Atelier de recherche : Territorialités
Mylan Rebout
Co-promoteurs
Natanaëlle Baës-Cantillon
Chiara Cavalieri
Jean-Philippe De Visscher
Basil Descheemaeker Experte Géraldine Lacasse
Université catholique de Louvain
Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme (Site de Bruxelles)
Remerciements
Je tiens à témoigner toute ma reconnaissance aux personnes ayant contribué à ma formation théorique et pratique d’architecte, en premier lieu aux équipes éducatives de l’Uclouvain, des sites de Saint-Gilles et de Tournai.
Pour leurs conseils avisés, qui ont véritablement guidé avec anticipation la structure de mes développements, ma reconnaissance vient en premier lieu à mes co-promoteurs Nathanaëlle Baës-Cantillon, Chiara Cavalieri, Basil Descheemaeker et Jean-Philippe de Visscher.
Ma gratitude revient également à Géraldine Lacasse, mon experte, dont l’expérience et les connaissances immobilières et juridiques ont su alimenter ma réflexion avec la plus grande pertinence.
Je tiens à exprimer également mes remerciements à Sophia Yousri, qui avec son point de vue militant de résidente d’un quartier en profondes mutations a su me transmettre de nombreuses connaissances étayées par une pratique engagée de la ville et une volonté affirmée de débat public.
Enfin, je souhaite pour leur soutien sans faille et leurs encouragements remercier du plus profond du coeur mes amis et ma famille.
Avant-propos
Des questions ?
S’il en est tôt ou tard, confrontées à la contingence, les constructions mentales de la spatialité, de ses inductions sociales, politiques, agissent d’un seul cours, comme dans un système isolé et complexe, celui d’un état individué du matériau urbain.
Le bilan de l’urbanité tiendrait à quoi dans un espace périphérique, a fortiori lorsque celui-ci possède un caractère fortement enclavé ? S’il on considérait les franges comme des lieux à part entière et non des lieux à unique visée utilitariste de réserve de production urbaine ou industrielle, quel retentissement cela aurait sur la production spatiale ?
Ces questions comme autant d’inductions et de déterminismes pour ces terrains ni hors-la-ville ni partie intégrante de celle-ci, ces terrains de l’entre-deux, mènent à une réflexion comme un essai déployé
comme un éventail large de méthodes pour aboutir à une vision plus clairvoyante pour l’avenir spatial et socio-économique du quartier.
La taxonomie employée vise non pas à définir de manière intangible a posteriori une méthode constructive mais cette collecte de données s'appréhende davantage comme porteuse d’un nouveau regard sur ces espaces, nécessairement voués si tant est que leurs affectations ne soient pas remises en cause, à être empruntés par des véhicules lourds, à être longées par des trains bruyants, à être des lieux de fracas, de bris, de grondements sourds ou stridents. Ces données convergent donc pour favoriser l’émergence de modes de vivre-ensemble à taille humaine qui contrecarrent ces inductions spatiales de l’archipel métropolitain.
La dialectique du présent développement si elle prend tout d’abord la forme d’un atlas se veut finalement davantage un essai sur des médiums d’analyse territoriale alternatifs et tendant à nourrir un questionnement en profondeur sur la représentation de la ville sous le prisme qu’est la perception à hauteur d’yeux, le jeu répétitif démontrable des structures urbaines en plan et en coupe et leurs expressions dans l’espace social plutôt qu’une réponse indubitable à la problématique de la fracture dans son acception définie jusqu’alors.
Nous structurerons les développements à venir en plusieurs temps. En premier lieu, il s’agira d’évoquer comment la structure à laquelle nous nous intéressons a abouti à une telle formalisation, en introduisant des divisions pour aborder la notion de morphogenèse. Le second chapitre tachera ensuite de trouver dans la théorie architecturale des clefs pour aboutir à des développements lucides et éclairés par des constats pouvant décrire avec précision des phénomènes auxquels la situation actuelle nous confronte et tenter de mieux cerner la capacité du territoire à se réinventer au moyen de potentialités révélées.
Une logique persistante de mise en confrontation de la documentation graphique, cherchant à illustrer de la manière la plus lisuelle les constats réalisés au fil des analyses entreprises afin qu’ils trouvent en tant que tels un intérêt particulier régira la structure de l’argumentation. Le texte viendra quant à lui clarifier et ajouter de l’information à celle-ci.
Sommaire
Divisions
In(tro)duction(s)
Le quartier de la Petite-île dans le contexte régional
Un enclavement hérité des grands projets d’infrastructure
Nature des sols, cadastre et activités économiques
Un parc industriel de constitution hétérogène
Typologies des façades et degrés de fenestration
Des potentiels constructifs et de mutualisation des dessertes forts
Variétés d’affectations et logiques productives
Un maillon fort de la machine métropolitaine
Une (in)définition (?)
Carte de Vandermael (1854)
Un grenier aux portes de la cité
Nouveau plan de Bruxelles avec ses suburbains (1910) Une industrie florissante
Une évolution de la population
En miroir des phénomènes d’urbanisation
Le plan régional d’affectation des sols
Une armature administrative rigide
Zonage et contrats de quartier
Des échelles distinctes, des implications complémentaires
De nouveaux programmes immobiliers
Rentables ou spéculatifs ?
