Guide du prisonnier

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OIP O B S E R VAT O I R E I N T E R N AT I O N A L D E S P R I S O N S

Le guide du prisonnier 3 Entrer en prison 3 Vivre en prison Le quotidien carcéral Liens avec l’extérieur Santé physique et psychique Au nom de la sécurité 3 Faire respecter ses droits 3 Préparer sa sortie

GUIDES



Le guide du prisonnier


Observatoire international des prisons – section française Le Guide du prisonnier ISBN : 978-2-7071-7386-7 Coordination rédaction : Lionel Perrin et Sarah Dindo Rédacteurs de cette édition : Delphine Boesel, Jean-Claude Bouvier, Anne Chereul, Marie Crétenot, Elsa Dujourdy, Marie-Anne Duverne, Nicolas Ferran, Samuel Gautier, Maxime Gouache, Chirine Heydari-Malayeri, Barbara Liaras, Lionel Perrin, Laura Petersell, Céline Reimeringer, Jessy Renner, Elodie Riffaut, Jérémie Sibertin-Blanc. Secrétariat de rédaction : Marie-Anne Duverne et Julie Namyas. Remerciements particuliers à Caroline Bollati, Isabelle Bouille Ambrosini, Céline Chamot, Laury Costes, David Duhamel, Véronique Faurie, Catherine Joubert, Pierre Yves Launay. Rédacteurs de la première édition (1996) : Bernard Bolze, Jean-Claude Bouvier, Patrick Marest, Éric Plouvier. L’Observatoire international des prisons a créé une œuvre collective intitulée Le Guide du prisonnier dont la première édition a été publiée à partir d’une idée originale d’Éric Plouvier, avocat au barreau de Paris. Conception graphique et maquette : Claude Cardot/Vélo Photographie de couverture : Olivier Touron Photos : Michel Gasarian, Thierry Pasquet, Olivier Touron, Laurent Troude. Merci aux photographes et à Marie Karsenty (agence Signatures). Observatoire international des prisons - section française 7 bis, rue Riquet – 75019 Paris Tél. : 01 44 52 87 90 Fax : 01 44 52 88 09 Courriel : contact@oip.org Internet : www.oip.org En application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du code de la propriété intellectuelle, toute reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement ou partiellement, du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation de l’éditeur. © Éditions La Découverte, Paris, 2012.


OIP O B S E R VAT O I R E

I N T E R N AT I O N A L

D E S

P R I S O N S

Le guide du prisonnier


GUIDE DU PRISONNIER

Sommaire Préface

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ENTRER EN PRISON

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Les statuts du prisonnier Les établissements pénitentiaires Placement ou affectation en établissement pénitentiaire Translations judiciaires et transferts administratifs La première journée de prison Formalités d’écrou et durées de détention Les personnels de l’administration pénitentiaire Évaluation et parcours d’exécution de peine Affectation des détenus en cellule Régimes différenciés

8 11 20 32 44 49 54 61 84 91

VIVRE EN PRISON – LE QUOTIDIEN CARCÉRAL

99

Le règlement intérieur La cellule Hygiène et sécurité incendie Les vêtements La cantine L’alimentation Promenade et sport La lecture Télévision et radio L’ordinateur Les activités socioculturelles La religion L’enseignement La formation professionnelle Le travail Accidents du travail et maladies professionnelles Argent et biens du détenu Les droits sociaux Les droits civiques

100 104 112 124 128 132 139 146 152 157 164 169 172 182 187 206 214 224 234

VIVRE EN PRISON – LIENS AVEC L’EXTÉRIEUR

247

Le droit de visite Parloirs, salons familiaux et unités de vie familiale La sexualité La correspondance Le téléphone Communication avec les médias Les événements familiaux Maternité en prison

248 258 272 275 281 288 291 299

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SOMMAIRE

VIVRE EN PRISON – SANTÉ PHYSIQUE ET PSYCHIQUE

311

L’assurance maladie La médecine générale Handicap, âge et dépendance Sida et hépatites Soins psychiques Addictions Grèves de la faim et automutilations Suicides et mortalité Dispositifs de mise en liberté pour raison médicale

312 321

VIVRE EN PRISON – AU NOM DE LA SÉCURITÉ

433

Sécurité et mesures de contrôle Usage de la force et moyens de contrainte La discipline L’isolement

434 453 463 501

FAIRE RESPECTER SES DROITS

521

Avoir un avocat S’adresser aux autorités administratives Saisir le juge administratif Saisir un organe de contrôle Le détenu victime d’une infraction pénale Le détenu poursuivi pour une infraction pénale en détention La prison et le droit international

522 530 539 564 584 592

PRÉPARER SA SORTIE

611

Les réductions de peine Autorisations et permissions de sortir Préparation de l’insertion professionnelle et sociale Préparation à la réouverture des droits sociaux Préparation de la continuité des soins à la sortie La dernière journée de prison

612 633 645 654 665 671

ANNEXES

679

L’administration pénitentiaire Adresses utiles Index L’Observatoire international des prisons (OIP) Soutenir l’action de l’OIP

680 694 698 702 703

353 363 370 390 400 404 419

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Préface La quatrième édition du Guide du prisonnier, après 8 années pendant lesquelles il n’a cessé d’être utilisé, intervient dans une période d’alternance politique marquée par le souhait affirmé de réduction de la surpopulation pénale, d’amélioration du respect des droits des détenus et de leurs conditions de vie. « Les prisons sont pleines, mais vides de sens », affirme la garde des Sceaux Christiane Taubira. Si les prisons sont vides de sens, c’est notamment quand elles sont le lieu d’atteintes ou d’entorses aux droits fondamentaux de la personne. Définie par la loi et ses règlements, la prison est aussi régie par des pratiques et des procédures locales parfois difficiles à connaître, donc à évaluer pour les faire respecter et parfois en interroger la légitimité. Le Guide du prisonnier permet de mieux se repérer dans cette complexité. Il décrit le plus précisément possible l’état du droit et de son application au quotidien. En permettant de voir ce qui devrait changer, il a aussi une fonction de lutte pour accélérer l’entrée inéluctable en prison des valeurs et des transformations de la société du dehors. Tâche difficile car elles sont terriblement filtrées, ralenties, parfois détournées par la culture de pragmatisme routinier de l’institution carcérale et par le scepticisme fier de ceux qui en ont la charge au-dedans. Moderniser ne va pas non plus sans problèmes nouveaux. Si beaucoup d’anciennes prisons sont ou vont être remplacées par des bâtiments, des cellules, des « conditions d’hôtellerie » plus modernes et hygiéniques, le malaise persistant et parfois accru des personnels et des détenus doit être analysé sans cesse pour nous obliger à remettre sur le métier la critique de cette institution devenue le mètre étalon de la punition des sociétés laïques. Contacts impersonnels par interphones, caméras, télésurveillances vont de pair avec l’arrivée de l’eau chaude et de douches individuelles dans certaines cellules. Si la modernisation est souhaitable, il faut refuser qu’elle soit payée trop cher en souffrances psychiques nouvelles quand elle réduit encore plus ce qui fait lien social et ce qui humanise. Cela serait aller de mal en pire après le temps des vieux murs crasseux que nous voulons bannir. Le droit, les droits des détenus, sont ceux qui permettent et aident à vivre, à survivre, dans ce passage punitif d’un temps de vie contraint par la sanction pénale avant le retour dans le monde ordinaire. Mais c’est aussi par le cadre, la signification et la dynamique qu’ils induisent, l’espace de respect mutuel et d’apprentissage qui dit l’envie et la possibilité après le retour dans la société ordinaire d’y vivre avec les autres hors des champs multiples de la transgression. Les avancées et exigences supranationales de la loi nationale sont parfois en avance sur l’opinion publique et celle des professionnels. « L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits », affirme ainsi l’article 22 de la loi pénitentiaire adoptée en 2009. Il faut donc se battre pour que les avancées des droits des détenus ne restent pas des énoncés démocratiques et un alibi humanitaire n’existant que dans les écrits du législateur. Respecter réellement les droits tels qu’ils sont et sans contournements, c’est l’intérêt des détenus et de leurs familles, mais c’est aussi l’intérêt de toute la société. Comme pour tous ceux qui sont dépendants et isolés dans une institution fermée, le respect des règles les concernant est mieux garanti quand ils les connaissent et encore plus quand cette connaissance est partagée avec ceux qui les encadrent. C’est bien la finalité de cet ouvrage édité par l’équipe de l’OIP : apporter les connaissances qui protègent et font avancer les droits.

Antoine Lazarus, président de la section française de l’OIP

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D’une prison à l’autre, les conditions de détention varient considérablement. Les maisons d’arrêt, les centres de détention ou les maisons centrales ont non seulement des régimes de détention différents, mais aussi des conditions d’hébergement marquées ou non par la surpopulation, la vétusté, l’insalubrité… Chaque type d’établissement est prévu pour accueillir certaines catégories de détenus en fonction de leur statut pénal (prévenu, condamné…) et de la longueur de la peine à purger (courtes peines, longues peines…). D’autres critères peuvent aussi entrer en ligne de compte, comme le type d’infraction (affaires de mœurs, terrorisme…) ou la « personnalité » du détenu. De nouvelles catégories d’établissements par typologies de « publics » ont ainsi tendance à se développer, certains spécifiquement prévus pour les détenus en voie de réinsertion, d’autres pour accueillir les détenus nécessitant des soins psychiatriques et psychologiques… En tout état de cause, la personne qui arrive dans une prison après une condamnation, ou après un transfert, qui peut être international, verra sa « première journée » dans une prison marquée notamment par les formalités d’écrou et d’accueil, et les jours suivants par tout un processus d’évaluations et d’entretiens avec différents personnels avant d’être affectée dans un quartier ou bâtiment de la détention. L’administration pénitentiaire a en effet mis en place une phase d’accueil en « quartiers arrivants » dans la plupart des établissements, visant non seulement à limiter le « choc carcéral », mais aussi à évaluer de plus en plus précisément, et en impliquant de plus en plus de professionnels, le « profil » du détenu, et en particulier ses « dangerosité et vulnérabilité ». Cette évaluation débouche sur une décision d’affectation dans une unité ou un « régime de détention » (portes fermées/portes ouvertes). La décision d’affecter le détenu dans telle ou telle cellule répond enfin à des règles objectives de séparation de certains détenus, mais aussi de gestion disciplinaire de la détention. Une logique de récompense des « bons comportements » et de coercition face aux « indisciplinés » reste prédominante en milieu carcéral, loin d’une démarche de préparation de l’insertion et d’accompagnement des détenus les plus en difficulté.

Entrer en prison

Dans cette partie : 3 Les statuts du prisonnier 3 Les établissements pénitentiaires 3 Placement ou affectation en établissement pénitentiaire 3 Translations judiciaires et transferts administratifs 3 La première journée de prison 3 Formalités d’écrou et durées de détention 3 Les personnels de l’administration pénitentiaire 3 Évaluation et parcours d’exécution de peine 3 Affectation des détenus en cellule 3 Régimes différenciés 7


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Les statuts du prisonnier Qu’il soit prévenu ou condamné, un prisonnier ne peut être incarcéré qu’en vertu d’une décision prise par un magistrat de l’ordre judiciaire (ordonnance de mise en détention provisoire, jugement, etc.). Il existe plusieurs catégories pénales : les deux principales sont les prévenus, qui sont en attente de jugement (ils représentaient 25 % du total des détenus au 1er janvier 2012) ; et les condamnés, qui purgent une peine prononcée définitivement. Si le statut pénal du détenu détermine nombre de règles, de procédures et d’autorités compétentes quant à sa vie en prison, le quotidien des prévenus et des condamnés varie surtout selon le type d’établissement et le quartier dans lequel s’effectue la détention.

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Qui est considéré comme détenu ? Sont considérées comme « détenues » les personnes faisant l’objet d’une mesure privative de liberté à l’intérieur d’un établissement pénitentiaire : c’est le lieu de détention qui détermine le statut de la personne qui s’y trouve. Les personnes placées en garde à vue ou dans un centre de rétention administrative ne sont donc pas détenues, même si privées de la liberté d’aller et venir. Les personnes sous surveillance électronique ou en placement extérieur ne sont pas non plus considérées comme détenues, bien qu’elles soient « écrouées ». Elles sont en effet inscrites au registre d’écrou de la prison dont elles dépendent. Au 1er janvier 2012, il y avait 64 787 personnes détenues en France, et 8 993 personnes écrouées non détenues, dont 8 417 en surveillance électronique et 576 en placement extérieur. Article D.50 du Code de procédure pénale ; Direction de l’administration pénitentiaire, Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France, situation au 1er janvier 2012.

L’illusion électronique Dans la mesure où la surveillance électronique « capture » des clientèles qui ne seraient pas normalement incarcérées, le soulagement des problèmes liés à la surpopulation est relativement faible. […] De façon générale, les études démontrent qu’il n’est pas certain que les programmes d’assignation à domicile sous surveillance électronique soient plus efficaces, dans la réduction du taux de récidive et du non-respect des conditions, que les interventions moins encadrantes telles que les programmes de surpervision intensive et la probation régulière. […] La surveillance électronique peut apparaître comme une panacée mais la plus grande contribution de la technologie serait plutôt de donner à la population le sentiment d’une sécurité factice et illusoire, en occultant la nécessaire et essentielle contribution de l’humain dans l’entreprise d’aider les personnes contrevenantes à devenir des citoyens qui vivent harmonieusement dans le respect des lois d’une collectivité. J.-C. Dallaire et P. Lalande, Surveillance électronique : solution ou panacée, rapport de la Direction générale des services correctionnels, ministère de la Sécurité publique, Québec, 2000.

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Qu’est-ce qu’un détenu « prévenu » ? Dans les établissements pénitentiaires, le terme de « prévenu » désigne les personnes en « détention provisoire », à savoir celles qui n’ont pas fait l’objet d’une condamnation définitive. Certaines ne sont pas encore passées en jugement : elles sont mises en examen et incarcérées en vertu d’une décision du juge des libertés et de la détention ou en attente de passer devant un tribunal correctionnel, une cour d’assises ou une juridiction pour mineurs. D’autres ont déjà été jugées une première fois et ont exercé une voie de recours contre leur

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LES STATUTS DU PRISONNIER

condamnation (opposition, appel ou pourvoi en cassation). Au 1er janvier 2012, les prisons françaises comptaient 16 279 prévenus, qui représentaient 25 % de la population détenue. Cette proportion est en baisse constante (elle était de 52 % en janvier 1984 et de 35 % en janvier 2000). Article D.50 du Code de procédure pénale.

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Qu’est-ce qu’un détenu « condamné » ? Tous les détenus qui ont fait l’objet d’une décision ayant acquis un caractère définitif sont désignés comme des « condamnés ». Une décision de justice devient définitive lorsque toutes les voies de recours prévues par la loi ont été utilisées par le détenu ou lorsque les délais pour former ces recours sont écoulés. Au 1er janvier 2012, les prisons françaises comptaient 48 508 condamnés, soit 75 % de la population détenue. Parmi eux, 46 280 étaient des condamnés sans aménagement de peine, 1 857 étaient en semi-liberté et 371 en placement extérieur avec hébergement pénitentiaire. Article D.50 du Code de procédure pénale.

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Quelle est l’importance de la distinction entre « prévenu » et « condamné » ? Les différentes catégories pénales ne relèvent pas du même régime de détention. D’une part, les prévenus sont incarcérés dans les maisons d’arrêt, tout comme peuvent l’être les condamnés à des peines inférieures ou égales à deux ans, ou auxquels il reste moins d’un an à subir. Ils y sont soumis à un régime de détention distinct de celui des condamnés à des moyennes ou longues peines, affectés en centre de détention ou maison centrale. D’autre part, les décisions qui concernent prévenus et condamnés ne relèvent pas des mêmes autorités. Le prévenu devra obligatoirement s’adresser aux autorités judiciaires pour obtenir sa mise en liberté, des permis de visite pour ses proches, etc. S’agissant des condamnés, des juridictions particulières, les juges ou tribunaux d’application des peines, sont compétentes pour accorder les mesures d’individualisation de la peine (réduction de peine, semi-liberté, libération conditionnelle…). Enfin, leurs permis de visite sont délivrés par le chef d’établissement pénitentiaire. Articles 712-1, 714 à 717, R.57-8-8 et R.57-8-10 du Code de procédure pénale.

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Qu’est-ce qu’un détenu « contraint judiciaire » ? La contrainte judiciaire, mesure d’exécution forcée des peines pécuniaires, a remplacé la « contrainte par corps », suite à la loi du 9 mars 2004 « portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ». Cette mesure permet au juge de l’application des peines d’ordonner l’incarcération du condamné pour une durée de trois mois maximum, en cas de non-paiement d’une ou plusieurs peines d’amende (y compris les amendes fiscales ou douanières) prononcées pour un délit passible d’une peine d’emprisonnement. Si le détenu ne s’est toujours pas affranchi de sa dette à la fin de l’exécution de la contrainte, celle-ci reste due. Dans tous les cas, cette mesure ne peut pas être prononcée contre les condamnés qui justifient de leur insolvabilité. Elle concerne un nombre infime de personnes : un seul condamné était détenu au 31 décembre 2010 dans le cadre d’une contrainte judiciaire, ils étaient 5 à la même date en 2009. Articles 706-31, 749 à 762 du Code de procédure pénale ; Annuaire statistique de la justice, édition 2011-2012.

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Qu’est-ce qu’un détenu « sous écrou extraditionnel » ? Le prisonnier sous écrou extraditionnel est celui qui a été arrêté sur le territoire français et pour lequel un pays étranger demande une extradition, parce qu’il fait

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ou a fait l’objet de poursuites sur son territoire. À la suite de son arrestation, il peut demeurer vingt-quatre heures en garde à vue, délai au-delà duquel il doit être présenté au procureur général qui décide de son incarcération, sauf si « sa représentation à tous les actes de la procédure est suffisamment garantie ». Au cours de son incarcération, le détenu peut demander à tout moment sa remise en liberté à la chambre de l’instruction qui doit statuer dans les quinze jours et peut maintenir la détention, y mettre fin ou le placer sous contrôle judiciaire. La demande d’extradition doit faire l’objet d’un avis rendu par la chambre de l’instruction. Si son avis est défavorable, l’extradition ne peut être accordée. En cas d’avis favorable, le Premier ministre, après avis du ministre de la Justice, peut prendre un décret autorisant l’extradition. Cette décision peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant les juridictions administratives dans un délai d’un mois. Articles 696 à 696-47 du Code de procédure pénale.

Sévérité accrue pour les vols, violences et outrages Les vingt dernières années, de 1990 à 2009, le nombre de condamnations pour crimes ou délits a progressé de 19 %, avec une augmentation observée pour l’essentiel sur les années 2000. Si les condamnations pour crime oscillent autour de 3 000, les condamnations pour viols sont deux fois plus nombreuses qu’en 1990. La nature des quelque 590 000 délits sanctionnés chaque année s’est largement transformée. […] Quatre grandes catégories d’infractions progressent : les infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS), les infractions à la sécurité routière, les violences volontaires contre les personnes et les outrages et rébellions. Globalement, ces quatre grandes catégories d’infractions, qui représentaient moins de deux condamnations sur dix en 1990, en représentent près de sept sur dix en 2009. […] L’évolution de ces deux grandes catégories d’infractions (stupéfiants et sécurité routière) reflète l’attention particulière portée par les pouvoirs publics à la répression de ces formes de délinquance. Odile Timbart, extraits de « 20 ans de condamnations pour crimes et délits », Infostat Justice, n° 114, avril 2011.

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Qu’est-ce qu’un détenu incarcéré dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen ? Le prisonnier incarcéré dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen est une personne recherchée en France à la suite d’un mandat émis par un autre pays membre de l’Union européenne. À la suite de son arrestation, elle peut demeurer quarante-huit heures en garde à vue, au-delà desquelles elle doit être présentée au procureur général qui décide de son incarcération, sauf si « sa représentation à tous les actes de la procédure est suffisamment garantie ». Au cours de son incarcération, elle peut demander à tout moment sa remise en liberté à la chambre de l’instruction qui doit statuer dans les quinze jours et peut maintenir la détention, y mettre fin ou la placer sous contrôle judiciaire. La demande de « remise » de la personne à l’État émetteur du mandat doit faire l’objet d’un arrêt de la chambre de l’instruction, contre lequel la personne peut se pourvoir en cassation dans un délai de trois jours. Contrairement à la procédure applicable en cas d’extradition, c’est le parquet général qui est chargé de mettre à exécution la « remise » de la personne recherchée au pays émetteur du mandat. Articles 568-1 et 695-11 à 695-51 du Code de procédure pénale.

