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La Tecktonik est un peu le Gangnam Style ou le hand spinner de la danse Elle est sur toutes les bouches et de tous les articles en 2006/2007, avant de disparaître aussi vite qu’elle est apparue Pour celles et ceux qui ont vécu l’engouement pour cette danse aux mouvements de bras tortueux, elle est devenue le symbole d’un ringardisme nostalgique, OVNI culturel aussi incompris qu’inattendu.
C’est dans une boîte de nuit de Rungis que le mouvement naît Avorton du hardstyle néérlandais, une danse issue du voguing et du hip-hop, elle se répand parmi les néophytes avant d’être plébiscitée en masse lorsqu’elle devient virale, suite à un tuto YouTube amateur d’un certain Jey-Jey… Alexandre Barouzdin et Cyril Blanc se vantent d’en être les inventeurs,
ayant déposé le nom de la marque pour organiser des soirées éponymes.
Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, la Tecktonik se propage vite chez des ados se prenant soudain de
Entre mouvement culturel et mode éphémère, sousculture juvénile et marque, la Tecktonik cherche sa légitimité. Une overdose médiatique en aura raison, de passion pour la danse et les baskets compensées MSN, Skyblog et YouTube jouent un rôle majeur dans sa popularisation Transformée en marque, l’aigle, les couleurs néon, le motif damier et les boissons énergisantes accompagnent dans le monde entier la musique signée Mondotek, Yelle ou Lorie
la faisant disparaître dès 2008. De ses cendres est pourtant née une danse électro 100% française toujours aussi vibrante à l’international
€pisode 1 MADE-IN-FRANCE
Deladanseélectroàla
Tecktonik
Les cultures adolescentes connaissent un nouvel âge d’or depuis les années 1990 : les plus naïfs crushent sur Filip Nikolic des 2B3, tandis que les rebelles apprécient le renouveau du punk sauce
Nirvana Les habitants des quartiers populaires extériorisent leur colère sur les beats de leurs rappeurs préférés, et les classes sociales supérieures éprouvent les limites de leurs corps dans des raves et free parties qui porteront le succès de la French Touch. Les années deuxmille, l’avènement d’Internet et des premiers téléphones portables à clapet simplifient les échanges entre des ados qui brûlent leur jeunesse dans des boîtes de nuit La nightlife française est devenue plus select, et légale
En Ile-de-France, le Loco sur le Boulevard de Clichy, le Mix Club et le Red Light à Montparnasse, ou encore le Métropolis de Rungis attirent les jeunes qui vibrent au son de la musique électronique. C’est dans ce dernier, discothèque sommaire coincée entre un McDo et l’autoroute 106, que sont organisées depuis 2002 des soirées immatriculées “Tecktonik”, sous la direction d’Alexandre Barouzdin et Cyril Blanc Les cool kids du coin affluent pour se déboucher les oreilles sur un mélange de hardstyle, jumpstyle et trans. Ici, style androgyne et couleurs néon sont de rigueur pour se déhancher sur du 170 bpm. Ou plutôt se déboîter ses épaules. Les habitués du club commencent à gesticuler de manière effrénée, en s’inspirant des mouvements du voguing et du hip-hop Sans le savoir, ces dieux de la nuit vont être les précurseurs de la première danse inventée en France depuis le French Cancan !
€pisode 2 ALIVE
2007:lephénomèneTecktonik
Et là, tout bascule Dans une vidéo intitulée “Jey Jey ‘Wantek’ Danse electro !!!” publiée le 2 novembre 2006 sur YouTube, un jeune homme au tee-shirt moulant et jean troué s’essouffle dans son garage Malgré une résolution de 420p, le clip devient rapidement viral sur le jeune site de partage de vidéo : en quelques jours, ils dépasse le million de vues, véritable prouesse aux débuts de la plateforme Le danseur amateur va propulser la danse électro sur le devant de la scène
Le style étonne, les médias commencent à parler de cette danse atypique et de ses looks excentriques venus des boîtes de nuit franciliennes faisant des ravages dans les collèges et les lycées du pays Il suffit à Barouzdin et Blanc d’en revendiquer la paternité pour que le mot Tecktonik soit repris par les journalistes En juin 2007, Yelle sort “À cause des garçons”, valorisant le hardstyle et la danse qui lui est associée En septembre, Laurent Ruquier reçoit Alexandre Barouzdin et un danseur pour faire la démonstration de la nouvelle mode dans On n’a pas tout dit Le même mois, la Techno Parade se l’approprie en dédiant une scène à la Tecktonik. En novembre sort Alive, du duo allemand Mondotek, dont le clip met en scène les danseurs phares de l’époque : JeyJey, Lili Azian et Karmapa. La chanson se hisse en tête des hit-parades de toute l’Europe, jusqu’en Russie.