Réseau hydrographique et risque de crue
Une histoire environnementale tourmentée
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 I
Des (inter)actions
Gouvernance spatiale et interventions sur le parcellaire
Une armature administrative coercitive
Trame verte et couvert végétal
Un potentiel de biodiversité insoupçonnable
Réseau ferroviaire et impact visuel
Un quartier ceinturé par les voies ferrés
Transports en commun et mobilités
Des infrastructures inadaptées au futur du quartier
Nuisances et confort acoustique
Un quartier bruyant aux espaces ouverts
Ilots de chaleur et confort thermique
Des situations très contrastées
Réseaux d’énergie et potentiels de durabilité
Une transition énergétique envisagée
Gazomètres et impacts physiques
Une identité territoriale à préserver
Pollution des sols
Un enjeu de viabilité pour les projets, des solutions
Des (dé)compositions
Dynamiques angulaires des façades
Des amorces à de nouvelles compositions
Catalogue typologique des façades
Des élaborations variées
Visions
II 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
Décomposition du parcellaire
Une archéologie spatiale instructive
Recomposition cadastrale
Une remise à l’échelle de l’individu
Recomposition volumétrique
Des densifications au cas par cas
Des (pro)positions
Des dessertes de livraison rationalisées
De nouveaux potentiels spatiaux libérés
Redéfinition des vacances foncières
Une lecture nouvelle du quartier
Lecture croisée 1
Contextes hydrographique et cadastraux
Lecture croisée 2
Contextes environnemental et thermique
Lecture croisée 3
Mobilité et contexte acoustique
Lecture croisée 4 Energies et pollution
Lecture croisée 5
Affectation des sols et typologie des façades
Synthèse des propositions
Des villes dans la ville, un quartier aux mille facettes
Des visions à l’échelle perceptive
Des adaptations, un même désir d’intensité urbaine
23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34
Index
CLT : Community Land Trust
PAD : Plan d’Aménagement Directeur
PRAS : Plan Régional d’Affectation du Sol
ZEMU : Zone d’Entreprises en Milieu Urbain
ZIU : Zone d’Industrie Urbaine
I. Divisions
« La simplexité, telle que je l’entends, est l’ensemble des solutions trouvées par les organismes vivants pour que, malgré la complexité des processus naturels, le cerveau puisse préparer l’acte et en projeter les conséquences. Ces solutions sont des principes simplificateurs qui permettent de traiter des informations ou des situations, en tenant compte de l’expérience passée et en anticipant l’avenir. Ce ne sont ni des caricatures, ni des raccourcis ou des résumés. Ce sont de nouvelles façons de poser les problèmes, parfois au prix de quelques détours, pour arriver à des actions plus rapides, plus élégantes, plus efficaces. »42
Comme le biologiste s’affaire à disséquer son sujet d’étude, pour l’architecte, s’ouvrir à une thématique, territoriale, typologique, patrimoniale ou purement technique revient à opérer des divisions. Celles-ci comme une addition de strates de lecture communiquent autant d’interprétation pour un seul et même organisme sujet d’étude.
Avant de s’attacher à faire synthèse, il s’agit d’abord, chronologiquement, avec des méthodes rigoureuses, des divagations porteuses de sens ou des intuitions de collecter puis séquencer les données révélées spontanément mais aussi les variations d’interprétations sur un seul et même motif, sur lequel des mises au point les plus variées font émerger des conclusions, solidement étayées par la juxtaposition des informations recueillies.43
Berthoz, A., La Simplexité, Éditions Odile Jacob : Paris, 2009
42 Ci-contre, Coquille de nautile préhistorique fossilisée, Getty
Introductions
« J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des Ternes »1
S’il est des territoires qui affirment franchement leurs spécialisations, la périphérie Sud-Ouest bruxelloise fait figure d’archétype de la zone industrielle, non plus cette « zone » relatée par les poètes et romanciers du début du XXe siècle, à laquelle on peut volontiers associer une représentation en pensée riche en intensité urbaine malgré la misère sociale plus que palpable à cette période de l’industrialisation. Territoire de la post-modernité, le développement de cette emprise - enclavée et clivante - aux portes de la ville compacte suscite de nombreuses questions en se heurtant à un modèle de développement qui persiste à atrophier la structure métropolitaine et les relations que pourraient entretenir respectivement à l’Ouest et à l’Est les coteaux de Forest et le coeur de ville d’Anderlecht, avec le fond de vallée. Il convient de préciser les contours du territoire sujet à l’analyse qui va suivre : il se délimite en effet par les infrastructures d’accès à la ville, tant par les faisceaux ferrés convergents vers la gare du Midi que par les voies navigables du Canal de Charleroi à Bruxelles. La structuration rigide de ces ouvrages et la fracture qu’ils génèrent provoque un isolement spatial symboliquement très fort.2
Apollinaire, G., La Zone in Alcools, 19121
Ci-contre, Le pont de Luttre, Citytools
Le quartier de la Petite-île évoquerait spontanément un lieu romantique, à l’écart du monde. Sa toponymie, expliquée par la présence lointaine dans le temps, et néantisée, le long d’un cours disparu de la Senne, d’une guinguette, lieu de l’altérité par3 excellence, est l’expression d’une idée de la périphérie urbaine qui a prévalu jusqu’à l’industrialisation massive et des besoins en denrées, en biens de consommation, en ressources énergétiques ou en moyens de transport de plus en plus nombreux, accentués avec vigueur par la hausse démographique de la région.
