Ateliersd'écriture. 20 ANSBOBLIOTHEQUE VITRY

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Bibliothèque Nelson Mandela 26 / 34, 94400

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avenue Maximilien Robespierre Vitry-sur-Seine


PROLOGUE

Evariste Gallois près de Barbara Cartland. Impossible rencontre, un jour pourtant Ils se rencontrèrent posés l’un sur l’autre, là, à la bibliothèque Nelson Mandela. Une nuit de décembre ! Les ombres du Théâtre du Soleil les regardaient un peu effarées. La proximité du réel, sous l’épaisseur du bouquin « Les vivants et les morts » avait l’air de tarauder l’immense silence du vide de la bibliothèque maintenant sans plus aucun lecteur. Comme abandonnés à leur sort, les livres décidèrent de « tuer tous les affreux » personnages qui rodaient comme d’éternels fantômes hantant de vieux manoirs du moyen-âge. Pourtant, une certaine Barbara décida de mettre dans cette nuit d’automne un peu de ce coté eau de rose ou fleur bleue qui n’avait rien à voir avec « Elise ou la vraie vie ». Barbara s’assit d’un air sexy et déclara de sa voie suave : « Et si au lieu de « tuer tous les affreux », nous mettions un peu de vie ici ? N’est-il pas d’usage de dire que les livres sont des objets morts ?

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Pourquoi ne pas tenter une expérience inouïe ? Une sorte de happening en quelque sorte … » dit-elle en regardant chaque livre profondément afin de paraitre plus convaincante. « D’ailleurs, la bibliothèque est si proche du Mac Val, et l’exposition qui s’y tient, « Let’s dance », s’y prête tellement. Allez ! Cette nuit : nuit blanche pour tous les personnages. A cet instant, Evariste Gallois proposa d’aller enlever les bibliothécaires afin qu’elles soient, elles aussi, de la fête.

Ouazia Rozielle Osmani

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Les dernières aventures d’ Evariste Galois Parfois, on n’arrive pas à sortir d’un rêve. Rêve d’amour ou cauchemar il imprègne notre quotidienneté…Ce soir je rêve encore, coincé entre ce lourd «Les vivants et les morts » et cette grosse et insupportable Cartland. J’ oublie tout cela en me rappelant la douceur de ses doigts parfumés de violettes. Des doigts qui auraient pu être ceux d’une vieille institutrice de la 3e République, mais qui étaient en réalité, ceux d’une jeune fille d’aujourd’hui, toute blonde, toute fragile, dans une robe de velours vieux vert, finement côtelée, juste assez courte pour n’avoir rien à regretter. Ah ses mains ! Leur parfum, mais aussi leur douceur , leur intelligence, elles ne tournaient pas mes pages, elles les caressaient et pour chaque page la caresse était différente. Parfois elles se faisaient tendrement consolatrices, à la mort du père d’Evariste, ou bien quand il se morfondait à la prison de St Lazare. Parfois elles s’angoissaient pour lui, elles vibraient et quand il menait ses camarades de collège aux barricades, elles s’enflammaient. Alors les petits doigts nerveux se crispaient sur mes pages, me griffaient presque. C’était délicieux ! Quelquefois, dans sa hâte de tourner la page, elle mouillait le bout de ses doigts et je savourais longuement le gout de sa salive sur la blancheur mate de mon papier. Cela réveillait en moi des senteurs de jeunesse, celles de l’encre fraîche de l’imprimerie qui m’a vu naître. J’avais 15 ans tout à coup ! Hélas cela ne durait que l’espace de quelques paragraphes ! 4