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LES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES

Les établissements pénitentiaires Les établissements pénitentiaires sont les lieux d’exécution des peines privatives de liberté. Ils se caractérisent par une très grande hétérogénéité, tant en ce qui concerne la vétusté et l’architecture que la dimension de leurs locaux et le nombre de détenus accueillis. Le parc carcéral compte 190 prisons en janvier 2012 dont 176 en métropole. Parmi ces dernières, 6 ont été mises en service avant 1800, 60 au cours du XIXe siècle, 25 entre 1900 et 1950, 8 dans les années 1960, 8 dans les années 1970, 12 dans les années 1980. Les 57 nouvelles prisons mises en service depuis 1990 sont issues de trois programmes de construction successifs : 31 ont été ouvertes entre 1990 et 1993 au titre du « programme 13 000 places » d’Albin Chalandon (lancé en 1987), 8 entre 2003 et 2005 dans le cadre du « programme 4 000 » de Pierre Méhaignerie (initié en 1994), et 18 entre 2007 et 2011 au titre du « programme 13 200 » de Dominique Perben (engagé en 2002). La capacité d’accueil des prisons françaises, qui s’élevait à 58 366 places théoriques en janvier 2012, était appelée à s’accroître considérablement dans les années suivantes. En effet, l’achèvement du programme initié en 2002 et le lancement d’un nouveau programme immobilier densifié par la loi de programmation du 27 mars 2012 étaient censés porter cette capacité théorique à 80 053 places au 31 décembre 2017. Un mouvement d’extension du parc carcéral que le gouvernement Ayrault semblait en juin 2012 vouloir poursuivre, mais plus modérément, dans l’optique d’atteindre entre 63 000 et 72 000 places.

L’augmentation du parc carcéral n’enraye pas la surpopulation… La ministre de la Justice a jugé « évident » le 25 juin qu’il fallait construire 6 000 places de prison supplémentaires, appréciation que l’OIP ne partage pas. En plus des chantiers déjà initiés par la précédente mandature, le porte-parole de la Chancellerie annonce qu’une autre série de projets immobiliers non encore entamés fera l’objet d’un « arbitrage », les « contraintes budgétaires et les besoins réels [devant déterminer] la variable d’ajustement entre 63 000 et 72 000 places » (dépêche AFP, 27 juin). En se basant sur le nombre de détenus actuel (66 915 au 1er juin), le gouvernement semble déjà renoncer à une politique favorisant les alternatives à la détention et la décroissance carcérale. S’il investissait dans une augmentation de la capacité carcérale de 57 127 à 72 000 places, le ministère s’éloignerait à grands pas de la rupture annoncée avec le projet de Nicolas Sarkozy de l’amener à 80 000. Or, au 1er janvier 2012, 20 641 condamnés sous écrou purgeaient une peine de moins d’un an. Ceux-là justement qui pourraient tous exécuter leur peine en milieu ouvert dans le cadre d’un aménagement ou, mieux encore, être condamnés à une peine de probation appelée de ses vœux par la ministre. Si une telle politique était développée, pas une place de prison supplémentaire ne serait nécessaire. Cette proposition (d’instaurer une peine de probation) ne trouve son sens que dans le cadre d’une politique pénale « réductionniste ». Elle promeut à la fois une dépénalisation de certaines infractions mineures engorgeant aujourd’hui le milieu ouvert, une peine de probation comme référence pour des infractions entraînant aujourd’hui l’exécution de courtes peines d’emprisonnement, et une diminution de la durée des plus longues peines d’emprisonnement à travers des sorties accompagnées en libération conditionnelle. Une telle politique est la seule à même de réduire la surpopula-

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GUIDE DU PRISONNIER t &/53&3 &/ 13*40/

tion carcérale, l’augmentation du nombre de places n’y parvenant jamais, comme le confirme le bilan des années Sarkozy. Extrait d’un communiqué de l’OIP, « Plus d’alternatives ou plus de prison ? », 28 juin 2012.

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Quelles sont les différentes catégories d’établissements pénitentiaires ? Les établissements pénitentiaires se répartissent en deux catégories principales : les maisons d’arrêt et les établissements pour peine. Parmi ces derniers, il faut distinguer les maisons centrales, les centres de détention et les centres de semiliberté. Par ailleurs un nouveau type d’établissement mixte s’est développé depuis le début des années 1980, les centres pénitentiaires, qui rassemblent des unités relevant de différentes catégories (le plus souvent, un quartier « maison d’arrêt » associé à un quartier « centre de détention »). Enfin, depuis 2007, 6 établissements pénitentiaires pour mineurs ont ouvert leurs portes. En janvier 2012, les 190 établissements pénitentiaires se répartissent en 99 maisons d’arrêt, 42 établissements pour peine (6 maisons centrales, 25 centres de détention, 11 centres de semi-liberté) et 43 centres pénitentiaires (dont 42 comportent un quartier « maison d’arrêt », 38 un quartier « centre de détention », 7 un quartier « semi-liberté », 6 un quartier « maison centrale » et 6 un quartier pour « peines aménagées »). En janvier 2012, l’ensemble de ces établissements disposaient de 57 236 places « opérationnelles », qui se décomposaient ainsi : 34 228 en maisons et quartiers maison d’arrêt, 19 451 en centres et quartiers centre de détention, 1 998 en maisons et quartiers maison centrale, 768 en centres et quartiers de semi-liberté, 441 en quartiers pour peines aménagées, et 350 en établissements pour mineurs. Articles 728, D.53 et D.70 du Code de procédure pénale ; Direction de l’administration pénitentiaire, Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France au 1er janvier 2012, tableau de bord au 31 janvier 2012.

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Qu’est-ce qu’une prison privée ? La loi du 22 juin 1987 a initié la coexistence de deux modes de gestion pour les établissements pénitentiaires : au côté de prisons en gestion publique se sont développés des établissements en gestion mixte ou « déléguée », divers domaines dont la restauration et la formation professionnelle (à l’exception des fonctions de direction, de greffe et de surveillance) y étant confiés à des prestataires privés (GEPSA, SIGES et IDEX). En janvier 2012, 50 établissements fonctionnaient selon un mode de gestion « déléguée », soit un quart du parc immobilier. Mais ils représentent une partie plus importante du parc carcéral en nombre de places et hébergent 40 % des détenus (27 779 sur un total de 64 787 en janvier 2012). Leur taux moyen d’occupation est nettement inférieur à celui des 140 établissements en gestion publique intégrale : 105 % contre 123 %. En effet, l’administration pénitentiaire est contractuellement soumise à des pénalités en cas de dépassement de leur capacité d’accueil. DAP, tableau de bord au 31 janvier 2012.

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Qu’est-ce qu’une maison d’arrêt ? En janvier 2012, la France comptait 99 maisons d’arrêt et 42 quartiers maison d’arrêt. La maison d’arrêt est l’établissement dans lequel doivent être placées les personnes en détention provisoire et, en principe « à titre exceptionnel », les condamnés à des peines de deux ans au plus, ou dont le reliquat à effectuer n’excède pas un an. Le caractère exceptionnel du placement des condamnés en maison d’arrêt n’est pas respecté en pratique : il arrive même souvent que des personnes condamnées définitivement y attendent plusieurs années leur

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LES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES

affectation en établissement pour peines : au 1er janvier 2012, sur les 43 929 personnes incarcérées en maison d’arrêt ou quartier maison d’arrêt, 27 650 avaient un statut de condamné. Avec une densité moyenne de 128 détenus pour 100 places à la même date, les maisons d’arrêt sont les prisons les plus surpeuplées : 43 929 personnes y étaient détenues à cette date pour une capacité de 34 228 places. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ayant une fois de plus reporté (à cinq ans) l’application du principe d’un détenu par cellule dans les maisons d’arrêt, il peut y être dérogé en raison de la « distribution intérieure des locaux » ou du nombre de personnes détenues. L’encellulement individuel est prioritaire pour les prévenus à l’égard desquels l’autorité judiciaire a prescrit une interdiction de communiquer, mesure rarissime. Par ailleurs, les détenus incarcérés pour la première fois ne doivent en principe pas partager leur cellule avec ceux « ayant déjà subi des incarcérations multiples ». Il appartient également au chef d’établissement de séparer les prévenus des condamnés, les détenus de moins de vingt et un ans de ceux plus âgés, et les détenus contraints judiciaires des autres détenus. Ces règles sont très inégalement appliquées en pratique. Article 100 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; articles 717, D.53, D.58, D.70, D.93 du Code de procédure pénale ; DAP, Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France au 1er janvier 2012, tableau de bord au 31 janvier 2012.

Maisons d’arrêt : l’enfer de la promiscuité En maison d’arrêt, vous êtes comprimés comme des sardines. Sauf qu’à la place des sardines, il y a des hommes, qui rotent, qui pètent, qui vont faire leurs besoins pendant que vous mangez, qui regardent des émissions qui ne vous intéressent pas ou écoutent toute la journée des musiques que vous n’aimez pas. Si vous étiez enfermé quarante-huit heures dans 9 m2 avec votre meilleur ami, vous ne le supporteriez pas. En maison d’arrêt, on reste toute la journée dans sa cellule, avec deux ou trois autres personnes, sauf une heure pour la promenade ou pour des visites ou une activité quand il y en a. Avec seulement trois douches par semaine. C’est insupportable. Cela rend agressif à l’égard des codétenus, des surveillants et aussi de soi-même, ce qui explique les automutilations et les suicides. Cela provoque des maladies car des détenus préfèrent ne pas aller aux toilettes devant trois ou quatre personnes. Lors d’un de mes transferts à Fresnes, je me suis retrouvé en cellule avec quelqu’un qui avait des problèmes psychiatriques. Il me réveillait plusieurs fois par nuit en mettant sa radio à fond. Il voulait que je laisse la place à un de ses amis. J’ai compris que je ne serais pas le plus fort et j’ai demandé à partir. De temps en temps, certains disjonctent. Ils font leur paquetage et demandent à aller au mitard. 80 % des détenus préféreraient rester seuls en prison. Témoignage de François Korber, détenu pendant vingt-cinq ans, recueilli par Yves Bordenave et Alain Salles, Le Monde, 9 septembre 2009.

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Qu’est-ce qu’un établissement pour peines ? Les centres de détention, les maisons centrales, les centres pour peines aménagées et les centres de semi-liberté sont des établissements pour peines, c’est-àdire des prisons réservées aux personnes condamnées définitivement. Les maisons centrales sont les établissements les plus sécuritaires, tandis que les centres de détention, les centres de semi-liberté et les centres pour peines aménagées sont davantage tournés vers la réinsertion sociale des condamnés. L’affectation dans l’un ou l’autre de ces établissements est décidée en fonction de leur catégorie pénale, de leur âge, de leur état de santé et de leur « personnalité ». Les condamnés détenus en établissement pour peines sont soumis à l’isolement de nuit, c’est-à-dire qu’ils doivent pouvoir bénéficier d’une cellule individuelle. Il ne

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peut être dérogé à ce principe que si le détenu lui-même le demande, ou si sa personnalité justifie que, « dans son intérêt », il ne soit pas laissé seul, ou enfin « en raison des nécessités d’organisation du travail ». Articles 717-1, 717-2 et D.70 à D.72-1 du Code de procédure pénale.

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Qu’est-ce qu’un centre de détention ? En janvier 2012, la France comptait 25 centres de détention (CD) et 38 quartiers CD. 17 995 personnes y étaient détenues, pour une capacité de 19 451 places. Dans ces établissements, sont exécutées les moyennes et longues peines de prison, dans le cadre d’un régime orienté vers la réinsertion. Les détenus des centres de détention peuvent bénéficier de permissions de sortir dès le tiers de leur peine (contre la moitié habituellement), à moins qu’ils aient été condamnés en récidive. Ces permissions peuvent durer cinq jours (au lieu de trois) en vue du maintien des liens familiaux ou de la préparation de la réinsertion sociale, voire dix jours une fois par an. Depuis 2002, des « régimes différenciés » ont été mis en place au sein de ces établissements. Ils ont été consacrés par la loi pénitentiaire de 2009, causant l’abandon de l’ouverture des portes des cellules en journée pour tous les détenus des centres de détention, qui leur permettait une certaine liberté de mouvement au sein de leur aile de détention. Articles 717-1, 717-2, D.72, D.146, A.39-1 et ancien article D.448 du Code de procédure pénale ; DAP, Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France au 1er janvier 2012, tableau de bord au 31 janvier 2012.

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Qu’est-ce qu’une maison centrale ? Les maisons centrales sont les établissements dotés d’une « organisation et un régime de sécurité renforcés ». Depuis 2003, l’administration pénitentiaire a décidé de la fermeture systématique en journée des portes des cellules en maison centrale. Cependant, son application reste plus ou moins stricte selon les établissements. En théorie, le régime de sécurité renforcé doit néanmoins permettre de « préserver et de développer les possibilités de réinsertion sociale des condamnés ». Comme dans les autres établissements, les détenus peuvent être réunis pendant la journée « pour le travail, les activités physiques et sportives, l’enseignement, la formation professionnelle ou les activités religieuses, culturelles ou de loisirs ». En revanche, ils ne bénéficient pas de permissions de sortir facilitées comme en centre de détention. Au 1er janvier 2012, la France comptait 6 maisons centrales et 6 quartiers maison centrale, dans lesquels 1 566 personnes étaient détenues, pour une capacité de 1 998 places. Articles D.71, D.95 et A.39 du Code de procédure pénale ; note DAP du 18 février 2003 portant consignes de sécurité dans les maisons centrales ; DAP, Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France au 1er janvier 2012, tableau de bord au 31 janvier 2012.

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Qu’est-ce qu’un centre pour peines aménagées ? Créés en avril 2002, les centres pour peines aménagées (ou quartiers assimilés) reçoivent des condamnés bénéficiant d’une mesure de semi-liberté ou d’un placement à l’extérieur, ainsi que des condamnés dont le reliquat de peine est inférieur à deux ans. Ces centres comportent un « régime essentiellement orienté vers la réinsertion sociale et la préparation à la sortie », qui repose sur des « actions d’insertion organisées à l’intérieur et à l’extérieur de ces établissements ». Le régime des CPA ne permet pas de recevoir des visites de l’extérieur mais les détenus peuvent obtenir des permissions de sortir dès le début de leur incarcération. Les permissions peuvent durer jusqu’à cinq jours, en vue du maintien des liens familiaux ou de la réinsertion sociale. En raison de l’absence de parloirs, l’affectation dans ces

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centres ne peut être décidée sans l’accord du condamné. En janvier 2012, seuls 6 quartiers pour peines aménagées étaient en fonctionnement sur tout le territoire. Ils accueillaient 362 personnes détenues pour une capacité totale de 441 places. Articles D.72-1, D.86, D.146-1 et A.39-3 du Code de procédure pénale ; DAP, tableau de bord au 31 janvier 2012.

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Qu’est-ce qu’un centre ou quartier de semi-liberté ? Les 11 centres de semi-liberté et les 7 quartiers de semi-liberté accueillent les condamnés pour lesquels a été décidée par un juge de l’application des peines une mesure de semi-liberté ou un placement à l’extérieur, lorsqu’ils ne sont pas placés dans des centres ou quartiers pour peines aménagées. Comme ces derniers, ils comportent un « régime essentiellement orienté vers la réinsertion sociale et la préparation à la sortie ». La semi-liberté et le placement à l’extérieur sont des modalités d’exécution de la peine qui permettent l’accomplissement d’une activité à l’extérieur de la prison, dans des conditions proches de la liberté. Le détenu rentre en détention soit chaque soir, soit chaque week-end quand « ses obligations extérieures se trouvent interrompues », selon des modalités fixées par le juge de l’application des peines. En janvier 2012, ces établissements ou quartiers accueillaient 677 détenus, pour une capacité totale de 768 places. Articles 723, D.72-1 et A.39-2 du Code de procédure pénale ; article 132-26 du Code pénal ; DAP, tableau de bord au 31 janvier 2012.

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Existe-t-il des établissements spécifiques pour les femmes détenues ? Qu’elles soient placées en détention provisoire ou définitivement condamnées, les femmes doivent être incarcérées dans un établissement ou un quartier spécifique. La stricte séparation des lieux d’hébergement des femmes et des hommes s’accompagne néanmoins d’une possibilité de participer à des activités mixtes, cette règle étant aussi valable pour les mineures. La population des femmes détenues étant très minoritaire au sein de la population carcérale (2 200 détenues au 1er janvier 2012, soit 3,4 % de l’ensemble), moins d’un tiers des établissements pénitentiaires sont aménagés de façon à les accueillir. 63 des 194 prisons en service en mars 2009 étaient habilitées en ce sens : 33 maisons d’arrêt et 16 quartiers maison d’arrêt, 3 centres de détention et 8 quartiers centre de détention, 6 centres de semi-liberté et 1 quartier de semi-liberté, 4 établissements pour mineurs. Dans la plupart de ces structures, les femmes sont regroupées dans quelques cellules réservées ou dans un quartier séparé. Certains quartiers « femmes » tels que ceux de Fresnes et Fleury-Mérogis sont des bâtiments totalement indépendants sur le site pénitentiaire. Rares sont les établissements uniquement dédiés à l’accueil de femmes, à l’instar des maisons d’arrêt pour femmes de Rennes et Versailles, ou du centre de détention de Rennes, unique établissement pour peines qui leur soit réservé. Très peu nombreuses, les mineures ne sont pas réparties dans les six établissements pour mineurs (EPM). Elles sont regroupées dans un établissement de chaque direction interrégionale : en région parisienne, les mineures sont désormais rassemblées au sein de la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, dans des locaux totalement séparés des adultes, y compris pour les activités et la promenade. Au total, il y avait 2 364 places théoriques en mars 2009 pour 2 097 femmes détenues. En janvier 2012, plus d’un tiers des femmes incarcérées étaient en détention provisoire (35,5 %) contre moins d’un quart pour les hommes (24,8 %). Article 28 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; articles R. 57-9-210, D.222 et D.248 du Code de procédure pénale ; Note DAP du 28 janvier 2010 sur les conditions d’accueil et modalités de prise en charge des jeunes filles incarcérées ; rapport Huet (n° 1506), Assemblée nationale, septembre 2009.

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Des conditions de détention spécifiques sont-elles prévues pour les femmes détenues ? Le Code de procédure pénale ne prévoit pas de régime de détention spécifique pour les femmes. Elles se voient appliquer la même réglementation que pour les hommes, à l’exception des femmes enceintes et des mères incarcérées avec leur enfant de moins de dix-huit mois, qui doivent en principe bénéficier d’un régime de détention « approprié ». En pratique, les femmes subissent cependant les effets de leur faible nombre lorsqu’elles sont détenues dans le « quartier femmes » d’un établissement prévu pour des hommes. Dans ce cas, elles ont souvent accès à un nombre limité d’activités et restent la majorité du temps en cellule. À la différence des hommes, les femmes détenues ne doivent être surveillées que par des personnes de leur sexe : le personnel masculin a « seulement accès aux locaux », « sur autorisation du chef d’établissement ». En pratique, le personnel des prisons de femmes est composé de gradés hommes, mais ils ne sont généralement pas au contact direct des détenues et n’interviennent dans le cadre d’incidents qu’accompagnés d’une surveillante. Ils ne doivent pas circuler dans les couloirs, regarder dans les œilletons ou effectuer les fouilles. Articles R.57-7-81, D.222, D.248 et D.400-1 du Code de procédure pénale.

Femmes détenues sans liens familiaux La rupture avec la famille et l’isolement consécutif des femmes détenues sont bien plus intenses que ceux des hommes qui continuent plus souvent à recevoir le soutien moral et matériel de leurs proches. La difficulté que connaissent les détenues pour maintenir des liens avec leur famille s’explique, en partie, par la localisation géographique des établissements pour peine recevant des femmes, et par la nature des crimes et des délits commis quand il s’agit d’homicides intrafamiliaux et en particulier d’infanticides. En outre, dans les établissements de la région Île-de-France, on trouve une proportion importante de détenues étrangères condamnées pour trafic de stupéfiant, dont les origines suivent les circuits de la drogue. […] Comme l’a précisé le directeur du centre de détention de Joux-la-Ville, très peu de femmes détenues continuent à avoir des contacts avec leur conjoint après l’incarcération, surtout après quelques années ; de fait, elles reçoivent peu de courrier, peu de visites et peu d’argent. Plus de la moitié des détenues du centre de détention de Joux-la-Ville n’ont jamais de visites au parloir. Cette différence importante avec la situation des hommes a des conséquences sur la vie en détention, mais aussi sur les possibilités de réinsertion à la sortie. Ceci rend d’abord plus difficiles les permissions de sortir, dans la mesure où la détenue ne sera pas hébergée par sa famille et ne sait où aller. Le même problème se pose à leur sortie de détention quand elles n’ont pas de logement, ni même de possibilité d’hébergement, alors que les hommes retrouvent le plus souvent un conjoint et un logement lorsqu’ils sont libérés. G. Huet, rapport d’information fait au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le projet de loi pénitentiaire (n° 1506), Assemblée nationale, septembre 2009.