En quelques mois seulement, la Tecktonik passe de soirées de connaisseurs à un terme que tout le monde reprend, ainsi que son esthétique nuque longue, col V, étoiles et ceintures cloutées. Un record permis par une médiatisation massive qui crée un raz-demarée des plus clivant 2007 marque l’âge d’or du mouvement Mais la fin pointe déjà le bout de son nez
D’JEUNS, SLIMS ET COUPE MULET Tecktoniketcultureadolescente
Qu’on aime ou qu’on déteste les rythmes lobotomisants de la musique électronique, un seul constat : la Tecktonik est la dernière sous-culture jeune d’intérêt Il y a un avant et un après l’année fatidique de 2007 Depuis, les cultures adolescentes sont plus diffuses, moins intenses, hybridées Dur de percer le profil sociologique de l’amateur de Tecktonik, surnommé le Killer, tant la mode est populaire chez des jeunes aux profils variés ; moins de se rappeler la panoplie du danseur électro
La précision de l’esthétique est frappante : les vêtements proches du corps, dont le tee-shirt est souvent paré de l’emblématique aigle du logo de Tecktonik. Les coupes sont architecturales, pleines de Vivel Dop fixation béton, les côtés scrupuleusement tondus. Les couleurs flashy, la redondance du motif étoile ou du damier noir et blanc, les tailles ultra basses agrémentées de ceintures cloutées, les piercings et les mitaines, le tatouage tribal sur le bicep
La Tecktonik crée une synergie entre la danse, la mode et la culture internet Grâce aux réseaux sociaux balbutiants, de MSN aux Skyblogs, les jeunes se rencontrent et partagent leur passion, abolissent les frontières et démocratisent le mouvement Comme Jey-Jey, des gamins s’entraînent dans leur garage, puis s’affrontent dans la rue dans des battles empruntées à la culture hip-hop Les plus enthousiastes se regroupent en teams qui ne sont pas sans rappeler les groupes de rock ou les crew de rap, à l’instar de Dance Generation Les danseurs les plus populaires deviennent les porte-étendards de la Tecktonik : pour eux, sa popularité est la promesse d’une longue carrière dans l’industrie du divertissement
€pisode 4 GÉNÉRATION TECKTONIK
Délitdemarketing?
La banlieue influence Paris et Paris influence le monde. Les moulinets de bras découverts au Métropolis quittent rapidement leur berceau. Les fondateurs des soirées “Tecktonik” ont bien fait de déposer le nom de la marque en 2002. Avec le soudain intérêt porté à la danse électro, Tecktonik devient rapidement la marque préférée des ados.
Le logo avec son aigle imprimé sur des dizaines de milliers de tee-shirts moulants et baskets de boxeurs devient le synonyme de tout un mouvement. Des boissons énergisantes aux chewing-gums, Alexandre Barouzdin et Cyril Blanc immatriculent tout ce qu’ils peuvent du nom Tecktonik. Leurs deux boutiques du Marais deviennent le lieu de culte des Killers, tandis que des cours de danse officiels sont proposés dans un centre de fitness parisien
Les partenariats juteux ne se font pas attendre. L’industrie musicale est dans une mauvaise passe et voit dans le phénomène Tecktonik l’occasion parfaite de remplir ses caisses EMI entre littéralement dans la danse en signant des
compilations Tecktonik qui s’écoulent à 500 000 exemplaires en France
TF1 sponsorise les activités des deux entrepreneurs à partir de 2008 : son rôle est de promouvoir et développer la marque en signant des contrats de licence Fruit de cette collaboration, le jeu Tecktonik World Tour sort sur la Nintendo DS en 2008 Des tournées sont organisées partout dans le monde, les danseurs et Djs officiels représentent la marque sur les scènes d’Espagne, du Portugal, du Maroc, jusqu’en Corée…
En décembre 2008, le Métropolis annonce l’arrêt des soirées
Tecktonik qui ne sont plus assez rentables Le public commence à se lasser, jusqu’au mois de juin 2009 où le magazine Snatch donne le coup de grâce en titrant “La Tecktonik est-elle morte ?”
