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Arles édition 47

COVER Ethan Levitas

gift copy CULTURE GRATUITE

Cultures photo


WILLIAM KLEIN

RACONTEURS D’HISTOIRES Les photographes vous mènent, vous guident à travers les sujets qui les animent. Ils se documentent, cherchent, mènent l’enquête. Les photographes sont des enquêteurs. Ils connaissent leur sujet sur le bout des doigts. Quand ils se rendent sur le terrain, ils rencontrent, échangent, explorent. Les photographes sont des explorateurs. À la recherche de nouveaux territoires, ils témoignent du vaste monde, interrogent l’histoire, questionnent le médium. Ils ne sont ni historiens ni sociologues, mais des artistes qui construisent une cosmologie visuelle faite d’images fixes ou animées, de textes ou de sons. Ils vous embarquent dans leurs récits. Les photographes sont des raconteurs d’histoires. Avec une quarantaine d’expositions, les Rencontres d’Arles s’affirment comme un observatoire de la création actuelle et des pratiques photographiques. Les rapprochements au sein de la programmation se déclinent comme des séquences. Ils permettent d’identifier des tendances et favorisent, année après année, un suivi au plus près des évolutions de la photographie. Évolutions de la photographie qu’OFF the wall s’efforce de restituer depuis le lancement de sa revue-photo en 2013, et dont le 10ème numéro achève la collection à Arles cet été. Les Rencontres d’Arles ont le plaisir de lui confier la conception du Arles paper, le journal qui suit de près cette 47ème édition du festival. Sam Stourdzé

STORYTELLERS

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Photographers lead you, guide you through the subjects that inspire them. They read, research, investigate. Photographers are detectives. They know their subject on the tips of their fingers. When they go in the field, they meet, they exchange, they explore. Photographers are explorers. Exploring new territories, they witness the wider world, they interrogate history and question their medium. They are neither historians nor sociologists, but artists who build a visual cosmology made up of still and moving images, of texts and sounds. They embark you in their narratives. Photographers are story-tellers. With approximatively 40 exhibitions, the Rencontres d’Arles is a key player in the observation of contemporary creation and in the practice of photography. Links within the program creates sequences. They allow, year after year, the identification of trends and favor a close tracking of the evolution of photography. An evolution of photography, which OFF the wall attempts to render since the launch of its photography magazine in 2013, and which, the last issue will be published this summer in Arles. The Rencontres d’Arles are delighted to entrust OFF the wall with the conception of the Arles Papers, a publication which follows closely the 47th edition of the festival.

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Arles paper OFF the wall p.2 ÉDITO

SAM STOURDZÉ

p.5 LE COLLOQUE / DENIS ROCHE LÉA CHAUVEL LÉVY

p.6 LE PRIX DÉCOUVERTE / AIDA MULUNEH ANA WELTER

p.8 LA RÉSIDENCE / STÉPHANIE SOLINAS ANA WELTER

p.9 PHOTO DOCUMENTAIRE CHARLOTTE FLOSSAUT

p.11 STREET PHOTOGRAPHY / EAMMON DOYLE SARAH PRESTON

p.12 STREET PHOTOGRAPHY / FRÉDÉRIC STUCIN SARAH MOROZ

p.14 PROGRAMME ASSOCIÉ / SYSTEMATICALLY OPEN ? LÉA CHAUVEL- LÉVY

p.17 GRAND ARLES EXPRESS p.18 VIRTUAL REALITY PAULINE NOGUÈS

p.20 DESIRED BOOKS AND BOOKS OF DESIRES MARIE MEDEVIELLE

p.21 INTERVIEW BRIGITTE PATIENT / REGARDEZ VOIR ! CLARA CHICHIN

p.23 IS AFRICA A TREND? / SINDIKA DOKOLO OLIVIA MARSAUD

p.24 INTERVIEW / NOOR ANA WELTER

p.26 TRIBUTE / LEILA ALAOUI & MALICK SIDIBÉ p.27 TRIBUTE / BENOÎTE GROULT MAURIZIO CATTELAN / Pierpaolo ferrari

GENEVIÈVE HOFMAN

p.29 L’IMAGE SANS L’APPAREIL PHOTOGRAPHIQUE LÉA CHAUVEL-LÉVY & LOUIS MESPLÉ

p.30 LA PHOTOGRAPHIE EXPÉRIMENTALE CONTEMPORAINE MARC LENOT

So mma

Conception graphique : Arnaud Maillard // contact@arnaudmaillard.com Arles paper OFF the wall est édité par OFFsociety (OFF the wall) – 33, rue d’Hauteville, 75010 Paris – +33 973 65 95 50 SAS au capital de 1 000 euros, RCS Paris 798 661 054 4


Le col lo que INTERMINABLE ÉCRITURE ENTRETIEN AVEC LÉA BISMUTH

PAR LÉA CHAUVEL- LÉVY POUR OFF THE WALL

Les 6 et 7 juillet à Arles, le colloque Denis Roche, énergumène rend hommage à l’écrivain et photographe disparu en 2015. Deux journées de conversations, de rencontres, de performances et de débats s’intéressent ainsi à une pratique d’écriture double autant tournée vers la littérature que la photographie. Arles paper OFF the wall s’est entretenu avec la critique d’art et commissaire d’expositions Léa Bismuth qui compte parmi les intervenants de ce cycle, à l’origine de recherches universitaires sur la photobiographie et dont les expositions tendent depuis quelques années à construire des écritures collectives, traversées et innervées par la question littéraire.

Léa Chauvel-Lévy : « J’écris pour être seul, je photographie pour disparaître. J’ai toujours pensé que mes livres parleraient à ma place et que mes photos se tairaient à ma place. » Comment expliquer cette dimension d’absence, de disparition et de silence ? Léa Bismuth : Les termes d’absence, de disparition et de silence vont très bien ensemble : ils fonctionnent par la négative et sont souvent bien nécessaires pour comprendre le geste artistique. Dans les trois, on trouve un rapport à ce qui n’est pas, à ce qui n’est plus ou à ce qui n’est pas encore. Nous sommes dans une faille. Denis Roche aussi cherchait ces failles-là. Car, si l’on parle de disparition, on parle nécessairement de trace et d’un espace autre, parallèle, différent, sans limite et insondable, que ce soit dans l’image photographique ou l’écriture littéraire. Chez Roche, le paradigme de Barthes « ça a été » devient « j’ai été là ». Voilà ce qu’il tente de saisir : sa présence au monde, à un moment donné ; il parle de « preuve ». Il s’agit à mon sens d’une présence philosophique au monde. Tout ce que l’on vit est constamment en train de disparaître, c’est une évidence, mais la photographie peut le capturer, et l’écriture le chercher. En cela, Roche se réclame de Maurice Blanchot, pour qui l’écriture est à la fois l’expérience intérieure d’un espace nouveau, peut-être impossible, un espace où l’existence peut laisser sa trace, même avec fugacité et obscurité. LCL : Intuitivement, l’acte d’écrire ou de photographier se rapprocherait plus de la modalité temporelle de présence. À l’inverse, comment Denis Roche justifiait-il celle de l’absence ? LB : Denis Roche cherchait donc des preuves et des traces d’existence. L’image atteste qu’il y a quelque chose qui a existé. Dans l’image qui apparaît, il y a d’emblée un rapport au disparaître. Je fais une grande distinction entre la disparition (ce qui n’est plus, l’absent) et le disparaître (un passage du temps en acte, une présence-absence). En effet, le disparaître est ce moment de bascule vers la disparition et se conjugue au présent. Il y a là un impossible… C’est une tentative désespérée. Et c’est cela qui me touche chez Roche.

LCL : Roche disait sans cesse qu’il ne dressait pas un autoportrait ou une autobiographie… LB : C’est vrai, cette question est très épineuse. Je pense qu’il voulait dire : « pas un autoportrait au sens traditionnel du terme »… Car ce qu’il cherchait, ce n’était pas l’autoreprésentation ou le récit de soi, mais au contraire l’invisible de soi qui peut être saisi. La photographie et l’écriture lui permettent, en tant qu’outils, de créer ce saisissement. Il parle d’un « acte » photographique : le terme est fort, il doit nous arrêter. L’acte est un geste qui peut être violent, incisif, une coupe dans l’épaisseur du réel et du temps. Un acte, c’est une prise de position dans la vie, dans le vivant. C’est le fruit d’une construction. LCL : Comment affirmer qu’il s’agit du même geste dans les deux actes d’écriture, littéraire et photographique ? LB : Le geste d’écrire et celui de photographier étaient bien distincts pour Roche, mais il est vrai que ce sont bien deux actes qui possèdent leurs propres modalités. Ce sont deux processus, deux engagements. En réalité, je pense – et peut-être Roche me contredirait-il – que la littérature et la photographie sont néanmoins deux manières de faire de l’écriture, presque au sens où Derrida parle d’écriture, de

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mise en chantier continue dans la parole qui prend forme. L’écriture chez Roche reviendrait donc autant à se mettre à son ordinateur que d’appuyer sur le déclencheur. Dans les deux cas, c’est un pas vers l’inconnu, vers le vertige. LCL : D’un point de vue théorique, cela reviendrait-il à dire qu’il y aurait dans les deux cas production de mots et d’images, et cela au même titre ? LB : Je pense que oui, mais c’est très compliqué. Ses photographies ne sont pas simplement des images, mais des traces de vécu dans l’épaisseur dont nous parlons. J’ai relu ce passage que je vous cite : « S’il faut en croire les scientifiques, la réalité est un objet qu’on construit. Mais on ne peut pas penser le réel, on ne peut que le regarder – et de ce regard faire un monde. Impétueux ou tranquille, distant et malicieux, repoussant ou triste, mais un monde qu’on installe et qui passe. » L’image et l’écrit attestent ainsi qu’il y a eu un « rapport » au monde. Prenons l’exemple de ses autoportraits doubles, avec sa femme Françoise, et l’utilisation du déclencheur à retardement : la photographie atteste de leur vie à deux, amoureuse, par exemple quand ils arrivent dans une chambre d’hôtel en Italie… La photographie crée une ellipse, un laps de temps où tout est encore imaginable. Et puis, elle se fige. LCL : Roche disait que la photographie est « interminable ». Qu’entendait-il par-là ? LB : Je pense que c’est très proche du rapport proustien au temps. La « recherche du temps perdu » est par essence interminable. Le temps est lui-même interminable, et même la mort ne met pas un terme au temps. On s’apprête à rendre hommage à Denis Roche, à cet interminable, c’est-à-dire ce qui peut se prolonger, l’héritage que Roche a laissé et les photographes qu’il continue d’inspirer. LCL : Qui sont ces photographes aujourd’hui ? LB : En l’occurrence, j’ai beaucoup travaillé avec le collectif photographique Being Beauteous, qui réunit Anne-Lise Broyer, Nicolas Comment, Amaury da Cunha et Marie Maurel de Maillé. Ils se sont reconnus dans leur pratique. Je pense que le rapport à la littérature est très important. C’est aussi la recherche d’une épiphanie joycienne, d’une cristallisation de sens, d’une bouffée de réel. Ensemble, la littérature et la photographie permettent cela. Avec elles, on peut trouver ce rapport à la révélation. Reprenons encore l’exemple des photographies de Françoise au Pont-de-Montvert en 1971, 1984, 1995 et 2005 : elle est assise sur un muret, et à l’arrière-plan se trouve un cimetière. Les photographies, en reprenant le même cadrage à intervalles réguliers, marquent nécessairement le passage du temps : Françoise change et vieillit, mais Roche dit que ce n’est pas Françoise qui a changé, mais bien le cimetière à l’arrière-plan. C’est la mort qui a changé. Je trouve ça très émouvant. La vie est toujours dans Françoise. Pour conclure, on pourrait dire que la littérature et la photographie sont un moyen d’exorcisme.

ENDLESS WRITING DISCUSSION WITH LÉA BISMUTH CONDUCTED BY LÉA CHAUVEL-LÉVY The symposium Denis Roche, énergumène (Denis Roche, an “oddball”) which will take place in Arles on the 6th and 7th of July 2016, will be a tribute to writer and photographer Denis Roche, who passed away in 2015. Two days of conversations, meetings, performances and debates will focus on Roche’s dual writing practice, turned equally to-wards literature and photography. Arles paper OFF the wall met with art critic and curator Léa Bismuth, one of the speakers during the Arles symposium. Originator of academic studies on the theme of photobiography, over the last few years her exhibitions have focused on establishing collective photographic studies, structured around a common interest on literary questions. Léa Chauvel-Lévy: “I write to be left alone and I photograph to disappear. I always thought that my books would speak for me, and that my photographs would remain silent for me.” How could one explain the dimension of absence, of disappearance and of silence? Léa Bismuth : The notions of absence, disappearance and silence go very well together: they are notions that work in the negative and which are often needed to understand the artistic gesture. In all three notions there is a relation to what is not, to what is no more or to what is not yet. There is a fault here. Denis Roche was also looking for these faults. Since, if we are talking about disappearance, we must talk about traces and about another space, a parallel, different, limitless and unfathomable space: may it be in the literary writing or in the photographic image. In the work of Roche, Barthes’ paradigm of “thathas-been” becomes “I was there”. This is what Roche tried to capture: his presence in the world, at

one given moment. He talked of “proof”. In my opinion this is a philosophical presence in the world. Everything we are going through is constantly disappearing, it’s obvious, yet photography can capture this and writing can search for it. As such, Roche sides with Maurice Blanchot, for whom writing was both the interior experience of a new space – maybe an impossible space – and a space in which existence could leave a trace even if dark and fugitive. LCL: Intuitively the act of writing or of photographing would be closer to the temporal modality of presence. How, on the contrary, did Denis Roche justify the temporal modality of absence? LB : Denis Roche was looking for evidence and traces of existence. The image is evidence the something existed. In the appearing image, there is an immediate link to the notion of disappearing. I make a major distinction between the disappearance (that which is not there anymore, the absent) and the disappearing (a passage of time, an action, a presence-absence). As a matter of fact the disappearing is this shifting moment towards the disappearance and takes place in the present. There is here an impossible… It is a desperate effort. And this is what touches me in Roche’s work. LCL: Roche constantly stated that he wasn’t creating a self-portrait or an autobiography... LB: This is true, and it is a very delicate question. I think he meant that it is not “A self-portrait in the traditional sense of the word”... because what he was looking for was not a self-representation or self-narration but, on the contrary, he was looking for the invisible self that can be grasped. Photography and writing allowed him – as tools – to create this moment of grip. He talked of a photographic “act”: the term is strong and should have us pause. The act can be at times violent, sharp, a cut through the thickness of reality and of time. An act is taking a position in life, in the living. It is the result of a construction. LCL: How can one claim that both acts – the act of writing and the act of photographing – are the same? LB: The acts of photographing and of writing are very distinct for Roche. But it is true that both acts have their own modality. They are two processes, two commitments. I think in fact – and perhaps Roche would contradict me – that literature and photography are nevertheless two ways of writing almost in the sense Derrida would talk about writing, a constant building of words into forms. Therefore writing for Roche would mean just as much sitting in front of his computer as pressing the shutter. In both cases, it’s a step into the unknown, towards a feeling of vertigo. LCL: From a theoretical point of view, does this mean that in both cases there would be in the same way a production of words and images? LB: Yes, I think so, but it is very intricate. His photographs are not just images, they are traces of past lives in this density we are talking about. I have re-read this sentence that I will quote to you: “If one has to believe scientists, reality is a construction of our mind. Yet one cannot think reality but only observe it, and from this observation create a world – impetuous or calm, distant and malicious, rejecting or sad; but still a world which settles and passes.” The visual and the written show that there was a link to the world. Let’s take for instance his double self-portraits, shot with his wife Françoise using a delayed exposure: the photographs are a proof of their life as a couple, of their love life, arriving in a hotel room in Italy for instance... Photography creates an ellipse, a time lapse in which everything is still conceivable. Then the image freezes.

You have chosen two very strong themes. Why? The criteria as stated by the Discovery award was based on offering an opportunity for international visibility to emerging talents. I selected photographers who have just started in their artistic journey and exemplified a great deal of potential. In the case of Nader Adem, who is a hearing impaired photographer and recent graduate from art school, the topic that he chose to focus on reflected the challenges as well as determination of the disabled community in Addis Ababa, a topic that is rarely documented. While the works of Sarah Waiswa, which I came across as part of the jury for the Uganda Press Photo awards, carried a new approach in addressing a topic that has often been documented by foreign photographers, yet her approach echoed a perspective through a poetic provocation as opposed to one that is based on sensationalizing. Why did you not choose a conceptual work like your own? If you look at my photography career, the collection is actually based on my own personal path and approach on photography. I started as a photojournalist working for various publications, which included The Washington Post. The work that I presented in the Bamako Biannual 2007, which won the EU prize, was not conceptual art but a selection of journalistic black and white images. Hence the selection of both Nader and Sarah is to show the spectrum of transmitting a message through photography, one that is based on the moment and the other based on creating the moment. You are the founder of Addis Photo Fest. How do you organize a photo festival in Ethiopia? The Addis Foto Fest is the first and only international photography festival in East Africa that was established in 2010 in Addis Ababa. The biannual festival hosts exhibitions, portfolio reviews, workshops and conferences to address the engagement of photographers from Africa with the international market. The event is made possible through the collaboration of both our local and international partners with the main objective of developing the photography market, not only in Ethiopia but also across our continent. In addition, as part of our global outreach we also

prix de cou ver te showcase selections in various parts of the world to establish partnerships and to offer audiences beyond our borders collections that showcase the thriving photography talents in our country. We have exhibited in Bamako (Bamako Biannual/Off), Dakar (Dakart Biannual/Suba exhibition), New York City (Photoville/Brooklyn) and upcoming 1:54 Art Fair (London, England), Joburg Art Fair (Johannesburg, South Africa) and FotoMuseo (Bogota, Columbia). What is the international response? We have received an international following through the festival. As an example, for this edition of the festival we received submissions from over 400 photographers across the globe. In 2014, AFF was listed as a must-see festival in The New York Times’ list of top places to visit for cultural activities in the world. Hence, the AFF is garnering an international audience and is becoming one of the leading photography festivals in Africa. Is photography important, where does it go in Ethiopia? Asking if photography is important is the same as asking if water is important for work. Yes, of course it is important for artistic expression, cultural exchange, economic development, promotion and preservation. Photography is more than just hanging an image in an exhibition; it is a tool to educate and to also transmit information beyond our borders. How do you deal with the fact that you are an artist when you need to judge? I am an artist who advocates for emerging talents. It is all an extension of my creative practice. I live my life with the conviction that if you want to change things, it’s not based on a theory but in fact in taking action. Hence I am engaged in various components of photography from education, policy changes and organizing events with the goal of being an example that can inspire the future generation to continue on the journey.