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Existe-t-il des établissements spécifiques pour les mineurs détenus ? Les mineurs détenus, au nombre de 712, représentent 1,1 % de la population carcérale au 1er janvier 2012. La majorité d’entre eux sont des prévenus (58,6 %), alors que cette proportion est de 25,1 % pour la totalité des détenus. Tout détenu de moins de dix-huit ans doit être obligatoirement hébergé « soit dans un quartier spécial d’un établissement pénitentiaire, soit dans un établissement pénitentiaire spécialisé pour mineurs ». En pratique, cette règle de séparation entre mineurs et

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majeurs est inégalement respectée pour les garçons, et quasiment jamais pour les filles. Pour les prévenus de treize à seize ans, l’« isolement complet d’avec les détenus majeurs » doit être garanti, mais rien n’est prévu pour les condamnés. À titre exceptionnel, le chef d’établissement peut autoriser la participation du mineur de plus de seize ans aux activités organisées dans l’établissement pénitentiaire avec des personnes détenues majeures, « si l’intérêt du mineur le justifie ». Au 1er janvier 2012, il y avait 1 110 places dédiées à l’accueil des mineurs, réparties dans 55 établissements pénitentiaires : 26 maisons d’arrêt, 20 quartiers « maison d’arrêt » en centre pénitentiaire, 6 établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) et 3 centres de semi-liberté (CSL). En dehors des EPM et des CSL, les mineurs incarcérés sont rassemblés dans des quartiers « mineurs » qui sont soit complètement séparés, soit un simple regroupement de cellules contiguës, le plus à l’écart possible du reste de la population carcérale. Il existe aussi 4 centres pour jeunes détenus (CJD) à Aix-Luynes, Bordeaux-Gradignan, Fleury-Mérogis et Osny, structures qui accueillent à la fois des mineurs et des « jeunes majeurs » (18-21 ans). Depuis un décret de 2007, ces derniers ne peuvent plus être détenus avec les mineurs, sauf ceux qui atteignent la majorité en détention, qui peuvent être maintenus avec les mineurs jusqu’à « l’âge de dix-huit ans et six mois », sous réserve de n’avoir « aucun contact avec les prévenus âgés de moins de seize ans ». Articles 11 et 20-2 de l’ordonnance du 2 février 1945 ; articles R.57-9-11, R.57-9-17 et D.521 du Code de procédure pénale.

Des conditions de détention spécifiques sont-elles prévues pour les mineurs ? Le mineur doit en principe être placé seul en cellule, sauf exception « soit pour motif médical, soit en raison de sa personnalité », auquel cas il ne peut être placé qu’avec une seule personne « de son âge ». Les mineurs détenus doivent également faire l’objet d’une « intervention éducative continue ». La continuité des enseignements ou formations suivis par le mineur avant son incarcération doit en principe être assurée, et l’enseignement ou la formation doivent constituer la part la plus importante de son emploi du temps, qui doit aussi comprendre des activités socioculturelles et sportives ou de détente adaptées à son âge. Un temps doit enfin être consacré aux « activités de plein air ». Même si l’obligation scolaire ne leur est plus applicable, les mineurs de plus de seize ans doivent bénéficier d’une activité à caractère éducatif « destinée à contribuer au développement de leur personnalité et à favoriser leur insertion sociale, scolaire et professionnelle ». La prise en charge des mineurs détenus est assurée « conjointement » par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et l’administration pénitentiaire. Cependant, l’équipe pluridisciplinaire qui réunit les représentants des différents services est « présidée par le chef d’établissement ou son représentant ». Les personnels de la PJJ, qui dépendent du ministère de la Justice mais pas de l’administration pénitentiaire, assurent la « mise en œuvre des activités socio-éducatives » et la plupart des missions assurées par le service pénitentiaire d’insertion et de probation pour les majeurs (accès aux dispositifs d’insertion, préparation des aménagements de peine, etc.). En pratique, le régime de détention dans les quartiers mineurs et les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) est très différent : en particulier, la détention dans les EPM est organisée autour de nombreux temps collectifs, ce qui n’est pas le cas dans les quartiers mineurs. Quant aux « jeunes majeurs », âgés de dixhuit à vingt et un ans, ils doivent également faire l’objet d’un régime de détention particulier. Ils doivent bénéficier, en principe, d’une cellule individuelle. Ils peuvent

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néanmoins être placés avec d’autres détenus de leur âge, « soit pour motif médical, soit en raison de leur personnalité ». Ils doivent avoir accès à des activités d’« enseignement, de formation, de travail et socioculturelles et sportives ou de détente », sauf pour les prévenus si le magistrat saisi du dossier de l’information s’y oppose. Articles R.57-9-9 à R.57-9-17 et D.514 à D.521-1 du Code de procédure pénale.

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Qu’est-ce qu’un établissement pénitentiaire pour mineurs ? Au 1er janvier 2012, 260 mineurs sur 712 étaient détenus dans six établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). Ces établissements ont été construits après la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 (dite « loi Perben 1 ») sur les sites de Quiévrechain, Meyzieu (Rhône), Marseille, Porcheville, Orvault et Lavaur. Ces établissements autonomes comptent en théorie 60 places (50 pour celui d’Orvault), et sont divisés en unités de vie de 10 places maximum, dont en général une unité pour les filles, une unité arrivants et plusieurs unités de détention. En théorie, l’affectation d’un mineur dans un établissement et notamment le choix de l’affectation, soit en EPM, soit en quartier mineurs, doit « être liée à son intérêt personnel » et doit tenir compte de la proximité de son lieu de vie habituel, du lieu de mise en œuvre de son projet de sortie et, pour les prévenus, de la juridiction en charge du dossier. En pratique, l’affectation peut être liée à de tout autres motifs, comme par exemple la personnalité d’un mineur dont l’administration considère qu’il ne peut vivre en collectif et doit donc rejoindre un quartier pour mineurs. En principe, les mineurs sont pris en charge en collectif au cours de la journée par un binôme composé d’un éducateur de la Protection judiciaire de la jeunesse et d’un personnel pénitentiaire. Même si, selon la réglementation, « l’affectation en unité de vie et en cellule doit impérativement être dissociée des questions disciplinaires », la plupart des directions des EPM ont mis en place des régimes différenciés comportant une ou plusieurs unités avec un régime strict dans lesquelles les temps collectifs sont réduits voire supprimés. À titre dérogatoire, les activités organisées dans les EPM peuvent accueillir des détenus des deux sexes. Article R.57-9-10 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP n° 2007-G4 du 8 juin 2007 relative au régime de détention des mineurs ; DAP-PJJ, Document méthodologique pour la mise en œuvre des établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs, juin 2007.

Régimes différenciés en EPM Dans la plupart des EPM, des unités, appelées de confiance ou de responsabilité, permettent à certains mineurs de bénéficier d’un maximum de temps collectifs, d’une plus grande autonomie destinée notamment à les préparer à la sortie et parfois de quelques avantages du type accès à des jeux vidéo. Trois EPM ont aussi institué des unités de vie se caractérisant par des temps collectifs réduits ou inexistants, y compris pour les repas habituellement pris en cellule. […] Néanmoins, les risques […] résident dans le danger de stigmatisation de certains mineurs, l’installation d’une confusion entre un usage « sanction » du passage d’une unité à une autre et les ruptures de suivi éducatif induites par les changements d’unité. La direction de l’EPM d’Orvault s’est positionnée dès l’ouverture pour le maintien d’un régime de détention unique s’appliquant dans toutes les unités de vie. C’est précisément cette absence d’unités à régime différencié qui constitue pour cette direction un outil de prévention des actes de violence. Selon la chef d’établissement, [cela] « oblige chacun, mineur comme adulte, à revivre ensemble et donc à retravailler ensemble, même s’il y a passage à l’acte. Le mineur est donc amené à réfléchir plus en profondeur sur les raisons de son passage à l’acte, sur les façons de se contenir et d’appréhender avec plus de sérénité et de respect une

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situation identique ». La chef d’établissement relève aussi, dans la création d’unités « renforcées », le risque de stigmatisation des comportements et des détenus considérés comme difficiles, ainsi que le risque de reproduction de ruptures peu satisfaisantes en termes de travail éducatif. Rapport d’évaluation conjoint ISP et ISPJJ, relatif aux violences à l’encontre des personnels en EPM, 22 avril 2011.

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Qu’est-ce qu’un centre éducatif fermé ? Les centres éducatifs fermés (CEF) sont des établissements publics ou privés habilités, chargés d’accueillir des mineurs de treize à dix-huit ans, placés en application d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve, d’un placement à l’extérieur ou d’une libération conditionnelle. Ces centres ne dépendent pas de l’administration pénitentiaire : ce ne sont pas des établissements pénitentiaires. La prise en charge des mineurs y est confiée dans la plupart des cas aux services de la Protection judiciaire de la jeunesse. Au sein des CEF, les mineurs font néanmoins l’objet de mesures de surveillance et de contrôle qui doivent permettre d’assurer un « suivi éducatif et pédagogique renforcé et adapté à leur personnalité ». La violation des obligations auxquelles le mineur est astreint en vertu des mesures qui ont entraîné son placement en CEF peut entraîner, dans certains cas, son incarcération. Article 33 de l’ordonnance du 2 février 1945.

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Placement ou affectation en établissement pénitentiaire Les personnes placées en détention provisoire ou récemment condamnées à une courte peine sont toutes placées en maison d’arrêt, généralement celle du ressort de la juridiction qui a été chargée de leur affaire. Une fois condamnés, les détenus sont en théorie tous censés purger leur peine dans un établissement pour peine (centre de détention et maison centrale), sauf exception pour les peines de moins de deux ans. Mais, en réalité, l’exception est quasiment devenue la règle. Nombre de condamnés à une peine de plus de deux ans exécutent également l’ensemble de leur peine en maison d’arrêt. D’autres font l’objet d’une longue « procédure d’orientation » avant la première décision d’affectation, impliquant une analyse approfondie de leurs situation et personnalité, avec même parfois un passage de quelques semaines dans un « centre national d’évaluation »… Au final, la décision d’« affectation », qui est censée laisser une large place aux besoins du détenu en termes de liens familiaux ou de démarches d’insertion, s’avère le plus souvent guidée principalement par des motifs de « gestion des effectifs » et d’ordre interne dans les établissements. Le recueil de l’avis du détenu dans ce choix n’est pas même obligatoire, sauf s’il est mineur, plaçant une fois de plus le principal intéressé dans la position de subir des évaluations et des choix administratifs, au détriment de sa mobilisation dans un parcours d’insertion.

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Où sont incarcérés les prévenus ? En principe, les prévenus placés en détention provisoire doivent être incarcérés à la maison d’arrêt où siège la juridiction d’instruction ou de jugement chargée de leur affaire. Lorsque le prévenu relève du juge d’instruction d’une juridiction dans laquelle se trouve un pôle de l’instruction (car il n’y en avait pas dans le tribunal de grande instance initialement compétent), il peut également être détenu dans la maison d’arrêt du ressort de ce dernier. Toutefois, au cas où il n’y a pas de maison d’arrêt dans cette ville, ou si l’établissement du ressort n’offre pas une « capacité d’accueil ou des garanties de sécurité suffisantes », les prévenus sont en principe incarcérés à la maison d’arrêt la plus proche disposant d’« installations convenables ». Il en va de même lorsque la maison d’arrêt ne comporte pas de locaux « appropriés à l’âge ou à l’état de santé des intéressés » ou, pour les femmes, si l’établissement ne comprend pas de quartier aménagé pour elles. Enfin, les prévenus mineurs peuvent être incarcérés dans un établissement pénitentiaire spécialisé pour mineurs (EPM) qui n’est pas situé dans le ressort de la juridiction en charge de leur affaire. L’équipe pluridisciplinaire qui suit le mineur en prison peut proposer au magistrat saisi du dossier de l’information un transfert vers toute autre prison que son lieu d’incarcération initial, dans l’« intérêt du prévenu mineur ». Articles 714 et D.53 du Code de procédure pénale.

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Dans quels établissements sont incarcérés les condamnés ? Selon le principe posé par la loi, « les condamnés purgent leur peine dans un établissement pour peines ». Cependant, la loi prévoit deux exceptions. L’une, pour les détenus condamnés à une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à deux ans : « à titre exceptionnel », « lorsque des conditions tenant à la préparation de leur libération, leur situation familiale ou leur personnalité le

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justifient », ils peuvent « être maintenus en maison d’arrêt ». L’autre exception concerne les détenus condamnés auxquels il reste à subir une peine d’une durée inférieure à un an : ils peuvent être maintenus ou affectés en maison d’arrêt « à titre exceptionnel », sans condition relative à leur personnalité. Dans la pratique, ces exceptions constituent en réalité le principe, les condamnés à des peines de deux ans et moins étant généralement maintenus en maison d’arrêt. Quant aux autres condamnés, ils doivent souvent attendre de longs mois avant d’obtenir leur affectation en centre de détention ou maison centrale, les plus longues peines étant considérées comme prioritaires. Depuis la loi pénitentiaire de novembre 2009, tout détenu condamné auquel il reste à subir une peine d’une durée supérieure à deux ans peut, « à sa demande », « obtenir son transfèrement dans un établissement pour peines dans un délai de neuf mois à compter du jour où sa condamnation est devenue définitive », sauf s’il bénéficie d’un aménagement de peine ou s’il est susceptible d’« en bénéficier rapidement ». Il est donc conseillé d’effectuer cette demande par courrier auprès de la direction de l’établissement au plus vite après que la condamnation est devenue effective. La tonalité impérative de cette nouvelle disposition permet d’espérer que le juge administratif veillera à son respect par l’administration. En cas de maintien en maison d’arrêt, les condamnés doivent être incarcérés « dans un quartier distinct » de celui des prévenus, principe qui n’est néanmoins pas systématiquement respecté. Article 717 du Code de procédure pénale.

Seize mois d’attente d’affectation en établissement pour peines Cela fait plus de seize mois que Monsieur Z., condamné définitivement depuis le 18 février 2009, date de l’arrêt de la Cour de cassation ayant donné acte du désistement de son appel, est maintenu en maison d’arrêt, malgré son souhait répété et appuyé par le président de la cour d’assises d’être affecté et transféré au plus tôt en établissement pour peines. Cette situation préjudicie à l’intéressé en ce qu’elle entrave ses efforts de réinsertion. Elle crée de fait un préjudice moral et maintient concrètement Monsieur Z. en maison d’arrêt [...] alors qu’il devrait pouvoir subir son incarcération dans des conditions plus favorables au travail psychothérapique qu’il souhaite continuer et à sa réinsertion. En outre, dans la mesure où il est constant que l’accès à un travail rémunéré est bien plus rare en maison d’arrêt qu’en établissement pour peines, cette situation fautive le prive d’accès à un travail décemment rémunéré. Requête en indemnisation d’un détenu devant le tribunal administratif de Grenoble, octobre 2010.

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Où sont incarcérées les personnes qui sont à la fois prévenues et condamnées ? Les détenus qui sont prévenus pour une cause et condamnés pour une autre « peuvent être détenus dans des établissements pour peines », « sauf décision contraire » du magistrat saisi du dossier de la procédure dans lequel le détenu est prévenu. Concrètement, lors de la procédure d’orientation mise en œuvre, l’administration pénitentiaire sollicite l’avis du magistrat. Il est donc conseillé au détenu d’adresser un courrier (lui-même ou son avocat) pour lui demander de ne pas s’opposer à l’affectation, en motivant la demande. En général, l’administration pénitentiaire ne procède néanmoins à l’affectation de prévenus en établissement pour peines que si l’instruction est terminée et qu’il leur reste au moins trois ans de peine à effectuer dans l’affaire pour laquelle ils sont déjà condamnés. Dans tous les cas, les condamnés également prévenus « doivent être soumis au

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même régime que les condamnés », « sauf à bénéficier des avantages et facilités accordés aux prévenus pour les besoins de leur défense ». Article D.52 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

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Qu’est-ce que la procédure d’orientation ? La procédure d’« orientation » est le préalable à la première décision d’affectation prise à l’égard d’un détenu dont la condamnation est devenue définitive. En d’autres termes, la première affectation du condamné passe obligatoirement par une « procédure d’orientation », alors que les éventuelles décisions d’affectation suivantes font suite à une simple « procédure d’affectation », plus succincte. La procédure d’orientation est censée « permettre une gestion dynamique du temps de détention et de préparer la réinsertion des condamnés ». Elle consiste à réunir tous les éléments relatifs « à la personnalité du condamné, ses antécédents, sa catégorie pénale, son état de santé physique et mentale, ses aptitudes, ses possibilités de réinsertion sociale, et d’une manière générale tous les renseignements susceptibles d’éclairer l’autorité compétente pour décider de son affectation ». Toutes ces informations sont fournies par l’autorité judiciaire ou recueillies par l’administration pénitentiaire, éventuellement au travers « d’un avis et d’une synthèse en commission pluridisciplinaire unique (CPU) » et, le cas échéant, des examens auxquels le condamné est soumis dans un centre national d’évaluation (CNE). C’est le chef d’établissement du lieu d’incarcération du condamné qui est chargé de constituer le dossier d’orientation, qu’il transmet ensuite au directeur interrégional. Lorsque la décision d’affectation relève du ministre, le directeur interrégional communique à la Direction de l’administration pénitentiaire le dossier d’orientation assorti de son avis. Ces transmissions doivent être effectuées « dans les meilleurs délais ». En revanche, il n’est prévu aucun délai dans lequel la décision d’orientation doit être prise. Articles D.74 à D.79 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

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Quels sont les condamnés soumis à la procédure d’orientation ? La procédure d’orientation est obligatoirement mise en œuvre pour les condamnés dont le temps d’incarcération effectif restant à subir après le jugement définitif est supérieur à deux ans. C’est également le cas pour les condamnés mineurs dont le temps d’incarcération à subir est de plus de trois mois. Ces calculs s’effectuent après déduction des réductions de peine. La procédure d’orientation est facultative pour les autres détenus. Le chef d’établissement peut décider, d’office ou sur proposition du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), de constituer un dossier d’orientation en raison par exemple de la personnalité d’un détenu, du maintien de ses liens familiaux ou d’un « projet de réinsertion particulier ». Par ailleurs, il est « recommandé » aux directions interrégionales de procéder à l’orientation (en vue d’une affectation en établissement pour peines) des condamnés dont la durée de détention à subir est supérieure à six mois, « chaque fois que cela permettra de lutter contre la surpopulation des maisons d’arrêt de leur ressort ». Dans la mesure où les établissements pour peines sont quasiment pleins en permanence, cette recommandation a peu de chances de pouvoir être suivie. Les textes ne prévoient pas que le dossier d’orientation puisse être constitué à la demande du détenu, mais rien n’empêche une telle démarche, qui doit être effectuée auprès du chef d’établissement (éventuellement avec le soutien du

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SPIP) sur le fondement du principe selon lequel « les condamnés purgent leur peine dans un établissement pour peines ». Articles 707 et D.76 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

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Que contient le dossier d’orientation ? Le dossier d’orientation comprend l’imprimé MA 700-03, renseigné par l’ensemble des personnes qui ont eu à connaître le détenu pendant son séjour en maison d’arrêt. Il doit faire état d’un certain nombre d’avis et propositions obligatoires (SPIP, JAP, chef de l’établissement, personnel soignant et, pour les mineurs, PJJ, autorité parentale, mineur lui-même) et facultatifs (procureur, juridiction de condamnation, condamné, etc.). L’ensemble de ces avis doivent être identifiés par apposition de la date et des nom, qualité et signature de leur auteur. Le dossier contient en outre nombre d’informations sur le détenu (profil pénal, renseignements socioprofessionnels, permis de visite, régularité des parloirs et des contacts téléphoniques, « conditions de prise en charge sanitaire » sur les plans physique et psychique, comportement en détention, informations sur les éventuels aménagements de peine en cours, etc.). Il doit être accompagné de la fiche pénale. Dans le cas d’une orientation pour une détention restant à subir supérieure à six mois (donc la plupart du temps), le dossier doit comporter de nombreuses autres pièces : une copie du bulletin n° 1 du casier judiciaire, la « notice individuelle » du condamné transmise par l’autorité judiciaire, l’extrait du jugement ou de l’arrêt de condamnation (ou la décision en totalité), l’éventuelle décision sur les intérêts civils, le réquisitoire définitif du parquet, une copie des enquêtes sur la personnalité, la situation matérielle, familiale ou sociale de l’intéressé établies dans le cadre de la procédure pénale ; la copie du rapport des examens médicaux, psychiatriques ou médicopsychologiques auxquels il a été éventuellement procédé en vertu d’une décision judiciaire ; la copie du réquisitoire définitif. Dès que la condamnation acquiert un caractère définitif, les pièces judiciaires doivent être fournies par le parquet, dans les plus brefs délais, à la direction de l’établissement où est détenu le condamné. Si ces pièces ne parviennent pas au directeur, il doit « veiller à réitérer régulièrement sa demande auprès du parquet afin d’obtenir leur transmission ». Toute observation ou tout document sur la personnalité du détenu, sa formation ou son travail en détention « qu’il semblerait opportun de voir poursuivi » doivent être joints. Il en va de même de l’identité et du domicile des titulaires d’un permis de visite et de la fréquence de leurs visites, « afin d’appréhender au mieux l’étendue des liens familiaux de la personne détenue ». Enfin, le chef d’établissement doit informer « sans délai » le directeur interrégional de toute modification concernant la situation pénale du condamné pour lequel une procédure d’orientation est engagée (confusion de peines, nouvelles poursuites, nouvelles condamnations…). Le dossier d’orientation est un document administratif communicable au détenu qui en fait la demande (avis CADA n° 20011369 du 17 mai 2001). Articles D.75 à D.79 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

