



« On roulait un peu dans des voitures qui faisaient craquer les filles et nous causaient parfois pas mal de soucis... »

« On roulait un peu dans des voitures qui faisaient craquer les filles et nous causaient parfois pas mal de soucis... »
Nikolay Fakiroff, avocat au barreau de Paris, est avant tout un amateur d’automobiles classiques, et ce depuis son plus jeune âge dans lequel il semble encore vivre. Avec passion et élégance…
texte Philippe Canville - photos Daniel Beres
Dans ses jeunes années, il a beaucoup désespéré ses parents par son goût immodéré pour les voitures. Celles, qu’en compagnie d’un ou deux copains de fac, il achetait, retapait, utilisait et revendait pour une autre ou plusieurs autres. Quand il en parle, une pointe d’amusement, de nostalgie joyeuse, vient enrichir ses souvenirs : « Nous étions étudiants et n’avions pas beaucoup d’argent. On achetait des autos bien défraîchies, qu’on retapait pendant les week-ends avec les moyens du bord et beaucoup d’abnégation, les mains dans le cambouis ou la résine. On refaisait les carrosseries, enfin on préparait jusqu’à l’aprêt et ensuite, en cassant notre tirelire, on emmenait l’auto chez le carrossier pour la touche finale. On faisait les réglages mécaniques, un peu de sellerie ou d’électricité. Ensuite on roulait un peu dans des voitures qui faisaient craquer les filles et nous causaient parfois pas mal de soucis. » Nikolay Fakiroff, avocat au barreau de Paris, a longtemps hésité avant de choisir entre les autos de collection et une carrière au prétoire. Il a fait les deux car la passion pour les belles mécaniques n’est pas incompatible avec les procès au pénal et qu’il fallait rassurer ses parents inquiets de ses inclinations. Par goût et aussi car l’époque de sa jeunesse était favorable au négoce des autos anciennes délaissées, c’est vers les Anglaises qu’il s’est tourné, sans doute les voitures qu’il préfère. Il l’avoue : « Quand avec des amis nous nous sommes intéressés aux voitures classiques, c’était la période où les Jaguar ou Daimler étaient quelque peu dédaignées. La première était une Mark II avec un moteur Daimler dont l’état extérieur laissait franchement à désirer. Ensuite, il y a eu une Jaguar Mark IX. Nous l’avions trouvée en Alsace et, comme elle était en état de rouler, enfin mécaniquement, nous sommes allés la chercher. Au retour, il ne fallait pas rouler
trop vite parce que l’aile avant ne tenait pas et qu’à partir d’une certaine vitesse, elle battait au vent (rires). Elle était incroyable, un immense salon roulant dans lequel, une fois que l’auto a été remise en état, nous nous baladions avec nos petites amies, nos copains... Je n’ai jamais été tant sollicité à l’époque pour servir de chauffeur pour les mariages. Tout ça se faisait dans un esprit de parfaite insouciance avec fort peu de moyens et surtout le souci de ne pas peser sur nos parents pour réaliser nos rêves automobiles. On les utilisait et puis on les revendait sans faire vraiment de bénéfices d’ailleurs. » Nikolay a donc, parallèlement à ses études de droit, appris à contourner les subtilités et les “vices” des autos britanniques des ’60-70s. Et le pourquoi de ce choix est justifié par ce qu’il en dit : « Ce sont des salons roulants, abordables à l’époque où personne
«Pour moi, la vitesse est le point d’équilibre et de plaisir ressenti entre la peur et la provocation face à la mort. »
n’en voulait, pas fiables forcément mais agréables à conduire. Une Jaguar XJ 6... son silence, son pilotage délicat, c’est le luxe à petit prix. Ça ne freine pas, ça ralentit, ça ne fuit pas, ça transpire, c’est une autre dimension. J’ai toujours eu un faible pour ces autos, mais on a eu plusieurs voitures à la fois, en se disant : “Ah non, celle-ci il ne faut pas la laisser passer !” Je me suis retrouvé avec mes copains, à certains moments avec plusieurs chantiers sur les bras. Jaguar Mark II, IV, IX, une Peugeot cabriolet 504 avec un 6 cylindres, le genre de voiture à ne surtout pas acheter car hors de prix à remettre en état, vu celui dans lequel nous l’avions dénichée... une Fiat 500, une Alfa Bertone... tout ça dans des états déplorables mais avec une mécanique en bon état ou avec peu de choses à faire. Nous ne changions pas les moteurs, c’était au-dessus de nos moyens financiers. Si ! Une fois celui d’une Fiat 500 ou celui d’une 304 Peugeot cabriolet. Mal équipés, nous nous sommes servis du portique des balançoires des enfants et d’un tire-fort acheté 50 francs en grande surface. (sourire). » Dans le bureau où il nous accueille, Nikolay a placé quelques éléments de décor qu’on ne s’attendrait pas à trouver chez un avocat installé dans un grand cabinet parisien. Une affiche des “Tontons flingueurs”, une hélice d’avion, le casque d’un scaphandrier du début du XXème siècle. Un univers tout aussi personnel que décalé mais qui a de profondes significations, dont il nous parle : « Je suis très admiratif de toute cette époque de découverte du XIXème et des débuts du XXème siècle. Quand je pense aux pionniers de l’aviation... un vieux Bréguet c’est une véritable œuvre d’art ! Avec des pratiques incroyables, comme celle d’effectuer à la main le graissage tout en pilotant. On mesure mal aujourd’hui le degré d’inconscience que possédaient ces aventuriers et ces pionniers dans l’automobile aussi et la compétition. Les pilotes à peine protégés roulant à fond dans des autos peu sûres, dangereuses à l’extrême. Je ne suis pas un fin connaisseur mais je trouve au milieu de tout cela une vraie poésie, une forme de romantisme. Paul Morand et son ami le peintre André Derain faisaient des courses entre Paris et Rouen en Bugatti. Derain était un fou de Bugatti. Morand évoque “ces fabuleux organismes” et les compare aux armures de la Renaissance. Françoise Sagan parlant de voitures... c’est absolument passionnant. » Les démons de la vitesse sont irrésistibles. Il confirme : « Elle abolit le temps, l’espace et signifie ce besoin de se hisser au meilleur niveau. Il y a là une idée très aristocratique, très noble aussi au mépris de tout danger… Pour moi, la vitesse est le point d’équilibre et de plaisir ressenti entre la peur et la provocation face à la mort. »
Un risque qu’il maîtrise parfaitement et qu’il ne recherche pas systématiquement, en homme philosophe et plus épicurien que tête brûlée. Il roule d’ailleurs au quotidien dans une Mercedes “moderne” 380 SL des années 80 : « Elle est pour moi le symbole du point de passage entre les automobiles classiques et le début de la période des véhicules modernes et aseptisés. Et rouler à son bord, c’est se protéger de tous les travers de la voiture moderne tout en conservant le plaisir et la liberté. »
Deux idées fortes auxquelles nous adhérons fortement.
« Une Jaguar XJ 6 ça ne freine pas, ça ralentit, ça ne fuit pas ça transpire, c’est une autre dimension. »