Vers un nouveau vernaculaire, Simon Velez

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VERS UN NOUVEAU

VERNACULAIRE ?

S5SA / Méthodologie de l’écriture

Ecole nationale supérieure d’architecture de Grenoble

JOBARD - HOUDUSSE Nolwenn

[1] «En 2019, les emissions de CO2 des bâtiments atteignent des sommets» in environnement magazin, 16/12/2020 [en ligne], URL: https:// www.environnement-magazine.fr/ pollutions/article/2020/ 12/16/131589/2019

Introduction

Si le dérèglement climatique est un enjeu central dans notre société actuelle, il est d’autant plus important d’en prendre conscience dans nos études et nos pratiques de l’architecture.

Le secteur du bâtiment et de la construction atteint des records en termes d’émissions de CO2 à l’échelle mondiale. Selon l’Alliance mondiale pour les bâtiments, le secteur représenterait 38 % des émissions mondiales (chiffres de 2019) 1. Ainsi, nous avons architectes, un rôle primordial à jouer pour limiter le réchauffement climatique et réduire l’impact environnemental du secteur de la construction et du bâtiment.

Pour répondre à cet enjeu majeur du XXIe siècle, certain.e.s chercheur.e.s et architectes se tournent alors vers le domaine de l’innovation : dans les matériaux, dans les modes de constructions. Cela dans le but de rendre les chantiers de moins en moins polluants, de tendre vers des bâtiments dits «BEPOS» (bâtiments à énergie positive), capables de produire plus d’énergie qu’ils n’en consomment.

C’est d’ailleurs, dans ce contexte que Thierry Mandoul, architecte et docteur de l’université de Paris VIII, soulève des questions intéressantes dans son article “Climat(s) : nouveau paradigme pour l’architecture ?” dans la revue de Raison Publique en 2012 :

«Si la capacité de production de la société industrielle a pu assurer à une partie des habitants de cette planète une relative prospérité, est-il encore possible de poursuivre ce

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type de développement qui sacrifie les écosystèmes sans même garantir l’essor du reste de la population mondiale ?

La situation climatique, n’oblige-t-elle pas à reconsidérer notre relation au monde, à définir un nouveau projet politique, à envisager un nouveau rapport à l’espace autour de la question écologique ?» 2. En effet, à l’heure où la pandémie mondiale de la Covid 19 n’a fait qu’accélérer la mise en lumière des limites et des failles du système d’approvisionnement en matières premières et du système d’industrialisation dans le secteur de la construction, elle remet également en cause notre relation à l’environnement.

On peut alors se questionner sur la politique actuelle qui se concentre sur la nécessité d’approfondir dans le domaine de l’innovation. Est-ce vraiment l’unique manière de répondre aux enjeux actuels ? Même si l’héritage de l’architecture moderne, nous pousse à regarder vers l’avenir, rappelons-nous de ce qui a pu exister auparavant. Nous avons derrière nous un long passé d’expérimentation, auquel nous pouvons nous référer.

Ainsi, l’architecture vernaculaire nous semble être un modèle intéressant pour répondre aux enjeux sociétaux et climatiques actuels. Bien qu’elle soit difficile à définir, elle est un type d’architecture qui est indigène/traditionnelle à un moment et à un lieu spécifique et qui n’est pas reproduit ailleurs. Elle est possible grâce aux compétences acquises des constructeurs locaux, sans besoin d’architectes et grâce aux ressources locales 3. Mais l’architecture vernaculaire ne répond pas forcément à notre exigence de confort actuel.

C’est bien avant la pandémie de la Covid 19, que Pierre FREY, introduit la notion de “nouveau vernaculaire”. Dans son livre Learning from vernacular, l’auteur écrit : «La connexion des savoirs ancestraux et des connaissances scientifiques modernes ne devrait pas être pensée comme les termes d’une alternative. Celles-ci comme ceux-là devraient être complémentaires» 4. L’auteur n’oppose pas clairement l’innovation et le vernaculaire. Il établit un lien

[2] Mandoul Thierry, «Climat(s) : nouveau paradigme pour l’architecture ?» in Raison Publique n°17, 2012, p.141 à 161.