SARAH WAISWA STRANGER IN A FAMILIAR LAND NADER ADEM LIFE AS A DISABLED PERSON GRANDE HALLE // 4 JULY - 25 SEPTEMBER 10AM - 7:30PM

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RENCONTRES-ARLES.COM

LCL: Roche stated that photography is “endless”. What did he mean by that? LB: This is very close to the Proustian relationship to time. The “recherche du temps perdu” (the search of lost time) is in its very nature, endless. Time itself is endless, and even death cannot stop time. We are about to pay a tribute to Denis Roche, to the never-ending, to what can be prolonged, to the heritage Denis Roche left behind and to the photographs he continues to inspire. LCL: Can you give us some examples of today’s photographers that you refer to? LB: In fact, I have worked a great deal with Being Beauteous, a photographers’ collective which includes Anne-Lise Broyer, Nicolas Comment, Amaury da Cunha and Marie Maurel de Maillé. They identified through their practice of photography. It is also a research of a Joycian epiphany, a crystallization of meaning, a strong blast of reality. Literature and photography together allow this. With both, one can find a relation with revelation. Let’s go back to the example of the photographs of Françoise in Pont-de-Montvert in 1971, 1984, 1995 and 2005: she is sitting on a small wall and in the background there is a cemetery. The photographs all use the same frame at regular intervals, hence marking the passing of time. Françoise changes, she ages, yet Roche is saying that it is not Françoise that is changing but the cemetery behind her. Death has changed. I find it very moving. Life is still within Françoise. In conclusion we can say that literature and photography are a means of exorcism.

DENIS ROCHE THÉÂTRE D’ARLES // 6-7 JUILLET CONVERSATIONS. PERFORMANCES. SCREENINGS 10H-12H & 15H-17H RENCONTRES-ARLES.COM

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DISCOVERY AWARD AIDA MULUNEH

nader adem


publi rédac

ELLIOT ERWITT HAVANA CLUB 7 FELLOWSHIP

AN INTERVIEW WITH ELLIOTT ERWITT BY NIGEL FARNDALE

Throughout his distinguished (and extremely long) career as a photographer, Elliott Erwitt has let his images speak for themselves. ‘It’s a nice picture,’ he will typically reflect. ‘I don’t know what else there is to say about it.’ ‘What I like about this one,’ he says, ‘is the way Castro looks quite pensive and unheroic, rather than glamorous. He was conscious of his image and this one catches him off guard. There was a little bit of vanity there with him. The outfit. The beard. The theatrical aspect. At that time, he seemed to me like a cowboy.’ The Castro photograph is part of the inaugurating selection of the Elliott Erwitt Havana Club 7 Fellowship available on havana-fellowship.com. New black and white images of Cuba, which Erwitt took when he revisited the country in July 2015, are alongside the ones he took of Castro (and Che Guevara) for a Newsweek assignment in 1964, some of which have never been seen before. And what is remarkable is how hard it is to tell which was taken when — such is his consistency of style. What’s his secret? ‘Natural lighting. I work with one camera, a Leica, and three lenses. Highly portable. I try and blend into the background. Sometimes photographers bring a load of paraphernalia and assistants just to justify their budget.’ The new body of work was created to mark the inaugural Elliott Erwitt Havana Club 7 Fellowship, which is being run in conjunction by Havana Club rum, with additional funds being raised by the sale of seven limited edition prints to allow the next assignments. The object of the Fellowship is to ‘allow future generations to follow in Erwitt’s footsteps

and capture the human condition through documentary photography in Cuba.’ It will be awarded annually, with the first recipient being Turkish Ali Taptik set to go to Cuba in July 2016. Though his curly hair is white now, Erwitt’s eyes are still alert and mischievous behind his big glasses, and they reflect his insouciant nature. Although he is a laconic man, what he does say is invariably laced with dry humour. When I ask if Cuba has changed much in fifty years, for example, he answers: ‘Well, the cars certainly haven’t.’ There is a photograph in this new collection of a celebrated Cuban ballerina, who is now in her 90s and blind, and she is sitting with a young ballerina who I didn’t know. It is a very simple photograph but the expression on their faces is what makes the photograph. The second before, that expression wasn’t there and the second after it wasn’t there either. I find it a very touching picture — the young prima ballerina and the 90-year-old blind veteran.’ Does it feel magical when that happens? ‘You don’t always know it at the time but you do when you look at the contact sheets. Nothing was set up for it. It was just a combination of static and movement. Luck is essential. Without luck you don’t have pictures. And you have be patient, or impatient. Sometimes you have to provoke something or move around.’ He shouts something out? ‘Once in a while. Sometimes I use a horn to make people turn around.’ He thinks the ease of using modern digital cameras engenders a certain laziness in the photographer. ‘There is big difference between people taking endless shots hoping to get the right one and people working to make photographs. It is the same as someone using a pencil to be a poet or write a shopping list. You need more than a pencil to be a poet. Erwitt is famed for the humorous touch found in many of his photographs. One of my favourites, I say, is the one in which the s-curve of a heron’s neck mirrors the angle of the outdoor tap it is standing near. It always makes me smile, that one. ‘I don’t get up in the morning and decide to be humorous,’ he says. ‘It’s a matter of being observant.’ So, be observant. Any other advice for aspiring photographers? ‘Be sure to take the lens cap off before photographing.’ havana-fellowship.com

publi rédac

LE CLUB DES DIRECTEURS ARTISTIQUES En France, comme dans tous les pays, du Japon à la Belgique en passant par l’Angleterre, les États-Unis, l’Italie ou le Canada, la valorisation de la création publicitaire a conduit au développement de structures regroupant les créatifs. Le Club, fondé en 1968, regroupe plus de 500 membres issus de la publicité et des métiers des arts graphiques : directeurs artistiques, concepteurs rédacteurs, directeurs de création, réalisateurs, typographes, graphistes, illustrateurs, designers, photographes et agents, réalisateurs et producteurs. Depuis 47 ans, les meilleurs créatifs y ont été distingués par leurs pairs.

DÉSIRER RÉSIDER STÉPHANIE SOLINAS THOMAS MAILAENDER PAR ANA WELTER Cette année, Les Rencontres d’Arles affirment plus que jamais leur volonté de représenter une aide à la production en initiant une résidence de création dont la photographe Stéphanie Solinas est la première récipiendaire. Discussion au sein même de notre rédaction avec la journaliste et critique Léa Chauvel-Lévy, directrice de la première résidence artistique LVMH Métiers d’art, pour évoquer les enjeux de tels projets.

ELLIOTT ERWITT

Ana Welter : La résidence de Stéphanie Solinas prend place dans un bâtiment qui a été le Grand Palais de l’Exposition coloniale à Marseille en 1906. Le Palais avait ensuite été démonté et transporté en Arles pour abriter les silos de l’usine Lustucru. Votre résidence s’installe également dans une usine… Léa Chauvel-Lévy : Absolument. Je suis vraiment curieuse et excitée à l’idée de découvrir le projet de résidence de Stéphanie Solinas, car celle-ci dessine de nombreux points communs avec le nôtre. Dans les deux configurations, il s’agit en effet pour un artiste d’investir une usine. Stéphanie Solinas dans un cas, Thomas Mailaender dans l’autre. Mais pour l’usine Lustucru, il s’agissait de revenir sur un lieu aujourd’hui déserté, redécouvert en 2003. Ce travail fait ainsi renaître un lieu de ses cendres. Cette dimension heuristique me passionne parce qu’elle redonne vie à une histoire enfouie. Dans notre cas, il s’agit d’une usine, en l’occurrence une tannerie à Romans-sur-Isère dans la Drôme, qui elle est encore en activité. Romans a bénéficié de l’installation de mégisseries et de tanneries : ce genre d’industrie prospérait dans les pays où l’eau était douce car on ne savait pas encore corriger les eaux dures. Le travail de rivière, c’est-à-dire celui qui consiste à mettre les peaux à l’eau pour les dessaler et les épiler, se pratique encore, mais sans rivière, grâce à des foulons. Lorsqu’il s’immerge dans ce type de lieux de production, l’artiste est confronté à un attirail de questions techniques dont il ignorait tout. Thomas Mailaender a découvert des machines et un cycle de production qui lui sont aujourd’hui familiers. AW : Est-ce que le lieu, l’usine, est un terreau fertile pour une résidence ? LCL: Une usine charrie un imaginaire fort. Elle fait ressurgir des périodes historiques qui nous sont enseignées mais que l’on ne peut qu’imaginer. Dans le cas de l’usine Lustucru (4 500 mètres carrés) issue des ateliers Eiffel, elle correspond à cette transition formidable incarnée par la Belle Époque, cette période où l’on s’apprêtait à quitter le 19e siècle. Un monde disparaissait, et place à la première ligne de métropolitain, aux nouvelles gares d’Orsay et des Invalides. Avec l’Angleterre, la France était encore la première puissance mondiale. L’usine Lustucru a pris place dans le Palais de d’une exposition universelle, et figurez-vous que l’un des dirigeants de l’usine Roux qui accueille notre résidence s’était rendu à l’Exposition Universelle de Paris. Il y a reçu un Grand Prix pour ses beaux cuirs. Toutes ces histoires constituent un nid à fantasmes, nourrissent les projets de façon inconsciente, en plus de représenter un fonds documentaire considérable. AW : Justement, le fonds documentaire, les archives, est-ce complexe à établir ? LCL : Dans le cas de la résidence de Stéphanie Solinas, il semble qu’il se soit agi d’un véritable travail d’enquête et d’investigation. Dans notre cas, il a fallu faire sans les archives du lieu, qui ont brulé lors de deux violents incendies. La tannerie datant de 1803, il ne reste plus beaucoup de traces de son histoire. On peut néanmoins tirer des grandes lignes. Du Consulat jusqu’à l’entre-deux-guerres, l’exploitation familiale s’est structurée pour devenir le fleuron de l’industrie romanaise. Ce qui est intéressant avec ce genre de résidences dans un lieu ancien (un siècle pour l’usine Lustucru, deux pour la tannerie Roux), c’est qu’il nous ramène à des modes d’organisation traditionnels du travail qui n’existent plus.

LA GALERIE DU CLUB AUX RENCONTRES D’ARLES La Galerie a pour objectif de mettre en lumière les jeunes talents français de la photographie. La volonté du Club est double : Découvrir, aider et promouvoir les jeunes photographes et les valoriser auprès des filières. Les réintégrer dans la réflexion globale des arts appliqués et dans l’économie de ces secteurs. François Hébel, Directeur Artistique de Foto-Industria et Directeur Artistique du Mois de la Photo du Grand Paris et son jury se sont penchés sur une soixantaine de dossiers. Les artistes retenus méritent respect et encouragement.

AW : Stéphanie Solinas a filmé journalistes, historiens, botanistes, conservateurs, photographes, anciens salariés de l’usine pour les besoins de son enquête sur cette halle Lustucru. Est-ce que l’artiste Thomas Mailaender s’est livré à un tel travail exploratoire ? LCL : Il faudrait le lui demander, mais sa démarche est en tout point artistique. Il est parti de l’absence d’archives du lieu. La tannerie a brûlé, comme je vous le racontais. Faute de traces visuelles, il a constitué un corpus autour de la mythologie du cuir. Par différents procédés d’impression, ces images ont pris vie sur le cuir. Quelque part, c’est une façon de redonner vie à la mémoire du lieu qui avait un peu péri dans les flammes.

La sélection : Alina Asmus - Anaïs Boileau - Anne-Sophie Auclerc Charlotte Mano - Emmanuelle Descraques Laura Bonnefous - Lonneke van der Palen Lucian Bor - Moos_Tang - Paul Rousteau - Rémi Lamandé Les tirages de la Galerie ont été réalisés par le laboratoire Janvier

Sans titre (herbier), Le Palais de l’esprit, 2016. Untitled (herbarium), The Palace of the Mind, 2016. 7

LA ReSi DEN CE

AW : Quels procédés sur cuir a-t-il utilisés ? LCL : Il s’est intéressé à différentes techniques anciennes de la photographie. Je ne voudrais pas dévoiler ses procédés, car il y travaille encore et se livre à des expérimentations en ce moment même, avant le rendu des œuvres et la parution de l’ouvrage dans quelques mois, mais – chose fascinante – nous avons découvert que les premiers essais photographiques avaient eu lieu sur cuir. Mon père m’a souvent dit : « L’histoire nous rattrape par les pieds. » Dans le cas de cette résidence, l’histoire et les histoires nous ont vraiment émerveillés tous les jours. English text on offthewallphotobook.com.

STÉPHANIE SOLINAS LA MÉTHODE DES LIEUX CLOÎTRE SAINT-TROPHIME // 4 JUILLET - 11 SEPTEMBRE RENCONTRES-ARLES.COM

PROLONGEMENT DE L’EXPOSITION DOMINIQUE LAMBERT DE STÉPHANIE SOLINAS AU CARRÉ D’ART DE NÎMES // 5 JUILLET - 16 OCTOBRE

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« PARDON?! » LA PHOTO DOCUMENTAIRE TEXTE CHARLOTTE FLOSSAUT « PARDON ?! »... La réaction était quasi systématique : les sourcils se fronçaient ou les yeux s’écarquillaient en parfait point d’interrogation, sans équivoque sur l’incompréhension exprimée. C’était il y a un peu plus d’un an lorsque, suivant des conseils bienveillants, j’évoquais le nouveau positionnement de la foire sur la photographie documentaire maintenant en développement. Depuis, les visages se sont adoucis, l’idée a fait son chemin, étant entendu que le documentaire est différent du reportage, du photojournalisme, et qu’il peut sortir du contexte de la presse pour exister aussi à hauteur d’œil, de collection... sans se trahir, bien au contraire. Mais comment le définir vraiment ? Il m’est arrivé d’écrire : « Fondamentalement, la photographie documentaire est ALTÉRITÉ, dans la plus stricte définition de ce que nous a transmis Emmanuel Levinas se rapportant à la relation à l’autre, à l’engagement, à la sortie de soi, à la responsabilité envers autrui. » Dans un autre contexte que je recommande, c’est Marie-José Mondzain qui en parle le mieux : « Se rapportant à l’image uniquement, il s’agit de comprendre qu’en elle se joue sans doute la place que l’on fait à l’autre. » Plus que jamais, il s’agit désormais de ne plus ignorer cette place mais bien de la définir, voire de la créer. Les grands enjeux d’aujourd’hui sont de taille, d’autant plus à dimension humaine, révélant la photographie documentaire dans ce qu’elle porte d’essentiel en ceci qu’elle est plus qu’un gage sur ce qu’il s’est passé, mais bien un levier de création sur ce qui advient. La photographie documentaire ne se limite pas à la révélation. Elle ouvre une voie et accompagne. Elle est patiente et encourageante, allant parfois jusqu’à l’aboutissement. L’ADN de son fonctionnement, avec une implication factuelle au long cours, une immersion personnelle du photographe sur le terrain, en illustre la spécificité. Ce qui s’y joue est d’importance. Il y a de la fertilité dans cette photographie-là. Il y a la puissance du vivant, la permanence d’un lien de vie salutaire. Naît une interaction évidente entre le photographiant et le photographié, une fusion qui va jusqu’à enrôler l’œil du spectateur dans cette recherche de sens à apporter à l’époque en question. Parlons alors d’agissements, d’influences multiples, de la force de création des photographies, surtout celles-ci, d’une perméabilité du visible sur le réel plutôt que l’inverse. Oui, la photographie documentaire est agissante au-delà de nos émotions immédiates. J’entends à nouveau ce « Pardon ?! » perplexe. Les sujets traités le sont suivant un schéma défini qui part de l’interrogation, du besoin de comprendre : questionnement, immersion, rencontre, interaction – résultat. Nous ne sommes pas là dans la constatation d’une actualité de faits accomplis dont le témoignage serait l’unique finalité, mais dans la découverte et l’étude de phénomènes et de situations en cours. Il ne s’agit donc pas d’aller voir, mais d’aller faire.

Les Plateformes du visible L’aspect sociologique ou ethnographique est ici hautement marqué et ne saurait être dissocié, quelles que soient les formes empruntées. Celles choisies pour cette 47ème édition des Rencontres sont majoritairement plasticiennes, un genre récent dans le domaine. L’étonnante charge colorielle et chorégraphiée de Sarah Waiswa pour exprimer ce que c’est d’être albinos aujourd’hui dans la « nouvelle identité africaine », ou l’abstraction radicale de Laia Abril pour nous alerter sur les ravages de l’avortement pratiqué illégalement, manifestent brillamment de la pertinence de ces libertés de genre. Avec Yan Morvan, voir n’est pas montrer. À plus d’un titre, ce travail remarquable aurait parfaitement su se justifier dans cette catégorie, mais il est l’occasion de grandes perspectives, celles d’un Après la guerre qui reprend ses droits et s’impose. Plus discrète mais non moins emblématique, la série de Nader Adem a été recommandée pour le prix Découverte. Si on sait y regarder, le secret semble moins bien gardé et il paraîtrait que le documentaire photographique, filmé ou dessiné soit l’expression visuelle qui détermine ce début de siècle. Pardonnez du peu ! Charlotte Flossaut vit et travaille à Paris. Lancée par Alexander Liberman, elle a été mannequin à la fin des années 80, puis agent de photographes et commissaire d’exposition. Elle est maintenant conseil sur projets photographiques et directrice artistique de la foire What’s Up PHOTO DOC sur la photographie documentaire.

« WHAT?! » DOCUMENTARY PHOTOGRAPHY TEXT CHARLOTTE FLOSSAUT “WHAT?!” The reaction was almost systematic: crimping of the eyebrows or eyes opening wide in a perfect question mark in an unequivocal statement of complete incomprehension. It was a little over a year ago when – following some well-meant advice – when I was explaining the new positioning of the Documentary Photography Fair currently under development. Since then expressions have softened, the idea has caught on that documentary is different from reportage and photojournalism, and that it can exist in a context other than the media. That it can have a place in galleries and private collections whilst remaining true to itself. But how can it be defined? I have written somewhere: “Fundamentally, documentary photography is ALTERITY. As - in the strictest definition formulated by Emmanuel Levinas – referring to a selfless relationship with a commitment, a responsibility towards the other.” In another approach which I recommend, it is Marie-José Mondzain who best puts it into words: “When specifically referring to the image, one has to understand that what is at stake is the space we leave for the other.” Today, more than ever, our task is to no longer ignore this space but rather to define it, even to create it. Today’s key issues are of such importance, have moreover a human dimension that they reveal documentary photography in its essential aspects. More than a record of what has happened, rather a creative leaver for what will occur. Documentary photography is not limited to revealing, it is a path finder, a patient and encouraging companion, sometimes to the final goal. Its DNA combined with the longterm implication and personal immersion of the photographer in the field, is a reflection of its uniqueness.

