Les éclaireurs de l'agriculture de l'extrême

LES ECLAIREURS L’AGRICULTURE DE L’EXTRÊME…

L’AGRICULTURE EN MILIEU HOSTILE En 2022, l’impact du dérèglement climatique est devenu une réalité tangible aux yeux du monde: sécheresses dévastatrices en Europe, famines en Afrique de l’Est, chaleurs extrêmes et record mondial en Iran avec 53°C, inondations meurtrières en Chine ou au Pakistan, ”guerres de l’eau” jusqu’en France. Ce bouleversement écologique vient percuter un modèle agricole à bout de souffle. Deuxième secteur le plus polluant, l'agriculture est la principale cause d’épuisement des sols et pompe 70 % de l’eau douce mondiale. Dans ces conditions aussi inhospitalières, comment continuer à nourrir la planète?

Et si, face au réchauffement climatique, à la croissance démographique et à la raréfaction des ressources, cultiver en milieu extrême devenait la norme de demain ? Sous l’océan en Italie, au cœur d’un désert de sable à Dubaï ou de glace en Arctique, dans les terres arides du Niger, quatre éclaireurs imaginent à leur échelle l’agriculture de demain. Une agriculture de tous les possibles.

CULTIVER LE DÉSERT

MY FARM DUBAÏ Mohammed Aissaoui a quitté sa ferme du Lot-et-Garonne pour installer son oasis autosuffisante au beau milieu du désert de Dubaï, et offrir un luxe auquel les émiratis n’ont pas accès: des fruits ou légumes bio et locaux.

Avril, le thermostat indique 35°, les reliefs du désert ondulent sous la chaleur.

C’est ici, les pieds dans le sable, qu’un potager a fleuri. Herbes fraîches, fleurs, tomates, aubergines, figues et courgettes prolifèrent dans cette ferme de 30 hectares. Accroupi dans l’une de ses serres, Mohammed Aissaoui, chapeau de paille vissé sur la tête, vérifie son système d’arrosage goutte-à-goutte: « Avec ce genre d'installation j’ai réduit de 90% ma consommation d’eau par rapport à une ferme traditionnelle », se félicite le jeune trentenaire d’origine française, installé à Dubaï depuis 2017. Dans le pays de la démesure, 90% de ses besoins alimentaires sont importés. La ferme de Mohammed permet, grâce à des techniques d’agriculture ancestrales et des inventions low-tech, de fournir les doubaïotes en produits frais et locaux.

UNE FERME LOW TECH EN CIRCUIT FERMÉ Contrôle de température, d’humidité, compost à partir des excréments des animaux d’élevage; de la graine à l’assiette, ce passionné de jardinage met sa formation d’ingénieur au service de l'optimisation de la ferme. Et réussit la prouesse de cultiver une cinquantaine de variétés de plantes: « Nous produisons absolument tout en circuit fermé. En plus de nos produits alimentaires, envoyés aux plus grands chefs de Dubaï, nous fabriquons aussi nos propres semences.

Avec la matière qui reste, nous imaginons des produits dérivés comme une gamme de savons. »

Complètement autosuffisante, l’exploitation réduit drastiquement ses coûts énergétiques et augmente considérablement ses rendements.

Pour sensibiliser et éduquer les dubaïotes au contenu de leur assiette et à une production durable, il organise des visites de son domaine. Le tout Dubaï s’y presse comme pour une excursion touristique, qui prend ce jour-là une tournure exotique avec ce groupe de femmes: elles goûtent pour la première fois une tomate fraîche. Un spectacle qui amuse le Français.

OÙ ALLONS NOUS? Mohammed quitte régulièrement son "coin de campagne" pour se rendre au centre-ville, livrer des chefs étoilés et aider des particuliers à créer leur propre jardin-potager.

Début 2023, c’est sur le chantier d’une nouvelle ferme urbaine au pied du Burj Khalifa, tour mythique de Dubaï, que l’agriculteur/ingénieur fait régulièrement des allersretours. Il a été mandaté par la famille royale pour participer à l’édification d’un lieu pédagogique à destination des enfants et des habitants de la capitale émiratie.

LE JARDIN DE NÉMO

L’AGRICULTURE SOUS-MARINE Faire pousser des légumes au fond de la mer, c’est l’idée folle de Sergio Gamberini. Cet italien, passionné de plongée et de jardinage, cultive depuis 2012 une dizaine de variétés de plantes sous des serres marines. Une réponse aquatique aux problèmes de la montée des eaux et à la disparition des terres cultivables.