…Bon voilà que la grosse Cartland m’écrase de plus en plus ! Elle ronfle et bave un peu ! Ah certes quelle différence avec Louise ! Louise c’est ma liseuse, doublement liseuse puisqu’elle me lit, mais qu’elle lit aussi à voix haute, pour un Monsieur qui reste dans l’ombre, assis devant un bureau poussiéreux. Tout en écoutant le récit de la vie d’Evariste il prend des notes. Souvent il interrompt Louise d’un autoritaire « attendez » ! Comment peut-il lui parler sur ce ton ! Je le haïs ! Mais elle obéit. Alors elle glisse un signet de cuir souple assorti à ma reliure, entre mes pages, et me place sur ses genoux serrés, les mains bien à plat sur mon dos. Moi silencieusement je ronronne comme un gros chat. Contre le cuir de ma reliure, je sens la nudité de la chair à nue de son genou. J’en frémis de tout mon être, et je laisse pendre le signet de cuir comme la mèche d’un fouet le long de son mollet. Je sais qu’elle n’est pas insensible à mon charme rugueux… Je sens le doux duvet blond qui recouvre ses jambes s’électriser sous la caresse de ma couverture sombre. Las, sur un signe de son maître, elle reprend sa lecture, et ses doigts mignons viennent à nouveau chatouiller mes pages. Je devais dire venaient car c’est fini. Aujourd’hui elle a fini sa lecture.

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« Je vous remercie Louise » a-t-il déclaré en se levant. Elle s’est levée aussi, vivement, m’a jeté sur le fauteuil comme un vulgaire roman de gare (j’en ai encore des pages toutes froissées) et elle s’est précipitée vers lui. Un peu vite à mon goût… Ensuite ils sont passés dans la pièce du fond. Je n’en suis pas certain mais je crois qu’ils se tenaient par la main ! Qu’ ont-ils pu fourgonner là bas ? Par Saint Gutenberg, j’ entendais des petits cris , des rires étouffés… ! … ! J’en crevais de rage. Si j’avais pu j’aurais effacé toutes mes pages. Elle est revenue, il faisait presque nuit. Sans ménagement elle m’a fourré dans son sac (ah la douce odeur !) et elle m’a ramené à la bibliothèque. Voila comment j’ai échoué misérablement entre ce pesant chef-d’œuvre et cet éléphant rose ! Et malgré son ingratitude je rêve d’elle pour passer le temps, je rêve de Louise, de son odeur de violettes, de sa peau blanche et chaude, de sa bouche rose qui chantait si bien la musique de mes mots …

Yves Loriette le 25 11 10

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Paroles de « Soupirs à Venise » Je reviens de loin. De ma courte existence, c’était la première fois. D’habitude, je sens une main douce, parfumée, parfois timide. Elle caresse ma couverture, me retourne délicatement pour, dans un soupir, lire mon résumé, puis m’étreindre contre un cœur qui, déjà, palpite rien qu’en pensant aux chamboulements, aux sentiments que je ferai bientôt naître. Vraiment là, je n’en revenais pas et n’en revient d’ailleurs toujours pas ! C’était il y a deux semaines. J’attendais dans mon rayonnage, à l’affût de ma future lectrice. Lorsque tout d’un coup dans l’allée un surprenant vacarme inhabituel, un claquement de bottes! Il faut dire, que d’habitude mes lectrices, enfin, nos lectrices ont plutôt le pas léger et discret. Quelles soient jeunes ou vieilles, elles se déplacent langoureusement dans mon rayon à la recherche d’ailleurs, de rêves, des chavirements mais surtout d’amour, du grand, du fulgurant, celui avec un grand A. C’est vrai que pour ma part, moi, je suis plutôt une valeur sûre, de la catégorie des best-sellers, tirés à plusieurs millions d’exemplaires, traduits dans 37 langues et il est rare que je reste longtemps à m’impatienter sur l’étagère. Je suis la plupart du temps en vadrouille chez l’une ou l’autre, coincé dans un sac à main entre portable, liste de courses, kleenex usagés et menue monnaie.

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Il faut dire que ma mère, ma génitrice est une pointure, une fortiche en la matière et ça tout le monde le reconnaît. Même si tout le monde par principe la déteste. Enfin, quand je dis tout le monde, je parle de ceux qui se prennent pour le « beau monde », le supérieur, l’intellectuel, l’érudit. Cependant, j’en connais plus d’un qui, question compte en banque, ne lui arrive même pas à la cheville! Pourtant, elle aussi, elle écrit sur un thème universel, certes avec une dose de paillettes, un brin de magie, et un zeste de rêve. Mais c’est sa manière à elle de parler d’amour et avouons le, qui n’en a jamais rêvé? En tout cas, avec moi, ce sont des moments garantis de plages, de soleil couchant, de violons, de je t’aime moi non plus qui vous chavirent et vous bouleversent pour ensuite faire vivre à mes lectrices des renversements de situations rocambolesques et inattendus. Et nous revoici donc deux semaines en arrière avec ce fameux un bruit de bottes qui claquent dans l’allée du rayon des romans d’amour, un bruit de bottes qui claquent assorti d’une odeur rance de sueur et de musc, et puis une main. Une main virile, qui m’empoigne et m’arrache de ma léthargie. Je me dis que c’est la fin, que ça y est j’ai fait mon temps, que je suis bon pour le magasin, pire le pilon….mais non ! Me voici quelques minutes après dans la queue du guichet des emprunts de la bibliothèque, coincé entre un épouvantable thriller, des magazines de voitures et de jeux vidéo et des mangas. Un homme m’avait choisi pour me ramener chez lui ! 8


