparition mais une disparition parfaitement explicite quant à ses soubassements inconscients. A la fois témoignage de ce que la pulsion peut faire à l’image de Vénus quant elle exerce sur elle sa violence, sa capacité à faire disparaître et donc 122

Gérard Bonnet, La violence du voir, Paris, PUF, 1996, p. 77.


à tuer, cette image témoigne aussi de ce qu’est une anti-image, une anti-Vénus… Une fente morte qui ne montre que son vide, son néant. Une disparition rendue manifeste, qui n’ouvre que sur le néant de l’image. Une fente murée au désir qui fait de la castration rendue visible et explicite dans cette image, le substitut à l’angoisse qu’elle génère, en dernier ressort. Gérard Bonnet nous éclaire peut-être lorsqu’il écrit : « A la vision du vide, se substitue immédiatement la vision d’autre chose, d’une image, et plus précisément de l’image qui est la plus ancrée dans la réalité psychique, celle du sexe castré de la mère. »123 Bruno Dumont détourne ainsi la fascination de l’origine comme blessure (on n’y est pas, c’est la part des autres en soi-même) pour en mettre en évidence la plaie de la castration, qui la rend irregardable. C’est peut-être aussi une violence du même ordre que Georges Didi-Huberman souligne dans Ouvrir Vénus124 dans son analyse du récit de Nastagio degli Onesti peint par Botticelli. La pulsion scopique peut porter en elle une force tranchante que la beauté de Vénus n’est pas toujours apte à conjurer. L’apollinienne contemplation de la Vénus pudica peut laisser ressortir, au tournant d’un rejet ou d’un narcissisme trop affiché par la belle déesse, la charge d’angoisse de castration et la pulsion de destruction de l’objet que l’existence même de Vénus, en tant qu’image de la vertu apollinienne de l’image, est censé sublimer. Cette antiVénus martyrisée en est l’expression même. L’image-fente en tant qu’origine porte en elle à la fois le lien « ombilical » vers l’objet et le risque d’un retour violent de la castration à travers l’évidence de la béance. Ce sexe meurtri pleure comme l’œil d’Œdipe, comme les poignets de Tomek. Au lieu d’être l’origine du monde, cette image en est plutôt la fin, selon les propres mots de Bruno Dumont, rapportés par Philippe Rouyer dans sa leçon de cinéma sur le film au Forum des images. Le film retrace alors l’enquête policière sur les éléments qui ont mené à cette fin du monde. Alors que la première occurrence (figure 239) renvoie explicitement à L’origine du monde de Courbet, la seconde (figure 240) se rapproche visuellement d’Etant donnés. Les herbes hautes, la position des jambes et la distance qui est progressivement prise vis-à-vis de ce corps martyrisé, amène le spectateur à occuper la place du voyeur terrifié par le retour du refoulé de son voir. Par une succession de plans de plus en plus larges, il est éloigné de cette fente morte qui se refuse à son œil et de cet effroi primordial qu’il ressent en étant confronté à cette allégorie de la disparition qui, paradoxalement, le ramène à lui-même en 123 124

Ibidem. p. 109. Georges Didi-Huberman, Ouvrir Vénus, Paris, (Le temps des images), Gallimard, 1999, p. 64-85.


éveillant son regard sur ses propres peurs inconscientes. Dans Ouvrir Vénus, Georges DidiHuberman écrit au sujet de la femme qui fuit le cavalier dans les panneaux de Botticelli : « Je dirai qu’elle est nue parce que sa fonction première est de surgir, d’apparaître, d’investir le regard : or, rien n’est plus apparaissant que la nudité au milieu du monde social – un banquet, par exemple… »125 La fente de Vénus ou de l’anti-Vénus, met ainsi en jeu la question de l’apparition qui est au cœur de l’image, sa raison d’être, la mise à nu de cette fente originaire, c’est l’exposition de l’origine même du regard, la mise à nu de son besoin d’apparition et de coupure mêlées, pour apprivoiser l’absence, le manque, la castration. d) La représentation de l’accouchement dans le cinéma documentaire Krzysztof Kieślowski a atteint la limite de sa quête du réel à travers les images qu’il pouvait en donner après avoir filmé une larme en gros plan, effectuant un zoom avant sur la joue de Jadzia, la jeune mariée heureuse, ou, pire, sur la joue de son compagnon Romek, alors qu’il est au téléphone en train d’annoncer la naissance de sa fille à sa mère. Cette chose que sont les larmes, comme le rappelle Slavoj Zizek, aura été pour lui comme une éclaboussure amère et un retour déplaisant à sa propre présence comme sujet regardant, intrusif. C’est pour le cinéaste le point de départ d’une prise de conscience éthique et d’un abandon progressif du cinéma documentaire. Il substituera alors, de manière symbolique, la glycérine aux vraies larmes, la représentation fictive à la vraie émotion filmée. Moment décisif donc que cet accouchement filmé avec ses conséquences affectives chez les sujets qui l’ont réellement vécu. Dans la perspective qui est la nôtre ici, il n’est pas anodin que cette prise de conscience ait eu lieu à l’occasion du filmage d’un accouchement selon les principes du cinéma direct. Kieślowski raconte d’ailleurs comment cet accouchement constituait le cœur et l’objectif même de ce film, entièrement construit sur la préparation et l’attente de cette échéance. Il raconte aussi comment il a dû s’organiser pour pouvoir le filmer, partageant l’attente du jeune couple, et prêt à bondir comme lui pour saisir cet instant. Nous découvrons alors dans le récit qu’il en fait, un élément de hasard, un moment tychique de rencontre fortuite, une improvisation de la dernière heure, qui pourrait prendre toute son ampleur dans notre approche et nous permettre de voir dans l’accouchement la figure de ce désir de la

125

Ibidem. p. 86.


rencontre de l’origine (le réel) dans l’image-fente. Le réel est ce qu’on n’attend pas, ce qu’on n’attrape pas. Voyons le récit qu’il en fait et qui constitue un objet d’analyse intéressant : « Un accouchement ne peut être répété. Pour un deuxième, il faut attendre au moins un an. On s’y était donc soigneusement préparés. On savait que Jadzia allait accoucher à la maternité de l’hôpital de la rue Madalinski, où était aussi née ma fille. Je me rappelle plus très bien si la petite est née avant ou après Marta, mais ça devait être à peu près à la même époque. J’allais voir ma femme Marysia à la même fenêtre. (…) Jadzia et Romek n’avait pas de téléphone. Nous nous sommes mis d’accord qu’aux premières contractions de Jadzia, son mari Romek appellerait immédiatement mon assistant Krzysztof Wierzbicki, surnommé le Bec. Le Bec avait un téléphone, et tous ceux qui devaient être présents dans la salle d’accouchement attendaient son appel. On savait que tout irait très vite. On ne pouvait pas se permettre le moindre retard. On travaillait sur ce projet depuis cinq ou six mois. Il était hors de question de tout gâcher. Le Bec devait d’abord m’appeler, puis appeler Jacek, Malgosia Jaworska et le directeur de production. On avait besoin de personne d’autre. On attend donc. Une semaine passe. Rien. Aucune nouvelle. Tous les jours, j’envoie le Bec vérifier si Romek n’a pas oublié de nous appeler. Une nuit, le Bec en a marre et va boire un coup. Il n’en peut plus de rester accroché au téléphone jour et nuit. Sa famille prend le relais devant le poste, tandis que le Bec poursuit sa tournée des bars. Il prend une cuite. A quatre heures du matin, il atterrit dans un bus de nuit reliant le quartier d’Ochota au centreville. Complétement ivre, il ne sait plus très bien où il est. Il faut dire que le bus de nuit passait toutes les deux heures à Varsovie. Le Bec monte dans ce bus, s’assoit tout au fond et il s’endort, la tête dans les mains ou sur les genoux. Le bus roule. Il est quatre heures du matin. Il fait nuit. Il me semble que c’était en hiver. Non c’était plutôt le début du printemps. En tout cas, il faisait froid. Soudain, il sent qu’on le secoue. Il se réveille. C’est Romek qui vient de monter dans le même bus avec Jadzia. Elle a eu des contractions dans la nuit. Ils sont sortis. Il n’y avait pas de taxi. Romek était tellement énervé qu’il n’a appelé personne. Ils sont montés dans le premier bus dont le seul passager était le Bec, complétement ivre mais qui a dessoûlé en les voyant. Il saute du bus, se précipite vers une cabine pour appeler Jacek, Malgosia et moi. Une demi-heure plus tard, nous sommes tous à la maternité. Nous avons même tourné l’accouchement du début à la fin, il a duré finalement huit heures. Ce n’était donc pas la peine de nous agiter autant, mais on ne pouvait pas le prévoir à l’avance. Il arrive parfois que la réussite d’un tournage dépende d’un petit détail. »126 126

Krzysztof Kieślowski, Le cinéma et moi, Lausanne, Noir sur Blanc, 2006, p. 84-85.


Ainsi donc cette séquence est-elle le fruit d’un heureux hasard, d’une rencontre de fortune qui était attendue mais qui n’arrive pas au moment ni dans le lieu où elle était prévue. Même si ces péripéties n’ont pas eu une incidence très grande sur la capture du moment crucial de la naissance puisque l’équipe avait près de huit heures pour s’installer, le cinéaste prend soin de les raconter dans le détail avec un souci de l’exactitude scientifique que soulignent ses différentes hésitations qui montrent au passage comme il lui est difficile de distinguer le film de la réalité. Il reconstitue cette double rencontre fortuite au terme de laquelle il a pu filmer cette origine en action, et non plus simplement sous une forme reliquaire, comme c’était le cas dans les images de Courbet, d’Almodovar, de Duchamp ou de Dumont. Filmer un accouchement, c’est filmer ce qu’il y a de plus réel dans une vie, la base de toutes les réalités, la venue au jour et au visible d’un sujet. Il s’agit-là précisément du moment où ce qui gisait dans le fantasme apparaît au grand jour apportant une réponse à ce que cherchait l’œil porté sur le corps nu de Vénus dans sa quête d’une origine qu’il pourrait tout à la fois atteindre et quitter, comme le souligne la phrase de Marie-José Mondzain citée plus haut. L’on pourrait alors voir dans la quête d’origine à travers l’image quelque trace de cette origine même de l’image, se séparer de son origine, le réel de la naissance, en le rejouant, l’image étant alors une naissance, un accouchement ; reproduction et séparation tout ensemble. Dans Premier amour, c’est peut-être le regard à la caméra de Jadzia127 qui manifeste cette rencontre avec le réel dans le film. Parturiente en plein travail, elle se tourne vers la caméra et la regarde fixement. Alors que l’accouchement lui-même reste dans le hors-champ, la caméra de Kieślowski se porte sur le visage de Jadzia, l’apparition de l’enfant se fait en voix-off et c’est ce regard à la caméra qui soudain manifeste cette épiphanie, cette apparition, la rencontre avec le réel comme origine de l’image, c’est le regard à la caméra qui l’incarne. De la même manière, les larmes de Romek, à l’annonce de la naissance à sa mère, constituent un débordement, un reume deleuzien qui évoque la tyché dont parle Georges Didi-Huberman dans son article « La couleur d’écume, ou le paradoxe d’Apelle » 128 ; « Eloigne-toi promptement de la peinture si tu ne veux pas être mouillé par l’écume qui dégoutte de ses

127

Voir figure 31. Article publié initialement dans la revue critique, XLII, 1986, n°469-470, p.606-629. et republié en 2007 dans L’image ouverte, Gallimard. 128


cheveux pressés. » 129 La peinture, ici associée clairement à la figure d’une Vénus anadyomène, a déjà cette faculté de pouvoir faire croire à la vie de l’être représenté dans sa représentation, et la tychè est la manifestation de cette « capacité de teuxis » que possède la peinture et au-delà, l’image ressemblante de la vie. Elle est, selon Georges Didi-Huberman, « ce qui littéralement nous atteint, nous touche, choit, nous échoit, nous destine dans l’instant même d’une rencontre »130. Tychè, - le personnage mythologique, la Fortune pour les romains - est une océanide, « fille de l’eau et sœur de Styx, le fleuve infernal. Elle est donc ruisselante, sans forme, elle est aveugle, dit-on, on ne l’appelle « bonne » que parce qu’elle est redoutée, elle est le caprice, l’imprévu, le nonvisible par excellence ; en tant que déesse, elle déjoue toute représentation, échoue à être strictement personnifiée ; elle est une « pure abstraction », disent les mythographes déroutés »131. Serait-elle le mouvement, signe même de la vie ? La fluidité en soi, l’eau des songes et des reflets qui ne peut que nous « mouiller », nous impliquer, voire nous absorber ? En cela le cinématographe, avec son image fluide, son aspect liquide, insaisissable, éclaboussant, réalise l’ancien désir, qui habite la peinture « mimétique » depuis Zeuxis, de saisir la vie dans son apparence, de rendre le souffle à l’être peint et de sortir du cadre pour toucher le spectateur par la force de la ressemblance. Avec le cinématographe, Tychè, l’océanide, la fille de l’eau, s’écoule à travers le cadre, comme ces ouvrières des usines Lumière qui sortent de l’embrasure de la porte de l’atelier, en 1895, comme cette eau espiègle qui surprend « l’arroseur arrosé » qui pourrait être, ici, dans le contexte de ce regard à la caméra qui allégorise la naissance, le voyeur vu qui retrouverait son corps, renaîtrait à luimême, dans la conflagration provoquée par l’intrusion soudaine du regard tiers. Charles Baudelaire en fait une très belle illustration dans son sonnet A une passante : « Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté / $Dont le regard m'a fait soudainement renaître ». Les exemples sont très nombreux qui soulignent la dimension liquide et originaire de l’image filmique, comme ce lait baptismal jaillissant de la machinerie soviétique moderne qu’est la fameuse écrémeuse dans La ligne générale d’Eisenstein que nous observerons plus loin. On peut ajouter à cette mention de l’origine au cœur d’un film de Kieślowski, l’exemple de Filip Mosz, le personnage qui incarne son double en cinéaste amateur, dans L’amateur, et qui commence à filmer au moment de la naissance de sa fille. Même s’il ne

129

Georges Didi-Huberman, L’image ouverte, (Le temps des images), Gallimard, 2007, p. 68. Reprise de l’article « la couleur d’écume, ou le paradoxe d’Apelle » in Critique n°469-470, XLII, 1986, p.606-629. 130 Ibidem. p.67. 131 Ibidem. p.67-68.


filme pas directement l’accouchement de sa femme, il apparaît assez clairement dans la trame du film que son rapport au réel, son ambition de documentariste de montrer le monde tel qu’il est par opposition aux images d’Epinal de la propagande officielle, cet attachement au principe fondateur et contestataire du cinéma-vérité, sont liés à la naissance de sa fille et à la découverte de sa paternité. Ainsi, devenant père, il découvre l’origine, dont il détient symboliquement les clés132 ainsi qu’un rapport éthique à la représentation de la réalité. Ce passage par une évocation visuelle de la naissance comme mise en jeu de l’origine, semble être la matrice figurale du contact avec le réel dans le cinéma-vérité. Dans L’homme à la caméra (1929), film qui constitue une des toutes premières expériences de cinéma-vérité consciente de ses ambitions à la fois réflexives et réalistes (kino-pravda), et théorise sa quête avec les moyens mêmes du cinéma, Dziga Vertov insère un plan d’un accouchement, en contrepoint d’une scène de funérailles. Ainsi, celui qui promeut la prise de vue à l’improviste et fait du documentaire un moyen d’énoncer le visible avec la spontanéité d’un œil qui se porte

naturellement

sur

le

monde

réel,

tout

en

développant

un

discours

métacinématographique à travers l’utilisation du montage et de ses possibilités discursives, passe lui aussi par cette évocation de l’origine, dans un plan très cru, qui surgit lui-même après une attente et le travail douloureux des contractions, entrecoupées au montage de plans d’un enterrement. Il met en scène le don du jour comme un jaillissement organique de l’image au seuil du deuil. L’accouchement est ainsi très présent chez les héritiers de Vertov et de son cinémavérité

133

qui trouvera son expression la plus crue dans ce que Mario Ruspoli appelle le cinéma

direct, la prise de vue audiovisuelle instantanée et directe du réel qui surgit. Chez Denis Gheerbrant, dans Et la vie (1991), alors qu’il rencontre et dialogue avec une sage-femme, il est amené à filmer un accouchement de manière frontale. De même, Johan Van der Keuken dans Face Value (1991) ou encore Robert Kramer, avant eux, dans Milestones (1975).

132

Le « Je t’ai vu naître » qu’on entend parfois et qui veut dire « Je connais ton origine » ou plus exactement « Je t’ai vu n’être », j’étais là au moment où tu est apparu, passant symboliquement de l’inexistence à l’existence. 133 Je reprends à mon compte, ici, la distinction entre cinéma vérité (Rouch/Morin) en référence à Dziga Vertov et cinéma direct (Ruspoli) en référence au mode de prise de vue, telle que la formule François Niney au sujet de la filmographie de Jean Rouch : « La filmographie de Jean Rouch illustre d’ailleurs les deux branches de ce cinéma de prise de parole et de terrain en caméra portée : tantôt cinéma-vérité optant pour l’improvisation ou le psychodrame provoqué devant la caméra, tantôt cinéma direct cherchant à capter sur le vif gestes et dialogues en situation. » François Niney, L’épreuve du réel à l’écran. Essai sur le principe de réalité documentaire, Bruxelles, De Boeck, 2002, p. 131.


Figures 241 à 244 : Dziga Vertov, L’homme à la caméra (1929) (00 :26 :54), Robert Kramer Milestones (1975) (03 :07 :34), Denis Gheerbrant Et la vie (1991) (00 :39 :42) Johan Van Der Keuken Face value (1991) (01 :54 :03)

Ces films partagent une même esthétique du cinéma-vérité et des modalités de prises de vue du cinéma direct, ils cherchent à saisir le réel dans l’image et l’accouchement fournit un moment d’authenticité inatteignable par les moyens de la fiction. C’est un acte unique, infalsifiable, à la fois la première et la plus remarquable réalité. Il représente le début de toute réalité, le moment de la réalisation, de l’apparition première. L’accouchement est par définition le moment originaire le plus important, l’origine même pourrait-on dire, en ce qu’un passage s’y effectue réellement, un passage du corps par la fente, une venue au visible. Bien plus que tout autre moment de l’existence humaine, l’accouchement et la naissance sont des moments de vérité où le réel surgit sur les fondements de l’attente et du désir. Que ce soit par métaphore - l’accouchement d’une œuvre ou d’une thèse - ou bien plus concrètement la naissance d’un enfant, l’accouchement, en tant que don du jour, est un travail de réalisation. Marqué du sceau de l’apparition et conjointement de celui de la séparation, l’accouchement est à même de manifester l’énergétique pulsionnelle de l’image, comme union et coupure avec l’origine, tout en constituant une image difficilement montrable. Le cinéma direct comme le cinéma-vérité, des cinémas qui rejettent la fiction au profit d’une exploitation du dogme de la vérité photographique comme garantie de l’authenticité des images, semble avoir eu une prédilection (pensée ou impensée) pour cette figure, notamment dans son moment fondateur qu’est L’homme à la caméra, pour exprimer sa propre capacité à être proche de l’origine de l’image qu’est ce réel dont elle a vocation à se détacher tout en le représentant. Ainsi, c’est peut-être l’accouchement que rejoue d’une certaine manière La sortie des usines Lumière en tant que premier film dans le mythe des origines du cinéma. La photographie s’anime et naturellement, les corps vivants en gestation dans l’immobilité de l’espace pictural puis photographique, sortent, franchissent le seuil et s’écoulent vers le horschamp. La photographie apparaît bien ici comme l’origine du cinéma et particulièrement du cinéma qui a pour vocation de saisir le réel, de dire la vérité contre les « tableaux » de la


fiction ou des images narratives officielles. C’est dans cette démarche de dévoilement du réel que la « dramaturgie du réel » de Kieślowski, mêlant cinéma direct et cinéma-vérité, a tenté de représenter la Pologne de la fin des années 60 et durant les années 70. Il a d’ailleurs souvent questionné la photographie dans ses films, souvent prise dans son rapport à l’illusion et au réel et en y introduisant la question de l’origine. e) La photographie dans l’œuvre de Kieślowski ou le lien « ombilical » A l’instar du guichet qui joue un rôle important dans son œuvre et a été l’objet exclusif d’un de ses premiers films, la photographie, sous différentes formes, est très présente dans l’ensemble des films de Kieślowski et a donné lieu à un de ses premiers films documentaires en 1968, intitulé La photographie que nous avons déjà évoqué au sujet de l’indicialité photographique (en tant qu’ouverture de l’image-fente) et qu’il est utile de mobiliser de nouveau pour mettre en lumière, cette fois-ci son lien à l’origine. Dans le moyen-métrage de 1968 intitulé La photographie, le réalisateur part à la recherche de deux enfants photographiés avec des armes à la fin de la seconde guerre mondiale, et qui sont devenus des hommes au moment du tournage, vingt-trois ans plus tard. Il accomplit ainsi le trajet qui relie une photographie ancienne, et devenue emblématique, à la réalité qu’elle a apparemment conservée, et ce faisant, il découvre l’espace et le temps qui séparent les êtres photographiés de l’image elle-même. Ce film, qui est parmi les premiers réalisés par le jeune cinéaste, témoigne de l’intérêt qu’il porte à la photographie dans le cadre de son travail documentaire puisque l’ambition de ce projet est justement d’interroger la vérité photographique d’une image d’Epinal de l’histoire polonaise et du soulèvement de Varsovie à la fin de la guerre. Cette remontée à l’origine de l’image dans une continuité spatio-temporelle, celle du film et de l’enquête, qui lie l’image du film à l’image de la photographie, donc au réel qui l’a informée, revient aussi à mesurer la séparation qui existe entre les enfants photographiés et les hommes retrouvés par Kieślowski. Il s’agit alors d’un retour et du constat d’un adieu en même temps. Retour au corps réel et adieu aux apparences de l’instant. Cependant, malgré cette double orientation, cette oscillation originaire de l’image, c’est bien le lien que Roland Barthes qualifie « d’ombilical » qui est mis en jeu, et tout le film le suit sous forme d’une enquête dans laquelle le réalisateur lui-même s’implique puisqu’on le voit à l’image, tendre la photographie à ses interlocuteurs et recueillir leurs impressions avec un micro selon les


techniques du cinéma direct (figure 246). Il part en quête d’une rencontre avec l’objet à travers la photographie.

Figure 245 et 246 : La Photographie (00 :00 :13 et 00 :02 :30)

Le film commence par un panoramique vertical sur la photographie qui fera l’objet de l’enquête, sans que ses bords ne soient dévoilés (figure 245), les deux images se superposent et seul le mouvement de l’une sur l’autre permet de les distinguer dans un feuilletage d’images de même texture. Photographie animée d’une photographie, le premier plan, comme ce sera le cas dans d’autres films de Kieślowski (Le Décalogue 2 ou au début du Passage souterrain) nous amène à nous interroger sur la matière même de l’image cinématographique à partir de la photographie. Sans l’apparition du cadre, il est impossible de déceler la photographie d’une photographie pour la raison qu’une ouverture sur une ouverture ne se repère pas. Ainsi, l’origine de l’image photographique, ce réel à la poursuite duquel Kieślowski se lance en 1968 devient naturellement celle de l’image filmique, qui se l’approprie, sans que l’œil du spectateur ne puisse le détecter par sa nature. Cette fascination du cinéaste pour le lien « ombilical » avec l’origine réelle de l’image se manifestera tout au long de sa filmographie, comme nous allons essayer de le montrer, et se retrouvera aussi dans sa dernière œuvre, Trois couleurs ; Rouge, dès le début du générique. On peut en effet voir ce lien ombilical dans le fil téléphonique qui devient un câble sousmarin reliant le personnage de Michel, l’amant qui se trouve en Angleterre à sa maîtresse Valentine qui est mannequin et vit à Genève. En dehors ce plan initial qui ne laisse apparaître que ses mains, un plan de lignes de bus en anglais, un exemplaire de The economist et des timbres rouges à l’effigie de la reine Elisabeth, des signes, on ne verra jamais Michel. Ce dispositif sonore du téléphone et de son fil qui relie matériellement, sans rupture, peut alors être considéré comme une métaphore de l’indicialité, c’est-à-dire de l’aspect direct


et ouvert de la prise de vue photographique. En mettant de côté la question de l’apparence et du regard, il insiste sur l’idée du seul lien « ombilical » ici matérialisé par le fil lui-même. Mis en relation avec l’usage que Kieślowski fait des téléphones dans ses films et en particulier dans Le Décalogue 9 que nous avons déjà étudié, il est possible de comprendre qu’il s’agit là d’une façon d’installer un dispositif de présence indicielle plus « sûr » que celui de la « vérité » photo-cinématographique. La voix, la parole, portées par le téléphone, grâce à son fil, sont les lieux de la vraie présence, qui se passe de l’apparence. Au fond, la quête de cette présence, ce lien entre le signe et son référent, qu’il cherchait dans l’image-fente du cinéma direct, qu’il a questionnés d’un point de vue éthique, à travers l’image-fente comme figure métadiscursive, dans Le Décalogue, il semble le trouver dans cet ultime film, enfin, dans le téléphone comme la fin du Décalogue 9 pouvait le laisser entendre. D’ailleurs, En dehors du premier plan, et de ses signes anglais, nulle image ne viendra témoigner de la présence réelle de Michel en Angleterre, il pourrait tout aussi bien être ailleurs, mais toujours en tout cas dans sa parole véhiculée par le téléphone. Seul le souvenir de la traversée de la manche dans ce premier plan accéléré suivant le fil du téléphone, au début du film, nous indique qu’il y est bien, puisque c’est de là qu’est parti l’appel et conjointement le plan qui reliait son téléphone à celui de Valentine. Le cordon ombilical du téléphone l’atteste. Entre ces deux moments qui bornent les références à la photographie dans l’œuvre de Kieślowski, celle-ci est mobilisée a plusieurs reprises, souvent pour mettre au jour la question de l’origine, et de l’origine photographique du cinéma en particulier ainsi que celle de la vérité. Laissant de côté les occurrences où elle n’est qu’un élément du monde réel, nous nous concentrerons ici sur les usages métadiscursifs qu’en fait Kieślowski dans certains de ses films de fiction. Dans Le personnel, Romek regarde des photographies sur un mur du théâtre en compagnie d’un de ses collègues bien plus âgé, qui lui en donne la signification. Il lui raconte l’histoire du lieu et lui indique la présence du directeur sur toutes les images, façon de montrer que ces images exposées dans le couloir sont des images de propagande. Cependant, pointant du doigt une petite figure méconnaissable, il indique sa présence lors d’une remise de décoration dont il a bénéficié.


Figures 247 et 248 : Le personnel (00 :07 :31 et 00 :07 :51)

La séquence présente deux éléments particulièrement intéressants pour l’approche qui est la nôtre ici. D’une part, l’entrée dans la photographie se fait directement, sans la médiation d’une mise en situation. Le montage nous fait passer d’un plan en extérieur sur des voies ferrées à une vue en noir et blanc de l’intérieur de la photographie où nous pouvons facilement reconnaître la salle du théâtre. Ici encore, selon un procédé que Kieślowski avait utilisé dans La photographie et qu’il reprendra souvent, les bords de l’image photographique sont absents, le champ du film est directement enchâssé dans la photographie que seuls le noir et blanc et un désaxement horizontal révèle comme étant exogène. Encore une fois, la matière de l’image est trompeuse puisqu’il s’agit toujours, au fond de photographie, c’est-à-dire de vue directe. Lorsque son collègue lui montre du doigt où il se trouve sur l’image, Romek et le spectateur assistent à une séance d’autoscopie où le lien indiciel est matérialisé par le doigt du photographié sur sa propre image photographique. Une boucle s’établit alors entre la représentation et la réalité qu’elle représente. La possibilité de se voir en double, souvent soutenue par l’usage des miroirs, vitrines et autres sources fortuites de reflets, dans les films de Kieślowski, se présente ici à travers la photographie qui apparaît comme une sorte de miroir avec mémoire. Parcourant de nouveau et en sens inverse le trajet effectué dans La photographie entre l’image et ses modèles réels, le doigt du photographié vient se voir en affirmant « Regarde, ça c’est moi », n’établissant ainsi aucune distance entre sa représentation photographique et son corps véritable. Dans La cicatrice, la photographie est utilisée dès le début du film par un représentant du gouvernement qui veut convaincre ses interlocuteurs de la nécessité de construire une usine pour venir en aide aux habitants de Voïvodie, qui vivent dans des conditions très précaires. Pour appuyer son propos et convaincre ses interlocuteurs, il sort des photographies tirées d’un reportage à l’esthétique naturaliste assez proche de celle d’un Robert Frank.


« Voyez comment les gens vivent chez nous » dit-il et les photographies circulent comme autant de preuves irréfutables de la pauvreté des habitants de la région. Les photographies sont grandes, on les voit circuler au premier plan mais elles n’occupent jamais tout le cadre.

Figure 249 : La cicatrice (00 :06 :33)

Aux antipodes de la propagande officielle, les photographies viennent souligner l’état réel du pays aux yeux de ces initiés, hauts fonctionnaires qui ont pour charge de redessiner le paysage aux couleurs de la réussite communiste. La photographie est prise ici pour sa valeur documentaire, elle atteste ce que dit le fonctionnaire, elle montre une réalité matérielle avec la précision et la force de vérité qu’une carte d’état major. Sa force de preuve est directement liée à son lien, fût-il illusoire et théorique, à son origine dans la réalité. On retrouve un usage intéressant de la photographie dans Sans fin lorsque Urszula, la jeune veuve, étale devant elle sur une table une série de photomatons qu’elle a trouvés dans le portefeuille de son mari.

Figure 250 : Sans fin (00 :19 :37)


Elle les place dans un ordre qui apparaît vite comme un ordre chronologique puisque les portraits représentés semblent aller de manière croissante en âge. Il s’agit de portraits de son mari à différents âges, de la petite tête blonde à l’homme en costume. Une vie photographiée et mise en série nous montre les évolutions du corps et des traits dans un seul et unique cadre. C’est ici la capacité mémorielle de la photographie qui est évoquée, sa vocation à conserver du temps, une vie même, que la fin de la série vient interrompre brutalement. Dans le contexte polonais très administratif de l’époque, la photographie d’identité tient une place très importante dans le processus de contrôle des individus par l’Etat. Leur abondance témoigne d’une vie bien identifiée et de l’importance du regard porté sur les citoyens polonais par les instances invisibles mais omnivoyantes de ce contrôle. Le pouvoir du guichet n’est pas loin. Ces vignettes posées sur la table sont autant de traces d’une identification de son mari par l’administration étatique et, en même temps, elles tirent dans leur alignement même, le fil d’une existence individuelle dans ce cadre très rigide, suivent les évolutions de son visage. Antoni, le défunt, était un avocat qui défendait les inculpés politiques durant les années de l’Etat de siège134. Par ailleurs, la photographie est ici mobilisée dans son rapport à la mort et dans sa puissance de résurrection135, dans sa capacité à faire revivre le mort, ici dans sa durée. A ce titre, la disposition des photomatons en série dans le sens du temps pourrait être aussi une sorte de décomposition de l’image cinématographique dans son rapport à ses fondements photographiques. Nous avons déjà observé le rôle essentiel de la photographie dans Tu ne tueras point et Le Décalogue 5, elle y joue ce rôle reliquaire que nous venons d’évoquer au sujet des photomatons de Sans fin. Dans Le Décalogue, la photographie est aussi mobilisée à plusieurs reprises. Dans le second film, comme nous l’avons déjà observé, elle est montée, sans son cadre, directement dans un face à face entre Dorota et son mari absent qui n’est pas reconnaissable parce qu’il porte un passe-montagne. Ironie du visible qui livre les apparences mais aucune certitude sur leur vérité supposée. La photographie s’y présente tout de même comme une présence qui se dérobe, par un biais ou un autre, et c’est cet aspect de l’image photographique qui paraît revenir dans l’approche qu’en a Kieślowski. C’était d’ailleurs sur cette vertu résurrectionnelle de la photographie que s’appuyait la joie de Piotrek dans L’amateur, lorsque Filip Mosz lui montrait les images de sa mère à la fenêtre, dernières traces

134

13 décembre1981-22 juillet 1983 Voir à ce sujet l’article d’André Gunthert : « Le complexe de Gradiva. Théorie de la photographie, deuil et résurrection » in Etudes photographiques n° 2 mai 1997, en ligne : <http://etudesphotographiques.revues.org/index423.html> 135


visuelles de sa vie. En tant que photographie animée, le cinéma a dès ses débuts manifesté la puissance de son combat avec la mort, comme le rappelle l’emploi du verbe « photographier » par un journaliste ayant assisté à la première projection du 28 décembre 1895 : « Lorsque ces appareils seront livrés au public, lorsque tous pourront photographier les êtres qui leur sont chers (…) dans leur mouvement, dans leur action, dans leurs gestes familiers, avec la parole au bout des lèvres, la mort cessera d’être absolue. »136 Le lien de la photographie à l’origine apparaît aussi très clairement dans une séquence du Décalogue 4 où Anna va retrouver une vieille photographie dans le sac de sa mère défunte. Il s’agit ici pour elle d’identifier son vrai père sur une photographie où apparaissent deux hommes susceptibles de l’être. L’ironie de l’approche de la photographie vient ici, une fois encore, de la relativité des éléments de l’identification. De même que la foule du théâtre dans Le personnel ou encore la multiplicité des photomatons dans Sans fin, renvoyait la vérité photographique au savoir de son observateur, la vérité est ici en dehors de la photographie restant muette sur le visible qu’elle expose. L’origine apparaît ainsi comme une énigme partielle, sa mère est bien visible sur la photographie mais le père est potentiel, illustrant la formule consacrée du Pater incertus, mater certissima qui pourrait correspondre, sur le plan de l’indicialité photographique, à la certitude de la présence d’un objet et à l’incertitude sur l’identité de cet objet. Le lien « ombilical » qui s’attache à la prise de vue ne garantit rien sur l’identité de son contenu 137. En d’autres termes, il y a toujours un corps-mère dans la photographie, mais on ne connaît pas tours son nom-père. C’est vraiment dans La double vie de Véronique que la photographie joue un rôle central dans une fiction Kieślowskienne. Une photographie prise par Véronique au début du film, sous les yeux du spectateur dont le point de vue est proche de celui de Weronika, fait retour à la fin, sur une planche-contact regardée par un tiers, dévoilant le contrechamp où se tient Weronika, le double polonais de Véronique. Véronique la française en voyage à Cracovie a photographié une place envahie par des étudiants contestataires au moment où son car repart précipitamment pour éviter la charge des forces de l’ordre. Plus tard, de retour en France, elle rencontre Alexandre Fabbri, un marionnettiste dont elle tombe amoureuse et qui la manipule à distance en lui envoyant des 136

Journal « La poste » du 30 décembre 1895. C’est aussi ce que souligne l’usage du passe-montagne dans la photographie du mari de Dorota dans Le Décalogue 2. 137


signes ainsi qu’une cassette magnétique enregistrée sur laquelle la jeune femme peut entendre des bruits de la ville. A force d’attention, et en vertu de ce lien d’indicialité, ici parfaitement illustré par la dimension presque policière de son enquête et du déchiffrement des indices sonores, elle retrouve cet Alexandre Fabbri, qui l’attend patiemment au lieu où il a enregistré les sons, près de la gare St Lazare. Il est important de noter ici que comme dans Trois couleurs ; Rouge, le dernier film de sa carrière, Kieślowski associe l’indice à une empreinte sonore et non plus à une image photographique. Préfiguration de son passage à l’écrit ? Après une première dispute au sujet de la manière dont Alexandre Fabbri la manipule, ils se retrouvent dans un hôtel parisien où ils font l’amour et c’est alors que Fabbri, observant une planche-contact sortie du sac de Véronique, croit la voir sur une photographie qu’elle a pourtant prise elle-même. La découverte de cette petite photographie que Véronique n’avait jamais vraiment regardée déclenche en elle une émotion profonde qui la mène aux larmes, elle avait en effet l’intuition d’être « ici et ailleurs » et de savoir ce qu’elle devait faire. Elle a rencontré son double et cette expérience d’autoscopie nous amène une fois encore à mesurer la distance qui peut exister entre une photographie et son modèle. Alexandre Fabbri est sûr d’avoir vu sa bien aimée sur cette image, il lui dit : « C’est une belle photo ça…et toi avec ce grand manteau… » à quoi elle répond : « C’est pas moi… » Alexandre reprend : « Si, c’est toi. », elle saisit alors la planche-contact et, posant le doigt sur son image (figure 252), elle dit « C’est pas mon manteau ! ». L’habit ne fait pas le moine, l’apparence photographique ne fait pas la personne.