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Qu’est-ce qu’un centre national d’évaluation ? Initialement créé en 1950, le centre national d’évaluation (anciennement appelé centre national d’observation – CNO) est installé dans l’un des bâtiments du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne). Un second CNE a ouvert au centre pénitentiaire de Réau (Seine-et-Marne) en septembre 2011. Ces centres ont

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pour fonction d’observer et d’évaluer les détenus qui leur sont confiés pendant quelques semaines et de faire des propositions d’affectation les concernant. Le plus souvent, le passage au CNE a lieu dans le cadre de la procédure d’orientation qui fait suite à la condamnation du détenu, mais il peut aussi intervenir lors de procédures d’affectation ultérieures. Depuis 2008, le passage au CNE peut également précéder, dans certains cas, la libération du condamné. En 2012, le CNE de Fresnes était en principe réservé aux détenus préparant leur sortie, et celui de Réau aux détenus faisant l’objet d’une procédure d’orientation. En revanche, les femmes condamnées relèvent toutes du CNE de Fresnes. Le personnel des CNE se compose d’une « équipe pluridisciplinaire » qui comprend quatre pôles : surveillance, SPIP, psychotechnique (éducateurs), psychologique. Au CNE, le détenu est « soumis aux différents examens qui semblent nécessaires », ce qui donne lieu à des entretiens socio-éducatifs, des examens psychiatriques, des bilans de santé, des tests psychotechniques et des examens psychologiques, sur la base desquels un bilan de la situation et de la personnalité du détenu est dressé. Les surveillants du CNE sont associés au travail d’observation des détenus. Au vu du dossier d’orientation, des examens réalisés et des propositions du centre national d’évaluation, une décision d’affectation sera prise par le ministre de la Justice. Articles 723-31-1, D. 81-2 et D. 527-1 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

« Repérer les points forts et les zones de fragilité » Quand on parle d’évaluer le « risque de récidive », Luc Petitzon, psychologue au centre national d’évaluation (CNE) des détenus à Fresnes, préfère chercher les « zones de fragilité » des condamnés, lister leurs points forts et leurs faiblesses. […] Rebaptisé en 2010 « centre national d’évaluation », après avoir été durant des années « centre national d’observation », il a vu ses missions évoluer. « Jusqu’alors, il s’agissait d’orienter les longues peines sur un projet d’exécution de leur condamnation et une prise en charge médicopsychologique. Désormais on nous demande d’appliquer notre expertise à l’évaluation de la dangerosité et au risque de récidive », explique le psychologue. « Dans les deux cas, on procède au même type de bilan : reprendre l’histoire du détenu, les faits, le déroulement de la détention, la qualité des liens familiaux, jauger la capacité d’introspection ». […] Au point de pouvoir dire si un condamné qui a sollicité une libération conditionnelle risque de récidiver, ou non ? « Je pense qu’on a une bonne capacité de prédiction à court terme. Mais se prononcer sur le long terme, ce serait une imposture », estime Luc Petitzon. Encore faut-il s’entendre sur le terme de prédiction : « Je cherche surtout à repérer des zones de fragilité. Une personne peut être amenée à reproduire des actes dans des circonstances précises. Le problème n’est pas de répondre de façon binaire en disant oui ou non mais d’identifier les éléments favorables, ceux qui le sont moins. Les choses vont rarement toutes dans le même sens », poursuit-il. AFP, 23 novembre 2011.

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Qui peut effectuer un passage dans un centre national d’évaluation ? Dans le cadre d’une procédure d’affectation, seul le ministre de la Justice (Direction de l’administration pénitentiaire, en pratique) peut décider du passage d’un condamné au CNE, les directeurs interrégionaux n’ayant qu’un pouvoir de proposition en ce domaine. Cette décision n’est plus nécessairement liée au quantum de la peine ni au reliquat restant à purger : elle est prise, à moins que le détenu n’ait demandé lui-même à y être envoyé, en fonction de la « personnalité du condamné », de son « profil pénal ou pénitentiaire », de sa « situation pénale » ou de la « nécessité de préparer ou non un projet en lien avec l’établissement pour peines ». Depuis 2008, le passage au CNE « pour une durée d’au moins six semaines » est également obliga-

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toire pour les condamnés à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans, pour des crimes faisant encourir un suivi sociojudiciaire. Il doit avoir lieu « dans l’année qui suit » leur condamnation définitive. Lors de son séjour, le condamné relève du juge de l’application des peines du tribunal dans le ressort duquel est situé le CNE. Au terme de la période d’évaluation, les détenus sont incarcérés à la maison d’arrêt de Fresnes ou de Réau en attendant la décision d’affectation du ministre de la Justice et le transfert effectif dans l’établissement pénitentiaire choisi. Cette attente peut durer entre deux mois et deux ans, selon les places disponibles dans les établissements pour peines. Par ailleurs, le CNE peut accueillir les condamnés avant leur sortie de prison, dans plusieurs hypothèses. Tout d’abord, les personnes pour lesquelles la cour d’assises a prévu la possibilité d’un placement en rétention de sûreté à la sortie de prison doivent obligatoirement faire l’objet d’une « évaluation pluridisciplinaire de dangerosité », faisant nécessairement suite au placement pendant « au moins six semaines » au CNE, au moins un an avant la date de libération prévue. Les condamnés susceptibles de faire l’objet d’une surveillance judiciaire peuvent faire l’objet d’une évaluation similaire, sur demande du JAP ou du procureur de la République, après un placement au CNE d’une durée « comprise entre deux et six semaines ». Le placement au CNE aux fins d’évaluation de la dangerosité est également obligatoire avant tout octroi d’une libération conditionnelle aux personnes condamnées à perpétuité, à une peine d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour des crimes faisant encourir le suivi sociojudiciaire, ou à une peine d’une durée égale ou supérieure à dix années pour une infraction faisant encourir la rétention de sûreté. Enfin, le ministre de la Justice peut aussi décider du placement d’un condamné au CNE à tout moment, notamment dans la perspective d’une « libération conditionnelle ou d’une meilleure individualisation du régime de détention ou d’exécution de la peine ». Dans le cas d’un transfert au CNE pour une session d’évaluation de la dangerosité préalable à la sortie de prison, la personne doit « dans la mesure du possible » réintégrer son établissement d’origine « dès que la session est terminée ». Articles 706-53-13 et 706-53-14, 717-1 A, 723-31-1, 729, 730-2, D.81-1, D.81-2, D.82-4 et D.527-1 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

« Des entretiens et des tests » Au CNE, la journée commence à 7 h 00 lorsque le surveillant passe dans les cellules pour dire bonjour, ramasser le courrier, demander si on va en promenade. Le petit-déjeuner arrive vers 7 h 30, puis il y a la douche quand c’est le jour (3 fois par semaine), puis après plus rien jusqu’à 8 h 45, heure de la promenade qui finit à 10 h 45. Le déjeuner arrive vers 11 h 15-11 h 30, après on revoit le surveillant à 13 h 00 lorsqu’il prend son service et nous demande si l’on va en promenade l’après-midi. Ensuite vient l’heure de la promenade, 14 h 45 jusqu’à 16 h 45. Le matin de 8 h 30 à 11 h 30, et l’après-midi de 13 h 30 à 17 h 30, on peut être appelés pour des entretiens, des tests, etc. La journée s’achève avec la distribution du dîner vers 17 h 30. Dans la semaine, aux heures de promenade, il y a sport libre et sport avec prof, il y a aussi la musculation, le ping-pong et plusieurs activités comme « activité conte », tai-chi-chuan et quelques autres. Si l’on regarde bien, c’est pareil à une détention normale, avec en plus des entretiens et des tests. Témoignage d’un détenu au CNE de Fresnes, courrier à l’OIP, 2010.

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Sur la base de quels critères sont prises les décisions d’affectation ? Qu’elle fasse suite à une « procédure d’orientation » ou non (décision initiale ou décision ultérieure), la décision d’affectation doit en principe répondre à

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un certain nombre de critères. La loi prévoit que la répartition des condamnés dans les prisons s’effectue « compte tenu de leur catégorie pénale, de leur âge, de leur état de santé et de leur personnalité ». Dans sa réglementation interne, l’administration privilégie quatre principaux critères. En premier lieu, la « dangerosité » doit être un critère « particulièrement déterminant pour le choix d’établissement ». Par exemple, pour les « détenus particulièrement signalés » (DPS), une « orientation vers une centrale doit être privilégiée », et il peut en aller de même pour les « très longues peines ». Dans tous les cas, le choix doit également être fait « au regard des antécédents pénitentiaires » (éviter une affectation dans un établissement où le détenu a déjà causé un incident grave, dont il s’est évadé, etc.) et de la « localisation d’éventuels complices judiciaires ou coauteurs d’incidents » (éviter qu’ils soient réunis). En second lieu, le « maintien des liens familiaux » est considéré comme un critère « essentiel » : il doit être recherché « afin de préserver l’équilibre de la personne détenue, favoriser ses liens avec l’extérieur et faciliter sa réinsertion ». En troisième lieu, la demande du détenu quant à un travail ou une formation professionnelle spécifique à un établissement peut être également prise en compte. Enfin, les nécessités d’une prise en charge psychiatrique ou psychologique importante doivent être examinées. Dans ce cas, devrait être privilégiée une affectation vers un établissement disposant d’un service médicopsychologique régional (bien que souvent situé en maison d’arrêt). Ils peuvent également être affectés au quartier maison centrale du centre pénitentiaire de Château-Thierry (Aisne), prévu pour accueillir de façon « temporaire » des détenus « rencontrant des difficultés pour s’intégrer à un régime de détention classique », afin de les « réadapter » à celui-ci. Les personnes condamnées pour infractions à caractère sexuel devraient quant à elles être affectées « prioritairement » dans un des 22 établissements « proposant une prise en charge spécialisée » (ils sont notamment censés disposer de personnels soignants en plus grand nombre). Selon les cas, tout autre critère comme l’âge ou l’état de santé peut également être pris en compte. Article 717-1 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

Château-Thierry : un lieu de passage pour redevenir « apte » à la détention ordinaire Le clivage entre le médical et le pénitentiaire constaté dans la plupart des établissements ne se vérifie pas à Château-Thierry. Cette continuité est visible dans la redéfinition de la procédure d’affectation des détenus, rendue nécessaire par la réforme. Ainsi, l’administration centrale devient seule compétente pour prendre la décision d’affectation « dès lors que les médecins psychiatres de l’établissement d’origine et du centre pénitentiaire de Château-Thierry avaient émis un avis favorable ». La participation des services psychiatriques est donc toujours sollicitée à ce sujet mais de manière subalterne, comme il ressort des critères qui guident désormais la décision d’affectation d’un détenu au quartier maison centrale de Château-Thierry : Le reliquat de peine au moment de l’affectation doit être supérieur ou égal à dixhuit mois. Il s’agit du seul critère relevant strictement du champ pénal. – Le détenu ne relève ni d’une hospitalisation en SMPR ni d’une hospitalisation d’office, ce qui doit être attesté par un psychiatre. Cette formulation un peu elliptique indique que soit il n’a pas été déclaré comme relevant de la psychiatrie « pure » (placement d’office), soit il a refusé les soins dans un SMPR, où sont orien-

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tés les détenus présentant des troubles mentaux ayant accepté le traitement. On identifie ici le critère médico-psychiatrique. – Le détenu « n’arrive pas à s’intégrer à un régime de détention classique » : ce critère relève de la gestion pénitentiaire. Sa formulation quelque peu vague sera remaniée en mars 2001, à l’occasion de la réouverture du quartier maison centrale : « Ce lieu est destiné à permettre à un détenu, qui rencontre des sérieuses difficultés pour s’intégrer à un régime de détention classique ou qui est resté longtemps en isolement, de restaurer des liens sociaux et de se réadapter à la détention ordinaire après un séjour temporaire dans cet établissement. » Ana-Maria Falconi, « Quelques caractéristiques des détenus affectés au quartier maison centrale de Château-Thierry », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n° 28, DAP, décembre 2008.

Quelle est la procédure commune à toutes les décisions d’affectation ?

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Avec ou sans « procédure d’orientation » préalable, une procédure d’affectation ou de changement d’affectation est engagée après la condamnation définitive ou ultérieurement, avec à la clé trois possibilités : une affectation dans un établissement pour peines, un transfert vers une autre maison d’arrêt, ou un maintien dans l’établissement actuel. La décision d’affectation, initiale ou ultérieure, doit être motivée en droit (viser des textes sur lesquels se fonde la décision) et en fait (exposer des critères ayant conduit à la décision). Cette décision correspond au choix de l’établissement de destination, mais elle n’est souvent mise en œuvre que bien plus tard (en général plusieurs mois, voire années) avec un « ordre de transfert » qui ordonne le changement effectif d’établissement. « Dans le délai d’un mois maximum » après sa signature, la décision d’affectation doit être en principe portée à la connaissance du condamné. À défaut, elle constitue un « document communicable » au détenu, qui peut en faire la demande au chef d’établissement de son lieu de détention, même après son transfert. La décision d’affectation doit être également communiquée au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de l’établissement d’origine, qui pourra éventuellement alerter le directeur sur la nécessité d’un maintien dans l’établissement, par exemple en raison d’une procédure d’aménagement de peine en cours. Il s’agira sinon pour le SPIP de prendre attache avec le SPIP de destination pour favoriser la continuité du suivi (projet d’exécution de peine, formation générale ou professionnelle, préparation sortie, programme de prévention de la récidive, etc.) et « que les démarches entreprises puissent se poursuivre dans les meilleures conditions ». Articles D.81, D.81-1, D.82 et D.82-1 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues ; avis CADA n° 20063950-CB du 29 septembre 2006.

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Qui décide de l’affectation du condamné ? Les autorités compétentes pour décider d’une affectation sont soit le ministre de la Justice (concrètement, le bureau de gestion de la détention (EMS1) de l’« étatmajor de sécurité » au sein de la Direction de l’administration pénitentiaire), soit le directeur interrégional des services pénitentiaires, soit dans certains cas le chef d’établissement. Le ministre (DAP/EMS1) est seul compétent pour l’affectation en maison centrale ou quartier maison centrale, et pour celle des condamnés pour actes de terrorisme ou inscrits au répertoire des « détenus particulièrement signalés ». Il décide également de l’affectation initiale des condamnés à une ou plusieurs peines dont la durée est supérieure ou égale à dix ans et pour lesquels le temps d’incarcération restant à subir était supérieur à cinq ans quand leur

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condamnation (ou la dernière de leurs condamnations) est devenue définitive. En cas de changement d’affectation de ces derniers, il en décide seulement si le temps restant à subir est supérieur à trois ans. Pour les autres condamnés, chaque directeur interrégional des services pénitentiaires (DISP) décide de l’affectation dans les établissements situés dans son ressort. Sa compétence se limite aux personnes incarcérées dans les prisons de sa région pénitentiaire : lorsqu’un condamné répond aux critères de compétence du directeur interrégional mais qu’il doit être affecté dans une autre direction interrégionale, la décision revient en principe à l’administration centrale. Toutefois, deux procédures spécifiques dites du « droit de tirage » et de la « mise à disposition interrégionale » permettent, sous conditions, l’affectation d’un détenu d’une interrégion à une autre, dans le cadre d’un accord passé entre le directeur interrégional de départ et celui de destination. Si le directeur interrégional pense nécessaire d’affecter le condamné en centrale ou dans un centre national d’évaluation, il adresse cette proposition au ministre qui en décide. En pratique, dans la plupart des cas, le dossier d’affectation passe par la direction interrégionale qui l’examine lors d’une commission qui se réunit à intervalles réguliers. Enfin, le directeur interrégional peut déléguer sa compétence aux directeurs des établissements comprenant un quartier maison d’arrêt et un quartier centre de détention, pour l’affectation des condamnés qui y sont écroués et auxquels il reste à subir une incarcération d’une durée inférieure à deux ans au moment où leur dernière condamnation est devenue définitive. Le chef d’établissement ne peut décider que d’une affectation de la maison d’arrêt vers le centre de détention, jamais l’inverse. Les directeurs des établissements comprenant un quartier maison d’arrêt et un quartier pour peines aménagées (QPA) peuvent également décider de l’affectation au QPA des condamnés auxquels il reste à subir une incarcération dont la durée totale n’excède pas un an au moment où leur condamnation est devenue définitive. Le chef d’établissement ne peut décider de l’affectation du QPA vers la maison d’arrêt que s’il avait lui-même décidé de l’affectation en QPA ou « en urgence, sous réserve que l’autorité compétente statue dans les meilleurs délais ». Dans le cas d’une affectation au sein d’un même établissement, la procédure d’affectation est très succincte. En cas de doute sur l’autorité compétente pour une décision d’affectation, il est conseillé de prendre contact avec la direction interrégionale du lieu de détention. Articles D.80 à D.82-3 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

Affecté à 1 000 km de sa famille pour « parcours d’exécution de peine dynamique » Ma concubine et ma fille sont à Antibes (06, Alpes-Maritimes). Quand j’étais à Nice, la CIP a fait un dossier d’affectation pour Casabianda en Corse pour rapprochement familial avec certificat de domicile sur Antibes, certificat de scolarisation de ma fille qui a aujourd’hui quatorze ans. J’ai été transféré au CNE de Fresnes en juillet 2011 où j’ai vu un papier marqué « affectation à Ensisheim ou St-Martin-de-Ré » avant même d’avoir commencé quoi que ce soit. Je l’ai un peu pris mal et j’ai vu ça avec la directrice du SPIP et la sous-directrice du CNE, qui tout au long du stage m’a bien aidé. Elle m’a donné un manuscrit de renseignements. [Elle] m’a dit que la décision d’affectation avait été prise par le Bureau de la gestion de la détention EMS1 du ministère de la Justice. Après il est vrai que je n’ai pas toujours été très calme pendant ce stage car le fait déjà de voir en arrivant la décision d’affectation pour Ensisheim ou St-Martin-de-Ré à plus de 1 000 kilomètres de chez moi n’a rien fait pour arranger les choses. Mais bon, la directrice m’a dit que tous les intervenants du CNE et

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même le responsable des surveillants avaient été dans le sens de Casabianda, mais que le ministre maintenait St-Martin-de-Ré contre tout avis. […] Jusqu’au dernier jour, cette directrice a essayé de proposer d’autres solutions, centrale d’Arles, CD de Muret, Casabianda. Tout a été refusé. J’ai aussi fait un courrier sur conseil de la directrice du SPIP au ministère. Mais cela n’a rien changé. La directrice m’a indiqué aussi que je pouvais faire un recours auprès du tribunal administratif pour abus de pouvoir en violation de l’article 8 de la CEDH pour rapprochement familial, ce que j’ai fait ici. […] Dans la décision d’affectation, il est inscrit les motifs suivants : « Établissement adapté au profil pénal de l’intéressé, au sein duquel il sera en mesure de mettre en place un parcours d’exécution de peine dynamique. » Témoignage d’une personne détenue en centrale, courrier à l’OIP, novembre 2010.