[3] Douce cahut, https:// maison-monde.com/architecture-vernaculaire/

[4] FREY Pierre, Learning from vernacular architecture pour une nouvelle architecture vernaculaire», Arles, Editions Actes Sud, novembre 2010

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entre l’héritage des savoir-faire de l’architecture vernaculaire, et la richesse des savoir-faire actuels. Ceux-ci sont bien deux ressources essentielles pour reconnecter notre monde à des politiques répondant aux préoccupations mondiales. C’est d’ailleurs la jonction de ces deux termes qui permet d’amorcer la notion de “nouveau vernaculaire”. 5 Au croisement de l’héritage vernaculaire, des savoir-faire et de l’innovation du XXIe siècle, elle renoue avec une logique vernaculaire 6.

C’est en nous intéressant à l’architecte Simon Veléz, que l’on peut se rendre compte qu’au travers de son travail sur l’architecture de Bambou en Colombie, le “nouveau vernaculaire” est une réelle alternative et réponse aux enjeux contemporains. Vélez à l’art de combiner des savoir-faire vernaculaires, traditionnels, tout en laissant place à l’architecture contemporaine.

Ainsi, il me semble intéressant de montrer de quelle manière le “nouveau vernaculaire” peut-il être une réponse aux enjeux contemporains ? Plus précisément, comment cette hybridation entre savoir-faire ancestraux et innovations technologiques peut-elle être une alternative à la crise écologique et industrielle actuelle ?

Dans un premier temps, nous essayerons de comprendre les enjeux contemporains dans notre société, en montrant les limites du système actuel. Dans un second temps, nous essayerons de comprendre en quoi le vernaculaire peut-être un modèle pour l’architecture contemporaine et en quoi la notion de nouveau vernaculaire, au travers de la production de Simon Veléz, nous semble être une alternative.

I. Des enjeux contemporains à prendre en compte

Après le rassemblement des chefs d’État à la COP26 de Glasgow lors du mois de novembre 2021, les préoccupations autour du dérèglement climatique ne

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[5] ibit [6] Ibit

cessent d’augmenter. L’accord signé le 13 novembre 2021 encourage les États à diminuer leur recours aux énergies fossiles et ne plus les financer 7.

En effet, selon le ministère de la transition écologique, le secteur du bâtiment représente 43 % des consommations énergétiques annuelles françaises et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) français 8. Bien que la France mette en avant les nombreuses réglementations de ce secteur, et incite les acteurs du bâtiment à construire plus durablement, on peut rester insatisfait de ces objectifs réglementaires.

Des réglementations et une politique de soutenabilité faible

En effet, les centaines de réglementations en termes de construction mises en place par le gouvernement français sont-elles réellement nécessaires, et/ou suffisantes ? Il existe les RT (réglementations thermiques) pour que les constructions neuves respectent un niveau de performance énergétique et des exigences de confort et de consommation d’énergie donnés 9. Les lois Grenelles de Paris en 2009 et 2010, qui permettent de se diriger vers des BBC (bâtiment basse consommation) 10. Nous ne les citerons pas toutes, mais elles sont nombreuses. Elles se complexifient, mais ne sont pas suffisantes. Car même si dans les médias et la politique, on vante les mérites d’une écologie de surface, qui prône des réglementations plus complexes les unes que les autres. L’état ne fait que résoudre les problèmes de surface, au travers de règles mais ne prend pas au sérieux la catastrophe qu’est la crise écologique actuelle.