Figures 251 et 252 : La double vie de Véronique (00 :13 :58 et 01 :20 :56)

De plus en plus méfiant vis-à-vis de l’image photographique qui est l’origine (souvent refoulée) du cinéma, Kieślowski dispose différents types de distorsions qui peuvent venir troubler le lien « ombilical » qui relierait le regard à l’objet à travers l’ouverture photocinématographique. C’est ici le manteau qui porte cette altérité, Véronique se voit différente d’elle-même parce que si les apparences sont trompeuses, l’habit, ici, défait le moine.


L’expression rimbaldienne qui fonde une conception moderne et freudienne de l’identité ; Je est un autre, trouve ici sa pleine expression visuelle dans cette inquiétante étrangeté qui saisit Véronique lorsqu’elle regarde Weronika. Perdue au milieu d’une planche couverte d’autres images à peine regardées, cette vignette constitue une fente vers le mystère de l’altérité interne, de l’autre en soi, qui est le propre d’une oscillation dans laquelle, nous essaierons de le voir en conclusion, l’éthique peut s’originer. En prenant conscience de cette altérité interne qui lui permet de savoir des choses avant de les avoir vécues, Véronique, (la vraie image) accède à un niveau éthique de l’existence, celui du choix conscient, libre, responsable. La disposition sur une planche-contact indique ici l’importance du choix et du hasard dans le rapport à la photographie. On y retrouve certes le goût du montage –choix des plans- qui était pour Kieślowski le véritable lieu de l’écriture cinématographique, mais aussi l’opération en vertu de laquelle le hasard des prises de vue livre sa sève de contact avec le réel (l’origine) et de rencontre heureuse. Véronique avait mitraillé la place centrale de Cracovie sans savoir exactement ce qu’elle photographiait, à la manière de Thomas le personnage de Blow-up qui découvre illusoirement et après coup qu’il a enregistré un meurtre sans le voir. Mais ici, la vérité est spéculaire, le reflet ou le double qui hante toute l’œuvre du cinéaste trouve son sens ; il s’agit d’éprouver l’autre en soi. La question du choix de la photographie dans une série de prises de vue se retrouve encore dans Trois couleurs ; Rouge. Irène Jacob y incarne Valentine, un jeune mannequin dont on peut voir une séance de pause au terme de laquelle le photographe demande à la jeune femme de lui indiquer la photographie qu’elle préfère et qui doit servir de support visuel à une publicité pour une marque de chewing-gum.

Figures 253 et 254 : Trois couleurs ; Rouge (00 :16 :58 et 00 :17 :09)

Une nouvelle fois, comme dans Le personnel ou La double vie de Véronique, un personnage pose son doigt sur sa propre image photographique. Il s’agit pour lui de se


reconnaître, de se désigner et de se choisir, dans le même geste. Un processus dans lequel l’Index joue un rôle proche dans son intention de celui de Saint Thomas dans la toile de Caravage, mais paradoxalement inversé quant à son résultat. Plongé dans l’image à la recherche du corps sous l’image, il en est lui-même la matière et s’en trouve exclu, y reste étranger. Le doigt d’Irène Jacob étant ici la matière réelle de la chair représentée photographiquement, il nous montre ici comment la surface de l’image se ferme au désir haptique du sujet regardant qui constate alors qu’il n’y a là qu’une surface close. Que pointetelle au juste ? D’un côté de cette surface se tient l’illusion de la chair, de l’autre la chair ellemême. Le sujet est à jamais étranger à lui-même dans son rapport speculaire à sa propre valeur d’objet. Cet élan de la main, de l’index, du sujet vers sa propre image nous dévoile la conscience, qui est ici mise en évidence, de la part de narcissisme et d’attachement qui hante le regard porté sur l’image photographique. Tenir, pétrir, garder, retenir et avaler, boire, dévorer, ingurgiter, tels sont les gestes que sollicitent les images encadrées – l’encadrement étant lui même une « poignée » pour le sujet regardant, le bord pour la main - ressemblantes, dont l’indicialité, plus ou moins scientifiquement établie (présence du modèle, enregistrement lumineux…), constitue un lien « ombilical » entre le sujet regardant et l’objet représenté/regardé. Si la piste du narcissisme ne sera pas suivie ici, je vais, en revanche, selon mon souci de mettre au jour la place et le rôle d’un rapport à l’origine dans l’image-fente, me pencher sur la dimension de l’attachement à l’image en y poursuivant deux pistes qui se sont fait jour au fil de cette recherche. La dimension orale et la dimension haptique du regard ; le jeu de la bouche et de la main dans l’instauration d’une relation à l’image et en particulier à l’image filmique à partir de sa texture photographique, ce lait nourricier de la présence indicielle. Ces deux dimensions m’amèneront à voir comment l’image met en jeu la relation à l’objet primaire.


2) L’image-fente comme objet primaire « Dans la fente du garde-manger entrouvert ma main s’enfonçait comme un amoureux dans la nuit. Lorsqu’elle était chez elle dans l’obscurité, elle cherchait, en tâtonnant du sucre ou des amandes, des raisins secs ou des fruits en bocaux. Et comme l’amoureux qui, avant de lui donner un baiser, prend sa bien aimée dans 138 ses bras, le sens du toucher avait rendez-vous avec eux avant que la bouche ne savoure leur douceur. »

Ce qui semble soutenir, pour une part, la pulsion scopique dans ce que Lacan appelle « un appétit de l’œil »139, chez le spectateur avide d’images, c’est bien sûr la relation à l’objet primaire ; le sein maternel, qui se présente à l’œil du nourrisson comme un objet fendu d’où jaillit, sous la pression d’un contact buccal et parfois manuel, succion et pétrissage, le lait nourrissant qui lui procure ses premières extases de complétude et de satiété. A la fois bobine qui fait retour, objet pour la bouche et pour la main, et présence visuelle de l’objet apportant la réassurance, le sein est aussi, pour l’enfant, la première image-fente, celle par où lui vient la satiété d’une continuité retrouvée avec le corps maternel, c’est-à-dire une réassurance liée à la présence visuelle de la mère et à la dynamique haptique et orale qui s’y lie. L’apparition de ce qui abolira, un temps, la séparation, y est tétée et palpée. On pourrait dire alors que tout regard porté sur la représentation d’un objet, toute apparition d’un écran ouvertement offert au regard, sollicite de manière plus ou moins claire et plus ou moins appuyée, la part de bouche et de main qui hante l’œil du sujet regardant lorsqu’il écoute son appétit propre, sa pulsion scopique. Le lait est proprement ce réel incontestable, au goût et à la texture reconnaissables, qui passe à travers la fente du téton et qui agit réellement dans l’organisme du nourrisson. Le sein maternel peut ainsi être assimilé à l’écran ou plus exactement à l’image-fente dont la forme de fessura hante et affecte la finestra, dans sa capacité à nourrir l’œil du spectateur, en lui donnant l’illusion d’une continuité et d’un échange fluide entre le réel représenté et le réel qui l’environne. Le lait est ainsi cette « continuité de matière entre les choses et les images »140 qui nourrit le spectateur de son illusion réaliste et de son savoir « photographique », établissant ce lien « ombilical » entre le regard de Roland Barthes et le corps de sa mère photographié dans le jardin d’hiver. Ce serait alors de cette réunion imaginaire, fantasmatique, dont l’image mimétique encadrée fondée sur le modèle de la finestra serait le support, et l’image filmique le support 138

Walter Benjamin, Une enfance berlinoise, Paris, Maurice Nadeau, 2007, p. 51. « Cet appétit de l’œil qu’il s’agit de nourrir fait la valeur de charme de la peinture. » Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit. p.131. 140 Cf André Rouillé, La photographie, op. cit. p. 615. 139


privilégié, que le spectateur ferait son festin visuel en regardant l’image fluide s’écouler de son cadre devenu fente sous l’effet du désir d’origine qui travaille à la fois le sujet imageant et le sujet regardant. L’image-fente est le nom de ce téton qui affleure à l’image et qui assure illusoirement mais efficacement cet écoulement du temps et de l’espace à travers la finestra, dont le bord est oublié, rogné, attaqué, effrité, afin de nourrir l’œil de l’aliment qui lui est le plus essentiel ; la présence, perçue comme réelle, de l’objet. Suivant une démarche réflexive qui vise à mettre l’image photographique en abyme, le photographe Tony Ward a peut-être formulé visuellement cette conception de l’image-fente comme origine en tant que fusion avec le sein maternel, dans cette photographie qui renvoie le spectateur à son attente scopique.

Figure 255 : Tony Ward, (2009) consultée en ligne : <http://www.tonyward.com/u29.html>

A la fois œil et téton, cette photographie pourrait être à l’image filmique ce que le monochrome lilial est au tableau ; une surface close qui renvoie le regard à son propre désir et se ferme à son illusion, une analyse du regard à l’aide d’une forme d’allégorie de ce qui gît sous la figure. La fente est ici cette ouverture du corps qui permet le passage pour un retour à la matrice, non pas dans la relation incestuelle d’un retour physique et douloureux vers cette origine du monde qu’est le sexe féminin, comme l’évoque la conflagration que Kieślowski met en scène dans Le Décalogue 6, mais dans la relation orale de nutrition qui abolit les limites corporelles à la faveur de l’écoulement, d’un corps à l’autre, d’un fluide nourrissant. Le rapport cadre-fente devenant alors un rapport séparation-fusion. Le retour à l’origine s’effectue par l’établissement illusoire de cette « continuité de matière entre les choses et les images », continuité qui abolit l’objectalité de l’image, la dés-objectivise et permet ainsi, sur


un mode imaginaire et en sécurité puisque le cadre est toujours « rattrapable » par l’œil qui peut s’en saisir comme d’une poignée de réel, cette fusion avec le sein maternel. Dans son dernier ouvrage, Murielle Gagnebin ne manque pas d’attirer l’attention de son lecteur sur le destin des seins dans l’art contemporain de la fin du XX ème siècle et du début du XXI ème. Prenant le sein comme support de projection, elle suit chez différents artistes la manière dont il est utilisé, notamment pour solliciter la main ou la bouche du spectateur : « Alors que chez O. Dix le téton raidi pouvait encore être pris pour un équivalent du clitoris / petit pénis, la poitrine des femmes de L. Freud est une invitation au pétrissage. Se vautrer, se perdre dans ces monticules graisseux pourrait répondre au souhait du tout-petit, et ce d’autant plus lorsque l’œil repère la manière de L. Freud, enclin à laisser, sur les chairs déployées, des écailles de peinture dues à l’usage du blanc de Krems, un pigment très lourd contenant beaucoup plus d’oxyde de plomb que la céruse et presque pas de liant oléagineux, et qui est, donc, propice à laisser des grumeaux ! » 141 Voyant dans les attaques faites aux bustes féminins et aux seins les signes d’une angoisse due à un désir incestueux ainsi refoulé, Murielle Gagnebin, voit ensuite dans l’ennui (ou l’évitement) suscité par les seins que délaissent des artistes comme Egon Schiele ou Botero, une façon indirecte d’en exprimer une haine, arguant que « s’ennuyer signifie vers 1175 « éprouver du dégoût pour quelqu’un ou quelque chose » »142. Quoi qu’il en soit, pétri, haï ou ignoré, le sein semble se présenter comme un écran de projection où le fantasme contrecarré d’un retour (incestueux) vers l’objet primaire se manifeste sous différentes formes ; et la psychanalyste d’ajouter : « Les pouvoirs de fascination érotique qu’exerce la succion, toujours prompte à déclencher la capacité à fantasmer, sont tels qu’une fois le nourrisson repu l’écran blanc du sein, réceptacle des premiers scénarios imaginaires, se fait matrice des puissances oniriques, initiant rêves et cauchemars. »143 Murielle Gagnebin en vient ainsi à rejoindre la théorie de Bertram D. Lewin qui considère le sein maternel comme « the dream screen ». C’est en effet Bertram D. Lewin qui a particulièrement pensé ce destin onirique du sein chez le nourrisson, dans le sommeil repu qui suit l’allaitement. Dans son fameux article intitulé « Le sommeil, la bouche et l’écran du rêve », Bertram D. Lewin considère ainsi le sein maternel, support physique des premiers endormissements du nourrisson, comme l’écran

141

Murielle Gagnebin, En deçà de la sublimation, L’ego alter, Paris, Presses Universitaires de France, 2011, p.

73. 142 143

Ibidem, p. 81. Idem.


blanc du rêve tel qu’il a pu le repérer dans certaines de ses expériences cliniques. Il affirme ainsi : « Au moment de l’endormissement, le sein est pris dans notre monde perceptif, il s’aplatit ou tend à devenir plat ; au moment du réveil, il disparaît ; c’est le même chemin parcouru dans le sens inverse. Un rêve semble projeté sur ce sein aplati –l’écran du rêve-, sous réserve bien entendu que le rêve soit visuel. »144 Le sein, pensé ici comme écran de cinéma (support de projection) et, au-delà, comme tableau pour le regard (il ne parle que des rêves visuels) serait ainsi la première toile au contact chaleureux de laquelle s’effectuerait le rêve dans la vie psychique à partir de cette expérience de l’allaitement. Mieux encore, ce sein maternel fournirait la possibilité même du rêve (hallucination d’objets) comme horizon désiré de l’endormissement. En regagnant l’écran de nos rêves sur lequel se projettent des images crédibles, nous retrouverions ainsi le contact et l’envie de succion archaïques. Paradigme sur lequel peut se greffer le dispositif cinématographique comme nous pouvons le voir avec Jean-Louis Baudry dans son fameux article où il compare le dispositif cinématographique au mythe de la caverne et conclut sa réflexion à partir des théories de Bertram D. Lewin. Il dit ainsi : « Il est évident que l’écran du rêve est un résidu des traces mnésiques les plus archaïques. Mais on pourrait supposer en outre, ce qui est au moins aussi important, qu’il ouvre à la compréhension de ce qu’on pourrait appeler le dispositif formateur et la « scène primitive » du rêve qui s’établit en pleine phase orale. Le caractère hallucinatoire, l’indistinction représentation/perception – représentation donnée comme perception qui conditionne la croyance en la réalité du rêve, serait en correspondance avec l’indistinction actif/passif, agir/subir, non-distinction des limites du corps (corps/sein), manger/être mangé, etc. caractéristiques de la phase orale et que l’enveloppement du sujet dans l’écran vérifierait. » 145 Il en vient ensuite à formuler une hypothèse qui trouve un écho dans notre approche bien qu’elle ne puisse la résumer : « (...) Le dispositif cinématographique, si l’on tient compte de l’obscurité de la salle, de la situation de passivité relative, de l’immobilité forcée du ciné-sujet, comme sans doute des effets inhérents à la projection d’images douées de mouvement, déterminerait un état régressif artificiel. (…) Ce serait le désir, évidemment non reconnu comme tel par le sujet, de retrouver cette position, un stade précoce de développement avec ses formes propres de satisfaction, qui pourrait être déterminant dans le désir de cinéma et le plaisir qu’il y trouve. Retour vers un narcissisme

144

Bertram D. Lewin, « Le sommeil, la bouche et l’écran du rêve » traduit de l’anglais par J.B. Pontalis, in L’espace du rêve, Nouvelle revue de psychanalyse n°5, printemps 1972, p. 213. 145 Jean-Louis Baudry, « Le dispositif : approches métapsychologiques de l’impression de réalité » in Psychanalyse et cinéma, Communications n° 23, Paris, Seuil, 1975 p. 67.


relatif, et plus encore vers une forme de relation à la réalité, qu’on pourrait définir comme enveloppante, dans laquelle les limites du corps propre et de l’extérieur ne seraient pas strictement précisées. »146 S’il apparaît que le concept heuristique d’image-fente rend compte de ce désir de cinéma comme enveloppement du sujet dans l’image filmique par l’instauration d’une continuité de matière entre l’image et l’espace réel, qui pourrait être apparentée à une hallucination de l’objet, il ne faut pas omettre de préciser, comme le rappelle Christian Metz, que le spectateur de film sait qu’il ne rêve pas, contrairement au rêveur. Il est conscient de l’existence de son désir, même s’il ne le formule pas forcément, et qu’il est donc dans une position intermédiaire, dans une forme d’oscillation entre l’adhésion à l’image comme réalité et la coupure due à la conscience de la représentation. L’écran du rêve/sein maternel postulé par Lewin pourrait ainsi être le terrain privilégié de cette oscillation, support indispensable au processus onirique dont il assure la corporéité même, il est oublié par le rêve comme il est oublié par la créativité des artistes qui ne représentent pratiquement jamais cet élément. Murielle Gagnebin s’étonne ainsi de ne pas trouver de trace de cet écran dans les œuvres contemporaines qu’elle a consultées. Mais au fil de sa quête iconographique « à même la poitrine des femmes, des figurations de cet « écran blanc », si magique »147, l’auteur finit par le retrouver, indirectement, dans le motif de la lactation de St Bernard148 qu’elle associe aux déformations mammaires souvent constatées chez les vierges à l’enfant où la poitrine apparaît comme « une poire à poudre » et « prend naissance dans le cou, à la façon d’un goitre protubérant, ou à l’aisselle, tel un énorme abcès ! »149 Selon l’auteur, c’est la projection du lait à distance, tel un trait de liquide urétral ou même séminal, qui donne « le chiffre de ces déformations mammaires en ces époques » 150 En effet, ce retournement des rôles qui transforme le lait en semence, source de parole chez St Bernard, témoigne de ce que l’allaitement d’un adulte par la vierge ne peut être fait qu’à distance, c’est-à-dire, dans les termes de notre approche, qu’il ne peut se faire que par le biais du regard dans un contact distant. C’est d’ailleurs au moment où St Bernard, en pleine oraison contemplative devant la statue de la Vierge, prononce les mots « Monstra te esse matrem ! » que le phénomène de lactation se produit. Autrement dit, cette lactation répond à un désir d’apparition, de survenue de l’image ! 146

Ibidem, p. 69. Murielle Gagnebin, En deçà de la sublimation, op. cit. p. 81. 148 Voir plus loin figure 284. 149 Murielle Gagnebin, En deçà de la sublimation, op. cit. p. 86. 150 Ibidem, p. 87. 147


L’œil est ainsi littéralement nourri par l’apparaître lui-même. Murielle Gagnebin ajoute : « Comprenons l’extraordinaire travail psychique de ces peintres, confrontés au scandale de la tétée, inventant, cinq cents ans auparavant, dans une intuition plastique formidable, ce que Maurice Bouvet, théorisant le relation d’objet, a appelé « le rapprocher de distanciation » (…) »151 Ce « rapprocher de distanciation » serait alors une formulation très précise de ce qu’est le regard dans son double mouvement de projection du corps du sujet dans l’espace de la représentation, puisqu’il en est un prolongement, une partie invisible du corps mue dans un geste invisible, et de maintien de la distance dans une forme très particulière de contact sans contact, de toucher sans toucher. Par le regard, un corps se projette qui découvre vite son immatérialité et se révèle tout de même comme étant un contact. S’établit alors un jeu d’aller et retour entre présence et absence, proche de ce qui se passe dans le Fort-Da décrit par Freud dans son fameux article de 1920 ; « Au-delà du principe de plaisir », qui est un moyen d’apprivoiser l’absence et de jouer d’un retour de l’objet à jamais incomplet mais qui instaure le jeu lui-même comme présence. L’image dans son cadre est en quelque sorte le terrain de jeu (ou plutôt l’écran de jeu) où se retrouve, dans la dialectique de la fessura et de la finestra, l’oscillation du regard entre vue et signe, illusion et conscience de l’illusion, que le concept heuristique d’image-fente met au jour. Le motif pictural de la lactation de Saint Bernard, tout comme l’exil délicat du sein sur l’épaule ou sous l’aisselle de la Vierge, seraient des manières de mettre le sein à distance, d’en faire un objet symbolique et un support de rêverie pour le regard, au détriment de sa part purement anatomique, afin d’assurer un déplacement du contact physique dans le champ du regard considéré comme un corps sans corps. Le lait devient alors cette substance réelle, efficiente, dont l’activité de regard se nourrit au contact visuel de l’origine en vertu de l’illusion optique de la peinture mimétique que vient renforcer la transparence supposée du support photographique et son lien « ombilical ». Nous pourrions ajouter ici à ces déplacements de l’écran blanc du rêve, le motif de l’anamorphose, que nous avons particulièrement observé dans La double vie de Véronique, qui s’attaque au support même de l’image pour en modifier la texture et la forme. Il est possible d’y voir le fruit d’un processus de pétrissage, l’image anamorphosée serait alors malaxée par une main qui la déforme comme une pâte molle, et sa déformation pourrait être aussi considérée comme une liquéfaction de l’image, transformation du solide en fluide qui 151

Ibidem, p. 88.


pourrait alors solliciter l’oralité du regard du spectateur. Ainsi, touchée dans sa texture et sa matière même, l’image anamorphosée pourrait ainsi incarner l’écran du rêve en tant que sein maternel, en tant qu’objet à boire et à pétrir. Comme pour en formuler les éléments constitutifs, Krzysztof Kieślowski a analysé les composantes orale et haptique du regard dans un film en particulier, Le Décalogue 6, ainsi que dans sa version cinématographique Brève histoire d’amour. Partant de l’usage qu’il fait du lait dans ce film puis dans d’autres de ses films, nous allons suivre chez d’autres cinéastes, comme Eisenstein et Truffaut, le destin du lait et de la lactation, avant de nous intéresser à la dimension haptique du regard telle qu’il la met en évidence dans Brève histoire d’amour que nous pourrions rebaptiser Brève histoire de mains. a) La lactation dans Le Décalogue

Figure 256 : Le Décalogue 6 (15 :43) (Extrait 15)

A ceux qui lui demandaient pourquoi les personnages de son Décalogue buvaient si souvent du lait, Krzysztof Kieślowski répondait généralement qu’il ne fallait pas y voir de signification particulière ; il en buvait lui-même assez souvent et ce n’était là qu’un élément autobiographique… Il ajoutait d’ailleurs, au sujet du plan du Décalogue 6 évoqué par le photogramme ci-dessus : « Par exemple, dans un de mes films, il y a une scène avec une bouteille de lait. La bouteille est renversée et son contenu se vide. Or voilà qu’on attribue à cette scène un sens auquel je n’avais songé à aucun instant. Pour moi, la bouteille de lait est tout simplement une bouteille de lait, et le fait qu’elle ait été renversée n’a pas d’autre conséquence que de l’avoir vidée de son contenu, point final. Cela ne veut absolument pas dire que le monde s’est renversé, le lait ne symbolise pas celui de la mère que le héros n’a pu


boire dans son enfance, car sa mère est morte prématurément. Pour moi, cette signification n’existe pas. Mais on y a vu un symbole. Le cinéma, c’est ça. »152 Si cette réponse n’est pas complètement satisfaisante et laisse à l’interprète la possibilité d’y voir autre chose, d’aller bien plus loin dans la compréhension de ces occurrences intrigantes, c’est que le lait, dans Le Décalogue 6, n’est pas qu’un accessoire réaliste, mais qu’il joue un rôle important dans l’économie du récit, puisque Tomek va devenir le livreur de lait de celle qu’il passe son temps à observer, et que la substance maternelle nourrissante entre ainsi en résonance avec le thème du regard avide qui est le cœur même de cet épisode. Aussi, sans reprendre à notre compte l’interprétation psychologique que Kieślowski veut ignorer, celle d’un désir de nutrition ou d’un manque de mère chez le sujet fictif Tomek,ce n’est pas notre démarche ici que de sonder la psychologie du personnage ni même de nous engager dans une psychocritique ayant pour objet les mécanismes inconscients de l’auteur- ce qui nous intéressera ici ce sont les modalités de la relation que le spectateur entretient avec l’image de film. Nous allons donc nous intéresser à la place symbolique qu’occupe le lait dans cet épisode du Décalogue ainsi qu’en d’autres endroits du polyptyque, pour ensuite élargir la réflexion à deux autres œuvres cinématographiques majeures où le lait nous semble présent comme élément d’une mise en jeu du regard. Cette approche nous permettra de comprendre la manière dont ces lactations nous éclairent sur un des aspects de la relation qui unit le spectateur de film à la substance même de l’image filmique, c’est-à-dire à cette image lumineuse et mouvante qui se frotte à son cadre et s’écoule dans son œil, ou l’éclabousse de sa présence. (Voir extrait 15) Nous pouvons facilement observer qu’à plusieurs reprises, dans Le Décalogue 6, apparaissent des bouteilles de lait qui occupent une place importante dans les cadrages et dans le récit. Comme symbole d’un appétit visuel, le lait accompagne le processus d’inversion des positions de sujet et d’objet du regard entre Tomek et Magda qui finit par se mettre à sa place pour le regarder à son tour. On peut ainsi considérer que le nutriment maternel sert à indiquer de quel côté est celui qui se nourrit de l’apparence de l’autre par le regard, le lait symbolisant ce qui, dans le champ du regard du sujet, constitue l’objet d’une pulsion orale qui emprunterait le canal du regard pour atteindre son but. 152

Krzysztof Kieślowski, Le cinéma et moi, op. cit. p. 214.


Ainsi, au début, le lait accompagne-t-il la figure de Magda au moment où Tomek, et le spectateur153, la regardent. Dès le premier plan, lorsqu’elle rentre chez elle. Ayant regagné son lieu, son intérieur, elle pose ses escarpins sur la table, va regarder la tapisserie qu’elle est en train de réaliser à travers l’ouverture d’un cadre formé de ses doigts (figure 257), revient dans sa cuisine où elle boit du lait154 (figure 258) et pose la bouteille près de ses escarpins sur la table155. Bouteille qu’elle emporte ensuite avec elle (figure 259) dans la pièce où elle se rend pour travailler sur sa tapisserie toujours sous le regard de Tomek.

Figure 257 : Le Décalogue 6 (02 :06) (Extrait 12)

Figures 258 et 259 : Le Décalogue 6 (03 :48 et 03 :52, détail) (Extrait 15)

153

A ce moment du film, durant le générique de début, un montage alterné nous montre Tomek en train de voler une lunette d’approche dans un lycée d’un côté et Magda rentrant chez elle de l’autre. Selon le principe de ce type de montage, le spectateur pense qu’ils agissent au même moment, si bien qu’il peut croire être seul à regarder Magda (depuis la chambre de Tomek) mais ce dernier apparaît à la fin de la séquence avec la lunette qu’il vient de subtiliser, en train de regarder Magda, si bien que le spectateur, rétrospectivement, ne sait pas si les deux actions étaient décalées dans le temps et qu’ainsi Magda était vue aussi par Tomek, ou s’il était seul devant la femme pendant que Tomek volait l’instrument. Les regards du spectateur et du voyeur sont ainsi superposés dans une relation ambiguë par le montage. 154 Soulignant ainsi le désir inconscient du sujet qui la regarde. 155 Nous considérerons que la présence des escarpins est totalement incongrue et relève d’une installation signifiante.


Le lait qu’elle ingère, le lait qu’elle garde avec elle, qui accompagne son apparition dans le champ ouvert aux regards de Tomek peut-être considéré comme le signifiant de la satisfaction tirée de l’activité scopique par Tomek… L’image de Magda nourrit le regard de Tomek qui la « boit » des yeux. Arrivée chez elle, Magda se dirige d’abord vers l’image qu’elle confectionne pour la regarder entre ses doigts formant un cadre156, et va boire ensuite du lait avant de venir travailler son image. Un lien d’association par contiguïté est ainsi établi entre le fait de regarder intensément et celui de se nourrir (de lait) d’une part, ainsi qu’entre l’objet regardé et le nutriment maternel. Mais Magda, par son geste de recadrage de son œuvre avec ses doigts, à la manière d’un cinéaste qui ouvre un cadre entre ses deux mains réunies, peut se nourrir de ce qu’elle voit, comme elle peut y renoncer, rester sobre, s’en séparer et le contenir, à l’aide de la main qu’elle peut poser sur le visible. Au début de la séquence, la combinaison du lait et des escarpins (figure 257) met en rapport l’objet fétiche du regard et la métonymie du sein maternel que constitue le lait. Il peut être intéressant de s’interroger ici sur les associations que propose l’image, et de considérer cette combinaison d’objets mis sur la table comme parlante puisqu’elle est le fruit d’une formulation iconique, une énonciation du visible par le regard du cinéaste dont le cadrage est la trace et le tracé. Ainsi, selon ce rébus très articulé, cette comparaison, ce montage d’objets, le regard de Tomek et celui du spectateur se nourrissent (lait) de l’apparition de l’objet fétiche (escarpin) dans le champ visuel. Mieux encore l’escarpin et le lait sont de même nature. Le rapport du spectateur à l’image cinématographique est apparenté à l’activité scopique de Tomek (on ne sait exactement qui regarde, du spectateur et de Tomek ; les points de vue se confondent) et se voit ainsi articulé à une pulsion orale que l’image de Magda buvant goulûment du lait (figure 257) exprime clairement, l’escarpin, objet fétiche par excellence, rappelant l’origine de cet attachement. Le retour dans son foyer est pour Magda un retour au sein maternel, la présence de l’objet fétiche dans le regard, qu’il s’agisse du regard lui-même ou d’un escarpin, est aussi une source d’apaisement de « l’appétit de l’œil » dont parlait Lacan au sujet de la peinture, un repos sur l’écran du sein maternel, devant l’image contenue dans et par un cadre. D’ailleurs Tomek regarde Magda à des horaires fixes, il met même son réveil à l’heure où elle doit 156

Geste que le réalisateur effectuait très souvent dans sa vie quotidienne. Selon Irène Jacob, entretien du 19 juin 2012, Paris.


rentrer chez elle, inscrivant son voyeurisme dans une régularité, une répétition qui peut rappeler celle des repas, le lait révélant alors la part du boire dans le voir. On le voit ainsi regarder Magda accompagné d’une tasse comme ces nombreux téléspectateurs qui ont pris l’habitude de consommer des aliments devant la télévision. Plus tard, Tomek observe Magda par-dessus le rayonnage d’une supérette où ils achètent leur nourriture (figure 260), elle est à la caisse du magasin et sert contre son sein une bouteille de lait qu’elle vient acheter. La façon dont elle tient la bouteille et l’affection qu’elle manifeste à son égard en font un objet précieux aux yeux de Tomek qui va ensuite chercher à devenir livreur.

Figure 260 : Le Décalogue 6 (06 :48) (Extrait 15)

Cette décision, qui permet à Tomek de se rapprocher de l’objet de sa fascination, va fournir aussi l’occasion d’un renversement symbolique des rôles, puisque le jeune facteur va devenir celui qui fournit son lait à Magda, c’est-à-dire celui qui la « nourrit » en même temps qu’il va devenir celui qu’elle regarde. En devenant livreur, il va entrer en contact direct avec elle, entrer dans son espace. Jusque-là, il ne l’avait abordée qu’à travers la vitre percée du guichet de son bureau de poste. Le passage de l’état de voyeur à l’état d’objet vu qui se joue au niveau du guichet de poste, correspond ainsi à un passage concomitant de l’état nourri à l’état nourricier. En devenant laitier, Tomek montre que c’est lui qui donne à la femme qu’il observe sa qualité nourricière, c’est lui qui donne à l’image de Magda cette dimension maternelle dont il se repaît par le biais de son regard et symétriquement, à un niveau plus concret, c’est lui qui devient la nourrice de Magda et donc apparaît à ses yeux. Son corps apparaît au champ de l’autre, c’est ainsi en lui livrant une bouteille de lait qu’il va être surpris sur le seuil de sa porte, et vu, enfin, de celle qui se savait regardée de lui sans le voir (figure 262).


Figures 261 et 262 : Le Décalogue 6 détail (15 :25 et 28 :54 détail) (Extrait 15)

Lors de cette livraison, Magda ouvre brutalement la porte de son appartement et heurte la tête de Tomek qui laisse tomber la bouteille de lait. Pour la seconde fois, le liquide s’échappe, s’écoule en dehors de son contenant pour se répandre sur une surface plane. Dans les deux plans où se produit ce phénomène - lorsque Magda rentre après une dispute avec un de ses amants et renverse du lait sur sa table (figure 261) et lors de cette livraison (figure 262) – l’écoulement de lait est associé à une activité scopique très intense ; dans le premier cas, c’est Tomek (et le spectateur) qui regarde Magda, dans le second, Magda, découvrant de près le visage de Tomek, le fixe et lui dit à mi-voix : « Vous aussi vous êtes beau à regarder », formulant ainsi l’inversion des rôles, elle commence à le voir comme il la voyait, elle se nourrit de son image et de sa présence dans son champ visuel. Mais, alors que dans la première scène, le lait sort par le goulot, traversant le petit cercle d’air cerné de verre (figure du trou du guichet) sans briser le contenant, ce qui laisse intacts les deux espaces (intérieur/extérieur) et maintient ainsi la séparation, dans cette seconde occurrence, le lait s’échappe et se répand à la suite du bris du contenant. La séparation entre un intérieur et un extérieur a volé en éclats, comme dans la scène du générique où Tomek fait tomber une pluie de verre sur le sol du gymnase avant de disparaître par l’embrasure de la porte. Il y a fusion des espaces, abolition de la séparation, le danger est grand. Il n’est pas anodin d’ailleurs que ce soit en ouvrant une porte que la bouteille de lait ait volé en éclats. Comme nous l’avons vu plus haut, le motif de la porte appelle un passage de corps et une réunion des espaces, un contact direct et physique que Tomek préfère conserver au niveau de la dimension haptique du regard, c’est-à-dire au niveau d’un toucher à distance ou d’un « rapprocher de distanciation » selon l’expression de Maurice Bouvet.


Dans la seconde occurrence, le regard de Magda est direct, les deux personnages sont réunis dans le champ, dans le même espace, ce que soulignera la fin du plan en associant les deux profils et les deux regards dans un cadre de fenêtre (figure 263).

Figure 263 : Le Décalogue 6 (27 :52)

Dans la première (figure 261), on ne voit pas Tomek regardant Magda, les deux espaces y sont nettement séparés, ce que peut souligner ce passage du liquide à travers l’ouverture du goulot qui reformulerait alors ce trou dans le visible (comme celui du guichet, de la fente), promesse d’un contact purement visuel, par lequel l’image éclabousse et nourrit le spectateur de son lait. Si le lait s’écoulant du goulot évoque la nutrition maternelle, le lait s’étalant dans le verre brisé, le verre coupant, évoque lui, une autre forme de rapport au maternel dans lequel s’inscrit le risque d’une coupure, d’une castration. Lorsque Magda touche Tomek, lorsqu’elle lui caresse la joue après avoir prononcé la phrase évoquée plus haut, Tomek se relève et fuit vers le fond du couloir, sentant dans le contact réel avec l’objet de sa convoitise, une perte et un danger qui seront clairement formulés à la fin du film, dans un geste de coupure tragique. Lorsqu’elle le rejoint dans le cadre de la fenêtre (figure 263) sur un fond de lumière « laiteuse », elle lui demande s’il veut l’embrasser ou lui faire l’amour, prête à satisfaire son désir, mais Tomek lui répond qu’il ne veut rien et s’en va. La fusion des espaces, le bris de la paroi et la réunion dans le cadre, terrifient Tomek qui risquerait alors de perdre sa position de spectateur fasciné jouant de la fente et du cadre. Ainsi dans Le Décalogue 6, le lait n’est pas simplement l’expression visuelle d’un manque de mère chez le personnage de Tomek, il est plutôt un élément symbolique exprimant la nature de la relation du spectateur à l’image qu’il regarde, une évocation aussi de l’oralité


de la pulsion scopique et de la dimension nourrissante de l’apparition de l’objet du désir dans sa capacité à réitérer celle de l’objet primaire. Le lait ayant la qualité liquide que nous avons associée à l’image fluide du cinématographe et la qualité maternelle de sa confection, il constitue un élément symbolique assez profondément articulé pour constituer une métaphore partagée, une figure récurrente de la substance de l’image photographique animée157. Dans la scène où Magda renverse du lait sur sa table, elle dessine avec son index des formes dans l’épaisseur de la petite flaque de lait (figure 264), en faisant ainsi la matière même d’une forme picturale qui pourrait très bien illustrer cette phrase de Gaston Bachelard au sujet de l’imagination matérielle : « La matière est l’inconscient de la forme. »158 Le lait serait ainsi l’impensé de l’image cinématographique. Et l’on peut alors associer ce geste de l’index à celui qu’on a pu rencontrer à plusieurs reprises chez des personnages de Kieślowski qui pointaient ainsi leur présence sur une photographie. Le lait de l’image c’est l’Index photographique.