Sillonnez le quartier en 2021, la représentation mentale d’un tel espace fait écho à des perceptions confinant à l’ennui, aux nuisances, sonores et environnementales, aux embouteillages, en somme à des lieux de relégation. La petite-île désormais a donné son nom à la partie accessible au public d’un complexe mixte, rebaptisé « citygate », définissant ainsi, de manière arbitraire, l’entrée de la ville à l’extrême Nord du territoire d’étude.
Or, quand on se rend compte, à l’échelle métropolitaine (1), de la situation de ce parc industriel, on peut spontanément constater qu’il est partie intégrante de la machine urbaine, tant géographiquementenserré entre deux communes denses de la petite couronne bruxelloise, Forest et Anderlecht - qu’en matière, à une échelle plus fine, d’affectations, indissociablement de la ville productive, ce paysage entretenant un rapport immédiat aux dynamiques citadines, étant partie prenante de ses flux de travailleurs, de marchandises, etc.
Multifactorielle, l’implantation dans le fond de vallée des emprises industrielles est décidée de manière spontanée et trouve une légitimation dans l’accessibilité aisée du territoire aux péniches, aux trains de marchandise, aux camions, citernes, etc. Marqué donc par son passé industrieux, figurant à large échelle des dynamiques spatiales héritées de la topographie régionale, de son réseau hydrologique et des infrastructures ayant accompagné au fil des décennies les développements métropolitains aboutissant à la ville que nous connaissons.
Bokhorst, H., Toponymie. Histoires oubliées au coin des rues. Des Bogards à la3 Petite Ile, Le Soir, mercredi 21 août 2002
Bruxelles Environnement
Le quartier de la Petite-île dans le contexte régional Un enclavement hérité des grands projets d’infrastructure
1
Car 3000 - Pièces détachées automobiles
CDS - Location d’espaces de stockage
Iris TL - Centre de transport et logistique
Travie - Edition packaging et emploi de personnel handicapé
Plastoria - Manufacture accessoires de mode de luxe
Laboratoire Roche - Pharmacie
Studion City Gate - Espaces de travail, salle d’escalade, restauration, etc.
Huissiers de justice de Bruxelles - Salle des hypothèques
Weishaupt - Entrepôt logistique
Infrabel - Installations ferroviaires
Spie - Fournisseur d’électricité
Amp - Distributeur de presse
Groep Intro - Centre de formation
Léonidas - Centre de distribution
STIB - Dépôt des bus publics
IPM Press Print - Distributeur de presse nationale
Anac - Car-wash
Fluxys - Equipementier gaz
Stella Artois - Centre de distribution
Smals - Accessoires informatiques
Campus Innova - Ecole alternative
Lucerna Basisschool - Ecole élementaire
Sibelga - Installations gazières
Dental Protection Innovation - Laboratoires dentisterie
Imtech - Installations multitechniques technologiques
Djoser - Centre de distribution de peintures et siège social
Induscabel - Centre de distribution équipementer en salles de bain
Randstad - Agence d’intérim
Ixina - Cuisiniste / Agilitas - Agence d’intérim
(inclut 28 et 29) Paepsem Business Park - Pépinière d’entreprises
Van Marcke - Vente et distribution d’équipements sanitaires
Convivial - Centre d’aide et d’insertion sociale pour les réfugiés
Logisticity - Centre de formation logistique de la région bruxelloise
Sibelga - Bureau société gazière / Securitas - Assurances / LOG - Management
Actiris - Centre de formation
Infrabel - Installations électriques
Comfort Energy - Distribution de gaz pour poids lourds
Pulsar - Matériaux de construction
Ariston / Elco / Chaffoteaux - Logistique et distribution de chauffe-eaux
Michelin - Equipements pneumatiques
ipstore.be - Equipements pneumatiques
Lukoil - Station-essence
Gamma - Magasin de bricolage et jardinage
Emaüs la Poudrière - Centre de stockage et de vente associatif
Ancienne lainières d’Aouste - Pépinière d’entreprises tertiaires ou logistiques
Congrégation chrétienne en Belgique - Centre religieux
Arpysis - Découpe de cartons pour conditionnement
Castrol-Optimol - Vente de lubrifiants pour moteurs
La Boucherie - Grossiste en viandes
Lewy’s & Co - Vente de pièces détachées automobiles
Metallisation de la Senne - Laquage carrosseries automobiles et industrie
Speos - Filiale de Bpost, service de mise sous pli
- Fourniture de profilés tubulaires en plastique
- Fournisseur de zinc pour couvertures
Volkswagen - Garage automobile
Centrale à béton
Autajòn - Packaging pour conditionnement
D’Ieteren - Garage automobile
- Installations multitechniques et technologiques
Seamar - Grossiste en produits de la mer
Marbrerie Faruggio
Concept / Tesco Construct . Deco Sege
Drinks - Grossiste
et délicatesses - Restauration-traiteur
& Germeau - Négociant grossiste
- Centre de distribution
Communauté chrétienne brésilienne -
- Agencement intérieur
Sécurité Automobile - Centre d’examen et de délivrance des permis de conduire
Bosch / Weishaupt - Centre logistique fournisseur électroménager
Arexmo - Location de salons
évenements
- Siège social entreprise électroménager
Weishaupt - Bureaux entreprise chauffagiste
Technics / Tableautec - Service
- Pépinières d’entreprises
- Equipements électriques
entreprises
service
1)
2)
3)
4)
5)
6)
7)
8)
9)
10)
11)
12)
13)
14)
15)
16)
17)
18)
19)
20)
21)
22)
23)
24)
25)
26)
27)
28)
29)
30)
31)
32)
33)
34)
35)
36)
37)
38)
39)
40)
41)
42)
43)
44)
45)
46)
47)
48)
49)
50)
51)
52)
53) Dyka
54) Apok
55)
56)
57)
58)
59) VMA
60)
61)
62) SAS
Rom
63) Lara
en boissons 64) Saveurs
65) Lochten
en bois 66) Cerp
pharmacie 67)
Temple protestant 68) La
69)
70)
pour
privés 71) Bosch
72)
73) DS
aux
74) Paepsem 11
de
75) Putman
Nature des sols, cadastre et activités économiques Un parc industriel et artisanal de constitution hétérogène 2 Visites in-situ Google Earth 1,2 3 4 5 6 7 8 9 1011 12 13 14 12 15 16 17 18 19 20 21 22 26 27 25 24 30 29 28 85 85 31 85 32 33 34 35 83 82 81 77 78 79 80 76 76 76 76 65 75 75 72 73 74 70 69 67 6668 59 60 61 626364 84 5857 52 53 54 55 4748 49 50 51 43 42 46 41 42 3938 44 45 45 45 56 71 37
Typologies des façades et degrés de fenestration
Des potentiels constructifs et de mutualisation des dessertes forts
Des dynamiques émergent de cette taxonomie, notamment l’agrégation de façades tertiaires le long du boulevard Industriel, de même que la relégation des accès logistiques aux rues secondaires.Certains espaces cependant sont indéfinis dans la caractérisation de ces façades.
