États généraux de la condition pénitentiaire
EDITORIAL
tirer les leçons du passé
l’engagement sur parole Sur quoi repose ce fort sentiment d’être à l’aube d’un grand bouleversement ? D’où vient cette impression tenace que la nouvelle donne tant espérée n’est peut-être pas si lointaine ? Sans doute du fait que la plupart des candidats à l’élection présidentielle ne s’en sont pas tenus à renouveler leur indignation face au constat du désastre des prisons. Ils ont surtout fait leur un ensemble de préceptes qui ouvre la voie à un véritable « renversement de perspectives ». Celui préconisé dans les premières pages de l’étude de la CNCDH(1) consacrée aux droits de l’homme dans la prison. Celui auquel exhorte la France chacune des recommandations du Conseil de l’Europe comme ses Règles pénitentiaires. Quelque chose nous porte à croire la parole donnée. C’est le fait que cette parole obtenue de la part de mesdames Royal, Buffet, Lepage, Laguiller et Voynet, comme de messieurs Bayrou et Besancenot, l’est en toute connaissance de cause. Ils ou elles savent que les dix points constitutifs de la déclaration finale des États généraux de la condition pénitentiaire sont à même à la fois de faire cesser la violation permanente des droits des personnes détenues, d’améliorer la condition de tous ceux qui vivent et travaillent en prison, et de mieux assurer la sécurité de tous en réduisant le recours à l’emprisonnement et la durée des peines. Ils ou elles mesurent la rupture que cela implique dans le fonctionnement de l’institution pénitentiaire, mais aussi au niveau des politiques pénales mises en œuvre. Parce qu’il ne s’agissait certainement pas de susciter de la part des candidats de vagues promesses, les États généraux ont soumis à leur appréciation dix principes dont la cohérence ne laissait planer aucun doute quant au dessein poursuivi. Pour que les prisons françaises cessent d’être la honte de la République, il fallait de la part du futur Président de la République un engagement clair. La consistance de celui pris par chacun de ces candidats est d’autant plus méritoire qu’elle est aussi le meilleur antidote aux errements du passé. L’adhésion pleine et entière à la déclaration des États généraux n’est rien d’autre que la garantie donnée aux personnes détenues comme aux personnels de surveillance, aux travailleurs sociaux comme aux différents intervenants en détention, aux avocats comme aux magistrats, de ne pas revivre l’amère déception d’un consensus politique forgé dans l’émotion, qui s’est arrêté en face d’une autre émotion. Chacun a en mémoire que la salutaire prise de conscience provoquée par le livre de Véronique Vasseur n’a pas suffi à éviter l’épuisement de la volonté réformatrice devant la montée d’une campagne électorale d’inspiration sécuritaire. A contrario, la position de M. Sarkozy ne laisse pas d’inquiéter. Malgré quelques propositions d’avancées ponctuelles, il se place dans la continuité de ce qui a été accompli depuis cinq ans. Pire, le programme de son parti prévoit d’instaurer des peines planchers et de limiter les aménagements de peine par la création d’un « juge des victimes ». Ces propositions sont évidemment aux antipodes des engagements qui lui étaient proposés. À l’heure où tout indique que les alternatives à la détention et les libérations anticipées sont le moyen de prévenir la récidive des infractions pénales, les arguments qui soutiennent le projet de l’UMP sont ténus. Sera-t-il possible de le convaincre, selon le mot de Fedor Dostoïevski, que « ce n’est pas en enfermant son voisin qu’on se convainc de son propre bon sens » ? Les États généraux n’y ont pas renoncé. Ce numéro spécial de Dedans Dehors, structuré selon les trois actes qui ont scandé le déroulement des États généraux de la condition pénitentiaire – la consultation (page 5), le manifeste (page 41), les engagements (page 65) – a été sous-titré « l’engagement sur parole ». Pour saluer la prise de parole magistrale des détenus de France en même temps que cet engagement sans précédent de la part de la grande majorité des candidats. Dans l’attente d’un prochain numéro où vous aurez, espérons-le, le plaisir de pouvoir y lire un article intitulé « de la parole aux actes ». (1) Commission nationale consultative des droits de l’homme
Jean Bérard et Patrick Marest
DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 31, rue des Lilas, 75019 Paris, Tél.: 01 44 52 87 90, Fax: 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Martine Joanin Rédaction : Jean Bérard, Adeline Combet, Stéphanie Coye, Patrick Marest, Isabelle Roger, Hugues de Suremain Secrétariat de rédaction : Isabelle Bardet, Adeline Combet, Anne Fellmann, Marie Guyard, Andrée Martins, Pascale Poussin Identité graphique : MG., L.D.<dlaranjeira@caramail.com> Maquette : Antoine Resche Photos : Patrick Artinian, Guillaume Atger, Olivier Aubert, J.-P. Bajard, Michel Baret, Samuel Bollendorf, Jérôme Brezillon, Henri Cacchia, Caroline Caldier, Derrick Ceyrac, Bertrand Desprez, Claudine Doury, Michel Gasarian, Jack Guez, Nicole Henry-Crémon, Bruno Isolda, Simon Jourdan, Bertrand Lauprète, Ulrich Lebeuf, Michel Le Moine, Anne-Marie Marchetti, Célia Quilleret, Philippe Sacin, Sébastien Sindeu, Aimée Thirion, Olivier Touron Commandes : Julie Namyas Remerciements à : Editing, Agence VU, L’œil public, Cinétévé, Canal +, Radio France Impression : Imprimerie Autographes 2, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 numéro CPPAP en cours Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 Couverture : Anne-Marie Marchetti