Le temps de faire la queue, une évidence me saute aux yeux : il m’avait certainement choisi pour sa compagne ou pour sa mère. Quelle délicate attention ! Mais non, une fois rentré chez lui et sorti du sac, je m’aperçois bien vite que son appartement ne comporte aucune note féminine. C’est même tout le contraire. Un capharnaüm sans nom, des chaussettes et des caleçons gisent à même le sol, une pile de vaisselle sale et des boîtes de pizza s’entassent outrageusement dans l’évier. Un drap est posé sur la fenêtre en guise de rideau. Et surtout, posté au milieu du salon un écran géant, sertis d’enceintes qui hurlent le dernier Metallica et des consoles de jeux vidéo sont éparpillées un peu partout sur la table basse. Quel univers étrange ! Pour moi c’est la première fois. Mais qu’est-ce qu’il lui a pris à mon lecteur de me choisir, il s’est trompé de rayon assurément, il a décidé de me transformer en confetti ou quoi ? Moi qui d’habitude me repais d’univers coquets, romantiques, de pots-pourris et de dentelles - même si parfois d’horribles cabots essaient de s’en prendre à moi - je suis estomaqué, abasourdi. Je m’avoue même que je me sens mal à l’aise, pas vraiment dans mon élément. Puis il me prend, se jette dans son canapé tout défoncé et commence à me lire. Je frémis, m’attend qu’à chaque nouvelle page il pouffe, pire, qu’il soit pris de fou rire ! J’attends le coup bas avec anxiété, mais non, il ne vient toujours pas. A mesure que la soirée avance, à mesure que les jours passent, rien, mon lecteur ne bronche pas. Il me lit. Je sens même une certaine fébrilité lorsqu’il tourne mes pages au chapitre 10. 9


Ah, le fameux chapitre 10, de loin, le préféré de ces dames. C’est lorsque le magnétique docteur Walter Emmerson déclare à la douce et naïve Emily, son assistante, que leur histoire est impossible car il doit se marier avec cette peste de Miranda, rien que pour faire plaisir à sa mère mourante et à qui il ne peut rien refuser. Toutes, sans exception, à ce moment là, sortent leurs mouchoirs, reniflent et fustigent une situation qui leur paraît si injuste. Mais je vous rassure, tout est bien qui finit bien ors de la scène finale. Et voilà, un soir il m’a terminé, m’a reposé d’un air pensif, est revenu sur les dernières pages, les a relues plusieurs fois et c’en était terminé pour nous deux. Bientôt, il irait me ramener à la bibliothèque. Enfin c’est ce que je croyais… Un après-midi, branle bas de combat à la maison, voici mon lecteur qui se transforme en fée du logis, qu’il aère les pièces, passe l’aspirateur, se rase et met une chemise même pas froissée. Il sort et ne revient que tard dans la soirée. Il n’est pas seul. Il est accompagné d’une femme. Ils s’installent dans le canapé, prennent un verre et commencent à discuter. Et là qu’entends-je ? La déclaration du docteur Walter Emmerson à Emily, celle de la fameuse scène finale, mot pour mot, à part qu’ici Emily s’appelle Jennifer. Il lui dit qu’elle est la femme de sa vie, le soleil de ses nuits et qu’il ne peut plus vivre sans elle. Je me sens fébrile d’un seul coup. Attentif, j’essaye de ne pas perdre une miette de sa tirade et surtout des réactions de sa bien-aimée. Mais lorsqu’il a terminé, un grand silence se fait. Et quelques secondes après, qui me paraissent une éternité, tonne un grand éclat de rire, non pas de lui, mais d’elle.