Visites in-situ Google Earth
3
Variétés d’affectations et logiques productives
Un maillon fort de la machine métropolitaine
Bien que certains champs d’activité soient plus représentés et souvent l’objet d’agglomérats, on constate bien que la question de la ville productive est centrale en se confrontant à la question de la diversité des affectations, trouvant une utilité à des pratiques urbaines les plus variées.
4
Visites
in-situ Bruxelles Environnement
Une indéfinition ?
« Désormais, la rupture de continuité ne s'opérait plus tant dans l'espace d'un cadastre, la limite d'un parcellaire urbain, que dans la durée, une « durée » que les technologies avancées et le redéploiement industriel ne cessaient d'aménager par une série d’interruptions. » 6
Se heurtant à des limitations, poser une définition pour un territoire né du morcellement métropolitain vient questionner le rapport à l’identité symbolique du lieu. Le palimpseste tour à tour forestier, agraire, infrastructurel, industriel, logistique, tertiaire et résidentiel vient à chaque fois partiellement annihiler de par ses modalités dialectiques avec les quartiers environnants les principes à l’oeuvre au cours de ces politiques de développement qu’on pourrait presque prendre isolément comme des phénomènes de colonisation, dévoilant une nouvelle fois la qualification en pensée de non-lieu7 pour le territoire.
Néanmoins, en laissant à chaque fois subsister des reliques spatiales, on peut au moyen du dévoilement de celles-ci tenter de reconstituer, avec de nombreuses ellipses narratives, un semblant de récit cohérent pour affirmer dans le temps présent la portée historique des conceptions héritées. Cet engagement ne pourra naître qu’à partir du moment où chercher à définir une vocation au quartier, tel que le font les qualifications simplifiantes et simplistes de zone d’industrie urbaine (Z.I.U.) ou de zone d’entreprises en milieu urbain (Z.E.M.U.) - concepts que nous développerons plus loindisparaîtront au profit d’un attachement au grain fin des lieux parcourus, en essence où il sera communément admis qu’un joyeux bouillonnement d’influences puisse co-exister dans un cadre plus indicatif que définissant des lois constructives et d’affectation. Qu’à partir des définitions actuelles des lieux puisse ainsi germer l’idée d’une caractérisation indéfinie, non plus du fait d’un quartier colonisé tour à tour mais par l’entremise d’une expression du foisonnement.
Virilio, P., L’Espace critique, Paris, Bourgois, 1982
Augé, Marc, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité,
Seuil : Paris, 1992
6
7
Carte de Vandermael (1854) Un grenier aux portes de la cité 5
Cette carte historique témoigne dès le milieu du XIXe siècle de la vocation de transit du quartier à l’étude. La Senne encore à ciel ouverte constitue pour l’heure encore un outil mis au service de la production, en témoignent la présence d’un moulin à papier ainsi que des premières lainières. Le paysage est toutefois encore dominé par l’agriculture.
Brugis
La carte de Vandermael de 1854 (5) illustre les premières dynamiques de développement métropolitaines. Le modèle d’urbanisation est à ce stade toujours polarisé sur le Pentagone, les prémisses du développement industriel et des dynamiques de convergence s’observent déjà dans le dessin des agglomérations humaines et des routes commerciales et industrielles, à l’emplacement des coeurs de ville actuels d’Anderlecht et de SaintGilles. Ce sont généralement les structures viaires primaires, routes d’accès ancestrales à la cité qui jouent le rôle d’amorce aux structures industrielles primitives. Reléguant les industries légères ou l’artisanat aux fonds de cours. Une mixité programmatique considérable est atteinte aux premières étapes d’industrialisation en dépit d’une population modeste caractéristique de ces faubourgs. Cette mixité perdure jusqu’à nos jours dans les affectations du parc logistique et industriel. En considérant proprement l’habitat, la densité de population se trouve en comparaison aux quartiers environnants, comme on peut spontanément le constater, extrêmement faible, les îlots statistiques permettant mi eux8 d’analyser les foyers d’habitation, leurs compositions et les dynamiques du territoire. La situation démographique est amenée au vu des programmes de construction engagés ou achevés, à évoluer exponentiellement dans les années à venir.