€pisode 5 HAS BEEN ?
Lerendez-vousmanquédesKillers
Finito pipo. La promesse d’une fierté nationale a été piétinée par un marketing excessif et est devenue en quelques années le bouc émissaire de toute une patrie L’effervescence de la Tecktonik retombe comme un soufflé durant l’année 2009 Les adeptes qui persistent à lancer leurs bras au-dessus de leur tête passé le mois de février sont vus comme des losers. Les haters de la Tecktonik se réjouissent de ne plus entendre leur musique détestée sur les ondes de Skyrock et NRJ. Les Killers, quant à eux, ont le sentiment d’une douche froide. Ils doivent vite taire leur blaze, ou nom de scène, qui a fait leur renommé pour retrouver l’anonymat et être pris au sérieux
La Tecktonik, simple invention folle et un peu laide d’une nation en pleine era sarkoziste ? Un cauchemar fou que la France aurait voulu laisser au fond de sa mémoire et ne plus y penser ? Malgré une porosité floue, le nom Tecktonik est rapidement honni par les danseurs électro qui invitent à ne pas faire l’amalgame entre marque et mouvement artistique Nombreux sont ceux qui ont commencé à danser en 2006/2007 qui se sont découvert une vocation et ne sont plus jamais sorti du ring ou de la scène Ils ont continué à faire évoluer le mouvement et à populariser la danse électro à travers le monde Les championnats Vertifight professionnalisent le milieu, tandis que l’art contemporain s’empare de la danse électro. Aujourd’hui, cette dernière est toujours aussi populaire : de l’Allemagne à la Russie, en passant par le Brésil et la Corée, la danse électro est enseignée, représentée sur scène ou dans des compétitions, interprétée par des internautes sur TikTok La Tecktonik, serait-elle toujours vivante ?
INTERVENANTS POTIENTIELS
Anne Petiau, chercheuse et autrice de Technomedia, Jeunes, musique et blogosphère (Éditions Mélanie Seteun, Institut des risques majeurs, 2019)
Michel Fize, sociologue, chercheur au CNRS, spécialiste des questions de l’adolescence, de la jeunesse et de la famille. Il considère que la Tecktonik n ’ a pas eu d’impact parce qu ’elle n ’avait pas de message.
Tonton Tarik, journaliste Brut, auteur de la vidéo “J’ai retrouvé les stars de la tecktonik” (2022)
Karim Boukercha, réalisateur, auteur du podcast Tecktonik : danser, mourir, recommencer, (Binge Audio, 2019)
Alexandre Barouzdin et Cyril Blanc, entrepreneurs et dépositaires de la marque Tecktonik
Mathieu Solard, directeur marketing et licence de Tecktonik
Bianca Li, danseuse et chorégraphe, elle a mis en scène la pièce ElektroKif (2010), avec le groupe Electro Street
Jey-Jey, Lili Azian, Karmapa, anciens danseurs de Tecktonik, ils apparaissent dans le clip “Alive” de Mondotek.