Figure 264 : Le Décalogue 6 (15 :35) (Extrait 15)

Ajoutons, à l’appui de cette interprétation, que l’association de la présence de lait à l’activité du regard se rencontre aussi à d’autres endroits dans le polyptyque.

157

A ce titre la fameuse photographie intitulée Milk (1984) de Jeff Wall est une démonstration négative de cette conception puisque le lait arrêté dans son éclaboussure souligne la fixité de l’image photographique et en fait par la même occasion un photogramme tiré d’un film plus qu’une photographie à part entière. Mais il est aussi une figuration de l’instant saisi photographiquement, jusque dans sa matière nutritive. 158 Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière, Paris, José Corti, 1942. Réédition au Livre de Poche, 1993, p. 63.


Figure 265 : Le Décalogue 1 (06 :47)

Figure 266 : Le Décalogue 2 (07 :21)

Dans les trois autres plans où le lait est clairement utilisé ou mis en évidence par la mise en scène, les personnages qui lui sont associés sont absorbés dans des activités scopiques. La lecture du journal, dans Le Décalogue 1 ou Le Décalogue 2 est une activité engageant le sujet dans un lien visuel avec un objet familier, quotidien, dont l’utilisation peut constituer un rituel dans lequel voir et boire se mêlent, et qui se présente ainsi comme un moment de satisfaction d’un appétit. On boit souvent quelque chose en lisant son journal. Certes, l’acte de voir est ici remplacé par celui de lire, ce qui implique une absence d’image et la médiation du langage écrit ; l’apparence et la proximité entre le signifiant et le signifié propre au signe iconique sont éludés, mais la lecture des nouvelles peut très bien constituer en soi un nutriment pour l’œil, et l’on peut penser qu’il existe dans l’acte de lire les nouvelles fraîches du jour, une satisfaction qui n’appartiendrait qu’à l’exercice du regard et au travail familier de l’œil, travail qui s’apparenterait à une succion rassurante. Dans le lait associé à ces scènes se montre peut-être un appétit d’objet visuel susceptible de faire du sujet un spectateur ; dans cette contemplation du monde qui emprunte le canal oculaire, l’œil se nourrit. Dans Le Décalogue 9, Romek est en train d’observer Ania, une petite fille jouant sur le trottoir, en contrebas de son appartement, au moment où il verse le contenu d’un flacon de lait dans une casserole. Ici encore, le lait est présent dans un moment de contemplation, d’absorbement d’un personnage dans ce qu’il voit.


Figures 267 à 269 : Le Décalogue 9 (46 :09 à 46 :22)

Romek regarde la fillette à travers l’ouverture fine et verticale de sa fenêtre ; la fente renforce ici l’intensité et l’intimité de la relation qu’établit le sujet avec ce qu’il regarde ; on peut imaginer qu’il observe là l’enfant désiré que son impuissance sexuelle l’empêche d’avoir avec sa femme, fente qui médiatise son propre regard, efface son corps et le met dans la position d’un « voyeur », celui qui est tout-regard -ce qu’il sera dans une scène où il observera sa femme avec son jeune amant. L’enfant saute et joue dans la rue, elle est aussi mobile et vivante que Romek est immobile, fasciné par ce qu’il regarde. Le lait qu’il se prépare à faire chauffer nous révèle chez lui un appétit que le passage de son regard par la fente de la fenêtre va satisfaire, un contact direct et à distance avec l’objet inaccessible de son désir. Nous avons dans ces deux cas, lecture d’un journal et fascination devant une fente ouverte sur un autre espace où se meuvent des êtres présents, les deux aspects maternels de l’image filmique ; d’une part le contact sensuel et à distance avec la matière qui constitue la dimension orale du regard, la relation visuelle à l’objet familier et d’autre part l’ouverture directe de l’image considérée comme une fente ouverte sur un espace contigu où les êtres se tiennent comme dans leur perception directe. Image-fente faisant du sujet un être tout-regard, image animée d’une présence, écoulement d’un lait par le canal du regard, l’image de film peut procurer un apaisement qui s’apparente à celui du nourrisson qui associe l’apparition du sein maternel à la satisfaction d’un appétit. Pour compléter cette approche des usages symboliques du lait chez Kieślowski, on peut aussi évoquer L’amateur et à la place accordée au lait. La pulsion orale semble très importante chez Filip qui raconte à Irena, une nuit, alors qu’il est pris d’une envie subite de manger, qu’enfant, à l’orphelinat159, il aimait se lever la nuit pour manger. On le voit aussi 159

Filip est un cinéphile (regardeur) viscéral orphelin, comme Tomek le voyeur du Décalogue 6 et d’une certaine manière comme Antoine Doinel.


boire goulûment une bouteille de Pepsi-Cola après avoir reçu son prix ou encore, une autre fois, juste après une dispute avec Irena, prendre un pot de yaourt liquide et en verser une petite quantité dans une tasse pour la boire puis la recracher en jetant le récipient sur le carrelage de la cuisine. Le lait se faisant soudain amer (avarié) après une dispute dont sa jeune vocation de filmeur était la cause. Filip est dans une relation conflictuelle avec l’origine. Cette confrontation à l’origine qu’est l’accouchement et la naissance a fait naître en lui à la fois la passion de filmer qu’il vit comme un élan pulsionnel vers le visible et conjointement, au fil des prises de vue et du constat de leurs conséquences, une nécessaire retenue, une conscience de son propre élan et de la nécessité d’y mettre un frein de responsabilité, ou tout au moins un cadre. C’est ainsi que naît son éthique. Ainsi, le lait amer qu’il boit après une dispute avec sa femme due à sa passion cinématographique lui devient indifférent lorsque dans la dernière séquence, un livreur de lait frais sonne à sa porte. Filip vide la précédente non encore terminée dans l’évier, façon de montrer qu’il s’est détaché de ce nutriment maternel, et donne la bouteille vide au livreur en échange d’une bouteille neuve et remplie de lait frais, qu’il pose négligemment sur une table basse du salon de l’appartement déserté par sa femme. Il se tourne alors vers sa caméra et se filme lui-même, racontant sa propre histoire. Son goût pour le réel dans l’image, sa soif de vérité des images, son culte du regard authentique, qu’on peut considérer comme un lien avec le réel comme origine de l’image, font alors place à une pratique introspective qui le voit renoncer à filmer la réalité dans le but d’en tirer quelque vérité au profit d’une narration intime qui assumerait sa subjectivité. Le lait, comme symbolisation de la partie nourrissante de l’image, qui accompagne souvent des activités scopiques, est ici la figure de la part d’origine, du lien indiciel à l’origine, qui réside dans l’image, et dans l’image photographique en particulier, comme garantie d’une présence métonymique dans l’empreinte. Or cette part d’origine est justement liée à une illusion, celle de la présence. Cette conception de l’image filmique comme souvenir vivant du sein maternel, comme contenant d’une substance liquide et nourrissante, nous pouvons la trouver, sous des formes différentes, chez deux cinéastes qui ont poussé très loin l’art cinématographique et l’amour de ses images.


b) L’allégorie de la lactation chez Eisenstein et Truffaut Dans La ligne générale, de Sergei Eisenstein, une séquence très célèbre met en scène une écrémeuse présentée à un groupe de paysans pauvres pour les convaincre de s’unir dans une coopérative ; « La voie d’octobre », afin de bâtir ensemble, sur cette machinerie moderne, les éléments d’une collectivisation de la production de beurre. Cette scène a été largement commentée pour la science eisensteinienne du montage qu’elle illustre admirablement, ainsi que pour sa dimension sexuelle, puisque toute la séquence s’appuie sur l’attente du miracle du jaillissement du lait, en jets très fins, sous lesquels, le sourire de Marfa, la paysanne qui a décidé de fonder la coopérative et d’émanciper ses semblables, devient le signe d’une sorte de satisfaction orgasmique. Sans remettre en cause cette lecture évidente et première associant le lait à la liqueur séminale et sa profusion à la fécondité de la machinerie moderne soviétique, nous allons tenter de proposer une autre lecture, fondée sur le dispositif visuel de la scène et s’appuyant, pas à pas, sur une série d’analogies, mais en restant toujours à la surface de l’image et en mettant à distance la situation dramatique de la scène dans l’économie du récit. Notre lecture consistera à voir dans cette séquence de l’écrémeuse, une allégorie de la projection cinématographique où la substance de l’image filmique serait associée au lait qui jaillit sur les visages des personnages-spectateurs rassemblés autour de l’appareil miraculeux. La séquence commence par l’apparition lumineuse de l’écrémeuse, dévoilée aux yeux des paysans qui n’en ont jamais vue, par un commissaire politique… Dès le début, l’appareil qui projettera bientôt du lait sur les visages heureux de l’assistance est un objet éblouissant, mystérieux, et devant la splendeur duquel les paysans deviennent des spectateurs éblouis… (Voir extrait 16)

(270)

(271)


(272)

(273) Figures 270 à 273 : La ligne générale (00 :35 :05 / 00 :35 :10 / 00 :35 :11 / 00 :35 :14) (Extrait 16)

Ainsi, l’écrémeuse dévoilée (figure 270) apparaît d’abord aux paysans comme un objet doté d’une aura lumineuse (figure 271), un objet sans forme nette, aux contours imprécis, une source de lumière qui se convertit, grâce au réglage de la mise au point (figure 272), et donc des regards fascinés des paysans-spectateurs (figure 273), en un objet brillant, resplendissant, sur lequel se reflètent les différentes sources lumineuses qui l’entourent. L’apparition nette de l’écrémeuse, qui est censée correspondre à la compréhension, à la reconnaissance de l’objet par les spectateurs, le mot « écrémeuse » est alors formulé par le commissaire et inscrit sur un intertitre, encadrant ainsi l’objet par sa légende verbale, entraîne une réaction d’étonnement ; il s’agit-là d’une apparition presque magique, cette séquence suit d’ailleurs une séquence de prière collective devant une icône de Marie dont les yeux restent secs. Tout comme cela a pu être le cas pour les premiers appareils de projection cinématographique, l’écrémeuse attire des spectateurs curieux et inquiets à la fois, attendant que ne se produise l’événement lumineux, l’épiphanie du mouvement, la sortie, le jaillissement de l’image animée. Après les mises au point techniques de l’appareil et l’explication concernant sa fonction, le commissaire politique commence à faire tourner la manivelle et laisse ensuite un jeune homme (voir ci-dessous) accomplir vigoureusement cette opération, et l’on voit alors un mécanisme d’engrenages se mettre en branle pour produire un effet de rotation à l’intérieur de la machine. Nous voyons tout d’abord tourner le lait au fond de la cuve, puis c’est une roue qui tourne très vite, à la manière d’une bobine de film dévidant sa pellicule et ses images animées.


Figures 274 et 275 : La ligne générale (00 :36 :13 et 00 :36 :23) (Extrait 16)

A un premier niveau d’interprétation, procédant par analogie, la combinaison de l’action d’une manivelle produisant une rotation rapide renvoie assez facilement au mécanisme manuel d’entraînement de la bobine lors du filmage et lors de la projection tel qu’il apparaissait dans les appareils Lumière, aux premiers temps du cinéma. On peut y voir un écho visuel au geste humain provoquant le défilement de la bobine et permettant la continuité illusoire de la matière filmique créée par la vitesse de défilement des images et l’effet phi, faisant percevoir comme durée continue ce qui n’est qu’une juxtaposition de moments figés. A un second niveau, nous pouvons regarder ces spirales comme des évocations du sein maternel, en les plaçant sous la lumière des notes d’Eisenstein traduites en 1999 par Gérard Conio 160 , dans lesquelles le cinéaste suit à travers certaines œuvres, dont les siennes, l’archétype universel de la plongée dans le sein maternel, MLB ou MutterLeiB, notion qu’il avait trouvée dans les écrits du psychanalyste Sandor Ferenczi. Il traite ainsi du motif de la spirale dans son rapport au geste de l’enveloppement maternel, affirmant que la spirale, dans sa dynamique, « lange » son point central. C’est ainsi dans les toiles représentant des baigneuses chez Degas, qu’il observe ce qu’il nomme l’archétype de la spirale où il voit aussi une position fœtale. Dans une de ces notes, datant de janvier 1948, soit quelques semaines avant sa mort, il écrit « Dans La baigneuse que je viens d’analyser, Degas, de façon assez démonstrative, met la femme dans une position fœtale. Il est amusant de constater, d’une manière générale, que les scènes de bains, au sortir du bain, etc… se rapportent toutes au womb, au sein maternel. Dans le bain, il y a de l’eau. A overstuffed room and wrapping et les serviettes pelucheuses dans lesquelles la baigneuse s’enveloppe sont autant d’objets suggérant l’idée du womb, du sein maternel. » Il 160

Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein, MLB, plongée dans le sein maternel, traduit du russe et présenté par Gérard Conio, Paris, (Arts & esthétique), Hoëbeke, 1999.


ajoute plus loin, au sujet de la spirale : « Outre cela, les cercles concentriques sont aussi une rationalisation de la spirale. (…) C’est pourquoi, dans les œuvres de Degas, on peut lire aussi les cercles concentriques comme un mouvement en spirale. Elle contient l’idée de wrapping dans une série de layers tout aussi nettes. Même l’idée de wrapping est plus nette de ce point de vue, car la spirale enroule plusieurs fois, lange le point central. »161 Ces notes sont bien tardives, plus de vingt ans se sont écoulés depuis le tournage de ce plan de l’écrémeuse en action, mais rien n’interdit de penser que cette forme symbolique, on pourrait peut être utiliser ici la notion de dynamogramme avancée par Aby Warburg, ce tourbillon fascinant, soit une évocation impensée mais sûre du womb qu’évoquera Eisenstein plus tard et qui était bien sûr présent depuis longtemps dans son œuvre et dans sa vie. Ainsi donc, selon notre point de vue, projecteur et écrémeuse pourraient être, de par leur dynamique interne, leur rotation, rattachés au principe maternel, au corps enveloppant constituant l’espace originaire et nourricier. Projecteur et écrémeuse sont ainsi placés sous le signe de la spirale enveloppante et, pour le projecteur, génératrice de continuité. Il devient alors intéressant d’observer comment le lait sortant de l’écrémeuse et la lumière sortant du projecteur se confondent ici dans l’attente des spectateurs. En effet, à la suite de cette mise en branle mécanique, apparaît une série de visages de paysans attentifs, dubitatifs, entrecoupés de plans sur la rotation de la centrifugeuse et d’un gros plan sur un robinet d’où doit sortir le lait. L’attente est parfois sceptique et la question que se pose l’assistance est redoublée par les intertitres qui affichent : « tromperie ou avancée ? » puis reviennent chacun des mots de la question, un par un dans des intertitres différents que viennent illustrer ensuite, sans lien avec la situation, les visages inquiets ou réjouis des paysans. Nous sommes là devant une sorte d’énonciation visuelle des mots de l’intertitre, traduction du message verbal en images ; les sourires veulent dire « avancée », les visages fermés, « tromperie », mais rien n’est encore sûr. Les deux réactions possibles sont ainsi évoquées par anticipation, en dehors de tout réalisme, comme si les mots avaient pris en main l’ordre du montage, comme si deux voies possibles s’étaient simultanément ouvertes devant cette question, avant que le lait ne jaillisse vraiment et que nous ne retrouvions les visages souriants souriant vraiment devant le miracle. De façon légèrement ironique, Eisenstein met ainsi en abyme le montage en spirale qui 161

Ibidem, p. 71,72.


ordonne la séquence, revenant sans cesse sur ce qu’il a déjà énoncé ; il met en évidence au passage le pouvoir d’illusion du montage ; il lui suffit de montrer des sourires pour donner du crédit à ce qu’il place en contrechamp ou de faire froncer les sourcils pour créer l’impression opposée. A l’inverse de la fameuse expérience de montage effectuée par Koulechov avec le comédien Ivan Mosjoukine, ce n’est pas l’objet qui, ici, donne sa signification au visage, c’est le visage qui vient donner sa valeur à l’écrémeuse et illustrer une paire de contraire ; tromperie ou avancée ? Le mot s’écrit sur les visages, il trouve son équivalent visuel dans l’expression du visage proposée par l’image, comme les chapiteaux romans au tournant du premier millénaire, le cinéma soviétique par sa science du montage se propose d’être un grand livre d’images à destination des masses. Et l’on voit ici que le cinéma, le film lui-même, comme l’écrémeuse, sera jugé à l’aune de l’effet (ici il s’agit de nourrir les paysansspectateurs) qu’il produira sur ses spectateurs. Cette question concernant la « crédibilité » de l’écrémeuse peut en effet s’appliquer au cinéma lui-même et en particulier au soit disant film de propagande et aux véritables expérimentations poétiques qu’Eisenstein effectue dans cette séquence pour faire naître, chez le spectateur, une envie profonde de mettre en œuvre la ligne générale. Y a-t-il tromperie ? Le spectateur est-il manipulé ? Nous sommes à une époque et en un lieu où le cinéma veut à la fois dévoiler la vérité (Vertov) et fendre les crânes (Eisenstein), et l’on peut considérer que la réaction des paysans devant les gerbes de lait renvoie à celles que le cinéaste espère des spectateurs du film devant ce tourbillon de plans et de regards.


Figures 276 à 281 : La ligne générale (00 :36 :44 / 00 :36 :47 / 00 :36 :56 / 00 :37 :05 / 00 :37 :09 / 00 :37 :18) (Extrait 16)

Apparaît ensuite, en gros plan, un des robinets de cette machine éblouissante, dont l’ouverture constitue, comme l’objectif du projecteur, une fente d’où doit sortir l’aliment tant attendu, le lait débarrassé de la crème. Marfa, la jeune paysanne qui est à l’origine de cette coopérative laitière, regarde fixement, ainsi que les autres paysans-spectateurs, l’orifice duquel doit venir le fluide convoité. Le gros plan sur son visage, qui établit un face à face avec l’ouverture du robinet, laisse apparaître des reflets de lumière, ondulant sur sa peau, lorsque le lait commence à apparaître au bout de l’ouverture, manifestation qu’on peut prêter à l’effet de la machine sur ses spectateurs. Mais cette vibration de taches de lumière sur le visage de Marfa et des autres n’est pas sans rappeler l’effet de la lumière réfléchie par un écran de cinéma sur les visages des spectateurs lors d’une projection cinématographique. Les visages des autres paysans montrent en effet le même phénomène d’ondulation de la lumière, comme s’ils étaient eux-mêmes éclairés par un écran leur renvoyant la lumière du projecteur qui l’anime. Ils sont, dans leur attente de la sortie du lait, caressés et comme animés par la lumière qui est alors littéralement associée à l’apparition du lait.

Figures 282 et 283 : La ligne générale (00 :38 :28 et 00 :38 :30) (Extrait 16)


« Monstra te esse matrem ! » Telles sont les paroles tirées de la prière mariale Ave Maris stella qui, selon la légende, auraient été prononcées par Saint Bernard lorsque contemplant un retable de la vierge allaitant Jésus dans l’église Saint Vorles de Châtillon sur Seine, il la vit s’animer et faire jaillir du lait de son sein, lait qui vint, en un trait fin, le nourrir et lui donner le don des Ecritures. Une série de peintures représentent cette lactation miraculeuse dont celle d’Alonso Cano (1658-1660) exposée au musée du Prado, qu’analyse Murielle Gagnebin dans son essai Pour une esthétique psychanalytique.

Figure 284 : Alonso Cano, La vision de Saint Bernard, (la lactation), (vers 1656-1660) Huile sur toile (267 cm x 185 cm), Musée du Prado, Madrid

Le rapport entre la vision et la lactation est alors clairement établi par le dispositif visuel de l’œuvre. « Chez Cano, la lactation de Saint Bernard pourrait ainsi se donner comme le paradigme de la relation du spectateur à la toile. Tissée d’oralité et de distance (…) l’attitude du spectateur est une sorte de compromis : jamais il n’a affaire aux choses ellesmêmes, seulement à leurs représentations, à leurs couleurs. »162 Dans la scène de l’écrémeuse, l’apparition du lait est associée à l’apparition de la lumière sur les visages dans l’attente où elle se reflète en ondulant, comme à la surface d’une eau légèrement troublée. L’évocation de l’objectif d’un projecteur dans l’ouverture du goulot est appuyée par le fait que c’est par cette fente qu’apparaît le lait-lumière qui va nourrir les regards de sa substance fluide.

162

88.

Murielle Gagnebin, Pour une esthétique psychanalytique, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p.


On peut encore ajouter à cette interprétation, que dans la séquence précédente, Eisenstein a mis en scène une procession religieuse où l’on voit des hommes se courber devant des images pieuses et notamment devant une icône de la Vierge qui semble rester impassible et « sèche » face aux prières du peuple. C’est d’ailleurs un carton posant la question « tromperie ? » qui sert de transition entre les regards interrogateurs des priants sur la Vierge et ceux des paysans qui attendent de voir fonctionner l’écrémeuse. Selon Eisenstein, la tromperie n’est pas, bien sûr, dans le progrès technique mis au service de l’effort commun des paysans, mais dans l’illusion de la présence d’une « mère universelle » dans sa représentation sacrée. La lactation moderne, elle, ne vient pas de la mère de Dieu, mais de la technique et de la coopérative, formes modernes de maternage des hommes. En allant plus loin dans le sens qui est le nôtre ici nous pouvons parler du cinéma comme le nouveau lieu de la présence maternelle qui aurait déserté l’icône de la vierge. Le lait jaillit, sort des robinets, la machine fonctionne et Marfa, l’initiatrice du projet est éclaboussée par le lait. Mais loin de le boire et de s’en nourrir directement en l’ingérant par la bouche, c’est par l’œil qui s’ouvre en grand, c’est dans l’apparition de l’objet dans le champ visuel que réside la satisfaction de l’appétit. Il s’agit là d’une épiphanie.

Figures 285 et 286 : La ligne générale (00 :39 :05 et 00 :39 :12) (Extrait 16)

La séquence de l’écrémeuse propose ainsi une allégorie de la projection cinématographique. Ainsi donc, de par sa matière même, mobile, fluide comme l’eau et nourrissante comme le lait, matière qui constitue comme nous l’a rappelé Bachelard, l’inconscient de la forme, l’image filmique constitue, en soi même, en tant que fluidité lumineuse présentée comme indexée sur le réel, un nutriment à distance, une lactation, pour l’œil du spectateur qui devient bouche à nourrir.


Cette conception de l’image filmique comme substance lactée à l’intention du regard se rencontre aussi, mais avec une autre signification, chez François Truffaut, dans le chef d’œuvre par lequel il a inauguré sa carrière de cinéaste ; Les Quatre cents coups, dont une séquence particulière retiendra ici notre attention. (Voir extrait 17) Antoine Doinel, juste après avoir menti en prétextant la mort de sa mère pour expliquer son absence à l’école et s’être fait rattraper par la vérité décide de ne pas rentrer chez lui et passe la nuit dans la rue. A l’approche du petit matin, il vole une bouteille de lait qu’un laitier vient de déposer devant une porte et la boit entièrement, avec avidité, avant de la faire disparaître dans une fente du trottoir qui donne sur les égouts.

Figure 287 : Les quatre cents coups (00 :38 :53) (Extrait 17)

Cette séquence assez développée au regard de son importance dans l’économie du récit nous indique qu’Antoine, qui vient de faire mourir sa mère sur le plan symbolique, est capable de la remplacer, de lui trouver des substituts, de se nourrir seul. C’est le moment où il décide de prendre ce que sa mère ne lui offre pas ; sa tendresse, son attention, son regard ; son lait. Nous pouvons peut-être considérer, dans la perspective qui est la nôtre ici, que cette séquence est une formulation du désir d’images qui hante la cinéphilie de Doinel et donc aussi celle de Truffaut. Dans la nuit du sentiment de désaide, les films (qui sont « comme des trains dans la nuit ») nourrissent l’enfant perdu. Bien que le thème du regard ne soit pas directement associé à cette séquence, cette séquence qui met en scène un geste pulsionnel, un vol stimulé par la vue d’un objet, rappelle la séquence du vol de l’image de Monika dans le hall d’un cinéma lorsque Antoine erre dans Paris en compagnie de René. C’est certes ce dernier qui accomplit le vol, mais Antoine est juste derrière lui et participe pleinement au geste de René qui exprime son propre désir. Le vol d’une image de femme vue et désirée trouve ainsi un écho plus tard dans le vol d’une bouteille de lait vue et désirée, permettant d’associer, par des


contextes assez proches, ces deux vols, leurs deux objets image/lait et d’une certaine manière les deux motions pulsionnelles voir/boire qui les ont provoqués. Le vol de la machine à écrire, en revanche, n’est pas le fruit d’une convoitise visuelle mais d’une élaboration machiavélique, quant à celui du guide Michelin de son père, qu’on découvre au hasard d’une séance de tire à la sarbacane, il reste énigmatique, semblant être d’une pure gratuité, ou plutôt d’une pure perversité, il ne dévoile pas sa vraie nature et tient du rapport intime qu’entretient Antoine avec le mensonge, donc avec les mots. Notons au passage que les vols d’objets maternels, lait et image de Monika (jeune fille mère), sont stimulés par la vue, liés au domaine de la tentation immédiate, effectués sous le coup d’une pulsion scopique alors que ceux liés au père, machine à écrire et guide Michelin163, ils sont plutôt liés à l’écrit, au symbolique, ou à la négociation164. Alors que la parole, le symbolique, s’établit bien sûr du côté du père, (on peut dire ici que dans la séquence de la fausse excuse - « Elle est morte ! » - devant Petite feuille, la parole « tue » la mère) le regard se présente, lui, comme le canal privilégié, premier, de la relation à la mère et la séquence du vol de lait peut être considérée d’une part comme l’indice de la dimension orale de cette pulsion, voir/boire, et d’autre part comme l’évocation de son lien au sein maternel. Le lait prend la place de l’image de la fille mère (Monika) et s’instaure comme objet de la pulsion partielle, qui se satisfait dans l’acte de voir/boire. Mais si le lait nous indique de façon métaphorique, comme comparant, la nature de la relation de l’œil aux images, il nous reste à découvrir, ce qui précisément nourrit l’œil dans cette relation. De quoi le regard tire-t-il son lait ? Est-ce comme chez Eisenstein de la fluidité lumineuse de l’image filmique ? Ou est-ce plutôt de lui-même, de sa propre constitution en objet pour luimême ? C’est ce que semble nous dire, de façon très habile, la séquence du début du film où Antoine rentre chez lui après l’école et s’installe à la place de sa mère devant sa coiffeuse. On le voit alors apparaître dans le cadre du miroir à l’endroit précis, à la place, où apparaît habituellement le visage de sa mère pour ses yeux à elle. Il met littéralement son image à l’endroit où porte habituellement le regard de cette mère narcissique qui se regarde trop et ne regarde pas assez son fils. Elle se regarde sous toutes les coutures comme nous l’indique la

163

On pourrait aussi ajouter le plagiat (vol de mots) involontaire de la fin de La recherche de l’absolu de Balzac qui vaut à Antoine une injuste punition. 164 C’est dans le cadre d’un accord avec sa mère qu’Antoine réutilise involontairement dans sa copie des phrases « empruntées » à Balzac.


multiplicité des cadres et donc des points de vue présents dans le photogramme ci-dessous. Le plan est ainsi très découpé par ces différents cadres qui forment une allégorie du montage cinématographique en juxtaposant différentes valeurs de plan dans une même image. Il est intéressant de noter alors que le montage est ici associé à l’idée d’une circoncision de l’œil…

Figure 288 : Les quatre cents coups (00 :11 :44)

En effet, le geste qu’accomplit alors Antoine est particulièrement intéressant en tant que propos sur le regard considéré comme objet a, c’est-à-dire comme regard se prenant luimême comme objet de la pulsion qui l’habite. Il porte une pince à faux cils à son œil, imitant ainsi sa mère en train de se démaquiller, d’enlever de son œil l’ornement factice, et d’une certaine manière de se mettre à nu, à l’œil nu, montrant ainsi son manque. On sait avec Lacan que le jeu du voyeur vise son propre regard qu’il instaure comme cet objet tombé du corps de la mère qui représente le phallus manquant et qu’il va remplacer, pour masquer ce vide et la peur d’une castration qu’il provoque, par ce qui pourra constituer l’objet partiel de la satisfaction de sa pulsion. C’est généralement un objet lié au contact qu’il a avec le corps de sa mère, cela peut être un bas, une étoffe spécifique, un escarpin ou encore, selon Lacan, le regard lui-même. En effet, le voyeur cherche à voir « l’objet en tant qu’absence »165. Le regard est élision, il est selon lui, « le terrain où l’objet a est le plus évanescent dans sa fonction de symboliser le manque central du désir »166. L’acte de l’enfant, reprenant le geste intime de la mère, peut alors à la fois manifester un désir d’intimité avec la mère, nous éclairant ainsi sur l’attente inconsciente de son regard, et dans le même temps, exprimer le sentiment de culpabilité qui l’accompagne, une crainte de castration que le regard lui-même, alors considéré comme une partie du corps placé sous la 165 166

Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit. p. 204. Ibidem, p. 120.


menace d’une coupure, est censé masquer (en tant qu’objet a), crainte symbolisée et exorcisée par le fait d’approcher une pince de son œil pour en prélever une partie, (le regard est bien coupable) parodiant ici le geste d’une castration ou tout au moins d’une circoncision du regard. En se voyant imiter sa mère en train de s’enlever une partie de son œil, Antoine formule de manière très habile et sûrement très involontaire la constitution de son regard comme objet a. Il semble, devant ce miroir, chercher à saisir et en même temps, dans le même geste, à s’enlever un morceau de regard, à se couper de ce qu’il vient chercher dans le mimétisme auquel il s’adonne ; l’image maternelle. Dans ce double dessein (perdre et retrouver), le regard devient en acte « cet objet perdu, et soudain retrouvé, dans la conflagration de la honte, par l’introduction de l’autre. » 167 L’autre ici, c’est la raison mystérieuse qui pousse Antoine à arrêter soudainement son petit jeu scopique avec la pince et à revenir dans le cours de sa vie quotidienne, conférant une forme de transitivité à son regard qui retrouve le monde des objets, l’autre c’est le spectateur virtuel de la scène, c’est le spectateur supposé. Ajoutons ici que cette circoncision a pour but de maintenir une séparation, une limitation, une coupure, reprises en écho par les nombreux cadres circonscrivant la silhouette du personnage et découpant le champ, comme une mise en abyme du procédé de montage et de découpage de la scène. Par l’interruption brutale de son geste, telle un « cut » décisif, il signifie tout à la fois son complexe (désir du regard avide et culpabilité) et la résolution de ce complexe, une limitation éthique de son regard, par la coupe nette, par le montage et l’articulation, la syntaxe des images animées. Le métier de cinéaste se profile comme une sorte d’équilibre entre l’adhésion et la coupure… Ce regard qui le meut et le pousse en avant dans sa quête, trouve son aboutissement, se trouve enfin, se sent lui-même, dans le dernier plan du film, le célèbre arrêt sur image en position de regard à la caméra qui clôt le film.

167

Ibidem, p. 204.