Dès 1832 c’est naturellement en fond de vallée, le long du cours ancestral de la Senne qu’est creusé le canal Bruxelles-Charleroi, première voie navigable dédiée principalement au transport de la houille. Cette décision vient constituer le premier geste fort qui marquera et légitimera la nature manufacturière du quartier et de tout le bas de la ville. En 1840 est mise en service l’ancienne ligne SNCB 96 de Bruxelles-Midi à Tubize, dessinant et affirmant sa structuration Nord-Sud au territoire, et générant de nouvelles barrières physiques déjà affirmées par la présence du canal. La carte de 1910 (6), au caractère « lisuel », s’incarne dans une conception métropolitaine de la contemporanéité. Ce territoire se manifeste en effet dès le processus d’industrialisation massive entamé comme la terre d’accueil des grandes emprises industrielles, dont la présence semble vécue comme génératrice de dynamisme, exerçant sa proximité et son rayonnement culturel et économique solide (brasseries, filatures, etc.) avec le centre et les nouveaux quartiers résidentiels aux tracés très étudiés de part et d’autre de la vallée.
Monitoring des quartiers8
Nouveau plan de Bruxelles avec ses suburbains (1910)
Un établissement industriel en réseau
A l’aube du XXe siècle, les phases d’industrialisation s’étant succédées définissent, le long du territoire du canal principalement, un patrimoine bâti d’une grande richesse architecturale dont subsistent encore aujourd’hui nombreux témoignages tels que la brasserie Wielemans (musée), les lainières d’Aoust ou certaines infrastructures ferroviaires.
6
Bibliothèque universitaire de Gand
En 1933, un tronçon express du réseau ferroviaire est créé au sud, enjambant le canal et se frayant un chemin à travers Anderlecht, cette nouvelle ligne permet de meilleures correspondances aux voyageurs transitant par la gare de Bruxelles-Midi vers Gand et le Nord mais vient confirmer au Sud le caractère enclavé du terrain. Si à titre paysager le modèle du canal peut favoriser un dialogue et marquer positivement l’identité d’un territoire, la voie ferrée induit souvent, lorsqu’il est question de mobilité, de s’inscrire perpendiculairement à son axe et est spontanément associée à un allongement des temps de parcours, à des distensions physiques qui marquent fortement et plutôt négativement les lieux de frange de ces ouvrages.
La zone se trouvant par ailleurs être à proximité immédiate du Pentagone et du pôle d’attractivité économique de la gare du Midi, en constituant l’entrée Sud de la ville, elle est depuis le milieu des années 70 et la construction du ring un passage obligé pour quiconque souhaite rejoindre les infrastructures autoroutières depuis une zone couvrant un vaste quart Sud-Ouest du territoire régional.
Au-delà du constat indéniable des performances techniques nouvelles et profitables à la population par le biais des nouveaux réseaux de transport, de l’accès facilité à l’emploi dans un contexte capitaliste à la croissance inouïe, ces choix ont défini pour le territoire en question une détermination par le caractère ségrégué des affectations qu’ils ont généré et l’image que renvoient ces choix du point de vue subjectif. La faible quantité de données démographiques scelle l’incarnation de l’identité urbaine de ces espaces à travers la figure du travailleur, du transiteur ou du décideur, bien plus rarement du promeneur ou du résident malgré les récentes dynamiques démographiques. Des constats riches d’enseignement pour la suite de l’analyse et les choix à opérer en terme de logement sont permis au moyen de ces données. Ainsi, il ressort en analysant la population à proprement parler (7) que celle-ci après une baisse importante à la fin du XXe a presque quadruplé, que la moyenne d’âge des résidents est en forte baisse et que les nouveaux programmes de logement attirent surtout de jeunes actifs entre 30 et 44 ans, en couple et avec de jeunes enfants. Cet essor de la construction neuve s’adapte-il réellement aux besoins des riverains et de la population d’Anderlecht ou Forest ?
Evolution de la population
Composition des foyers
d’âge et âge moyen
Une évolution de la population En miroir des phénomènes d’urbanisation
La composition des foyers, à mettre sur le compte des derniers développements immobiliers à l’origine de l’explosion démographique, et à rebours des tendances des quartiers alentours (18-29 ans), se situe majoritairement dans la tranche d’âge des 30-50 ans.
des quartiers
Classes
Monitoring
% % 37,97 37,30 33,28 7
40 30 20 10 0
Y-a-t’il néanmoins lieu de qualifier cet espace de périphérique compte tenu de sa capacité d’interaction avec la trame urbanistique de seconde couronne et à des tissus bâtis pouvant jouer le rôle d’amorces à un développement rationnel et durable ?
Ces réflexions semblent pour l’heure n’avoir pas été menées jusqu’au bout par les autorités régionales. (8) Le développement récent des Z.E.M.U., zones d’entreprise en milieu urbain, véhicule dans sa terminologie l’idée d’une spécialisation fonctionnelle, ne faisant pas état d’une quelconque volonté de reconquête citadine, encore moins d’une variété d’affectation porteuse de sens pour ces territoires de la marge. La politique des schémas directeurs se conformerait, si l’on en croit les derniers développements bâtis de Citydev (pépinières de « très petites entreprises » au Nord de la rue Henri-Joseph Genesse par exemple) ou les programmes autour du bassin de Biestebroeck, à une perception dichotomique de l’usage des parcelles, la volonté de mixité ne transparaissant qu’à travers des logiques programmatiques et des modes de mises sur le marché éculés.
