La crise de 2009 en Guadeloupe : le rôle des statistiques dans le dialogue social

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Première partie

du 24 au 28 janvier 2009, la chaîne Canal 10 interrompt tous ses programmes pour retransmettre l’événement en direct et de nombreux Guadeloupéens sont devant leur poste de télévision. Or, ils voient là pour la première fois une organisation syndicale tenir fermement tête aux services de l’État. Le préfet, accompagné de ses principaux directeurs, est réellement mis en difficulté par les attaques du LKP. Un tel événement est considéré comme une véritable première dans la longue histoire des conflits sociaux en Guadeloupe et cette victoire symbolique du LKP, compte tenu de l’histoire des rapports de domination, sonne comme une révolution et génère un intense sentiment de fierté chez de nombreux Guadeloupéens. Ces journées permettent en outre au mouvement de prendre d’un coup une grande ampleur. Pour Paris, ce conflit social devient d’autant plus menaçant que des grèves sont annoncées en France métropolitaine pour fin févier 2009, l’effet d’entraînement est alors très craint. Yves Jégo décide donc de venir en personne régler la question en Guadeloupe. Au-delà de l’anecdote, cette victoire fait date dans la trajectoire politique guadeloupéenne et elle est fort importante pour comprendre l’enjeu qui se noue autour de l’utilisation des chiffres. Ce succès donne en effet la mesure de la rupture avec le passé qu’incarnent les méthodes du LKP, véritable « mouvement du XXI e siècle ». Celui-ci a ainsi en premier lieu su développer une stratégie médiatique très habile. La tenue de la séance de négociation diffusée par la télévision a bien sûr été déterminante pour la suite. Mais, de nombreux autres éléments le confirmeront, à commencer par la mise en avant d’Elie Domota, excellent orateur, qui présente de manière très convaincante les dossiers et sait au besoin se montrer virulent et populiste, comme lorsqu’il orchestre savamment ses dérapages verbaux contre l’Etat « colonial » et « raciste », par exemple. Plus généralement, le mouvement de 2009 a grandement bénéficié de la résonnance médiatique nationale et internationale [ 11] qu’il a su déclencher [ 12] . Le LKP témoigne de l’arrivée sur la scène politique de leaders qui mettent en avant de nouvelles compétences et sont à même de contester de l’intérieur le « modèle de développement » guadeloupéen actuel, et d’en dénoncer l’essoufflement (Larcher, 2009). Nés après la départementalisation (qui date de 1946) et ayant grandi après le démarrage des premières politiques massives de transfert visant le « rattrapage » (depuis les années 1960), le LKP compte des leaders issus du cœur du système politico-administratif (Elie Domota est par exemple directeur adjoint de

[ 11] Cf. Maragnès, 2009. [12] Même s’il a fallu attendre deux semaines, c’est à dire du 20 janvier au 4 février 2009, pour que la presse nationale s’intéresse au mouvement de grève.

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© AFD / Février 2012 / La crise de 2009 en Guadeloupe : le rôle des statistiques dans le dialogue social


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