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What is at stake is of great importance. This photography is fertile, powerful and lively linked to our own reality. An obvious interaction arises between the photographer and the photographed, a fusion that goes as far as involving the viewer’s eye in this quest for meaning in the period in question. We can talk of actions, of multiple influences, of the creative power of photography – especially documentary photography – of the permeability of the visible on the real, rather than the reverse. Yes, documentary photography is action beyond our immediate feelings. I hear again this perplexed “What?!” The subjects are addressed following a pre-determined pattern, taking these interrogations and need to understand as a point of departure: question, immersion, encounter, interaction – result. We are not here to record topical issues and facts, for which testimony is the only aim. Rather, we are in the discovery and the study of ongoing phenomena and situations. The aim is not to go and see, but to go and do. Les plateformes du visible (“Platforms of the visible”) The sociological and ethnographical aspect is, in this instance, very strong and should not be dissociated, whatever forms are chosen. And this year, the programming of this 47th edition of the Rencontres is oriented towards the fine art, a new genre in the field. Sarah Waiswa’s colorful and choreographed images on what it is to be albino in today’s “new African identity”; Laia Abril’s radical abstractions to warn us on the consequences of illegal abortions; both are brilliant examples of the relevance of such freedom in style. With Yan Morvan’s images, to see is not to show. This outstanding body of work – on several levels – would have been perfectly justified in this documentary category Les plateformes du visible (“Platforms of the visible”), yet it provides the opportunity for a major vision, Après la guerre (“After the war”), one on a post-war era that reclaims its rights and imposes itself. More discreet but nevertheless just as symbolic is Nadar Adem series recommended in the prix Découverte (Discovery award). If we know how to look, the secret seems less well-kept and it would seem that documentary photography – filmed or drawn – is the visual expression that marks the beginning of this century. “Pardonnez du peu !” Charlotte FLOSSAUT lives and works in Paris, France. First a model in the late Eighties, Charlotte Flossaut was discovered by Alexander Liberman. She then became a photographer’s agent and a curator. Today she works as a consultant on photographic projects and as an art director for the documentary photography fair What’s Up Photo Doc.

SARAH WAISWA STRANGER IN A FAMILIAR LAND GRANDE HALLE // 4 JULY - 25 SEPTEMBER 10AM - 7:30PM LAIA ABRIL A HISTORY OF MISOGYNY, CHAPTER ONE: ON ABORTION MAGASIN ÉLECTRIQUE // 4 JULY - 25 SEPTEMBER 10AM - 7:30PM YAN MORVAN BATTLEFIELDS CAPITOLE // 4 JULY - 11 SEPTEMBER 10AM - 7:30PM RENCONTRES-ARLES.COM

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«I GO OUT EVERY DAY. WHEN I GET DEPRESSED AT THE OFFICE, I GO OUT, AND AS SOON AS I’M ON THE STREET AND SEE PEOPLE,

EAMMON DOYLE INTERVIEW BY SARAH PRESTON Sarah Preston: On location. How has Dublin changed since you started photographing it? Do you see this change reflected in your photos? Eamonn Doyle: I’ve been photographing mostly in the old Georgian part of Dublin’s north inner city. Originally inhabited by Dublin’s ruling class, who moved out after the Act of Union with Britain, the area’s suffered a steady decline over the past century has fallen foul to a series of awful planning decisions. It’s recently been injected with a new lease of life with the arrival of immigrants from China, Africa and Eastern Europe. It’s raw, vibrant and half-sunk in a weary pathos. Like many cities it’s been ravaged by drugs and is currently in the throes of a gangland murder feud. The atmosphere is quite changeable, so there’s a wealth of photographic opportunities. The first book called i reflects how some things never seem to change, or change very little. It focused in on a certain type of solitary figure I’ve been observing in Dublin since my childhood. Often elderly, and apparently lost in introspection, these people seem to be treading the same ground, day in, day out. The second book, ON, opened out to the city a lot more and flooded the frame with more context, reflecting the dramatic demographic change that Dublin has gone through recently. But the two books shouldn’t be seen as sequential phases in some chronology of Dublin. The third book, End., reveals that the worlds of i and ON co-exist. The subdued and withdrawn apparitions of i inhabit exactly the same space and time as the bold protagonists of ON. It opens out the trilogy onto a single canvas. SP: Have you shot other cities or countries? ED: I’ve never really photographed properly outside of Dublin. I had notions of traveling the world and photographing, but anytime I tried I’d find myself thinking I should be photographing closer to home. I haven’t even begun to scratch the surface in Ireland.

FRÉDÉRIC STUCIN ENTRETIEN AVEC SARAH MOROZ

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Même sous ses lunettes de soleil quasi opaques, Frédéric Stucin est quelqu’un qui observe et surveille les visages à tout moment. Pendant notre interview en terrasse à Paris, il arrive à repérer, de l’autre coté de la rue, un visage qu’il aurait aimé photographier, un homme désuet aux longs cheveux gris. À ses yeux, les gens qu’il repère n’ont pas de récits à communiquer : ils sont comme des accessoires de cinéma pour nos récits. Selon Stucin, la photographie ne révèle absolument rien sur le sujet visé, mais permet tout à l’imaginaire du spectateur. Le personnage plat peut être transformé en n’importe qui, une dysmorphie pour faire rêvasser. Niçois d’origine, Stucin a étudié aux Arts Décoratifs de Strasbourg et obtenu un diplôme de l’École Nationale Supérieure Louis-Lumière. En 2002, il commence à travailler régulièrement avec le quotidien français Libération ; de suite, ses images sont publiées dans divers médias de la presse française (Le Monde, Les Inrocks, Madame Figaro). En tandem avec ses portraits et shootings éditoriaux, il poursuit une série indépendamment de ses commandes : un enchaînement de street photography à travers de multiples villes. Nommée Les Passants, cette série englobe ses voyages urbains dans le monde, dont une partie à Las Vegas où le cirque de cette ville est éclipsé par les gestes et les expressions des personnages du trottoir. La street photography est le fil rouge de sa carrière, poussée par une curiosité sans fin de regarder les têtes qui l’entourent. Sarah Moroz : Pour Les Passants, tu as photographié en Slovénie, à Hong Kong, Paris, Mexico, Las Vegas… Regardes-tu les gens autrement quand tu n’es pas en France ? Les codes cultu-

SP: On photography. Do you feel your photography belongs to a genre? Does it bother you if we call it street photography? And could you tell us how you work? ED: I guess what I’ve been doing recently would be called street photography. It doesn’t really bother me what it’s called. Some people seem to get caught up in different definitions. I suppose what defines this kind of work is that it’s completely un-posed and the subjects are unaware of being photographed. So in that respect it fits into a certain tradition of street photography. It’s a difficult genre to consciously go out and try to express yourself through, short of honing in on a specific subject for a particular series like I did with the i book. For the most part all you can do is go out into the world and see what way you react to it. It can be liberating and incredibly frustrating and restrictive at the same time. SP: On your relation to subjects: How do people react when you photograph them or when they see themselves on one of your photos? Is it a community you know? ED: For the most part I don’t think people realize that they’ve been photographed. If I’m working this way, as soon as someone acknowledges the camera, then the photograph is dead for me. I’ve been living there for a long time but I still feel like an outsider in some ways. There’s a deep-rooted inner city community and also new layers of immigrant communities developing. I’m originally from a different part of the city so I don’t really feel part of any particular community. SP: On music. your past and crossing boundaries: Do you still work in the music industry? ED: I’m not working in music much these days. I may come back to it, but not to the same level as before. I was initially interested in making music but found myself working mostly as a curator/ administrator. I’m resisting the temptation to do the same with photography, so I won’t be starting any photo festivals or publishing companies in the near future! I come from a background of releasing limited edition vinyl records and the photo book world seems very familiar to me. Many of the same issues arise from production through to distribution and promotion, so most of the same layers are there. There’s just a different set of people to deal with.

rels sont-ils différents ? Frédéric Stucin : Je travaille toujours de la même manière, que ce soit dans un pays arabe, aux États-Unis ou en Russie… Quand je sens que c’est tendu, que les gens sont plus réticents – et que je ne peux pas me cacher parce que je suis différent, par exemple pas algérien en Algérie – je me fais plus discret. SM : Pour toi, quel est le contexte de shooting idéal en street photography ? FS : L’essentiel, c’est de marcher ; c’est aussi bête que ça et je ne sais pas faire autrement. Il faut observer, rester concentré sur les gens qu’on croise. Il faut que les gens t’interpellent, c’est comme un casting. Certains photographes attendent patiemment. Moi, je peux parfois revenir sur mes pas, mais je ne peux pas attendre, je marche constamment. SM : Tu n’hésites pas à te tenir très proche des gens, à vraiment entrer dans leur espace personnel quand tu veux les prendre en photo. Pourquoi adopter cette approche un peu culottée ? FS : Quand une personne m’intéresse, qu’elle est belle mais regarde par terre, ça m’empêche d’avoir son regard et la photo sera sans intérêt. Voilà pourquoi je la « bloque », ou fonce vers elle. Cette approche m’a permis d’avoir des gens au regard étonné, ou qui me hurlent dessus, protègent leur visage… mais ça déclenche une image. J’en prends une ou deux, j’arrête, je repars, sans échange. Je ne regarde pas la photo après. Je travaille comme si j’étais en négatif. La photo est rapide ; je passe à la prochaine. SM : Et tu n’y penses plus. FS : En fait, je ne pense qu’aux photos que je n’ai pas prises ! Je m’apprêtais à photographier quelqu’un qui a pointé son doigt vers moi à la façon d’un revolver, j’ai souri et j’ai raté le moment. J’y ai pensé pendant longtemps après. Sinon, j’oublie les photos jusqu’à ce que les images passent à l’editing.

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SP: Do you see your work as a photographer crossing out into music and the other way round? ED: Creatively I think photography and music are very different to each other. I think they can both sit side by side quite comfortably, but the processes are very different. There’s also a huge difference in how the work is received, consumed and written about. In the twenty years or so of making music and running a record label, I don’t think I’ve ever been asked, or heard any of the artists on the label ask “What is your music about?” I think maybe there’s a perception that the act of making a photograph is very easy, especially in recent years, so there’s a feeling that somehow photographers need to justify themselves when putting their work out there. SP: On books. Where does your interest in making books come from? ED: Before the internet, the photo book was the only window into that world, especially in Ireland where there’s very limited gallery space for photography. I was primarily looking at photo books to look at the photographs and wasn’t necessarily viewing them as objects or works in and of themselves. It’s only recently that I’ve been exposed to and begun to look back and appreciate the older books. Now that I’m making my own books, I’m not really thinking of them primarily as a way to just show the photographs. There are much cheaper and more efficient ways of doing that online. I’m working with Niall Sweeney – an Irish designer I have worked with for the past 20 years, and with whom I have a good working relationship – on my books and we’re trying out different things as we go. I can’t say at this stage that we have a particular approach to making books. I just know that I don’t want to be too precious about any one particular project or book. It feels like it’s the beginning of an interesting road ahead, so I’d like to keep an open mind and see what comes next. SP: And finally. What is more important to you, a book or a show? And is this your first show in Arles? Can you tell us a little bit about the installation? ED: I had made two books before I had my first exhibition and was in the process of putting the third book together when the show at Arles was suggested, so the new book has been made in parallel with the plans for this show. It’s built around my photographs and also features drawings by Niall Sweeney and sound by David Donohoe. The three spaces in the show give an overview of the work from the first three books.

SM : À quel point peux-tu anticiper les réactions ? FS : Si une personne se trouve un peu loin et qu’il y a une foule, j’accélère pour la photographier. Ou je ralentis le pas quand il le faut. Je m’adapte. SM : En tant que photographe, ton travail n’a donc aucun rapport avec un rôle sociologique ou anthropologique ? Avec cette approche, tu restes sur l’esthétique, la surface ? FS : Oui, je réfute ce terme. Je ne sais pas qui sont ces gens ni ce qu’ils font : ça ne m’intéresse pas. Je ne me considère pas comme un photographe documentaire. Je ne suis pas là pour raconter les vraies histoires des vrais gens. Dans cinquante ans, les photos auront peut-être un intérêt autre qu’artistique en offrant un regard sur « la vie en 2016 », mais ce n’est pas mon but. Pour moi, une bonne photo ne cherche pas à raconter la vie du sujet : c’est la personne qui voit la photo qui apporte son imaginaire, qui est portée par l’imaginaire. Bien sûr, c’est différent quand je travaille sur une commande. SM : Quels sont les photographes qui ont nourri ton esthétique ? FS : J’aime Garry Winogrand, Lee Friedlander, Harry Callahan. SM : Pourquoi ceux-là ? Comment l’ont-ils influencé ? FS : En France, on a une « culture Cartier-Bresson » de la photo « plus-que-parfaite ». En revanche, Winogrand cadre n’importe comment, fait des photos floues, et ne développait même pas ses films à la fin de sa vie. Son attitude consistait à appuyer maintenant sur le déclencheur, et à voir après. C’est super intéressant. Ça change du coté rigoriste ; les photographes classiques nous terrorisent avec leurs niveaux ! Winogrand fonctionnait plus dans la détente, comme un dilettante. La photographie peut aussi être simple et agréable. Winogrand faisait des photos pour voir ce que ça donnerait. Ça t’ouvre tout un champ des possibles ! Ce photographe m’a rendu curieux. Les photographes que j’aime sont des gens qui ne restent pas dans une seule façon de faire. Idem avec Bruce Gilden : c’est une folie en prise de vues, il se permet de prendre des risques pour les

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I FEEL BETTER. BUT I NEVER GO OUT WITH A PRECONCEIVED IDEA. I LET THE STREET SPEAK TO ME.» BILL CUNNINGHAM photos. Je suis plus touché par les approches poétiques que par celle des photojournalistes – mais j’ai un immense respect pour leur métier. La photographie peut être un mélange de tout cela. SM : Quel est ton processus d’editing ? FS : Il faut évacuer le moment de la prise de vues. Il est important d’oublier ce qu’on a ressenti pendant la photo, que tu aies croisé quelqu’un d’agréable ou que tu viennes de te disputer avec ta femme… Tu vas regarder la photo avec tout ce qui est autour et tu manqueras d’impartialité. En laissant passer du temps, tu verras juste si la photo te convient, si elle a un intérêt photographique. Si la jolie fille t’a souri quand tu l’as prise en photo, que ça t’a fait plaisir, mais que la photo est nulle… il faut oublier tout le contexte. Même sur Instagram, je ne fais rien dans l’immédiat. Je me dis : « Tiens, elle est bien cette photo d’il y a six mois. » SM : Il y a donc un décalage entre la prise de vues et l’editing… Combien de temps laisses-tu passer ? Plusieurs semaines, plusieurs mois ? FS : Le minimum syndical est d’un mois minimum. Deux mois, six mois. Je suis parfois revenu sur des photos d’il y a deux ans. SM : À propos d’Instagram, quel est le rôle des réseaux sociaux dans le contexte de la street photography ? Est-ce que le baromètre des « likes » est une bonne chose, ou dilue-t-il la vision d’un photographe sur son œuvre ? FS : J’aime bien le rapport direct avec les gens ; ils réagissent juste sur ta photo. C’est égocentrique et ça rassure. On peut être surpris quand une photo cartonne ou marche moins que les autres : on essaie de comprendre pourquoi. Ça t’oblige à réfléchir à ton image. Les « likes » sont très simples et ludiques ; ils n’ont rien d’une critique. Je trouve intéressant de voir comment ça bouge, ça te fait réfléchir tout le temps. Je n’ai pas encore assez de recul. Quand j’étais en Jamaïque, je me sentais ailleurs. Entre les couleurs et le soleil, je pensais que mes photos seraient beaucoup mieux reçues. Certaines images inattendues gagnent de la force, comme celles que j’ai prises d’une vielle dame chez mon caviste. J’ai été invité par Instagram à couvrir le backstage de S tella McCartney et c’est parti dans tous les sens. Tout prend d’autres proportions quand il y a la marque et Instagram derrière. SM : Quels sont tes prochains projets ? FS : Je travaille sur un livre sur Las Vegas. Il ne s’agit pas d’un regard documentaire sur un endroit. J’utilise les codes du journalisme, mais ça reste une fiction. Pour moi, cette série ne montre pas un vrai pays ni une vraie ville. Deux auteurs vont écrire une fiction pour accompagner mes photos : j’ai beaucoup travaillé sur l’editing des images qui seront (ou ne seront pas) dans le livre. C’est un roman, une fiction, un cinéma. J’aime beaucoup Jim Jarmusch, l’une de mes bases de départ… Je fantasme ce travail de cette manière-là. J’ai le désir de raconter une histoire en photographie, mais mon idée consiste à brouiller les pistes. Ça n’a absolument rien avoir les personnes que j’ai réellement photographiées. À chacun de s’approprier cet objet. SM : Comment as-tu choisi les auteurs ? FS : J’avais besoin de gens qui aillent dans la même direction que moi, c’est-à-dire pas trop dans la réalité. J’ai choisi Marie NDiaye et Jean-Yves Cendrey, deux pour le prix d’un ! Ils se complètent : elle est dans le fantastique, les personnages se transforment, c’est très étrange et lynchien ; lui, son écriture peut être agressive et dure. Je caricature. C’est une écriture à quatre mains à laquelle s’ajoute mon œil. Ça va relier le travail. On verra ce que ça donnera.

FRÉDÉRIC STUCIN BY SARAH MOROZ Even when wearing dark sunglasses, Frédéric Stucin constantly observes and scans faces. During our interview on the terrace of a café in Paris, he managed to spot on the other side of the street, a face he would have liked to photograph: an out-dated man with long grey hair. People he notices don’t need to have a story to tell, they are like film props for our stories. The photograph does not reveal anything about the subject, according to Stucin, but allows for the viewer to imagine what he wants. A banal character can be transformed into anyone: it becomes a dysmorphic mutation for us to day-dream. Originally from Nice, Stucin studied at the Arts Décoratifs in Strasbourg (Alsace region) and graduated from the École Supérieure Louis-Lumière in Paris. In 2002, he began a regular

collaboration with the French daily Libération. Subsequently his photographs were published in several French media such as Le Monde, Les Inrocks, Madame Figaro. In parallel to his portraits and editorial assignments, he works on a personal project of a series of street photography shot in a selection of large cities. Entitled Les Passants (“The passers-by”), this body of work incorporates his urban trips around the world. In particular on an area in Las Vegas, and on how the spectacle of this city is eclipsed by the gestures and expressions of its passers-by. Street photography is the main theme of his career, completed by his endless curiosity of scanning the faces that surround him. Sarah Moroz: For your series Les Passants (“The Passers-by”) you shot in Slovenia, Hong-Kong, Paris, Mexico, Las Vegas… Do you look at people in a different way when you are not in Paris, where the cultural codes are not the same? Frédéric Stucin: Whatever country I am in – an Arabic country, The United States, Russia… – I always work in the same way. But when I feel that it becomes a bit tensed, that people are unwilling to participate – and you can’t hide away because you are different from them – then I try to become more discreet.