Il y a là à mettre sur la table les logiques d’appât du gain que représentent l’implantation dans ces quartiers de catégories socioprofessionnelles supérieures. Pour insister sur la caractérisation de ces mises sur le marché, il faut tenir compte d’un prix au mètre carré, qui s’il enfle de manière galopante à l’échelle régionale ces dernières années, reste dans ce secteur de la capitale et particulièrement à l’Ouest du canal, bien en deçà des standards pratiqués ailleurs.
Au contraire des biens anciens - ceux du tissu résidentiel d’Anderlecht ou des abords du réseau ferré forestois ou saint-gillois, en somme des biens le plus souvent acquis pour plusieurs générations par des populations modestes ou de la classe moyenne, souvent immigrées de le première ou seconde génération, qui s’inscrivent dans un contexte immobilier référencé, bien moins spéculatif - la promotion immobilière pratiquée dans le quartier de la Petite-île, au sens où elle donne en spectacle l’illusion d’un mode de vie disruptif, peut sous couvert d’innovation - avant tout affichée dans le sens d’un « nouveau mode d’habiter » uberisé - pratiquer sans vergogne, soutenue par les décisionnaires y voyant l’installation de ménages fortement imposables, l’asphyxie d’une accession à la propriété encore permise jusqu’alors pour les riverains paupérisés de Saint-Guidon, Cureghem ou des abords de la gare du Midi.
Zone d’industrie urbaine
Zone d’entreprise en milieu urbain
Zone mixte
Zone d’habitation
Zone d’habitation à prédominance résidentielle
Entré en vigueur dans sa version initiale le 29 juin 2001, celui-ci a été complété par le « PRAS démographique », visant à répondre à un besoin accru en logements à l’échelle de la région.
Zone d’équipement d’intérêt collectif ou de service
Le plan régional d’affectation des sols Une armature administrative rigide
8 Brugis
Il est de mise de définir ce qu’entend précisément le politique pour mieux être en capacité de déterminer ce que suggèrent les qualifications de ZEMU, ZIU ou PAD. (9)
Etablir dans le grain fin de la ville, tenant compte de la présence héritée du parcellaire, du patrimoine construit et de la structuration urbaine, un schéma de densification, permettrait fort probablement de revenir à une échelle humaine pour générer des dynamiques salutaires dans un territoire de l’indéfinition. On peut, et en regard l’illustre la comparaison établie ci-contre, s’inspirer de logiques de contrats de quartier ou d’initiatives locales telles que les CLT pour générer du logement ou des activités aptes à concrétiser un désir de peuplement et d’intensification urbaine sans avoir recours à des solutions génératrices de rigidité spatiale et sociale.
Se heurte cependant à ces souhaits la suprématie du PRAS, dont la vocation juridique contrarie fortement les possibilités accordées au site. Cet état de fait démontre une incapacité de raisonner à échelle urbanistique - parlant ici de documents marquant le destin du territoire pour une durée minimale d’une cinquantaine d’année - sur des questions se devant désormais de jouer un rôle central dans la production urbaine : à savoir l’investissement du citoyen - et plus particulièrement encore du local - ou le souci de produire dans un futur proche une ville écologiquement viable. Serait-ce ainsi cette rupture d’échelle marquée entre conceptions architecturale et urbanistique qui induirait ce constat d’un dialogue difficile et d’un débat public presque absent de l’équation ?
En préambule d’une de ses publications, le gouvernement bruxellois explique : « L’accès à un logement pour tous est primordial. Le fait de ne pas trouver de logement constitue la principale source de pauvreté et d’exclusion sociale. Avec le PRAS démographique, le Gouvernement entend donc répondre dès aujourd’hui à un certain nombre de besoins pressants. » Si en 2011 le parc de logements9 sociaux trouvait réponse à la demande, il se trouve que celui-ci devient depuis plus de 10 ans déficitaire pour répondre aux10 besoins des habitants, or, les programmes de Biestebroeck proposent en moyenne seuls 15% de logements de ce type.