Figure 289 : Les quatre cents coups (01 :35 :10) Dernier plan, arrêt sur image + zoom avant

Le regard d’Antoine se saisit alors lui-même, au moment où il touche physiquement la mer, objet de sa quête, cette étendue fluide infinie dont Bachelard nous dit à la suite de Marie Bonaparte qu’ « elle est l’un des plus grands, des plus constants symboles maternels »168 il se tourne vers la caméra et rencontre son propre regard comme objet, dans la présence de l’appareil et du regard supposé du spectateur, l’autre enfin trouvé et reconnu. Surpris dans le moment crucial de son contact avec la mer, dont le signifiant est d’une grande transparence, avec la fluidité mouvante de l’eau qui rappelle celle de l’image filmique, il voit son regard lui revenir dans le regard du spectateur, à travers la fente, il se voit vu voyant, et peut en constituer son regard lui-même comme présence invisible. Si l’on peut considérer que le regard à la caméra d’Antoine ne s’adresse pas essentiellement au spectateur mais plutôt à lui-même par le truchement du spectateur virtuel qu’il sait devant l’écran, il s’adresse aussi, en un certain sens, au cinéma lui-même169 (incarné dans la caméra), l’art du découpage et du montage, qui lui permettra de médiatiser son regard en le mettant sous le regard des spectateurs qui lui donneront ainsi une épaisseur, une visibilité nourrissante, et en même temps lui permettra de maîtriser cette relation en jouant avec les images. On pourrait alors penser que le double du cinéaste se tourne vers le spectateur qu’il a été, et en même temps, vers le réalisateur qu’il est vraiment en train de devenir par ce film et qui est en train de le filmer, pour sceller une sorte de pacte de lucidité au sujet des images cinématographiques. Comme si le personnage disait : maintenant que j’ai touché la mer, je sais ce que je vois au cinéma, et vous ? Mais cette fixation du spectateur le rend, lui aussi, soudain, sujet conscient de son regard. Ce phénomène de communication, de

168 169

Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, op. cit. p. 133. N’oublions pas qu’il s’agit d’un premier film.


continuité entre les deux espaces, est accentué par l’immobilisation de l’image, l’arrêt sur image, qui arrête le temps et « soude » le champ aux montants du cadre. Retour à la photographie. Comme celui d’un chasseur à l’arrêt, le regard d’Antoine traverse la surface de l’image et débusque le spectateur, le sujet est vu par le tableau, son regard lui revient dans le regard de l’autre et se constitue ainsi en objet, substance nourrissante pour elle-même, le regard du spectateur est aussi –mais pas seulement- un regard tirant son lait de lui-même au contact de l’image. Nous avons ainsi, à partir de ces trois cas de lactations d’images cinématographiques, mais il en existe bien sûr de nombreux autres, observé différentes modalités de la relation qui s’établit entre l’œil avide, l’œil affamé du spectateur et l’image cinématographique considérée comme présence visuelle du sein maternel. Chez Kieślowski, d’où nous sommes partis, le lait manifeste la dimension orale de la pulsion scopique et la dimension maternelle, nourricière de l’image filmique, dimension à laquelle se coupe le regard du spectateur confondu avec celui du « voyeur », lorsque les parois, on pourrait dire le cadre, gages de la séparation, se fendent ou éclatent en mille morceaux. Chez Eisenstein, le lait incarne la matière même de l’image filmique, nourrissante en soi, fluide et lumineuse, il éclabousse de sa vérité (ce n’est pas une tromperie !), de la puissance de son aura, de son jaillissement viril, les paysans-spectateurs aux regards avides. Enfin, chez Truffaut, le lait, par association à l’image de la fille mère Monika, et donc en tant que nutriment pour le regard affamé, peut-être compris comme le regard lui-même, considéré comme objet a, dans un attachement conflictuel au sein maternel. Le sujet se tournant alors, c’est notre hypothèse, vers le cinéma, la caméra, le regard tiers du spectateur, utilisant ses cadrages, ses « cuts », afin de maîtriser cette relation. C’est là un aspect intéressant de la relation. Dans ces trois cas de lactations qui mettent en jeu le rapport de spectateurs à ce qui peut faire office de cinéma- le cadre de la fenêtre et la confusion entre regard du spectateur et regard de Tomek chez Kieślowski, l’écrémeuse comme projecteur de cinéma chez Eisenstein, et le regard à la caméra ainsi que la photo de Monika chez Truffaut - l’image filmique nous est présentée comme une substance maternelle qu’un principe de coupure et de cadrage vient contenir. Dans Le Décalogue 6, on peut considérer que le cadre fort de la fenêtre s’ouvrant sur une lumière « laiteuse » formule ce rapport conflictuel entre fluidité de l’image et fixité, coupure, du cadre. Dans la séquence de l’écrémeuse, ce sont les intertitres, et la prééminence du verbal sur l’image qui joue ce rôle de


contenance, alors que le travail du montage porte en lui la coupure170, enfin chez Truffaut, dans la séquence devant la coiffeuse de la mère, la coupure est formulée par la pince, la contenance par le découpage du champ en plusieurs cadres, dans une sorte de montage synoptique. C’est peut-être ce conflit entre la fluidité de l’image et la fermeté du cadre et la clarté du montage, entre la sensualité de la matière et la coupure du signe, qui permet au spectateur de trouver un équilibre rassurant dans le jeu et l’oscillation, dans sa relation à l’image filmique. Si Le Décalogue 6 met en jeu le rôle de l’oralité dans le rapport visuel au monde, nous allons voir à présent que Brève histoire d’amour, sa version longue offre une occasion très intéressante de prendre en compte la dimension haptique, la part de la main dans le regard. S’ouvrant sur un jeu de mains entre trois des personnages, le film pourrait s’intituler Brève histoire de mains. c) La brève histoire de mains de Kieślowski Dans Le Décalogue 6 comme dans Brève Histoire d’amour, Magda, la femme libre aux nombreux amants, porte de longs cheveux blonds et un nom qui n’est bien sûr pas étranger à celui de Marie-Madeleine et à sa vocation tactile. Elle est ainsi placée du côté de la main et du désir haptique. Conséquence d’une transgression du Noli me tangere, c’est justement parce qu’il la touchera dans son intimité, parce qu’elle guidera sa main jusqu’à sa fente intime, mettant ainsi un terme à l’exclusivité du canal visuel dans leur jeu, accomplissant le fantasme même de son regard haptique, que Tomek cherchera à se tuer en se coupant les mains à l’aide d’une lame de rasoir. Autour de cette trame, présente aussi bien dans Le Décalogue 6 que dans le longmétrage, chacun des films propose une histoire assez différente quant à sa visée. Alors que le Décalogue 6 traite principalement du regard et du voyeurisme dans son mécanisme de retournement des positions et d’inversion des rôles entre le sujet voyant et l’objet vu, Brève Histoire d’amour développe davantage la relation sensuelle et les sentiments, entre Tomek et Magda, perdant en valeur symbolique ce qu’il gagne en poésie sensuelle, au point de faire du jeu exhibition/voyeurisme, une relation amoureuse fondée sur le souci de l’autre. C’est ainsi 170

On pourrait aussi se demander ce que signifie le fait que le jaillissement du lait ressemble à une éjaculation.


que les mains jouent un rôle très important dans le long-métrage, plus important que celui qu’elles jouent déjà dans le film court, parce qu’elles portent ici toute la sensualité de cet amour, son intensité tactile, sa corporéité, et donc la dimension amoureuse qui habite le regard de Tomek, puis celui de Magda. Il aurait donc pu s’intituler Brève histoire de mains. C’est d’ailleurs ce que semble nous en dire son incipit. (Voir extrait 18)

Figure 290 : Brève histoire d’amour (00 :00 :20) (Extrait 18)

Le film s’ouvre sur une main blessée, dans la pénombre, main blessée qu’une main hésitante, féminine, cherche à caresser alors qu’une troisième main s’interpose. Blessure, contact demandé, contact empêché, le premier plan du film est une formulation visuelle de la phrase prononcée par le Christ ressuscité à Marie-Madeleine (c’est justement Magda ici qui fait le geste), Noli me tangere, qui se formulerait ici à la troisième personne, Noli eum tangere ; Ne le touche pas, puisque la main qui empêche le contact n’est pas celle de Tomek mais celle de sa logeuse. Cependant, on n’en sait encore rien en ce tout premier plan du film et le principe d’un Ne pas toucher y est mis en jeu visuellement ; après cette mort et ce retour à la vie de Tomek, Magda n’a pas le droit de le toucher. Or, c’est dans ce nouage du regard et du contact réel que résidera l’enjeu essentiel du film, comme nous le verrons plus loin, c’est là que tout se concentrera, dans le moment où la main du jeune voyeur touchera le corps de chair de cette image spectrale qu’il contemplait de loin, le moment où le contact de sa main avec l’origine de cette image, le corps véritable de Magda, et plus particulièrement son sexe, l’intérieur de son corps, l’origine du monde, la faille originaire, provoquera une réaction violente chez le jeune postier. Tomek, comme le Peeping Tom de la légende de Lady Godiva, qui a donné son titre au Voyeur (1960) de Michael Powell, portent le nom de Saint Thomas, celui qui cherche à toucher du regard, celui que l’appétit de l’œil domine. Violence du voir chez Michael Powell où le regard en quête d’un objet perdu va jusqu’à tuer son objet pour


l’obtenir, castration visuelle dans la légende de Lady Godiva où Peeping Tom devient aveugle de n’avoir su résister au désir de voir sa reine nue et ablation de la main qui hante son regard d’un désir de contact chez Kieślowski où Tomek se coupe, se mutile, s’empêche de toucher. Chez ces trois Tom, le désir impérieux de voir et de jouir de ce voir sur des modes et avec des motivations différentes, ce désir de trop voir en somme, se solde par une perte irrémédiable d’une part de soi. C’est sur cette blessure qui se présente comme le premier horizon du film que s’ouvre la brève histoire de mains de Kieślowski. Ce plan d’ouverture sur ce jeu de mains trouvera sa place dans le récit, vers la fin, on le retrouvera dans son contexte et on en comprendra alors le sens diégétique, contextuel, mais pour l’heure, au début, sorti du néant précédant le film, et précédant un rêve de Tomek endormi, ce jeu de mains soumis au regard du spectateur est une épigraphe qui couvre de son ombre l’ensemble du propos filmique, et l’éclaire. C’est une formulation physique et visuelle de la tension qui parcourt le film ; entre la pulsion scopique et la pulsion haptique qui la travaille, entre l’image et le corps qu’elle appelle, entre le regard et la main qu’il sollicite. Notons aussi que le fait de ne pas avoir été touché par la main de Magda grâce au Noli eum tangere de sa logeuse, permet à Tomek de demeurer endormi et de poursuivre son rêve de voyeurisme nous indiquant ainsi, subtilement, que l’absence de toucher assure à la vision, et à l’hallucination onirique, sa toute puissance, son illimitation et que le regard sans contact, donc sans le corps, est un objet idéal pour la pulsion du voyeur. Le film met en scène, à de nombreuses reprises, le comportement du spectateur qu’est Tomek devant l’image du corps désirable de Magda, et c’est très souvent une main qui incarne, dans l’image, le désir de contact qui hante le regard de Tomek et le mode sur lequel joue ce regard. Nous verrons ainsi quatre fonctions de la main qui hante le regard qui correspondent également à quatre modalités de la relation haptique du regard avec l’image conçue comme territoire originaire, comme sein maternel. Tout d’abord la main comme instrument de maîtrise, qui manipule l’objet s’en saisit le rapproche et l’éloigne, ensuite la main qui étreint, palpe, caresse, puis la main qui frappe, rejette, pénètre et enfin la main coupable, qui se punit, qui cherche à se couper, à s’extirper du regard et qui reformule ainsi le Noli me tangere dans son souhait illusoire de séparer le regard du toucher.


- La main manipulatrice du regard

Figure 291 : Brève histoire d’amour (00 :00 :51) (Extrait 18)

C’est la première des fonctions du regard dans ce film où il est d’abord question de jeu de regards, de vision cachée. Dès le début du film, dans le rêve de Tomek, une marge constituée d’un pan de mur et d’un rideau, à droite de l’image, cache Magda, laissant sortir ses mains et sa chevelure, et nous indique que le regard de Tomek est lui-même caché, il est en position de voir sans être vu, selon le dispositif du voyeurisme, et seuls le visage et les mains de Magda apparaissent. Une bouteille de lait, à gauche, témoigne de la dimension orale de cette contemplation pour Tomek. On retrouve ici ces trois éléments présentés au début, la main et la bouche comme passagers invisibles du regard, et l’activité de Magda, manipulant les cartes, disposant les rectangles les uns avec les autres sous son regard, selon une règle du jeu, est une mise en abyme du jeu du cinéaste lui-même qui délimite, manipule et organise les images pour l’œil du spectateur, c’est-à-dire, d’abord, le sien. Nous sommes là devant un travail de manipulation que manifestera un plan quelques minutes plus tard.


Figure 292 : Brève histoire d’amour (00 :04 :05) (Extrait 18)

La main sur sa lunette, Tomek rapproche l’immeuble ou s’approche de lui, selon l’interprétation qu’on fait de ce zoom avant, il attrape, saisit, l’objet et le porte vers son œil, son corps est ainsi mis en jeu dans l’image, dans ce mouvement en avant, cette impulsion vers…, qui traduit son élan pulsionnel et son désir haptique de saisir l’objet. Mais cette manipulation prend un tour nouveau quand Tomek utilise son téléphone pour intervenir sur la scène qu’il observe.

Figure 293 : Brève histoire d’amour (00 :12 :40)

Kieślowski met alors sa main en évidence, au premier plan, une main ferme à l’index levé comme un ange de l’Annonciation, posée sur un instrument de communication verbale qui lui est cher, il s’agit là de manipuler la réalité à la manière d’un metteur en scène, par la voix et le geste. Tomek se fait metteur en scène de la vie intime de Magda, il l’appelle sans lui parler, dans un premier temps, pour entendre sa voix, pousser le volume de sa propre présence dans le champ qu’il observe. C’est d’une certaine manière un vrai contact, une mise en


présence où le corps se pousse (par sa respiration) dans ce qu’il voit. Plus tard, il appellera la compagnie de gaz et fera croire à une fuite de manière à ce que des techniciens viennent interrompre Magda dans ses ébats avec un de ses amants. Tomek se met alors dans la position d’un metteur en scène, confirmant la superposition des regards du plan où Magda joue aux cartes, sa position redouble celle de Kieślowski, il met en scène la réalité et contemple le spectacle. La « brève histoire d’amour » qui réunit Tomek et Magda, commence ainsi par la manipulation de l’autre par le regard, c’est en mettant la main sur le dispositif visuel que Tomek manipule Magda, commençant à faire affleurer son propre corps dans l’image. Rappelons qu’il glisse de faux avis de mandats postaux dans sa boîte aux lettres de manière à la faire venir jusqu’à son guichet de poste d’où il peut l’observer, utilisant ici encore un dispositif visuel (le guichet) qui associe la vue au toucher. Comme on peut le voir sur ce photogramme : La surface vitrée est trouée, laissant aux corps la possibilité de se retrouver. La chevelure blonde et longue, attribut tactile de MarieMadeleine dans de nombreuses représentations, est ici légèrement avancée devant le trou, permettant au spectateur de prendre conscience du supplément de présence ou de proximité (rapprochement vis-à-vis du corps) qui s’installe entre son œil et le corps de la comédienne. A l’endroit de l’ouverture, Magda est accessible à la main. D’ailleurs, ce plan du début du film, formule un appel au contact et à la main qui sera honoré par la suite. Nous le verrons, le trou sera le moyen d’une réunion des deux espaces voisins, celui du spectateur (Tomek) et celui de l’image (Magda). - La main caressante du regard (Voir extrait 19)

Figure 294 : Brève histoire d’amour (00 :50 :03) (Extrait 19)


Dans une séquence importante du film, Magda et Tomek sont dans un restaurant, Magda demande à Tomek de lui caresser la main. La main caressante, l’enchevêtrement des doigts, sont les premières formes de l’expression directe de ce désir de contact. Mais à observer la manière dont ces caresses s’accompagnent d’un regard appuyé, dans la plupart de leurs occurrences, on peut déduire que les caresses correspondent à un état particulier du désir, formulant un énoncé hypocoristique où le regard s’incarne.

Figure 295 : Brève histoire d’amour (00 :15 :47)

L’accompagnement du regard par la main est un geste haptique de reconnaissance, de tenue, de saisie, de prise de conscience. L’autre devient réel par le contact… Ainsi, la caresse qui accompagne un regard constitue une prise de conscience du corps de l’autre. La coalescence du regard et du contact est en effet le modus operandi de la connaissance ou de la reconnaissance de l’objet, le regard clinique est un regard qui palpe et qui nomme, à l’image de ce repérage des textures attestant la nature de l’objet qu’accomplit pleinement Saint Thomas plongeant son doigt dans la plaie du Christ.

Figure 296 : Brève histoire d’amour (00 :41 :05)


Dans la séquence où Magda découvre de près le visage de Tomek, après que celui-ci lui a fait l’aveu de sa passion secrète, elle lui dit : « Tu es beau dis donc», dans un moment de prise de conscience qui constitue un point de retournement dans le film. Magda, d’objet vu devient sujet voyant et prend ici conscience de son désir de voir en tournant vers elle, de sa main caressante, le visage de Tomek pour qu’il la voie en train de le voir et l’instaure ainsi comme sujet conscient de sa vision (et du retournement de la pulsion). La découverte de la visibilité et de la beauté de Tomek s’accompagne donc naturellement d’une caresse sur sa joue, d’un geste qui veut repositionner son visage de face pour mieux le voir et surtout en être vue. Le moment où les regards se touchent (on dit « leurs yeux se rencontrèrent ») est un instant de vérité. Tomek le fuit. Le regard de Magda devient ici amoureux dans ce geste de la main, il trouve sa corporéité pour affirmer la pleine présence de l’autre mais aussi affirmer son emprise sur lui. Une autre forme de caresse apparaît dans le film.

Figure 297 : Brève histoire d’amour (00 :13 :44)

Il s’agit de la caresse par identification. Quand une caresse de la main d’un amant sur le corps de Magda est vue par le voyeur ; plus érotique, cette caresse-là est celle de la puissance pulsionnelle, celle du passage à l’acte, ce n’est plus une saisie mais une pression sur le corps aimé qui correspond à la poussée de Tomek dans son propre regard. Devant cette caresse qui formule si crûment son inaccessible désir ; faire l’amour normalement avec Magda, Tomek a une réaction violente de la main, il coupe court à sa séance de voyeurisme en rabattant brutalement sa lunette vers le bas, signe évident de coupure et de castration devant la caresse interdite, coupure nette de la main qui hante son œil, réponse au Noli eum tangere. C’est ici le contact réel de la main de cet amant sur les fesses de Magda, devançant


ou formulant celle qui hante son regard, qui provoque cette réaction. Son regard est un contact avec Magda, il l’entraîne vers une rencontre réelle qui menace sa toute puissance, il risque de perdre quelque chose à convertir son regard en caresse, le virtuel en réel, mais la poussée de son corps amoureux dans son regard continue de se manifester par « je » d’une identification. - La main intrusive du regard L’identification est ainsi une poussée du spectateur dans son regard qui devient son corps invisible dans le monde de l’image, dans l’espace voisin. Un plan du film nous montre Tomek pénétrant par effraction dans un gymnase en faisant voler en éclat une fenêtre dont les mille et un morceaux viennent s’écraser sur le parquet du terrain de sport à l’endroit même où la ligne blanche qui délimite l’aire de jeu, fait un angle droit qui rappelle celui d’un cadre. Il cherche à voler une lunette d’approche, celle-là même qu’on le verra utiliser plus tard… Cette séquence de viol d’un espace, nous indique deux choses essentielles concernant le regard et la mise en jeu du corps. Tomek, en entrant ainsi dans le gymnase fait voler en éclat la paroi de verre qui le sépare de l’autre espace, l’espace interdit de la représentation, celui où sa main ne doit pas entrer en vertu de l’interdit qui porte sur le contact depuis le début du film. Il pénètre pourtant, par son regard, dans cet autre côté, que le guichet nous indiquera dans un des premiers plans du film. C’est ainsi, par anticipation, la vitre du guichet qui se brise, la séparation entre le monde du regard et celui de l’image est abolie. En y entrant, il chemine dans son regard, son corps est mû par une pulsion scopique et avance dans le spectre de son champ de vision, il pénètre l’image, entièrement, et c’est justement avec cette lunette d’approche qu’il vient de voler en violant cet espace clos, qu’il s’approche par le regard de la façade de l’immeuble de Magda. L’usage de la lunette d’approche nous indique que l’enjeu de son voyeurisme semble être d’abolir la distance entre son œil et le corps de Magda, sans pour autant connaître un contact réel, objet de l’interdit formulé au départ. Le regard se présente alors dans ce jeu de voyeurisme comme un contact sans contact, un acte sans acte, un corps sans corps, l’outil idéal d’un compromis éthique entre la pulsion de préhension (par la main ou la bouche) et l’interdit du contact. Mais cette tension éthique du regard repose sur un équilibre fragile, et Tomek ne peut résister à la tentation de se pousser de plus en plus dans le champ qu’il regarde, tout en retenant son corps, son approche du corps de Magda est constante, et les gestes violents et intrusifs de la main se multiplient…


Ainsi, après avoir fait intervenir la compagnie du gaz en urgence dans l’appartement de Magda au moment où elle faisait l’amour, c’est-à-dire après avoir manipulé, mis en scène ce qui faisait l’objet de son regard, il explose et brise la porte d’une armoire qui se trouvait à sa gauche.

Figure 298 : Brève histoire d’amour (00 :20 :18)

Cette effraction violente qui répond à l’effraction qu’il vient de commettre dans la vie intime de Magda, rappelle aussi le verre brisé du cambriolage du début qui lui avait permis de dérober la lunette d’approche. Une force semble pousser son corps dans ce qu’il regarde. Mais si la poussée vient de son côté, elle répond aussi aux avances de Magda, qu’il manipule et fait venir dans son bureau de poste pour la voir de plus près à travers le trou de son guichet. Comme expression visuelle du désir de contact et assurance de la possibilité de ce contact, ce photogramme est particulièrement intéressant en ce qu’il dispose de façon très symétrique le regard et les mains suivant une translation verticale. Alors que Tomek plante son regard dans l’ouverture du guichet pour regarder Magda directement, avec intensité, les mains des personnages, elles, se retrouvent dans un espace continu, sans séparation, au niveau de l’ouverture du comptoir, par où s’échangent les documents, reçus, avis, argent, lettres. Elles sont proches l’une de l’autre, le contact est latent. La surface transparente, matérialisation par le reflet de la surface de l’image cinématographique elle-même, comporte deux trous, l’un emprunté par les yeux - c’est en fait un trou pour la voix donc pour la bouche et d’ailleurs Tomek dévore Magda du regard au lieu de lui parler - l’autre pour la main lui permettant d’opérer un échange physique avec l’autre côté. Ces deux ouvertures dans la surface figurent ici, dans leur superposition, une


équivalence entre voir et prendre ou toucher. Mais le guichet les sépare, le canal du voir et celui du toucher sont séparés, voir ne demande qu’une transparence, toucher une ouverture. Or, Magda va tout renverser lorsqu’au milieu du film, elle va glisser sa main dans l’ouverture du haut pour tendre à Tomek un des faux avis de mandat postal qu’il lui envoie pour la faire venir à son guichet.

Figure 299 : Brève histoire d’amour (00 :29 :42)

Cette intrusion de la main s’effectue au niveau du trou prévu pour la parole, c’est le trou pour la bouche par où passe la main de Magda. Mais c’est précisément celui par lequel Tomek avait pu voir directement Magda dans le photogramme précédent, un trou qui ouvrait justement aux dimensions haptique et orale de son propre regard. Elle répond à sa demande au-delà de toute espérance en venant dans son espace. Elle use du canal du regard pour venir à lui et semble dans le même temps introduire sa main dans sa bouche puisque cette ouverture a officiellement une dimension orale. Une fois encore Magda, comme son modèle évangélique, est celle qui fait le geste de toucher, déséquilibrant le fragile équilibre mis en place par Tomek, pour toucher sans toucher et promener une main sans chair sur le corps de Magda. A la suite de cette transgression, le jeune postier va quitter son guichet et rattraper Magda, de l’autre côté, dans la rue, pour lui avouer partiellement son petit jeu. La réaction sera brutale, elle lui enverra sa main dans la figure. Puis, le soir, de retour chez elle, tentée par le jeu, elle lui fera signe de l’appeler, par la fenêtre de son appartement, et l’autorisera à la regarder quand elle recevra son amant. Ce qu’il fera.


- La main coupable du regard Après avoir vu Magda pleurer en rentrant chez elle, Tomek s’assoit sur le bord du lit de sa logeuse qui est allongée et parle avec elle des raisons qu’on peut avoir de pleurer… Nous apprenons au gré de cette conversation que Tomek a été abandonné par sa mère et qu’il ne pleure plus depuis longtemps. Il rentre dans sa chambre et se livre à un jeu avec une paire de ciseaux…

Figure 300 : Brève histoire d’amour (00 :27 :06)

La main est ici confrontée à la coupure, les yeux secs de Tomek trouvent leur équivalent dans la main qu’il cherche à couper. Et alors qu’aucune larme ne coule de ses yeux, des gouttes de sang perlent au bout de sa main. Il se coupe le doigt, se punit à la fois de ne pas pleurer la disparition de sa mère et de vouloir à ce point toucher Magda, il punit ici ses yeux secs. La dimension oedipienne de son désir de voir comme désir de toucher l’origine se manifeste ici pour la première fois, en particulier lorsqu’il porte sa main à sa bouche et tète le sang qui en coule, tétant littéralement sa main, c’est-à-dire le corps même de son regard, prenant son regard lui-même comme objet de la satisfaction de son désir de succion. La contiguïté de ce plan avec le plan suivant où Magda dessine dans le lait éclaire ici la valeur du sang, à la fois larme de l’œil et lait du regard. On retrouvera un peu plus tard le motif de la larme de sang perlant à la main en lieu et place d’une larme à l’œil, à la fin du film, après avoir été invité chez Magda qui l’amènera à la toucher, comme nous le verrons plus loin, Tomek, très perturbé, rentre chez lui, s’installe dans la salle de bains et tente de se suicider d’une manière qui nous en apprend beaucoup sur ce qui nous intéresse ici.


Figures 301 et 302 : Brève histoire d’amour (01 :01 :24 et 01 :01 :45)

L’œil est sec mais la main pleure, colore l’eau. Le liquide s’échappe de son contenant, le corps se vide de sa substance et l’on peut voir au fond de la bassine, la présence de la lame de rasoir qui incarne ici, à la fois la coupure, l’ouverture du poignet qui correspond à la coupure de la main, et la fente elle-même, son résultat sur le plan symbolique. La lame de rasoir est en effet fendue, elle constitue ainsi un objet qui manifeste à la fois l’outil et son résultat, car la coupure opérée par Tomek s’apparente tout à fait à une castration du regard, au geste d’enlever au regard son insupportable désir de toucher. (Le Noli me tangere prend en partie son sens, l’image de l’être adoré, en tant que corps maternel, ne peut être approchée que libérée de tout désir de contact et de préhension, l’image chrétienne veut se distinguer ainsi de l’idole ou du fétiche et de leur dimension sensuelle, en mettant l’œil à distance, en le coupant du corps…) Tel Œdipe, Tomek se punit d’avoir eu un contact avec le corps de Magda, à sa demande à elle, et d’avoir ainsi compris, dans une déflagration, quels étaient les enjeux véritables de son désir… C’est l’image de Magda en tant que substitut fétichique du « corps maternel », se substituant au sein maternel dont l’apparition sollicite, la main, l’œil et surtout la bouche du nourrisson, c’est la vraie nature de son attachement à cette image du corps amoureux de Magda, qui pousse Tomek à se punir, non pas en se crevant directement les yeux, comme Œdipe, mais en se coupant la main, en lui faisant « pleurer » son sang, parce que c’est cette main au désir ambivalent qu’il veut exclure de son regard. La scène cruciale dans cette déconstruction du regard idolâtrique nous a été montrée juste avant. Elle met en jeu toutes les dimensions de l’apparition de la main comme incarnation du regard dans ce film. Manipulation, caresse, intrusion et finalement coupure.


Le corps de Tomek déborde. Il touche le cœur même de son désir, le retour à l’origine, et rencontre de plein fouet l’injonction du Noli me tangere qui a peut-être pour but, au fond, de dissocier le toucher du voir pour établir un contact purement visuel, idéal, un « rapprocher de distanciation » avec l’objet sans risquer la chute, de faire ainsi passer du corps à son image dans l’ordre du visible, et d’établir ainsi un équivalent entre les deux. Et c’est donc de cette main avide de chair et de présence à manipuler, à palper à pénétrer, qui hante son œil, qu’il cherche à se séparer dans cette circoncision du regard qui dévoile la profondeur du geste d’Œdipe. Œdipe, pour se racheter d’avoir toucher l’origine, d’avoir à son tour emprunté le chemin de son père, se prive de toute image. Tomek, plus subtil, se prive de tout désir de contact avec l’image, il cherche à s’enlever la main des yeux... La main représentée est ici la pointe avancée du regard qui ne rêve que de sentir la pression de l’objet vu et se rassure de ne pouvoir le faire vraiment. Tomek, ne supportant pas l’entre-deux auquel nous invite les images, ayant touché l’origine et ayant perdu ainsi de sa toute puissance fantasmatique, devenu conscient de son désir, se punit, se mutile, retranche une partie de son corps… Avant-garde du corps auprès de l’autre, la main représentée est pour le spectateur comme un œil couvert de peau qui s’avance au contact de l’objet regardé. Elle incarne cette extrémité du regard au bout de laquelle un toucher sans corps est possible, dans un équilibre fragile que la pulsion scopique d’un côté et le travail surmoïque du cadre de l’autre, menacent de briser si l’un ou l’autre prend le pas… Ainsi donc, à la lumière de l’éclairage que lui porte l’œuvre de Kieślowski et particulièrement Le Décalogue 6 et Brève histoire d’amour, l’image-fente, comme origine et comme objet primaire, s’appuie sur l’articulation de la pulsion orale et de la pulsion haptique, traces du premier contact (visuel, oral et haptique) avec l’objet primaire lors des premiers allaitements du nourrisson. Cette trace est probablement à l’origine des sollicitations de la bouche dans la peinture illusionniste fondée par la finestra albertienne et dans les arts qui lui ont succédé, et qui se lit particulièrement dans les dispositions de plats appétissants, qu’on appelle à tort natures mortes, dans la figure de la Mater lactans qui remonte à la déesse égyptienne Isis, idole maternelle originelle qui a donné sa forme aux vierges à l’enfant, et


dans d’autres formes encore de sollicitations de l’oralité dans l’image qu’il faudrait aborder à la lumière de cet enjeu. Cette trace peut aussi être à l’origine de la mise en jeu iconique de la main qui hante le spectateur, des Vénus aux peaux tendres et accueillantes aux caresses exposées et aux incursions de la main dans l’image, comme chez le Saint Thomas du Caravage ou encore dans Les glaneurs et la glaneuse d’Agnès Varda. On peut en effet y voir la réalisatrice, qui s’identifie clairement à une glaneuse équipée d’une caméra, essayer d’attraper des camions dans sa main, comme des pommes de terre glanées dans un champ, ou des fruits grappillés sur l’arbre, au moment même où elle les filme, indiquant au passage comment le cadrage est pour le cinéaste une façon d’attraper le visible pour le porter à sa bouche et le goûter. Cette séquence est d’ailleurs l’objet d’un effet d’attente (mise en appétit) construit à partir d’une répétition visuelle du motif de la route (déplacement du regard) et de remarques récurrentes sur les camions. C’est ainsi en attrapant les camions sur la route qu’elle les avale littéralement dans son cadre en s’approchant d’eux et en les dépassant, les faisant ainsi disparaître dans le hors-champ. Glaneuse ou grappilleuse, la cinéaste nous indique ici assez clairement l’enjeu oral et haptique du regard partagé.

Figure 303 : Agnès Varda, Les glaneurs et la glaneuse (00 :42 :04)

Geste imageant qui sert de vecteur au désir du spectateur qui, dans les arts visuels issus du dispositif de la finestra, emprunte forcément le chemin du regard créateur, ou initiateur, du sujet imageant. Dans ce registre d’idées, le film documentaire Mondovino (2004) de Jonathan Nossiter, présente un intérêt particulier en ce qu’il explore la manière dont le cadrage peut jouer avec l’oralité de manière éthique, c’est-à-dire en mettant à distance la tension fusionnelle et d’emprise du regard. Sans l’intégrer complètement à ce travail essentiellement centré sur Le Décalogue de Kieślowski, et plus orienté vers l’émergence du


concept d’image-fente à partir de ce que m’a paru en dire Kieślowski, je placerai en annexe une analyse de Mondovino, publiée en 2011, dans laquelle la dialectique des dimensions pulsionnelles orale/haptique du regard et du souci éthique se manifeste dans l’usage du cadre171. Ce texte portant sur autre décalogue nous permet de mettre en évidence la manière dont le cadre est le lieu où le souci éthique du sujet se manifeste, ici à travers la notion de goût qui est justement à l’origine du dessin du « quadrilatère à angles droits » d’Alberti et au cœur de la problématique de l’oralité dans l’image. A la manière de la posture que Freud observe chez Moïse sculpté par Michel-Ange, entre la pulsion de colère et sa rétention visible dans le maintien stable des tables (des cadres !) de la Loi, le cadre de Jonathan Nossiter se tient arrimé à son goût, c’est-à-dire à son désir et à sa capacité à le dire, à le formuler, à passer de la vue au signe, de la pulsion scopique au propos visuel, dans un équilibre « bancal » qui témoigne de dialectique dont il est l’objet ou le jouet.

171

Voir Olivier Beuvelet, « Le goût du sujet dans Mondovino, une éthique du cadrage » in Psychoanalytische perspectieven n°29, Cliniques de la création, Gand, 2011, p. 395-419.


CONCLUSION Qu’est-ce que voir ? Qu’est-ce que donner à voir ? (Une question posée à l’image-fente) “Voir une image c’est accéder à la béance du visible au cœur du visible lui-même, c’est proposer au regard 172 l’immanence d’une absence.”

Cette recherche sur l’image-fente à partir du Décalogue de Krzysztof Kieślowski trouve ici son terme à défaut d’être parfaitement achevée, tant ce champ ouvert sur l’exploration des relations de l’œil humain à l’image dans son cadre est vaste et profond. Le polyptyque cinématographique que nous avons parcouru attentivement nous a offert l’occasion d’une approche visuelle des deux grandes questions qui hantent le second commandement de la Loi mosaïque ainsi que l’œuvre entière du cinéaste : qu’est-ce que voir ? Qu’est-ce que donner à voir ? Suite au jeu de cette perspective de lecture, j’ai proposé une formulation conceptuelle de cette pensée visuelle, formulation qui a essayé de se garder d’être une simple projection interprétative en étayant le plus possible son propos sur des occurrences précises mise en réseau dans leur processus de signification. Il va de soi que d’autres chemins sont possibles et tout aussi légitimes, qui négligeraient cette dimension métadiscursive que nous avons essentiellement observée et qui partiraient sur la route de la métaphysique ou sur celle de la psychologie ou encore, plus techniquement, sur celle du discours filmique, et notamment du montage. Il a été peu abordé ici et mériterait une longue étude, tant il est vrai que cette part scripturaire du maniement des images a été le domaine privilégié de la créativité et de l’inventivité de Krzysztof Kieślowski. Il a été parfois frustrant de ne pouvoir suivre ce chemin très fécond, mais il m’est apparu qu’il aurait déplacé le centre de l’attention portée au polyptyque. En effet, si les intervalles du montage peuvent être appréhendés comme des fentes, ils en sont essentiellement dans la dimension invisible du temps, or l’objet ténu de ma réflexion était le passage visuel du bord à l’ouverture dans le spectre du regard du spectateur devant un tableau, une photographie ou un film. J’ai d’une certaine manière abordé le film plan par plan, à l’écoute du discours du cadrage puisque tel était l’objet de mon enquête. Par ailleurs, le fil de ce travail n’était pas de donner un aperçu synoptique et encore moins exhaustif de l’œuvre, ce travail n’étant pas une monographie. J’ai choisi d’entendre les 172

Marie-José Mondzain, Homo spectator, Paris, Bayard, 2007, p.48.


images avec l’attention flottante d’un analyste qui cherche à mettre au jour le discours inconscient ou impensé du film et non de son ou de ses auteurs. Mais loin de chercher une compréhension globale de ce qui pourrait être un système kieslowskien, c’est bien le cadre et plus particulièrement le symptôme qui l’affecte en l’effritant, en le fendant, visible dans différents types d’images, qui constitue l’objet central de ce travail. L’image-fente est le nom de ce symptôme. Mais de par son ancrage dans des occurrences précises, de par sa qualité transitive, tout cadre étant cadre de quelque chose, il n’était pas possible de prendre le cadre ex-nihilo, bien qu’il s’agisse ici d’en faire l’objet d’étude ; il m’a fallu partir de ce qu’en disait et de ce qu’en montrait un grand praticien de l’image qui était aussi, à condition de l’écouter, un grand théoricien du cadre, de la coupure du bord et de ses effets de signification. Aussi, plus qu’une interprétation du polyptyque, ce travail s’est voulu être en grande partie une traduction, une reformulation, une verbalisation du procès visuel et n’ayons pas peur de le dire, du discours visuel que tient le polyptyque. L’œuvre d’art moderne est une œuvre d’art qui prend ses propres conditions d’existence pour sujet, c’est une œuvre qui a la propriété particulière d’interroger son support avec les moyens d’expression de ce support lui-même. La littérarité moderne, de Flaubert à Robbe-Grillet en passant par Joyce et Kafka est une littérature qui interroge l’écriture dans l’écriture, il en est de même pour la picturalité depuis le passage par ce stade du miroir qu’est l’expérience de Brunelleschi et surtout le De pictura d’Alberti. Pour ce qui concerne le cinéma, il semble qu’on puisse considérer Kieslowski comme un grand penseur de la cinématographicité. L’image-fente est le nom que j’ai donné à la manière visuelle dont il interroge le visuel, mettant au jour, au-delà de son propre médium, les enjeux inconscients de notre relation aux images, en tant qu’objets visuels fabriqués pour être regardés. Formulant le mystère où s’enracine la question qui a présidé à ce travail, Giorgio Agamben écrit : « L’homme est le seul être qui s’intéresse aux images en tant que telles. Les animaux s’intéressent beaucoup aux images, mais dans la mesure où ils en sont dupes. On peut montrer à un poisson l’image d’une femelle, et il va éjecter son sperme, ou montrer à un oiseau l’image d’un autre oiseau pour le piéger, il en sera dupe. Mais quand l’animal se rend compte qu’il s’agit d’une image, il s’en désintéresse totalement. Or l’homme est un animal qui s’intéresse aux images une fois qu’il les a reconnues en tant que telles. C’est pour cela qu’il s’intéresse à la peinture et va au cinéma. Une définition de l’homme de notre point de vue spécifique pourrait être que l’homme est l’animal qui va au cinéma. Il s’intéresse aux images une fois qu’il a reconnu que


ce ne sont pas des êtres véritables. » 173 On ne saurait mieux dire, c’est la compréhension des raisons qui poussent cet « animal » à aller au cinéma qui est le moteur essentiel de cette enquête et il apparaît à l’étude que Le Décalogue s’intéresse à cette question qu’il met en rapport avec le second commandement. La principale réponse que je propose à cette interrogation s’appuie sur le concept d’image-fente qui serait in fine une mise en jeu imaginaire de la fente du sein maternel174, opératrice de continuité entre le nourrisson et sa mère ; c’est justement l’opération de cette continuité qui se manifeste dans la manière dont les images peuvent solliciter la main et la bouche du spectateur. D’autres enquêtes seraient à faire pour suivre dans les motifs et les thèmes iconographiques les nombreuses et foisonnantes trajectoires de l’oralité et de la quête haptique du réel dans les images peintes, photographiques ou cinématographiques, afin peutêtre d’en saisir l’importance et les évolutions. De même, les implications de la Lettre dans le travail du cadre, découvertes au fil de cette recherche, pourraient faire l’objet d’une enquête très féconde sur les origines figurales de la forme carrée et ses liens avec la naissance de l’écriture. L’idée que le cadre est proprement la trace de la Lettre dans l’écriture et qu’à ce titre, il en assure la coupure signifiante, la mise à distance du signifié vis-à-vis du signifiant, la séparation avec le référent conçu comme origine de l’image, est solidement articulée aux usages du cadre et à sa portée sémiotique. Il incarne ce qui dans l’image peut en faire un propos, une nomination comme une histoire, et l’expression « à partir de laquelle » qu’Alberti utilise pour évoquer le rapport entre sa finestra et l’objet représenté, et que j’ai repris dans le titre de ce travail de doctorat, nous indique bien cette dimension de signe qu’elle possède. Le cadre est ainsi devenu pour moi la Lettre de l’image. Au point où nous avons pu aller tout en restant dans le champ d’une élaboration du concept d’image-fente à partir d’une approche esthétique et éthique du cadre dans Le Décalogue de Kieślowski, je peux dire que le cadre de la finestra tient une partie de sa structure sémiotique, de son opérativité visuelle, de la Lettre qu’on trace sur la surface où va s’inscrire le texte, c’est-à-dire le tissage qui constitue le propos du sujet. Sans le cadre, la toile ne tient pas, de même que sans la Lettre, le propos du sujet reste informe. L’enjeu conjoint de la Lettre (du Verbe) et du cadre est cette sortie de l’informe. A la fois contour de l’ouverture de la bouche et trait inaugural d’où advient le signifié, ce cadre-là donne chair à la