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Qui donne son avis sur l’affectation du condamné ? Dans tous les cas d’affectation ou de changement d’affectation, la décision doit toujours être prise, « sauf urgence », après consultation du juge de l’application des peines (JAP). De même, le président de la juridiction de condamnation et le parquet peuvent donner leur avis « sur l’affectation qui leur semble la mieux appropriée au condamné ou sur celle qui, au contraire, leur paraît inadaptée ». L’avis du parquet est obligatoire, sauf urgence, en cas de changement d’affectation, et il est très fréquemment sollicité dans le cadre de la procédure d’orientation. En revanche, l’avis du président de la juridiction est très rare en pratique, mais le détenu peut le solliciter s’il l’estime utile pour obtenir telle décision d’affectation, en motivant sa demande autour de l’objectif de réinsertion assigné à l’exécution de la peine, notamment dans le cas d’une longue peine. Pour les condamnés à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes faisant encourir un suivi sociojudiciaire, les textes prévoient que c’est le JAP qui « définit » le parcours d’exécution de peine, qui inclut les « modalités de prise en charge » du détenu et, notamment, son lieu de détention. Le JAP doit donc jouer un rôle moteur pour l’affectation de cette catégorie de condamnés. L’avis du SPIP est obligatoire dans le cadre de la procédure d’orientation, et il est très souvent sollicité également pour les changements d’affectation ultérieurs. Dans tous les cas, l’autorité décisionnaire peut également demander au SPIP une « enquête sur la situation familiale et sociale » du condamné. Le service médical (UCSA) doit pour sa part communiquer les « renseignements strictement nécessaires à l’orientation du détenu » quant à sa santé mentale et physique, et notamment pratiquer l’« examen des personnes détenues sollicitant pour raison médicale un changement d’affectation ou une modification ou un aménagement quelconque de leur régime de détention ». En pratique, les soignants sont fréquemment invités à renseigner les dossiers d’orientation et de changement d’affectation. Cette pratique peut s’avérer contraire au respect du secret médical si elle est exercée sans l’accord du détenu. En revanche, celui-ci peut toujours demander un certificat médical ou qu’il soit transmis au chef d’établissement en vue d’appuyer ses vœux en matière d’affectation. En dehors du cas où il demande lui-même un changement d’affectation, aucun texte n’impose que l’avis du condamné majeur soit recueilli. La seule hypothèse dans laquelle l’intéressé doit communiquer son accord écrit est l’affectation en centre ou quartier pour peines aménagées. Cependant, l’introduction par la jurisprudence de l’obligation d’un débat contradictoire dans certains cas de transferts conduit peu à peu à la prise en compte de cet avis, même s’il n’est souvent que de pure forme. En revanche, la « proposition » ou l’avis du chef d’établissement et celui du directeur interrégional (dans le cas d’une affectation de compétence ministérielle) sont

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primordiaux. Il est donc conseillé au détenu de leur écrire directement, éventuellement par l’entremise d’un avocat, afin de leur exposer les souhaits d’affectation et les raisons qui les soutiennent. Lorsque le détenu est mineur, son avis et celui de ses représentants légaux doivent en revanche être systématiquement recueillis lors de la procédure d’orientation, ainsi que celui de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et du juge des enfants. L’avis de l’équipe pluridisciplinaire qui suit le mineur peut l’être également. En revanche, il n’existe aucune obligation de recueil d’avis du mineur, de ses représentants légaux, de la PJJ ou du juge en cas de changement d’affectation : il est seulement « préconisé » d’intégrer au dossier l’« avis de l’équipe pluridisciplinaire ou au moins un rapport de la PJJ ». Articles 707, 717-1A, 717-1-1, R.57-8-1, D.72-1, D.76, D.78, D.82-1 et D.382 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues ; circulaire DAP-PJJ du 8 juin 2007 relative au régime de détention des mineurs.

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Quand l’affectation peut-elle être modifiée ? L’affectation peut être modifiée soit à la demande du directeur de l’établissement dans lequel le détenu exécute sa peine, soit à la demande du condamné. Dans les deux cas, le changement ne peut intervenir que si « un fait ou un élément d’appréciation nouveau » est survenu depuis la décision initiale. En pratique, il est rare que le détenu obtienne gain de cause avant d’avoir séjourné un certain temps dans son lieu de détention actuel, le plus souvent une année. Il peut motiver sa demande notamment par la nécessité d’un rapprochement familial, la volonté de suivre un enseignement, une formation ou un travail dispensé dans un autre établissement, le souhait de changer de régime de détention, son état de santé, etc. Lorsqu’elle émane du chef d’établissement, la demande de changement d’affectation peut reposer sur des motifs favorables ou défavorables au détenu. Elle peut intervenir par exemple au bénéfice d’un condamné en fin de peine, que le directeur propose d’affecter dans un établissement particulier en préparation de sa sortie. Les condamnés incarcérés en maison centrale, dont le comportement s’est « stabilisé » aux yeux de l’administration, sont également susceptibles d’être proposés pour une affectation dans un établissement moins sécuritaire (centre de détention). À l’inverse, le chef d’établissement peut aussi demander le changement d’affectation d’un condamné « dont le comportement se révèle incompatible avec l’application du régime propre à l’établissement pour peines » ou pour les nécessités du « maintien du bon ordre dans l’établissement ». Le directeur doit en théorie tenir compte de la « situation familiale de la personne détenue, des formations engagées dans l’établissement et du projet éventuel d’aménagement de peine » mais, en pratique, les considérations liées au maintien de l’ordre sont largement prééminentes. Enfin, rien n’empêche l’administration de décider du changement d’affectation d’un condamné placé en centre ou quartier de semi-liberté mais, dans ce cas, l’avis du juge de l’application des peines est « déterminant » et l’établissement choisi doit « être compatible avec les assignations auxquelles est soumis le condamné ». Articles D.82 et D.87 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

« D’accord pour une sanction mais pas contre ma famille » Cela fait cinq ans que je me bats pour obtenir un rapprochement familial, j’ai écrit plusieurs fois à la personne qui gère mon dossier au ministère, ma famille n’arrête pas de lui téléphoner mais elle refuse toujours de leur parler. J’ai même écrit au président de la République, au garde des Sceaux et même, à plusieurs reprises, à différentes directions régionales, mais à chaque fois, au lieu de me rapprocher, on

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PLACEMENT OU AFFECTATION EN ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE

m’a toujours éloigné et franchement j’en ai plus que marre. J’ai fait plusieurs fois des grèves de la faim et de la soif et j’ai même attenté à mes jours. Mes parents sont âgés et malades, ils ne peuvent pas se déplacer sur de longues distances à cause de leur état de santé et c’est très difficile pour eux financièrement. Mes frères et sœurs, pour qui c’est très dur financièrement, habitent eux aussi dans la région où se situe l’établissement où je souhaite être transféré. J’ai aussi un fils qui vit avec sa mère dans la même région, que je ne peux voir qu’une fois par an à cause de la distance et qui en souffre aussi énormément. Je suis d’accord : je suis en prison pour effectuer une sanction, mais pas pour que ma famille soit sanctionnée elle aussi et surtout pas pour que mes liens familiaux soient brisés. Personne détenue dans un centre pénitentiaire, courrier à l’OIP, septembre 2010.

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Quelle est la procédure en cas de demande de changement d’affectation ? Que la demande émane du détenu ou du chef d’établissement, ce dernier doit constituer un dossier permettant d’établir la « motivation de la demande », comprenant les éléments favorables ou défavorables au changement d’affectation, les renseignements relatifs à la conduite du détenu et aux incidents en détention. Concrètement, il doit renseigner le formulaire MA 128-03 en cas de demande du détenu ou MA-127-03 en cas de proposition du chef d’établissement, qui est ensuite adressé à la direction interrégionale et, le cas échéant, à la direction centrale. Y sont intégrées la plupart des informations contenues dans le dossier d’orientation, ainsi que d’autres relatives à la période de détention écoulée entretemps (profil pénal, activités scolaires, de travail ou socioculturelles suivies, permis de visite, régularité des parloirs et des contacts téléphoniques, « conditions de prise en charge sanitaire » sur les plans physique et psychique, comportement en détention, éléments d’information du SPIP, etc.). Si le comportement du détenu est à l’origine de la demande, le directeur doit apporter un « soin particulier à la rédaction de la rubrique relative à la conduite et aux incidents en détention » (en joignant notamment les comptes rendus d’incidents et les observations contenues dans le cahier électronique de liaison) afin de permettre à l’autorité compétente de « mieux apprécier l’opportunité d’un changement d’affectation ». Le détenu qui souhaite changer de prison doit formuler sa demande par écrit et expliquer les raisons de sa démarche. Cette requête, dont il est recommandé de conserver copie, doit être remise au chef d’établissement avec tous les justificatifs possibles (changement de domicile d’un proche, demande de formation acceptée, etc.). Le directeur doit obligatoirement constituer et instruire le dossier, même dans le cas où la demande lui paraît injustifiée. Article D.82-1 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

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Translations judiciaires et transferts administratifs Un détenu peut être transféré d’une prison à une autre dans le cadre d’une « translation judiciaire » ou d’un « transfèrement administratif ». Qu’ils soient prévenus ou condamnés, les détenus peuvent ainsi faire l’objet d’une « translation judiciaire » décidée pour les besoins de la justice (instruction, audition, comparution dans une autre affaire…). Néanmoins ces translations ne peuvent être décidées que si elles sont « absolument justifiée [s] » et les pouvoirs publics incitent désormais à l’utilisation de la visioconférence pour limiter au maximum les extractions judiciaires, donc par extension les translations. Le terme de « transfèrement » ou « transfert » administratif désigne quant à lui la décision et l’opération par lesquelles le détenu est concrètement transporté d’un établissement à un autre, suite à une décision d’affectation, de changement d’affectation ou une simple décision de transfert (pour « mesure d’ordre », de « désencombrement », etc.). L’opération comporte toujours la radiation de l’écrou dans l’établissement de départ et un nouvel écrou dans la prison de destination, « sans que la détention subie soit pour autant considérée comme interrompue ». Le transfert est toujours synonyme de changement important du quotidien du détenu. Tantôt il conduira à une amélioration de sa situation en termes de conditions de détention, liens avec ses proches, etc. Tantôt il l’éloignera de sa famille, ou causera la rupture de démarches et liens sociaux qu’il avait pu créer dans l’établissement précédent. Un certain nombre de règles s’appliquent spécifiquement aux transferts, dont certains peuvent désormais être contestés devant le juge administratif, même si cette possibilité demeure rare.

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Qu’est-ce qu’une translation judiciaire ? La translation judiciaire désigne la conduite d’un détenu d’un établissement pénitentiaire à un autre, sur réquisition d’un magistrat : pour les besoins de l’instruction, en vue de sa comparution dans le cadre d’une autre affaire ou en tant que témoin, etc. Il ne s’agit pas d’un transfèrement administratif, qui amène le détenu dans un autre établissement pénitentiaire pour des raisons non judiciaires (affectation en établissement pour peines, mesure de sécurité, opération de « désencombrement »…). Un prévenu peut aussi subir un transfèrement administratif (pour mesure d’ordre par exemple), et un condamné une translation judiciaire, s’il doit « comparaître à quel titre que ce soit devant une juridiction ». Articles D.293 et D.297 à D.302 du Code de procédure pénale.

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Qui décide d’une translation judiciaire ? Pour les prévenus, la translation est décidée par l’autorité judiciaire compétente (selon le cas, juge d’instruction, parquet, parquet général, etc.). Elle est ensuite transmise par le procureur de la République du lieu de l’autorité requérante à celui du lieu de détention. Après y avoir apposé son visa en veillant aux mesures de sécurité à mettre en œuvre, ce dernier transmet l’« ordre de transfèrement » au chef d’établissement. Ce document a un caractère impératif, et le directeur de la prison doit en principe y déférer sans le moindre retard, à moins d’une « impossibilité matérielle » ou de « circonstances particulières » dont il doit immédiatement avertir l’autorité ayant ordonné le transfert. Si le détenu (prévenu ou condamné) subit une translation pour comparaître dans le cadre

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d’une affaire où il n’est pas placé en détention provisoire, elle est requise par le magistrat saisi du dossier de l’information ou par le procureur de la République du lieu où le détenu doit comparaître. Une telle opération ne peut être prescrite que si elle apparaît « absolument justifiée ». En effet, il est souvent possible d’éviter le transfert du détenu : le ministère public peut requérir un renvoi de la procédure de la juridiction d’instruction ou de jugement saisie à celle du lieu de détention. De même, lorsqu’il apparaît nécessaire d’entendre un condamné qui se trouve détenu, la juridiction saisie peut demander au président du tribunal de grande instance le plus proche du lieu de détention de s’en charger, le cas échéant pas le biais de la visioconférence. Dans tous les cas, si le détenu transféré est prévenu dans une autre affaire, la translation ne peut avoir lieu qu’avec l’accord de l’autorité judiciaire dont il relève. Si le détenu est prévenu, le trajet de retour est décidé par le parquet du lieu où la translation a été requise. S’il est condamné, le transfert de retour doit être décidé par l’administration pénitentiaire. « Dès que la présence de l’intéressé a cessé d’être utile », le directeur de l’établissement où il est incarcéré doit en informer le directeur interrégional, ou l’administration centrale si la translation a été effectuée d’une « interrégion » à une autre. En cas de retard pour la mise en œuvre du transfert de retour, il faudra donc solliciter ces autorités. Articles 664, 712, 715, D.57, D.292, D.293, D.297 à D.299 du Code de procédure pénale.

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Comment les translations judiciaires sont-elles effectuées ? Les translations se déroulent le plus souvent en fourgons cellulaires. Elles peuvent également être effectuées par chemin de fer ou par tout autre service régulier de transport en commun. La charge des translations incombe aux services de gendarmerie ou de police, mais elle est progressivement transmise à l’administration pénitentiaire qui s’est dotée de services régionaux appelés « pôles de rattachement des extractions judiciaires », dont les personnels peuvent être armés. Les personnes conduites devant une cour ou un tribunal siégeant dans une autre ville que celle où elles sont détenues, pour statuer sur une opposition ou un appel, sont transférées en fourgon de l’administration pénitentiaire, en l’absence d’urgence et si ce mode de transfert apparaît possible. Au besoin, les escortes peuvent être renforcées (voir partie « Moyens de contrainte »). Dans tous les cas, « les aliments ou secours nécessaires aux personnes qui font l’objet du transport leur sont fournis dans les maisons d’arrêt » ou par le maire de la commune dans les « lieux où il n’y a point de maison d’arrêt », et non par les forces de l’ordre. En pratique, le détenu devrait pouvoir s’appuyer sur ces dispositions pour s’assurer qu’eau et nourriture sont prévues par l’établissement de départ. Articles R.94, R.102, D.57, D.297 et D.299 du Code de procédure pénale.

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Qu’est-ce que la visioconférence ? Afin de limiter les extractions et translations judiciaires, les entretiens avec le juge seraient amenés à être plus souvent réalisés par visioconférence. Concrètement, il s’agit pour la personne détenue qui aurait dû être extraite de s’entretenir avec son juge par écran et caméra interposés. Le développement de ce procédé s’inscrit dans le cadre de la « révision générale des politiques publiques » (RGPP) et tend à réduire les dépenses induites par les extractions judiciaires. Le ministère de la Justice s’était fixé pour objectif en 2009 de réduire de 5 %, grâce au recours à la visioconférence, le nombre d’extractions judiciaires. Cette politique va à l’encontre de l’avis du contrôleur général relatif à ce procédé dont il estime

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qu’« il ne saurait intervenir pour des questions de simple commodité, ou des motifs d’économies budgétaires ». Il recommande que la visioconférence ne puisse être rendue obligatoire et ajoute que « l’audience, habituelle ou bien foraine, doit dans toutes les situations demeurer possible ». À son sens, « le choix de recourir à la visioconférence […] doit être à tout moment réversible, s’il apparaît qu’il suscite des inconvénients de toute nature, en particulier dans les possibilités données à la personne en cause de s’expliquer ». Articles R.53-38 du Code de procédure pénale ; avis du contrôleur général des lieux de privation de liberté du 14 octobre 2011 relatif à l’emploi de la visioconférence à l’égard de personnes privées de liberté ; circulaire du 3 février 2009 SG-09-005/SG relative au recours à la visioconférence en vue d’une réduction de 5 % du nombre des extractions judiciaires en 2009.

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Dans quels cas la visioconférence peut-elle remplacer l’extraction judiciaire ? La visioconférence peut être envisagée en remplacement d’une extraction judiciaire sur décision du juge ou du responsable de la procédure. Cette technique peut s’appliquer à un nombre important de situations. L’accord du détenu n’est requis que dans un cas : pour sa comparution devant le tribunal correctionnel dans une affaire pour laquelle il est prévenu (l’accord de l’ensemble des parties est alors nécessaire). Dans tous les autres cas, ni le détenu ni son avocat ne sont consultés sur l’usage d’une visioconférence. Ils ne peuvent s’y opposer que dans une seule situation, « lorsqu’il s’agit d’une audience au cours de laquelle il doit être statué sur le placement en détention provisoire ou la prolongation de la détention provisoire » et à condition que le transport du détenu ne paraisse pas « devoir être évité en raison des risques graves de trouble à l’ordre public ou d’évasion ». La visioconférence peut s’appliquer à une personne détenue dans le cadre d’une audition ou d’un interrogatoire par le juge d’instruction, le président de la cour d’assises, le tribunal de police ou la juridiction de proximité, le procureur ou le procureur général. Elle peut aussi être utilisée pour la présentation au juge des libertés et de la détention (JLD), au premier président de la cour d’appel ou au magistrat désigné par lui (quand la personne est arrêtée en vertu soit d’un mandat d’amener, d’un mandat d’arrêt, d’un mandat d’arrêt européen, soit d’une demande d’arrestation provisoire, d’extradition ou d’arrestation aux fins de remise). La visioconférence peut s’appliquer également dans le cadre du débat contradictoire préalable au placement ou à la prolongation de la détention provisoire quand la personne est détenue pour une autre cause, ainsi qu’aux audiences relatives au contentieux de la détention provisoire devant la chambre de l’instruction ou la juridiction de jugement. Elle peut remplacer la comparution à l’audience au cours de laquelle est rendu un jugement ou un arrêt précédemment mis en délibéré ou statuant sur les seuls intérêts civils. Le recours à la visioconférence en cas de notification d’une expertise est en principe obligatoire, sauf décision contraire motivée ou s’il doit être procédé concomitamment à un autre acte. Enfin, la visioconférence peut pallier l’impossibilité pour un interprète de se déplacer. Article 706-71 du Code de procédure pénale.

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Dans quelles conditions se déroule la visioconférence ? Les textes prévoient que la visioconférence doit se faire par des « moyens de télécommunication garantissant la confidentialité de la transmission ». En pratique, il arrive que cette confidentialité ne soit pas assurée, du fait de la configuration des lieux dans lesquels le dispositif est installé (par exemple lorsqu’il se trouve proche d’un lieu de passage ou d’un couloir). Il est précisé que « les caractéristiques techniques des moyens de télécommunication utilisés doivent assurer une

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retransmission fidèle, loyale et confidentielle à l’égard des tiers ». Si la personne est assistée par un avocat, celui-ci peut se trouver pendant la visioconférence auprès du magistrat, de la juridiction ou de la commission compétente. Dans ce cas, il doit néanmoins pouvoir s’entretenir avec le détenu de façon confidentielle, en utilisant le moyen de télécommunication audiovisuelle. L’avocat peut également choisir d’être auprès du détenu pendant la visioconférence, auquel cas une copie de l’intégralité du dossier doit être mise à sa disposition dans les locaux de détention, sauf si elle lui a déjà été remise. Dans tous les cas, il doit être dressé un procès-verbal de l’audition ou des autres opérations effectuées dans le cadre de la visioconférence, qui peut faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel ou sonore. Une copie de l’enregistrement est versée au dossier et pourra être consultée au cours de la procédure. L’enregistrement original est placé sous scellés fermés. Lorsque l’enregistrement ne peut être effectué en raison d’une impossibilité technique, il en est fait mention dans le procès-verbal d’audition. Cet enregistrement ne peut en aucun cas être diffusé ou rendu public, sous peine de poursuites pénales faisant encourir une sanction d’« un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » Articles 11, R.53-38, 706-52 et 706-71 du Code de procédure pénale.

« Accéder au juge, et non seulement à son image parlante » Il n’est pas inutile de rappeler que le recours à la visioconférence n’a fait l’objet à ce jour d’aucune étude d’impact ni d’aucune réflexion déontologique, alors qu’il pose de sérieux problèmes (place de la défense, communication de pièces pendant les débats, pannes…) et que sa banalisation porte en germe une déshumanisation de la relation judiciaire, voire une déresponsabilisation du juge. En réalité, les magistrats le savent bien, l’entretien par caméra et micro interposés ne remplacera jamais le contact direct avec le justiciable. Pour interroger ou juger, il ne suffit pas d’entendre et de voir, plus ou moins bien, la personne concernée. C’est une relation qui s’instaure, fondée sur une double reconnaissance d’humanité – celle du justiciable et celle du juge – qui seule permet l’écoute réciproque et la prise de décision pleinement assumée. Être magistrat, c’est accepter de pouvoir être déstabilisé, troublé, convaincu ; ce n’est pas jauger à distance ni se contenter d’être en représentation. Quant au justiciable, souvent en situation de faiblesse, spécialement lorsqu’il est détenu, il souhaite pouvoir accéder au juge, et non seulement à son image parlante… Syndicat de la magistrature, contre-circulaire sur le recours imposé à la visioconférence en matière juridictionnelle, 30 avril 2009.