SM: For you, what would be the ideal context for street photography? FS: What’s most important is walking. It’s as simple as that and I don’t know any other way. Observing, focusing on the people you pass on your way. You have to be touched by them, it’s just like a casting. Some photographers prefer to wait, patiently, but I can’t, so I am always walking. SM: You don’t hesitate to get very close to the people you photograph, to enter their personal space. Why such a brash way of approaching people? FS: Say I find a subject that interests me, and she is beautiful but looks down – meaning I won’t catch her eyes and it would not be an interesting picture – I will then stop her or run towards her. With this approach I get people with surprised looks or sometimes people shouting at me, or even protecting their face… but still it creates a picture. I take one or two, then I stop and leave. No words are exchanged. I only look at the photograph later – I work as if I was shooting on film. I take pictures fast to move on to the next one.

SM: And you forget about it. FS: In fact all you think about are the pictures you haven’t taken! There was this person I was going to photograph, he pointed his finger – like a gun – towards me, I smiled and missed the photo. I still think about it now. Otherwise I forget the images I shot until the moment I do the editing. SM: To what extent can you foresee people’s reaction? FS: If I see someone far away, and if there is a crowd, then I will accelerate in order to get their photo. Or I slow down when necessary. I just adapt. SM: Don’t you see any relationship between being a photographer and having a sociological or anthropological role? Are you only concerned by the aesthetic, the surface, this approach of yours? FS: Yes, I disapprove of these words. I don’t know anything about my subjects, what they do or who they are. I am not interested. I don’t see myself as a documentary photographer. I am not here to tell true stories of true people. Maybe in fifty years time my photographs will have more than just an aesthetic interest, they might be considered as a testimony on “how people lived in 2016”. But that’s not my goal. For me a good photograph doesn’t tell the subject’s life: it is the viewer that brings his or her own imagination onto the image. Of course when I work on an assignment it’s a different matter.

The photographers I like are people who don’t do things just one way. Take Bruce Gilden: his shootings are out of this world. He takes risks for his photos, more than any photojournalist – and I have great respect for their work, but I am far more touched by a poetic approach. Photography can mix up all of this.

SM: How do you edit? FS: You have to put aside the moment of the actual shooting. It’s very important to forget all that you felt when you released the shutter – maybe you met someone nice or you had an argument with your girlfriend… It would influence how you look at the image and you wouldn’t be impartial. If you give it some time, you will simply see if the photograph is good, if it has some photographic interest. If the pretty girl gave you a smile when you were photographing and the result was rubbish… You must forget about the background. Even on Instagram I never post immediately. I tend to go, “Ha, this picture I shot six months ago is nice”.

SM: So there is a delay between the moment of taking the photograph and the editing… How long to you leave in between? A few weeks? Months? FS: A strict minimum of one month. Two, six months… At times I have waited two years to return to an image. SM: Since we are talking of Instagram, what role do social media play in street photography? Does the number of “likes” have an importance? Or does it shrink the artist’s vision in comparison to his actual creation? FS: I like a direct contact with people: when they react to your post. It’s egocentric and only reassures you. It’s very surprising when it’s a hit, and when it doesn’t work, then you try to understand why. It forces you to think about your image. The “likes” are very simple and playful – they are not a critic. I find it interesting to see how it’s constantly evolving; it makes you think all the time. I don’t have enough hindsight yet. I was in Jamaica, with the color, the sun, it was somewhere else and I really thought the pictures would get more acknowledgment. Some unexpected images will take the lead, like the photo I took of the old lady at my local wine-seller. I was invited by Instagram to shoot the backstage of Stella McCartney: it went crazy and took massive proportions. That’s what happens when you have the brand and Instagram behind you.

SM: What are you next projects? FS: I am working on a book on Las Vegas. It is not a documentary view on the place, it uses some journalistic codes, but it’s a fiction. To me this series is not about a real country or a real city. Two authors will write a fiction to go with the images. I did a massive editing of images that will (and won’t) be in the book. It’s a novel, a fiction, a film. I love Jim Jarmusch, he’s one of my starting points. I fantasize on this work. I have a strong desire to tell a story with photographs, but the idea is to cover the tracks. It has nothing to do with the people I actually photographed. Everyone will be able to take ownership of the object. SM: How did you choose the authors? FS: I needed someone who would go along the same lines as I would, someone who isn’t too much in the real. I chose Marie NDiaye and Jean-Yves Cendrey. Two for the price of one! They complete each other. She is into the weird, her characters transform, it’s very odd, very Lynchian. Him, his writing can be very harsh and aggressive. I am exaggerating. It’s a narrative with two voices, and my eye will be the link. We’ll see what comes out. FREDERIC STUCIN PORTRAIT : MAITRISER L’INSTANT 6 DAYS WORKSHOP - ATELIER DE 6 JOURS // 8 - 13 AUGUST RENCONTRES-ARLES.COM

SM: Which photographers have contributed to your aesthetic? FS: I like Garry Winogrand, Lee Friedlander, Harry Callahan. SM: Why these photographers? How have they influenced your aesthetic?? FS: In France we have a “Cartier-Bresson culture” of a morethan-perfect photograph. On the contrary Winogrand frames regardless, he takes images out of focus and towards the end of his life he wouldn’t even process his films. His attitude was, “I can shoot now and see the result later”. It’s really interesting. It’s a change with all the strictness. The classical photographers are daunting with their standards! Winogrand was more relaxed, easy going. Photography is also something simple and pleasant. Winogrand took photos to try it out. And this opens a greater scope. He made me curious.

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SOUS LA LUMIÈRE, L’IMAGE « SYSTEMATICALLY OPEN? » NOUVELLES FORMES DE PRODUCTION DE L’IMAGE

THE IMAGE UNDER THE LIGHT SYSTEMATICALLY OPEN? NEW FORMS FOR CONTEMPORARY IMAGE PRODUCTION

PAR LÉA CHAUVEL- LÉVY

TEXT BY LÉA CHAUVEL-LÉVY

Temps fort des Rencontres de la Photographie, l’exposition inaugurale de La Mécanique Générale intitulée Systematically open? invite quatre artistes – Walead Beshty, Elad Lassry, Zanele Muholi et Collier Schorr – à concevoir une exposition. Chacune de ces quatre expositions est guidée et inspirée par la mise en scène architecturale de Philippe Rahm, toute en variations de lumière qui sculptent et cisellent l’espace.

A highlight of the Rencontres de la Photographie, the inaugural show of the recently refurbished La Mécanique Générale entitled Systematically open? invites four artists - Walead Beshty, Elad Lassry, Zanele Muholi and Collier Schorr – to produce an exhibition piece. Each project is guided and inspired by Philippe Rahm’s design of an architectural production, where changing lights sculpt and carve the space.

Les nouvelles formes s’inspirent toujours des plus anciennes. La nouveauté ne s’exprime pas ex nihilo et puise toujours ses racines dans le passé. Dans le projet Systematically open? orchestré par la Fondation LUMA (comprendre l’aréopage constitué de Maja Hoffmann, Tom Eccles, Liam Gillick, Hans-Ulrich Obrist, Philippe Parreno et Beatrix Ruf), ces dynamiques temporelles se croisent de façon savante et fertile. En effet, comment montrer et exposer l’image et sa production de manière inédite ? Réponse : en s’inspirant de différentes expositions qui ont fait date et marqué l’histoire. Brillante idée. Au rang desquelles trois prestigieux événements. Le premier remonte à la fin des années 1920. El Lissitzky, architecte, photographe et designer rattaché au suprématisme de Malevitch (à partir de 1915), présente ses installations photographiques d’une façon radicalement nouvelle et immersive. L’héritage de l’école constructiviste le mène à écrire à propos de sa salle au sein de l’exposition internationale d’art de Dresde en 1926 : « À chaque mouvement du spectateur dans l’espace, l’effet des murs se transforme. De la marche humaine naît ainsi une dynamique optique. Ce jeu rend le regardeur actif. » La mise en espace des photographies au sein des expositions s’attache de plus en plus à la mise en lumière des idées plutôt que des produits. La deuxième influence revendiquée par Systematically open? est une autre exposition au moins aussi essentielle : Parallel of Life and Art, organisée par cinq membres de l’Independent Group le 11 septembre 1953 à Londres dans un petit local de Dover Street. 122 photographies en noir et blanc avaient défilé sur les murs, mais aussi, chose inédite, sur les plafonds. La mise en espace des images était là aussi immersive et poussait les regardeurs à se pencher, et pourquoi pas à se tordre le cou. Enfin, la dernière source de réflexion et d’inspiration est provoquée par l’exposition mythique The Family of Man. Faut-il encore la présenter ? Pour le MoMA, Edward Steichen avait rassemblé 500 photographies de 300 photographes venus de 70 pays, présentées pour la première fois en 1955 comme un véritable manifeste pour la paix à travers le prisme de la photographie humaniste d’après-guerre que pratiquaient, entre autres, Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Dorothea Lange, Robert Doisneau, August Sander, Ansel Adams. L’exposition a tellement plu et voyagé dans le monde entier qu’elle fait aujourd’hui partie de la Mémoire du Monde de l’UNESCO et s’est installée de manière pérenne au château de Clervaux. Pourquoi a-t-elle marqué durablement les esprits ? Sans doute parce que son commissariat était signé par un artiste, Steichen, qui s’engageait avec sincérité dans un projet où l’exposition était sous-tendue par un fond politique dense, et lançait, par le vecteur de l’art, un message humaniste au monde entier. Chacun à leur façon, ces trois modèles de mise en espace de l’image photographique ont irrigué les quatre volets de l’exposition Systematically open? À la façon de Steichen ou d’El Lissitzky, les quatre artistes – Walead Beshty, Elad Lassry, Zanele Muholi et Collier Schorr – ont conçu leurs expositions en replaçant la question du « voir en marchant », activée par Lissitzky dès les années 20, au centre de leur projet curatorial et artistique. « Voir » et être vu. En l’occurrence nue. En montrant des portraits mais aussi des nus, dans un dialogue entre ses photographies et celles d’Anne Collier, Collier Schorr instaure un troisième genre : le corps photographique. À propos de son exposition Shutters, Frames, Collections, Repetition dont il assure le commissariat, l’artiste dira : « On pourrait dire qu’il existe plus de deux sexes : le masculin, le féminin et celui du corps photographique. Ce corps-là est regardé et regardant, il aime occuper la scène. » Les images ici présentées ont ceci d’original qu’elles présentent toutes des corps qui nous regardent autant qu’on pose notre regard sur eux – un principe curatorial posé pendant l’avant-garde et développé ici avec brio. Visionnaire, Systematically open? n’hésite en effet pas à replonger dans les apports de l’historiographie des expositions photographiques pour mieux réinventer l’espace où « voir » sans s’aveugler.

New forms are always guided by ancient ones. Novelty does not come out of nowhere and is always rooted in the past. For the Systematically open? project, presented by the LUMA Foundation (to be understood as the conclave constituted of Maja Hoffmann, Tom Eccles, Liam Gillick, Hans Ulrich Obrist, Philippe Parreno and Beatrix Ruf), these four temporary dynamics intertwine in a scholarly and rich manner. How can one show and exhibit the image and its production in an original way? The answer : by drawing on different exhibitions that are considered as landmarks and have marked history. A brilliant idea. Three prestigious events have been chosen. The first one dates back to 1920. The architect, designer and photographer El Lissitzky - linked to the Suprematism of Malevitch (as of 1915) - presented his photographic installation in a completely new, radical, and immersive way. The legacy of the Constructivist School led him to write – about his installation that was part of the 1926 Dresden International Exhibition - “For every slight movement of the spectator, the effect of the walls changes. The human walk creates a visual dynamic. Through this game the spectator becomes involved”. Within exhibitions, the staging of the photographs gives an increasing priority to the highlighting of ideas rather than to the products. The second influence claimed by Systematically open? is another exhibit, at least as crucial: Parallel of Life and Art which was organized by five members of the Independent Group and held on the 11th of September 1953, in London, in a small premises in Dover Street. There 122 black and white photographs were projected on the walls and – something rather new for the time – on the ceiling. The spatial installation of the images was there too immersive and would encourage the spectators to lean back, and even twist their neck. Finally, the last source of inspiration was the mythical exhibition The Family of Man. Do we even need to introduce it ? 500 photographs by 300 photographers from 70 countries; all gathered together by Edward Steichen for the MoMA, and showed for the first time in 1955. It was a manifesto for peace seen in the light of post-war humanistic photography including works by Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Dorothea Lange, Robert Doisneau, August Sander and Ansel Adams. The show was such a success and travelled so much that it has become part of the UNESCO World Heritage, and is today a permanent show in the Château de Clervaux. Why did it attract so much attention ? Probably because the curator was an artist, Steichen, who engaged with intense sincerity in a project with a heavy political background, which – through the medium of art – was a humanist message to the world. These three examples of spatial installation of the photographic object have fed the minds – each in its own way – behind the exhibition Systematically open?. The four invited artists: Walead Beshty, Elad Lassry, Zanele Muholi and Collier Schorr, in the manner of Steichen or El Lissitzky, have produced their exhibitions by placing at the core of their curatorial and artistic projects, the question of “looking while walking” launched by Lissitzky during the 20’s. A visionary project, “Systematically open? does not hesitate to revisit the curatorial principles of the avant-garde in order to re-invent the space. The visitor can see, but is not dazzled.

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SYSTEMATICALLY OPEN ? NEW FORMS FOR CONTEMPORARY IMAGE PRODUCTION COLLIER SCHORR ZANELE MUHOLI WALEAD BESHTY ELAD LASSRY ATELIER DE LA MÉCANIQUE // 4 JULY - 25 SEPTEMBRE RENCONTRES-ARLES.COM

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ÉDITION 47 / EAMONN DOYLE MICHAEL HOPPEN GALLERY, LONDRES


RÉALITÉ VIRTUELLE PAR PAULINE NOGUÈS QU’EST-CE ? Une plongée dans l’image. La réalité virtuelle a autant de définitions que de champs d’application. De manière générale, cette technologie informatique permet une immersion cognitive et sensori-motrice dans un environnement créé numériquement, qu’il soit réel ou imaginaire. L’utilisateur se retrouve plongé dans un environnement immersif grâce à un casque de visionnage fermé qui peut être composé de vidéos ou bien d’images de synthèse en 3D ou 2D, et donc coupé de la réalité extérieure. Ces casques immersifs nous ouvrent les portes d’un tout nouveau monde dont les expériences innovantes s’appliquent à de multiples domaines. Cinéma, jeu vidéo, tourisme, culture, journalisme, armée… la réalité virtuelle est l’expérience digitale à la mode. C’est aussi l’occasion pour les créatifs de concevoir des expériences toujours plus novatrices en quête d’exaltation des sens.

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CHRONIQUE D’UN BUZZ ANNONCÉ La réalité virtuelle (ou VR pour « Virtual Reality ») existe déjà depuis plusieurs années, mais il a fallu attendre 2012 et le lancement du casque Oculus Rift pour qu’elle suscite réellement l’engouement du public. Tous les paramètres favorables se sont progressivement mis en place. Bien plus rudimentaires, les casques de VR des années 90 offraient des performances limitées ; les avancées techniques ont permis de perfectionner ce système et de le faire revenir sur le marché. Ajoutez à cela l’arrivée à maturité du marché des smartphones et des tablettes, et les géants de l’électronique grand public se devaient de trouver un nouveau relais de croissance. Qui plus est, la chute des prix des composants nécessaires à la création des casques de réalité virtuelle a rendu leur coût plus abordable pour le grand public. Facebook rachète Oculus en 2014 et lance le coup d’envoi d’une nouvelle ère pour la VR en tant que révolution technologique annoncée comme majeure. Si cette révolution se passe comme prévu, la VR finira par transformer de nombreuses industries et atteindra le grand public. Pour le premier réseau social, la VR est un moyen de cibler ses publicités de manière bien plus efficace parce qu’elles seraient, grâce à la VR, intégrées dans un monde beaucoup plus immersif et intime. Facebook n’est pas le seul géant à miser sur la réalité virtuelle. Google et bien d’autres entreprises ont aussi investi dans la VR, dont de grands acteurs de la téléphonie comme HTC et Samsung qui se sont déjà positionnés. La nouveauté réside aussi dans la multiplicité des supports qui ont permis de populariser la VR. Depuis les débuts d’Oculus Rift, les casques de réalité virtuelle ont fait beaucoup de progrès techniquement et l’éclosion de nouveaux modèles à tous les niveaux de prix permet au plus grand nombre de vivre une expérience de réalité virtuelle à moindre coût grâce aux périphériques qui supportent l’utilisation d’un smartphone comme d’écran. Il existe même des applications de réalité virtuelle gratuites disponibles pour iPhone et Android, à la portée de tous. Maintenant que les lecteurs de réalité virtuelle apparaissent sur le marché, le nouveau défi consiste à leur donner du contenu, des choses à lire, car les casques de VR ne seraient rien sans cela.

ANDRES SERRANO

Stasi Prison, East Berlin (Interrogation Room III). Avec l’aimable autorisation de l’artiste. / Stasi Prison, East Berlin (Interrogation Room III). Courtesy of the artist.

LE GRAND ARLES EXPRESS

Cette année le festival des Rencontres d’Arles s’ouvre à la région à travers un programme satellite, et c’est une grande première. Ce projet baptisé « Le Grand Arles Express » effectuera pour son baptême trois haltes dans la région, dans le but de répondre à l’intérêt croissant que porte le grand Sud à la photographie. C’est donc en parallèle des nombreuses expositions à Arles qu’aura lieu une exposition de Stéphanie Solinas au Carré d’Art de Nîmes, d’Andres Serrano à la Fondation Lambert d’Avignon ainsi que d’Alfred Seiland à la Villa Méditerranée à Marseille.