173

Giorgio Agamben, « Le cinéma de Guy Debord », in Image et mémoire. Écrits sur l’image, la danse et le cinéma, Desclée de Brouwer, 2004, p. 88. 174 C’est peut-être ce qui peut expliquer ce besoin de croire aux images dont le culte de l’indicialité photographique pourrait être une manifestation.


parole, dans le champ de l’audible et du visible. Dans Homo spectator, Marie-José Mondzain écrit que « l’image est le sol natal de la parole », en retournant cette lumineuse formule sans la démentir, je dirais que la parole est l’horizon de l’image ; parole qu’elle incarne très souvent, et en tout cas dans le champ pictural chrétien d’une « illustration » des écritures, et qu’il s’agit alors de restituer, ou parole qu’elle fait naître au hasard des rencontres conscientes ou inconscientes qu’elle suscite, des puncti qu’elle génère. Le débat sur les mérites respectifs de la parole ou de l’image comme médiums en concurrence est devenu caduque et la générosité verbale et iconique de nos sociétés marchandes a certainement apporté une réponse en forme de renoncement à la nécessité classique d’établir des hiérarchies dans ce domaine. C’est aujourd’hui le rapport entre le texte et l’image qui est le plus travaillé, comme terrain privilégié d’une sémiotique ou d’une esthétique qui privilégie les échanges et les dynamiques entre le texte et les images. Sur ce point, pratiquant le blogging et l’analyse des images médiatiques sur la plate-forme Culture Visuelle depuis quelques années, j’ai pu avoir l’occasion, à de nombreuses reprises, de constater comment le titre et la légende de l’image d’illustration de presse venaient l’informer et opérer comme un cadrage de son champ sémantique, se replaçant toujours à sa source. Si le cadre à lui seul et l’usage qui en est fait dans l’opération du cadrage ne portent pas entièrement le propos de l’image, il m’est apparu clairement que ce propos est d’origine verbale et que sans le travail du cadre, du titre, de la légende, sans le travail de la parole, l’image est muette et presque invisible, c’est une simple vue ambivalente, trompeuse, éminemment labile parce que résolument fuyante. Le cadre est alors présent pour rappeler l’intentionnalité dont l’image est le fruit, indiquant de quoi l’image est l’image, puisque comme nous l’avons vu : cadrer, c’est nommer. Le cadre, dans mon approche est ainsi le premier degré – ce que le trait est à la Lettre mais aussi ce que le mot est à la phrase – du propos de l’image que le titre éventuel et sa légende, son commentaire contextualisant, viennent éclaircir. Cette ouverture du cadre de la finestra correspond ainsi à la naissance du propos, à son origine en tant qu’orifice. Ainsi, arrivée aux lèvres de l’image, l’étude de la fente dans l’image et de l’image faite fente, soit de l’image-fente, c’est-à-dire de la dialectique de la finestra et de la fessura cristallisée dans le cadre même de l’image, peut trouver sa formulation actuelle à défaut d’être définitive. Ce qui est intéressant dans le travail de Kieślowski, au fil de ses films, c’est que la mise en jeu de la fente n’est pas une répétition symptomatique, une obsession récurrente, mais une sorte d’évolution d’un degré primaire qui se manifeste dans sa foi en la « dramaturgie du réel » au début de sa carrière, dans ses


premiers films, vers une élaboration secondaire métadiscursive dans Le Décalogue où l’image-fente apparaît comme un propos tenu sur l’image. Essayons maintenant de conclure sur l’image-fente. La première proposition formulée dans ce travail de thèse, à partir d’une analyse interprétative du propos inaugural et fondamental de Leon Battista Alberti, concerne l’usage du terme italien de finestra pour nommer le concept du cadre tel qu’il opère sur les images depuis la Renaissance. La première qualité de ce terme est d’être lié à son origine florentine par son appartenance à la langue latine et italienne, ce qui lui donne une identité exogène et ancienne et véhicule ainsi son historicité. Comme je l’ai montré au début de ce travail, la finestra possède différentes caractéristiques qui composent ensemble son concept : il s’agit de la dimension énonciative, de la dimension phatique, de la dimension corporelle, de la dimension réflexive, de la dimension architectonique et enfin de la dimension éthique. Ces dimensions ont été sollicitées, de manière plus ou moins implicite, à plusieurs reprises dans le corps de ce travail, mais il convient d’en faire ressortir la pertinence heuristique en les reliant à des éléments ou à des moments de la réflexion, et notamment de mettre en lumière la part qu’elle prennent dans l’assomption de l’image-fente, comme nouveau dispositif de la représentation, qui part de la finestra et constitue son négatif, établissant ainsi une dialectique sur laquelle s’établira l’oscillation du regard. La dimension énonciative de la finestra se manifeste d’abord dans sa capacité à ouvrir un champ pour le propos de l’image dont elle est l’origine. Comme une bouche, mais une bouche qui parle et non une bouche qui tète ou dévore. Elle indique l’acte de formulation du propos visuel que constitue l’image, elle en est l’origine et le premier trait. En inversant l’ordre d’apparition du cadre pour en faire l’instrument du premier geste dans l’opération de constitution de l’image et non celui du dernier acte d’encadrement et de clôture, Alberti retourne la production iconique sur son processus et en fait un acte plein d’avenir, plein d’advenir pourrait-on dire. Tout comme les commandements sont formulés au futur et parlent d’un homme à venir dans le champ ouvert par les paroles des tables de la Loi, comme le Christ se tient initialement dans les paroles fécondantes de Gabriel avant d’entrer dans le corps-cadre de Marie et par là-même dans le tableau qui représente l’opération, le quadrilatère d’Alberti annonce la venue de l’image, de la ressemblance, dans le champ ouvert par ses soins


au sein même de l’invisibilité. La finestra cristallisée par la suite dans le bord de l’image, quel que soit son traitement, est ainsi comme le trait de la Lettre, non seulement la limite de l’image mais le souvenir, la trace graphique de sa condition d’énoncé visuel. La forme du quadro elle-même, en tant que sélection et incision dans l’invisible, apparaît comme le signe d’une énonciation visuelle par exercice d’un choix lié à un goût. Dans la mesure où sa célèbre formule porte surtout sur les fresques, le choix d’une taille, choix d’une histoire (peinture) ou d’un sujet (photographie) ou d’un mouvement (cinéma), le cadre de la finestra est à la fois l’instrument et le signe de cette énonciation visuelle. Dans le passage sur la Lettre du cadre, à la fin de la seconde partie, j’ai pu mettre en lumière cette dimension sous la formule cadrer, c’est nommer de manière à établir cette équivalence entre l’acte de cadrer un objet pour le faire advenir dans un espace délimité où il devient signe et l’acte de nommer un objet pour le faire advenir dans un champ de signification verbale. C’est précisément la dimension énonciative de la finestra qui en fait un instrument essentiel dans le processus de signification opéré par le travail du cadrage. On peut dire qu’il y a formulation d’un propos visuel quand la finestra est utilisée dans sa dimension énonciative, c’est-à-dire quand elle manifeste clairement son cadrage de l’objet et son intention de le faire advenir, passant de la simple désignation à la signification dans l’acte imageant et de la perception à la représentation dans l’acte regardant. La désintrication de la perception et de la représentation, la fin de cette fusion que Jean-Louis Baudry repère comme le propre de l’hallucination cinématographique est justement le fait de la mise en évidence de cette dimension énonciative de la finestra. Quand le cadre cesse de flotter sur le visible pour se saisir d’un objet, il l’énonce et l’annonce en même temps, et par là même fonde un sujet, le sujet évanescent de cette énonciation et offre la possibilité au spectateur de se sentir lui aussi sujet de son regard. Nous verrons par la suite que cette dimension se combine avec la dimension réflexive et avec la dimension éthique de la finestra. Ensuite, la dimension phatique de la finestra correspond à son ouverture, considérée comme une comparaison dans la formule initiale d’Alberti elle devient métaphore puis hallucination au fil de son assomption dans le cadre qui passe de la fin d’une surface « comme une fenêtre » au bord d’un vide ; « ouverte ». La dimension phatique est ainsi liée au contact, que permet la finestra, entre deux espaces ; un extérieur appréhendé d’un intérieur, la finestra est un contact avec l’Autre, mais aussi entre l’objet représenté et la main, voire la bouche, du spectateur. La montée en puissance de cette dimension a reposé sur deux aspects qui se sont développés depuis la Renaissance à travers les trois supports ; la mimésis et l’empreinte


(index). La mimésis a poussé le plus loin possible l’illusion de la présence et de l’ouverture du support par la négation de la surface de l’image dans la peinture et la précision illusionniste du dessin et de la perspective considérée comme vue à travers, si bien que la dimension phatique de la finestra, en peinture, est directement liée à sa capacité à se faire oublier comme convention et à se faire passer comme simple bord d’un trou. L’autre élément venant renforcer cette dimension phatique de la finestra est la notion d’empreinte incarnée dans le domaine photographique par le dogme de l’indicialité photographique venu attester très tôt la présence de l’objet dans sa représentation. La dimension phatique de la finestra est ainsi parfaitement résumée par André Rouillé dans sa formulation d’une « continuité de matière entre les choses et les images ». L’empreinte, ce que Georges Didi-Huberman nomme « la ressemblance par contact », est la forme la plus nette de cette relation phatique qui va jusqu’à une sorte d’hallucination de la présence de l’objet, que j’ai évoquée à plusieurs reprises dans cette thèse et que Jean-Louis Baudry appelle l’effet cinéma, moment ou perception et représentation se confondent. C’est la dimension phatique de la finestra, son ouverture considérée par les supports successifs comme de plus en plus réelle (index) qui fait poindre en elle la fessura qui la hante et la travaille sur ses bords, c’est-à-dire sur les autres dimensions ; énonciative, réflexive, architectonique et éthique. La fessura de la finestra s’articule essentiellement sur ce trou, cette percée qui rend possible le cœur de l’image-fente, sa capacité de passage et de contact avec l’origine de l’image. La dimension phatique est ainsi à l’origine du mécanisme qui assure une présence dans l’image, de manière illusoire, bien sûr, elle est ce qui dans l’usage que nous faisons des images nous permet de garder le contact avec l’objet perdu, qu’il soit directement représenté ou non. La finestra est donc énonciation visuelle et continuité entre les deux espaces, elle est aussi corps de l’image en tant que contour. La dimension corporelle de la finestra se lit au fil de ce texte dans son rapport au cadre comme parergon. Le terme n’a pas été souvent utilisé dans le texte qui s’est appuyé sur d’autres termes et une autre approche de l’image, mais il peut nous amener, à partir de ce qu’en dit Derrida à la suite de Kant, à considérer le cadre de la finestra comme un « vêtement » de l’image. « Hors-d’œuvre les vêtements des statues, nous dit Derrida, qui viennent à la fois orner et voiler leur nudité. Hors-d’œuvre collés à la bordure de l’œuvre néanmoins, comme du corps représenté dans la mesure où – tel est l’argument – ils n’appartiendraient pas au tout de la représentation. Le représenté de la représentation serait le corps nu et naturel ; l’essence représentative de la statue s’y rapporterait et, en elle, seule cette représentation serait belle, essentiellement, purement et


intrinsèquement belle, « objet propre d’un pur jugement de goût »175. La dimension corporelle de la finestra est ainsi voile et pourtant elle dévoile le corps, comme le voile de la Lucrèce de Cranach que présente Derrida. Habit transparent, la finestra n’en souligne pas moins les formes du corps de l’image et rappelle, comme c’est le cas des statues qui sont les images dont parle Derrida à ce moment-là, qu’elle est en soi-même un corps, un objet détaché, une chose autonome avec laquelle une relation peut se nouer. La dissolution du cadre de la finestra peut alors être comprise comme une apparition soudaine du corps nu, ou plutôt de la nudité du rapport de l’œil à l’image encadrée, tel que l’image-fente le dévoile. Fusion des corps de l’image et du spectateur, absorption du regard-corps à l’occasion d’un oubli du corps, de sa relégation dans l’obscurité et l’immobilité de la salle, si l’on prend le cas du cinéma, la dimension corporelle est au service de la fusion des espaces et des corps. Le Décalogue 6 et son geste central d’entrée de la main du voyeur Tomek dans la fente du sexe de Magda, sous le voile léger du pan relevé de sa chemise, peut être considéré comme une expression allégorique de cette dimension corporelle de la finestra. Elle se lit aussi dans la manière dont les embrasures peuvent habiller la présence d’un corps dans l’image. En tant que lieu de l’apparaître, le seuil visible par son embrasure met en scène ce que les montants du cadre de la finestra orchestrent ensemble, au niveau de l’image entière ; la constitution de l’image en corps apparaissant, corps aimable et embrassable. La finestra peut être apparentée alors au Moi-peau dont parle Didier Anzieu, et que Julien Milly reprend dans son travail sur le seuil de l’image : « Théorisé par Didier Anzieu dès 1974, le Moi-peau intéresse les espaces frontaliers en tant qu’il conceptualise la séparation du sujet d’avec autrui. La qualité des limites individuelles assure selon l’auteur un degré de permanence identitaire, et toute altération de ses propriétés bouleverse les assises narcissiques. « Perdre sa peau, reconnaît Anzieu, c’est perdre les limites du Soi, perdre la cohésion des morceaux qui le constituent, perdre le sentiment d’identité.

176

» 177 Ainsi donc, ramenée sur le terrain de l’enveloppe

psychique et des contours de l’identité du sujet, la dimension corporelle de la finestra est celle qui est le plus susceptible d’être abolie par le travail de la fessura que met au jour le concept d’image-fente. C’est ainsi le corps de l’image, le parergon qui la vêt et la protège, qui s’effrite dans l’image-fente pour estomper ou même dissoudre la bordure, la limite, la protection, la peau de l’image. La chair à vif, l’image est plus apte à entretenir l’illusion de la présence de l’objet dans sa représentation. L’image-fente se présente ainsi comme un trouble, un 175

Jacques Derrida, La vérité en peinture, Paris, Flammarion, 1978, p. 66. Didier Anzieu (cité par Julien Milly), in Les enveloppes psychiques, Paris, Dunod, 1996, p. 4. 177 Julien Milly, Au seuil de l’image, op. cit. p. 53. 176


effritement, une érosion sévère de la finestra qui laisse en elle apparaître sa fessura, qu’on peut ici voir comme la plaie dans laquelle Saint Thomas plonge son index. L’effritement de la dimension corporelle de la finestra amène à faire de l’image cette fente ouverte où le sujet regardant se perd lui-même, perdant l’image comme objet détaché aux contours clairs. Le dispositif produit son sujet ou l’abolit, selon qu’il lui laisse ou non la possibilité d’un reflet, d’une réflexion. La dimension corporelle de la finestra, qui objective ses limites et son cadre, est donc en rapport très étroit avec sa dimension réflexive. Cette dernière est particulièrement à l’œuvre dans les images produites avec l’intention de mettre en évidence leur dispositif. Comme Victor I. Stoichita l’a montré, la métapeinture repose essentiellement sur la mise en jeu des cadres dans le cadre, embrasures, balustrades, tableaux, fenêtres… Chez Krzysztof Kieślowski, cette réflexivité prend appui elle aussi sur le travail de la bordure du cadre de la finestra. Ce point mérite une petite précision car la dimension métacinématographique du Décalogue ne va pas de soi dans la mesure où elle repose surtout sur l’interprétation qu’en fait le spectateur. Le passage de l’image-fente comme dispositif visuel à l’image-fente comme figure métadiscursive n’est envisageable qu’en prenant en compte cette dimension réflexive de la finestra, qui dès son origine se présente comme une réflexion de la peinture elle-même. En établissant cette comparaison dans son De pictura, Alberti donne une identité, ou une identification, au tableau qui peut alors se penser à partir de la formule. Lorsqu’il met en scène l’image-fente comme dispositif visuel, Kieślowski installe le regard d’un personnage autour d’une ouverture fortuite, et met ainsi en évidence l’acte de voir à travers une fente sans que le regard du spectateur et le dispositif cinématographique ne soient directement mis en jeu. Certes, en vertu des enjeux éthiques du polyptyque et en fonction des processus d’identification, le spectateur est amené, devant ces images-fentes comme dispositif, à se pencher sur les enjeux de son propre regard, mais il est important de voir que ce n’est pas la dimension réflexive du cadre de la finestra de l’image du film qui est ici en jeu. La dimension réflexive du dispositif visuel de l’image-fente est donc liée à des éléments extérieurs. En revanche, dans ce que j’ai appelé l’image-fente comme figure métadiscursive, la réflexivité est intrinsèque au traitement du bord ou du cadre de l’image. Si dans la peinture approchée par Victor I. Stoichita, c’est souvent le sur-cadrage qui produit l’efficacité métapicturale du tableau, chez Kieślowski, cette réflexivité porte plus spécifiquement sur des mises en jeu du cadre par son effritement (caméra portée), sa fonte (objets interposés en gros plans qui, apparaissant flous, semblent dissoudre la limite), son élimination (images avec marge), son doublement plus classique (embrasures et ouvertures


étroites). L’autre manière de prendre l’image entière comme objet en travaillant sa fessura est de mettre en jeu la surface de l’image, autre limite plane et étendue qui couvre son champ. Les persiennes et autres griffures de la surface font partie de ces images-fentes dans Le Décalogue, tout comme le regard à la caméra qui la perce, l’abolit et l’objective en même temps. Notons bien sûr que ces différentes façons de mettre en jeu la réflexivité de la finestra se combinent ensemble, et que le passage du dispositif visuel à la figure métadiscursive est une subtilité de construction plus qu’une exacte réalité, surtout quand le dispositif place le spectateur dans la position d’un des personnages en vertu du processus d’ocularisation interne. L’image-fente est ambiguë, en tant que forme visible et que dispositif visuel, elle établit un rapport spécifique entre l’œil du spectateur (repris par un personnage dans le film) et l’objet représenté, rapport qui est vécu en fonction des intentions fictives du personnage qui use du dispositif, mais en tant que figure, désignée comme telle par sa récurrence et son articulation avec le regard du spectateur, elle permet de mettre en lumière, de souligner ou d’exprimer, selon le degré de sensibilité des récepteurs, les enjeux inconscients de ce rapport à l’image. Son ambiguïté réside ainsi dans ce qu’elle est à la fois un trompe-l’œil et un détrompe-l’œil. Elle mord le cadre tout en lui rendant hommage. In fine, c’est à ce niveau que réside la subtilité de la distinction que je propose entre ces deux formes d’image-fente dans Le Décalogue, à l’ocularisation interne correspond l’image-fente comme dispositif visuel (spectateur = personnage) et à l’ocularisation zéro correspond l’image-fente comme figure métadiscursive. Dans un cas l’ « attaque » du cadre de la finestra correspond au désir d’un personnage, ainsi mis en évidence, dans l’autre, il correspond à un supposé désir du spectateur. Ensuite, la dimension architectonique de la finestra est celle qui est mise en jeu dans ce que j’ai développé concernant la Lettre de la finestra. Liée à sa dimension énonciative elle correspond plus précisément à la valeur architecturale du verbe et se trouve particulièrement illustrée dans les Annonciations où l’architecture des lieux sert bien sûr à soutenir la perspective, dont Daniel Arasse a si bien éclairé les enjeux dans son Annonciation italienne, mais aussi, selon moi, à soutenir la présence de la parole, en tant qu’incarnation du verbe, comme venant organiser et structurer le monde. Ainsi, le messianisme du Christ tel que le présentent les Annonciations pourrait bien être celui d’une incarnation du verbe architecte du monde. Derrida souligne d’ailleurs que Kant place la colonne qui entoure le temple au rang des parerga, ce qui tendrait à en faire un équivalent du cadre et ainsi de la finestra. Or,


comme le rappelle Daniel Arasse au sujet de l’Annonciation de Cortone peinte par Fra Angelico178, la colonne est un des grands symboles du Christ, particulièrement dans les Annonciations où elle est souvent placée entre Gabriel et Marie. Mais comme le signalent entre autres, les vers de Charles Baudelaire au début de son sonnet Correspondances, la colonne est en relation intime avec le langage, la parole : « La nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles. » Ce qui rejoint ce que Jean Paris dit de la colonne : « Or la colonne diffère de l’arbre, dont elle est née, comme la culture de la nature. A la prolifération anarchique du végétal, symbole de l’instinct, elle oppose la rigueur géométrique, la discipline de la pensée. Premier des arts, l’architecture trouve en elle un modèle d’Axis mundi, qui soutient le savoir. Ainsi, chez les Celtes, contient-elle l’alphabet inventé par Ogmios, l’Hercule irlandais. »179 Ainsi, la finestra dans sa dimension architectonique, est-elle comme la colonne dans son ensemble architectural, un pilier dont les lignes droites et la solidité ordonnent l’habitat. L’image est elle-même cet habitat pour l’œil, plus qu’un corps, c’est une maison, où l’œil peut se sentir (et se voir) occuper l’espace en tant que corps invisible. La différence, alors, entre le modèle de la finestra et celui de l’image-fente tient à la façon dont l’espace voisin se rend accessible au regard par l’ouverture. La dimension architectonique de la finestra exprime une intention et une séparation importante entre les deux espaces, en tant qu’ouverture façonnée elle porte en elle, dans son hors-champ, au-delà de ses limites, le mur auquel elle est attachée, par ailleurs elle dessine un espace clos où se tiendra l’histoire représentée. N’oublions pas que c’est à partir d’elle qu’elle sera considérée. A l’inverse, l’image-fente s’ouvre sur un espace infini, potentiellement ouvert aux regards. Elle témoigne aussi, par sa dimension informe et sa forme fortuite, d’une absence d’intention particulière. Elle est une ouverture de hasard et son habitat est fissuré. Elle formule ainsi le destin des tables de la Loi, mais aussi de tout temple, de tout cloître, de tout mur, d’être brisé un jour et de laisser s’échapper l’énergie qu’il doit normalement contenir. Passée dans le modèle de l’image-fente, la dimension architectonique de la finestra est amenée à présenter l’image comme un habitat, certes, mais comme un habitat ouvert, fendu, percé, où l’œil a tout loisir de se perdre. C’est ici que se tient le rapport à l’origine mis au jour dans la dernière partie de ce travail. La faiblesse de la dimension architectonique de la finestra est ce qui permet la fusion avec l’image, qui diffère de son habitation albertienne en ce qu’elle ne comporte pas, sur un plan logique, de 178

Daniel Arasse, Le détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Flammarion, (1992), Paris, Flammarion, 1996, p. 22. 179 Jean Paris, L’Annonciation, Paris, Éditions du regard, 1997, p. 45.


sortie, puisqu’il n’y a plus de dedans ni de dehors, ni de seuil, ni de barrière, mais un continuum spatial. Enfin, la dimension éthique de la finestra est la plus importante si l’on considère l’enjeu de ce travail qui était de comprendre et de mettre en lumière le processus de dissolution du cadre sous l’effet de l’affection de la finestra par la fessura qui depuis le début la hante et tend à lui faire perdre certaines de ces autres dimensions. La dimension éthique de la finestra albertienne réside, comme nous l’avons déjà vu, dans sa fonction de sélection et de coupure susceptible d’instaurer une séparation entre le sujet de l’énonciation visuelle (producteur et récepteur) et le monde représentationnel issu de son énonciation. Le cadre, par son opération de cadrage témoigne d’un choix subjectif, arrimé à un goût particulier, qui propose un équilibre entre la pulsion scopique qui lui donne l’énergie qui lui est nécessaire et sa contention, sa mise en jeu sociale, et pourquoi pas sa sublimation. La dimension éthique de la finestra est ainsi liée à sa dimension énonciative, à sa dimension réflexive et à sa dimension architectonique, c’est-à-dire, comme je l’ai montré à l’occasion d’une étude des rapports entre la Lettre et le cadre à la fin de la seconde partie de ce travail, à sa dimension de signifiant coupé de son signifié par l’opération de signification qui se distingue dans la terminologie de Jean-François Lyotard de la désignation, à laquelle correspondrait plutôt la vue directe, le côté déictique du cadre et l’indicialité photographique. La dimension phatique, et d’une certaine manière sa dimension corporelle, qui lui donne le statut d’objet enveloppant, accueillant pour l’œil, sont les deux dimensions qui seront susceptibles d’être amplifiées dans l’image-fente. L’image-fente pouvant se définir comme une image-corps ouverte, l’ouverture béante du corps écorché, blessé, suintant. Si la finestra est un modèle éthique de mise en jeu d’un visible pour le plaisir de l’œil, un plaisir apollinien, c’est que quatre de ses dimensions sont au service de la séparation, de la signification, de la contention et de la verbalisation. L’oralité et la tension haptique du regard y sont converties dans une sorte de « rapprocher de distanciation » selon la formule de Maurice Bouvet, dans un double mouvement, un acte invisible, un geste sans corps, un contact sans contact propre à cet acte immobile qu’est l’action de regarder. La finestra albertienne se présente ainsi comme un dompte-regard, un dompte la pulsion du regard, qui à l’aube de l’ère moderne, a fourni un modèle à la subjectivité cartésienne naissant au miroir de la pensée et du doute. Le sujet est celui qui se trouve au sommet de la pyramide visuelle dont le tableau en sa fenêtre coupe l’expansion et forme la base. Le tableau le place, l’ordonne et lui offre une double relation.


Relation d’objet avec l’image comme corps enveloppant l’objet représenté et relation avec l’autre, relation intersubjective avec celui qui a fait l’image. Comme avec la finestra le sujet imageant se trouve au lieu même du sujet regardant, le premier offre au second un « je » ouvert qui va lui permettre d’expérimenter une subjectivité alter et même un ego alter qui est selon Murielle Gagnebin le véritable sujet de l’œuvre – ici de l’image – dans la mesure où elle n’appartient pas à son auteur, mais à ce qui en lui s’est peut-être déjà donné à elle, la constitue, lui offre sa matière qui est comme le dit Bachelard, « l’inconscient de la forme ». Toute la question de la dimension éthique de la finestra repose sur l’usage qui sera fait de cette dualité à l’origine de l’image. Va-t-elle servir à noyer le spectateur dans un Moi visualisé, étouffant et sans distance, univoque ? Va-t-elle au contraire laisser sa place à l’Autre du sujet imageant qu’est le spectateur. Dans ce jeu éthique, l’image-fente peut être un piège à regard si elle est utilisée comme simple dispositif visuel favorisant uniquement l’illusion de la présence réelle de l’objet dans sa représentation, mettant en scène de manière réaliste, voire naturaliste ou documentaire, la « continuité de matière entre les choses et les images ». Mais elle peut aussi devenir une source de liberté pour le spectateur, lorsqu’elle devient elle-même une figure du désir qui le pousse à voir l’image, lorsqu’elle laisse de la place à la distanciation dans le rapprocher que la fessura induit forcément. C’est la mise en jeu du dispositif par un maintien de la dimension réflexive de la finestra dans sa transformation en image-fente qui va permettre à ce dispositif de produire son sujet. Ainsi, les six dimensions de la finestra, tirées initialement de l’interprétation de l’ouverture du champ pictural moderne par Alberti en 1435, se retrouvent-elles travaillées par l’évolution du modèle de la finestra vers celui de l’image-fente, nom que j’ai donné ici au concept heuristique qui me semble susceptible de rendre compte d’une évolution fondamentale des arts de l’image cadrée depuis la Renaissance. Exagération de la dimension phatique qui devient, en tant qu’ouverture la première caractéristique de l’image-fente, et lui donne sa structure, l’image-fente étant d’abord une ouverture, une béance du visible au cœur de l’invisible. Puis dissolution de sa dimension énonciative dans une impression de présence fortuite, de déchirure du hasard, Cette disparition de l’intention énonciative dissout aussi la dimension éthique, la dimension architectonique et la dimension réflexive, la dimension corporelle s’effrite alors aussi pour ne laisser d’elle que sa surface, une surface sans contours, un champ ouvert sans limites, une peau trouée.


Une peau trouée sans limites fixes, flasque et attirant la bouche et la main, et par laquelle une continuité matérielle entre les deux espaces s’est établie, voilà à quoi ressemble in fine l’image-fente qui est une émanation de la finestra, elle vient de son sein180 et elle amène au sein. Tout comme Freud a bien montré dans son analyse du Moïse de Michel-Ange, que son bonheur contemplatif venait de la perception qu’il avait de la contention et du renoncement à sa pulsion colérique, à partir des doigts que Moïse enfonce dans sa barbe et de l’inclinaison des tables sous son bras, c’est dans l’usage des images, cet équilibre qu’offre l’ordre du cadrage avec le plaisir de voir, de boire et de toucher l’objet dans l’image, qui procure peutêtre au spectateur ce plaisir si particulier que des siècles d’expérience des images, dans un contexte que les théologiens chrétiens ont doté d’un iconoclasme iconophile, ont rendu très courant. Au fond, les images sont ces terrains de jeu pour l’œil où le sujet peut apprendre à se départir de son amour de la totalité dans l’apprentissage d’une oscillation qui est en ellemême la racine de l’éthique. Voir et donner à voir, c’est jouer avec l’absence devenue présence par sa monstration même, c’est renoncer à tout posséder, c’est accepter qu’une part nous échappe, c’est aussi renoncer à tout perdre, c’est renoncer à la fusion sans perdre son goût. C’est sur le corps même de son objet que l’idolâtrie peut se défaire, par le jeu du cadre et de la Lettre, par la prise de parole devant l’image… Cette question sur le cadre posée à l’œuvre de Krzysztof Kieślowski, à partir du jeu autour du guichet dans Le Décalogue 6 et à d’autres images par la suite, et il en existe de nombreuses autres qui nous parlent de notre désir pour elles, Le Décalogue y a apporté de nombreuses réponses théoriques formulées dans ses images mêmes. Construit sur l’interrogation majeure que porte le second commandement de la loi mosaïque ; Qu’est-ce que voir ? Qu’est-ce que donner à voir ? Il nous a montré en quoi « voir est une danse », selon la formule de Jean-François Lyotard posée en épigraphe, une danse de l’œil au bord de l’image. Il constitue en cela une véritable théorie visuelle de l’image filmique et du regard humain.

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Terme qui est ici aussi allemand que français.


