Marie de Castelet_CR Clément Chéroux

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L2 S4 Médiation Culturelle

Photographie de Presse

Compte Rendu d’article : « Le déjà vu du 11 septembre », par Clément Chéroux.

Clément Chéroux, historien de la photographie et conservateur pour la photographie au centre Pompidou depuis 2007, est également le directeur de publication de la revue Etudes Photographiques, d’où nous parvient directement cet article intitulé « Le déjà vu du 11 septembre », datant de juin 2007. Comme il l’est écrit dans le premier paragraphe de cet article, le 11 septembre 2001 constitue « l’événement le plus photographié de l’histoire du photojournalisme ». Six ans après les attentats, Clément Chéroux, bénéficiant ainsi d’un recul assez important, propose d’analyser de plus près ces images qui nous ont été données sur ces événements. Il va, tout au long de son article, poser la question de la répétition des images, mais aussi de ce qu’elles répètent. Il développe trois grands points pour répondre à cette question. Tout d’abord, il montre la répétition de ces quelques mêmes images qui circulent dans les médias pour illustrer un seul et même événement. Puis, il propose d’analyser l’analogie iconographique que les rédactions presse ont choisie pour illustrer les attentats : celle de l’attaque de Pearl Harbor. Il développe et analyse ici le principe d’intericonicité comme processus médiatique. Enfin, il étudie l’ère de commémoration - ou le Memory boom dans laquelle nous vivons, et son rapport à l’histoire. Dès le début de son article, Clément Chéroux pose des constats. Le plus évident consiste à montrer que, malgré la pluralité de photographies qu’ont engendré les attentats, les rédactions presse ont quasiment toutes choisies la même pour représenter l’événement : seulement six images différentes furent montrées en une de journaux. Cela rappelle, par exemple, la photographie de Tadashi Okubo, qui fit le tour du monde et des unes de journaux pour illustrer le séisme au Japon de mars 2011 et qui devint rapidement une icône. Cet exemple récent montre que c’est un mécanisme médiatique qui est aujourd’hui courant. Clément Chéroux explique ceci par la mondialisation et ses conséquences dans le domaine médiatique : ce sont désormais de gros groupes financiers qui gèrent une offre visuelle plus rare, uniformisée, et donc répétitive. C’est en cela que Clément Chéroux montre en premier 1


lieu que les images se répètent. Mais il pose une autre question, qui se différencie de cette répétition immédiate, à savoir celle concernant le déjà vu historique des images.

Le choix d’une rhétorique iconographique : l’intericonicité comme processus médiatique. Relativement peu d’images différentes firent la une pour rendre compte des attentats du 11 septembre 2001. Mais au delà de répéter les mêmes images illustrant les attentats du World Trade Center, les médias vont vite rapprocher les évènements du 11 septembre d’un autre : celui de l’attaque japonaise de Pearl Harbor. Les deux évènements ont, en effet, immédiatement été mis en relation, par les journaux, qui, par des mots tels que « Infamy » ou même des textes développant clairement une comparaison entre les deux évènements, renvoient à l’attaque du 7 décembre 1941. Certains journaux de septembre 2001 publièrent même deux images, l’une de New York, et l’autre de Pearl Harbor, côte à côte, cherchant ainsi à montrer le lien entre ces deux attaques. Par ailleurs, l’exemple le plus frappant de cette analogie réside dans le rapprochement de la photographie de Thomas Franklin, photoreporter du Record qui réalisa l’image de trois pompiers de New York le 11 septembre 2001 vers 17h, et la célèbre image des six marines déployant le drapeau américain sur Iwo Jima, prise par Joe Rosenthal le 23 février 1945. Cette image icône, qui représente la revanche américaine sur le Japon, constitue la photographie la plus reproduite de l’histoire visuelle des Etats Unis : elle fut largement utilisée par la Navy pour des campagnes de recrutement, rejouée dans des films, constitua une source d’inspiration pour des publicités et dans le domaine de l’art mais aussi engendra la réalisation de divers objets dérivés (statues, badges, porte clefs, timbres...). Clément Chéroux montre ici à quel point le destin de la photographie de T. Franklin est lié à celui de celle de J. Rosenthal. En quelques jours, l’image des trois pompiers de New York connut un succès immédiat, aux Etats-Unis comme à l’international. Elle fut remise en scène lors de championnats sportifs ; reproduite en statue de cire, en vitrail et également en mosaïque de perles ; fut éditée sur un timbre tiré à 128 millions d’exemplaires en deux ans ; imprimée sur des posters... Cette « kitschification » du 11 septembre fut largement permise grâce à cette photographie devenue, elle aussi, une icône. Clément Chéroux insiste, cependant, sur l’attribution de ce succès à l’effet de citation de la photographie de Joe Rosenthal. En effet, on peut se demander si l’image de Thomas Franklin aurait connu le même succès si celle de Joe Rosenthal n’avait jamais existé. Aurait-elle même été réalisée et publiée ? Egalement, au delà de ce simple 2