A l’horizon scintillant de la baie de Noli, un des plus beaux villages de pêcheurs de la Riviera génoise, se cache un jardin aquatique. Pour visiter le champ de Sergio Gamberini, il faut s’équiper de bouteilles, masques et combinaisons.

Tout se passe à quelques mètres sous la surface. Sous une dizaine de biosphères de tailles différentes, éclosent salades, tomates, courgettes, herbes aromatiques et autres fleurs, destinées à la consommation et à la cosmétologie: « Chaque dôme est comme une station spatiale miniature », s’amuse Sergio, l’eau à la taille. Dans la lumière bleutée, il goûte sa dernière récolte, un essaim de tomates cerises rougies par le soleil.

UNE RÉPONSE À LA MONTÉE DES EAUX? « Tout à commencé par une pousse de basilic plantée dans une petite biosphère de la baie », raconte Sergio, en plaçant le fruit de son travail dans un sac étanche. « Non seulement le basilic a le même goût que celui poussant sur terre, mais il contient 25% d’huiles essentielles en plus ».

Il fait alors une expérience surprenante : les biosphères semblent agir sur les plantes comme un accélérateur de croissance, avec une pousse plus rapide que sur terre. D’aussi bons résultats encouragent l’Italien à multiplier l’installation des sphères potagères.

Encore expérimentales, ces fermes pourraient, pour le plongeur à la main verte, apporter une solution durable aux régions menacées par la montée des océans et confrontées à la salinisation des terres: « Les végétaux poussent par hydroponie, leurs racines se développent dans l’eau au lieu de la terre.

Ils sont irrigués grâce à la condensation qui se forme au sein de la bulle : les plantes rejettent du CO2 qui forme des gouttes sur la surface et retombent les abreuver. Cela permet aussi d’éviter l’utilisation de pesticides. Sous l’eau, les plantes ne peuvent pas être embêtées par des nuisibles ».

Cette forme d’agriculture participe à recréer de la vie sous-marine. Au niveau des fondations des bulles agricoles, hippocampes et petits coraux ont déjà trouvé refuge.

OÙ ALLONS-NOUS ?

Après avoir récolté ce qui fait sa plus grande fierté, son basilic à l’arôme puissant, Sergio nous dévoile son nouveau centre de contrôle, dans son bureau.

Avec Siemens, la plus grande entreprise d’ingénierie d’Europe, ils ont réussi à créer un clone “virtuel” des biosphères. Grâce à un logiciel de modélisation, Sergio peut surveiller à distance la croissance de ses plantes ainsi que les conditions environnementales à l’intérieur des dômes.

En faisant le pari du numérique, le jardinier au tuba a transformé ce qui n’était au départ qu’un défi lancé lors d’un dîner entre amis en une plateforme agricole sous-marine commercialement viable.

Justement, il remet les palmes pour arrimer une nouvelle bulle au fond de l’eau, bien plus grande. Son innovation change d’échelle, avec l’espoir de la

LE JARDIN DU PÔLE

ADRIAN, LE JARDINIER DE LA GLACE Dans le Gjoa Haven, la communauté Inuit s’alimente en fruits et légumes frais grâce à une ferme en plein milieu de la banquise. Un projet d’agriculture polaire propulsé par Adrian Schimnowski, chercheur pour The Arctic Research Foundation.

Dans un hameau, au beau milieu du désert de glace de l’Arctique, des éoliennes, panneaux solaires et conteneurs brisent l’horizon polaire. C’est le jardin secret d’Adrian, chercheur en agriculture du grand froid. Derrière les parois de métal, une diversité de végétaux, fruits, légumes et aromates poussent en hydroponie ou en aéroponie, et s’épanouissent sous la lumière rose des LED, imitant la lumière solaire.

LA SCIENCE AU SERVICE DES INUITS Baptisée Naurvik, qui signifie “lieu de croissance” en inuktitut, ces serres polaires sont le fruit d’un projet mené par The Arctic Research Foundation, une ONG à l’origine de projets innovants dans le cercle arctique. Son but , réunir collectivités locales et chercheurs, pour que les avancées scientifiques aient une application concrète et positive dans la vie des autochtones. Adrian, à la tête du programme, forme les villageois à l’agriculture pour créer une mini-station de recherche nomade dirigée selon leurs besoins.