ANNEXES


ANNEXE 1 (Apostille) ARTICLE SUR MONDOVINO DE JONATHAN NOSSITER

Le goût du sujet dans Mondovino ; une éthique du cadrage dans un autre décalogue181 (Voir extrait 20)

Figure 304 et 305 : Mondovino (film)182 Lodovico Antinori et Rosa qui s’efface du champ

(01 :42 :51 et 01 :42 :54) (Extrait 20) Lodovico Antinori et Rosa réintégrée au champ (même plan)

Soit un grand projet de film documentaire sur le vin183 - un long-métrage et une série de dix films – en train de se faire dans le salon du marquis Lodovico Antinori, fondateur et ancien propriétaire du célèbre domaine Ornellaia en Itzhak. Rosa, sa domestique, entre dans le champ pour lui remettre un mot, elle s’aperçoit de la présence de Jonathan Nossiter, le réalisateur, et de sa caméra, instinctivement, elle sort du champ et se met sur le côté (figure 304). Elle ne fait pas partie du film, sa présence n’est pas attendue, elle a l’impression, sur le coup, d’être une intruse dans l’espace filmé. Le filmeur effectue alors un zoom arrière 181

Version légèrement amendée de l’article suivant : Olivier Beuvelet, « Le goût du sujet dans Mondovino, une éthique du cadrage » in Psychoanalytische perspectieven n°29, Cliniques de la création, Gand, 2011, p. 395-419. 182 J’ai précisé « Mondovino (film) » lorsqu’il s’agit de photogrammes tirés du long-métrage, les références au polyptyque précise le numéro de l’épisode à la suite du titre. 183 Mondovino (2004) est un film réalisé par Jonathan Nossiter, réalisateur d’origine américaine, polyglotte et sommelier. Il porte sur les effets de la mondialisation dans le monde du vin, tourné sur trois continents (Amérique du Nord, Amérique du Sud et Europe) et sur environ quatre années. Ce tournage de longue haleine a donné naissance à un long-métrage documentaire de 132 minutes sélectionné en compétition officielle au festival de Cannes en 2004, ainsi qu’à une série de dix films d’une cinquantaine de minutes chacun, sortis en DVD et dont les titres ont tous un rapport avec l’univers de la bande dessinée de Gosciny, Astérix et Obélix, qui met en scène la domination de l’empire romain et la résistance supposée d’un petit village d’irréductibles Gaulois attachés à leur terroir et à leurs traditions.( Episode 1 : « Où est Astérix ? » / Episode 2 : « La potion magique » / Episode 3 : « Rome ne s’est pas faite en un jour » / Episode 4 : « Pax Panoramix » / Episode 5 : « La via Appia » / Episode 6 : « Quo Vadis ? » (Où allons-nous ?) / Episode 7 : « Tous les chemins mènent à Rome » / Episode 8 : « Franchir le Rubicon » / Episode 9 : « Et tu brute » / Episode 10 / « Veni, vidi, vendidi » (je suis venu, j’ai vu, j’ai vendu).


suffisant pour la réintégrer dans l’image (figure 305), il change son cadre pour elle, dans un geste spontané qui paraît aussi naturel et automatique que de tendre la main pour tenir la porte à un passant. Elle en semble gênée et regarde vers la caméra, se demandant ce qu’on attend d’elle. Manifestement le réalisateur n’attend rien, il est simplement soucieux de la garder dans le champ, elle a droit à la visibilité. Habituée à un ordre hiérarchique qui l’exclut du champ de la représentation, c’est-àdire du pouvoir, Rosa s’est retirée. Soucieux de montrer ces rapports de pouvoir qui sont l’un des enjeux du film et respectueux de l’autre qu’il embrasse dans son cadrage, Jonathan Nossiter a instinctivement fait reculer son cadre pour ne pas maintenir Rosa dans son invisibilité fonctionnelle de domestique et marquer par ce geste une égalité humaine. Il s’adressera à plusieurs reprises aux employés, chauffeurs et autres travailleurs dans son film, lorsqu’il les rencontrera. Voici donc un geste de cadrage peu réfléchi mais profondément motivé par une ligne éthique inscrite à même les mouvements du cadre et du corps du filmeur, de par la place qu’il accorde à l’autre dans le champ et la manière dont il induit un comportement et non un discours. Ce petit geste spontané expose soudain aux yeux du spectateur, la dimension éthique que peut prendre un cadrage. Mondovino nous offre un très bon exemple de la dimension éthique que peut prendre le cadrage au cinéma, comme lieu d’inscription du corps et de l’ethos du sujet énonciateur, mais aussi dans sa dimension dialectique et dans sa dimension réflexive. Il s’agit en effet d’un film dont les conditions de tournage, matériellement légères et très simples, sont souvent présentes à l’image – à tel point qu’on pourrait dire que c’est un film qui met en scène son tournage – et parce qu’il nous montre dans ses intempestifs mouvements de caméra, dans ses errements sur la surface visible des choses, comment le cadrage opère sur la réalité qu’il saisit et comment il énonce son image filmique. A de nombreuses reprises, nous voyons ainsi une image instable et fugace (fessura) trouver son cadre et prendre sens sous nos yeux (finestra), par la réunion, ou la sélection, des éléments qu’il distingue, c’est-à-dire par la formulation souveraine d’un propos énoncé par le filmeur à l’aide de son cadre. Mondovino est un film de rencontres et de voyages, d’une complète liberté formelle et esthétique, s’appuyant sur une approche intime des personnes qui sont rencontrées bien plus qu’interviewées, approche aimante, on pourrait dire ainsi que c’est un film d’amateur184 (et 184

Bien que réalisé par un réalisateur reconnu, primé au festival de Sundance en 1997 pour son film Sunday et auteur d’un long-métrage de fiction audacieux avec Charlotte Rampling et Stellan Skarsgard sélectionné à Berlin en 2000, Signs and Wonders, Mondovino (sélectionné en compétition officielle à Cannes) a été parfois associé,


non un film amateur), au sens noble de celui qui aime, qui fait profession d’aimer et n’a d’autre motivation dans sa démarche. Approche pour laquelle la présence de la caméra à l’image n’est pas un sujet tabou. Mondovino se présente comme un film empirique, tissé de découvertes et de conversations parfois imprévues et monté en fonction de la réflexion du réalisateur, qui enjambe les lieux et les moments pour se développer sur une ligne indépendante de la chronologie de l’enquête et de la succession des rencontres. A travers une observation précise des usages qui sont faits du cadre dans ce film, je vais essayer de relever les figures d’une éthique du cadrage, éthique du cadrage dont le principe essentiel est l’éveil de la conscience du spectateur sur le dispositif d’énonciation du film, à l’aide d’un travail réflexif qui détrompe l’œil au sein même d’une image qui lui fait croire à sa présence dans l’espace représenté. La posture éthique de Jonathan Nossiter dans ce film est de ne pas s’effacer, pour prétendre à une illusoire neutralité ou objectivité documentaire, sans pour autant occuper tout l’espace et tout en laissant une place à l’autre qui prend différentes figures dans le film, et qui s’incarne notamment dans un goût standard à vocation universelle qu’il repère comme étant en voie de s’imposer dans le monde du vin au détriment des goûts particuliers qui s’attachent à chaque terroir. Tourné avec une équipe composée d’amis proches qui partagent son amour du vin, réduite à sa plus simple expression, un cadreur, un preneur de son et un sujet énonciateur qui dialogue avec les personnes interviewées (Jonathan Nossiter ou plus rarement Juan Pittaluga, ou encore Stéphanie Pommez) parfois confondu avec le cadreur, parfois en « troisième homme » dans le champ, auprès des personnes rencontrées, le film témoigne d’une spontanéité de filmage qui n’a pas été gommée au cours du montage, comme il est souvent coutume de le faire dans les documentaires où l’on efface les flous, les moments perdus à rechercher un angle, les maladresses, les lapsus, bref, les accidents qui trahissent l’existence d’un hors-champ non cinématographique à côté du film qui est censé pouvoir tout montrer de son sujet. Ce point est essentiel pour comprendre l’atmosphère très intime du film et la manière dont les sujets s’expriment assez librement. Toute l’équipe de tournage participait aux rencontres, il n’y avait pas de technicien « extérieur » au propos. Le réalisateur a tenu à approcher les personnes rencontrées en tant qu’amateur de vin, avec des amis présents dans la relation, dans un climat de confiance favorable aux échanges. Il dit d’ailleurs au sujet de ce principe : « Principe important, je pense, qui donne une vie humaine et intérieure aux gestes et par ignorance ou incompréhension de ses choix éthiques et esthétiques, à un film « amateur ». S’il s’affirme bien comme le film d’un amateur, celui qui aime, parce qu’il s’appuie beaucoup sur l’expérience de sommelier et l’amour du vin de Jonathan Nossiter, il est avant tout une œuvre d’art audacieuse et engagée qui échappe aux distinctions économiques classiques entre « professionnel » et « amateur ».


aux regards...l’exigence d’être accompagné par des amis intimes et non pas par des techniciens...à la recherche d’un regard du sujet sur nous fort différent de celui qui accueille/refuse l’arrivée de regards « pros ». Stéphanie était photographe anthropologique (plutôt débutante) et Juan était en train de se reconvertir d’écrivain qui gagnait sa vie à la Banque de Développement Interaméricaine en cinéaste. Mais « l’esthétique » du cadrage est toujours ancrée dans une mise en scène (des deux côtés de la caméra) simplement humaine. »185 On trouve un bel exemple de la manière dont l’équipe et le film en train de se faire pouvaient être intégrés dans le flux de la vie courante, quand, dans le second épisode de la Série186, Etienne de Montille harangue ses vendangeurs et finit par leur lancer « Et c’est pas du cinéma ! » alors que sa colère et son discours sont doublement du cinéma, justement, parce qu’il les théâtralise pour leur donner un certain impact (contrairement à ce qu’il dit) et parce qu’ils sont filmés. Il cherche à annuler la présence du filmeur en le dénonçant indirectement, en essayant de créer un espace non cinématographique au sein même du film, un espace qui serait, on le comprend ainsi, plus authentique parce que moins spectaculaire. Le « non cinématographique » invoqué par le vigneron est ici la vie telle qu’elle est vécue quand la caméra n’est pas là, or l’idéal même du documentaire, ce qui fonde en tout cas son aspect documentaire, c’est de montrer la vie telle qu’elle est vécue quand la caméra n’est pas là, de faire comme si la caméra n’était pas l’instrument d’une instance énonciatrice productrice de l’image mais un simple appareil (invisible) d’enregistrement du réel – d’un réel non apprêté pour elle. En laissant cette remarque comme un clin d’œil fait par Etienne de Montille à la caméra, Jonathan Nossiter laisse apparaître l’origine de l’image, la caméra (dans la métonymie du « cinéma »), l’instrument de l’énonciation visuelle du film. Il laisse naître l’idée que le film est jeu, spectacle, cinéma ! Ainsi, l’opération de cadrage elle-même se présente comme une opération cinématographique qui altère le réel en l’énonçant visuellement à partir de la surface visible de sa réalité matérielle. On peut aussi citer ce moment singulier de l’épisode 4 où, alors que le réalisateur dialogue avec Aubert de Villaine dans ses vignes, Stéphanie Pommez s’apercevant qu’une mouche s’est posée sur l’objectif de sa caméra, la retourne vers elle, oubliant son cadrage et le film, et regarde ainsi la caméra elle-même, attirant par la même occasion le regard de

185 186

Jonathan Nossiter, 9 juillet 2011, correspondance par e-mail. Cette séquence est aussi reprise dans le long-métrage.


Jonathan Nossiter qui se tourne à son tour, inquiet, vers l’appareil, alors qu’Aubert de Villaine est toujours concentré sur son propos.

Figure 306 : Mondovino 4 (22 :44) Stéphanie Pommez, Jonathan Nossiter, Aubert de Villaine

Ce qui est intéressant dans ce plan conservé dans la série, c’est qu’il ne s’agit pas réellement de ce que l’on entend généralement par l’expression de regard à la caméra qui correspond à un moment où le personnage apostrophe le spectateur de son regard, à travers la caméra, comme dans le dernier plan des 400 coups de Truffaut ou dans Monika de Bergman. Ici, c’est vraiment la caméra qui est regardée, pour elle-même, sans que cela ne doive volontairement instaurer de relation avec le spectateur. Cependant, il ne s’agit pas non plus d’un regard à la caméra accidentel, grand tabou du cinéma de fiction et dans une moindre mesure du cinéma documentaire, qui trahirait tout d’un coup la présence de l’appareil indépendamment de la volonté du réalisateur. Ce regard à la caméra est volontaire mais ni symbolique ni accidentel, il est naturel, il ne trahit rien, il intègre la caméra à l’espace filmé et il pointe l’origine du film. Le choix de conserver dans le montage final cette remarque ainsi que ce plan où la caméra devient un des objets du film, comme d’autres images qui mettent en évidence la présence de l’équipe de tournage et surtout de la caméra, est un choix éthique dans la mesure où il présente clairement le film comme un dispositif cinématographique et non comme une simple vue de la réalité, en ramenant la caméra à la conscience du spectateur, Nossiter lui rappelle qu’il ne doit pas oublier que son film propose un point de vue subjectif et qu’il n’est pas un simple enregistrement sans sujet. Ainsi, dans Mondovino, la caméra ne se contente pas de bouger sur l’épaule du filmeur, de manière à singer les cahots d’un regard spontané mais désincarné, elle apparaît


comme un personnage dans le film, elle possède un corps mobile qui se montre parfois et se fait sentir, comme le corps propre du filmeur, elle se montre comme l’origine du propos, comme le pinceau qui traçait ce quadrilatère à angles droits qu’Alberti « ouvrait » avant de peindre. Ses mouvements intempestifs, sa quête des signes présents dans le visible qu’elle saisit, et son énergie propre, l’énergie du cadrage comme opération dynamique, comme geste humain produit par un corps doté d’une force et d’une volonté, qui se manifeste comme le timbre singulier d’une voix, comme la graphie particulière d’une écriture, donnent à l’image la consistance d’un énoncé subjectif, lié à un corps vivant invisible. Or le corps du filmeur présent en tant que récepteur de sensations, mais généralement absent aux regards, est justement celui dans lequel le spectateur se trouve enveloppé par la conductivité subjective des points de vue que nous avons observée dans la première partie de ce travail. En le faisant vivre à l’image, en le montrant, en le difractant sur plusieurs personnes (Juan Pittaluga et Stéphanie Pommez) mais aussi en en faisant sentir la présence, on pourrait aussi dire en établissant un point de vue physique, incarné, en relation avec les sujets qu’il rencontre et avec lesquels il dialogue, Jonathan Nossiter expose sa propre médiation et permet ainsi au spectateur de sentir la présence physique du témoin qui authentifie l’événement (principe documentaire) mais aussi de prendre ses distances vis-à-vis de l’illusion d’être lui-même dans le champ de la représentation ou tout au moins devant une image directe, qui serait purement indicielle. En lui rappelant souvent que ce qu’il voit lui est montré par un sujet énonciateur qui lui confie sa présence physique au monde en lui laissant une place de sujet séparé, Jonathan Nossiter produit un point de vue éthique, qui n’abuse pas de la puissance de l’illusion documentaire et de la conduction subjective du cadrage, mais ne cesse de se présenter comme une construction cinématographique, le travail du cadre sur le monde, un exercice de cadrage qui revient à formuler un propos plus qu’à montrer quelque chose. - Le corps du filmeur Le générique du film ainsi que celui de la série précisent que Mondovino a été réalisé, filmé et monté par Jonathan Nossiter, qui se présente ainsi comme le principal énonciateur du film. L’instance qui assume le propos du film est donc le réalisateur qui est le principal opérateur des prises de vue, ainsi que le monteur, il est responsable des cadrages de chaque plan et de leur assemblage, de leur syntaxe, du propos qu’il formule ainsi. Mais le générique précise aussi et on le constate régulièrement à l’image, qu’il a été relayé sur certains lieux de


tournage par Juan Pittaluga, qui tenait une seconde caméra ou interrogeait lui-même les personnes rencontrées, ou encore par Stéphanie Pommez avec qui il partageait parfois la tâche de cadrer187. Le film ayant été tourné sur plusieurs années à l’occasion de déplacements à travers le monde, l’équipe a changé selon les lieux, Jonathan Nossiter restant le fil conducteur et l’énonciateur permanent du film. Le résultat de cette répartition des rôles et de cette interchangeabilité des personnes composant l’équipe de tournage est que le corps de celui que nous considérerons comme le filmeur, Jonathan Nossiter, se dédouble à plusieurs reprises et prend parfois l’aspect de celui de Juan Pittaluga ou de celui de Stéphanie Pommez qu’on aperçoit parfois ou encore celui d’une amie hongroise, de passage à Pau, qui accompagnera le réalisateur lors d’une rencontre et se retrouvera la première à l’image du long-métrage, écoutant Yvonne Hegoburu, propriétaire de 6 hectares de Jurançon près de Pau. La position de recueil des propos et des images des personnes rencontrées, adoptée par le réalisateur, est en effet mise à l’image par la présence récurrente de l’ami présent qui écoute et relance parfois l’échange.

Figure 307 : Mondovino (film) (00 :01 :40) Yvonne Hegoburu et Szuszanna Varkonyi.

Alors que l’amie du réalisateur se tient à droite, sur le seuil latéral de l’image, sans rien dire, à l’écoute de l’interlocutrice, celle-ci s’adresse à elle en regardant la caméra, maniée par Jonathan Nossiter, le dispositif énonciatif du film est ainsi mis en place et s’instaure comme un jeu triangulaire entre trois pôles. La personne rencontrée, l’interviewer et la caméra qui se rend visible, directement comme nous le montrait le plan à la mouche (voir plus haut)

187

Durant le tournage, la caméra était le plus souvent tenue par le réalisateur (60-70 % des plans), secondé par Stéphanie Pommez, son assistante (20-30 %) et, dans une moindre mesure, par Juan Pittaluga (10 %). Indications fournies par Jonathan Nossiter, 8 juillet 2011, correspondance par e-mail.


ou indirectement à travers ses mouvements intempestifs et les regards qui sont adressés au filmeur. Dans un second temps c’est Jonathan Nossiter lui-même qui apparaît, deux minutes et vingt secondes plus tard, dans une rencontre avec Battista et Lina Colombu, propriétaires de 2 hectares à Bosa en Sardaigne… Cette fois-ci, c’est l’interviewer qui parle, avec de larges gestes et une expressivité manifeste, les personnes rencontrées écoutent. Jonathan Nossiter qui vient d’arriver leur explique comment il est parvenu jusqu’à eux, par le biais d’une rencontre fortuite avec leur vin, dans un restaurant local.

Figure 308 : Mondovino (film) (00 :04 :05) Battista et Lina Columbu et Jonathan Nossiter

La présence de l’interviewer sert ici à témoigner de la spontanéité du plan, le réalisateur disant qu’il est arrivé à eux en cinq minutes. Le spectateur est ainsi emmené dans une rencontre de hasard proche de celle du reportage dans laquelle la part d’écriture qui implique un décalage entre le signe et son référent, est limitée au minimum. C’est le plan qui s’écrit sous ses yeux, comme en direct, prenant appui sur une rencontre fortuite. Très expressif, le réalisateur surgit dans le plan comme la caméra surgit sur la terrasse des Columbu, son corps est lié à la présence de la caméra qui n’est pas oubliée mais fait partie de la rencontre. Le corps entrant du réalisateur redouble ainsi l’arrivée de la caméra comme l’ouverture d’un espace de visibilité dans un champ obscur, principe même de la rencontre. Mais la présence du surtitre qui précise l’identité des personnes rencontrées et leur « place » dans le monde du vin, nous ramène à la surface plane de l’image et au travail de montage. Deux temps s’affichent alors à l’écran, celui de l’écriture spontanée du tournage et celui de l’écriture plus réfléchie du montage, qui, ici, annote l’image. La spontanéité du cadrage est ainsi modérée par la coupure de la lettre qui enregistre, après coup, cette rencontre. Une


dialectique de la profondeur et de la planéité de l’image filmique s’établit aussi dans le rapport entre l’instabilité du cadrage et la fixité des surtitres ; l’image bouge, tremble, la caméra est portée à l’épaule, ce qui est tout à fait cohérent avec l’arrivée spontanée sur les lieux, mais les surtitres, eux, restent stables, accrochés à la surface même de l’image, ils restent fixes et font sentir la paroi invisible de l’écran. En somme, ils sont en relation avec le cadre fixe de l’écran qui limite une surface plane quand le cadre instable de l’image tremble et délimite une « fenêtre ouverte ». Cette dialectique de la stabilité et de l’instabilité du cadre confère une double dimension à l’image qui permet au spectateur de jouer avec d’une part l’illusion de sa présence dans le champ de la représentation (le tremblement) et d’autre part la conscience de la distance (les lettres stables qui forment un cadre interne). Le dédoublement entre le corps du cinéaste et sa place comme sujet énonciateur du plan apparaît lui aussi dans cette double position qu’il occupe, à la fois responsable du cadrage et du montage, donc de l’écriture qui se trouve sur l’image, il est aussi dans l’image comme interviewer, sujet énonçant le récit de la genèse de l’image (comment ils sont arrivés là) depuis l’intérieur même de l’image. Son corps dans le plan devient ainsi le relais de son propos, il est l’instance énonciatrice du propos du film. Les plans montrant ainsi Jonathan Nossiter à l’image seront assez nombreux dans le film comme dans la série et viendront régulièrement alterner avec des plans où il s’adresse directement aux personnes rencontrées depuis l’arrière de l’image, superposant alors les fonctions de filmeur et d’interviewer. Échantillon des nombreuses apparitions de Jonathan Nossiter à l’image en tant qu’interviewer (photogrammes issus de Mondovino 2 (série) où il apparaît souvent : (309)

(310)


(311)

(312) Figures 309 à 312 : Mondovino 2 309 : J. Nossiter et Hubert de Montille (04 :57) 310 : J. Nossiter et Alix de Montille (16 :00) 311 : J. Nossiter et Etienne de Montille (24 :54) 312 : J. Nossiter et Peter Hall (53 :25)

A la présence directe et franche du filmeur dans le champ de l’image dont il assume l’énonciation, viennent s’ajouter d’autres formes de sa présence dans le film ; son intervention directe avec la personne rencontrée, à travers la voix, parfois légèrement sur un côté de l’image, nous indiquant par là qu’il ne filme pas lui-même et se place en biais, en un troisième pôle qui reste cependant invisible (figure 313) parfois de manière frontale, en interviewant la personne rencontrée tout en la filmant (figure 314), ce qui accentue l’aspect duel et frontal de la relation puisque les deux pôles du filmeur et de l’interviewer sont fondus en un seul. Nous sommes ici dans le cœur même du principe de réalisation du film qui tend à s’identifier au travail d’une seule personne, le filmeur, allant à la rencontre des êtres et des objets, muni d’une caméra. Ces interactions directes avec autrui s’adjoignent parfois à l’apparition d’une main dans le champ, allant vers celle de la personne rencontrée pour la saluer. Ces apparitions de la main libre du filmeur sont à la fois l’expression de son désir de contact et de saisie et la preuve de l’authenticité documentaire de la prise de vue, puisque la poignée de main témoigne de la spontanéité de la rencontre. La rencontre est ainsi vue et signifiée et le corps du filmeur est montré comme étant bien présent dans l’espace filmé, partageant le même espace et la même réalité que la personne rencontrée. La poignée de main conservée dans le film ne se contente pas de manifester visuellement la présence du filmeur dans le film, elle permet aussi d’attester physiquement la dimension documentaire de l’image, à la manière d’un Saint Thomas plongeant sa main dans la plaie du Christ pour croire en sa résurrection ; il y a ici entrée de la main du premier spectateur qu’est le filmeur dans la représentation, dans l’image, comme pour en sentir la matérialité. L’image est ouverte. Elle permet aussi de mettre en jeu le corps du filmeur comme vecteur de sensations, sa présence au monde en face des personnes rencontrées n’est pas sans un contact du corps et par là même sans un certain plaisir, ou tout au moins sans une certaine chaleur humaine. C’est


ainsi que Jonathan Nossiter apparaît dans quelques plans en tant qu’hôte des personnes rencontrées, il n’en est plus un simple témoin ni un interlocuteur, mais semble appartenir à l’événement, il est ainsi à table avec ses « personnages » et partage les plaisirs de la commensalité avec eux, qu’ils soient des amis et partagent son esthétique du vin (figure 317) ou qu’ils ne la partagent pas (figure 318). Echantillon de plans où Jonathan Nossiter apparaît comme filmeur parlant : Voix seule :

Figure 313 : Mondovino 1 (07 :58) Jonathan Nossiter (voix sur la gauche) et Thomas Duroux

Figure 314 : Mondovino 5 (09 :39) Jonathan Nossiter (voix frontale) et Pierre Siri

Main dans le champ :

Figure 315 : Mondovino 2 (54 :03) Vince Spanatto et Jonathan Nossiter (main)

Figure 316 : Mondovino 8 (34 :35) Bona et Vittorio Frescobaldi et Jonathan Nossiter (main)

Intégration de Jonathan Nossiter dans le champ :

Figure 317 : Mondovino 2 (31 :11) Jonathan Nossiter et Etienne de Montille

Figure 318 : Mondovino 10 (06 :30) Arnaldo Etchart et Jonathan Nossiter


On peut ajouter à ces différents degrés de présence du filmeur dans le champ, (interviewer, voix seule, main, ou intégration) les apparitions du troisième membre de l’équipe, Juan Pittaluga, qu’on aperçoit ça et là, sans rôle prédéterminé, simplement par hasard ou pour poser des questions spontanées comme interviewer bis, ou encore aux côtés d’une des personnes rencontrées (figures 319 et 320), il accompagne le filmeur et manifeste régulièrement par sa présence à l’image, la présence de l’équipe autour du filmeur et, en jouant le rôle de l’interviewer de manière occasionnelle, visiblement selon son bon vouloir, il manifeste l’interchangeabilité des corps et la place accordée à l’autre, qui fonde l’éthique du cadrage dans ce film. Ni dans le monde filmé puisqu’il n’est là que pour le cinéma, ni totalement en dehors puisqu’il y intervient réellement, pour porter un fauteuil qu’il faut vraiment déplacer pour des raisons indépendantes du film, ou en passant simplement par hasard dans le champ alors qu’il fait autre chose, il est l’incarnation même du nœud physique, corporel, qui lie l’image du film et le réel qu’il cherche à saisir. C’est en effet la présence du corps du filmeur sur les lieux qui crée le lien indiciel entre image et réalité représentée, bien plus que la supposée transparence du support photographique. En ce sens, la présence naturelle de Juan Pittaluga comme « Homme à tout faire », à la frontière du film (il est membre de l’équipe) et de la vie matérielle (il rend des services réels parfois indépendants du film) est un des éléments constitutifs de l’ouverture de l’image dans le film, montrant avec simplicité que la frontière entre le film et la réalité est poreuse et que loin de n’être qu’un œil invisible transporté dans l’espace filmique mais condamné à lui rester étranger, le spectateur est transféré dans un corps bien réel qui habite pleinement le film. Nous touchons là à la forme la plus aboutie du naturalisme au cinéma, puisqu’elle ne repose pas sur la représentation elle-même, qui restera toujours dans le registre du mimétisme si proche soit-elle de l’aspect naturel du monde, mais parce qu’elle s’appuie sur la médiation d’un corps présent dans l’espace filmique et capable d’interagir avec cet univers. C’est ainsi la précision de la relation physique au monde représenté qui crée l’effet de réel, que l’on soit d’ailleurs sous le régime de crédibilité de la fiction ou sous celui du documentaire. Les multiples échanges périphériques conservés à l’image, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des films, sont des moyens paradoxaux d’authentifier la représentation en en montrant les limites mêmes. De même qu’en matière de récit policier, le témoignage le plus crédible est toujours le moins parfait, parce que ses accidents et ses trous montrent bien qu’il n’y a pas eu d’écriture ni d’invention, ce sont ici les trous, les accidents, les mises en jeu du dispositif filmique qui authentifient les prises de vue.


Sur un plan éthique, les apparitions de Juan Pittaluga nous indiquent que si Jonathan Nossiter est très souvent présent à l’image, s’il est celui qu’on identifie comme le filmeur en tant que responsable principal du propos du film, il sait aussi laisser sa place à l’autre et surtout à la spontanéité et à la subjectivité de l’autre. Et l’on voit ainsi Juan Pittaluga dans une relation triangulaire, interrogeant Hubert de Montille qui s’adresse successivement à l’un et à l’autre de ses interlocuteurs (figures 321 et 322) dans un échange à trois.

Figure 319 : Mondovino (film) (00:01:43) Juan Pittaluga en silhouette (première apparition)

Figure 321 : Mondovino 2 (01 :43) Hubert de Montille et Juan Pittaluga en interviewer

Figure 320 : Mondovino (film) (00:28:39) Juan Pittaluga portant un cabriolet Louis XV

Figure 322 (même plan) : Mondovino 2 (01 :55) Hubert de Montille et Juan Pittaluga en interviewer

- L’élan du zoom A ces figures de la présence corporelle du filmeur et de ses relais s’ajoutent, en tant qu’élans partant du corps et allant vers le monde visible à travers l’expression du cadrage, les mouvements rapides vers des objets, des « zooms » de l’objectif, très nombreux dans le film. Le zoom permet d’exprimer un élan purement visuel, une approche par le regard devenu corps dans l’espace filmique. Le zoom manifeste et imite le mouvement du regard qui vient au contact de l’objet, soit pour l’isoler du reste du champ précédemment embrassé par le cadre, soit pour en faire apparaître la texture physique, la peau vivante. Les zooms sont très souvent adressés aux visages des personnes rencontrées, au moment où elles parlent avec


l’interviewer. Ils vont vers la peau et une partie du visage, un œil ou les deux188, et reviennent ensuite, si bien que c’est le mouvement lui-même qui est l’objet de la représentation, bien plus parfois que l’objet rapproché, il montre un mouvement qui place le sujet regardant dans une position d’intimité proche de celle du baiser, manifestant une sorte d’empathie avec l’autre, quel que soit son propos. Le visage ainsi approché et éloigné, dans un geste de caresse de l’œil, comme lorsque l’on approche sa main d’une joue en signe de pitié ou d’amour, et qu’on sent trembler la peau sous le doigt. Comme le remarque Gilles Deleuze dans L’image-mouvement, le visage en gros plan expose des micro-mouvements des paupières, des narines ou des lèvres, qui laissent affleurer l’affect sous la face et nous mettent devant notre propre responsabilité envers l’autre. « Le visage est cette plaque nerveuse porte-organes qui a sacrifié l’essentiel de sa mobilité globale, et qui recueille ou exprime à l’air libre toutes sortes de petits mouvements locaux que le reste du corps tient d’ordinaire enfouis » 189. Nous sommes ici très proche de l’origine de l’éthique elle-même, telle que la conçoit en tout cas Emmanuel Lévinas dans ce célèbre passage d’Ethique et infini : « La peau du visage est celle qui reste la plus nue, la plus dénuée. La plus nue, bien que d’une nudité décente. La plus dénuée aussi : il y a dans le visage une pauvreté essentielle ; la preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de tuer. »190

Figure 323 : Mondovino 1 (47 :18) Aimé Guibert, visage.

188

Figure 324 : Mondovino 1 (49 :24) Aimé Guibert, gros plan de son œil.

La raison de ces zooms que Jonathan Nossiter appelle zooms à l’œil et qu’il n’apprécie pas, est en fait purement technique, il s’agissait de faire le point sur un œil pour régler la caméra numérique Sony utilisée pour le tournage. C’est Stéphanie Pommez qui a effectué la majorité de ces zooms à l’œil techniques que le réalisateur a voulu supprimer au montage sans pouvoir toujours le faire. Il reste que, bien que sans intention artistique, ces zooms en tant que mouvement vers, s’intègrent au film et peuvent être compris comme des figures de la caresse du cadrage. 189 Gilles Deleuze, L’image mouvement, Paris, Les éditions de minuit, 1983 p. 126. 190 Emmanuel Lévinas, Éthique et infini, Paris, Le livre de poche, 1984 p. 80.


Mais ce gros plan sur le visage expose aussi celui du spectateur qui ne peut observer un visage d’aussi près, dans la réalité, qu’en se tenant dans l’espace intime de son vis-à-vis et en lui offrant donc, réciproquement, son propre visage. Le gros plan expose donc le spectateur car la visagéité du gros plan dont parle Deleuze est bifrons, elle établit une surface réfléchissante qui engage la présence du spectateur dans l’espace filmique. Deleuze reprend ainsi : « Et chaque fois que nous découvrirons en quelque chose ces deux pôles, surface réfléchissante et micro-mouvements intensifs, nous pourrons dire : cette chose a été traitée comme un visage, elle a été « envisagée » ou plutôt « visagéifiée », et à son tour elle nous dévisage, elle nous regarde… même si elle ne correspond pas à un visage. »191 Cette bifrontalité de la visagéité du gros plan est un des éléments essentiels de l’éthique du cadrage dans Mondovino, cette prise en compte de l’autre qu’on a définie comme le fondement de l’éthique du cadrage, se développera dans la mesure où ce cadrage privilégiera, dans la proximité scopique du zoom, la réciprocité sur l’univocité à usage interne du voyeurisme qui suppose une disparition du sujet. Le cadrage est éthique lorsqu’il envisage le regard du spectateur, lorsqu’il lui donne à lire et pas seulement à voir. Plus encore que le mouvement d’appareil (travelling ou panoramique) qui dévoile une partie du hors-champ et orchestre les passages entre le visible et l’invisible et correspond plus à un simple déplacement du cadre qu’à une opération de cadrage, le zoom est l’affirmation de la prééminence du cadrage sur le cadre dans l’esthétique cinématographique. Il manifeste le rôle sélectif du cadrage et met en jeu le regard comme moyen d’investigation et surtout se présente comme une figure de l’émotion du filmeur puisqu’il permet d’isoler une partie du champ et de s’en approcher dans le même mouvement. Le zoom est ainsi la figure d’une motion affective que le spectateur peut facilement comprendre192. Ainsi, dans le premier épisode de la série Mondovino, principalement situé dans le village d’Aniane en Languedoc, nous assistons à un échange entre Juan Pittaluga et un homme en uniforme, filmé en contre-plongée par Jonathan Nossiter qui intervient aussi. Au moment où le policier évoque les problèmes de stationnement, récurrents dans le village, il dit : « ça empire d’année en année, et les pouvoirs politiques qu’ils soient préfectoraux ou nationaux, c’est malheureux, ne font rien à ce niveau-là », le cadrage de Nossiter suit de près son propos et effectue un zoom rapide sur l’écusson cousu sur son épaule, montrant qu’il 191

Gilles Deleuze, L’image mouvement, op. cit. p. 126. Deleuze qualifie le gros plan d’image-affection. Le zoom qui le précède, comme attirance visualisée par la motion vers, peut encore mieux figurer cette affection. Voir les chapitres VI et VII de L’image-mouvement. 192


s’agit d’un policier municipal. Le zoom ici est parfaitement synchronisé avec les paroles du policier et cherche à établir son statut administratif, par le visible, par son étiquette pourraiton dire, au moment même où il évoque les pouvoirs politiques nationaux ou préfectoraux, c’est-à-dire au moment où il s’engage pour dénoncer l’inertie des pouvoirs publics.

Figures 325 à 327 (même plan) : Mondovino 1 (18 :17 / 18 :20 / 18 :21) Zoom sur l’épaule d’un policier municipal d’Aniane

Le zoom suit ici le questionnement du filmeur dont le regard est soudain en quête d’information visuelle ; l’information a son importance car en s’en prenant à ces deux niveaux de décision, il dédouane au passage son employeur ; la mairie d’Aniane. Le cadrage est alors au service de l’enquête et exprime un élan de curiosité intérieur qui se manifeste dans le film, comme une énergie motrice du regard, un appétit de savoir, l’axe du zoom correspond alors à la ligne du regard qu’Alberti appelle « le prince des rayons », celui qui part de l’œil et va le plus directement frapper la surface de l’objet regardé. C’est ainsi l’axe du regard du filmeur que nous fait saisir ce zoom, mais ce geste subjectif d’orientation et d’intensification du regard, que seul le cinéma peut rendre visible – le regard est partout ailleurs un acte invisible – n’est pas un acte à visée égoïste. Tout porte à croire en effet qu’au moment où il le filme, Jonathan Nossiter sait déjà que cet homme est un policier municipal, il comprend donc tout de suite l’exacte portée des propos de l’homme se plaignant des autorités supérieures à celle dont il dépend, mais il effectue ce zoom pour le spectateur à la place duquel il se met, pour faire figurer à l’image, au bon moment, le statut du locuteur. C’est un zoom altruiste. La coïncidence probable entre l’interrogation que soulève cet homme en uniforme qui n’a pas été présenté et qui critique librement les « pouvoirs politiques » et le zoom qui vient établir son statut pour éclairer son propos, renforce l’impression de superposition des regards du filmeur et du spectateur. Le premier est aussi le second. Mais loin d’asservir le regard du spectateur à son propre point de vue, le filmeur se met ici au service de son questionnement, il se met à sa place plus qu’il ne le met à la sienne. Ce petit exemple très précis, pris au milieu d’un nombre important de moments où le cadrage exprime un élan, un appétit de l’œil, est représentatif de la manière dont le cadre vit et palpite à l’image dans ce film. Il est la limite physique du champ que se donne le regard qui


fouille le visible à la recherche de parties à isoler, et le zoom combiné à des glissements intempestifs du cadre sur le champ à la recherche de l’objet pertinent correspond assez précisément au mouvement naturel du regard d’un filmeur universel dans lequel le spectateur est transporté. Sa responsabilité et l’éthique qui guide ses gestes, correspondent à la conscience qu’il a du regard du spectateur qui l’habite et qu’il reste lui-même, selon la démarche d’Alberti et l’expérience de Brunelleschi. Le peintre est spectateur et garant de la représentation. A cette approche haptique du visible par le cadrage qui cherche à saisir le réel, s’ajoute aussi, dans le film et la série, une approche orale, qui, nous l’avons vu avec les gros plans, correspond à un rapprochement du visage du spectateur des objets filmés. En effet, le gros plan n’a d’équivalent dans la réalité vécue par le spectateur que dans les cas de proximité de son visage avec les objets en question, l’œil humain n’étant pas doté d’un objectif lui permettant un zoom sur les objets, c’est en se déplaçant vers l’objet et donc en lui exposant son propre visage (et ses lèvres) que le spectateur peut avoir un point de vue correspondant à celui que lui offre le zoom. Cette proximité de visage à objet met en jeu la bouche, les lèvres, et l’oralité qui caractérise à la fois le travail des témoins qui parlent devant la caméra de leur éthique du vin, et celui du goûteur de vins à qui ils s’adressent, qu’est Jonathan Nossiter, qui boit, avec le spectateur, les propos délicieux et authentiques d’Aubert de Villaine, d’Yvonne Hegoburu, d’Hubert de Montille ou même de Michel Rolland, personnalités du monde du vin dont l’être apparaît vite à l’image comme l’arôme d’un vin. Quelques cadrages allégoriques nous ouvrent ainsi une voie vers une analogie fort intéressante et fort éclairante entre l’art de goûter un vin et celui de « goûter » un être à travers (tra-verre) son visage.

Figure 328 : Mondovino 3 (22 :22) Jonathan Nossiter (nez) et Mrs Staglin

Figure 329 : Mondovino 2 (55 :09) Avec différents goûteurs américains.

L’oralité du regard ainsi mise au jour est rendue visible et compréhensible par un travail de signification opéré par le cadrage. La superposition associative d’éléments (verre-


cadre / vin-visage), réunis et disposés de manière signifiante par le cadrage lui-même, manifestant si clairement le travail de formulation allégorique dont il est le fruit et l’agent193, se présente comme une énonciation consciente et précise du visible à l’aide de la caméra. Cadrer un visage c’est le goûter, le filmeur a une soif de l’autre qu’il transmet à l’autre, le spectateur, qui lui aussi tète, boit, goûte l’image... lever le coude pour goûter un vin est ici mis en relation avec le geste de lever le coude pour cadrer un champ visuel, et un visage en particulier. Mais ce qui compte ici, en matière de rencontres humaines comme de découverte de vins, c’est l’expression du goût, après y avoir porté les lèvres, dans une liberté subjective totale. Nous touchons-là à l’éthique profonde du filmeur dans le film et la série, la défense de la liberté dans l’expression du goût comme fondement du sujet énonciateur, et la défense d’une diversité des goûts liés à la diversité des terroirs et des hommes qui les fouillent, les interrogent, les aiment et en tirent des vins chaque fois différents. Cadrer, c’est goûter et nommer en même temps. Le déplacement allégorique qu’illustre ce plan du visage de Madame Staglin (figure 328) à travers le verre de vin dans lequel Jonathan Nossiter, intégré au plan pour un repas avec ses hôtes, plonge son nez afin d’en saisir les arômes, est caractéristique du passage de la vue au signe dans l’image filmique. C’est ici précisément par le travail du cadrage, qui forge une métaphore visuelle reposant sur l’analogie entre le contenant « verre » et le contenant « cadre » et le contenu « vin » et le contenu « visage » que le film accède à un niveau éthico-poétique (pour reprendre une expression du réalisateur lui-même). Le verre de vin n’est pas loin de jouer ici le rôle que jouent les vases placés au bord de l’ère représentée dans certaines Annonciations analysées par Daniel Arasse, où ils viennent souligner la transparence du support. Alberti l’affirmait à l’aube de la Renaissance lorsqu’il ouvrait le champ théorique de l’expression subjective dans le tableau, il se traçait avant toute chose un cadre « aussi grand qu’il me plaît ». Cette capacité de cadrer selon son goût constitue l’éthique de la peinture et de l’art du cadrage en général, tant il est vrai que c’est le goût du sujet qu’exhale son cadrage (ce qu’il goûte et ce qu’il nous donne à goûter de son être-regard). L’acte initial de cadrage opéré par le sujet de l’œuvre depuis Alberti pourrait ainsi se comprendre comme une incitation à ne pas céder sur son goût, pour paraphraser Lacan.