QUELS SONT SES DOMAINES D’APPLICATION ? L’éducation, l’armée… le porno. La réalité virtuelle reste encore peu connue et a longtemps été uniquement assimilée au domaine du divertissement et du jeu vidéo, mais elle s’exploite déjà dans beaucoup plus de secteurs. Son application est multiple et touche des domaines aussi variés que le divertissement, l’éducation, la télérobotique, l’armée, l’architecture et même la chirurgie... L’armée s’en sert notamment pour entraîner ses régiments à l’aide de simulateurs virtuels, tandis que le secteur de l’architecture va l’utiliser pour faire visiter les maisons avant même qu’elles ne soient construites, et ce notamment pour les personnes en situation de handicap moteur qui pourront vérifier au préalable, par simulation, s’ils peuvent se déplacer aisément à l’intérieur du bâtiment. L’industrie pornographique – souvent précurseur en matière d’usage des nouvelles technologies – suit le pas de cet engouement en créant du contenu spécialement pensé pour la réalité virtuelle. L’un des sites pornographiques les plus fréquentés propose désormais de nombreuses vidéos immersives qui nécessitent l’utilisation d’un casque de VR. Comme pour tout film pornographique, les vidéos sont préenregistrées, mais cette fois-ci, elles sont tournées avec des caméras à 180° ou 360° : l’utilisateur se retrouve ainsi plongé dans la scène et se transforme en l’un de ses acteurs (!). On comprend que la VR est en passe de devenir une composante clé de l’avenir. Bien que la technologie soit toujours un peu fragile et pas encore exploitée à son maximum, elle avance progressivement.

vir tual real ity PHOTOGRAPHIE & RÉALITÉ VIRTUELLE Si le monde de la photographie s’est vu bouleversé dans les années 2000 par l’arrivée du numérique, il se pourrait bien que la réalité virtuelle marque un vrai tournant. La photographie de réalité virtuelle apporte une toute nouvelle dimension à la photographie. Elle permet de visionner une scène dans sa totalité sur un champ horizontal et vertical plein, chose complètement impossible avec une image fixe. ARLES ET LE PREMIER FESTIVAL ARTISTIQUE DE RÉALITÉ VIRTUELLE À l’occasion de la semaine d’ouverture des Rencontres de la photographie, le couvent Saint-Césaire accueillera le tout premier festival artistique dédié à la réalité virtuelle du 4 au 9 juillet. Une belle opportunité pour les spectateurs de plonger au cœur de notre monde à 360˚ à travers quinze films en VR. À l’issue de ces projections, le jury se réunira pour décerner un prix au meilleur film de la sélection. Le festival offrira aussi l’occasion de créer un échange entre le public et les réalisateurs sur les questions autour de la réalité virtuelle. Les films seront en accès libre au public.

Pauline Noguès, membre d’un projet culturel porté sur la revalorisation du patrimoine à travers les outils numériques.

VIRTUAL REALITY

TEXT BY PAULINE NOGUÈS

WHAT IS IT? A dive in the image. Virtual reality has as many definitions as it has fields of application. Generally, virtual reality is this IT technology that allows us a total cognitive, sensitive and motor immersion, into en environment digitally created, real or imaginary. The user, by using a headset showing either 3D or 2D animated images, is sucked into an immersive environment and detached from the outer reality. These immersive headsets open doors to a new world of innovating experiences and can be used in many fields. Cinema, video games, tourism, culture, journalism, army... Virtual reality is today’s new trend. It is also an opportunity for creative people, in their quest for sensual exaltation - to design the most innovative experiences.

CHRONICLE OF A BUZZ FORETOLD Virtual reality (or VR) has been in existence for several years, yet one had to wait 2012 and the launching of the Oculus Rift headset, to generate a public craze. Progressively, all favorable parameters came into place. VR headsets from the 90’s were more basic with very limited performances. Technological advances have made it possible to improve this system and to bring it back onto the market. Add to this, the maturation of the smartphones and tablets which meant the leaders of consumer electronic devices had to come up with something new. Also, the fall of the price of the components necessary to the production made these headsets more accessible to the general public. In 2014 Facebook bought Oculus and introduced a new era for VR, a technological revolution presented as a key revolution. If all goes as planed, VR will ultimately transform many industries and reach the general public. For the world’s first social network, VR is a means to target its advertising in a far more efficient manner, since all add will be – thanks to VR – integrated into an immersive and more intimate world. Facebook is not the only giant to believe in virtual reality, Google and many others – amongst which the mobile phone giants HTC and Samsung - have invested in the market. What is new, is also the increase in the number of media, hence allowing the popularization of VR. Since the beginning of the Oculus Rift headset, virtual reality headsets have made considerable technical strides and the appearance of new cheaper models, have made it accessible to the larger public to experience virtual reality via their smartphone or a screen. One can even find free virtual reality apps for iPhone or Android. Now that virtual reality sets are available on the market, the new challenge is to elaborate new content, things to read, as without this the headset could not exist.

Some free VR app : Dino Town, VR WORLD , Random42 VR (voyage dans le corps humain / inside the human body) Within – VR (musique, reportages, spectacles en 3D/ Music, 3D show) Cedar Point VR : (simulateur du grand-huit/roller coaster simulator ) 17

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WHAT FOR? Education, the army, … porn industry. Virtual reality is still not very well-know and was for a long time largely assimilated to entertainment and video games. Yet today it is already being used in various fields. It can be used in a wide range of industries such as entertainment, education, remote robotics, military, architecture and even surgery... The army uses it in particular to train its troops with virtual simulators, while in architecture it is being used as a way to visit houses before they are built, a very useful tool for people with motor disabilities who will be able to check beforehand if they can move easily through a building. The porn industry – often pioneer in the field of new technology – is keeping pace with the VR trend by creating content. One of the most visited pornographic sites now offers a large selection of immersive videos that require the use of a VR headset. As with any other pornographic film, the videos have been pre-recorded, but in this case with 180° or 360° camera device. Which allows the user to be immersed into the scene and even become one of its actor. Virtual Reality is about to become one of the key components of the future. Although it is still a fragile and not yet fully exploited technology, it gradually progresses. PHOTOGRAPHY & VIRTUAL REALITY If the world of photography was affected at the turn of the millennium by the apparition of digital, virtual reality could well be a major breakthrough. Virtual reality photography adds a new dimension to photography. It allows us to preview a scene as a whole, both in its horizontal and vertical field, something impossible with a still image.

ARLES AND THE FIRST ART FESTIVAL ON VIRTUAL REALITY On the occasion of the opening week of the Rencontres de la Photographie, the Saint-Césaire convent will host from July 4th to July 9th, the very first art festival dedicated to virtual reality. A great opportunity for the spectators to immerse themselves, in a 360° vision, into the heart of our world through fifteen films in VR. Further to these projections, a jury will meet in order to award a prize to the best film of the selection. This festival will also be the occasion to facilitate a discussion on the questions of virtual reality between the public and the directors. All films will be available for free to the public. Pauline Noguès is a part of a cultural project on the revaluation of assets through digital tools.

VR ARLES FESTIVAL COUVENT SAINT CESAIRE // 4- 10 JUILLET

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RENCONTRES-ARLES.COM


DESIRED BOOKS AND BOOKS OF DESIRES BY MARIE MEDEVIELLE Do we still need books? That’s the question the Internet keeps raising. Imposing and confronting, the digital revolution challenges the role of books every day by offering always more information and content online. Since the very early years, books have been a vital tool to save writings, stories, cultural heritage and knowledge, therefore a physical mean of conserving abstract material. Humanity put thoughts down on paper, wood, stones, to counteract the fluid and immaterial nature of ideas and stories, written and drawn, hereby engraving them in time and surviving the perishable condition of the human body and brain. From the Lascaux Caves to the Middle-Age manuscripts, to Gutenberg’s discoveries and up until now, books have been objects of high intellectual stakes, and when not misused and manipulated it’s been a weapon of mass education and the spearhead of critical thinking and individual accomplishments. Knowledge available online has however called into question the very noble role of books. It is a matter of clicking, up and downloading, streaming and page refreshing. Even love, we can find online. As easy as pie. Actions there are quicker; the choice is broader, the ways more efficient, scrawling down the catalogue of faces until finding the ultimate match. But is it where we stop? When the time comes, we call for the encounter, we need to see and touch, and the smell, the voice, the skin’s grain all embody this visage we once perceived behind pixels only. Do we satisfy our basic desires with virtual pleasures? No. At least not yet. Humans are wrought with flesh and blood. And books? They are wrought with fibers and ink. It is content, but it is an object. It is surely is an intellectual journey, but it is also and as importantly, a sensorial and sensual experience. Art books, maybe more than any other books, are assuredly described by their prose and images, but they are just as equally defined by their shapes and their curves, the roughness or smoothness of their skin, the fierceness of their smell, the melody of their flipping pages, the elegance or rawness of their lines and the taste of the story they unfold in front of us. They give texture to our thoughts and dreamt visions. We can unmistakably dematerialize and digitalize ideas. But senses are in this way, a bit of an issue. How lucky is that. In fact that is precisely why we can’t do without books. They are still highly desirable and desired objects of pleasure. When we look at the object they form, it all comes down to the most human part in us: feelings and emotions. We contemplate books. We sleep with books. We touch books, with or without dare, thumb and forefinger scrubbing the corner absently until hearing what for sound that paper makes. Books get possessed, they satiate our need to feel and dream. We savor their words and pictures then forget them when we’ve had enough of them. We fall in love and try hard to understand them, or get fed up and let go, let them be torn or thrown away, choking in a cardboard box. Some day their classy dust and warm faded color will bring them back to life, for the new lover who’ll see the beauty in their aged pages. We want them, for the story they tell us but more peculiarly because of the way they tell it to us, because behind every page hide so many choices, so much craftsmanship and art, not only in a book but around a book. Behind these pages hide all the working hands and loving hands, from the factory to the bookstore and the bookshelf, in every paper grain, every fold, every texture or every foil. Because our first contact with a book is physical. Deeply physical.

LI VRE BOS

If digital publishing has freed printed books from their rational role as knowledge carriers, that’s very well after all. We’re now free not to need them, but just to desire them, justifying hereby tremendous amount of time or money spent to find them, a highly pleasurable game of hide and seek out of pure passion, fascination, obsession and unreason.

FR 50€ with English text

Marie Medevielle is in charge of the publishing department at KesselsKramer, The Netherlands.

THE AU REVOIR ISSUE

CULTURES PHOTO 10

COSMOS ARLES BOOK MISTRAL // 4 JULY -9 JULY 12PM-8PM

Cover YUSUF SEVINCLI

RENCONTRES-ARLES.COM

ISSUE 10 & LAST : ARLES 2016 / FIND THE COMPLETE COLLECTION ON OFFTHEWALLPHOTOBOOK.COM ARLES

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PAR LA PHOTOGRAPHE CLARA CHICHIN

OTW : Y a-t-il la volonté pédagogique d’apprendre à regarder ? BP : Oui, il y a toujours chez moi cette dimension-là. J’aimerais d’ailleurs faire un jour une émission sur La Fabrique du Regard du BAL, sur tous ces gens qui apprennent à « regarder » dans le cadre d’ateliers, de workshops ; je ne sais pas s’il existe une façon de regarder, mais dans l’émission, il y a quelque chose de cet ordre. Et j’apprends moi-même ! Parfois, je regarde une image avec un photographe, il me parle d’un détail que je n’avais même pas vu et toute ma façon d’envisager l’image change.

OTW : Pouvez-vous nous présenter en quelques mots l’émission Regardez voir ! ? Brigitte Patient : Regardez voir ! est un magazine hebdomadaire de 45 minutes sur la photographie diffusé chaque dimanche soir de 23h15 à minuit sur France Inter. Il s’agit de rencontres avec des photographes ou des acteurs du monde de la photographie destinées à éveiller la curiosité de l’auditeur, à l’inciter à aller voir une exposition, consulter un site, découvrir l’invité. Ma priorité est d’offrir aux auditeurs cette possibilité de rencontre avec ceux qui fabriquent la photographie, comme une « passeuse » d’images.

OTW : Regarder des photos à la radio. Est-ce difficile de parler de photographie à la radio ? Y a-t-il une intention de faire voir au travers de ce média qu’est la radio ? De faire image ? De faire apparaître des images dans l’imaginaire des auditeurs ? BP : C’est le principe même de la radio que de créer des images mentales avec du son, des mots, des respirations, des silences. Quand j’étais petite et que j’écoutais des émissions, des fictions radiophoniques, que je me gavais d’interviews avec des voix de France Inter, de France Culture, mon esprit n’arrêtait pas de fabriquer des images.

OTW : Comment êtes-vous arrivée à la radio ? Avez-vous toujours parlé de photographie à la radio ? BP : Ce travail est dû au hasard. Un jour, on m’a demandé de prêter ma voix pour une petite radio locale. Derrière le micro, j’ai découvert ce qu’était la voix, le son de ma propre voix diffusé par une radio. Quand j’étais jeune, je n’avais pas la télévision et j’étais bercée par le son de la radio, ma seule source médiatique. Passer de l’autre côté m’a fortement impressionnée. J’ai fait de la radio militante pendant quelques années tout en étant par ailleurs professeur des écoles jusqu’à ce que je démissionne de l’Éducation Nationale parce qu’il fallait absolument que cela devienne mon métier. J’ai d’abord travaillé à Couleur 3, la radio suisse romande née de l’explosion des radios libres en 1982. Une radio absolument formidable où toutes les recherches sonores étaient possibles, avec des moyens assez extraordinaires pour l’époque. Je n’y suis restée que quelques années parce que ma vie était à Paris. J’ai été engagée à France Inter en 1990. Inconsciemment ou non, à partir de cette date, l’image et la photographie se sont installées dans la majorité de mes émissions. Le projet de l’émission Regardez voir ! a été créé en 1999. C’est seulement en 2012 qu’il a pu être mis à l’antenne alors que je le proposais chaque année à la direction de France Inter.

OTW : Revenons sur ce moment de l’émission où vous demandez au photographe de décrire une de ses images… BP : Ce moment où le photographe parle de son travail, c’est presque la recréation d’une autre image, comme ça, en subliminal. C’est-à-dire qu’il y a l’image que je demande au photographe de choisir, qu’il va décrire en essayant de mettre des mots sur le cadre, les ombres, les perspectives, puis le temps où lui-même va parler autour de cette photo : c’est alors une autre image, une image mentale qui ne se fabrique que dans la tête des auditeurs. Ce petit endroit-là m’enthousiasme. Si un auditeur me dit un jour : « J’ai reconnu la photographie telle qu’elle est sur le site » (l’auditeur peut aller voir la photographie sur le site de l’émission), ce sera un grand jour parce que ça ne se passe jamais comme ça. Évidemment, il y a toujours un décalage entre ce que l’auditeur imagine et la photographie telle qu’elle est. J’accepte avec grand plaisir ces décalages. Cela signifie que le photographe et moi avons réussi à emmener l’auditeur dans un univers. Il n’y a pas de barrière à la fabrication d’images à la radio. La particularité de mon émission, c’est que je parle de photographies, donc d’objets avec une matérialité existante, de photographies dans une exposition, dans un livre, imprimées sur un papier, avec du grain, un tirage particulier.

OTW : Qu’est-ce qui vous a menée à cette émission ? Quelle place la photographie tient-elle dans votre vie ? D’où vient cet intérêt ? BP : Dans ma vie personnelle, la photo a toujours été là, peutêtre au début par défaut. J’évoluais dans un milieu culturel plein de qualités, mais assez peu tourné vers l’extérieur. L’image, les images dans les magazines et la presse écrite présentaient un accès à la culture. J’étais happée par toutes ces représentations qui m’apprenaient des choses du monde et des autres. Par ailleurs, dès que j’en avais la possibilité, j’allais à Paris, au cinéma, aux concerts, j’entrais dans toutes les galeries qui existaient à l’époque, et je m’abreuvais d’images, de photographies que je pensais être importantes puisqu’elles étaient choisies pour être exposées. Je ne suis pas du tout photographe et n’ai jamais tenté de le devenir, mais ma formation d’institutrice à l’École Normale m’a offert un cours d’audiovisuel. Mon premier travail sonore et en images, je l’ai réalisé à cette époque sur des femmes qui arrivaient de divers pays étrangers, se retrouvaient dans les quartiers nord de Bourges et prenaient des cours d’alphabétisation. Entre ce temps de l’enfance et l’année où j’ai proposé le projet de l’émission à France Inter, la photographie était devenue omniprésente et je trouvais inconcevable qu’on ne puisse pas en parler sur France Inter. Fascinée, je me demandais : « Qui sont ces gens ? Qui sont ces artistes qui peuvent nous faire rêver, nous émouvoir, nous informer, nous questionner ? Qui sont ces personnes qui, avec un appareil photo, des techniques d’aujourd’hui ou des techniques anciennes, nous parlent du monde et de leur monde ? Qu’ont-elles dans la tête ? »

OTW : Comment montez-vous vos émissions ? Par quoi sont guidés vos choix ? BP : J’ai les yeux grands ouverts et j’essaye d’aller à la découverte de toutes les écritures photographiques. France Inter est une radio généraliste qui s’adresse au grand public. J’essaye donc de faire en sorte que tout le monde s’y retrouve. Je conçois mes plateaux en fonction de l’actualité photographique. Si, à la suite d’une émission, il y a une exposition ou un livre, c’est parfait pour l’auditeur. Évidemment, débordée par l’actualité de la photographie, je choisis selon mes goûts et mes découvertes ; quelquefois, mais hélas rarement, j’invite des photographes qui n’ont pas d’actualité mais que j’ai très envie de rencontrer. Je suis très prise par l’actualité, à tel point que ça laisse parfois peu de place aux surprises. Il y a tellement de festivals, d’expositions, de galeries… Je ne peux pas inviter tout le monde, je dois m’y résigner… OTW : Qu’est-ce qui attire votre attention dans une photographie ? Quelle regardeuse êtes-vous ? Décrivez une photographie qui vous a marquée. BP : Je vois de nombreuses expositions et je suis attirée par ce que raconte une image par rapport au sujet : par exemple dans le travail d’Olivier Jobard, il y des photographies très fortes sur tout le trajet qu’il a fait de Kaboul à Paris, sur la route des migrants. Ça peut-être une image d’un personnage, de son attitude, de ce qu’elle raconte dans le contexte politique et social d’aujourd’hui. Ça peut aussi être, par exemple, le travail d’Anne Rearick qui vient de faire une exposition et un livre sur les townships. Dans l’exposition, je suis tombée en arrêt devant une photographie en noir et blanc très doux, un intérieur de campagne qui sans doute me rappelle celui de la ferme où j’ai vécu. On est près du lit, on voit une fenêtre avec des voilages. La fenêtre est entrouverte et j’imagine que des petits poussins sont entrés en ligne sur le rebord de la fenêtre. J’aime le travail de cette photographe américaine, ses noirs et blancs d’une qualité incroyable. Le cadre et la lumière de cette photographie sont magnifiques. Je pourrais aussi vous parler d’une photographie de Laurence Leblanc qui vient de recevoir le prix Niépce, et que j’ai découverte l’année où j’ai déposé le projet de l’émission (en 2000). C’est une photographie de son travail au Cambodge avec les enfants, un grand format noir et blanc : on voit un enfant de profil qui court, flou, cadré au niveau du buste. Pour moi, c’est l’enfance, l’héritage de ces jeunes Cambodgiens, le rêve ; cette photographie pose beaucoup de questions et m’apporte des réponses de quiétude, et en même temps, replacée dans le contexte de la société cambodgienne, elle interpelle. J’aime beaucoup cette photographie-là, mais il y en a tant d’autres.

in ter OTW : Commentez le titre de l’émission Regardez voir ! À qui s’adresse cette injonction ? BP : Regardez voir ! est une injonction faite à l’auditeur, une invitation à regarder avec le photographe invité et moi-même. Le verbe « voir » est présent parce qu’on peut aussi s’arrêter là, ne pas regarder et juste voir. La confrontation, le jeu entre ces deux verbes invite à faire la différence : « On a vu, mais a-t-on regardé ? ».