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Elle n’en peut plus, elle est là pliée en quatre sur le canapé à se tenir les cotes, lui disant qu’elle n’a jamais rien entendu de plus niais. Lui, mon lecteur se tord les mains et commence à se ronger les ongles. Il est dépité. Elle s’en rend compte, toussote un peu pour reprendre contenance et lui annonce tout de go, qu’il y a erreur sur la personne, qu’il n’est juste qu’un pote avec qui elle comptait faire une partie de Mario Kart, et que les contes de fées et toutes ces imbécillités ce n’est vraiment pas pour elle et surtout pas avec lui ! Silence à nouveau. Puis d’un coup, elle se lève, enfile sa veste et part en claquant la porte. Mon lecteur reste là, sur son canapé, abasourdi. Il commence à sangloter, puis à hurler de rage et vocifère contre lui-même, se traitant d’imbécile et que, non vraiment, il n’y comprend rien aux filles et que jamais il n’y arriverait. Tout d’un coup, son regard tombe sur ma couverture chamarrée et ornée de roses et d’arc-en-ciel. Il se lève, me saisit violemment et commence à me tordre dans tous les sens. Il’ m’arrache même des pages. Et c’est dans un ultime vol plané que je m’écroule dans un bruit sourd sur une vielle chaussette oubliée. Et me voici aujourd’hui de retour à la bibliothèque, en attente de mon sort sur le haut de cette pile. Franchement vu mon état et vu la réaction outrée de la bibliothécaire, cela m’étonnerait qu’on me ramène dans mon rayon. A moi le pilon…fin peu glorieuse pour un glorieux best-seller pris à son propre piège ! Virginie Guillot 11


Harcèlement Phonétique Je sens que tout cela finira mal … Cela respire l'anecdote, le fait divers, le truc commun de monsieur tout le monde. La tuile qui vous plie la cervelle et vous assigne à la folie, à la décrépitude. « L'instinct de mort » écrivait Mesrine. Ils sont là, ils me regardent, ils m'épient, je sais qui ils sont, je les connais, je les vois, tout près, posés sur la pile, entassés comme moi, immobiles, attentistes … Je sens leurs regards, je les entends penser, ils me haïssent, ils me conchient, ils me sous-estiment tous sous leurs grands airs de faux semblant, ils sont vicieux, ils me maudissent. Elle là, sapée comme une poule de la gare de l'Est, maquillée comme un carré d'as monté sur du vison factice, elle ne possède même pas sa couverture. Maadaame fait du shopping ! Maadaame achète ses lettres ! Maadaame ponctionne Meuu-sieur ! Maadaame exploite ses nègres ! Elle porte bien son nom celle-là, d'ailleurs c'est quoi son nom ? Barbara ? Pénélope ? Brigitte ? Un pseudo à l'eau de rose forcément, du genre littéraire en option. Du genre bon marché pour les incultes, du genre « Dis chérie, tu as vu la robe à fleurs de cette fille, c'est d'un vulgaire ... » A vomir ... 12


Et lui là, avec son accent de cocu. Le parfait stéréotype du distributeur de billets. Il doit s'appeler Visa celui-là. Un nom rital à tous les coups. « Ma qué, y'é soui lé plou beau ... » Je n'en peux plus de ces mutants. Cela fait dix ans que je les supporte, ils m'ont tout fait, ils m'ont réduit à vivre sous la poussière de mon rayon, ils ont spolié les vrais lecteurs, les gens saints, les gens qui pensent et veulent savoir, les gens instruits. Ils m'ont rendu à l'état de relique, de chose du passé, obsolète, hors d'usage … Je suis devenu de la mémoire pour les anciens. On ne me comprend plus, on ne sait plus mes maux, on ne sait plus mes mots. Je suis trop tard, imprimé trop tôt, comme une coquille dans un journal refermé à tout jamais. Je ne suis plus rien. Eux se vendent, je me propose. Eux se fabriquent, je me crée. Eux t'embobinent, je te raconte. Eux te vident, je te remplis. Et pourtant se sont eux que les gens veulent. Je ne comprends pas.