Les politiques économiques et industrielles actuelles sont basées sur un modèle de soutenabilité faible. Ce qui veut dire que, l’État tente de trouver des solutions à un développement plus durable. Il considère que, pour le bien-être des générations futures soit égal à celui des générations présentes, il faut que le stock de capital (naturel, social,

[7] «COP26 : les principales mesures à retenir» in L’info durable, tous acteurs [en ligne] Mis en ligne le 15 novembre 2021, URL : https:// www.linfodurable.fr/ environnement/cequil-faut-retenir-de-lacop26-29534

[8] Ministère de la transition écologique, «Construction et performance environnementales du bâtiment» in Ministère de la transition écologique [en ligne] Mis en ligne le 28 septembre 2021, URL : https://www.ecologie. gouv.fr/constructionet-performanceenvironnementale-dubatiment

[9] ministère de la transition écologique, «Réglementation Thermique RT2012» [en ligne], Mis en ligne le 23 novembre 2020, URL : https:// www.ecologie.gouv. fr/reglementationthermique-rt2012,

[10] Pelletier Philippe, «Les Grenelles de l’environnement et le secteur du bâtiment» , in Le blog du droit de l’urbanisme et de l’aménagement [en ligne] Mis en ligne le 9 juin 2010, URL : https://droit-urbanismeet-amenagement. efe.fr/2010/06/09/ le-grenelle-deenvironnement-et-lesecteur-du-bâtiment/, consulté le 28/11/2021

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[11] Vivien FranckDominique,«Les modèles économiques de soutenabilité et le changement climatique», in La Découverte, 2009/2 n°6, pp. 75-83

économique) de la société reste intact d’une génération à l’autre. Mais on entend que chaque capital est substituable par celui créé par l’homme. Ainsi, les générations présentes consomment le capital naturel (les ressources naturelles) et en contrepartie, laissent aux générations futures la capacité de production (connaissances, recherches, financement pour la recherche et le développement) pour compenser 11.

[12] Ibit

Mais cette soutenabilité faible à des limites : la dégradation du capital naturel (forêts, l’eau, la pierre…) peut entraîner la diminution voire la disparition des autres capitaux: si le climat se dégrade, il peut induire de grands bouleversements: des catastrophes naturelles, des extinctions d’espèces, qui viennent diminuer la disponibilité des matières premières indispensables à la production et donc aggraver la crise écologique 12 .

Une industrie qui atteint ses limites

[13] Ministère de la transition écologique, “Matériaux de construction biosourcés et géosourcés” [en ligne], mis en ligne le 12/04/2021, consulté le 30/11/2021

URL : https://www. ecologie.gouv.fr/ materiaux-construction-biosources-et-geosources, consulté le 28/11/2021

Même si l’industrie du bâtiment tend vers une approche plus durable, grâce à l’utilisation de matériaux bio-sourcés (issus de la matière organique renouvelable) 13, tel que le bois, ou la terre, l’industrie en tant que telle posera toujours le problème de l’épuisement des ressources. Dans son essence même, elle impose une production de masse. Ainsi, même si tous les bâtiments de demain sont édifiés en matériaux bio-sourcés, leur utilisation massive créera une raréfaction de ces matériaux et aura un impact considérable sur notre environnement. C’est ici même que l’on voit les limites du système industriel. Quoi qu’il en soit, la nature atteint ses limites et nous impose de changer radicalement de système.

Repenser son rapport à la terre

Nous avons besoin de repenser notre rapport à la terre pour concevoir un secteur du bâtiment et de la construction plus juste. C’est au travers du philosophe Heidegger que l’on peut trouver des réponses. L’auteur nous démontre les li-

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mites du Développement Durable et des réglementations. L’Homme ne doit pas construire en limitant son impact écologique via des normes de surface, ou l’on croit à un rapport utilitaire à la nature, ou l’on pense que la technologie est l’alternative à l’épuisement des ressources. Au contraire, l’Homme, de fait, prend soin de la nature, puisqu’il en fait lui-même partie 14. Elle n’est pas l’autre de l’homme mais le monde dans lequel on doit s’intégrer. Pour construire sans impacter le climat, un édifice doit respecter la terre, qui ni ne l’exploite, ni ne l’épuise, au travers d’une construction économe, frugale et plus en lien avec la vie et la nature.