OTW : S’agit-il de permettre au regardeur, à l’auditeur, de s’arrêter pendant un temps dans le flux des images ? BP : J’invite les auditeurs à s’arrêter pendant 45 minutes sur un travail, le parcours du photographe invité, sur sa « fabrication » d’images. Pour tenter de comprendre quelle est la place de ce photographe dans le monde, le monde d’aujourd’hui, ce qu’il cherche à nous dire et de quelle manière il peut en parler.

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Regardez voir ! BRIGITTE PATIENT CONVERSATION WITH CLARA CHICHIN, PHOTOGRAPHER Can you tell us, in a few lines, what Regardez voir ! is about? Regardez voir ! is a weekly radio show, a 45mn program on photography every Sunday from 11:15pm to midnight on the French radio France Inter. The format of the program is a discussion between me and photographers or professionals from the field of photography, with the aim of arousing the curiosity of the listeners, to get them to go and see an exhibition, to check a website and to learn about a guest. I like to give the opportunity to the listeners to meet all those involved in the creation of photographs. I consider myself a “relay”. How did you get to work on the radio? Have you always talked about photography on the radio? It was luck: one day I was asked to read a text for a local radio. Behind the microphone I discovered what a voice was, and what the sound of my own voice was like when broadcast. When I was young I didn’t own a TV and listening to the radio was my only access to the media. Later on, switching to the other side made a strong impression. For a number of years I worked for an “activist” radio station, while at the same time teaching in primary schools. The day it became absolutely vital for me to work full-time for the radio I decided to give up teaching. I first worked for the Swiss French-speaking radio Couleur 3, an independent radio launched in 1982. It was a fantastic station where all types of experiments with sound were possible, with – for the time – quite extraordinary means. I only stayed there for a few years because my home was in Paris. Then in 1990 I was hired by France Inter. From then onwards – unconsciously or not – image and photography would become predominant in most of my radio programs. The show Regardez voir ! was created in 1999. While every year I would suggest it to the France Inter directors, it was only in 2012 that it came on the air. How did you come to this program? What role does photography hold in your life? Where does this interest come from? Photography has always been present in my personal life, maybe a bit less in the early years, when I was in a cultural environment which had its qualities but was not very open. Images, magazine illustrations, the printed press would offer me an access to culture. I was struck by all these representations that would teach me about the world and about others. Also – whenever I could – I would go to the movies and to concerts in Paris. I would stroll through every gallery that existed at the time. I would take in as many images and photographs as possible as long as I believed that they were of importance since they had been chosen for exhibition. I am not at all a photographer and I’ve never attempted to become one, but thanks to my training at l’École Normale to become a teacher, I had courses in the audiovisual media. For my first sound and image project I did a piece on a language class, in the north of Bourges, for women coming from various countries. Between then and when I suggested the program to the directors of France Inter, photography had become omnipresent, and for me it was inconceivable not to talk about it on France Inter. I was fascinated and I wanted to know who these people were, how these artists could question us, inform us, touch us, and make us dream. I needed to find out who they were, handling cameras and working with old or new techniques. How did they manage to talk to us about their own world and our world? What goes on in their head? Can you tell us more about the title of the program Regardez voir ! (take a look)? To whom is it addressed? Regardez voir ! addresses the listeners. It is an invitation to take a look at something in the company of the guest photographer and myself. It is in the present tense, because we could also just leave it at that: we could simply see without properly looking. To confront and play on the words invites us to make the distinction between “seeing” and “looking”. Are you inviting the viewer, rather the listener, to stop – if only for a moment – the flow of images? I invite the radio listener to focus for 45 minutes on the career of a guest photographer, on his “creation of images”. It is an attempt to understand what place the photographer occupies in the world, in today’s world, and what he is trying to tell us and how he is doing it.

ANTOINE D’AGATA HELENA ALMEIDA THIBAUT CUISSET JOHN DAVIES KATRIEN DE BLAUWER MITCH EPSTEIN GILBERT FASTENAEKENS THIERRY FONTAINE NOÉMIE GOUDAL SAMUEL GRATACAP LAURA HENNO CLAUDIA HUIDOBRO ELLEN KOOI KAREN KNORR CORINNE MERCADIER ERWAN MORÈRE BENJAMIN MOULY PAULO NOZOLINO PAOLA DE PIETRI CATHERINE PONCIN YUSUF SEVINÇLI SMITH ESTHER TEICHMANN MATT WILSON www.fillesducalvaire.com

Would you say your program is educational? Are you aiming at teaching people how to look? Yes, I have this in me. One day I would love to have a radio show on La Fabrique du Regard (learning how to look) – an educational program initiated by LE BAL in Paris. It would focus on all these people attending the workshops in order to learn how to look. I don’t know if one can say that there is a proper way of looking at things, but the show goes along these lines. I am myself constantly learning. At times, I look at an image with a photographer and he tells me about a detail, which I had never noticed, and it completely changes the way I understand the image. Looking at photographs on the radio: Is it difficult to talk about photography on the radio? Is it your intention to use this media (the radio) to show images, to create images in the imagination of your listeners? It’s at the very root of radio broadcasting to create mental images with sound, words, breathing, and silence. When I was a child I would listen to shows, to radio plays, I would gorge myself with interviews from France Inter and France Culture, and my brain could not stop creating images. Let’s come back to this moment in your show when you ask the photographer to describe one of his photographs… When the photographer talks about his work, it is almost as if he was recreating a new visual, it’s almost subliminal. What I mean is, there is the image that I ask them to pick and describe. The photographer will try to put words on the structures of this image, the shadows and perspectives. Then comes the time when we will have a conversation around the image, which will lead to the listeners having to create their own image in their mind. This is the moment I find really inspiring. And if one day a listener tells me that he has recognized the photographs as he saw them on the website (our website puts online all the photographs that were discussed during the show), then it will be a memorable day. In fact this never happens. There is always a gap between what the radio listener imagines and what the photograph really looks like. I am happy to accept this gap. It means that the photographer and I have managed to transport our audience into another world. There is no limit to the creation of images on the radio. What is specific to my show is that I dis-

Antoine d’Agata, Amoeba, 2016

Regardez voir ! BRIGITTE PATIENT

GALERIE LES FILLES DU CALVAIRE 20 ANS - 24 PHOTOGRAPHES

cuss photographs. I talk about existing objects, photographs in an exhibit, from a book, photographs with a certain type of grain and printed on a certain type of paper. How do you write your shows? What guides your choices? I am always on the lookout and I constantly try to find new photographic styles. France Inter is a general interest radio aimed at the general public. So I try to make sure that everyone gets something out of it. I plan my program depending on the photographic news. If there is an exhibit to go to, or a book to look at after the show, it’s perfect for the listener. Obviously, as we are often overloaded by the news, I also select based on my own tastes and discoveries. Sometimes – but not enough to my liking – I invite photographers who have no real news, but just because I want to meet them. Unfortunately my choices are very much guided by the news to such an extent that there is little room for surprises. There are so many festivals, exhibitions and galleries to talk about… I can’t invite everybody and this is something I have to accept. What draws your attention to a photograph? What type of “watcher” are you? Could you describe for us a photograph that left a particularly strong impression on you? I get to see many exhibits and I am particularly attracted by the story behind the image. Take for instance Olivier Jobard’s work on the migrants’ journey: there are very strong photographs of his trip between Kabul and Paris. It could also be the photo of a person, of their attitude, or it can be a photo that tells us something on the current political and social context. I recently saw an exhibit and book of Anne Rearick’s work on the townships of South Africa. During the opening of the show I was struck by one image in particular: a very soft black and white photograph of a countryside interior, which probably reminded me of a farm in which I lived. On the photograph we are next to a bed, and there is a window with net curtains. The window is slightly open, and I believe that the chicks standing in a line on the windowsill have just come in from the outside. I love the work of this American photographer. Her black and whites are incredibly beautiful and the composition and lighting in this image are just stunning. I could also talk to you about one photograph by Laurence Le22

blanc who was just awarded the Niépce prize and whose work I first discovered when I submitted the proposal for the radio program (in 1999). It’s an image shot in Cambodia, of children, a large format in black and white. It’s the profile of a child running, it’s blurred and framed by the torso. This image for me represents childhood, the heritage of this Cambodian youth, their dreams. It is a photograph that raises many questions, provides me with peaceful answers and at the same time, when considered in its Cambodian context, it challenges me. I love this particular photograph, but there are many more.

édi tion 47


SINDIKA DOKOLO COLECTIONNEUR D’ART CONTEMPORAIN L’Afrique n’est-elle qu’une tendance ? On « redécouvre » l’Afrique régulièrement… comme s’il n’y avait jamais rien eu avant ! Il y a clairement un effet de mode si on regarde l’impact du marché de l’art. On a assiste à l’émergence de nouveaux consultants spécialisés. Le marché est toujours à la recherche du « nouveau truc » qui marche. Il y a eu les phénomènes de l’art russe, puis chinois. C’était une stratégie délibérée des marchands qui ont essayé de créer l’appétit et la curiosité pour faire monter les cotes des marchés émergents. C’est une immense opportunité pour les artistes qui n’ont pas accès aux grandes biennales et galeries, mais ça peut vite tourner au feu de paille. Une fois qu’on a ouvert le potentiel d’un marché, il sèche sur pied… On observe des cycles de trois à cinq ans dans ce genre de mode. Tout dépend des collectionneurs nationaux, qui sont ou non capables de prendre le relai. C’est ce qui s’est passé en Chine. Les collectionneurs locaux ont acheté, ce qui a permis d’asseoir les cotes et de donner plus de visibilité à certains artistes. Ce sera l’un des secteurs déterminants du marché africain de l’art contemporain. Est-ce que l’intérêt international actuel va réussir à susciter celui des Africains ? La demande locale va-t-elle prendre le relai ? Je ne suis pas sûr que les raisons sur lesquelles se fonde cet engouement soient des facteurs de qualité. Ce qui me dérange, c’est d’abord qu’il y a toujours ce penchant pour l’exotisme. Dans l’art contemporain venu d’Afrique, on recherche encore une certaine idée de l’exotisme, du « bon sauvage », de l’artiste autodidacte et analphabète qui ne connaît pas l’histoire de l’art, qui n’est pas encore touché par la culture globale. C’est rafraîchissant, mais à ce moment-là, autant collectionner les timbres. La deuxième chose qui me dérange, c’est qu’investir dans ces artistes est encore considéré comme un risque car les artistes africains ne sont pas capables d’exprimer ce qui les rend uniques, importants, précieux, ni de mettre en avant leur valeur intrinsèque. Résultat : ce sont eux qui mettent en place les bases de cet exotisme. La question de l’art « africain » est devenue un piège. Dans son essai Léopold Sédar Senghor : L’art africain comme philosophie, Souleymane Bachir Diagne cite Picasso qui raconte sa première rencontre avec l’art classique africain sur l’esplanade du Musée de l’Homme. Il dit qu’en voyant la statuaire africaine, il a compris la puissance de l’art d’exorcisme. Et que Les Demoiselles d’Avignon est sa première œuvre d’exorcisme. On a oublié à quel point les sociétés africaines sont celles qui, dans le monde, entretiennent le lien le plus poussé, le plus complexe et le plus subtil avec l’art parce que l’artiste avait la prétention de donner une forme à un esprit, à une force. C’est ce qui me fascine dans l’art classique. Je possède certaines pièces tellement puissantes que votre vie émotionnelle n’est plus la même après les avoir vues. Le jour où les artistes contemporains se réapproprieront cet art d’exorcisme, ils gagneront en qualité et on sera bien loin de l’art anecdotique qui peut encore exister. Dans cette optique, je prépare une exposition à Luanda qui mélangera œuvres classiques et contemporaines pour la fin de cette année. J’en suis le co-commissaire avec l’artiste sud-africain Kendell Geers et l’artiste angolais Fernando Alvim. La clé transversale sera le puissant art de l’exorcisme. Je veux que ce soit une expérience initiatique et un parcours émotionnel. Ce n’est pas de l’art de présentation, d’exposition, mais de l’art de communion basé sur la performance et l’expérience. Le masque devient œuvre d’art dès lors qu’il est porté et utilisé pendant une cérémonie. C’est le moment où l’esprit habite le masque. J’ai envie de revenir aux sources, de récupérer cet héritage. Ça participe au débat sur la place de l’art dans nos sociétés.

NOOR RISE UP! SHOUT OUT!

Cette année, les photographes de l’agence NOOR ont initié une nouvelle réflexion collective sur le continent africain et les mouvements qui le traversent. Ce chapitre pose les premières pierres du questionnement et du parti pris qui est le leur : comment renouveler le récit sur le continent ? Ils ont décidé de relayer les actions des Africains non victimaires qui redessinent la carte sociale et politique de leur pays, de leur région et de leur communauté.

Photographers of the agency Noor have initiated this year a new collective reflection on the African continent and the trends that crosses it. This first chapter lays the foundation of the questioning and bias that is theirs. How can the narrative of this continent be renewed? They decided to relay the actions of the non-victims Africans who redraw the social and political map of their countries, regions and communities.

Ana Welter : D’où part le projet ? Clément Saccomani : La plupart des photographes de NOOR ont passé de nombreuses années à sillonner l’Afrique. Nous avons pensé qu’il était temps de poursuivre ce travail avec un point de vue fort et engagé qui ne s’inscrive dans aucune tendance. L’afro-optimisme ou l’afro-pessimisme ne les intéressait pas. Bénédicte Kurzen : Kadir a eu l’idée de revisiter nos archives, comme une mise en abyme, une façon de mesurer les changements qui se sont produits au cours des dernières années. Ça nous a aussi permis de mesurer notre propre cheminement. Le changement reste cependant un vaste sujet et nous ne voulions pas aborder un thème désincarné. Nous voulions mettre les acteurs du changement social et politique au cœur de notre démarche. AW : Quel point commun y a-t-il entre les Hellbangers du Botswana et les militants du Balai citoyen au Burkina Faso ? BK : Le changement dont nous voulions parler est inspiré du livre Africa Uprising de Zachariah Mampilly et Adam Branch. Les auteurs y décortiquent et analysent la troisième vague de manifestations et de soulèvements en Afrique dirigée par des syndicats, de jeunes militants et des intellectuels. Ces gens sont animés par la volonté de transformer leur société. Par exemple, Yuri Kozyrev a travaillé avec des femmes tunisiennes, des engagées de la première heure dans la révolution. Les « métalleux » que Pep Bonnet a photographiés sont, comme leurs homologues occidentaux, en révolte contre les autorités et l’autorité. Metal Orizon compose des chansons sur le lavage de cerveau, Wrust sur l’impérialisme et sur un dieu qui s’est détourné des hommes. Les médias se concentrent souvent sur la classe moyenne émergente et les développements urbains qui – ça ne vous aura pas échappé – sont un écho de nous-mêmes, Occidentaux. Ils parlent moins ou pas du tout des personnes qui font le pouls de la « lutte » qui nous intéresse.

Ana Welter: Where does this project come from? Clément Saccomani: Most of NOOR Photographers have spent many years traveling across Africa. We thought it was time to pursue this work with a strong point of view independent from any trend. Afro-optimism and Afro-pessimism was of no interest to them.

(TO BE CONTINUED) PROPOS RECUEILLIS PAR ANA WELTER

ENTRETIEN PAR OLIVIA MARSAUD

Avec la Triennale d’art contemporain de Luanda, nous touchons entre 50 000 et 70 000 scolaires. Malgré des infrastructures limitées, nous touchons un large public. Alors que dans une ville comme Paris, avec une densité folle de propositions artistiques et de lieux, l’art ne touche pas nécessairement autant les populations. Ce n’est pas étranger à notre tradition de relation à l’art… Je pense que les artistes africains doivent transcender la mode actuelle, la marque de fabrique « made in Africa ». Ils doivent continuer à s’affranchir de l’approche occidentale de l’art qui est, selon moi, une émasculation de notre potentiel artistique. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’eunuques artistiques… Il faut arrêter de vouloir faire du concept à tout prix, de chercher à se rassurer dans les yeux des autres. Nous devons entretenir un rapport plus pur, plus décomplexé et plus vrai à la création. Faire de l’art avec ses tripes et pas seulement du bout des doigts. Que les artistes profitent de cette mode pour se remettre en cause ! Sinon, elle n’aura aucun intérêt, ni pour eux ni pour les collectionneurs.

SINDIKA DOKOLO CONTEMPORARY ART COLLECTOR A DISCUSSION LED BY OLIVIA MARSAUD Is Africa only a trend? We « rediscover» Africa regularly... As if there was nothing there before! If we look at the impact of the art market, it’s obvious that there is a trend. We have witnessed the emergence of new qualified experts. The market is constantly looking for “something new” that will work. There was the Russian art phenomenon once, and then the Chinese one. It was a deliberate strategy by art dealers trying to drive a demand and curiosity, in order to raise the market for the emerging dealers. It is a great opportunity for the artists who have no access to the important Biennales and galleries, but it can also quickly fizzle out. Once a market has been launched, it dries up quickly. Usually these trends come in cycles lasting 3 to 5 years. It depends on the national collectors who can or cannot take over. This is what happened in China, the local collectors bought some pieces, which helped establish the ratings and give more visibility to certain artists. It will be one of the key areas for the contemporary African art market. Will current foreign enthusiasm peek the interests of Africans? Will domestic demand take over? I am not certain that the reasons behind this frenzy are indicators of quality. What bothers me first is the fact that there is always an attraction towards the exotic. We are still looking for, in contemporary African art, a certain idea of exoticism, of the “noble savage”. We are looking for the self-taught and illiterate artist who has no knowledge of art history and remains untouched by our global culture. It’s refreshing. Then you may as well just collect stamps.