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Qu’est-ce qu’un transfèrement ? Le transfèrement, communément appelé transfert, est le terme générique pour désigner toute opération de changement d’établissement, qu’elle émane de l’autorité judiciaire (translation judiciaire) ou de l’administration pénitentiaire (transfert administratif). Concrètement, il s’agit donc de conduire une personne détenue d’une prison à une autre, sous la surveillance d’une escorte. Un transfert ne peut être effectué qu’à l’appui d’un « ordre écrit » délivré par l’autorité compétente. Ce document, appelé « ordre de transfèrement », a un caractère impératif, et le chef d’établissement pénitentiaire doit en principe y déférer sans le moindre retard, à moins d’une « impossibilité matérielle » ou de « circonstances particulières » dont il doit immédiatement avertir l’autorité ayant ordonné le transfert. Articles D.290, D.292 et D.293 du Code de procédure pénale.

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Dans quels cas peut-il être procédé à un transfèrement administratif ? En premier lieu, toute décision d’affectation est concrétisée dans un délai plus ou moins proche par un « ordre de transfèrement », qui peut être individuel ou collectif et qui constitue une décision distincte. En second lieu, les textes prévoient que le directeur interrégional peut à l’intérieur de sa région ordonner les « transfèrements individuels ou collectifs qu’il estime nécessaires » et, en pratique, il en va de même pour le ministre (dans les faits, la Direction de l’administration pénitentiaire) dans son propre domaine de compétence. L’administration peut ainsi prendre toute décision de transfert d’un prévenu ou d’un condamné qui n’a pas fait l’objet d’une décision d’affectation. Elle peut aussi décider du transfert d’un condamné ayant fait l’objet d’une décision d’affectation mais qui demeure en attente de départ, sans qu’il s’agisse alors d’appliquer l’affectation retenue. Tout transfert d’un condamné déjà affecté en établissement pour peines doit en principe faire l’objet d’une nouvelle procédure d’affectation, mais dans de nombreux cas celle-ci est extrêmement succincte. Le plus souvent, quand le transfert ne fait pas suite à une décision d’affectation, il s’agit de transferts « disciplinaires » ou de « désencombrement ». Mais l’administration peut aussi décider d’un transfert pour permettre le « rapprochement familial » d’un prévenu « dont l’instruction est achevée et qui attend sa comparution devant la juridiction de jugement », sous réserve de l’accord du magistrat saisi du dossier de la procédure. Un transfert peut encore être décidé dans le cas où un prévenu ou un condamné demande à être seul en cellule alors que l’établissement où il est détenu « ne le permet pas ». Dans ce cas, le détenu doit impérativement donner son accord sur le transfert. Par ailleurs, les détenus « qui ne bénéficient pas, dans l’établissement où ils sont écroués, de conditions matérielles de détention adaptées à leur état de santé » ou « qui nécessitent une prise en charge particulière » peuvent également être transférés, suite à un signalement effectué par le médecin au chef d’établissement ou une demande du détenu appuyée par un certificat du médecin. Enfin, si un détenu nécessite une hospitalisation dans une unité de soins pénitentiaire (EPNSF – hôpital pénitentiaire de Fresnes, UHSI, UHSA), il doit faire l’objet d’un transfert décidé après « avis d’un médecin intervenant à l’établissement » (en général, un certificat médical). « En cas d’urgence », il peut « être procédé à l’hospitalisation avant réception de l’accord des autorités judiciaires et administratives compétentes », mais elles doivent en être informées « immédiatement ». Il en va de même en cas d’hospitalisation sans consentement d’un prévenu à l’UHSA. Article 100 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; articles R.57-8-7, D.53-1, D.300, D.301, D.360 et D.393 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

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Qu’appelle-t-on transferts de désencombrement ? Les « opérations permettant de réguler le taux d’occupation dans les maisons d’arrêt », anciennement appelés transferts ou opérations de « désencombrement », sont destinées à « remédier aux inconvénients liés à la surpopulation » et à « offrir aux personnes détenues des conditions d’accueil plus favorables ». Elles peuvent concerner aussi bien des condamnés que des prévenus (plus rarement) et se traduisent par le transfert individuel ou collectif de détenus vers d’autres établissements. « En principe », l’administration doit éviter de transférer des détenus qui reçoivent des visites fréquentes, ceux dont la scolarité est en cours ou qui participent à un stage de formation professionnelle, ceux ayant « élaboré un projet sérieux d’aménagement de peine avec le SPIP », ceux ayant un « comporte-

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ment inadapté ». Elle doit aussi éviter le transfert de détenus faisant l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire, auxquels il reste à subir une peine inférieure à six mois. S’ils concernent des condamnés, les transferts de désencombrement doivent théoriquement être guidés par un « souci d’individualisation » et chaque décision de transfert est censée être motivée, sauf « cas de force majeure » (par exemple, évacuation d’un établissement suite à une inondation). Sauf « urgence caractérisée par des éléments circonstanciés ou circonstances exceptionnelles », la liste des condamnés concernés doit être soumise pour avis au juge de l’application des peines ou au procureur de la République. Pour les prévenus, l’avis du magistrat en charge du dossier est indispensable en toutes circonstances. En pratique, ces transferts sont fréquemment mis en œuvre quand l’établissement est sous forte tension (incident majeur, très fort taux d’occupation, etc.) et donc décidés rapidement par l’administration, qui peut alors faire peu de cas de la situation personnelle des détenus concernés. Article 717-1-1 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

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Qu’est-ce qu’un transfert disciplinaire ? Les transfèrements administratifs peuvent être mis en œuvre pour la « bonne gestion des détentions » et, notamment, « le choix d’un établissement pénitentiaire adapté au profil de la personne détenue doit permettre un retour à une gestion apaisée après un conflit interne ». C’est ce que l’administration appelle « transferts par mesure d’ordre et de sécurité ». Qu’il prenne la forme d’une décision d’affectation (dans le cas des condamnés ayant déjà fait l’objet d’une première affectation en établissement pour peines) ou d’un simple ordre de transfèrement (pour les autres condamnés et les prévenus), ce type de transfert s’apparente à une sanction disciplinaire, d’où le nom qui lui est couramment donné. Le transfert ne figure pas sur la liste des sanctions qui peuvent être prononcées en vertu des dispositions du Code de procédure pénale. Mais il est fréquemment utilisé en réponse à un manquement à la discipline ou pour assurer l’ordre dans un établissement, en particulier après un incident retentissant ou un mouvement collectif (255 transferts disciplinaires ont été recensés en 2011 pour la seule direction interrégionale de Lyon, par exemple). Un certain nombre de détenus jugés « difficiles » ou présentant selon l’administration des risques d’évasion sont même soumis à des déplacements permanents pour des raisons de sécurité (« balluchonnage » ou « rotations de sécurité »), bien que la note qui avait mis en place une telle pratique ait été abrogée sous la pression du juge administratif (Conseil d’État, 29 février 2008, Thierry A., Mohamed B. et section française de l’OIP, n° 308145). Quand un transfert pour mesure d’ordre est décidé, il n’est en général pas tenu compte de la situation personnelle de l’intéressé sur le plan des relations avec l’extérieur, de l’emploi, de la formation ou de la préparation à la sortie. Les règles de procédure applicables à tout transfèrement administratif et, le cas échéant, aux changements d’affectation devraient en principe être appliquées, mais c’est rarement le cas. Concrètement, le détenu prévenu ou condamné est souvent transféré sans préavis sur décision du directeur interrégional ou du ministre et ne se voit pas notifier cette décision à son arrivée dans l’établissement. Articles 717-1-1 et D.301 du Code de procédure pénale.

Transféré pour insultes à l’encontre d’un surveillant Incarcéré au quartier maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Ducos (Martinique), F.C., père de famille, a été transféré à Baie-Mahault (Guadeloupe) le 8 juillet

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2010. Sa famille étant domiciliée en Martinique, il n’a plus reçu de visites depuis plus d’un an. Bien qu’aucune notification écrite ne lui ait été alors apportée, ce transfert avait été réalisé à la suite d’un accrochage verbal avec un surveillant, pour lequel aucune procédure disciplinaire n’avait été engagée, ce qui lui aurait permis de bénéficier d’un débat contradictoire et de se faire assister d’un avocat. F.C. ajoute s’être excusé pour les insultes qu’il avait proférées dans un contexte où il avait l’« esprit bouleversé », venant d’apprendre le décès d’un proche. Ce n’est qu’en réponse au recours hiérarchique qu’il a adressé le 26 août 2011 au directeur de la mission outre-mer de l’administration pénitentiaire que F.C. s’est vu notifier par écrit le 7 septembre les motifs de la décision de transfert, celle-ci ayant été prise « en raison d’insultes et de menaces proférées à l’encontre de membre du personnel pénitentiaire ». OIP, 21 septembre 2011.

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Qu’est-ce que le transit des condamnés en maison d’arrêt ? Le transit consiste à transférer provisoirement un condamné d’un établissement pour peines à une maison d’arrêt, en attendant son transfert dans le nouvel établissement pour peines d’affectation. Il ne doit être utilisé que s’il est « nécessaire à l’organisation matérielle du transfert » et ne peut durer plus de trois mois, ce qui constitue déjà une durée très importante eu égard à l’objectif poursuivi. Il doit être « expressément prévu » dans la décision d’affectation, qui doit donc mentionner le transit. Comme l’indique elle-même l’administration pénitentiaire, cette pratique constitue une « dérogation » au Code de procédure pénale qui prévoit que les condamnés doivent être, sauf exception, incarcérés en établissement pour peines. Le juge administratif a d’ailleurs admis en 2011 qu’une telle mesure faisait grief et était donc susceptible de recours. Elle doit, comme tout transfert d’un établissement pour peines vers une maison d’arrêt, faire l’objet d’un débat contradictoire et d’une motivation. Article 717 du Code de procédure pénale ; Cour administrative d’appel de Paris, 10 novembre 2011, Pascal P., n° 10PA05878 ; note DAP du 25 juin 2008 sur l’affectation et le changement d’affectation des condamnés.

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Tout détenu peut-il faire l’objet d’un transfert administratif ? S’il doit être « tenu à la disposition de la juridiction » dans le ressort de laquelle il est détenu, s’il fait l’objet de poursuites ou s’il doit être entendu comme témoin, le condamné ne pourra être transféré. Le procureur doit alors informer l’administration pénitentiaire de la « date à partir de laquelle le détenu pourra être dirigé sur sa destination pénale ». En revanche, aucun texte n’interdit le transfert d’un détenu pour lequel une procédure d’aménagement de peine est en cours. En théorie, suite à une décision d’affectation, le greffe de l’établissement de départ devrait vérifier avant toute mise en œuvre d’un transfert qu’aucune procédure d’aménagement de peine n’est en cours et si tel est le cas avertir l’autorité compétente pour qu’il soit « sursis à l’exécution du transfert ». Ce principe, prévu par voie de simple circulaire, s’avère rarement appliqué, surtout en cas de transfert à l’initiative de l’administration. Si le transfert est exécuté, la procédure d’aménagement engagée doit en principe être poursuivie dans l’ancienne juridiction ou la nouvelle juridiction, et le délai dans lequel une décision doit être rendue continue de courir. Mais cette règle est très rarement appliquée en pratique, si bien que le détenu doit réengager une nouvelle procédure et parfois même un nouveau projet d’insertion à l’appui. Enfin, un détenu ne peut théoriquement pas être transféré si son état de santé ne le permet pas. Cette impossibilité doit être attestée par le certificat d’un médecin « habilité ou autorisé à intervenir dans l’établissement pénitentiaire ». Le détenu

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averti d’une procédure de transfert peut donc solliciter le médecin de l’UCSA pour tenter d’obtenir un tel document. Articles 712-10, D.292 et D.302 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

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Qui décide d’un transfèrement administratif ? Les décisions de transfèrement administratif relèvent soit du ministre de la Justice, à savoir en pratique du Bureau de gestion de la détention (EMS1) de la Direction de l’administration pénitentiaire, soit du directeur interrégional des services pénitentiaires. Le ministre dispose d’une compétence exclusive pour trois types de transfèrements administratifs : les transferts d’une « interrégion » pénitentiaire à une autre, les transferts vers ou à partir d’une maison centrale (ou quartier maison centrale) et enfin le transfert des détenus pour lesquels il a décidé de l’affectation. De manière générale, l’autorité qui a pris une décision d’affectation ou de changement d’affectation d’un condamné est presque toujours aussi chargée de son exécution et donc de la décision de transfèrement. La seule exception est le cas d’un transfert d’une maison centrale vers un établissement d’une autre catégorie, qui doit toujours être décidé par le ministre, alors que la décision de changement d’affectation peut relever du directeur interrégional. Articles D.292, D.300 et D.301 du Code de procédure pénale.

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À quelle procédure sont soumises l’ensemble des décisions de transfèrement administratif ? Quand le transfert est décidé pour mettre à exécution une décision d’affectation, il n’y a pas de procédure spécifique : l’« ordre de transfèrement » est alors une simple formalité prise après la procédure d’affectation. En revanche, un certain nombre de règles s’appliquent aux transfèrements décidés dans les autres cas. Tout d’abord, un condamné ne peut être transféré sans que le juge de l’application des peines ait donné son avis, « sauf urgence ». Une urgence souvent entendue de façon très large par l’administration, qui s’exempte ainsi régulièrement de l’avis du JAP. Pour ce qui est des prévenus (même s’ils sont aussi condamnés par ailleurs), ils ne peuvent pas être transférés sans l’« accord du magistrat saisi du dossier de l’information », y compris en cas d’urgence. Selon une circulaire de 2012, les décisions de transferts administratifs, quelles qu’elles soient, doivent être motivées en droit (les textes sur le fondement desquels elles sont prises doivent être indiqués), mais pas en fait. Ces décisions devraient toujours être « notifiées » au détenu, en général après le transfert à son arrivée dans l’établissement. Ces deux dernières règles sont loin d’être toujours respectées en pratique, mais la décision de transfert est un « document communicable » au détenu, qui peut en faire la demande à tout moment au chef d’établissement. Articles 717-1-1 et D.301 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues ; avis CADA n° 20063950-CB du 29 septembre 2006.

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Quelles sont les règles de procédure spécifiques applicables à certaines décisions de transfèrement administratif ? En 2007, la jurisprudence a créé une distinction entre les transferts qui font « grief » (à savoir qui ont de graves conséquences pour les détenus) et ceux qui ne font pas grief. Pour l’instant, seuls entrent dans la catégorie des transferts faisant grief ceux qui ont lieu d’un établissement pour peines vers une maison d’arrêt ou ceux qui mettent « en cause des libertés et des droits fondamentaux

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des détenus », hypothèse très rarement reconnue en pratique. Pour ces transferts faisant grief, le juge estime qu’un débat contradictoire doit avoir lieu préalablement à la décision. Il doit permettre au détenu de prendre connaissance des éléments du dossier sur lequel l’administration se fonde pour prendre la décision à venir et de présenter ses observations à l’écrit ou à l’oral. L’administration peut néanmoins déroger à cette règle en cas d’« urgence » ou de « circonstances exceptionnelles ». Elle le fait en réalité à chaque fois qu’elle procède à un transfert « pour mesure d’ordre », quand bien même ces conditions ne sont pas réunies : en général, l’administration ne met en œuvre une procédure contradictoire que dans le cas de changements d’affectation à la demande du chef d’établissement. Avant de transmettre le dossier d’affectation à la direction interrégionale, le chef d’établissement doit en effet informer le détenu, via un formulaire, de la décision envisagée (l’information ne portant « pas nécessairement » sur le lieu proposé, mais seulement sur le principe d’un départ de l’établissement) et de ses motifs (« faits ou éléments d’appréciation nouveaux »). S’il le demande, le détenu doit recevoir communication des « éléments fondant la décision envisagée » (rapport d’incident, etc.). À l’issue d’un délai « souhaitable » d’une durée d’« au moins cinq jours », le détenu est invité à présenter ses observations écrites ou orales, éventuellement avec l’assistance d’un avocat (qui ne peut être rémunéré au titre de l’aide juridictionnelle). Les observations du détenu sont ensuite transmises à l’autorité compétente avec les pièces de la procédure et le dossier de changement d’affectation. En application de la jurisprudence, les décisions de transfert qui font grief devraient également être motivées en fait et en droit. Cette règle est déjà posée par une circulaire de 2012 pour l’ensemble des décisions d’affectation, mais pas pour les simples décisions de transfèrement administratif qui ne doivent être motivées qu’en droit. Quoi qu’il en soit, cette règle est souvent bafouée en pratique. Articles 1 à 4 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ; article 24 de la loi du 12 avril 2000 ; circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.

« Les liens familiaux comme support de réinsertion : qu’en est-il ? » Mon frère vient d’être transféré au centre de détention de Montmédy alors qu’il était incarcéré à la maison d’arrêt de Z. Deux faits à dénoncer : 1. Il est en cellule d’arrivants et décrit des conditions inadmissibles : eau imbuvable, cellule insalubre et rats en cellule. Il est au rez-de-chaussée et bloque la fenêtre pour empêcher les rats d’entrer. Il n’est pas le seul dans ces conditions. 2. Il était à 25 km de distance de sa famille qui venait lui rendre visite cinq fois par semaine à la maison d’arrêt, maintenant il est à plus de 250 km. Les liens familiaux comme support de réinsertion : qu’en est-il ? Témoignage d’un proche de détenu, courrier à l’OIP, 2011.

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Peut-on contester un transfèrement administratif ou une affectation devant les tribunaux ? Le transfert est parfois lourd de conséquences pour le détenu en termes d’accès au travail ou aux actions de préparation à la sortie, de maintien des liens familiaux et de conditions de vie. Par essence, tout transfert implique un changement de « domicile », qui lorsqu’il est imposé peut être considéré comme s’ingérant dans la vie privée du détenu et de ses liens sociaux à l’intérieur et à l’extérieur de la prison. Pour autant, la plupart des décisions de transfert demeurent en

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l’état insusceptibles de recours. En 2007, le juge administratif a posé le principe selon lequel le changement d’affectation d’un établissement pour peines à une maison d’arrêt « constitue un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours » mais qu’« il en va autrement des décisions d’affectation consécutives à une condamnation, des décisions de changement d’affectation d’une maison d’arrêt à un établissement pour peines ainsi que des décisions de changement d’affectation entre établissements de même nature » (Conseil d’État, 14 décembre 2007, garde des Sceaux, n° 290730). Autrement dit, seuls les transferts d’un établissement pour peines vers une maison d’arrêt sont pour le moment susceptibles de recours (Conseil d’État, 3 juin 2009, Miloud B., n° 310100). Dans sa décision de 2007, le juge a précisé qu’un recours est recevable dans les autres cas de transferts si sont « en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus ». Le détenu devra alors alléguer de façon sérieuse d’une atteinte à l’une de ses libertés ou droits fondamentaux, qui ne sont énumérés dans aucun texte, mais qui comprennent notamment le droit au respect de la vie privée et familiale ou à la santé. Néanmoins, le juge maintient pour l’instant une interprétation très stricte en la matière, puisqu’il considère par exemple que le transfert éloignant un détenu à 800 kilomètres de sa famille, limitant le nombre de visites à une par mois, ne met pas en cause son droit à une vie familiale parce qu’il a été décidé à cause de la « suspicion de son implication dans les préparatifs d’une évasion » (CE, 27 mai 2009, Khaled Mustapha M., n° 322148). Cependant des décisions jugeant le recours recevable ont été rendues, en s’appuyant sur le fait que la liberté d’association (tribunal administratif de Marseille, 27 janvier 2009) ou les droits de la défense d’une prévenue qui était éloignée de 180 kilomètres de son lieu de jugement (TA de Strasbourg, 3 juin 2008) étaient mis en cause. Par ailleurs, la jurisprudence semble s’assouplir : il a été admis en 2011 que le transfert du centre de détention de Casabianda (Corse), qui ne comporte pas de murs d’enceinte et dans lequel les détenus disposent d’une « grande liberté de mouvement dans la journée, y compris à l’extérieur des bâtiments », vers un autre centre de détention (classique) est susceptible de recours (Cour administrative d’appel de Paris, 10 novembre 2011, Pascal P., n° 10PA05878). Cette décision, dans laquelle ce n’est plus la catégorie administrative d’établissement qui est prise en compte par le juge, mais les effets concrets du transfert, permet d’espérer que le juge accepte à terme d’examiner les recours contre n’importe quel transfert et notamment ceux pratiqués d’un centre de détention à une maison centrale. Par ailleurs, il est utile de préciser que, pour l’instant, aucun référé (recours urgent) ne semble avoir été gagné en matière de transferts. Les décisions du juge administratif interviennent donc plusieurs années après la décision et ont dès lors un intérêt pratique très réduit pour le détenu. Il peut donc être utile d’exercer un recours gracieux auprès de l’autorité décisionnaire ou hiérarchique auprès de l’autorité supérieure, même dans le cas où il présenterait également peu de chances de succès. Si le transfert a été mis en œuvre sans que l’avis du magistrat (parquet, juge d’instruction ou juge de l’application des peines) ait été sollicité par l’administration, il peut aussi être tenté de demander à cette autorité d’intervenir auprès de la direction interrégionale pour contester la mesure et demander un nouveau transfert vers un établissement correspondant mieux à sa situation judiciaire. Le juge administratif ne fait aucune distinction entre une décision de transfèrement administratif et une décision d’affectation (par exemple, Cour administrative d’appel de Nantes, 30 octobre 2008, n° 08NT00002). Un recours peut donc être exercé contre un transfert selon les mêmes critères que ceux

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posés pour une affectation. En revanche, il est peu probable qu’une translation judiciaire puisse faire l’objet d’un recours administratif dans la mesure où elle est décidée par une autorité judiciaire. Article 707 du Code de procédure pénale ; convention européenne des droits de l’homme, art. 3, 8 et 13.