II. Un retour au vernaculaire, oui mais un “nouveau vernaculaire”

C’est lorsque nous avons compris les limites de ce système, que nous pouvons nous questionner sur le passé et nous demander ce qui existait avant la première révolution industrielle (XVIIIe siècle). Avant que les problématiques de sur-pollution, de dérèglement climatique apparaissent. Il semble pertinent de nous intéresser à l’architecture vernaculaire, pour y trouver des solutions. Selon Rudofsky, dans “architecture without architects” publié en 1964, l’architecture vernaculaire serait : «une architecture sans maîtres» résultant de l’«exercice de l’intelligence humaine confrontée à la nécessité» et «spontanée et continue des communautés» 15 .

Architecture instinctive, guidée par des besoins précis, elle est l’exemple parfait de ce que peut être une architecture sans artifices, construite avec ce que l’on possède sur nos terres, avec ce que l’on à sous la main. Elle est guidée par l’héritage de savoir-faire, transmis de génération en génération, au travers de l’expérimentation, de l’absence d’architecte pour superviser un chantier. (photo 1) Mais cette architecture n’est pas une solution en tant que telle. En France du moins, puisqu’elle ne pourrait pas correspondre à nos besoins actuels en termes de confort.

[14] Bonicco-Donato Céline, Heidegger et la question de l’habiter, une philosophie de l’architecture, Edition eupalinos, 2019, 195 p

[15] Rudofsky Bernard, architecture without architect, Edition Chêne, 1964

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Maloka, maisons indigènes traditionnelles. Architecture vernaculaire en Bambou. Loretta Emiri

[16] FREY Pierre, Learning from vernacular architecture pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Editions Actes Sud, novembre 2010

[17] Rudofsky Bernard, architecture without architect, Edition Chêne, 1964

Elle est trop frugale, elle relève d’une époque sans trop d’exigence en termes de confort thermique par exemple. Elle est une architecture d’une autre époque, qui répondait à des besoins, à un confort à cet instant, mais ne répond plus entièrement aux nôtres. Mais elle peut servir de référence, de modèle.

Pierre Frey et la notion de «nouveau vernaculaire»

Et c’est dans la notion de “nouveau vernaculaire” 16, que l’on peut trouver des réponses aux enjeux contemporains. On se sert de l’expérience du vernaculaire, en le couplant à nos besoins en confort actuel.

[18] FREY Pierre, Learning from vernacular architecture pour une nouvelle architecture vernaculaire, op.cit

[19] Valéry Paul, Eupalinos, édition gallimard, 1923, 192 p

Pierre Frey, théorise cette notion dans les années 2010. L’auteur entend bien aller à l’encontre de la définition que peut faire Rudofsky du vernaculaire 17. A la différence de ce qu’il énonce dans “architecture sans architectes”. Dans le nouveau vernaculaire, l’architecte est un acteur central. Il est investi dans l’analyse des conditions réelles dans lesquelles se développent les tâches de l’architecte. S’engage à respecter une éthique dans ses missions: respecter son site, son environnement, préserver les ressources, faire travailler dignement les acteurs locaux... Au travers de ses choix architecturaux et ses réflexions, il est celui qui vient renouer avec les traditions en s’appropriant leurs acquis. L’architecte du nouveau vernaculaire s’adapte en fonction des ressources disponibles. Il s’ouvre à des opportunités, voit le chantier comme un lieu d’expérimentation, de production du bâti où s’adapte les éléments du projet 18. Paul Valery dans Eupalinos ou l’architecte disait : «je ne sépare plus l’idée d’un temple et celle de son édification» 19. C’est ce lien entre la conception et la fabrication dont nous parle l’auteur que l’architecte crée.