renvoi iconographique, les deux images firent l’objet d’une hybridation. L’exemple d’une figurine en plastique montre cette association : elle représente les trois pompiers de T. Franklin, dans la position particulière des six marines de J. Rosenthal, de sorte que l’on croirait que les deux moments historiques ne font plus qu’un. Avec ces deux images intriquées l’une dans l’autre, Clément Chéroux parle ici d’intericonicité, qu’il définit comme « un système de renvoi, d’association, voire d’hybridation » : l’image initiale continue d’exister sous la nouvelle qui lui est associée. Ces deux exemples d’images montre que les icônes des attentats de New York renvoient peut-être même davantage à ce qui a déjà existé, que ce dont elles sont la trace indicielle. Dès lors, on peut se demander pourquoi, et dans quel but, avoir fait ce choix médiatique d’intericonicité. Selon Pierre Nora, ce processus n’est pas nouveau, et ce choix de répétition n’a jamais été aussi présent dans les médias que dans les quinze dernières années. Ce processus a plusieurs buts, et notamment celui de souligner la gravité des évènements. En convoquant un événement d’une telle gravité, les médias veulent montrer aux lecteurs la portée historique de l’événement qu’ils sont en train de vivre. Ce raccourci témoigne de la volonté de montrer les attentats comme un acte de guerre, plus qu’un acte criminel. Pearl Harbor est l’événement choisi pour faire prendre conscience de la gravité des attentats, plus que l’explosion du dirigeable de 1937 ou l’incendie de San Francisco de 1906, bien que ces derniers puissent être autant comparables aux attentats du World Trade Center, de par leur iconographie de flammes et fumée. Choisir cette analogie, c’est également espérer une réaction américaine face à cette « infamie » de même type que celle ayant suivi l’attaque japonaise de décembre 1941. Ainsi, ce rapprochement de deux évènements historiques, mis sur le même plan et semblant dire les mêmes choses, pose problème du point de vue de l’histoire. Si ce n’est la portée nationale qu’ils ont tous deux engendré, ces deux évènements n’ont rien à voir l’un avec l’autre.

L’ère de la commémoration et son rapport à l’histoire. Avec cette analogie iconographique, l’expression « l’histoire se répète » se répand dans les journaux. Le parallèle fait entre les deux évènements en construit la perception. Or, il ne paraît pas possible de considérer l’histoire comme un processus cyclique, comme le démontrent les historiens. Dès lors, la couverture médiatique ne se situerait pas dans une approche historique mais plutôt de mémoire, qui, elle, est fondée sur la répétition et sur l’habitude. Selon Pierre Nora, nous serions entrés dans une ère de la commémoration, ou 3