Treaxy, danseur de Tecktonik, il est resté une référence dans le monde de la danse électro, qu’il pratique toujours
Alou Sidibé, Adrien Sissoko, Mamadou Bathily, Taylor Château et Romain Guillermic, danseurs et chorégraphes, membres du groupe Electro Street fondé en 2007
Brandon ''Miel'' Masele, danseur spécialisé en danse électro, sacré champion du monde avec Alliance Crew 2012, il danse pour les plus grands artistes
Joyca, youtubeur, DJ et ancien Killer
Sébastien Frit, youtubeur, sort en 2023 la vidéo d’analyse “La petite histoire de la Tecktonik”
INTENTION
Le mouvement musical le plus éphémère de France nous a quittés il y a 16 ans À son âge d’or, nous n’étions à titre personnel que des enfants, pas encore en âge de nous trémousser au Métropolis sur Alive En revanche, nous avons été témoins de l’invasion de la tecktonik dans les cours d’écoles en 2007 Les souvenirs sont encore vifs L’admiration pour les grands qui, eux, pouvaient pleinement vivre le phénomène, était très forte. Pourtant, tout a disparu en un claquement de doigts, chacun.e d’entre nous est passé à autre chose sans se poser de question. Ainsi, quelle utilité à revenir sur cette période morte et enterrée ? C’est justement la question que nous nous sommes posée.
Il faut l’avouer, la Tecktonik est plus souvent méprisée qu’analysée À juste titre ? Éphémère, ridicule, pour certains, elle n’a à priori aucun intérêt Mais une fascination persiste au sujet de cette période unique, condamnée à l’amnésie collective Elle est perçue comme un des rares mouvements musicaux « vides » De sens, de militantisme, de revendications, ce qui expliquerait sa courte vie Ce constat nous a interpellé La musique ne faisant que divertir peut-elle exister et durer ? La Tecktonik marque-t-elle le début d’une pratique culturelle devenue courante : la consommation intense jusqu’à l’overdose, aujourd’hui incarnée par les tendances ( « trends ») qui, par essence, sont éphémères, puis oubliées de tous ?
En revenant sur l'origine, la fulgurance et la disparition de la Tecktonik, nous nous sommes laissées séduire par l’avalanche d’images d’archives pixelisées, non sans nous rappeler une certaine bonne époque Souvent homemade, elles sont nombreuses – en partie entreposées à la Bibliothèque Nationale de France (BNF) avec les vestiges de Skyblog – et illustrent parfaitement le grand n’importe quoi des débuts d’internet, ainsi que sa possession par des communautés adolescentes Les premiers blogs peuvent faire pleurer les graphistes aujourd’hui, mais ils nous offrent de cocasses possibilités visuelles. Reconstituer les interfaces de l’époque peut s’avérer aussi amusant que challengeant. Reproduction de l’écran d’un PC fixe, de l’image d’une webcam Logitech, un habillage sonore rythmé par les clics de souris et les Wizz MSN En postproduction, nous pouvons stimuler la nostalgie du public, et recréer l’atmosphère –réelle comme virtuelle – de cette époque révolue
Si la tecktonik était une personne, elle serait sans doute cette pop star qui n’aura jamais survécu à son premier et ultime hit dans les années 2000. On l’évoque rarement, mais elle a, qu’on le veuille ou non, marqué une période de
Noémie Keller /Journaliste,écrivaine
Portfolio Portfolio
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Vivant entre Londres et Paris, je suis diplômée du King’s College de Londres et de la Sorbonne Nouvelle. Journaliste indépendant, je collabore avec divers médias tels qu’Arte, France Télévisions, et Prisma Spécialisée dans le journalisme culturel, j’examine la pop culture des années 2000 et 2010 en cherchant à comprendre ce qu’elle traduit de l’évolution des cultures adolescentes, en particulier des cultures dites “de filles”. J’ai travaillé en tant que chargée de développement et enquêtrice pour la boîte de production de documentaires Upside Télévision J’ai rédige également un essai sur Britney Spears, à paraître aux éditions Le Mot et Le Reste
Sarah Deslandes / Journaliste,réalisatrice
Journaliste de formation, diplômée de La Sorbonne Nouvelle, j’ai notamment écrit pour Le HuffPost et Première Média J’ai également mené des projets de réalisation Après quelques clips, teasers de mode, et captations de concerts, je me suis lancée dans l’écriture et la direction de courts métrages de fictions ; projets qui m’ont permis d’être nommée Lauréate du Festival Younivers, un tremplin artistique situé à Caen, en mars dernier. En 2024, j’ai co-créé une série documentaire mettant en avant de jeunes artistes en développement, intulée Veuillez Patienter
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