Patrick Flécheux Vitry le 04/12/2010

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Les vivants et les morts. Si vous saviez comme je suis heureux d’être parmi vous. Je ne pensais pas vieillir dans une bibliothèque qui fête ses vingt ans. Hier encore, je me sentais indésirable. J’avais fini par le devenir. Il faut dire que je porte un destin tourné vers le déclin, celui d’une usine soumise à la tourmente. Un chassé-croisé d’hommes et de femmes fauchés par le chômage et la précarité. Depuis ma conception, j’oscille entre les vivants et les morts. Mon géniteur m’oblige à dénoncer l’hypocrisie en pleurant sur le sort d’individus bafoués, humiliés pour des motifs économiques. Dans un pavé de plusieurs centaines de pages, je crie leur révolte face à l’inéluctable. Récemment, la main d’une lectrice a frôlé la jaquette d’un Patrick Modiano avant de bifurquer vers une autre étagère et de m’accaparer. Soudain, un souffle d’espoir a balayé l’ennui. Je me voyais déjà voyager dans Vitry, surfer sur une vague ou fuir dans la diction des paradis vocaux. Je rêvais de séduire dans ma langue maternelle, celle que mon paternel a choisi d’adopter. Hélas, mes illusions ont failli s’étrangler. A peine sorti de la bibliothèque, j’ai plongé dans un sac. Un quart d’heure plus tard, j’ai fini par échouer sur une table de nuit. Ensuite, j’ai dû patienter pendant plusieurs jours. Ma lectrice avait des soucis. Quel cauchemar !

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Enfin, lorsqu’elle m’a étreint de ses doigts délicats, elle m’a envouté avec son regard sombre où surnageaient encore des éclats de révoltes. Interloqué, j’ai lu dans ses pensées. Vous ne me croirez. jamais. Bizarrement, le roman de sa vie plagiait ma substance. Hormis les personnages et la trame du récit, nous nous ressemblions étrangement. Nous avions livré les mêmes combats, connu les mêmes faiblesses, vécu les mêmes échecs. Heureusement, ma lectrice assidue a trouvé refuge dans cette bibliothèque dotée d’un patrimoine aux ressources multiples et dont le patronyme est humainement parlant. C’est là que nous nous sommes rencontrés. Elle m’a trouvé attirant, attachant. Pourtant, j’étais austère comme un scriptorium. J’avais grise mine dans tous les sens du terme. Malgré cela, elle m’a emprunté, emporté, dégusté. J’étais à son goût. Un goût prononcé pour le livre qui tue, qui aide à vivre aussi. A la fin de la dernière page, sa main m’a couché sur la table de nuit après avoir noté dans un grand répertoire le nom de l’écrivain, Gérard Mordillat, suivi de mon titre, Les vivants et les morts. Enfin, elle a ajouté une note d’appréciation. Je n’ose pas révéler la valeur de cette note. Je risque de paraître un peu trop prétentieux. Depuis lors, ma vie de roman est métamorphosée car cette femme m’a fait part d’une excellente nouvelle. J’ai été adapté pour la télévision ainsi que le théâtre. J’ai été programmé sur France 2 et chez notre voisin, Jean Vilar. Me voilà donc en haut de l’affiche. L’actualité s’est emparée de moi. Les gens qui n’aiment pas lire ne peuvent plus m’ignorer. Par le biais du théâtre et du petit écran, c’est une seconde vie qui m’est ainsi offerte.

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Ce soir, au milieu des bouquins qui n’ont pas eu cette chance, je retrouve l’emploi qui me va comme un gant. Celui d’être saisi par la main du lecteur, partager avec lui des moments d’émotion et reprendre sagement ma place parmi vous. Vous, mes amis les livres. Tous ensemble, soyons fidèles au poste et restons convaincus de notre utilité. Et n’oubliez pas que, dans notre cas, passer sa retraite à la bibliothèque, c’est accomplir la plus belle des missions : demeurer dans le cœur de la littérature. Néanmoins, si jamais nos dépouilles finissaient au pilon pour cause d’usure ou de dégradations, nous laisserions sans doute, en guise de testament, une lettre posthume. Je vous propose, d’ores et déjà, de la rédiger ainsi :