encore de « Memory Boom » (expression de Jay Winter). Jacques Le Goff parle même de « débordements de la mémoire », qui se traduisent en commémorations en tous genres, que la presse aurait surmédiatisées. La quantité de produits médiatiques et culturels consacrés à l’histoire aurait favorisé cette ère de la « sur commémoration » : création de chaines télévisées câblées, développement de l’information en continu, développement de films historiques ou encore la multiplication de sites internet spécialisés, qui ne manquent pas un anniversaire, centenaire ou bicentenaire... Ce travail de commémoration constitue donc encore une fois une tentative d’expliquer le présent par le passé. L’histoire ne se répète donc pas, mais est répétée par les médias. Il est important de considérer cette ère de commémoration lorsque l’on aborde l’intericonicité entre les attentats du 11 septembre et l’attaque de Pearl Harbor. Les EtatsUnis, en 2001, bien avant les évènements de New York, se trouvaient, en effet, dans un processus de commémoration. A l’occasion des 60 ans de Pearl Harbor, nombre d’émissions spéciales, livres et films commençaient à aborder, dès janvier, le thème de l’attaque japonaise. Le livre, publié en 2000, de James Bradley, le fils d’un des marines photographié par J. Rosenthal, propose de revenir sur cette photographie icône, d’observer l’impact qu’elle eut sur les vies des trois survivants, mais aussi et surtout, de raviver la mémoire des Américains sur cette journée du 7 décembre 1941. Egalement, le film des studios Disney, Pearl Harbor, sorti le 30 mai 2001 aux Etats-Unis, participe à ce travail de réactivation de la mémoire. Le succès qu’il rencontre est tel que l’on parle d’un blockbuster qui a « transformé Pearl Harbor en véritable industrie culturelle ». Plus qu’une image, le film propose du mouvement, du son et des effets spéciaux spectaculaires qui marquent les esprits, et ainsi donnent de la vie aux icônes. L’année 2001 voit donc, bien avant le 11 septembre 2001, se construire un environnement de mémoire pour Pearl Harbor. Il est à présent facile de comprendre l’analogie avec Pearl Harbor, que les médias ont tout de suite établie après les attentats, étant donné le contexte mémoriel dans lequel se situaient les Etats-Unis les mois précédant le 11 septembre. Le film Pearl Harbor du groupe Disney montre un autre aspect important. Hollywood agirait, avec l’aide des médias, comme un filtre, ayant pour conséquence le renvoi, non pas à l’histoire mais à la mémoire. Son interprétation « spectacularisée » des évènements du 7 décembre 1941 s’inscrit davantage dans les mémoires des individus que la véritable histoire de Pearl Harbor. Le divertissement hollywoodien ainsi que sa promotion dans la presse doit être doublement pris avec recul : il relève plus de l’information spectacle que de l’information scientifique, documentaire. Clément Chéroux explique ceci par la mondialisation : ce sont souvent les mêmes groupes financiers qui gèrent l’industrie des médias et celle du 4


divertissement. Il est donc compréhensible que les journaux, qui ont travaillé depuis mai 2001 sur la promotion du film retraçant l’attaque japonaise, trouvent et affichent une relation entre Pearl Harbor et le 11 septembre 2001. Il déclare aussi que l’offre visuelle, se raréfie et est standardisée, à la fois géographiquement mais aussi temporellement, c’est-à-dire que les médias cherchent à nous montrer hier dans les évènements d’aujourd’hui. La mondialisation aurait ainsi des effets sur la façon d’aborder un événement médiatique et historique.

Ainsi, dans son article, Clément Chéroux montre qu’au delà d’une répétition des mêmes images, qu’il explique par la mondialisation, on voit apparaître depuis une quinzaine d’années un processus d’intericonicité consistant à rapporter des évènements du présent à ceux que l’on a connus dans le passé. Ainsi on assiste à une autre répétition, qui rejoint cette fois le domaine de la mémoire. Clément Chéroux explique que cette ère de commémoration dans laquelle nous sommes rentrés a tendance à aplanir l’histoire, et qu’il pourrait s’agir ici d’une autre dérive de la mondialisation.

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