Une Décennie

Page 189

NICOLAS MULLER poésie de l’espace texte : Laura-Maï Gaveriaux photo : Jérémie Grandsenne, 2010, blanc correcteur sur carte postale, 10,5 x 15 cm

Le rapport qu’entretient Nicolas Muller au processus créatif est intimement lié à la matière : il est intuitif, il n’a rien de prémédité : « pour moi la couleur n’a aucune portée conceptuelle, elle est vraiment liée à l’envie… » Ça, c’est pour la genèse de la partie de son travail constituée de dessins, de peintures, d’œuvres sur papier, réalisées à l’atelier… En ce qui concerne les projets en volume, les idées peuvent surgir de façon fortuite dans l’esprit de l’artiste, « en marchant dans la rue, en allant acheter mon kilo de tomates au supermarché »… Parce que là aussi, il y a quelque chose de l’ordre du premier jet, l’idée telle qu’elle lui est venue se verra réalisée assez fidèlement… Il y a quelque chose du parti pris dans la volonté de Nicolas Muller de respecter ce côté incisif, sanguin et tranchant de l’intuition, de ne pas la noyer dans une élaboration a posteriori trop sophistiquée. Il y a bien sûr toujours la possibilité d’un lien entre le lieu et l’œuvre : investir un espace amène à en saisir les spécificités, qu’elles soient d’ordre architectural, sociologique, historique… C’est ainsi qu’il a pu s’installer dans des préaux d’école, des lieux en friches, des anciens appartements inoccupés… Réfléchir aux spécificités de l’espace, parce que « lorsqu’on met un dessin au mur, l’œuvre ne se passe pas que dans l’espace du dessin, elle a lieu sur le mur entier ». C’est ainsi qu’il aspire à investir prochainement l’espace carcéral, pour y travailler sur les idées de cloisonnement et de décloisonnement, si prégnantes dans son travail. « Quelle résonance au fait de faire un travail artistique aujourd’hui ? » Cette question, même s’il la pose fugacement, comme

pour se retenir de trop conceptualiser sa démarche, Nicolas Muller paraît la traiter en note de fond, ne serait-ce que par les préoccupations sociales qui émargent de sa création… Il aime se pencher sur la façon dont les sociétés envisagent l’espace, son utilisation et la place de l’œuvre dans cet espace. « Lorsque je suis en processus de production, j’aime me rapprocher des artisans, me rapprocher des techniciens, des médiateurs, des régisseurs et de toutes ces personnes qui gravitent autour d’un lieu et j’aimerais que mon travail porte encore plus, à l’avenir, cette chose englobante qui constitue l’œuvre » : c’est ainsi qu’il concevrait sa propre démarche d’art participatif. Il n’est pour autant pas question de faire un art illustratif, mais de faire porter, par son travail, cette conscience d’une certaine situation économique et politique dans laquelle il s’inscrit. Pour Nicolas Muller, l’espace n’a de valeur que parce qu’il porte la marque de l’humain. « L’art est en fait potentiellement un espace de consensus, dans lequel on peut fédérer des questionnements et des aspirations esthétiques, sur un fond primitivement transgressif. » Son histoire avec Octave Cowbell est profondément reliée à son éclosion artistique : « Je me souviens de mes premières visites à la galerie Octave Cowbell en 2002 : d’abord une exposition signée Corentin Grossmann, ensuite une carte blanche laissée à Samuel François. À l’époque, je connaissais peu ces artistes mais je nous savais de la même génération : la vingtaine toute fraîche, le premier encore étudiant et le second tout juste diplômé. Les travaux d’artistes jeunes et confirmés se sont croisés chez Octave Cowbell et la perspective d’une exposition à la galerie m’est vite apparue comme une magnifique première 187

opportunité de montrer mon travail hors du contexte scolaire. » Le parcours esthétique et culturel de Nicolas Muller est un univers intérieur foisonnant, qu’il aime évoquer dans l’ordre de ses découvertes… On lui laisse carte blanche, il convoque sa galerie idéale… 2003 : Dolls (2002), film de Takeshi Kitano ; 2006 : Amor vacui, horror vacui, exposition de John M Armleder, Mamco, Genève ; 2006 : Le Cœur Absolu (1987), roman de Philippe Sollers ; 2007 : He Weeps for You (1976), installation de Bill Viola présentée à la Hamburger Bahnhof, Berlin ; 2008 : L’ivresse de l’absolu, exposition avec Pierrette Bloch, Hanne Darboven, Pierre Ferrarini, Wolfgang Laib, Roman Opalka, Niele Toroni et Claude Viallat, Fondation Salomon, Alex ; 2008 : They live (1988), film de John Carpenter ; Un Prophète (2009), film de Jacques Audiard ; 2010 : Nummer Acht (2007), film de Guido Van Der Werde, présenté à l’occasion de l’exposition Esthétique des pôles. Le testament des glaces, Frac Lorraine, Metz ; 2010 : Innen Stadt Außen, exposition de Olafur Eliasson, Martin-Gropius-Bau, Berlin ; 2010 : Bruit (1993), vidéo de Absalon présentée à la Hamburger Bahnhof, Berlin ; 2010 : Körper (2000), chorégraphie de Sasha Waltz, Schaubühne, Berlin ; 2011 : The Clock (2010), film de Christian Marclay présenté lors de la 54e Biennale de Venise ; 2012 : B, installation de Trickster-P présentée lors du festival Far°, festival des arts vivants, Nyon… Aujourd’hui et depuis quelques années déjà, il vit et crée à Genève qu’il évoque presque comme une utopie : un point aveugle au sein duquel il lui est laissé suffisamment de champ pour se forger sa propre vision et aller chercher ailleurs de quoi le nourrir et l’inspirer ici.


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.