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Comment les transfèrements administratifs sont-ils effectués ? Les transfèrements administratifs sont assurés par des personnels de l’administration pénitentiaire, sous la responsabilité du « service national des transfèrements » ou du directeur interrégional des services pénitentiaires. Le mode de transport (par route, voie ferrée, maritime ou aérienne) et l’importance de l’escorte sont déterminés par l’autorité chargée de l’organisation du transfert en tenant compte du nombre de détenus transférés, de l’éventuelle « dangerosité » et de l’état de santé du détenu (le médecin peut prescrire un transport médical), ainsi que de la distance à parcourir et de l’urgence de l’opération. L’administration pénitentiaire peut, en cas de besoin, requérir une escorte supplémentaire des services de gendarmerie ou de police (sur les mesures de sécurité prévues pour les escortes, voir partie « Mesures de contrainte »). Toutes les précautions doivent en principe être prises pour assurer aux détenus un transport « dans des conditions suffisantes de confort et d’hygiène ». Cette disposition est cependant inégalement appliquée. « Dès que le détenu transféré est arrivé à destination », les personnes « autorisées de façon permanente à communiquer avec lui » doivent en principe en être informées, ce qui est loin d’être toujours le cas en pratique. Articles D.296 et D.304 à D.310 du Code de procédure pénale.

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Que deviennent les affaires personnelles du détenu transféré ? Dans tous les cas où le transfert est exécuté par l’administration pénitentiaire, le chef d’établissement remet au chef de l’escorte les effets ou objets appartenant au détenu, à l’exclusion de l’argent, transmis par virement. Le poids et le volume des objets ainsi transportés sont toutefois « limités » (en général, deux cartons). Les détenus étant informés de leur transfert très peu de temps avant leur départ, il n’est pas rare qu’ils soient dans l’impossibilité de réunir leurs affaires personnelles et qu’ils doivent les laisser sur place. L’administration pénitentiaire est alors chargée de faire suivre le paquetage, soit lors de transferts ultérieurs qui peuvent se faire attendre longtemps, soit par le biais d’une entreprise de fret. Dans ce dernier cas, il est demandé au détenu de prendre en charge les frais, bien qu’en principe « les dépenses auxquelles donne lieu l’exécution des transfèrements administratifs sont prises en charge par l’administration pénitentiaire ». Par ailleurs, les transferts sont souvent l’occasion de perte ou de détérioration d’objets personnels. Pour cette raison, le contrôleur général des lieux de privation de liberté recommande un « inventaire précis et contradictoire avec le détenu, copie en étant remise à ce dernier ». Mais là encore, la précipitation fréquente des départs fait obstacle à cette formalité. Le détenu pourra obtenir une condamnation de l’État à l’indemniser s’il arrive à prouver que certains de ses objets personnels ont été perdus (Cour administrative d’appel de Lyon, 3 décembre 1998, n° 96LY00352). Il devrait en aller de même s’il a dû attendre une longue période pour retrouver un appareil retenu aux fins d’effectuer des contrôles (par exemple, machine à écrire retenue pendant un mois : Cour administrative d’appel de Lyon, 12 juillet 2012, Pierrot T., n° 11LY00838). Rien n’est prévu dans les textes concernant les transferts mis en œuvre par les forces de l’ordre (translations judiciaires dans certaines régions) mais, en pratique, les mêmes règles s’appliquent. Articles D.307 et D.310 du Code de procédure pénale.

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Paquetage « officiellement perdu ou égaré » Pour tout vous dire, ici personne ne se préoccupe de mon problème car depuis le 17 mai 2011, date de l’arrivée au centre de détention de Bapaume où j’ai constaté la disparition de mon paquetage, j’ai dû rencontrer la directrice ou la directrice adjointe, le chef de détention, le chef du bâtiment « arrivants » et maintenant la chef de mon bâtiment, et même le premier surveillant, qui m’ont dit d’attendre, qu’ils s’en occupaient. Et il y a deux semaines, la chef de bâtiment m’a dit qu’il était officiellement perdu ou égaré. J’ai été reçu par le premier surveillant qui me dit d’écrire à l’attaché d’administration et d’intendance. Je ne le ferai pas car la semaine dernière, alors que mon réfrigérateur est tombé en panne, on m’a notifié un CRI (compte rendu d’incident) pour que je leur rembourse la pièce qui a causé la panne. Alors qu’une pièce d’un réfrigérateur peut se casser, l’administration s’est empressée de me faire un rapport alors qu’après plus de vingt-cinq mois d’incarcération je n’ai eu aucun rapport d’incident. Ils sont pressés de se faire rembourser, et moi à qui cinq ou quatre cartons ont disparu, personne ne s’empresse pour me rembourser. Heureusement que j’ai ma famille qui a pu m’acheter des caleçons, t-shirts, jeans, shorts, etc. Sinon je serais nu. Je me demande s’ils cherchent à me rendre fou. Témoignage d’une personne détenue en centre de détention, juin 2011.

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La première journée de prison Des règles spécifiques s’appliquent à l’arrivée en détention, dès la première journée, puis dans le cadre d’une période d’accueil et d’observation. Le régime des « quartiers arrivants » a été modifié dans certains établissements à partir de 2007, dans le cadre d’une politique se revendiquant des règles pénitentiaires européennes (RPE) du Conseil de l’Europe. Un « référentiel » pour l’application des RPE a été établi à l’attention des établissements, qui doivent en théorie tous l’observer depuis une circulaire de janvier 2009. Il s’agit notamment de limiter le « choc carcéral », pour des personnes qui arrivent en prison, subissent leur première fouille à nu et la contrainte de l’enfermement en cellule, perdent le contact quotidien avec leurs proches. Si les conditions d’accueil des arrivants se sont améliorées dans certains établissements, il apparaît néanmoins que le « choc carcéral » est souvent différé à leur affectation en détention ordinaire, où ils ne bénéficient plus de l’attention des différentes catégories de professionnels, ni des mêmes commodités matérielles pourtant minimales au vu des recommandations internationales.

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Que se passe-t-il à l’arrivée en prison ? Quel que soit son statut, toute personne incarcérée passe sa première journée de détention en maison d’arrêt. À son arrivée, elle est placée « isolément » dans une cellule d’attente ou « dans des locaux en tenant lieu », le temps que les formalités d’écrou soient effectuées : il s’agit le plus souvent de petites cellules avec une porte grillagée placées près du greffe et parfois surnommées « grilles ». Le contrôleur général des lieux de privation de liberté décrit par exemple celles de la maison d’arrêt de Grasse comme des « cabines mesurant entre 3 m2 et 4,5 m2, équipées d’un radiateur et d’une patère fixés aux murs ». L’arrivant peut être amené à y « patienter, sans toutefois pouvoir s’asseoir » (rapport de visite, juillet 2010). Un agent du greffe de l’établissement procède ensuite à la vérification du titre de détention, aux modalités d’admission et aux mesures anthropométriques. Un numéro d’écrou est alors attribué au détenu. Il doit avoir la possibilité de procéder aux « soins de propreté nécessaires ». Il doit rapidement être mis en mesure d’informer ses proches de son incarcération par courrier ou par téléphone. Pour le détenu mineur, le chef d’établissement doit avertir les services de la Protection judiciaire de la jeunesse ainsi que les parents ou le représentant légal si le mineur ne l’a pas fait. Article D.284 du Code de procédure pénale ; circulaire JUSK0840015C relative à la poursuite de l’implantation progressive des RPE dans les établissements pénitentiaires selon les 5 priorités définies pour leur capacité à faire évoluer le système pénitentiaire, 14 janvier 2009 ; DAP, Référentiel d’application des RPE dans le système pénitentiaire français, 2008-2012, mars 2011.

Choc carcéral et souffrance psychique Il est utile de rappeler l’importance du choc carcéral sur le psychisme de l’individu. Cette période correspond schématiquement à une première tranche de vingt jours de détention : perte du contact avec les proches, nécessité de renoncer aux habitudes les plus élémentaires, perte de la notion d’autonomie, découverte d’un environnement, de ses règles spécifiques, promiscuité… Trois semaines après l’écrou, la souffrance concernant les privations liées à la contrainte physique de la prison est la plus importante pour les personnes interrogées. Ensuite, vient la souffrance liée à la prison en elle-même, puis celle liée aux conditions de vie matérielles et humaines, suivie des troubles du sommeil, supérieurs au facteur

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de souffrance psychique général, lui-même supérieur à l’insatisfaction générale à l’égard de la prison. À l’encontre de certaines hypothèses largement partagées socialement, les personnes qui ont déjà été incarcérées souffrent davantage que les personnes qui n’ont jamais été incarcérées par rapport aux privations et aux contraintes physiques liées à la prison (manque d’activité, manque d’intimité, manque d’exercices physiques). Comme si, finalement, les personnes réécrouées vivaient cette situation beaucoup plus péniblement parce qu’elles connaissent déjà les contraintes, les frustrations, l’ennui qu’elles engendrent, et les conséquences négatives, ce qui les amène à la souffrance. Extrait de « L’évaluation de la souffrance psychique liée à la détention », sous la direction du docteur Évry Archer, rapport final, juin 2008.

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Qu’est-ce que l’acte d’écrou ? Un acte d’écrou est dressé pour tout « arrivant » dans un document appelé fiche d’écrou : il permet de « veiller à la légalité de la détention des individus incarcérés ainsi qu’à l’élargissement des libérables ». En pratique, c’est un fonctionnaire chargé du greffe qui rédige la fiche d’écrou. L’agent du greffe doit d’abord relever l’identité du détenu écroué (nom, prénom, date de naissance). En cas de différence entre le nom déclaré par la personne et celui porté sur le titre de détention, c’est ce dernier qui doit faire foi. Le magistrat compétent doit être informé immédiatement. Le numéro d’écrou est généré automatiquement par un logiciel. Deux numéros d’écrou sont en réalité générés : un « numéro d’écrou initial » qui suivra le détenu au cours de ses transferts (composé de 13 chiffres) et un « numéro d’écrou actuel » propre à chaque établissement (composé de 6 chiffres et d’une lettre). Ensuite, la date et l’heure de l’écrou doivent être indiquées, puis la partie « escorte » de la fiche (empreinte de l’index gauche de la personne, nom, qualité et signature du chef d’escorte ayant conduit la personne, en cas d’incarcération volontaire, signature de l’agent du greffe). La partie « identité » de la fiche d’écrou est ensuite complétée avec mention de l’état civil complet, le signalement du détenu et les mentions relatives à la nature, l’auteur et la date du titre de détention (acte judiciaire qui permet d’incarcérer la personne). En cas d’incarcération d’un enfant avec une femme, une « fiche d’identification » de l’enfant doit être établie. La troisième partie de la fiche, relative à la levée d’écrou, sera complétée à la sortie du détenu. La fiche d’écrou est un document administratif communicable au détenu qui en fait la demande (Cour administrative d’appel de Paris, 13 novembre 2003, n° 03PA00323). Le chef d’établissement et, sous son contrôle, l’agent du greffe ont la charge de prévenir toute détention arbitraire et doivent effectuer un certain nombre de contrôles (voir partie « Formalités d’écrou et durées de détention »). L’ensemble des fiches d’écrou sont rassemblées dans un document appelé « registre d’écrou » qui ne doit pas quitter l’établissement pour pouvoir être présenté aux fins de contrôle et de vérification aux différentes autorités judiciaires à chacune de leurs visites, ainsi qu’aux autorités administratives qui procèdent à l’inspection générale de l’établissement. En pratique, les fiches d’écrou sont désormais tenues dans le logiciel GIDE et peuvent être imprimées en cas de besoin. Articles 724, 725, D.148 à D.151 du Code de procédure pénale ; DAP, Le greffe des établissements pénitentiaires, éléments pratiques et juridiques, avril 2007.

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Qu’est-ce que la fiche pénale ? La fiche pénale est le document sur lequel est mentionnée la situation pénale du détenu. Le contenu de ce document n’est expressément prévu par aucun texte du Code de procédure pénale, qui ne fait que le mentionner. La fiche pénale

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comporte cinq volets. Le volet 1 comporte les informations relatives à l’identité du détenu et mentionne notamment la « personne à prévenir » en cas de problème. Le volet 2 est relatif à la situation administrative du détenu (détenu étranger, détenu particulièrement signalé, prélèvement pour le fichier des empreintes génétiques) et note les différentes échéances en matière d’application des peines (fin de période de sûreté, accessibilité à une libération conditionnelle, droits ouverts pour les réductions de peine, etc.). Le volet 3 est relatif aux mesures affectant la détention (informations relatives aux procédures de transfert, permissions de sortir, hospitalisations). Le volet 4 concerne l’exécution des peines et est destiné au casier judiciaire. Enfin, le volet 5, qui comporte souvent plusieurs pages, concerne les événements relatifs au déroulement de la détention (toutes les décisions judiciaires modifiant la durée de l’incarcération, les transferts, etc.). C’est dans ce dernier volet qu’est indiquée la date de sortie prévisible du détenu, mise à jour à chaque changement de situation. Les condamnés se voient communiquer automatiquement cette date « lors de la mise à l’écrou », à travers un formulaire prévu à cet effet. Le plus souvent, quand le détenu en fait la demande, seuls les volets 1 et 5 de la fiche pénale lui sont communiqués, ce qui est contraire à la jurisprudence selon laquelle la fiche pénale est un document administratif communicable en totalité (Conseil d’État, 20 avril 2005, n° 265326). Parfois, une « fiche pénale synthétique » peut également lui être remise, qui ne comporte que l’équivalent du volet 5. En outre, depuis juin 2011, les détenus ne sont plus censés posséder en cellule de documents mentionnant le motif d’écrou. La fiche pénale ne peut donc en principe être consultée que sur demande auprès du greffe. Articles 721 et D.150 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 9 juin 2011 sur la confidentialité des documents personnels des personnes détenues.

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Le détenu peut-il se laver dès son arrivée ? Le détenu doit pouvoir prendre une douche à son arrivée dans l’établissement, « à l’issue des formalités d’écrou ». Cependant, « en cas d’incarcération nocturne », la douche peut éventuellement être reportée au lendemain matin ; le détenu doit alors en être avisé. Dans le cadre de l’application du référentiel sur les règles pénitentiaires européennes (RPE), le détenu doit se voir proposer, « dès son arrivée de jour comme de nuit, nourriture, sous-vêtements et accès au local de douches ». Une trousse de toilette comprenant des produits d’hygiène corporelle (rouleau de papier hygiénique, savonnette, shampooing, brosse à dents, tube de dentifrice, serviette de toilette et gant, crème à raser et rasoirs jetables…) doit être remise à tout entrant. Les arrivants peuvent conserver les vêtements qu’ils portent sur eux, sauf décision contraire de l’administration pénitentiaire « pour d’impérieuses raisons d’ordre ou de propreté ». Articles D.284, D.348, D.357 et D.358 du Code de procédure pénale ; circulaire JUSE9840034C du 29 mai 1998 ; DAP, Référentiel d’application des RPE dans le système pénitentiaire français, 2008-2012, mars 2011.

« Tant de froideur aseptisée » C’est par la fouille intégrale que tout commence avec deux femmes en uniforme qui vous examinent de la tête aux pieds, nue. Puis, pour peu que l’heure du dernier repas (dix-huit heures) soit passée, on se retrouve, escortée, à déambuler dans des couloirs déserts, à passer des grilles et des sas, puis, avec ses draps, sa couverture et son rouleau de papier hygiénique – quelques feuilles et un stylo aussi, heureusement ! –, à passer le seuil d’une cellule d’arrivante. Sidérée par tant de froideur aseptisée, on se retrouve seule et l’on découvre un bidet, un lavabo et des WC, un lit métallique, une table et une chaise, une ampoule au plafond et une fenêtre donnant sur une grande cour, un étage plus bas. Les murs sont propres,

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anonymes. On ne sait pas encore que, en dehors de l’œilleton qui cliquettera régulièrement au gré des rondes nocturnes, plus rien ne se passera jusqu’au moment de la distribution de l’eau chaude et du sac pour la poubelle, à sept heures du matin. On ne sait pas non plus que même la promenade sera interdite tant qu’on n’aura pas vu le médecin (le lendemain ou le surlendemain) et qu’il faudra sans doute attendre un mois d’ici à la première visite. On ne sait rien. Hélène Castel, « Quelle prison pour quelle réinsertion ? », Pouvoirs, n° 135, 2010.

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Quelles sont les personnes que le détenu doit obligatoirement rencontrer à son arrivée ? Le jour de son arrivée ou au plus tard le lendemain, chaque détenu doit être visité par le directeur de l’établissement pénitentiaire ou l’un de « ses subordonnés immédiats ». En pratique, c’est souvent un gradé qui effectue l’« audience arrivant », dont l’objet est notamment de détecter les fragilités éventuelles du détenu (voir partie « Observation et évaluation des détenus »). Celui-ci doit être soumis dans les « délais les plus brefs » à un examen médical et à un dépistage de la tuberculose. « Dès que possible », il doit recevoir la visite d’un membre du service pénitentiaire d’insertion ou de probation (ou de la Protection judiciaire de la jeunesse, s’il est mineur). Il peut signaler à ce service les démarches à effectuer auprès de sa famille, pour obtenir du linge par exemple. Les mineurs doivent réaliser un « bilan pédagogique » avec les personnels de l’Éducation nationale. « Lors de son admission », la personne doit également être informée oralement, « dans une langue compréhensible par elle », et « par la remise d’un livret d’accueil », des dispositions relatives « à son régime de détention, à ses droits et obligations et aux recours et requêtes qu’elle peut former ». Le « référentiel RPE » indique en outre qu’un « programme d’accueil » doit être remis à la personne détenue, mentionnant les « conditions d’accès à l’information et aux relations extérieures », les « modalités de fonctionnement de la cantine arrivants », les « possibilités d’activités », la « date prévue de la première commission pluridisciplinaire », qui décidera notamment de son affectation dans tel ou tel secteur de la détention. Article 23 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; articles D.285, D.384-1 et D.516 du Code de procédure pénale ; note du 15 juin 2009 relative à la prévention du suicide des personnes détenues ; DAP, Référentiel d’application des RPE dans le système pénitentiaire français, 2008-2012, mars 2011.

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Que deviennent les objets en possession des détenus lors de leur arrivée en prison ? La plupart des objets dont le détenu est porteur à son entrée lui sont retirés pour être conservés par l’administration. Ainsi les détenus ne peuvent-ils conserver leur argent liquide et leurs objets de valeur, à l’exception de leur alliance et de leur montre. Les sommes d’argent sont inscrites au compte nominatif ouvert pour le détenu au moment de l’écrou, sauf s’il en demande la consignation ou l’envoi à un tiers. Les détenus pourront utiliser cette somme au cours de leur incarcération pour leurs achats en « cantine » (« magasin » de la prison). Si le détenu entrant est porteur de médicaments, le médecin doit en être immédiatement avisé afin de décider de l’usage qui doit en être fait. Les objets et bijoux sont pris en charge par le régisseur en charge des comptes nominatifs. Après inventaire, qui a lieu même à la suite d’un transfert depuis un autre établissement, ils sont inscrits sur un registre spécial au compte de l’intéressé pour lui être restitués à sa sortie. L’administration peut refuser de prendre en charge certains objets ou bijoux en raison de leur valeur ou de leur volume. Les détenus sont invités à s’en défaire

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à leurs frais, soit en les envoyant à leur famille, soit en les faisant remettre à un notaire ou toute personne agréée par l’administration pénitentiaire, soit en les vendant par l’intermédiaire d’une personne mandatée à cet effet. Si l’administration pénitentiaire n’est pas en mesure de restituer au moment de la sortie les biens qu’elle avait pris en dépôt, la valeur d’estimation de l’objet perdu doit être remise au détenu ou à ses ayants droit. Articles D.318, D.319, D.335 à D.337 du Code de procédure pénale.