Simon Vélez, un architecte du «nouveau vernaculaire»

[20] FREY Pierre, Learning from vernacular architecture pour une nouvelle architecture vernaculaire, op.cit

Simon Vélez est un bon exemple de ce que pourrait-être un acteur du “nouveau vernaculaire” 20. Architecte Colombien, né à Manizales en 1949. Fils d’architecte, et petit-fils d’un éleveur, il grandit dans un contexte rural. Il s’inté-

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resse très vite à la guadua angustifolia Kunth, une espèce de bambou proliférant en Colombie. Héritage d’un passé colonialiste en Colombie, le bambou est un matériau qui était très utilisé pour les bâtiments agricoles, mais aussi pour loger les populations issues de milieux populaires. Cette architecture traditionnelle découle d’une expérimentation au travers du temps, pour trouver le moyen d’édifier des bâtiments capables de répondre aux dangers sismiques du pays. 21

Matériau très populaire autrefois il a toutefois été abandonné au fil du temps, et associé à un matériaux “pour les pauvres”. Cette réputation découle de l’utilisation qu’avaient pu faire les populations colombiennes assez pauvres autrefois. Leurs maisons étaient faites de bambou, puisque c’est une matière peu coûteuse, mais ils n’avaient pas forcément les savoir-faire nécessaires pour permettre la stabilité et la pérennité du matériau. Ainsi le bambou est avec le temps, mis de côté, pour laisser place au béton, dont la mise en œuvre est rapide et efficace. 22

Alors, déjà très ancré dans l’histoire et l’héritage de la Colombie, la guadua angustifolia Kunth va être réinterprétée et appropriée pour l’époque qu’est la nôtre par Simon Velez. Même si cela n’a pas suffit à convaincre les différents acteurs des projets, Simon Vélez au travers de ces nombreuses expérimentations va permettre de redonner confiance en ce matériau 23 .

L’église “sans nom”, Simon Vélez

C’est au travers du projet de l’église sans nom que l’on peut illustrer la notion de “nouveau vernaculaire” et comprendre son intérêt pour répondre aux enjeux contemporains.

[21] Buchet Adrien, «Simon Velez, le magicien du bambou» [en ligne], Mis en ligne le en 2015, n°117, URL : https://www.infoimmo. ch/articles/simon-velezbambou/

L’église “sans nom” est un projet temporaire, réalisé à la suite d’un tremblement de terre dans la région d’Armenia en Colombie en 1999. Ce tremblement de terre provoqua d’importants dégâts sur l’église existante: la cathédrale de

[21] CONSTANZA M. et SCHUSTER M., soutenu en mai 2013. Du savoirfaire vernaculaire à l’architecture d’aujourd’hui : processus de revalorisation du matériau en Colombie, Mémoire de M1, ENSA Grenoble

[22] CONSTANZA M. et SCHUSTER M., soutenu en mai 2013. «Du savoirfaire vernaculaire à l’architecture d’aujourd’hui : processus de revalorisation du matériau en Colombie», Mémoire de M1, ENSA Grenoble

[23] FREY Pierre, Learning from vernacular architecture pour une nouvelle architecture vernaculaire, op.cit

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Deidi Von Shaewen

[24] Buchet Adrien, «Simon Velez, le magicien du bambou [en ligne], in L’information immobilière, Mis en ligne le en 2015, n°117, URL:https://www. infoimmo.ch/articles/ simon-velez-bambou/

Pereira. Cette cathédrale est un symbole pour la population très croyante. C’est ainsi que Simon Velez reçu alors commande pour venir créer un sanctuaire provisoire pour les fidèles 24 .