193

Référence ici au cadrage comme modus operandi (le cadrage) et comme opus operatum (un cadrage).


L’éthique de Jonathan Nossiter se manifeste ici dans un élan scopique teinté d’oralité, mais marqué par une distanciation qui s’inscrit dans l’effet de nomination par le cadre, qui signifie (mise en absence) autant qu’il désigne (monstration). Errant sur la surface visible des choses à la recherche de ce qu’il goûte –le goût étant toujours une formule subjective qui concerne la bouche et ses deux principaux usages ; ingurgiter et parler – d’un signe à formuler dans et par le cadre de l’image, chargé de toute son attention et de toute sa retenue, la caméra de Nossiter exerce sans cesse ce passage de la vue au signe, de l’ordre sensible à l’ordre intellectuel, sans jamais perdre l’un ou l’autre. Un chien vu dans une rue devient un signe par l’opération de son cadrage qui le nomme et la répétition de son motif. Mais loin de n’être qu’une allégorie jouant de la labilité de son signifiant, le chien est une incarnation « énergétique » de la domination de l’homme sur la nature, sujet même du film. Laisser sa part de chose et d’être, sa part de vue, à l’image cadrée tout en faisant un signe, c’est peut-être ce qui unit dans leur travail sur le visible, les cinémas de Kieślowski et de Nossiter. Voilà ce qui constitue la dimension éthique du cadrage dans Mondovino ; son image suppose bien un œil commun au filmeur et au spectateur, mais loin d’être sans corps et invisible, à la recherche de l’illusion, cet œil goûteur, gourmand de saveurs et de signes, se montre et assume son corps présent et visible, comme limite et circonscription des possibilités de mouvements et comme terrain où se joue le travail éthique et poétique de passage de la vue au signe. Finestra et fessura se conjuguent ainsi dans une oscillation qui constitue en ellemême le geste éthique, c’est-à-dire celui qui orchestre le report de jouissance et la coupure symbolique susceptible de contenir l’élan pulsionnel scopique.


ANNEXE 2 FILMOGRAPHIE DE KRZYSZTOF KIEŚLOWSKI194 1966 : Tramway (Tramwaj), Fiction, noir et blanc, 6 min. Film d’étude. 1966 : Le guichet, L’office ou Le bureau (Urząd), Documentaire, noir et blanc, 6 min. Film d’étude 1967 : Concert de vœux (Koncert życzeń), Fiction, noir et blanc, 17 min. 1968 : La Photographie (Zdjęcie), Documentaire, noir et blanc, 32 min. 1969 : De la ville de Łódź (Z miasta Łodzi), Documentaire, noir et blanc, 18 min. 1970 : J’étais soldat (Byłem żołnierzem), Documentaire, noir et blanc, 16 min. 1970 : L’Usine (Fabryka), Documentaire, noir et blanc, 18 min. 1971 : Avant le rallye (Przed rajdem), Documentaire, noir et blanc, 15 min. 1972 : Le Refrain (Refren), Documentaire, noir et blanc, 10 min. 1972 : Entre Wrocław et Zielona Górą (Między Wrocławiem i Zieloną Górą), Documentaire, 11 min. 1972 : Les Principes de sécurité et d’hygiène dans une mine de cuivre (Podstawy bhp w kopalni miedzi), Documentaire, 21 min. 1972 : Les Ouvriers de 71 : rien sur nous sans nous (Robotnicy’71 Nic o nas bez nas), Documentaire, noir et blanc, 47 min. 1972 : Le Maçon (Murarz), Documentaire, couleur, 18 min. 1973 : Passage souterrain (Przejście podziemne), Fiction, noir et blanc, 30 min. 1974 : La Radiographie (Prześwietlenie), Documentaire, noir et blanc, 30 min. 1974 : Premier amour (Pierwsza miłość), Fiction documentaire, couleur, 30 min. 1975 : Curriculum vitae (Życiorys), Fiction documentaire, noir et blanc, 45 min. 1975 : Le Personnel (Itzhak), Fiction, couleur, 72 min. 1976 : L’hôpital (Szpital), Documentaire, noir et blanc, 21 min. 1976 : La Cicatrice (Blizna), Fiction, couleur, 104 min. 1976 : L’Ardoise (Klaps), Fiction, couleur et noir et blanc, 6 min. 1976 : La Paix (Spokój), Fiction, couleur, 44 min. 1977 : Du point de vue du gardien de nuit (Z punktu widzenia nocnego portiera), Documentaire, couleur, 17 min. 1977 : Je ne sais pas (Nie wiem), Documentaire, noir et blanc, 47 min. 1978 : Sept femmes d’âge différent (Siedem kobiet w różnym wieku), Documentaire, noir et blanc, 16 min. 1979 : L’Amateur (Amator), Fiction, couleur, 112 min. 1980 : La Gare (Dworzec), Documentaire, noir et blanc, 14 min. 1980 : Les Têtes parlantes (Gadające głowy), Documentaire, noir et blanc, 16 min. 1981 : Une brève journée de travail (Krótki dzień pracy), Fiction, couleur, 79 min. 194

Cette filmographie n’est pas le fruit d’un travail de recherche particulier, elle n’est présente ici que pour faciliter la navigation et le repérage du lecteur dans l’œuvre de Kieślowski. Il existe des filmographies complètes comportant les équipes techniques et d’autres informations intéressantes dans les livres de Vincent Amiel et d’Annette Insdorf notamment.


1981 : Le Hasard (Przypadek), Fiction, couleur, 122 min. (produit en 1981, interdit jusqu’à sa sortie en 1987). 1985 : Sans fin (Bez końca), Fiction, couleur, 107 min. 1988 : La Semaine de sept jours (Siedem dni w tygodniu), Documentaire, couleur, 18 min. 1988 : Tu ne tueras point (Krótki film o zabijaniu), Fiction, couleur, 85 min. 1988 : Brève histoire d’amour (Krótki film o miłości), Fiction, couleur, 86 min. 1988 : Le Décalogue, cycle de 10 téléfilms, fiction, couleur. Le Décalogue 1 (Dekalog, jeden), 53 min. Le Décalogue 2 (Dekalog, dwa), 57 min. Le Décalogue 3 (Dekalog, trzy), 56 min. Le Décalogue 4 (Dekalog, cztery), 55 min. Le Décalogue 5 (Dekalog, pięć), 57 min. Le Décalogue 6 (Dekalog, sześć), 58 min. Le Décalogue 7 (Dekalog, siedem), 55 min. Le Décalogue 8 (Dekalog, osiem), 55 min. Le Décalogue 9 (Dekalog, dziewięć), 58 min. Le Décalogue 10 (Dekalog, dziesięć), 57 min. 1991 : La Double Vie de Véronique, Fiction, couleur, 98 min. 1993 – 1994 : Trois couleurs : Bleu, Blanc, Rouge 1993 : Trois couleurs ; Bleu, Fiction, couleur, 100 min. 1994 : Trois couleurs ; Blanc, Fiction, couleur, 100 min. 1994 : Trois couleurs ; Rouge, Fiction, couleur, 99 min.


ANNEXE 3 SOURCES VIDEOGRAPHIQUES, NUMERIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES I – SOURCES 1) Films de Krzysztof Kieślowski A) Principaux films de Krzysztof Kieślowski étudiés KIEŚLOWSKI, Krzysztof

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Le Décalogue (Dekalog) (1989) fiction, couleur, VOST, 520 mn, coffret de 4 DVD des dix films accompagnés de compléments, Paris, Editions Montparnasse, 2004, 610 mn. Environ. Brève histoire d’amour (Krótki film o miłości) (1988) fiction, couleur, VOST, 83 mn. DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 129 mn. Tu ne tueras point (Krótki film o zabijaniu) (1988) fiction, couleur, VOST, 81 mn. DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 137 mn. L’amateur (Amator) (1979) fiction, couleur, VOST, 107 mn. DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 170 mn. Premier amour (Pierwsza miłość) (1974) fiction documentaire, couleur, VOST, 52 mn. In Premiers plans, Coffret de 2 DVD de cinq films polonais (fiction et documentaire), Paris, Editions Montparnasse, 2011, 343 mn. - et in Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- Ecole polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Editeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. Le passage souterrain (Przejście podziemne) (1973) fiction, noir et blanc, VOST, 29 mn. In Premiers plans, Coffret de 2 DVD de cinq films polonais (fiction et documentaire), Paris, Editions Montparnasse, 2011, 343 mn. Le guichet (ou L’office ou Le bureau) (Urząd) (1966) documentaire, noir et blanc, VOST, 6 mn. Complément in Le Décalogue, coffret de 4 DVD des dix films accompagnés de compléments, Paris, Editions Montparnasse,


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2004, 610 mn. Environ. - et comme complément in Sans fin, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 165 mn. La double vie de Véronique (1991) fiction, couleur, Version originale française, 98 mn. Coffret de deux DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2005, 274 mn. Trois couleurs ; Rouge, (1994) fiction, couleur, version originale française, 99 mn. DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 198 mn.

B) Autres films de Krzysztof Kieślowski étudiés KIEŚLOWSKI, Krzysztof

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Tramway (Tramwaj) (1966) fiction, noir et blanc, VOST, 6 mn. Complément in Brève histoire d’amour, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 129 mn. Bouquet de chanson (Koncert życzeń) (1967) fiction, noir et blanc, VOST, 17 mn. Complément in La cicatrice, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 170 mn. La photographie (Zdjęcie) (1968) documentaire, noir et blanc, VO, 32 mn. Copie privée provenant de Youtube. Source indisponible actuellement. De la ville de Lodz (Z miasta Łodzi) (1969) documentaire, Noir et blanc, VOST, 18 mn. In Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- Ecole polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Editeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. J’étais soldat (Byłem żołnierzem) (1970) documentaire, noir et blanc, VOST, 16 mn. In Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- Ecole polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Editeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. L’usine, (Fabryka) (1970) documentaire, noir et blanc, VOST, 18 mn. Complément in La double vie de Véronique, coffret de deux DVD du film avec compléments, Paris, MK2,


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2005, 274 mn. Le refrain (Refren) (1972) documentaire, noir et blanc, VOST, 10 mn. In Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- Ecole polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Editeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. Le maçon (Murarz) (1973) documentaire, couleur, VOST, 18 mn. In Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- Ecole polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Editeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. La radiographie (Prześwietlenie) (1974) documentaire, couleur, VOST, 13 mn. In Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- Ecole polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Editeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. Curriculum Vitae (Życiorys) (1975) fiction documentaire, noir et blanc, VOST, 45 mn. In Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- Ecole polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Editeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. Le personnel (Personnel) (1975) fiction, couleur, VOST, 72 mn. In Premiers plans, Coffret de 2 DVD de cinq films polonais (fiction et documentaire), Paris, Editions Montparnasse, 2011, 343 mn. L’hôpital (Szpital) (1976) documentaire, noir et blanc, VOST, 21 mn. In Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- Ecole polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Editeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. - et comme complément in La double vie de Véronique, coffret de deux DVD du film avec


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compléments, Paris, MK2, 2005, 274 mn. La cicatrice (Blizna) (1976) fiction, couleur, VOST, 104 mn. DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 170 mn. L’ardoise (Klaps) (1976) documentaire (rushes), couleur et noir et blanc, VOST, 6 mn. In Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- École polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Éditeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. La paix (Spokój) (1976) fiction, couleur, VOST, 82 mn. In Premiers plans, Coffret de 2 DVD de cinq films polonais (fiction et documentaire), Paris, Editions Montparnasse, 2011, 343 mn. Du point de vue du gardien de nuit (Z punktu widzenia nocnego portiera) (1977) documentaire, couleur, VOST, 17 mn. In Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- Ecole polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Editeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. - et comme complément in Tu ne tueras point, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 137 mn. Je ne sais pas (Nie wiem) (1977) documentaire, noir et blanc, VOST en anglais, 47 mn. Enregistrement à la télévision polonaise. Sept femmes d’âge différent (Siedem kobiet w różnym wieku) (1978) documentaire, noir et blanc, VOST, 16 mn. In Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- Ecole polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Éditeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. La gare (Dworzec) (1980) documentaire, noir et blanc, VOST, 14 mn. Comme complément in La double vie de Véronique, coffret de deux DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2005, 274 mn.


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Les têtes parlantes (Gadające głowy) (1980) documentaire, noir et blanc, VOST, 16 mn. In Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- Ecole polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Éditeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. - et comme complément in L’amateur, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 170 mn. Une brève journée de travail (Krótki dzień pracy) (1981) fiction, couleur, VOST, 73 mn. In Premiers plans, Coffret de 2 DVD de cinq films polonais (fiction et documentaire), Paris, Éditions Montparnasse, 2011, 343 mn. Le hasard (Przypadek) (1981) fiction, couleur, VOST, 114 mn. DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 152 mn. Sans fin (Bez Konca) (1985) fiction, couleur, VOST, 103 mn. DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 165 mn. Bleu, (1993) fiction, couleur, Version originale française, 94 mn. DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 163 mn. Blanc, (1994) fiction, couleur, VOST, 88 mn. DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 156 mn.

C) Coffrets-recueils de films de la période polonaise avec sous-titres français KIEŚLOWSKI, Krzysztof

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Krzysztof Kieślowski, (Polska szkola dokumentu- École polonaise du documentaire), Coffret de 2 DVD de douze des films documentaires du cinéaste, Varsovie, Polskie wydawnictwo audiwizualne – Éditeurs audiovisuel polonais. 2006, 239 mn. Premiers plans, Coffret de 2 DVD de cinq films polonais (fiction et documentaire), Paris, Éditions Montparnasse, 2011, 343 mn.

2) Textes de Krzysztof Kieślowski KIEŚLOWSKI, Krzysztof et PIESIEWICZ, Krzysztof

Dekalog, Varsovie, Kieślowski & Piesiewicz, 1990. Le décalogue, récits, traduit du polonais par Malgorzata Smorag et Beata Canes-Boussard, Paris, Balland, 1991, 334 p.


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KIEŚLOWSKI, Krzysztof

KIEŚLOWSKI, Krzysztof

Przypadek i inne teksty, Cracovie, Znak, 1998. Le hasard et autres textes, traduit du polonais par Margot Carlier, Arles, Actes Sud, 2001, 217 p. O sobie, Krakow, Wydawnictwo Znak (1997) Le cinéma et moi, traduit du polonais par Margot Carlier et Véronique Patte, Lausanne, Les Éditions noir sur blanc, 2006, 347 p. « Les musiciens du dimanche » traduit du polonais par Roman Gren, in Positif n° 400, juin 1994, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / JeanMichel Place, 1997, p. 23 – 25 « Ma vie est tout ce que je possède » paru dans le quotidien Rzicpospolite en automne 1995, traduit du polonais par Aleksandra Krzymyk Brzozowska in Positif n° 423, mai 1996, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 16 -19 « La dramaturgie du réel » Extrait d’un travail pour un diplôme de fin d’études, sous la direction du professeur Jerzy Bossa, département de la mise en scène de l’École de Cinéma de Łodz, 1968. Publié dans Film Na Swiecie n°3-4 (p. 388-389), 1992. Traduit du polonais par Michel Lisowski. Repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 26 – 29.

3) Entretiens écrits avec Krzysztof Kieślowski AMIEL, Vincent et CIMENT, Michel

BERGALA, Alain

BOUZET, Ange-Dominique et WAINTROP Edouard CIMENT, Michel CIMENT, Michel et NIOGRET, Hubert

« La fraternité existe dès que l’on est prêt à écouter l’autre » in Positif n° 403, septembre 1994, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 143 – 151. Entretien avec Krzysztof Kieślowski et Slawomir Idziak à propos de Tu ne tueras point in Les Cahiers du cinéma n° 409, juin 1988. Entretien avec Krzysztof Kieślowski in Libération du 26 octobre 1988. « Ce qui m’intéresse, c’est l’homme » entretien avec Krzysztof Kieślowski in Le Monde du 16 septembre 1989. « Je cherche l’explication de tout » entretien avec Krzysztof Kieślowski in Positif n° 346, décembre 1989, repris par Vincent Amiel in


Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / JeanMichel Place, 1997, p. 93 – 103. CIMENT, Michel et NIOGRET, Hubert « De Weronica à Véronique » Entretien avec Krzysztof Kieślowski in Positif n° 364, juin 1991, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 110 -117. CIMENT, Michel et NIOGRET, Hubert « La liberté est impossible » Entretien avec Krzysztof Kieślowski in Positif n° 391, septembre 1993, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / JeanMichel Place, 1997, p. 124 – 134. COATES, Paul « The inner life is the only thing that interests me » a conversation with Krzysztof Kieślowski, traduit du polonais en anglais par Paul Coates, in Lucid Dreams. The films of Krzysztof Kieślowski, Trowbridge, Flicks books, 1999, p. 160 – 174. DEMEURE, Jacques Première rencontre avec Krzysztof Kieślowski in Positif n° 227, février 1980, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 33 – 41 MEDIONI, Gilles et SIMONNET, « Pourquoi j’arrête le cinéma » entretien avec Dominique Krzysztof Kieślowski in L’express, 1 er septembre 1994. NIOGRET, Hubert « Les coulisses de l’âme » entretien avec Krzysztof Kieślowski in Positif n° 346, décembre 1989, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / JeanMichel Place, 1997, p. 66 – 72. REMY, Vincent et TREMOIS, Claude-Marie « Je doute, je doute toujours » Entretien avec Krzysztof Kieślowski in La passion Kieślowski, Télérama – Hors Série, Paris, 1993 p. 90 – 96


4) Propos filmés de Krzysztof Kieślowski KORENFIELD, Ruben

RABOURDIN, Dominique RABOURDIN, Dominique

RABOURDIN, Dominique Télévision polonaise

WIERZBICKI, Krzysztof

Kieślowski – Dialogue (1991) documentaire, couleur, VOST, 53 mn. Complément in La double vie de Véronique, coffret de deux DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2005, 274 mn. Dialogue autour du Décalogue (1994) documentaire, couleur, VOST, Arte, 26 mn. La leçon de cinéma de Kieślowski (1994) documentaire, couleur, VOST, Arte, 26 mn. Comme complément en trois parties sur les DVD des trois films de la trilogie des Trois couleurs. Kieślowski par Kieślowski (1994) documentaire, couleur, VOST, Arte, 55 mn. 100 pytan do … (100 questions à…) Krzysztof Kieślowski, extrait d’une émission de télévision polonaise, couleur, 13 mn. Complément in Le Décalogue, coffret de 4 DVD des dix films accompagnés de compléments, Paris, Editions Montparnasse, 2004, 610 mn. Environ. I’m so-so … (1995) documentaire, couleur, VOST, 56 mn. DVD, Paris, MK2, 2004, 56 mn.

5) Films réalisés par d’autres cinéastes ALMODOVAR, Pedro

AVIV, Nurith DUMONT, Bruno EISENSTEIN, Sergueï Mikhalovitch

NOSSITER, Jonathan

NOSSITER, Jonathan

Parle avec elle (Habla con ella) (2001) fiction, couleur, VOST, 109 mn. DVD du film avec compléments, Paris, Pathé, 2002, 109 mn. Traduire (2011) documentaire, couleur, VOST, 70 mn. DVD du film, Paris, Éditions Montparnasse, 2011, 70 mn. L’humanité (1999) fiction, couleur, 148 mn. DVD du film, Paris, Arte vidéo, 2000, 160 mn. Environ. La ligne générale (Generalnaïa Linïa ou Staroye i Novoye) (1925) fiction, noir et blanc, Muet sous-titré, 120 mn. DVD du film in Le cuirassé Potemkine / La ligne générale Paris, Edition FSF, 2002, 292 mn. Mondovino, (2004) documentaire, couleur, VOST, 132 mn, DVD du film avec compléments, Paris, TF1 vidéo / Diaphana, 2005, 192 mn environ. Mondovino. La série, documentaire en dix épisodes d’une heure environ, couleurs,


TRUFFAUT, François VARDA, Agnès VOLACH, David

VOST, 540 mn. Coffret de 4 DVD des dix épisodes avec compléments, Paris, TF1 vidéo / Diaphana, 2005, 563 mn. Les quatre cents coups (1959) fiction, noir et blanc, 95 mn. DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2004, 189 mn. Les glaneurs et la glaneuse (2000) documentaire, couleur, 82 mn. DVD du film avec compléments, Paris, Ciné Tamaris, 2002. My father, my Lord (2007) fiction, couleur, VO en hébreux sous-titrée en anglais, DVD du film, Londres, Artificial Eye, 2010, 73 mn.

II – ETUDES 1) Sur Krzysztof Kieślowski et Le Décalogue A) Etudes sur Krzysztof Kieślowski AMIEL, Vincent AMIEL, Vincent (textes réunis par) BEUVELET, Olivier

BEUVELET, Olivier

BEUVELET, Olivier

CAMPAN, Véronique COATES, Paul (Edited by…) COTTIER, Caroline

Kieślowski, Rivages/cinéma, Paris, 1995, 151 p. Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / JeanMichel Place, 1997, 180 p. « Le réel au cinéma ou la rencontre virtuelle…sur le rôle du guichet chez Kieślowski» in Les cahiers de Psychologie clinique n° 35, Bruxelles, De Boeck, 2010. p. 181-198. « L’ombre d’une absence, jalousie et jalousies dans Le Décalogue 9 de Krzysztof Kieślowski » in L’affrontement et ses images, Seyssel, Champ Vallon, 2009, p. 242-260. « La main dans l’image ou l’extrémité du regard amoureux dans Brève histoire d’amour de Kieślowski » in L’art dans tous ses extrêmes, Paris, (L’université des arts) Klincksieck, 2012. p. 55 – 69. Dix brèves histoires d’image, le décalogue de Krzysztof Kieślowski, Paris, (l’œil vivant) Presses de la Sorbonne nouvelle, 1993. 134 p. Lucid dreams. The films of Krzysztof Kieślowski, Trowbridge, Flicks Books, 1999, 234 p. Krzysztof Kieślowski, 1966-1994, du documentaire à la fiction, mémoire en vue du Diplôme d'Études Approfondies (DEA) de Littérature française et comparée, Arts du spectacle Cinéma. Université Montpellier III2002 (http://deaKieślowski.voila.net/)


ESTEVE, Michel (présenté par…)

Kieślowski, in Études cinématographiques n°203/210, Paris, Lettres Modernes, 1994, 177p. INSDORF, Annette Krzysztof Kieślowski. Doubles vies, secondes chances. (Double lives, second chances) (1999) Traduit de l’anglais par Franco Arno, Paris, Cahiers du cinéma/Auteurs, 2001, 189 p. MARTIN, Alain Krzysztof Kieślowski. L’autre regard, Paris, Irenka, 2010, 320 p. MARTIN, Alain Krzysztof Kieślowski. Encore plus loin, Paris, Irenka, 2012, 238 p. REMY, Vincent, TREMOIS, Claude-Marie et La passion Kieślowski, Télérama – Hors Série, MURAT, Pierre Paris, 1993. SZCZEPANSKA, Anna Le lien dans Le Décalogue de Krzysztof Kieślowski, mémoire de maîtrise sous la direction de Malgorzata Smorag-Goldberg, UFR d’Études slaves, Université Paris IV Sorbonne, septembre 2004. (inédit) SZCZEPANSKA, Anna « Les dix commandements, Le Décalogue de Kieślowski », Paris, Cinémaction n° 134, Croyance et sacré au cinéma, mars 2010, Paris, Éditions Corlet, p. 206 – 210. SZLAGOR, Dagmara Le regard sur soi et sur l’autre dans le cinéma de Krzysztof Kieślowski, artiste complet. Thèse de doctorat sous la direction d’ Etienne Ithurria, Université Toulouse-le-Mirail. 2005. ZIZEK, Slavoj

« La théologie matérialiste de Krzysztof Kieślowski » in Lacrimae rerum, essais sur Kieślowski, Hitchcock, Tarkovski, Lynch et quelques autres, traduit de l’anglais par Christine Vivier, Paris, Éditions Amsterdam poches, 2005. p. 9 -147.

B) Articles de presse sur Krzysztof Kieślowski AMIEL, Vincent

AMIEL, Vincent

AMIEL, Vincent

AUDE, Françoise

« Kieślowski et la méfiance du visible » in Positif n° 423, mai 1996, repris in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p.13 – 15. « Image du monde et de l’enfer » in Positif n° 332, octobre 1988, repris in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 41 – 44. « Décalogue, trois. Ma nuit chez Ewa » in Positif n° 351, mai 1990, repris in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 84. « Décalogue, quatre. Ni d’Eve, ni d’Adam » in Positif n° 351, mai 1990, repris par Vincent


BAEQUE de, Antoine BAEQUE de, Antoine CURCHAUD, Olivier

DANEY, Serge DEROBERT, Eric

DEROBERT, Eric

GILI, Jean A.

JEANCOLAS, Jean-Pierre

JOUSSE, Thierry

MAGNY, Joël MAGNY, Joël

MASSON, Alain

MASSON, Alain

MASSON, Alain

Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 81 – 82. « Faut-il entrer dans l’église de Kieślowski ? » in Les cahiers du cinéma n° 429, mars 1990. « Kieślowski, cinéaste inconstant » in Les cahiers du cinéma n° 445, juillet 1991. « Décalogue, neuf. A contre-courant » in Positif n° 351, mai 1990, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 91. « Les journées de Gdansk » in Les cahiers du cinéma n° 314, juillet 1980, p. 13 – 19. « Sans fin. Le fantôme de Solidarnosc » in Positif n° 334, décembre 1988, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 53 -55. « Décalogue, cinq. L’art, le hasard et le stabilo » in Positif n° 351, mai 1990, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 86. « L’amateur. Un pays si sombre et si triste » in Positif n° 334, décembre 1988, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 51 -52. « Décalogue, deux. D’où est tombé le lièvre mort » in Positif n° 351, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p.82 -83. « Krzysztof Kieślowski. Éloge d’un vivisecteur » in Les cahiers du cinéma n° 413, novembre 1988, P. 8 – 13. « Le Décalogue » in Les cahiers du cinéma n° 429, mars 1990, p. 27 – 29. « Tu ne tueras point de Krzysztof Kieślowski, rat crevé dans le ruisseau » in Les cahiers du cinéma n° 409, juin 1988. « Le hasard. Nécessité et variations » in Positif n° 334, décembre 1988, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 55 – 58. « Décalogue, dix. Le sibyllin » in Positif n° 351, mai 1990, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / JeanMichel Place, 1997, p. 92 – 93. « La double vie de Véronique. Subjectivité et singularité » in Positif n° 364, juin 1991, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place,


MASSON, Alain

NIEL, Philippe

PANGON, Gérard, TREMOIS, ClaudeMarie, MURAT, Pierre, PASCAUD, Fabienne, PARANAGUA, Paulo-Antonio

PERNOD, Pascal

PERNOD, Pascal

ROTH, Laurent ROUYER, Philippe

SINEUX, Michel

SINEUX, Michel

STRAUSS, Frédéric TOBIN, Yan

1997, p. 107 -109. « Rouge. La naïveté du manipulateur » in Positif n° 403, septembre 1994, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 136 -139. « Le Décalogue. Dix blasons de morale » in Positif n° 346, décembre 1989, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 76 – 81. Présentation de chaque épisode du Décalogue avec bref commentaire du cinéaste in Télérama n° 2094, 28 février 1990, p. 24 – 28 (Le Décalogue 1 à 5) et Télérama n° 2095, 7 mars 1990, P. 27 – 31 (Le Décalogue 6 à 10). « La cicatrice. Le technocrate et le cinéaste » in Positif n° 227, mars 1980, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 49 – 50. « Brève histoire d’amour. L’amour des personnages » in Positif n° 346, décembre 1989, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 73 - 75. « Décalogue, sept. Perdus pour l’innocence » in Positif n° 351, mai 1990, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 88 -89. « La double vie de Kieślowski » in Les cahiers du cinéma n° 501, avril 1996, p. 6. « Décalogue, six. Voir et être vu » in Positif n° 351, mai 1990, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / JeanMichel Place, 1997, p. 87. « Tu ne tueras point. « Mettre le nez dans son caca » in Positif n° 332, octobre 1988, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 63 – 66. « Décalogue, huit. L’ombre et la lumière » in Positif n° 351, mai 1990, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / Jean-Michel Place, 1997, p. 89 – 90. « Le nom du crime » in Les cahiers du cinéma n° 413, novembre 1988, p. 5 -7. « Décalogue, un. Un ou zéro » in Positif n° 351, mai 1990, repris par Vincent Amiel in Krzysztof Kieślowski, Paris, Positif / JeanMichel Place, 1997, p. 81 – 82.


C) Documentaires et propos filmés sur Krzysztof Kieślowski BINOCHE, Juliette

COULIN, Murielle

COULIN, Murielle

DELPY, Julie

FINKIEL, Emmanuel

HOLLAND, Agneska HOLLAND, Agneska HOLLAND, Agneska

HOLLAND, Agneska

IDZIAK, Slawomir

IDZIAK, Slawomir

INSDORF, Annette

INSDORF, Annette

Entretien filmé, par Serge Toubiana et Philippe Truffaut (2001) couleur, 22 mn. Complément in Trois couleurs : Bleu, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 163 mn. Making Of de Trois couleurs : Rouge (2001) documentaire, 23 mn. Complément in Trois couleurs : Rouge, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 198 mn. Making Of de Trois couleurs : Blanc (2001) documentaire 17 mn. Complément in Trois couleurs : Blanc, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 156 mn. Entretien filmé, par Serge Toubiana et Philippe Truffaut (2001) couleur, 21 mn. Complément in Trois couleurs : Blanc, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 156 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 18 mn. Complément in Brève histoire d’amour DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 129 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 5 mn. Complément in Le hasard, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 152 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 5 mn. Complément in L’amateur, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 170 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 15 mn. Complément in La cicatrice, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 170 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 9 mn. Complément in Tu ne tueras point, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 137 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 6 mn. Complément in La cicatrice, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 170 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 14 mn. Complément in Tu ne tueras point, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 137 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 10 mn. Complément in Le hasard, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 152 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 12 mn.


INSDORF, Annette

INSDORF, Annette

JACOB, Irène

JACOB, Irène

KARMITZ, Marin

KARMITZ, Marin

KARMITZ, Marin

LAGIER, Luc

LIEHM, Antonin

PANGON, Gérard

Complément in L’amateur, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 170 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 5 mn. Complément in Tu ne tueras point, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 137 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 7 mn. Complément in Brève histoire d’amour DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 129 mn. Entretien filmé, par Serge Toubiana et Philippe Truffaut (2001) couleur, 19 mn. Complément in Trois couleurs ; Rouge, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 198 mn. Entretien filmé, (2005) couleur, 17 mn. Complément in La double vie de Véronique, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2005, 274 mn. Témoignage sur Trois couleurs ; Bleu (2001) Propos recueillis par Serge Toubiana et Philippe Truffaut, couleur, 16 mn. Complément in Trois couleurs ; Bleu, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 163 mn. Témoignage sur Trois couleurs ; Blanc, Propos recueillis par Serge Toubiana et Philippe Truffaut (2001) couleur, 6 mn. Complément in Trois couleurs ; Blanc, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 156 mn. Témoignage sur Trois couleurs ; Rouge propos recueillis par Serge Toubiana et Philippe Truffaut (2001) couleur, 11 mn. Complément in Trois couleurs ; Rouge, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 198 mn. 1966 – 1988 : Kieślowski, cinéaste polonais (2005) documentaire, couleur et noir et blanc, VOST, 30 mn. Complément in La double vie de Véronique, coffret de deux DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2005, 274 mn. Autopsie d’un film (2003) documentaire, couleur, 6 mn. Complément in Tu ne tueras point, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 137 mn. Traversée du Décalogue en six thématiques, analyse d’images par Gérard Pangon (2004) documentaire, couleur, 42 mn. Complément


DUTHEIL, Jean-Pierre, PANGON, Gérard

PANGON, Gérard

PANGON, Gérard

PETRYCKI, Jacek SZAPOLOWSKA, Grazyna

SZAPOLOWSKA, Grazyna

WITTA, Jacques

WITTA, Jacques

ZANUSSI, Krzysztof

ZARNECKI, Michal

in Le Décalogue, coffret de 4 DVD des dix films accompagnés de compléments, Paris, Éditions Montparnasse, 2004, 610 mn. environ. De la morale de la loi à la morale de la forme, conversation avec Vincent Amiel (2004) entretien filmé, couleur, 16 mn. Complément in Le Décalogue, coffret de 4 DVD des dix films accompagnés de compléments, Paris, Éditions Montparnasse, 2004, 610 mn. environ. Kieślowski cinéaste (2004) documentaire, couleur, VOST, 10 mn. Complément in Le Décalogue, coffret de 4 DVD des dix films accompagnés de compléments, Paris, Éditions Montparnasse, 2004, 610 mn. Environ. Les larmes de Jadwiga (2011) documentaire, couleur, VOST, 16 mn. Complément in Premiers plans, Coffret de 2 DVD de cinq films polonais (fiction et documentaire), Paris, Éditions Montparnasse, 2011, 343 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 27 mn. Complément in Sans fin, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 165 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 7 mn. Complément in Sans fin, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 165 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 8 mn. Complément in Brève histoire d’amour DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 129 mn. Entretien filmé, par Serge Toubiana et Philippe Truffaut (2001) couleur, 14 mn. Complément in Trois couleurs : Bleu, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 163 mn. Entretien filmé, par Serge Toubiana et Philippe Truffaut (2001) couleur, 15 mn. Complément in Trois couleurs : Rouge, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2001, 198 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 18 mn. Complément in L’amateur, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 170 mn. Entretien filmé (2003) couleur, 20 mn. Complément in La cicatrice, DVD du film avec compléments, Paris, MK2, 2003, 170 mn.


D) Entretiens écrits sur Krzysztof Kieślowski ou Le Décalogue PIESIEWICZ, Krzysztof PIESIEWICZ, Krzysztof

KRALL, Hanna

« Ne pas être à côté de la plaque, à côté de la vie » Entretien avec Claude-Marie Trémois in Télérama Hors-série, Paris, 1993 p. 68 – 73. « Fragments d’un entretien avec Krzysztof Piesiewicz » Entretien avec Anna Szczepanska in Le lien dans Le Décalogue de Krzysztof Kieślowski, mémoire de maîtrise sous la direction de Malgorzata SmoragGoldberg, UFR d’Études slaves, Université Paris IV Sorbonne, septembre 2004. (inédit) « Le hasard et le destin » Entretien avec Margot Carlier in Le hasard et autres textes, traduit du polonais par Margot Carlier, Arles, Actes Sud, 2001, p. 207 – 216.

