SEPT. / OCT. 1986
VISAGES DE SAINTE THERESE Eléments d'appréciation sur le film On peut s\1ttendre dans les jours qui viennent à une sortie en fan fare du fi lm Thérese d'Alain Cavalier. Le monde desmedia a déjà préparé tout son arsenal d'éloges. « /e grand film français de /986 ». « L 'lwmme du mais est A/ain Cavalier » . dit la Rev ue du Ci néma (sept. 86 ).
Lcs commentaires de pressc dont nous disposons sont to us f'avorables. et même dithyrambiques. Disons tout d'abord que ce concert de louanges ne nous impressionne guere. En effet, le film Je vous salue. Marie avait c u droit à une semblable ovation des media. Bea ucoup. par peur d'affronter ce vent impétueux de la mode qui risque de pousscr des foules dans les sa lles de_ cinéma. s'appliqueront à s'extasier à qui m1eux m1eux. En réa lité. les termes dans lesq uels les media manifestent leur cnthousiasme sont pour le moins inquiétants.
L'enthousiasme desmedia: conversion ou perversion ? Ces media qui ont célébré \e bl aspheme en promouvant le Je vous salue, Marie de Godard, se sont- ils convertis rnaintenant qu'i\s cé\ebrent Thérese? On retrouve les mêmes: l'Humanité, Libération. Télérama. la Croix et tant d'autres.
Télérama en parle comme d'un
«
[ilm inilia tique
»: « li fait déguster le quolidien du Carmel avec une
rare sensualité. Presqu 'un film érolique, à force d 'attention aux choses. aux objels qui peuplenl la vie de Thérese » (28 / 5/86). Chrétiens-Medias: « Pour percer le mystere de la s;iinteté, Cava lier a cherché la vaie la plus lucide. li a dane 1ou1 pris à /'envers (.. .) Les temps de priere ne /'inléressenl pas. » La Croix: « f'ilm admimblc. il fait passer sur le Festival un lumineux 111L'Ssarc ,, ( 17 /5/86). L'Humanité: « Le [ilm d'Alain Cavalier naus introduit, magni[iquement. pas à pas, dans le mystere de la vocation religieuse chez cette jeune [ille » ( 17 /5/86). Libération: " Thérese est le [ilm le plus ahurissant qu 'on ait montré él Ca nnes. Le plus dé vergondé, le plus aventurier. le plus insolent. /e p/us moderne » ( 17- 18/ 5/86). Le Matin termine son a rti cle, a pres avoir évoqué avec indigna tion « les [oudres dont Godard avait écopé », sur ces mots « je vous salue, Thérese » (20/5/86).
M/Mme/Mlle._ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ __
Prénom Adresse
«
Thérese
L'E,,énement du Jeudi: « Alain Ca valier m 'a inocu lé brutalement sa passion pour Thérese de Lisieux, en la montrant familiere. marrante, libérée » (22/ 5/ 86). Panorama: « En[in quclqu 'un qui a su voir comment /'humour csl au ca:ur de /'aventure spirituelle » (7- 8/ 86). Actua Ciné: « Un lwmour ú décaper /es bénitiers (. ..) un che[ d'a:uvre beau commc /e péché » (sept. 86). Sur l'actrice, les éloges sont parfois cont radictoires: « Thérese esl incarnée avec une divine - /e mot n'a jamais été plus juste - sérénité par Catherine Mouchet » (Le Figaro. 18/ 5/ 86); « son jeu brilJant et subtil est aussi efficace qu 'un uppercut » (l 'Evénement du Jeudi. 22/ 5/86); « fo//e amoureuse de Dieu. impudique et pure » (le Quotidien de Paris, 17 / 5/86).
L'auteur Qu 'est-ce qui fait jubi ler l' Huma nité et Libération ? Comment Télérama ose- t- il parler d' un film "presque érotique"? A\ain Cavalier nous donne lui- même la réponse: « Mon amou r du cinéma, /'amour du cinéma, c'es t, peut- être, un amour purement sexue/ » (la Revue du Cinéma, sept.86). Cette affirmation est en pleine concordance avec sa carriere de cinéaste engagé, nostalgique de mai 68 (Cf. ibid.). Autant de références que l'on retrouve chez un Jean- Luc Goda rd. El le va de pair avec un athéisme déclaré: « Les histoires de résurrection ou de ''fils de Dieu " m e paraisse n l accesso ires ( ... ) Ce t homme (Jésus- Chrisl), je ne /'ai jamais pris pour un Dicu » (Cahiers du Cinéma, sept. 86).