Surtout, la ferme est une réponse à l’urgence de l’insécurité alimentaire qui touche l’ensemble des collectivités de l’Arctique canadien. Le régime traditionnel des Inuits, riche en viande de caribou et de phoque, est directement impacté par le dérèglement climatique. Pour se nourrir, la région reculée a recours aux importations du Sud. Résultat : pollution, prix inabordables pour les habitants et des aliments faibles en nutriments.

Ces cultures, entretenues par les habitants du village, sont distribuées aux plus démunis : « Nos livraisons sont toujours très attendues. Il y a cette vieille dame qui saute de joie et danse à chaque fois. Ils nous remercient parce que c’est gratuit, mais aussi parce qu’ils aiment ce qu’on leur livre », affirme Betty, une habitante du village reconvertie en fermière et désormais manager du projet, un métier qu’elle ne pensait jamais exercer.

OÙ ALLONS-NOUS? Nous suivons Adrian lors d’une expédition, où il nous présente le projet Naurvik et les difficultés liées à l’environnement arctique. Betty nous montre son quotidien à la ferme, et nous la suivons pour une livraison, à la rencontre des habitants du village de Gjoa Haven qui racontent comment cette alimentation fraîche améliore leurs conditions de vie. Un exploit scientifique à même la glace qui ne s’arrête pas au Nunavut. L’agriculture en milieu hostile pourrait servir à la recherche spatiale !

FERME CONNECTÉE

L’INVENTEUR DES FERMES CONNECTÉES Abdou Maman Kané, informaticien et agriculteur nigerien, a inventé un système révolutionnaire d’irrigation connecté qui pourrait changer la vie de milliers d’agriculteurs d'Afrique de l’ouest. Des régions particulièrement touchées par la l’insécurité alimentaire, le manque d’eau et la déforestation.

En 2013, Abdou Maman Kané, fils de paysan, invente un système de téléirrigation. Quelques capteurs placés dans les champs permettent à l’agriculteur de contrôler à distance, depuis une application sur son téléphone, l’arrosage de la plantation mais aussi l’abreuvage du bétail.

Ce qui paraît être une invention toute simple pourrait en réalité endiguer les problèmes de sécheresse responsables de la détresse alimentaire dans certaines régions d’Afrique. L’invention brevetée et multi-récompensée, 1er prix de “l’entreprenariat social Afrique” en 2011 et “Grand Prix mondial de l’eau” en 2015, équipe aujourd’hui 200 agriculteurs nigériens.

VERS LA FIN DE L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE EN AFRIQUE DE L’OUEST? « La télé-irrigation génère une économie d’eau de 60%, un gain de temps de 80% et la possibilité de doubler voir tripler sa production au bout d’un an. », assure l’ingénieur en cartographiant un nouveau terrain agricole qu’il s’apprête à outiller.

A ses côtés un jeune nigérien, qui après plusieurs années sans emploi et une tentative infructueuse de rejoindre l’Europe, a finalement décidé de se reconvertir dans le secteur agricole: « L’insécurité écologique et alimentaire est

est un véritable fléau dans nos régions. Mais avec des outils très simples comme les capteurs météorologiques et hydrologiques, l’énergie solaire et éolienne, nous pouvons nous assurer un avenir plus durable ».

OÙ ALLONS-NOUS? Nous débuterons ce voyage en compagnie d’Abdou, à Angers, à la Cité de l’objet connecté. En avril prochain, il teste le prototype industriel de son invention artisanale, la télé-irrigation. Ce voyage en France est financé par l’Union Européenne qui soutient sa création afin de la commercialiser dans toute l’Afrique de l’Ouest et la Méditerranée.

Nous nous envolerons ensuite vers Niamey et partagerons le quotidien d’Abdou dans la banlieue de la capitale, là où il installe actuellement, son dispositif chez un jeune agriculteur en reconversion.

Après une visite de routine chez l’un de ses disciples agriculteur, pour nous montrer la qualité des produits récoltés sur ces terres irriguées grâce à son dispositif, nous assisterons à l’une des "master class" qu’Abdou donne à l’université de Niamey.

CONTACT PRODUCTEUR jean-laurent.bodinier@upsidetelevision.com jeanlaurentbodinier@gmail.com Mobile: +33.6.62.05.31.71