Gouvernement régional, PRAS démographique : Brochure explicative, 2013,9 Consulté le 03/05/22 sur http://urbanisme.irisnet.be/pdf/pras/brochure
SRBL, Nombre de ménages sur liste d’attente (avant et après radiations) et10 nombre de logements sociaux (au total et loués), 2020
Type de contrat Zone d’industrie urbaine (ZIU) Zone d’entreprise en milieu urbain (ZEMU)
Programme
Activités productives, logistiques, grands commerces spécialisés, commerces de complément usuel aux activités principales
Activités productives, logements, équipements collectifs ou de service public, commerces, grands commerces spécialisés, bureaux
Document prescripteur PRAS PRAS
Financement
Environnement
Plan d’aménagement directeur (PAD)
Habitat, commerces, bureaux, équipements, voiries, espaces publics
PAD
Capitaux privés Capitaux privés Capitaux privés
Activités ayant pour objet le traitement des eaux ou des déchets
Investissement du citoyen Inexistant
Intérêts Dynamisme économique
Mixité d’usage et abaissement des temps de parcours Peu d’égard
Inexistant Participation citoyenne
Dynamisme économique, requalification urbaine
Dynamisme économique, refonte urbaine, protection du patrimoine
Inconvénients
Ségrégation fonctionnelle, allongement des temps de parcours, ruptures spatiales, faible densité d’emploi
Relégation spatiale des ménages modestes, nouvelles nuisances, densification et imperméabilisation des sols, remise en question des identités territoriales, gentrification
Sur-densification et imperméabilisation des sols, remise en question des identités territoriales, gentrification
Zonage et contrats de quartier
Contrat
Programme
Requalification du bâti, rénovation, démolitionreconstruction, espaces publics, logements, équipements publics locaux et commerces de proximité
Requalification du bâti, rénovation, logements, espaces publics, équipements publics locaux et commerces de proximité
Prescripteur Gouvernement bruxellois Région, commune, riverains
Requalification du bâti, rénovation, logements, activités productives, équipements publics
Acquéreurs, riverains, comités de quartier, autorités administratives
Financement Public Public Public / Privé
Environnement
Dédensification, désimperméabilisation, dispositifs de lutte contre les effets climatiques
Investissement du citoyen
Prise en compte de projets citoyens issus du monde associatif ou des quartiers (5 à 15 % du budget total)
Performance énergétique exemplaire, gestion de l’eau, de la biodiversité et des déchets Dépendant de l’attention portée
Participation étroite des habitants, associations et communes Total
Intérêts
Echelon local, requalification urbaine, protection du patrimoine
Inconvénients
Modèle récent peu mis à l’épreuve à nos jours, doute émis en matière environnementale du fait de la volonté de construire
Echelon local, requalification urbaine, protection du patrimoine, création de nouveaux métiers de l’environnement dans la construction, des entreprises d'insertion, etc.
Politique de priorisation dans les quartiers paupérisés, le modèle pouvant être diffusé plus largement
Echelon local, responsabilité partagée, annihilation des phénomènes de spéculation, capacité d’acquisition de logements pour des ménages modestes
Modèle peu diffusé à Bruxelles malgré sa forte compétitivité, peu d’engagement en matière écologique sans investissement des acquéreurs
Contrats
Contrat d’axe / Contrat d’îlot Contrat de quartier durable Community Land Trust (CLT)
Des échelles distinctes, des implications complémentaires 9
Zonage
L’état des sols dans le quartier ne fait qu’accentuer des phénomènes fonciers et sociologiques allant dans le sens d’une relégation spatiale. La dépollution étant en effet à charge des promoteurs, ceux-ci - la course à une rentabilité accrue étant de mise - ne sont11 prêts à investir sur ces terrains qu’à la condition de réaliser des ventes nombreuses et lucratives (4,000 € par mètre carré devient la norme dans ce quartier périphérique malgré une volonté affichée mais hélas peu mise en pratique d’alignement des tarifs aux marchés de Cureghem ou Saint-Guidon à savoir autour de 3,000 €), conditionnant des gabarits volumineux et des prestations répondant à la standardisation d’un habitat aux identités duelles, l’équipement en place de stationnement automobile devenu normatif, alors que les réseaux ultra-efficaces de transport en commun dessinent littéralement les limites du quartier, sont voués à se développer plus encore avec le réseau express régional et la gare de la Petite-île, et que ces programmes (10) revendiquent fièrement dans leurs noms même un esprit métropolitain (« Citydox » (1), « Citygate » (2), « Urbanities » (3), Mobilis (4)).
Plus généralement, cette idée d’un habitat « de standing » véhiculé par les campagnes de vente est l’expression même d’une société du spectacle confrontée, avec parfois autant d’humour que de cynisme, à l’épuisement de son modèle comme en témoignent les noms des programmes, trouvant tantôt des inspirations dans les séries nordaméricaines qu’ayant recours à des consonnes triplées pour donner à cet habitat porte-drapeau de la standardisation un minimum de caractère et d’originalité.
Particulièrement le long du canal, ces actions ponctuelles relèvent davantage du souhait de « redorer le blason » de ces lieux en y faisant s’établir de nouveaux propriétaires, bien souvent des investisseurs souhaitant surestimer la rentabilité locative de leurs biens. Ces lieux n’ayant jamais été valorisés, il y a erreur dans les priorités accordées au territoire : des prises de position radicales mais d’échelle humaine, offrant une nouvelle lecture à ces espaces, enrichis de nouveaux rites, est possible et légitime à mon sens bien plus que dans la conception assistée par ordinateur ou dans la communication rutilante des nouveaux programmes de logement.
Scohier, C., Déréguler pour les promoteurs in Bruxelles en mouvements (IEB),11 n°316, avril 2022
Les récents développements, bien qu’ils génèrent de l’attractivité urbaine et économique, posent la question de l’adaptation aux territoires dans lesquels ils s’inscrivent. La gentrification - semblant considérée d’un bon œil - pose la question du droit au logement, des territoires jusqu’alors désignés comme des no-man’s-lands émergent dans le Monopoly spéculatif qu’est la région, avec un impact pondérable sur leurs environs.
Sites internet des programmes immobiliers
De nouveaux programmes immobiliers Rentables ou spéculatifs ? 10
Géraldine Lacasse, dans son article « Should I stay or Should I go », interroge le statut des emprises de la ville productive, celles-ci nécessaires mais dont la pérennité est sujette à des pressions foncières d’une intensité inégalée, les frontières de la ville compacte s’en rapprochant de manière inexorable et de surcroit dans le cas de la Petite-île, par tous les fronts. Voici ses réponses à quelques une de nos interrogations :12
Que véhicule l’imaginaire de ces nouveaux programmes de logement à vos yeux et quelles formes d’innovations y trouvez-vous ?