Le film La Thércse de Cava licr n'a de commun avec Sa inte Thérese de Lisieux que l'habit qu'elle porte. Les dia logues et certains déta ils du scénario s'inspirent vaguement de fa its réels, mais c'est toujours sur un autre ton, avec un a utre timbre de voix, dans un autre contexte. Cela suffi t à défigurer completement les personnages. D'ailleurs, l'actrice priilcipale, Catherine Mouchet, ne s'en cache pas: « Je lisais souvent, au début du tournage, les propos que l'on a recueillis d'el/e à la fin desa vie: j'essay ais de co11tredire, pour 11e pas avoir la vo/o11té de suivre à la /ettre 011 d'imiter » (ibid. ). De son côté, l'auteur reconna'i t avoir « modernisé » les di alogues « pour faire 1111 contraste avcc toute cette lilléra ture ennuyeuse, avec /e style de Tltérese elle-même dans son journal, qui est Ires ampoulé » (ibid.) . Cette "modernisa tion clu d ialogue" consiste en réa lité à donner aux religieuses un langage vulgaire, dévergondé, q ue les a pologistes du fi lm présentent com me de l' humour. En voilà un triste échantillon, que toute la presse a répété avec ravisseme nt: « On en pince pour un type qui esl mort il y a deux mil/e ans. On n 'est même pas síir qu 'il a existé! » Com ment ri re de cette a utre grossiereté, q ue la décence engagerait à ne pas citer (mais il vaut mieux que vous soyez ave rtis chez vous, plu tôt que da ns la salle de cinérna)? ,. A sceur Lucie qui reconnait faire de drôlcs de choses la nuit, clle (Thérese) répond du tac au tac: "et ça rend sourd? » (l'Evéncment du Jeudi , 22/5/86).
» « Prétendre couvrir une vie en quatre- vingt dix minutes est une imposture. ;w demeuranl assez joyeuse » (dossier de presse du film), décla re Ala in Caval ier. Oui , cc fi lm est une imposture. Ma is c'est peu dire. En cette matierc, toute imposture est un sacrilege.
Relecture freudienne de la vie religieuse Pour Cavalier com me pour Freud , tout s'explique en rapport avec le sexe : - Les écoles catholiques : « J'ai été au pensionnéll pendant huit ans. Je sais ce que c'est que les sexes séparés » (A lain Cavalier, interview à NordEclai r, 20/ 5/86) - Les com muna utés religicuses : « Le systeme monacal e.si tres astucieux: on Jeur donne une présence masculine permanente, ceife de Jésus » (ibid.). - Les carmels: « je ne sais pé1s si c'est f'él bsence de l'homme qui crée celle espece de tension. Mais tout est orgélnisé autour de cela » ( les Ca hiers du Ci11érna, sepL. 8G). - Son film: « La premicre émotion qui m'ait été donnée au cinéma . je vous /'ai dil , était érotique. Dans Thérese, j'a i filmé des femmes , et Dieu sait si la pellicule a bien [ilmé les vibrations amoureuses de ces fe mmes (. ..) Li. naus étions des mecs (sic) [ilmant des [emmes, et il n'y a pas eu en réalité de regard érotique ni sexuel de notre part, mais (. . .) un affinemen t du regard » (Premiere, sept. 86). Qu'on nous pardonne de transcrire ce la ngage exécrable, dont on trouve maints exemples dans les interviews de l'a uteur et dans lcs dialogues du fi lm . Hélas, il est prévisible - cornme pour le J e vous saJue, Marie de Godard - que dcs autorités rel igieuses en viennent à recommandcr cc film. Cela oblige cet Aperçu à être tres explicite. Mais nous som mes pcrsuadés que de nombreuses com mu na utés religieuses désavoueront énergiquemcnt cette " relecture" frcudienne, qui profa ne tout idéal de pcrfection évangélique.
Terrorisme artistique? li ne manquera pas de eommenta teurs pour mcttre en avant les quali tés a rtistiques du film . Les prises de vue pourront être jugées réussies. Mais suffit- il de peindre en belles cou leurs un paquet d'explosif pou r le rendre inoffcnsir? En l'occurrence, la bombe, e'est cette tendance freudienne à tout ramener à l'instinct sex uel, y compris la religion. Doctrine blasphématoire et impie qui, de l'aveu même de Godard, ava it inspiré le film Je vous salue, Marie (cf. Aperçu nº 1, ma rs 85). Pou r fa ire accepter cettc doctri ne freudienne qui le sous- tend , il évite seulement de tomber da ns une impudicité trop c ria nte à la rnanicre de Godard.
Le vrai visage de Saiote Thérese Les Ca hiers du C inéma (sept. 86) a ttribucnt à ce film « un aspect clinique qui exclui toute approche du surnaturel » . Cava lier acqu iesce et renc hé rit: « ma lw ntise », c'est que l'on puisse croire « qu'il s'é!git d'un [ilm religieux » . Avis donc à tous ceux qu i voudron t y ret rouver quelque chose de la vraie Thércse de Lisieux: ce film 1uésentc d'ellc une vision 1uofane, dont la grâcc csl totalement absente.Or, sans la grâce, la vie de Saintc Thércse est inexplicable et stéri le. ►