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Chère bibliothèque, Nous sommes au regret de devoir te quitter car notre ossature commence à rendre l’âme. Cependant, avant de partir, nous souhaitons te faire part d’une ultime volonté. Lorsque nos cendres seront dispersées, peux-tu veiller à mettre sur la liste de ta prochaine commande nos dernières éditions. Car même si nous restons dans la mémoire des uns ou le tiroir des autres, nous sommes persuadés que les générations actuelles ou futures, sauront nous apprécier. Nous te prions donc, Chère bibliothèque, de ne pas nous condamner au repos éternel. Laisse-nous parader à la bibliothèque au lieu de nous léguer au paradis des Lettres.

En attendant la joie de revoir nos lecteurs, nous te remercions chaleureusement de la part des livres et de leurs auteurs …

Les vivants et les morts.

Elise Oger

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La Cartoucherie, une aventure théâtrale Je l’avais vue s’approcher du rayonnage, pencher la tête pour déchiffrer les titres verticaux puis s’arrêter sur le mien. Une lueur s’était allumée dans ses yeux et m’avait inondé de bonheur, c’était moi qu’elle cherchait, j’étais désiré. Elle m’avait pris en main, feuilleté, m’avait ensuite coincé sous son bras et s’était mis à dévisager les autres livres de la rangée. J’suis assez gros et un peu lourd, elle avait fini par me poser en équilibre sur le bord de l’étagère. J’étais pas rassuré, j’allais me casser la gueule. Ouf ! Elle m’avait rattrapé de justesse. Quelle peur ! Je la sentais pressée, déjà elle repartait d’un bon pas vers la file des emprunts. Apparemment Il y avait un problème avec sa carte, mais comme elle pouvait quand même m’emprunter, elle le règlerait plus tard. Elle me déposa à coté d’un appareil photo dans le coffre d’une voiture. Quand la voiture s’arrêta, une amie l’avait rejointe et elles prirent l’appareil photo avec elles, je n’eus que le temps de sentir l’odeur du bois et des feuilles mouillées, où étions –nous ? Près de chez moi ? A Vincennes ? Quand elles sont revenues, elles étaient contentes, elles disaient que c’était un superbe endroit et qu’elles reviendraient prendre des photos à chaque saison. Lui, l’appareil me raconta un peu leur virée à travers la Cartoucherie, j’avais bien reconnu l’odeur…En les attendant j’avais même rêvé un peu de mon Théâtre du Soleil… Maintenant où allais-je atterrir ? Je me suis retrouvé par terre dans une chambre encombrée de livres. Le lendemain elle me reprend et commence à me lire. C’est chouette d’être avec elle, entre ses mains, elle lit et relit parfois, elle va vite, dévore et puis avance lentement, déguste. De temps en temps elle se met à lire tout haut et c’est étrange de se sentir propulsé dans l’espace, de s’entendre extérieur, explosion sonore, paysage articulé. 18


De temps en temps elle se met à lire tout haut et c’est étrange de se sentir propulsé dans l’espace, de s’entendre extérieur, explosion sonore, paysage articulé. Un jour, deux jours, trois jours et puis plus rien, le vide, elle m’a laissé tomber. Elle en prend d’autres, elle ne m’a pas lu en entier, elle pose même d’autres livres sur moi, je disparais sous une pile…Suis-je, inintéressant ? Pourtant comme elle semblait heureuse, en harmonie avec moi ! J’ai hâte de retrouver un lecteur plus assidu, qui passera plus de temps avec moi, qui prendra des notes et qui me parsèmera de petits papiers de toutes les couleurs. J’aime me sentir utile, apprécié, aimé, être porté, transporté, être posé et qu’un doigt caresse mes lignes, tourne mes pages. Par son toucher je sens l’intérêt du lecteur, par sa respiration aussi. Ce que je préfère c’est quand j’atterris sur un bureau, un pupitre ou une table devant tout un auditoire, la voix qui s’élève et raconte mon histoire me fait devenir aérien, j’ondule, mes mots s’envolent pour retomber délicatement dans les oreilles attentives. J’irai ainsi jusqu’au bout du monde. Cette fille qui m’a emporté, je crois qu’elle n’aime pas lire, elle aime les mots, elle a besoin de les entendre, d’en entendre de toutes sortes, de toutes les couleurs, pas tellement de les voir. Elle m’avait sans doute choisi parce que je parle de théâtre… Et voilà !... Elle ne prend même pas la peine de me rapporter à la bibliothèque, elle dit qu’elle n’a pas le temps, qu’elle n’a même pas eu le temps de préparer cet exposé qu’elle voulait faire avec moi, qu’elle le fera plus tard, qu’elle retournera me chercher et que «Tiens, c’est marrant, je viens de croiser Ariane Mnouchkine au marché rue Daguerre, elle demandait le prix des girolles …» Je repars en moto : c’est quand même sympa ! Geneviève De Buzelet 19