[25] FREY Pierre, Learning from vernacular architecture pour une nouvelle architecture vernaculaire, op.cit

[26] SALAS DELGADO, Eduardo, soutenu en 2006, actualidad y futuro de la arquitectura de bambu en Colombia. Simon Velez: simbolo y busqueda de lo primitivo. Thèse doctorale. ETSA Barcelona

Cette église est un exemple précis de ce que peut être le nouveau vernaculaire. La construction en bambou prend tout son sens. L’architecte se base sur des savoir-faire ancestraux, de par l’héritage vernaculaire qu’offre la culture et tradition colombienne. Mais comme l’écrit Pierre Frey «l’architecte nous rappelle que le laboratoire et la science moderne n’ont pas le monopole des savoirs utiles et efficaces» 25. En effet, Velez puise dans le vernaculaire des savoir-faire, des mises en œuvres. Mais il va plus loin il vient marier les savoir-faire ancestraux et contemporains, pour créer une architecture vernaculaire contemporaine, une nouvelle architecture vernaculaire. C’est grâce à ses recherches, à l’expérimentation qu’il découvre des mises en œuvre qui permettent de renforcer l’efficacité porteuse du bambou.

[27]

CONSTANZA

M. et SCHUSTER

M., soutenu en mai 2013. «Du savoirfaire vernaculaire à l’architecture d’aujourd’hui : processus de revalorisation du matériau en Colombie», Mémoire de M1, ENSA Grenoble

La structure de l’église sans nom se compose de portiques constitués de deux piliers de cinq colonnes de guada. Le contreventement de ces colonnes est assuré par l’ajout de poutres en guadua. Pour faire tenir cette structure hybride, Velez invente un concept : il vient remplir les nœuds du bambou avec du mortier. Il vient ensuite noyer un boulon dans celui-ci, dans lequel il vient fixer une vis longitudinale pour permettre de fixer le concept sur un sabot en béton 26. La combinaison de ce matériau ancestral et des techniques contemporaines vient créer un système innovant : aussi performant que le béton mais beaucoup plus économe et végétarien 27. Vélez complète le savoir-faire traditionnel et vient même régler les problèmes d’assemblages rencontrés par le passé.

[28] FREY Pierre, Learning from vernacular architecture pour une nouvelle architecture vernaculaire, op.cit

De plus, selon Pierre Frey, «Les nouvelles architectures vernaculaires recourent aux matériaux disponibles en abondance et à faible coût, elles réemploient et recyclent.» 28. En effet, le bambou est une ressource évidente

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Redessinés à partir des schémas de Constanza M. et Schuster M.

pour construire sur les terres colombiennes. Le bambou est une ressource locale et disponible en masse dans la région. Elle a la capacité de se développer rapidement. C’est un graminé très invasif, il n’a pas de mal à pousser 29. Par le biais de cette ressource peu coûteuse et disponible, Velez met en valeur une ressource comparée au “bois de l’homme pauvre”, et rivalise avec les structures les plus innovantes 30 .

Ainsi, Simon Velez fait de son utilisation du bambou un atout pour réhabiliter le végétal et les savoir-faire ancestraux dans les esprits colombiens. Au travers de son expérimentation avec l’ingénieur Marcelo Villega, il fait du bambou, utilisé dans l’architecture traditionnelle et vernaculaire, un matériau encore plus performant et en lien avec notre société contemporaine 31 .

III. Conclusion

Cette architecture dite du “nouveau vernaculaire” pourrait-elle s’étendre à l’internationale et se développer en France ? Bien que Vélez ait conçu des bâtiments en bambou en France, il me semble que la démarche de l’architecte perde tout son sens lorsque la matière première qu’il utilise est toujours la même, quelle que soit le contexte. Lorsque la matière première, le bambou, n’a ni lien avec la tradition, ni lien avec les ressources locales. On pourrait citer le projet contemplation, sur les bords du Rhône. Pavillon avec une structure monumentale de plus de 1000m2 en bambous et tubes acier 32. Quel sens a-t-elle au yeux du nouveau vernaculaire ? Plus aucun.