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Que sont les cellules ou le quartier arrivants ? Après les formalités d’écrou, le détenu est généralement placé dans un quartier ou des cellules « arrivants », même si le Code procédure pénale ne mentionne pas ces locaux de détention spécifiques. Il y restera pendant une « période d’observation » d’une durée maximale de trois semaines, à l’issue de laquelle il sera affecté en détention ordinaire sur la base de l’évaluation des professionnels l’ayant rencontré. Le « référentiel » pour l’application des règles pénitentiaires européennes (RPE) pose des critères spécifiques applicable à ces quartiers : le « secteur d’accueil cellulaire » réservé aux arrivants doit permettre une prise en charge et un accompagnement individuel de chaque détenu entrant, de jour comme de nuit, sept jours sur sept. L’encellulement individuel « doit être assuré dès que les conditions locales le permettent », il peut y être dérogé à la demande du détenu ou quand c’est préférable pour la « prévention de risques divers ». Dans les douze heures suivant l’écrou, la possibilité de passer un appel téléphonique gratuit doit être proposée à tout détenu arrivant. La cellule doit être équipée d’un téléviseur gratuit. Selon l’administration, en mai 2011, 77 % des établissements disposaient d’un quartier arrivants correspondant à ces critères. S’ils sont respectés, ils permettent à l’établissement d’obtenir un label « RPE » certifié par un organisme privé de vérification (Veritas, Afnor, etc.). En réalité, les dispositions du « référentiel RPE » sont inégalement appliquées dans chaque prison. Certains établissements labellisés « RPE » pratiquent systématiquement l’encellulement double au quartier arrivants, l’accès aux activités et les possibilités de sortir de cellule y sont souvent réduits. Article D.285 du Code de procédure pénale ; DAP, Référentiel d’application des RPE dans le système pénitentiaire français, 2008-2012, mars 2011 ; note DAP du 4 juillet 2011 de recensement des actions de modernisation et d’harmonisation des bonnes pratiques sur l’ensemble des établissements pénitentiaires.

Un choc carcéral différé Si la création du quartier arrivant permet un « atterrissage » moins brutal en prison, le « choc de l’incarcération », du moins la partie qui concerne les conditions et le régime de détention ordinaire dans ces deux maisons d’arrêt, n’est actuellement pas évité, il est seulement étalé, c’est-à-dire en partie différé. Et bien que les personnels se soient employés à prévenir les détenus qui sortent du quartier arrivant de ce qui les attend ailleurs et à les conseiller sur les comportements à adopter pour y faire face, ce choc demeure violent : […] « Au quartier arrivant je ne me suis pas heurté à la prison, mais au grand quartier oui. » « Pourquoi ils donnent une bonne image d’eux et ensuite ils jettent les détenus dans la merde, dans une sale cellule où il n’y a rien ? Pourquoi ne pas mettre de belles cellules partout ? C’est une discrimination ! » « Y a la télé gratuite au quartier arrivant, ça c’est bien, mais quand vous sortez du quartier arrivant sans TV et sans tabac, ils stressent et sont prêts à tout. » […] Être placé dans une cellule sale encombrée de matelas par terre, abandonné aux codétenus, après un séjour de dix jours dans un quartier arrivant neuf près de surveillants attentifs, peut apparaître dépourvu de sens. Antoinette Chauvenet et Cécile Rambourg, De quelques observations sur la mise en œuvre des règles pénitentiaires européennes, ENAP, 2010

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Formalités d’écrou et durées de détention De nombreuses opérations administratives sont nécessitées par la mise en œuvre de la décision d’incarcérer une personne prise par un magistrat. Elles consistent dans des contrôles de la légalité de la détention et des calculs de la date de fin de l’incarcération, notamment après déduction des réductions de peine. L’essentiel de ces formalités sont assurées par le « greffe » des établissements pénitentiaires. Malgré la complexité de ces opérations et le risque d’erreur que cela implique, les contrôles effectués en la matière par les autorités judiciaires sont très peu nombreux, et le détenu a tout intérêt à prêter attention aux mesures prises à son égard.

Comment la légalité d’une détention est-elle contrôlée par l’autorité judiciaire ? Le « titre de détention », document qui permet la mise sous écrou d’une personne, en détention provisoire ou en exécution d’une peine, doit toujours émaner d’une autorité judiciaire (magistrat du siège ou du parquet). En cas d’exécution d’une peine d’emprisonnement, le titre de détention correspond à l’« extrait de jugement » ou d’arrêt. En cas de placement en détention provisoire, le titre de détention résulte d’un mandat de dépôt, d’un mandat d’arrêt ou éventuellement d’un mandat d’amener. Dans certains cas, le juge de l’application des peines peut aussi délivrer un titre de détention, notamment en cas de révocation d’une mesure d’aménagement de peine. Quel que soit le magistrat concerné, l’autorité judiciaire est toujours « gardienne de la liberté individuelle » et doit en principe assurer le respect du principe selon lequel « nul ne peut être arbitrairement détenu » et donc vérifier que l’incarcération est bien légale. En particulier, les magistrats du parquet, auxquels il appartient de requérir l’« exécution de la ou des peines prononcées », sont chargés de contrôler la légalité des peines « portées à l’écrou » (c’est-à-dire mises à exécution). Ils doivent également vérifier que la durée de la peine effectivement subie n’est pas plus longue que la durée prononcée et procéder au « contrôle » des calculs effectués par le greffe pénitentiaire en matière de crédit de réduction de peine. En pratique, ces contrôles sont souvent succincts et il peut arriver que des erreurs soient commises. En particulier, aucune procédure systématique ne permet de vérifier que les peines prononcées ne dépassent pas le quantum encouru pour l’infraction sanctionnée, alors qu’un tel contrôle est effectué a posteriori par les services du Casier judiciaire. Article 66 de la Constitution ; articles 707-1, 708, 725, D.48, D.115 du Code de procédure pénale.

« Il passe un an “de trop” en prison » Un homme de trente-quatre ans, incarcéré pour vol, a été détenu arbitrairement durant douze mois au centre pénitentiaire de Baie-Mahault. Une procédure disciplinaire a été lancée à l’encontre du chef de service du greffe. Cette affaire, révélée hier par la chaîne publique Guadeloupe 1re, découle vraisemblablement d’une négligence du greffe pénitentiaire. La « victime » est un homme d’une trentaine d’années. Ce récidiviste, condamné pour vol, aurait dû être libéré en avril 2010. Mais voilà, l’information n’a pas été saisie dans les fichiers. Un agent du service du greffe aurait ainsi oublié de le faire. Aussi, le détenu a passé un an de plus derrière les barreaux de la prison de Baie-Mahault. Il est finalement sorti le 26 mai dernier.

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L’administration pénitentiaire qui, sans aucun doute, s’est rendu compte de son erreur s’est bien gardée d’en faire étalage. Il faut savoir que, comme le précise la loi, l’homme a la possibilité de demander réparation pour détention arbitraire. Par ailleurs, une mesure disciplinaire a été lancée à l’encontre du chef de service du greffe, actuellement en congés longue maladie. Karen Bourgeois, « Il passe un an “de trop” en prison », DOMactu. com, 19 octobre 2011.

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Comment la légalité d’une détention est-elle contrôlée par l’administration pénitentiaire ? Aucun « agent de l’administration pénitentiaire ne peut, à peine d’être poursuivi et puni comme coupable de détention arbitraire, recevoir ni retenir aucune personne » qu’en vertu d’un « titre de détention ». Dans ce cadre, il appartient au « chef d’établissement » ou, « sous son autorité », au « fonctionnaire chargé du greffe », de veiller « à la légalité de la détention des individus incarcérés » ainsi qu’à l’« élargissement des libérables ». Concrètement, lors de l’écrou de la personne, c’est-à-dire dès son entrée en prison, le greffe doit effectuer un certain nombre de contrôles pour s’assurer de la légalité de sa détention. Pour cela, il s’appuie sur le « titre de détention » que doit lui communiquer le magistrat en charge de l’exécution de la détention. Le personnel du greffe doit vérifier que ce document figure parmi ceux limitativement énumérés par la loi ; que ce titre est authentique (identité de la personne à écrouer, date, signature et sceau de l’autorité judiciaire) ; que les maximums légaux encourus pour l’infraction sanctionnée n’ont pas été dépassés ; que le titre présenté est bien susceptible d’être mis à exécution (notamment en cas d’une « courte » peine d’emprisonnement qui ne peut faire l’objet d’une mise à exécution que sous certaines conditions) ; que la peine n’est pas prescrite ; et, enfin, que l’identité du détenu correspond bien à celle du titre de détention. Le procureur de la République ou, dans certains cas, le procureur général doit être informé de chaque nouvel écrou par l’administration pénitentiaire. En outre, à chaque modification de la situation pénale du détenu en cours de détention, les fonctionnaires du greffe doivent établir sa « date prévisible de libération », en calculant les crédits de réduction de peine (CRP) applicables pour les condamnés. En fonction de ces calculs, ils doivent veiller à la libération des détenus à la bonne date. En pratique, il n’est pas rare que des erreurs soient commises, notamment dans les calculs sur les CRP. Articles 724, 725, D.149 du Code de procédure pénale ; article 432-5 du Code pénal ; DAP, Le greffe des établissements pénitentiaires, éléments pratiques et juridiques, avril 2007.

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Comment se calculent les durées de peines d’emprisonnement à effectuer ? Les durées d’emprisonnement à effectuer par les personnes condamnées se calculent sur la base de règles définies par le Code de procédure pénale. La peine d’un jour dure précisément « vingt-quatre heures » et celle d’un mois « trente jours ». La peine de plus d’un mois se calcule « de quantième en quantième », c’està-dire de jour à jour (par exemple, pour une peine de trois mois, du 14 février au 14 mai 2012). S’il n’existe pas de jour correspondant, la date de libération est fixée par une circulaire « au dernier jour du mois » (par exemple, pour une peine de trois mois, du 31 janvier au 30 avril 2012). Si plusieurs peines d’un mois sont mises à exécution, il « convient de faire subir autant de fois trente jours » que de peines d’un mois prononcées. Si la peine doit « prendre fin un jour de fête légale ou [un] dimanche », le condamné doit être libéré le « jour ouvrable précédent ». Le calcul est nécessairement effectué à partir du premier jour « où le condamné

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est détenu en vertu d’une condamnation définitive ». Mais, « quand il y a eu détention provisoire à quelque stade que ce soit de la procédure », la durée de « cette détention est intégralement déduite de la durée de la peine » restant à exécuter en répression des mêmes faits. En matière de détention provisoire, les durées accomplies supérieures à un mois sont calculées « de quantième à quantième » et les règles concernant les peines ne s’appliquent pas (Chambre criminelle de la Cour de cassation, 30 mars 1989, n° 89-80 881). En particulier, il ne sera pas procédé à une libération la veille si celle-ci doit avoir lieu un jour férié ou un dimanche. En revanche, en application d’une instruction interne à l’administration pénitentiaire, la durée d’un seul mois de détention provisoire est calculée sur la base de trente jours, et non de jour à jour (par exemple, une détention provisoire d’un mois débutée le 24 mars se terminera le 23 avril et non le 24). Les peines doivent être exécutées « au fur et à mesure de la réception des extraits de décision de condamnation ». Si plusieurs extraits sont reçus au greffe de façon « simultanée » en vue d’être mis à exécution, plusieurs règles doivent être respectées : les peines « sanctionnant des faits commis en état de récidive légale » doivent être exécutées « avant les autres peines » ; la peine « la plus forte » doit être subie avant les autres, dans l’« ordre décroissant », à moins que l’une des peines fasse suite de façon « non interrompue » à une détention provisoire, auquel cas elle doit être mise à exécution la première. Enfin, en cas de révocation de sursis, ce dernier doit être exécuté avant la peine « qui a entraîné la révocation ». Les décisions de retrait de crédit de réduction de peine (CRP) doivent être pour leur part exécutées « à la suite de la dernière peine portée à l’écrou à la date de la décision » de retrait. L’ensemble de ces calculs, qui influent directement sur la durée de la peine, sont en pratique effectués par les greffes des établissements pénitentiaires, avec peu de contrôles. Ils ne sont pas exempts d’erreurs car ils portent non pas sur des nombres simples (numérotation décimale) mais sur des nombres « complexes » (calculs sur des jours, mois et années). Articles 716-1 à 716-4, D.289, D.150-1 et D.150-2 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 5 juillet 1996 sur les principes de calcul régissant les situations pénales ; DAP, Le greffe des établissements pénitentiaires, éléments pratiques et juridiques, avril 2007.

Comment est calculée la durée de peine à purger après une évasion ?

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En cas d’évasion ayant eu lieu « au cours de l’exécution d’une peine », celle-ci doit être d’abord « menée jusqu’à son terme avant celle de la peine sanctionnant l’évasion ». La période d’évasion n’est pas déduite, mais au contraire ajoutée « après la fin de la dernière peine portée à l’écrou » au moment de la reprise du détenu. Si, au moment de l’évasion, l’intéressé était en détention provisoire, la période d’évasion s’ajoute ultérieurement « à la fin de la peine qui sera prononcée en raison des faits pour lesquels l’évadé était détenu ». La période d’évasion est considérée comme « égale à celle comprise entre la date de l’évasion et celle de la réincarcération moins un jour ». La « date de l’évasion et celle de la réincarcération sont comptées au profit de l’évadé ». Article D.150-1 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP du 5 juillet 1996 sur les principes de calcul régissant les situations pénales.

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Comment prendre connaissance des calculs de durées de peine effectués par le greffe ? Le greffe doit relever toutes les indications de nature à « prévenir les fraudes, fixer l’identité des détenus et faire connaître les modifications subies par la situation pénale ou administrative de ceux-ci ». L’ensemble de ces indications et des calculs effectués doivent être portés par le greffe sur la « fiche pénale » du détenu, que

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celui-ci peut demander à consulter pour en prendre connaissance et éventuellement les vérifier. Chaque nouvel événement est mentionné, tel qu’une décision de retrait de crédit de réduction de peine (CRP) ou une nouvelle condamnation portée à l’écrou. À chacun de ces changements, la « date prévisible de libération » du condamné est recalculée dans le « volet 5 » de la fiche pénale. Ce volet comprend plusieurs colonnes indiquant la date de l’événement, le numéro de l’affaire (pour chaque procédure), la description de l’événement, la date de début de peine, la durée de peine à subir, les périodes de détention à soustraire (par exemple, calcul des CRP, confusion de peine), et les périodes à ajouter (retrait de CRP, évasion). La dernière colonne mentionne la date de fin de peine prévue ainsi que celle de l’éventuelle période de sûreté. La date d’accessibilité à un aménagement de peine est portée sur le « volet 2 » de la fiche pénale. En lisant ce document, le détenu peut donc en principe prendre connaissance non seulement de sa situation actuelle, mais aussi de son ancienne situation (par exemple, date de sortie prévue avant un retrait de CRP). En pratique, il peut néanmoins arriver qu’en cas d’erreur l’agent du greffe fasse disparaître un événement, comme s’il n’avait pas existé. Cette pratique présente l’inconvénient pour le détenu de ne pas pouvoir vérifier avec précision sa situation. Si elle a des « conséquences juridiques » pour lui, une telle pratique pourrait être qualifiée de « faux en écriture publique » dès lors « qu’ont été altérés des clauses, déclarations ou faits que l’acte avait pour objet de recevoir ou de constater », c’est-à-dire des éléments qui « tiennent à la substance de l’acte » (Chambre criminelle de la Cour de cassation, 27 septembre 1877 et 3 mai 1995, n° 94-83 785). Article 441-4 du Code pénal ; article D.150 du Code de procédure pénale.

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Que faire en cas d’erreur dans le calcul d’une période de détention ? Les opérations effectuées pour mettre à exécution une détention sont pour la plupart effectuées par le greffe de l’établissement pénitentiaire, mais elles relèvent en principe de l’autorité judiciaire compétente. En cas d’erreur, le détenu peut donc demander tout d’abord au greffe de réexaminer sa situation et, en cas de refus ou d’absence de réponse, il peut saisir l’autorité judiciaire. Il s’agira du magistrat saisi du dossier pour les prévenus, et du magistrat du parquet pour les condamnés. Pour ces derniers, l’intervention du juge de l’application des peines peut également être sollicitée. Si le détenu n’obtient pas gain de cause, ces démarches peuvent au moins lui permettre d’obtenir des informations sur sa situation. Même si l’erreur a été commise par le greffe pénitentiaire, le juge administratif ne s’estime pas compétent pour examiner un recours du détenu (Conseil d’État, 19 décembre 2007, n° 288527). Si le détenu est prévenu, aucun recours n’est prévu, mais dans son cas les hypothèses d’erreur sont limitées. S’il est condamné, le détenu peut en revanche déposer une requête en « incidents contentieux relatifs à l’exécution » des sentences pénales. La jurisprudence a déjà estimé recevable un tel recours dans nombre d’hypothèses d’erreur : mise à exécution d’une peine dépassant le maximum légal (Chambre criminelle de la Cour de cassation, 17 mars 2004 n° 03-83 411) ; erreur sur le calcul d’une période de grâce collective (Crim., 11 septembre 2002, n° 02-80 572) ; mise à exécution d’une peine prescrite (Crim., 24 octobre 2007, n° 06-89 405) ; erreur du greffe sur le calcul des crédits de réduction de peine (Crim., 21 février 2007, n° 06-83 089). Pour exercer ce recours, le détenu doit adresser une requête « devant le tribunal ou la cour » de son lieu de détention, selon le type de juridiction qui a prononcé la décision de condamnation, Si sa condamnation a été prononcée par une cour d’assises, il doit se tourner vers la « chambre de l’instruction ». L’assistance d’un

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avocat n’est pas obligatoire, mais elle est recommandée. Si le détenu « en fait la demande expresse dans sa requête », il devra être entendu par la juridiction. Les textes ne prévoyant aucun délai dans lequel la juridiction doit statuer, il n’est pas rare que ces procédures attendent de longs mois avant d’être jugées. Articles 710 et 711 du Code de procédure pénale.

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Que faire en cas de détention arbitraire ? Lorsque les erreurs commises entraînent le maintien d’une personne en prison plus longtemps qu’elle ne le devrait, l’on parle de détention « illégale » ou « arbitraire ». Aux termes de la convention européenne des droits de l’homme, « toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention » doit pouvoir « introduire un recours devant un tribunal » qui doit statuer « à bref délai sur la légalité de la détention » et ordonner la « libération si la détention est illégale ». Qu’il soit prévenu ou condamné, le détenu devrait donc disposer d’un recours rapide et efficace s’il s’estime détenu de façon arbitraire : par exemple, en cas de dépassement de la peine maximale encourue pour l’infraction commise, d’erreur de calcul conduisant à son maintien en détention, d’erreur sur son identité, etc. En pratique, il n’existe aucune procédure spécifique dans le droit français. Pour autant, toute personne « chargée d’une mission de service public » (dont un magistrat) qui a connaissance, « à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission », d’une « privation de liberté dont l’illégalité est alléguée » et qui s’abstient « volontairement soit de procéder aux vérifications nécessaires si elle en a le pouvoir, soit, dans le cas contraire, de transmettre la réclamation à une autorité compétente » est passible d’une condamnation pénale. Il en va de même si, « ayant eu connaissance […] d’une privation de liberté illégale », elle s’est abstenue « volontairement soit d’y mettre fin si elle en a le pouvoir, soit, dans le cas contraire, de provoquer l’intervention d’une autorité compétente ». S’il est condamné, le détenu peut alerter l’autorité judiciaire ou déposer une requête en incident d’exécution, en mentionnant en tête de ses courriers qu’il y a « suspicion de détention arbitraire ». La juridiction saisie de la requête en incident d’exécution peut ordonner la suspension de la « décision en litige », même si de telles décisions sont très rares, voire inexistantes. S’il est prévenu, le détenu peut saisir le juge chargé du dossier d’une « demande de mise en liberté » en « toute période de la procédure ». En cas de « décision d’incompétence et généralement dans tous les cas où aucune juridiction n’est saisie » du dossier, c’est la « chambre de l’instruction » qui doit statuer sur la demande du prévenu. En pratique, si le détenu a su attirer l’attention des autorités judiciaires compétentes, et sous réserve que la détention arbitraire soit clairement avérée, un simple ordre de libération donné par le parquet à l’établissement suffit à faire cesser la situation. Article 5 de la convention européenne des droits de l’homme ; articles 711 et 748 du Code de procédure pénale ; article 432-4 du Code pénal.

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