EPILOGUE Le bal eut lieu. La bibliothèque métamorphosée. Les bibliothécaires qui se déhanchaient parmi les rayons. Pour la musique, la discothèque donnait le la. Festivités. Les bulles de champagne aidant, on vit apparaître quelques personnages se mêlant aux visions troublées des bibliothécaires. Il est vrai qu’au bout de vingt ans passés à la bibliothèque Nelson Mandela, le filtre livresque mêlait les vestiges du réel et ceux de la fiction. Ainsi, les cinq cent personnages du roman « les vivants et les morts » s’invitèrent au bal. Cela fit beaucoup, beaucoup de monde. Certains s’engouffrèrent dans la mezzanine. Section jeunesse. On vit même Dallas et Rudy sur les toits … Des lecteurs qui passaient par là, intrigués, entrèrent. C’était un bal inoubliable ! Les lecteurs, perplexes, se demandaient s’ils ne rêvaient pas devant cette scène inédite. Leurs pupilles dilatées, l’air interloqué. 20


Les bibliothécaires virevoltaient, légères comme les pages des livres qu’elles manipulaient tels des objets précieux. Evariste Gallois souriait …

Un air de jazz envahissait l’endroit, devenu, pour un soir, virevoltant. Devenus, pour un soir, les actrices et les acteurs d’une histoire où tout se mélangeait … Les titres des livres tournoyaient par milliers, grisés par le champagne. Grisés de tous ces personnages rencontrés pour la première fois en ce soir de décembre. Barbara s’approcha de l’une d’elle : « Dites moi franchement : que pensez vous de cet Everest ? » Elle répondit : « Autant en emporte le vent, Autant en emportent les livres ! » Au petit matin, épuisés, les bibliothécaires s’endormirent sur les quatrièmes de couverture.

Ouazia Rozielle Osmani

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LETTRES A MA BIBLIOTHEQUE . . .

Aubade à Madame « La Bibliothèque » Vrai ! T’as d’beaux yeux tu sais… M’dame la Bibliothèque T’as plein de beaux yeux Les yeux de tes amoureux Qui viennent te voir Matins et soirs Soirs et matin Par tous les temps, par tous les trains. Ouais ! T’as d’beaux yeux tu sais… Les yeux des vieux Un peu chiffons Gentiment grognons Qui se souviennent Quand t’était à la peine Chez toi c’était tout p’tit Tout p-tit riquiqui Au rez-de-chaussée du Ccv.

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Ouais ! T’as d’beaux yeux tu sais… Les yeux des belles dames et des messieurs De tous ces professeux Aux yeux cerclés de fer Et aux grands airs Qui savent tout et l’contraire Qui vous écrasent de leur savoir Nous les bouseux, les besogneux De la culture des cours du soir. Ouais ! T’as d’beaux yeux tu sais… Les yeux des p’tits amoureux Du mercredi Après-midi Qui ouvrent entre eux Un bouquin alibi Et se sourient Du coin du cœur, du bout des yeux. Ouais ! T’as d’beaux yeux tu sais… Les yeux délavés Des ouvriers Aux mains tannées Corps fatigués Qui s’enivrent De livres Pour s’évader De la sale réalité. 23


Ouais ! T’as d’beaux yeux tu sais… Ceux des enfants jolis Toutes couleurs Et de tous pays Qui montent au donjon des conteurs Ou courent en bas, au cinéma. Ce sont ces yeux la que tu préfères Les yeux heureux des p’tits pépères. Ouais ! T’as d’beaux yeux tu sais… Et tous les yeux D’tes amoureux Qui rigolent ou qui pleurent Au long des heures Me rendent fou Me rendent jaloux Que tous tes livres me donnent leur sourire Je veux ne jamais mourir, pour tous les lire ! Quand même ! T’as d’beaux yeux du sais…..