Ainsi, la démarche d’une architecture dite du nouveau vernaculaire en France par exemple, n’est pas portée par des architectes comme Vélez, mais plutôt par des collectifs comme “la frugalité heureuse et créative” portée par Gauzin-Müller, Madec et Bornarel. Soucieux d’une architecture frugale en énergie, en matière, en technicité, et pour le

[29] Buchet Adrien, «Simon Velez, le magicien du bambou [en ligne], in L’information immobilière, Mis en ligne le en 2015, n°117, URL : https://www. infoimmo.ch/articles/ simon-velez-bambou/

[30] CONSTANZA M. et SCHUSTER M., soutenu en mai 2013. «Du savoirfaire vernaculaire à l’architecture d’aujourd’hui : processus de revalorisation du matériau en Colombie», Mémoire de M1, ENSA Grenoble

[31] Ibit

[32] AMC «un pavillon en bambous signé Simon Vélez aux rencontres d’Arles» Mis en ligne en juillet 2018, URL : https:// www.amc-archi.com/ photos/un-pavillon-enbambous-signe-simonvelez-aux-rencontresd-arles,8737/ contemplationun-pavillon-en.1

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[33] A.BORNAREL, D.GAUZIN-MULLER, P.MADEC «le temps presse» in manifeste pour une frugalités heureuses et créatives Mis en ligne le en 2018, URL : https:// www.frugalite.org/ fr/le-manifeste.

territoire, par exemple par l’utilisation de ressources et acteurs locaux. Mais aussi des “techniques simples, pertinentes et non-pollueuses comme des appareils faciles à réparer, à recycler et à réemployer” 33 pour que ce ne soit pas les bâtiments qui soient intelligents, mais les habitants. Comme dans notre héritage vernaculaire.

Alors, l’architecture du nouveau vernaculaire est-elle la solution pour répondre aux enjeux contemporains ? Oui, si l’on considère que le terme “nouveau vernaculaire” existe vraiment. L’architecture vernaculaire est difficile à définir. Et si l’on considère la définition donnée par Rudofsky, l’architecture vernaculaire n’existe que si elle n’est pas érigée par un architecte. C’est une architecture instinctive, de besoins. Guidée par une tradition et un lieu donné, à un moment donné, dans un contexte donné.

Ainsi comment peut-on créer un nouveau vernaculaire ? Le vernaculaire n’est pas une mode, mais transcrit des besoins de première nécessité. Le terme énoncé par Pierre Frey est peut-être remis en question. L’architecture que produit aujourd’hui Simon Vélez, n’est peut-être pas à qualifier de “nouveau vernaculaire”. C’est une architecture qui s’inspire d’un héritage construit, tout en prenant en compte la nécessité de frugalité dans l’architecture. Sans pour autant tourner le dos à nos savoir-faire contemporains et nos besoins. L’architecture que présente Pierre Frey ne crée pas un nouveau vernaculaire, elle s’en inspire.

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Bibliographie

Ouvrages :

Valéry Paul, Eupalinos, Paris, édition Gallimard, 1973, coll. Poésie/Gallimard n°55, 192 p

Bonicco-Donato Céline, Heidegger et la question de l’habiter, une philosophie de l’architecture, Edition Parentheses EDS, 2019, coll.Eupalinos, 195 p

FREY Pierre, Learning from vernacular architecture pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Editions Actes Sud, novembre 2010, coll. Arts, 176 p

Rudofsky Bernard, Architecture without architect, Edition Chêne, 1964

Articles de revue :

Vivien Franck-Dominique, «Les modèles économiques de soutenabilité et le changement climatique», in La Découverte, 2009/2 n°6, pp. 75-83

Mandoul Thierry, «Climat(s) : nouveau paradigme pour l’architecture ?» in Raison Publique n°17, 2012, p.141 à 161.