AF RICA

The second thing that bothers me is that investing in such artists is still considered a risk. Because African artists are not capable of expressing what makes them unique, important, precious. They can not put forward their underlying value. Meaning: they themselves establish the foundations of this “exoticism”. The topic of “African” art has become a trap. Souleymane Bachir Diagne in Léopold Sédar Senghor : L’art africain comme philosophie quotes Picasso describing, on the plaza of the Musée de l’Homme in Paris, his first encounter with classical African art. He explains that he instantly understood the power of the art of exorcism when he saw African statuary. He also explains that Les Demoiselles d’Avignon (The Young Ladies of Avignon, and originally titled The Brothel of Avignon) is his first piece of exorcism art. We easily forget that globally, African societies are the ones who have the most intimate, complex and subtle bond with art. Because the artist had the aspiration to give shape to a spirit, to a force. This is what fascinates me in the classical art. I own a few pieces so powerful that your emotional life is transformed even after seeing them. The day contemporary artists will reclaim the art of exorcism, they will gain in quality and we will be miles away from the anecdotal art we see today. With this in mind, I am preparing an exhibition in Luanda, set for the end of the year, combining classical and contemporary art. I am co-curating with South-African artist Kendell Geers and Angolan artist Fernando Alvim. The overlying theme will be the powerful art of exorcism. I want it to be an initiative experience, an emotional journey. It is not art for presentation or for show, it is art for communion based on performance and experience. The mask becomes a piece of art once it is worn and used during a ceremony. It is the instance when the spirit inhabits the mask. I have an urge to return to the root, to reclaim this heritage. This is part of the debate we have today on the role of art in our society. With our Contemporary Art Triennale in Luanda, we will reach somewhere between 50,000 and 70,000 school kids. Despite a very limited infrastructure, we attain a large audience. Whereas in a city like Paris, with such a dense and crazy offer of artistic propositions and spaces, art still does not necessarily touch the masses. This is not uncommon in our relationship with art... I really think that African artists must transcend the current trend, the “made in Africa” trademark. They must continue to free themselves from the Western approach to the art, which is, I find, an emasculation of our artistic potential. There are lots of eunuch artists today... We must stop the need to create concepts at all cost, the need to seek reassurance in the eyes of others. We need to have a pure relationship to creation, a truer one that isn’t self-conscious. To create art with our guts and not with our fingertips. I hope artists will take advantage of this trend to question their practice! Otherwise it would have been of no interest, for them and for the collectors.

AFRICA POP * TEAR MY BRA GROUND CONTROL // 4 JULY - 25 SEPTEMBER 10AM - 7:30PM * SWINGING BAMAKO COUVENT SAINT-CÉSAIRE * MAUD SLUTER CHAPELLE DE LA CHARITÉ // 4 JULY - 25 SEPTEMBER 10AM - 7:30PM * AFRICA POP NIGHT / SCREENINGS & PARTY GROUND CONTROL // TUESDAY JULY 5TH RENCONTRES-ARLES.COM

AW : Comment ce projet renouvelle-t-il le récit en Afrique ? BK : Nous espérons servir de relai aux militants, résistants et activistes avec qui nous avons travaillé. C’était essentiel de sortir du récit victimaire et de vraiment ÉCOUTER. J’insiste sur ce dernier verbe. C’est une question de distance, qui n’est pas simple à résoudre pour des Occidentaux pétris de bonnes intentions et de préjugés aussi bien enfouis. Il fallait également éviter l’écueil du discours des ONG et des organisations internationales. En mettant des personnes et non pas des idées au centre du travail, nous pouvions enfin parler des problèmes sociaux, ce qui fait partie de l’identité de l’agence, mais aussi des solutions. Ces luttes n’appartiennent qu’aux Africains. Elles sont imaginées par eux et incarnées par eux. Je vous incite à lire la dernière interview d’Achille Mbembe, dans laquelle il dit : « Essayons surtout de sortir de la logique coloniale : “Ce sont tous des enfants, il faut les aider.” Les opprimés se libèrent eux-mêmes. Dans l’histoire de l’humanité, personne n’a jamais libéré les opprimés à leur place. » AW : Tout ça parce que l’Afrique est à la mode ? CS : Depuis plusieurs années, la Fondation NOOR organise des initiatives éducatives pour encourager l’émergence de jeunes talents et acteurs visuels partout dans le monde, et de fait aussi en Afrique. Il faut continuer. Par ailleurs, ce projet a pour vocation d’être collaboratif et nous souhaitons inviter des vidéastes, des écrivains, des chanteurs et bien sûr d’autres photographes à y participer. C’est la deuxième étape. BK : Nous voyons la photographie comme un espace ouvert, un espace de discussion et non pas un terrain à conquérir. De mon point de vue, c’est la narration dominante qui est à conquérir, à malmener même. Avec ce projet, nous voudrions décloisonner les récits, et surtout sortir les photographes du système de labellisation et donc de réduction. Quelqu’un me signalait l’autre jour que Frantz Fanon est souvent ense gné dans les départements universitaires spécialisés sur l’Afrique, alors que la valeur de sa pensée est universelle. Avec les Ghanéens, les Tunisiennes, les Botswanais et les Burkinabés, nous avons tissé un lien autour de valeurs qui sont pour nous fondamentales. En cherchant le particulier, il me semble que nous avons trouvé notre part à tous d’universel. NOOR est un collectif de photo​​journalistes qui documentent, enquêtent et témoignent sur le monde.

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in ter view

NOOR RISE UP! SHOUT OUT!

(TO BE CONTINUED) A DISCUSSION LED BY ANA WELTER

Bénédicte Kurzen: Kadir had the idea that we should revisit our archives, like a self-exploration process, a way to measure the changes that have been taking place in the past years. Also, it allowed us to measure our own development. Yet change is a very vast topic, and we did not want to address a disembodied theme. We wanted to place the actors of the social and political changes at the core of our project. AW: What is there in common between Botswana Hellbangers and Burkina Faso’s activist of the « balais social » (social broom) BK: The change we wanted to talk about is inspired by the book « Africa Uprising » from Zachariah Mampilly and Adam Branch. Both writers identify and analyze the third wave of demonstration and uprising in Africa. Led by trade unions, young activists, intellectuals and people who are dedicated to the idea of changing society. Yuri Kozurev, for instance, worked with Tunisian women involved right from the beginning in the Revolution. The heavy metal fans photographed by Pep Bonnet are - like their western counterpart - rebelling against the authorities and power. Metal Orizon writes songs on brainwashing and on a God who has abandoned mankind. The media often focus on the emerging middle-class and urban development, which – we noticed – is only an echo of us, westerners. They never talk about the people who are the heartbeat of the “struggle” we are interested in.

AW: And how does this renew the narrative on Africa? BK: We hope to be a relay for the activists, the resistance fighters, those we have worked with. It was essential to stop the victimized narration and to really LISTEN. I insist. It’s a question of distance, which is not easy to solve for the westerners armed with good intentions and sometimes unconsciously, deeply rooted prejudices. It was also important to avoid the NGO and International Organizations discourse. By prioritizing people rather than ideas in our projects, we could at last talk about social issues - which is part of our agency’s identity the identity of our agency – but also talk about solutions. These fights do not only belong to the Africans, they are embodied and imagined by them. I invite you to read Achille Membe’s latest interview “We should try to focus on migrating away from colonial ideology: They are children and they need our help. The oppressed will free themselves. In the history of humanity, no-one has ever freed the oppressed by fighting their battle for them.” AW: Is that because Africa is a trend ? CS: The NOOR Foundation has organized for several years educational initiatives to encourage the emergence of young talents and visual actors everywhere around the world, and as a matter of fact, in Africa. We must continue. Furthermore, this essence of this project is collaborative. We will invite video-makers, writers, singers and of course photographers to take part in this project. This will be the second stage. BK: We see photography as an open space, a space for discussions and not a space to conquer. From my perspective, we should try to conquer the dominant narrative, abuse it even. With this project, we would like to open up the narratives, and above all get the photographers out of a labeling system, which leads to. Which dimishes the impact and importance of the work. Someone was telling me the other day that Franz Fanon is often taught in Universities Departments specialized on Africa, when really his thinking is universal. The ties we have developed with Ghanaians, Tunisians, people from Botswana or Burkina-Faso, are ties built around values that we believe to be fundamental. By looking for the particular, I hope we help reveal the universal. NOOR ​defines itself as a collective uniting a select group of highly accomplished photojournalists documenting, investigating and witnessing our world.

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malick sidibé

MALICK SIDIBÉ 1936 - 2016

BAMAKO, 3 NOVEMBRE 2011

Découvert en 1990 par André Magnin, son « griot » qui depuis organise ses expos à Paris et dans le monde, à la différence d’artiste africains dont la cote souffre des préjugés et du regard condescendant, les photos de Malick se vendent à des prix plus occidentaux.

Bamako, quartier Bagadadji (ambiance Barbès, le charme du village en plus), dans un micro studio qui n’a jamais cédé à la technologie, se tient Malick Sidibé, doyen des artistes photographes africains.

leila alaoui PORTRAIT DE NAJI EXTRAIT DE LA SÉRIE “LES 40“

LEILA ALAOUI 1982 - 2016

« Je me suis installé dans ce quartier très populaire en 1960, je tenais à être proche des gens, je voulais que personne ne soit intimidé. À l’époque, j’étais connu parmi les jeunes branchés de Bamako pour être le photographe qu’il fallait absolument avoir dans sa fête. Je savais que ceux-là me visiteraient sans crainte n’importe où . »

« C’est bien ! Je suis fier que mes photos se vendent, ça fait vivre beaucoup de gens en Europe. D’ailleurs, beaucoup de galeries recherchent de nouveaux talents pour les faire connaître . C’est la ruée vers l’Afrique, mais pour l’art africain. » « Je dis aux jeunes : photographiez comme un Africain. Ok, l’appareil n’est pas africain mais l’âme de la photo doit être africaine. Ça signifie faire des photos de nous-mêmes, comme autant de cartes de visite de notre continent. La photo est un contact avec les hommes, c’est un livre qui parle. » AA English text on offthewallphotobook.com.

Pour un portrait ou pour une réparation, tout Bamako et le monde sont passés par l’échoppe de l’invité d’honneur multi primé de Paris photo 2011 et, à ce jour, seul lauréat africain du prix Hasselblad. Il a été épinglé la veille au soir par Frédéric Mitterrand, le voilà Chevalier des Arts et des Lettres. « À mon âge c’est bien mérité. Ça prouve que j’ai bien travaillé et sans idée de carrière, sans que ce soit un concours ; j’ai aimé les images, j’ai aimé les sujets, j’ai été bon et ça été reconnu comme tel ».

LEILA ALAOUI & MALICK SIDIBÉ CARTE BLANCHE OFF THE WALL AFRICA POP NIGHT GROUND ZERO // 5 JUILLET 2016 RENCONTRES-ARLES.COM

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TRI BU

QUELQUES MOTS DE MALICK

Ses assistants préparent le studio, il ne reçoit plus que sur rendez-vous. Quinze mètres carrés tout au plus, sur un mur: une impressionnante collection d’appareils photo fait face au rideau rayé tombant sur l’estrade en damier, arrière-plan signature des photos de l’artiste.

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HISTOIRE DE LA PRISE DE VUE DE LA PHOTO DE BENOITE AU CHAPEAU PAR GENEVIÈVE HOFMAN Benoîte Groult à Angers, 11-12 avril 2014 Le grand portrait au chapeau est un peu une exception dans la série de portraits d’écrivains que j’ai faite en 1987-88. Benoîte Groult était dans la liste des écrivains à photographier ; je prends donc RV avec elle, dans son appartement rue de Bourgogne à Paris. Coup d’œil rapide sur les murs pour choisir où la photographier. Je repère un beau dessin de Matisse d’une femme nue assise sur un tabouret et à côté, une photo de Nicole Poiret, sa mère, allongée élégamment sur un sofa et vêtue d’une longue robe claire. Je place une chaise juste là où il faut pour qu’elle fasse la jonction entre les deux et je demande à Benoîte de s’y asseoir. Ce qu’elle fait dans un déhanchement naturel qui accentue encore ce lien entre les deux images de femme, celle de sa mère et celle de Matisse ! Je suis contente de cette composition, et quand j’appuie sur le bouton, j’ai cette sensation bien particulière de plaisir et d’assurance d’avoir, comme on dit, l’image dans la boîte. J’en fais d’autres bien sûr, pour « assurer » et je me laisse alors toucher par ses sourires, ses attentions délicates envers moi, ses regards tendres, un peu apeurés parfois. Je reste cependant égoïstement sur cette première photo des trois femmes et c’est celle-là que je retiens au moment du tri. Mais sa profonde gentillesse et ce que j’avais perçu de son rapport pas forcément facile à son image me poussent à la lui montrer avant d’arrêter le choix, ce que je ne fais pas forcément et surtout pas avec les femmes artistes qui veulent toujours d’abord être flattées, ce qui peut faire qu’« il ne reste alors dans l’image plus rien de vrai », comme disait Henri Cartier-Bresson. Et là, je m’aperçois qu’elle ne voit en effet dans cette image que ses rides et sa mauvaise mine d’hiver ! Elle me suggère de recommencer après le séjour aux Antilles prévu et si possible à Doëlan, dans son jardin au bord de la mer, dans sa Bretagne, « là où va son cœur » comme elle aime dire, là où elle s’épanouit pleinement. Le printemps venu, je prends la route et me rends compte alors que cette image bien construite certes était sans doute trop restée au stade mental de la géométrie, que le cœur n’y était pas vraiment entré, qu’elle avait été faite avant que je ne me laisse séduire par Benoîte, par le subtil équilibre de ses forces et ses fragilités. J’accepte de recommencer ce portrait, bien décidée de faire en sorte qu’il lui plaise à elle aussi cette fois ! Arrivée sur les lieux, il me paraît évident que cette photo doit se faire en extérieur, en lumière naturelle pour quelqu’un qui aime tant le jardin et ne cache rien ! Je choisis le cadre, entre la glycine qui couvre le mur de la maison et un panier de jardinière ; le soleil est déjà haut, j’aperçois un chapeau de paille qui traîne par là, ce sera lui qui va filtrer la lumière vive des belles journées en bord de mer et faire des petites taches de lumière sur le visage qui masqueront les rides bien plus joliment que tous les filtres diffuseurs ! Et le tour est joué, Benoîte aimera cette image d’elle sans réserve ; elle m’écrira dans un courrier : « les gens de Grasset vont en baver de jalousie ! » Le tour est joué ; mais quel tour au juste ?

TRI BU

Photographier l’homme ou l’écrivain ? Y a-t-il une spécificité du portrait d’écrivain ? Quand je fais un portrait d‘écrivain, de qui vais-je faire le portrait ? De l’homme ou de l’œuvre, comme on disait dans les vieux manuels littéraires ? En fait les écrivains eux-mêmes s’avouent souvent doubles, souvent tiraillés entre leurs deux niveaux de relation au monde. Quand je frappe à la porte de Benoîte Groult, vais-je photographier la fille d’André Groult, le décorateur à succès de son époque, et de Nicole Poiret qui recevait le « tout Paris » dans sa Maison de haute couture, la femme avec qui je vais partager un café, des conseils de jardinage ou des recettes de cuisson de poissons, ou celle qui construit une œuvre importante et s’impose au monde par son combat féministe ? Beaucoup d’écrivains parlent des fossés entre les deux mondes, des sas nécessaires, de leur « planche » à lever ou baisser comme un pont-levis. Mais justement chez Benoîte Groult, il n’y a pas de ces cloisonnements - entre nous, bien masculins ! - entre ces deux mondes, probablement pas non plus de hiérarchie marquée ; car chez elle, toutes ses passions se mêlent, se tissent inextricablement dans une belle vitalité, dans un grand appétit de vie. De même que dans son visage se mêlent des traits qui pourraient sembler appartenir à des mondes différents, à des âges différents, ce qui fait qu’on l’aime avec toutes ses rides. Ce qu’elle a pu me reprocher gentiment dans une lettre où elle m’annonçait la parution d’une photo dans un magazine : « avec un visage très, très ridé comme vous les aimez » ! Oui Benoîte, j’aime cette vie assumée dans toutes ses facettes et toute sa complexité, sans sas de protection !

L’image du texte / la lecture du visage Quand j’ai un portrait d’écrivain à faire, je commence par lire des passages de son œuvre jusqu’à ce que l’écriture prenne forme, une forme qui reste extrêmement présente devant mes yeux, quand je sonne à la porte de celui-ci. La surprise est quelquefois très grande quand la porte s’ouvre : les deux formes, celle du visage et ce qui s’en dégage et celle de l’œuvre peuvent ne pas coïncider du tout. Certains écrivains, persuadés qu’il n’y a aucun rapport entre les deux, rechignent à se faire photographier. « Mon visage est dans mon œuvre », disait Michaux ; Julien Gracq refusait le plus possible de se faire photographier. Et pourtant, un certain rapport saisi entre la ligne du nez et celle de la bouche ou un certain dessin de l’œil ne peuvent-ils pas être une porte d’entrée, une grille de lecture pour un monde à découvrir ? Le visage de Benoîte est complexe certes, comme tous les visages, mais lumineux, ouvert et clair ; il ne se cache pas derrière dix mille masques, il vit, il se vit, il s’offre ! « Je n’ai pas le sens du secret, et j’aime la lumière », m’avait-elle répondu spontanément un jour dans un entretien. Moi aussi j’aime la lumière, toutes les lumières, comme tous les photographes ! Et le portrait est une histoire de rencontre entre différentes lumières, comme l’avait expliqué la poétesse Heather Dohollau au vernissage de l’exposition des 40 portraits d’écrivains en Bretagne au Festival de Lorient : « Dans les photos de visage, quand elles sont réussies, c’est comme si trois lumières étaient là : celle de l’extérieur, celle qui vient du visage et la lumière propre au photographe. Et quelque fois il y a miracle », celui de la rencontre. Le visage est un peu comme une frontière entre le dedans et le dehors. Une frontière qui bouge… On « habite son visage, comme le vent la voile », disait-elle joliment. Elle disait aussi à propos d’une photo de Virginia Woolf par Gisèle Freund qui l’avait marquée, et en reprenant la citation qui l’accompagnait : « car nous avons tous derrière la tête une petite place de la largeur d’un shilling, qui reste invisible ». Et, en regardant ce beau visage, merveilleusement photographié, j’avais l’impression de voir cette « petite place » qu’elle ne pouvait pas voir elle-même. La photo comme autre frontière, entre le visible et l’invisible !