2) Sur le Cadre ALBERTI, Leon Battista ARASSE, Daniel

BABOU, Igor BEYER, Vera

De pictura, Edition de Thomas Golsenne et Bertrand Prévost, revue par Yves Hersant, (source du savoir), Seuil, Paris . « Fonctions et limites de l’iconographie. Sur le cadre et sa transgression », dans Die Methodik der Bildinterpretation. Les méthodes de l’interprétation de l’image, Wallstein, p. 551-567. « L’absence de cadre comme utopie des réalités virtuelles », article publié le 25 novembre 2003 sur le site de l’ENS-LSH : http://eprints.ens-lsh.fr « Le cadre doré : relique d’une incorporation ? » in Images-re-vues n°3, en ligne : (http://imagesrevues.org/Article_Archive.php?id_article=16)

BONITZER, Pascal BRUNET, François, CHARLIN, Sophie, DOUMET, Christian et al. CAMILLE, Michael CARERI, Giovanni Champs visuels (Revue) CHARBONNIER, Louise COMOLLI, Jean-Louis DERRIDA, Jacques

Décadrages. Peinture et cinéma, Paris, Éditions de l’Etoile / Cahiers du cinéma, 2001, 112 p. Effet de cadre. De la limite en art, Saint Denis (esthétique- Hors cadre) Presses universitaires de Vincennes, Paris, 2003. 171 p. Images dans les marges. Aux limites de l’art médiéval, Paris, (Le temps des images) Gallimard, 1997, 243 p. « L’écart du cadre » in cahiers du musée d’Art moderne n° 17/18, 1986. p. 159 – 167 Penser, cadrer : le projet du cadre, n°12-13, Paris, L’Harmattan, janvier 1999. 256 p. Cadre et regard. Généalogie d’un dispositif, Paris, (Histoire et idées des arts), L’harmattan, 2007, 313 p. Corps et cadre. Cinéma, éthique, politique, Paris, Verdier, 2012, 604 p. « Parergon » in La vérité en peinture, Paris, (Champs),


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GAGNEBIN, Murielle GAGNEBIN, Murielle

GAGNEBIN, Murielle

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GAGNEBIN, Murielle GAGNEBIN, Murielle (sous la direction de) LACAN, Jacques

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TISSERON, Serge TISSERON, Serge

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ANNEXE 4 EXTRAITS PRESENTS SUR LE MONTAGE D’ACCOMPAGNEMENT Les extraits sont présentés dans l’ordre de leur consultation au fil du texte, mais certains peuvent être utilement consultés à plusieurs reprises. Lorsque l’extrait est indiqué en italique et en caractère gras précédé de la recommandation « Voir… », il est à consulter à sa place principale comme illustration directe du propos, lorsqu’il est indiqué sans ces caractéristiques, il est à (re)voir à titre indicatif). Voir sur le DVD le Time Code indiquant le début de chaque extrait.

Extrait 1- Chutes du cadre dans Le Décalogue 8 (trois occurrences) Extrait 2- Énonciation visuelle dans Premier amour, cadrage spontané et montage (deux occurrences) Extrait 3- Lacrimae rerum dans Premier amour (séquences des larmes de Jadzia puis de Romek ; deux occurrences) Extrait 4 - Disparition (de Romek à vélo et du bus de Hanka) dans Le Décalogue 9 (deux occurrences) Extrait 5 - L’ascenseur dans Le Décalogue 9 Extrait 6 - « Cadrer, c’est nommer » dans Le Décalogue 1 Extrait 7 - « Cadrer, c’est nommer » dans My Father, my Lord Extrait 8 - Ocularisations internes dans Le Décalogue 7 et Le Décalogue 9 (trois occurrences) Extrait 9 - Caméra portée dans Le Décalogue 8 (début du film) Extrait 10 - Début du Décalogue 6, le trou dans le guichet Extrait 11 - Prototype de l’image-fente dans Le passage souterrain Extrait 12 - Générique du Décalogue 6 ; le passage du corps Extrait 13 - La séduction de Tomek dans Le Décalogue 6 Extrait 14 - Séquence de L’amant qui rétrécit dans Parle avec elle Extrait 15 - Lactations dans Le Décalogue 6 Extrait 16 - Séquence de l’écrémeuse dans La ligne générale Extrait 17 - Lactation dans Les quatre cents coups Extrait 18 - Incipit de Brève histoire d’amour ; Noli eum tangere Extrait 19 - La caresse dans Brève histoire d’amour Extrait 20 – Le geste éthique du filmeur dans Mondovino NB : Pour des raisons techniques liées à l’utilisation d’extraits de films de formats différents, il peut arriver que les sous-titres n’apparaissent pas entièrement à l’image. Compte tenu de l’enjeu essentiellement visuel de l’usage de ces extraits, j’ai privilégié l’image et adopté le format le plus large.


ANNEXE 5 INDEX DES AUTEURS CITES AGAMBEN, Giorgio (211, 519) ALBERTI, Leon Battista (24, 43, 47, 51, 52, 54, 55, 124, 215, 229, 230, 232, 294, 415) ALMODOVAR, Pedro (447, 448, 456) AMIEL, Vincent (91, 113, 120, 121, 127, 201, 551) AMICHAÏ, Yehuda (255) ARASSE, Daniel (19, 20, 53, 323, 414, 527) AUMONT, Jacques (18, 22, 23, 24, 46, 178) AVIV, Nurith (239, 248, 249, 250, 252, 253, 254, 256, 258, 259) BACHELARD, Gaston (483, 494, 499, 529) BALASZ, Béla (285, 325, 570) BARTHES, Roland (344, 346, 347, 348, 352, 354, 355, 357, 398, 435, 460, 470) BAUDRY, Jean-Louis (158, 207, 209, 449, 473) BAZIN, André (18, 19, 65, 66, 344, 346, 355, 356, 357) BELTING, Hans (358, 359, 362) BENJAMIN, Walter (38, 65, 339, 470) BERGSON, Henri (372, 434) BEUSCART, Jean-Samuel (208) BEYER, Véra (53, 235) BONFAND, Alain (18) BONITZER, Pascal (18, 417) BONNET, Gérard (452, 453, 575) CAMILLE, Michael (323) CAMPAN, Véronique (14, 15, 16, 92, 93, 99, 101, 102, 103, 159, 422) CHARBONNIER, Louise (12, 18, 263, 568) CHRISTIN, Anne-Marie (229, 230) COATES, Paul (100, 103, 106) COMOLLI, Jean-Louis (10, 12, 18) DAMISCH, Hubert (43, 51, 54, 225, 226, 236, 270, 271, 349, 414, 417, 418, 419) DELEUZE, Gilles (68, 432, 545, 546) DERRIDA, Jacques (12, 18, 523, 526) DIDEROT, Denis (29, 68, 83, 307, 427, 428) DIDI-HUBERMAN, Georges (3, 306, 453, 454, 456, 457, 523) DUBOIS, Philippe (345, 347, 352, 365) DUCHAMP, Marcel (122, 355, 357, 449, 450, 451, 456) DUMONT, Bruno (452, 453, 456) EISENSTEIN, Sergueï Mikhaïlovitch (18, 22, 434, 457, 476, 489, 490, 491, 494, 496, 500) ESQUENAZI, Jean-Pierre (20) FONTANA, Lucio (277, 440, 441, 442, 443) FONTCUBERTA, Joan (341) FOUCAULT, Michel (25, 176, 208, 232, 308, 315) FREUD, Sigmund (97, 98, 103, 245, 262, 265, 271, 354, 386, 388, 468, 472, 475, 516, 530) FRIED, Michael (307, 325, 406, 427, 428, 429) GAGNEBIN, Murielle (5, 6, 11, 21, 167, 265, 302, 370, 472, 474, 475, 493, 529) GERNSCHEIM, Helmut (58) GODARD, Jean-Luc (46) GOUX, Jean-Joseph (98, 262)


GUNTHERT, André (58, 59, 349, 353, 355, 356, 465) INSDORF, Annette (89, 90, 264, 355, 551) JOST, François (223, 284) KANT, Emmanuel (10, 523, 526) KRACAUER, Siegfried (123) KRALL, Hanna (108, 114, 116, 117) KRAUSS, Rosalind (344, 346, 350, 352, 355, 356, 357, 360, 434, 450) KRONSTRÖM, Martin (293) LACAN, Jacques (71, 223, 225, 284, 381, 432, 470, 497) LAUFER, Laurie (353) LECOQ, Anne-Marie (54, 234, 236) LEWIN, Bertram D. (472, 473) LIANDRAT-GUIGUES, Suzanne (340, 400) LYOTARD, Jean-François (6, 211, 218, 223, 231, 232, 247, 253, 528, 530) MANNONI, Laurent (21) MARIN, Louis (12, 19, 44, 50, 52) MARTIN, Alain (109, 113, 114, 216, 293, 422) MAURIES, Patrick (291) METZ, Christian (207, 474) MILLY, Julien (306, 310) MITRY, Jean (296) MONDZAIN, Marie-José (11, 252, 435, 456, 517, 520) NIEPCE, Nicéphore (26, 37, 57, 58, 59, 60, 61, 63, 66, 347, 349, 373) NINEY, François (458) NOSSITER, Jonathan (232, 333, 532, 534, 535, 537, 538, 539, 540, 541, 542, 544, 545, 546, 547, 548, 549 550) ODIN, Roger (188, 189) OUAKNIN, Marc-Alain (240, 241, 248) PANGON, Gérard (91, 113) PANOFSKY, Erwin (20, 43) PERRET, Catherine (357) ROUILLE, André (120, 122, 351, 470, 523) SCHAPIRO, Meyer (12, 19, 47, 48, 66, 236, 237, 238) SIGNORILE, Patricia (20) SIMMEL, Georg (12) SOULEZ, Guillaume (40) SOURIAU, Etienne (17) STOICHITA, Victor I. (25, 150, 228, 270, 271, 291, 307, 413, 525) TISSERON, Serge (310, 435, 436, 577) TRUFFAUT, François (443, 476, 487, 495, 500, 501, 536) VARDA, Agnès (225, 515) VILLAIN, Dominique (22) VOLACH, David (241, 243, 244, 246, 247, 248) WAJCMAN, Gérard (12, 18, 24, 25, 47, 50, 54, 58) ZIZEK, Slavoj (16, 99, 10, 101, 102, 107, 125, 126, 141, 142, 147, 382, 439, 454)


ANNEXE 6 TABLE DES FIGURES Certaines figures fonctionnant par paires (champ – contrechamp) ou prises dans un flux d’images (même plan) sont répertoriées sur une même ligne puisque présentées ensemble, côte à côte ou en carré dans le corps du texte. Figure 0 195: Anonyme, Polyptyque allemand du XV ème siècle, Tempera sur panneau de bois (225 cm x 273 cm). Eglise de Gdansk (Au musée des Beaux Arts de Varsovie jusqu’en 1992) Figures 1 et 2 : Le Décalogue 8 (03 :36 et 03 :43) (Extrait 1) Figures 3 et 4 : Le Décalogue 8 (32 :36 et 32 :39) (Extrait 1) Figures 5 et 6 : Le Décalogue 8 (45 :05 et 45 :09) (Extrait 1) Figure 7 : Andrea Mantegna Le calvaire (1457-1459) Bois (76 cm x 96 cm) Paris, Musée du Louvre. détail, bord inférieur. Figure 8 : Andrea Mantegna, Le martyr de Saint Sébastien, (1480-1490) Tempera sur toile (255 cm x140 cm) Paris, Musée du Louvre. détail, angle inférieur droit. Figure 9 : Albrecht Dürer, Le dessinateur au nu couché, gravure, in Instruction sur la manière de mesurer ou Instruction pour la mesure à la règle et au compas (Underweysung der Messung mit dem Zirkel und Richtscheyt), Nuremberg, 1538. Figure 10 : Nicéphore Niépce, Vue du Gras, St Loup de Varennes, 1827 Figure 11 : Louis Lumière La sortie des usines Lumière, Lyon, 1895 Figure 12 : L’amateur (00 :04 :24) Figure 13 : L’amateur (00 :44 :02) La rue filmée par Filip (film dans le film) Figure 14 : L’amateur (00 :37 :02) L’entrée du train en gare filmée par Kieslowski Figure 15 : Le Décalogue 9 (46 :22) Ania (Décalogue 7) vue par Romek. Figure 16 : Le Décalogue 7 (04 :41) Ania (en rouge) vue par Majka. Figure 17 : Tramway (04 :11) Figure 18 : Le Hasard (00 :07 :50) La main de Witek essayant de saisir la rampe du train Figure 19 : Le Personnel (00 :14 :27) Figure 20 : L’amateur (01 :25 :13) Figure 21 : Premier amour (45 :16) (Extrait 3) Lacrimae rerum… Figures 22, 23, 24, 25 : Premier amour (05 :56 à 06 :10) (Extrait 2) Quatre photogrammes tirés d’un même plan. Figures 26, 27 et 28 : Premier amour (06 :24 à 07 :40) (Extrait 2) montage des pensées de Jadzia en plusieurs plans… Figures 29 et 30 : Premier amour (00 :37 et 00 :56) champ / contrechamp avec micro. Figures 31 et 32 : Premier amour (41 :32 et 44 :16) Regard à la caméra de Jadzia et usage intrusif du micro-lance Figure 33 : Le passage souterrain (21 :38) (Extrait 11) Figures 34 et 35 : La gare (08 :28 et 10 :48) Figures 36 et 37 : La gare (10 :55 et 12 :03) Figure 38 : Le Décalogue 9 (37 :34) (Extrait 8, troisième occurrence) 195

p.219 p.30 p.31 p.33 p.42

p.42

p.56 p.57 p.62 p.70 p.73 p.74 p.83 p.84 p.115 p.117 p.118 p.124 p.125 p.129 p.132 p.134 p.134 p.136 p.136 p.137 p.139

La figure 0 correspond au polyptyque médiéval qui a inspiré à Krzysztof Piesiewicz l’idée d’illustrer le décalogue mosaïque avec des histoires puisées dans la vie de ses contemporains. Je l’ai placée dans le corps du texte au moment où elle était mobilisée par le propos, mais cette numérotation lui rend une place initiale dans le processus d’invention du Décalogue.


Figure 39 : Passage souterrain (00 :04) Figure 40 : Le personnel (00 :00 :19) Figure 41 : Le Décalogue 1 (01 :59) Début du film. Figure 42 : Le Décalogue 1 (51 :03) Fin du film. Figures 43 et 44 : Le Décalogue 1 (49 :33 et 49 :53) Figures 45 et 46 : Le Décalogue 2 (08 :50 à 08 :53, même plan) Travelling vertical sur des photographies. Figures 47 et 48 : Le Décalogue 2 (41 :05 et 41 :07) champ / contrechamp. Figure 49 : Le Décalogue 3 (14 :24) Reflet dans une porte vitrée Figures 50 et 51 : Le Décalogue 4 (00 :46 et 00 :50) Deux premiers plans. Figure 52 : Le Décalogue 5 (00 :52) Figures 53 et 54 : Le Décalogue 5 (01 :20 et 01 :23) Figure 55 : Le Décalogue 5 (02 :02) Figures 56 et 57 : Le Décalogue 5 (02 :09 et 02 :17, même plan) Début et fin du plan… Figures 58 et 59 : Le Décalogue 5 (05 :33 et 05 :37) Figures 60 et 61 : Le Décalogue 5 (10 :43 et 11 :32) Figure 62 : Le Décalogue 6 (18 :30) Figures 63, 64 et 65 : Le Décalogue 9 (52 :06 à 52 :13, même plan) Figures 66, 67 et 68 : Le Décalogue 9 (53 :04 à 53 :17, même plan) Figures 69 à 74 : Le Décalogue 9 (04 :36 à 04 :55, même plan) Figures 75 et 76 : Le Décalogue 9 (15 :07 et 15 :19) Figure 77 : Le Décalogue 9 (06 :13) Figure 78 : Le Décalogue 9 (34 :02) Romek est reflété par le miroir de la salle de bain Figures 79 et 80 : Le Décalogue 10 (54 :59 et 55 :34) Figures 81 et 82 : L’amateur (00 :07 :21 et 00 :07 :30) Figures 83 et 84 : L’amateur (00 :09 :12 et 00 :09 :28) Figure 85 : L’amateur (00 :17 :14) Figure 86 : L’amateur (00 :23 :47) Figure 87 : L’amateur (00 :27 :45) Figure 88 : L’amateur (00 :34 :48) Figure 89 : L’amateur (00 :58 :47) Figures 90 et 91 : Le Décalogue 1(25 :43 et 25 :57) champ / contrechamp Figure 92 : Pablo Picasso, Violon, verre, pipe et encrier (1912) Huile sur toile (81 cm x 54 cm) Prague, Galerie Narodni. Figures 93 et 94 : David Volach, My father, my lord (00 :28 :09 et 00 :28 :37) Champ / Contrechamp Figures 95 et 96 : David Volach, My father, my Lord (00 :20 :48 et 00 :22 :21) (95) Menahem tenant une image. (96) Menahem déchirant cette image. Figures 97 et 98 : David Volach, My father, my Lord (00 :39 :51 et 00 :40 :40) (97) Abraham ouvrant la fenêtre. (98) Abraham chassant la mère du nid. Figures 99 et 100 : Nurith Aviv, Traduire (00 :08 :21) (plan a) et (00 :08 :23) (plan b) Figures 101 et 102 : Nurith Aviv, Traduire (00 :02 :11 et 00 :02 :15) Figures 103 et 104 : Nurith Aviv, Traduire (00 :02 :31 et 00 :11 :34) (103) Sandrick Le Maguer. (104) Angel Saenz-Badillos Figures 105 et 106 : Nurith Aviv, Traduire (00 :20 :00 et 00 :35 :57) (105) Yitshok Niborski. (106) Manuel Forcano. Figures 107 et 108 : Nurith Aviv, Traduire (00 :07 :45 et 00 :08 :00) Figures 109 et 110 : Nurith Aviv, Traduire (00 :15 :17 et 00 :15 :25) Figures 111 et 112 : Nurith Aviv, Traduire (00 :39 :51 et 00 :53 :23) Figure 113 : Nurith Aviv, Traduire (00 :36 :46) Figures 114 et 115 : Nurith Aviv, Traduire (Premier et dernier plan) Figures 116 et 117 : Le Décalogue 9 (51 :49 et 23 :08)

p.157 p.157 p.159 p.160 p.161 p.162 p.162 p.166 p.167 p.169 p.169 p.170 p.171 p.172 p.173 p.174 p.180 p.180 p.181 p.182 p.182 p.182 p.184 p.189 p.191 p.193 p.195 p.196 p.198 p.200 p.222 p.238 p.243 p.244 p.247 p.249 p.252 p.253 p.253 p.254 p.254 p.256 p.258 p.259 p.273


Figure 118 : Le Décalogue 2 (21 :15) Figures 119 et 120 : Le Décalogue 4 (11 :57 et 12 :26) Figures 121 et 122 : Le Décalogue 4 (17 :23 à 17 :29, même plan) Figure 123 : Le Décalogue 2 (37 :04) Figure 124 : Le Décalogue 4 (07 :17) Figures 125 et 126 : Le Décalogue 6 (05 :56 et 53 :35) Figures 127 et 128 : Le Décalogue 5 (07 :22 et 07 :25) Figures 129 et 130 : Le Décalogue 7 (04 :39 et 04 :55) champ / contrechamp Figures 131 et 132 : Le Décalogue 9 (10 :53 et 10 :54) champ / contrechamp Figure 133 : Le Décalogue 1 (00 :18) Figure 134 : Le Décalogue 2 (16 :22) Figure 135 : Le Décalogue 4 (12 :13) Figures 136 et 137 : Le Décalogue 6 (06 :42 et 56 :27) Figure 138 : Le Décalogue 6 (24 :33) Figures 139 et 140 : Le Décalogue 9 (40 :08 et 41 :23) (Extrait 8, troisième occurrence) Figure 141 : Le Décalogue 4 (09 :41) Figure 142 : Le Décalogue 9 (31 :08) Figure 143 : Le Décalogue 9 (48 :59) Figure 144 : Le Décalogue 8 (14 :39) Figures 145 et 146 : Le Décalogue 2 (06 :41 et 53 :10) Figure 147 : Le Décalogue 2 (16 :27) Figure 148 : Le Décalogue 7 (12 :27) Figure 149 : Le Décalogue 4 (35 :35) Figure 150 : Le Décalogue 9 (15 :19) Figure 151 : Le Décalogue 4 (37 :33) Figure 152 : Le Décalogue 6 (13 :14) Figure 153 : Le Décalogue 4 (08 :47) Figure 154 : Le Décalogue 2 (08 :19) Figure 155 : Diego Vélasquez, Les Ménines (1656), Huile sur toile (318 cm. x 276 cm), Madrid, Musée du Prado. Détail. Figure 156 : Le Décalogue 2 (08 :11) Figure 157 : Le Décalogue 9 (33 :54) Romek est perçu à travers son reflet dans le miroir. Figure 158 : Le Décalogue 2 (44 :58) Figure 159 : Le Décalogue 10 (40 :56) Figure 160 : Le Décalogue 6 (28 :54) Figure 161 : Le Décalogue 9 (20 :11) Figure 162 : Le Décalogue 10 (34 :38) Figures 163 et 164 : Le Décalogue 7 (10 :07 et 18 :55) Figure 165 : Titien, La Vénus d’Urbino (1538) Huile sur toile (119 cm x 205 cm) Florence, Galerie des Offices. Figure 166 : Le Décalogue 3 (08 :33) Figure 167 : Le Décalogue 4 (27 :34) Figure 168 : Le Décalogue 6 (06 :34) Figure 169 : Le Décalogue 7 (14 :00) Figure 170 : Le Décalogue 2 (13 :17) Figure 171 : Le Décalogue 3 (11 :34) Figure 172 : Le Décalogue 3 (42 :13) Figure 173 : Le Décalogue 9 (14 :15) Figures 174 à 177 : Le Décalogue 8 (de 00 :00 :15 à 00 :01 :08, même plan) (Extrait 9) Figure 178 : Le Caravage, l’incrédulité de Saint Thomas (1601) Huile sur toile (107 cm x 146 cm) Postdam, Palais du Sans Souci. Figures 179 et 180 : Le Décalogue 6 (00 :15 et 00 :20) Figure 181 : Le Décalogue 6 (00 :25) (Extrait 10) Figure 182 : Le Décalogue 6 (18 :29)

p.274 p.277 p.278 p.280 p.280 p.281 p.283 p.286 p.287 p.293 p.296 p.296 p.296 p.296 p.297 p.302 p.303 p.304 p.305 p.308 p.308 p.308 p.309 p.309 p.309 p.309 p.313 p.313 p.314 p.316 p.316 p.319 p.319 p.320 p.321 p.321 p.322 p.323 p.327 p.327 p.327 p.327 p.329 p.329 p.329 p.329 p.334 p.361 p.367 p.370 p.371


Figure 183 : Le Décalogue 6 (56 :27) Figures 184 et 185 : Le guichet (00 :47 et 00 :51) Figure 186 : Le guichet (04 :31) Figure 187 : Refrain (06 :18) Figure 188 : Premier amour (04 :45) Figure 189 : L’hôpital (09 :07) Figure 190 : Le calme (00 :50 :55) Figures 191 et 192 : La gare (03 :45 et 04 :37) Figure 193 : Le hasard (00 :07 :22) Figure 194 : Le Décalogue 5 (02 :43) Figure 195 : Le Décalogue 7 (02 :11) Figure 196 : Le Décalogue 7 (50 :50) Figure 197 : Le Décalogue 5 (02 :43) Figure 198 : Tu ne tueras point (00 :03 :45) Figure 199 : Le passage souterrain (21 :19) – Il regarde… Figures 200, 201 et 202 : Le passage souterrain (21 :22 à 21 :27) … à travers la fente. (Extrait 11) Figure 203 : Brève histoire d’amour (00 :01 :18) Figure 204 : Hans Holbein Le jeune, Les ambassadeurs (1533) Huile sur panneau de chêne (207 cm x 209,5 cm) Londres. National Gallery. Figure 205 : Brève histoire d’amour (00 :52 :19) Figure 206 : La double vie de Véronique (00 :00 :40) Figure 207 : La double vie de Véronique (00 :01 :15) Figure 208 : La double vie de Véronique (00 :05 :51) Figure 209 : La double vie de Véronique (00 :08 :36) Figure 210 : Le Décalogue 5 (17 :13) Figure 211 : Le Décalogue 6 (00 :15) (Extrait 10) Absence de reflets dans le regard de Tomek, plan subjectif. Figure 212 : Le décalogue 6 (00 :25) (Extrait 10) Des reflets dans le regard de Magda, plan semi-subjectif. Figure 213 : Le Décalogue 6 (18 :29) Le passage de l’autre côté, la main dans la fente. Figure 214 et 215 Le Décalogue 6 (17 :39 et 18 :35) (214) Présence de la paroi (reflets) et plan semi-subjectif, éloignement. (215) Reflets et plan subjectif, rapprochement. Figure 216 : Brève histoire d’amour (01 :09 :54) Figure 217 : Le Décalogue 6 (56 :12) Tomek, vu par Magda en plan subjectif à travers le trou, selon un angle qui rappelle le premier plan du film. Figure 218 : Le Décalogue 6 (56 :27) Magda vue par Tomek en plan subjectif, elle a pris sa place Figure 219 et 220 : Le décalogue 6 (01 :07 et 01 :18) (Extrait 12) (219) « Décalogue, six », pluie de verre sur le sol. (220) Entrée en jeu de Tomek… Figure 221 : Le Décalogue 6 (01 :34) (Extrait 12) Figure 222 : Ambrogio Lorenzetti L’annonciation (1344) Détrempe sur bois (122 cm x 177,5 cm) Sienne, Pinacothèque nationale. Figures 223 à 230 (de gauche à droite et de haut en bas) : Le Décalogue 1 (00 :18), Le Décalogue 2 (45 :05), Le Décalogue 3 (27 :24), Le Décalogue 4 (12 :13), Le Décalogue 5 (20 :12), Le Décalogue 6 (29 :12), Le Décalogue 8 (14 :39), Le Décalogue 9 (02 :04) Principales occurrences du personnage-regard (Artur Barcis) dans Le Décalogue. Figures 231 et 232 : Le Décalogue 9 (09 :25 et 31 :03) Figure 233 : Lucio Fontana, Concetto spaziale, attesa, 1960. 100 x 80 cm. Londres, Tate Modern. Figure 234 : Le Décalogue 6 (38 :21) (Extrait 13)

p.371 p.374 p.375 p.376 p.377 p.378 p.379 p.380 p.381 p.383 p.384 p.384 p.388 p.388 p.390 p.390 p.392 p.393 p.394 p.395 p.396 p.397 p.398 p.399 p.401 p.402 p.403

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Figure 235 : Pedro Almodovar, Parle avec elle (01 :04 :42) p.449 Figure 236 : Gustave Courbet, L’origine du monde, 1866, Huile sur toile, (46 cm x 55 cm) Paris, Musée d’Orsay. p.449 Figures 237 et 238 : Marcel Duchamp Etant donnés : 1°) la chute d'eau, 2°) le gaz d'éclairage, (1966) Montage de divers matériaux : vielle porte en bois, briques, velours, bois, cuir tiré sur une trame en métal, branchage, aluminium, fer, verre, plexiglas, linoléum, coton, lampes à gaz, moteur, etc. (242,5 cm x 177,8 cm x124,5 cm) donation Fondation Cassandra, Musée de Philadelphie. p.450 Figures 239 et 240 : Bruno Dumont, L’humanité (00 :05 :06 et 00 :05 :25) p.452 Figures 241 à 244 : Dziga Vertov, L’homme à la caméra (1929) (00 :26 :54), Robert Kramer, Milestones (1975) (03 :07 :34), Denis Gheerbrant, Et la vie (1991) (00 :39 :42) Johan Van Der Keuken, Face value (1991) (01 :54 :03) p.459 Figures 245 et 246 : La Photographie (00 :00 :13 et 00 :02 :30) p.461 Figures 247 et 248 : Le personnel (00 :07 :31 et 00 :07 :51) p.463 Figure 249 : La cicatrice (00 :06 :33) p.464 Figure 250 : Sans fin (00 :19 :37) p.464 Figures 251 et 252 : La double vie de Véronique (00 :13 :58 et 01 :20 :56) p.467 Figures 253 et 254 : Trois couleurs, Rouge (00 :16 :58 et 00 :17 :09) p.468 Figure 255 : Tony Ward, (2009) p.471 Figure 256 : Le Décalogue 6 (15 :43) (Extrait 15) p.476 Figure 257 : Le Décalogue 6 (02 :06) (Extrait 12) p.478 Figures 258 et 259 : Le Décalogue 6 (03 :48 et 03 :52, détail) (Extrait 15) p.478 Figure 260 : Le Décalogue 6 (06 :48) (Extrait 15) p.480 Figures 261 et 262 : Le Décalogue 6 détail (15 :25 et 28 :54 détail) (Extrait 15) p.481 Figure 263 : Le Décalogue 6 (27 :52) p.482 Figure 264 : Le Décalogue 6 (15 :35) (Extrait 15) p.483 Figure 265 : Le Décalogue 1 (06 :47) p.484 Figure 266 : Le Décalogue 2 (07 :21) p.485 Figures 267 à 269 : Le Décalogue 9 (46 :09 à 46 :22) p.485 Figures 270 à 273 : La ligne générale (00 :35 :05 / 00 :35 :10 / 00 :35 :11 / 00 :35 :14) (Extrait 16) p.488 Figures 274 et 275 : La ligne générale (00 :36 :13 et 00 :36 :23) (Extrait 16) p.489 Figures 276 à 281 : La ligne générale (00 :36 :44 / 00 :36 :47 / 00 :36 :56 / 00 :37 :05 / 00 :37 :09 / 00 :37 :18) (Extrait 16) p.491-p.492 Figures 282 et 283 : La ligne générale (00 :38 :28 et 00 :38 :30) (Extrait 16) p.492 Figure 284 : Alonso Cano, La vision de Saint Bernard, (la lactation), (vers 1656-1660) Huile sur toile (267 cm x 185 cm), Musée du Prado, Madrid. p.493 Figures 285 et 286 : La ligne générale (00 :39 :05 et 00 :39 :12) (Extrait 16) p.494 Figure 287 : Les quatre cents coups (00 :38 :53) (Extrait 17) p.495 Figure 288 : Les quatre cents coups (00 :11 :44) p.497 Figure 289 : Les quatre cents coups (01 :35 :10) Dernier plan, arrêt sur image + zoom avant. p.499 Figure 290 : Brève histoire d’amour (00 :00 :20) (Extrait 18) p.502 Figure 291 : Brève histoire d’amour (00 :00 :51) (Extrait 18) p.504 Figure 292 : Brève histoire d’amour (00 :04 :05) (Extrait 18) p.505 Figure 293 : Brève histoire d’amour (00 :12 :40) p.505 Figure 294 : Brève histoire d’amour (00 :50 :03) (Extrait 19) p.506 Figure 295 : Brève histoire d’amour (00 :15 :47) p.507 Figure 296 : Brève histoire d’amour (00 :41 :05) p.507 Figure 297 : Brève histoire d’amour (00 :13 :44) p.508 Figure 298 : Brève histoire d’amour (00 :20 :18) p.510 Figure 299 : Brève histoire d’amour (00 :29 :42) p.511 Figure 300 : Brève histoire d’amour (00 :27 :06) p.512


Figures 301 et 302 : Brève histoire d’amour (01 :01 :24 et 01 :01 :45) Figure 303 : Agnès Varda, Les glaneurs et la glaneuse (00 :44 :02) Figure 304 et 305 : Mondovino (film) (01 :42 :51 et 01 :42 :54) (Extrait 20) (304) Lodovico Antinori et Rosa qui s’efface du champ. (305) Lodovico Antinori et Rosa réintégrée au champ (même plan) Figure 306 : Mondovino 4 (22 :44) Stéphanie Pommez, Jonathan Nossiter, Aubert de Villaine Figure 307 : Mondovino (film) (00 :01 :40) Yvonne Hegoburu et Szuszanna Varkonyi. Figure 308 : Mondovino (film) (00 :04 :05) Battista et Lina Columbu et Jonathan Nossiter. Figure 309 : J. Nossiter et Hubert de Montille (04 :57) Figure 310 : J. Nossiter et Alix de Montille (16 :00) Figure 311 : J. Nossiter et Etienne de Montille (24 :54) Figure 312 : J. Nossiter et Peter Hall (53 :25) Figure 313 : Mondovino 1 (07 :58) Jonathan Nossiter (voix sur la gauche) et Thomas Duroux Figure 314 : Mondovino 5 (09 :39) Jonathan Nossiter (voix frontale) et Pierre Siri Figure 315 : Mondovino 2 (54 :03) Vince Spanatto et Jonathan Nossiter (main) Figure 316 : Mondovino 8 (34 :35) Bona et Vittorio Frescobaldi et Jonathan Nossiter (main) Figure 317 : Mondovino 2 (31 :11) Jonathan Nossiter et Etienne de Montille Figure 318 : Mondovino 10 (06 :30) Arnaldo Etchart et Jonathan Nossiter Figure 319 : Mondovino (film) (00:01:43) Juan Pittaluga en silhouette (première apparition) Figure 320 : Mondovino (film) (00:28:39) Juan Pittaluga portant un cabriolet Louis XV. Figure 321 : Mondovino 2 (01 :43) Hubert de Montille et Juan Pittaluga en interviewer p.544 Figure 322 : Mondovino 2 (01 :55) Hubert de Montille et Juan Pittaluga en interviewer Figure 323 : Mondovino 1 (47 :18) Aimé Guibert, visage. Figure 324 : Mondovino 1 (49 :24) Aimé Guibert, gros plan de son œil. Figures 325 à 327 (même plan) : Mondovino 1 (18 :17 / 18 :20 / 18 :21) Zoom sur l’épaule d’un policier municipal d’Aniane. Figure 328 : Mondovino 3 (22 :22) Jonathan Nossiter (nez) et Mrs Staglin Figure 329 : Mondovino 2 (55 :09) Avec différents goûteurs américains.

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Résumés De la finestra à l’image-fente, éthique et esthétique du cadre à partir du Décalogue de Krzysztof Kieślowski Qu’est-ce qu’un cadre ? Qu’est-ce que voir ? Qu’est-ce que donner à voir ? Partant d’une séquence du Décalogue 8 et après avoir rappelé l’importance du modèle de la finestra albertienne comme origine de l’image, en peinture, photographie et cinéma, la thèse observe son traitement par Kieślowski dans Le Décalogue. Il s’agit d’abord de mettre en relation le projet du polyptyque avec le décalogue mosaïque, d’y suivre le sort du second commandement, comme commandement-fantôme, pour voir en quoi il s’en constitue comme le commandement-racine. L’amateur est considéré et étudié comme mise en jeu de ce commandement, sa Vie d’artiste est considérée à l’aune de sa quête cinématographique du réel dans l’image et de son cheminement éthique. La thèse observe ensuite en quoi le cadre peut être considéré comme une figure de la Lettre. Apparaît alors une dialectique de la finestra et de la fessura, où se lit l’expression visuelle du conflit de la pulsion scopique et de sa contention éthique. Est ensuite menée une approche phénoménologique de l’image-fente dans Le Décalogue, partant du motif de la fente pour observer l’image-fente comme dispositif visuel et comme figure métadiscursive. Elle devient ensuite concept heuristique dont est éclairée la structure d’ouverture, sa fonctionnalité de passage puis la part du rapport à l’origine et enfin sa dimension d’objet primaire. Le concept heuristique d’image-fente aura peut-être permis de mettre en évidence le désir inconscient de fusion avec l’origine que la finestra albertienne porte en elle sous la forme de la fessura qui la hante et la déforme. Mots clé : cadre, finestra, image-fente, Kieślowski, éthique, objet primaire __________________________________________________________________________________ From the finestra to the image slit : Frame’s ethics and esthetics in Krzysztof Kieślowski’s Decalogue What is a frame ? What is seeing ? What is giving to see ? Taking a sequence of Decalogue:VIII as a starting point and after having reminded the importance of the albertinian finestra model as origin of the image in painting, photography and cinema, the thesis explores its handling by Kieślowski in The Decalogue. To begin with, this is done by putting into relation the polyptych project with the Mosaic Decalogue. From there we follow the stake of the second commandment — as a ghost-commandment — to see how it makes up as the root-commandment. Camera Buff is dealt with and studied by means of this commandment being brought into play. Kieślowski’s Artist life is seen in the light of its cinematographic quest of the real inside the picture and of its ethical course. Next, I explore how the frame can be considered as a figure of the Letter. This is when a dialectic of the finestra and of the fessura crops up, where the visual expression of the conflict between the scopic drive and its ethical strain can be observed. I then set about a phenomenology of the image slit inside The Decalogue, taking the pattern of the slit to explore the image slit as a visual apparatus and then as a metadiscursive figure. It then becomes a heuristic concept about which I explore the opening structure and then its passage functionality to follow on with the measure of the relation to the origin and finally the primary object dimension. The heuristic concept of image slit may possibly have allowed to underline the unconscious desire of bonding with the origin which the albertinian finestra possesses within itself under the form of the fessura which haunts and distorts it. Key words : Frame, finestra, Image slit, Kieślowski, ethics, primary object ECOLE DOCTORALE 267 – ARTS ET MEDIAS - Centre Bièvre - 3e étage, porte B. 1, rue Censier 75005 Paris - Tel : 01 45 87 79 48 - ed267@univ-paris3.fr


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