Le 4 Décembre 2010 Yves Loriette

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Ma chère ! Evidemment bon anniversaire ! 20 ans déjà ! 20 ans que tu es là pour satisfaire la curiosité de ceux qui réussissent à pousser ta porte et aussi de ceux qui te dirigent et t’ont fait grandir. En 20 ans, que de chemins parcourus, que de métamorphoses pour en arriver là, aujourd’hui, à un lieu qui, dans ses nouvelles fonctionnalités, ne se contente plus de garder le savoir mais le diffuse, l’expose, le dissèque et le transmet. Comme la plupart de tes consœurs, tu es devenue un ersatz de centre culturel, certes avec en filigrane l’amour du livre et de la lecture, mais c’est désormais en nouveau lieu de vie, d e rencontres, de débats et de culture que tu te définis et t’impose à nous, lecteurs. Alors que nous sommes entrés dans l’ère du tout numérique, comment seras-tu dans deux fois vingt ans quand nous vivrons tous retranchés derrière nos écrans ? Je ne peux donc que te souhaiter de garder ce cap car c’est là que réside ton prochain défi.

Virginie Guillot

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BIBLIOTHEQUE Emprunté au latin bibliothēca « salle où sont enfermés des livres » ; « collection de livres » (en ce sens, surtout en latin médiéval), luimême emprunté au grec ancien , bibliothếkê (« lieu de dépôt de livres »).

Vingt ans tu as. Déjà ! Quelle émotion de pouvoir t’écrire aujourd’hui À cœur, à livre ouvert ! Les livres, la vie, Ce fil tendu entre le dedans et le dehors. Vingt ans que ce lieu chaleureux et lumineux Fait vibrer les jours de ma vie. Page après page, tu m’accompagnes Dans les interstices des fragments de ma vie, Déposés sur les rayonnages. Les bibliothécaires, devenus A force de titres patients et attentionnés Eux, elles aussi, au gré de mes lectures, « Poèmes à Lou », « Lettres à Elsa », « Météorologie du rêve », « Du côté de chez Swann », « Rêves de rêves », « Marcher à l’écriture » … A chaque fois que je passe Devant l’un d’entre eux, l’une d’entre elles, Je pense qu’ils font corps avec chaque graphe Des mille et uns titres qui leurs passent entre les mains … 26


J’avoue que je suis très fière du nom, Figure de proue d’un visage de tolérance et de paix, Que tu portes, Toi, Nelson Mandela. Enfin, je te livre, à l’occasion de tes vingt ans, Ce rêve secret qui me tenaille depuis toujours : Le désir de ne passer rien qu’une nuit Au milieu de tous ces titres, Comme des amants que je n’ai pas encore lus . . . Ouazia Rozielle Osmani

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Lectrice, lecteur ! Il était une fois une drôle d’histoire. Une bibliothèque. Cinq livres empilés de retour de sortie. Cinq livres se racontant leur vie … Et puis une fête impromptue, Du champagne et de la danse. Des personnages, des titres et des bibliothécaires pour une nuit de folie… Réussirez-vous à y retrouver votre chemin ?

Le coffret « L’écritoire du 20°anniversaire » a été réalisé pour l’occasion par L’emballeuse que je remercie très fort pour son enthousiasme et sa gentillesse. Vous pouvez admirer ses créations sur : http://lemballeuse.canalblog.com/ Les ateliers d’écriture se sont déroulés d’octobre à décembre 2010 à l’occasion du 20° anniversaire de la bibliothèque Nelson Mandela de Vitry sur Seine. Un grand merci au personnel de la bibliothèque pour avoir permis cette rencontre, ainsi que pour son accueil et son sourire. Je tiens à remercier particulièrement les participantes et participants à ces ateliers : Elise, Geneviève, Rozielle, Virginie, Patrick et Yves. Nous avons dialogué, fait connaissance, beaucoup ri … Et vous avez écrit. BRAVO à TOUTES et à TOUS ! Olivier Keriven 28


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