Le rapport parole/image, les deux langages ou « Le portrait au féminin » De mon côté, quand je fais un portrait, je prends d’abord tout un temps pour être dans la conversation avec l’écrivain, ce qui permet de détendre, de délier les tensions et de lier aussi des liens de confiance, de s’approcher et de cheminer ensemble avant le déclic de l’appareil et puis quand tout à coup l’image dans le verre dépoli de l’appareil s’impose, que le moment est venu de la saisir, je n’ai plus de mots, plus envie de parler, c’est désormais un autre cerveau qui fonctionne. Je sais que je dois alors faire vite pour prendre la photo dans la bonne tension, la tension juste, si je ne veux pas que la personne en face se sente lâchement abandonnée dans la chevauchée commencée et se relâche, frustrée ! Avec Benoîte, il n’y a pas eu de ces combats entre image et parole, pas de jeux de cache-cache, pas de rapports de forces mais une conversation au sens premier du mot, de passage de relai de l’une à l’autre qui se fait simplement, naturellement, plaisamment : une prise de vue au féminin, ai-je envie de dire, en souplesse, en échange. Il est à remarquer que les photographes de portraits sont souvent des femmes, Gisèle Freund, Sophie Bassoul et bien d’autres…

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Le couple photographe/photographié Quand le photographe et l’écrivain sont mis face à face pour une « prise » de vue, il y a des peurs des deux côtés ; l’écrivain a peur que sa photo ne livre pas assez, ou livre mal, ou trop de lui-même, de sa force d’auteur. Le photographe, lui, a tout simplement peur de ne pas réussir à saisir ce qui lui semblera un « bon » portrait, de rater cet instant fugitif, « décisif » aurait dit Henri Cartier-Bresson, et/ou tout simplement de ne pas répondre à la commande si c’en est une. Or le portrait ne peut vraiment se faire qu’à deux, comme l’amour ! Si ce n’est pas le cas, le photographe devient un prédateur, voire un violeur et le photographié ne pourra qu’en être frustré, amer, ou se sentir violenté. Dans le portrait, chacun doit y mettre de lui-même et si possible dans une proportion égale. Dans un portrait d’écrivain ou de personne connue, on ne doit pas d’abord reconnaître la signature du photographe qui, dans cet exercice doit être discret dans l’image, il ne doit pas y être à plus de 50 %. Question de déontologie, question de respect de l’autre, question d’équilibre. J’ai aimé rencontrer Benoîte Groult, j’ai aimé la photographier. J’ai été séduite dès notre première rencontre par son authentique générosité et je le suis toujours ! J’ai été attirée par la diversité de ses visages, de ses lieux de vie, la diversité de ses passions, de ses activités, par leurs entrecroisements riches et subtils, toujours offerts avec simplicité et lisibilité. J’ai essayé d’en rendre compte dans les photos présentées ici. English text offthewallphotobook.com.

Texte publié dans le livre qui rassemble les actes du colloque d’avril 2014 à Angers, lieu de conservation des manuscrits sur le féminisme de Benoîte Groult. Livre paru aux Editions des Presses Universitaires de Rennes. Geneviève Homfman, photographe vit et travaille à Paris, ses ouevres sont, entre autres, dans la collection de la MEP et de laBibliothèque Nationale de France.


L’IMAGE SANS L’APPAREIL PHOTOGRAPHIQUE

THE IMAGE WITHOUT THE CAMERA

La multiplication des projets artistiques qui produisent des images sans convoquer l’utilisation d’un appareil photographique – et dont la nature est néanmoins présentée comme « photographique », à la fois par les artistes et les exposants – invite à une réflexion sur une éventuelle redéfinition du médium.

The proliferation of art projects producing images without the use of a camera, and which are presented in essence as “photographic” both by the artists and the exhibitors, invites us to reflect upon the medium.

Léa Chauvel-Lévy, journaliste et critique d’art, formule une question face à laquelle Louis Mesplé, ancien directeur des Rencontres d’Arles, tranche. « Il y eut Kodak et la démocratisation d’un geste, d’une pratique photographique. Eastman et cette fameuse phrase : “Appuyez sur le bouton, nous ferons le reste.” En 1888, la pratique photographique à peine sur pied créait déjà les conditions de sa libération technique. Bien plus tard, le passage de l’argentique au numérique offrait un changement de paradigme qui allait dans le même sens d’un accès facilité au médium photographique, avec cette particularité que cette transition impliquait l’oubli de la lumière, élément vital de la photographie. “En raison de l’immédiateté du médium et de son automatisation croissante, l’élément central – la lumière – a pour l’essentiel été oublié”, a écrit Anne-Cécile Jaeger dans son très bel ouvrage La photographie contemporaine par ceux qui la font. Aujourd’hui, certains projets artistiques vont jusqu’à se passer de l’appareil photographique, de l’outil lui-même pour produire des images qui ressemblent néanmoins formellement à des photographies. C’est le cas de l’artiste turc Sergen Şehitoğlu qui, dans ses deux nouvelles séries Kill Memories et Google Street View présentées à la galerie parisienne Backslash, produit toutes ses images par le biais de son ordinateur, d’Internet et donc sans aucune intervention d’un quelconque appareil photographique. Sa première série présente des captures d’écran, prises sur le long terme, d’une jeune femme qui contacte ses clients via une webcam. Dans la seconde, les images sont elles aussi issues de captures d’écran, cette fois-ci de ce qu’enregistre la Google Car sur Google Street. Dans les deux cas, les images ressemblent à s’y méprendre à des images photographiques. À cette différence près que le film sensible a disparu. Le rideau logé dans tout appareil, la cellule, le diaphragme ont également déserté, mais la dimension essentielle du déclencheur, pour ne pas dire d’“instant décisif”, reste quant à elle présente. En sourdine et d’une moindre façon, mais bel et bien présente. La photographie trouve-t-elle son identité de nature par son appareillage technique (objectif, barillet, retardateur...) ou bien par l’objet fini qu’elle produit ? Si le résultat, cet objet fini, est “composé” et “fait” image, mais qu’il émane d’un ordinateur, est-il exclu par essence du champ photographique ? Les questions de la redéfinition de l’essence de la photographie sont apparues avec la multiplication des travaux comme ceux de Jon Rafman ou de Paolo Cirio qui mettent la production d’images sans appareil au centre de leur pratique. L’un s’est fait connaître par le biais de son projet 9 Eyes, un site qui répertorie des images qu’il capture sur Google Street View. L’autre, moins connu, récupère des photos de passants prises par les appareils de Google, qu’il floute dans un second temps avec l’aide d’un logiciel. Quelle évolution la photographie contemporaine dessine-t-elle en se délestant ainsi de la contrainte de l’appareil qui lui assurait jusqu’ici une prise de vue ? Serait-il légitime de parler d’une libération de la photographie, jusqu’à sa disparition totale à laquelle lui survivrait des prises de vues moins traditionnelles, par l’écran d’ordinateur notamment ? Autrement dit, et dans cette perspective, l’appareil photographique, comparé à un corps, aurait vu chacun de ses organes vitaux être modifiés en profondeur, jusqu’à être supplanté par d’autres machines qui enregistrent comme lui le réel. » Léa Chauvel-Lévy « En 1922, au fameux questionnaire lancé par Stieglitz “Une photographie peut-elle avoir un sens artistique ?”, Duchamp répond : “J’aimerais qu’elle [la photographie, ndlr] dégoûte les gens de la peinture, jusqu’au moment où quelque chose d’autre rendra insupportable la photographie.” La photographie nous a sûrement éloigné d’une certaine peinture, et ce “quelque chose d’autre”, à savoir la massification du geste d’enregistrement, soit le contraire de la démocratisation, par l’appareillage numérique du réel ou supposé, ses tics, ses tocs, sa foire, rend insupportable l’idée que cela puisse être de la photographie tant tous ses codes originels et philosophiques, éthiques et esthétiques, conceptuels et formels sont inversés. La photographie est cette expression qui est née avec la deuxième révolution industrielle au 19e siècle et agonise, sinon est déjà morte, avec la troisième, numérique, du 21e siècle. En certifiant ce constat, nous pourrons avancer dans les nouvelles qualifications et critiques d’un nouveau médium. Nous sommes bien dans l’image, mais laquelle ? »

Journalist and art critic Léa Chauvel-Lévy formulates the question. Louis Mesplé – former director of the Rencontres d’Arles gives a vigorous answer. “There was Kodak and the democratization of an action, of a photographic practice. Eastman declared You press the button, we do the rest. In 1888, the practice of photography, still in its infancy, brought the conditions of a technical liberation. The switch from film to digital, much later was an opportunity for a paradigm shift along the same lines as an easy access to the photographic medium, with the particularity that this shift implied forgetting light, a vital element of photography. “Due to the immediacy of the medium and its increasing automatization, the main element – light - has essentially been overlooked”, wrote Anne-Cécile Jaeger in her beautiful book La photographie contemporaine par ceux qui la font (Contemporary Photography for those who make it). Today some artistic projects go as far as not using a camera (the very tool which produces images) to create images that however resemble formally a photograph. This is the case with Turkish artist Sergen Şehitoğlu, who in his latest series – Kill Memories and Google Street View presented by the Paris gallery Backslash – creates all of his images with a computer and internet, and therefore without any intervention of any photographic device. His first series presents screen-captures, accumulated over time, of a young woman who contacts her customers via a webcam. In the second series, the images which are also screen captures, show what the Google Car records for Google Street. In both cases, the images resemble photographs very closely. Except that the sensor has disappeared, the shutter also, the light meter, they have all gone; yet the essential aspect of the Decisive Moment remains present. Muted and to a lesser extend, but effectively present. Does photography get its identity by its technical equipments (lens, barrel, timer...) or by the finished object? If the result - this end product - is composed and made of images, but images from a computer, does this mean that it is by essence excluded from the photographic field? The questions of the redefining of the essence of photography appeared with the increasing number of work such as the ones by Jon Rafman and Paolo Cirio who center their artistic project around the production of images without a camera. One was known through his project “9 Eyes”, a website that lists images captured by Google Street View. The other - less known - retrieves images of passers-by captured by Google’s cameras, which he later blurs with a special software. What evolution does contemporary photography draw by abandoning the constraint of a photographic camera, that so far produced the photos? Would it be right to talk of the liberation of photography until it disappears completely and while less traditional photographs – taken by a computer screen for instance - would survive? In other words - and in this context - the photographic camera, if compared to a body, would have seen each of its vital organs deeply altered until amended by other machineries that record, in a similar way, reality. Léa Chauvel-Lévy In 1922 during the famous questionnaire initiated by Steiglitz: “Can a photograph have an artistic sense?” Duchamp replies: “I would love it if it (photography) would repel people from the world of, until something comes along and makes photography unbearable.” Surely photography has distanced us from a certain type of painting, and this “something else”, namely the “vulgarisation” of the action of recording – namely the opposite of democratization – by means of a digital instrument real of reality or assumed reality, its tics, tocs, its failures, renders unbearable the idea of it being photography. The original and philosophical codes, the ethic and the aesthetic, all formal codes are inverted. Photography was born with the second industrial revolution of the 19th century. It’s near death if not already dead with the third revolution – digital – of the 21st century. By certifying this observation, we will manage to move on to new qualifications and critics of a new medium. Yes we are within image, but which one?” Louis Mesplé

Louis Mesplé

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MARC LENOT JOUER AVEC LES APPAREILS : LA PHOTOGRAPHIE EXPÉRIMENTALE CONTEMPORAINE Si vous êtes amené à chercher dans l’index d’un livre d’histoire de la photographie ou dans un dictionnaire spécialisé le mot « expérimental », vous serez le plus souvent bredouille ou déçu. La négligence avec laquelle l’histoire de la photographie semble traiter la photographie expérimentale contemporaine incite à s’interroger, non point sur son existence réelle - amplement démontrée par tous ces photographes qui osent s’exprimer hors des canons techniques habituels, avec une totale liberté, en reprenant la photographie « par la racine » et en en repoussant les limites -, mais sur sa légitimité conceptuelle, et donc sur sa définition propre. La thèse que je viens de soutenir à l’Université Paris 1 a tenté de fournir une telle définition, à partir de divers travaux esthétiques et philosophiques, et en particulier à partir des écrits du philosophe des médias Vilém Flusser (1920-1991), dont son essai Pour une Philosophie de la Photographie (1983 ; traduction française 1996). La définition que j’ai proposée là est la suivante : « un acte délibéré de refus critique des règles de l’apparatus de production photographique, par lequel le photographe remet en question un ou plusieurs des paramètres établis du processus photographique ». À partir de cette définition, j’ai étudié le travail de 150 photographes contemporains, principalement européens et nord-américains. J’ai commencé par quelques artistes conceptuels qui, autour de 1970, ont questionné les principes mêmes de la photographie : William Anastasi, Michael Snow, Ugo Mulas, Jan Dibbets, Timm Rautert et John Hilliard. J’ai ensuite analysé les travaux des photographes expérimentaux contemporains selon trois grandes pratiques : démonter l’appareil, défaire l’image et déplacer l’auteur. Ceux qui démontent l’appareil parfois n’utilisent pas d’appareil du tout, et réalisent alors des photogrammes (parmi eux, des Anglais comme Susan Derges, Garry Fabian Miller ou Adam Fuss, mais aussi l’école allemande autour de Floris Neusüss, des Français comme Pierre Savatier, Evelyne Coutas ou Henri Foucault, et des Nord-Américains comme Michael Flomen, Walead Beshty et James Welling). D’autres, nombreux, se passent d’objectif et font donc des photographies à la camera obscura (ainsi Paolo Gioli, Gábor Ösz, Vera Lutter ou Steven Pippin, et bien d’autres). Certains réinventent l’appareil, que celui-ci soit rudimentaire (tels Bernard Plossu) ou qu’ils le fabriquent eux-mêmes (comme Miroslav Tichý) ; et ils vont parfois jusqu’à détruire l’appareil luimême (Steven Pippin). D’autres enfin jouent avec la matière photographique même, comme Silvio Wolf ou Juliana Borinski, allant jusqu’à pratiquer une photographie horizontale, dans laquelle le support n’est plus perpendiculaire à la lumière et le rapport du photographe au sujet est donc radicalement modifié (et c’est là toute la réflexion de Aïm Lüski). Le deuxième groupe des photographes expérimentaux s’attache à défaire l’image : certains font des photographies aux marges du visible, comme Adam Fuss dans le noir ou Rossella Bellusci dans le blanc aveuglant, Chris McCaw face au soleil ou Dorothée Smith avec une caméra thermique. D’autres s’affranchissent de l’obligation du temps instantané et réalisent des photographies dans la durée : ce peuvent être les images en défilement continu de Patrick Bailly-Maître-Grand ou de Paolo Gioli, les photographies figées d’Estefanía Peñafiel Loaiza ou les très longues prises de vue de Michael Wesely, qui, toutes, introduisent une dimension temporelle dans la photographie. Bien des photographes défont l’image en jouant avec la chimie de différentes manières, les plus originales étant sans doute les chimigrammes de Pierre Cordier ou les oxydations de Nino Migliori, ainsi que les travaux avec des produits dont la validité a expiré (Alison Rossiter) ou les manipulations des polaroïds (Ellen Carey, James Welling et, là encore, Paolo Gioli). Enfin, certains artistes questionnent le négatif (ainsi Gábor Ösz) et jouent avec les tirages, qu’ils peuvent par exemple réaliser sur des supports très divers (comme Ackroyd & Harvey sur de l’herbe, ou Thomas Maileander sur de la peau) ou qu’ils ne fixent pas, délibérément (ainsi Thu Van Tran). Dans chacun ou presque de ces cas, on s’interroge : « Est-ce encore de la photographie ? Quand Dennis Oppenheim prend un coup de soleil, quand Richard Conte insole une pomme avec un dessin, est-ce encore de la photographie ? Peut-on la définir par ses limites, ce qu’elle inclut et ce qu’elle exclut ? » Enfin, le troisième groupe de photographes expérimentaux questionne l’auteur lui-même. Les uns impliquent le corps du

photographe dans l’acte photographique, qu’il devienne déclencheur (comme dans les camerae obscurae de Jean-François Lecourt ou de Thomas Bachler, où c’est un tir au fusil dans une boîte photographique fermée qui va créer l’orifice d’entrée de la lumière) ou qu’une cavité corporelle se transforme en chambre de prise de vue : la bouche de Lindsay Seers ou de Ann Hamilton, le poing de Paolo Gioli ou le vagin de Melsen Carlsen, à l’intérieur desquels la surface sensible est impressionnée par l’image du dehors. Une autre manière de déplacer l’auteur est de l’effacer, de laisser le hasard prendre des photographies à sa place (comme Noël Dolla ou Andreas Müller-Pohle) ou de mettre en place un dispositif où ce sont les visiteurs d’une exposition qui prennent eux-mêmes les photographies et où l’artiste n’est plus variment photographe mais devient ordonnanceur, incitateur et programmateur (Franco Vaccari). Ces différentes pratiques expérimentales sont à la fois diverses et homogènes : chacun pratique une technique, un protocole différent, mais tous se rejoignent pour questionner les paramètres standard de la photographie, affirmant ainsi leur créativité, leur liberté et leur volonté de se jouer des appareils, souvent avec humour. Ces photographes ne constituent pas un mouvement établi, une école, mais tout au plus un courant, un moment inscrit dans le temps, entre le déclin du documentaire analogique et l’avénement de la photographie numérique.

C’est donc au moment où la photographie numérique prend en charge la mission de représenter le monde que la photographie analogique, désormais déchargée de cette tache, peut se consacrer à une réflexion sur elle-même, qui mène à l’expérimental (de même que, à la fin du 19e siècle, la photographie, désormais facile et instantanée, permit à la peinture de s’interroger sur ellemême et d’évoluer vers cubisme et abstraction). On peut donc voir là, plutôt qu’un chant du cygne, une forme dandy de réticence face à la modernité, une manière anachronique et élégante de résister au monde contemporain, et, en même temps, une réinvention moderne, une pensée novatrice et féconde. English translation on offthewallphotobook.com. Marc Lenot est auteur d’un mémoire de l’EHESS sur le photographe tchèque Miroslav Tichý. Il est depuis onze ans l’auteur du blog sur l’art contemporain Lunettes Rouges publié sur le site du Monde. Il a été le premier membre français « non papier » de l’Association Internationale des Critiques d’Art, et a remporté en mars 2014 le prix AICA France de la critique d’art. Il vit entre Lisbonne et Paris.

Dorothée Smith

SANS TITRE, SÉRIE TRAUM, 2015 COURTESY GALERIE LES FILLES DU CALVAIRE


Directrice de la creation A n n a - A l i x k o f f i Direction Artistique k o f f i a n n a - a l i x av e c A r n au d m a i l l a r d

c o n t r i b u t e u r s

r é dac t r i c e e n c h e f a l i x - a n n a k o f f i Léa chauvel-lévy olivia marsaud sarah preston marie medevielle sarah mor oz mar c lenot charlot te fl aussauT Genviève hofman pauline noguès

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Ne pas jeter sur la voie publique


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