Articles de revue en ligne :

«En 2019, les émissions de CO2 des bâtiments atteignent des sommets» in environnement magazin, [en ligne], mis en ligne le 16/12/2020. URL: https://www. environnement-magazine.fr/pollutions/article/2020/12/16/131589/2019

Pelletier Philippe, «Les Grenelles de l’environnement et le secteur du bâtiment», in Le blog du droit de l’urbanisme et de l’aménagement [en ligne] Mis en ligne le 9/06/10, consulté le 28/11/2020. URL : https://droit-urbanisme-et-amenagement.efe.fr/2010/06/09/le-grenelle-de-environnement-et-le-secteur-du-bâtiment/

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«COP26 : les principales mesures à retenir» in L’info durable, tous acteurs [en ligne] Mis en ligne le 15 novembre 2021, consulté le 20/11/21 https://www. linfodurable.fr/environnement/ce-quil-faut-retenir-de-la-cop26-29534

Buchet Adrien, «Simon Velez, le magicien du bambou» in l’information immobilière, n°117, [en ligne], Mis en ligne en 2015, consulté le 10/12/21. URL : https://www.infoimmo.ch/articles/simon-velez-bambou/

AMC «un pavillon en bambous signé Simon Vélez aux rencontres d’Arles» Mis en ligne en juillet 2018, URL : https://www.amc-archi.com/photos/un-pavillonen-bambous-signe-simon-velez-aux-rencontres-d-arles,8737/contemplation-unpavillon-en.

A.BORNAREL, D.GAUZIN-MULLER, P.MADEC «le temps presse» in manifeste pour une frugalités heureuses et créatives, Mis en ligne en 2018, URL : https://www.frugalite.org/fr/le-manifeste

Mémoires / Thèses :

CONSTANZA M. et SCHUSTER M. , soutenu en mai 2013. «Du savoir-faire vernaculaire à l’architecture d’aujourd’hui : processus de revalorisation du matériau en Colombie», Mémoire de M1, ENSA Grenoble

SALAS DELGADO, Eduardo, soutenu en 2006, «actualidad y futuro de la arquitectura de bambú en Colombia. Simon Velez: símbolo y búsqueda de lo primitivo». Thèse doctorale. ETSA Barcelona

Internet :

Douce cahut, https://maison-monde.com/architecture-vernaculaire/

Ministère de la transition écologique, «Construction et performance environnementales du bâtiment» [en ligne] Mis en ligne le 28 septembre 2021, URL : https://www.ecologie.gouv.fr/construction-et-performance-environnementale-du-batiment

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Ministère de la transition écologique, «Réglementation Thermique RT2012» [en ligne], Mis en ligne le 23/11/20, consulté le 28/11/2021, URL : https://www.ecologie.gouv.fr/reglementation-thermique-rt2012, consulté le 28/11/2021

Ministère de la transition écologique, «Matériaux de construction biosourcés et géosourcés» [en ligne], mis en ligne le 12/04/2021, consulté le 30/11/2021

URL : https://www.ecologie.gouv.fr/materiaux-construction-biosources-et-geosources, consulté le 28/11/2021

Photos :

Couverture : Eglise sans nom, Colombie par Simon Vélez. Crédit photo : Namagool7 / Wikimedia Commons

Photo 1 : https://brazil-selection.com/informations/culture-generale/arts-bresil/ architecture-bresil/ et https://www.pressenza.com/fr/2020/08/la-maloca-yanomami-et-differentes-visions-du-monde/. Crédit photo :

Photo 2 : site infoimmo, Crédit photo : Deidi Von Shaewen

Photo 3 : Schéma redessinés par Nolwenn Jobard-Houdusse, à partir des schémas réalisé dans le cadre du mémoire de M1 ««Du savoir-faire vernaculaire à l’architecture d’aujourd’hui : processus de revalorisation du matériau en Colombie», soutenu à Grenoble en mai 2016 par CONSTANZA M. et SCHUSTER M.

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