Lancée le 10 janvier 2006, à l’initiative de l’OIP, la démarche des États généraux de la condition pénitentiaire a réussi à inscrire à l’ordre du jour de la campagne électorale la question carcérale. Pendant un an, ce collectif d’organisations représentatives du monde des prisons a d’abord organisé une vaste consultation inédite de tous les acteurs de terrain, puis transformer cette prise de parole en propositions de réforme, de sorte à susciter l’engagement sans ambiguïté de l’ensemble de la classe politique. Pour en arriver là, les États généraux ont analysé les raisons des tentatives avortées de réformes et souhaité créer les conditions du renversement de perspectives porté par les instances nationales et internationales de protection des droits de l’homme. Ce tableau en trois actes commencera à prendre tout son sens au lendemain du second tour de l’élection présidentielle. Au soir du 16 janvier 2006, les États généraux de la condition pénitentiaire ont recueilli l’engagement de sept candidats à l’élection présidentielle (François Bayrou, Corinne Lepage, Ségolène Royal, Dominique Voynet, Marie-George Buffet, Olivier Besancenot et Arlette Laguiller) à mettre en œuvre, s’ils sont élus, les dix points de la déclaration qui leur a été soumise. Ce numéro spécial de Dedans dehors retrace les différentes étapes de la démarche qui a permis de parvenir à ce premier résultat, prélude, nous l’espérons, à une transformation radicale de notre système pénitentiaire. Il présente les trois actes qui ont rythmé cette année de mobilisation : l’organisation d’une consultation des acteurs du système judiciaire et pénitentiaire, l’élaboration du cahier des charges d’une réforme des prisons, l’interpellation politique et la réponse apportée par les candidats à la Présidence de la République. Mais, avant cela, il faut expliciter les raisons de notre démarche. Les constats sur le désastreux état des prisons existaient déjà. Ils existaient tant que, par exemple, lorsque est paru le rapport d’Alvaro Gil-Roblès, nous avons entendu des journalistes demander non pas : « Que pensez-vous de ce
rapport ? », mais « Expliquez-nous en quoi ce rapport a une chance de ne pas être un rapport de plus enterré, après avoir dénoncé une réalité hélas bien connue ? ». À cette question nous n’avions pas, à l’évidence, de réponse satisfaisante. Pour sortir de cette impasse, les États généraux ont voulu faire trois choses : 1) donner la parole aux personnes les plus directement concernées par le système carcéral, et, parmi elles, évidemment, les personnes détenues, 2) faire de cette parole une force de proposition inscrite dans le moment le plus important pour le débat politique : l’année de campagne pour les élections présidentielles et législatives 3) dans ce même temps de campagne, interpeller l’opinion publique sur la nécessité d’une réforme fondamentale du fonctionnement de l’institution pénitentiaire. Pourquoi ? Pour prendre la mesure de ce qui, dans les trente dernières années, a conduit à faire de la question des prisons et des peines, un véritable sujet politique. Pour cela, il faut revenir un peu en arrière.
1971, les détenus disent « l’intolérable » « La connaissance, les réactions, les indignations, les réflexions sur la situation pénitentiaire, tout cela existe, au niveau des individus, mais n’apparaît pas encore. Il faut maintenant que l’information circule, de bouche à oreille, de groupe en groupe. La méthode peut surprendre, mais c’est encore la meilleure. Il faut que l’information rebondisse ; il faut transformer l’expérience individuelle en savoir collectif. C’est-à-dire en savoir politique. » C’est le programme que donnait Michel Foucault au Groupe d’information sur les prisons (GIP) créé en février 1971, avec Jean-Marie Domenach et Pierre Vidal-Naquet. Leur but est de recueillir la parole des détenus. Pour cela, le Groupe élabore un questionnaire, qu’il diffuse notamment par l’intermédiaire des familles. En mai et juin, le GIP publie ses premières brochures, élaborées à partir des réponses au questionnaire, avant de se dissoudre et de laisser la place au Comité d’action des prisonniers (CAP). À partir de janvier 1973, ce dernier publie un journal qu’il vend devant les prisons. Dès son deuxième numéro, une liste de revendications paraît : « les onze premiers points du CAP ». Face à cette démarche inédite, les autorités réagissent dès janvier 1972, en dépêchant un ancien directeur de l’administration pénitentiaire à Toul pour rendre un rapport. En septembre de la même année, un décret crée les commissions d’application des peines et élargit les possibilités de permissions de sortir. En octobre, le garde des Sceaux René Pleven déclare devant le Sénat qu’ « il y a trop N°58-59 Janvier 2007
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