L’introduction de logements dans d’anciennes zones industrielles n’est pas un acte mineur et suscite des questions : comment habite-t-on une ancienne zone industrielle ? comment équipe-t-on cette zone ? quels types d’espaces publics y implantons ? Est-ce l’occasion pour y tester et développer de nouvelles manières de faire la ville ? La création de la ZEMU et la mixité fonctionnelle qu’elle incite a favorisé l’émergence à Bruxelles de nouvelles formes urbaines (un socle, le plus souvent affecté aux activités productives, surmonté de logements) et développant de plus en plus de solutions pour organiser la cohabitation entre les différentes fonctions.
N’y aurait-il pas vocation dans des quartiers souffrant de phénomènes d’insalubrité (Cureghem notamment) de mettre l’accent sur des réhabilitations quitte à augmenter la quantité de logement lors de ces opérations plutôt que d’installer de nouvelles catégories de ménages ex nihilo à Biestebroeck ?
L’un n’empêche pas l’autre et il faut certainement faire les deux : développer une offre de logement (publics) neufs là où c’est possible et rénover et améliorer les conditions de vie et de cohabitation des fonctions là où c’est nécessaire.
Quelles actions mettre en œuvre selon vous pour empêcher les phénomènes spéculatifs ayant cours et conduisant à la relégation spatiale de ménages historiquement installés dans ces quartiers populaires ?
Une action y participant serait la construction de logements publics, sociaux et pour les classes moyennes.
De haut en bas : AHA-EB-KSA-noA-SBa, CityGate II : Petite Île
XDGA, Citydox
XDGA, Mobilis
B2AI - MSA - PlusOffice, Urbanities
Une indéfinition ?
« Au lieu des inconvénients de la saleté et du désordre, nous avons maintenant l’ennui et l’hygiène. Matériellement, le taudis a disparu, mais qu’est-ce qui l’a remplacé ? Rien que des milliers de nulle part planifiés et personne ne se sent habitant quelque part. »13
Ne générant pas de nouveaux itinéraires, ces derniers programmes d’habitat de masse n’activent donc - au delà de la bulle spéculative bruxelloise - qu’assez stérilement l’urbanité telle que peut se concevoir une forme d’idéal de vivre-ensemble dans un territoire soumis comme nous l’avons évoqué à des inductions spatiales fortes. Malgré la présence en pied d’immeuble de commerces de première nécessité, souvent le fruit de développements commerciaux aussi normalisés que le sont les formes d’habitats proposés, et - au vu du montant des loyers pratiqués dans ces développements urbains et des partenariats marchands décidés en amont par les financeurs - investis par des chaînes multinationales, la multiplication des flux automobiles questionne quant à elle la définition de ce nouveau morceau de ville, se trouvant n’être qu’une solution toute faite à une volonté de mise en lien avec les dynamiques territoriales. Ces opérations renforcent le déni de ce qui a trait au terrestre, ce que Frampton qualifie de « terreau mystique », en perpétuant sur14 de grandes emprises les travers de la production architecturale typiques du développement industriel à savoir assez tangiblement la séparation des fonctions et l’absence de ritualisation dans la pratique urbaine, en somme une volonté de définition dans un territoire indéfini par nature.15
Van Eyck, A., L'intérieur du temps, in Le sens de la ville, Paris : Seuil, 197213
Frampton, K.,“Towards a Critical Regionalism: Six Points for an Architecture of14 Resistance.” In Postmodern Culture, edited by Hal Foster, 16–30. Pluto Press,1985
Ci-contre, Ancien camp de rom évacué en 2018. Valérie et Abdel, deux amoureux d’une vingtaine d’années, se baladent sur le terrain vague. A l’arrière-plan, les immeubles de Citydox., Lyon, T., Vanden Neste, P.
Analyser le territoire d’étude au prisme des cours d’eau le parcourant semble, face aux constats faits jusqu’alors, une solution pour tenter de mieux cerner en quel sens la définition de la zone d’industrie urbaine dans ce fond de vallée est - quoique légitimée par la planéité du terrain, son caractère alluvial rendant moins onéreux le montant de la construction - assez peu en phase avec des potentiels de développement qui auraient pu trouver une meilleure justification face à un contexte hydrologique fort.
Il est utile, pour mieux assimiler certaines logiques spatiales héritées, de remonter le temps et d’à nouveau prendre conscience que le territoire fut soumis à une anthropisation massive, ayant radicalement bouleversé son identité. En témoigne, comme on peut le voir révélé sur la carte ci-contre (11), le cours de la Senne qui, dans un passé proche, en 1953, au travers de méandres alambiqués, alimentait16 encore les terres agricoles qui à cette époque recouvraient la partie située au Sud de l’actuel boulevard Paepsem. Le cours fut rationalisé, dévié le long de cette dernière artère et fut comblé le lit mineur de l’ancienne rivière. Au Nord, la même situation se produisit, le comblement ayant quant à lui fait complètement disparaître le cours d’eau, ce au-delà de la frontière avec Cureghem, à l’arrière de l’autrefois bien nommée guinguette de la Petite-île.
Subsistent de ces opérations ayant altéré profondément la définition du quartier, jusqu’à sa toponymie-même, et illégitimé l’ « archipel » désormais démantelé, quelques alignements d’arbres qui constituaient les rives de ces affluents disparus. Ces poumons de verdure, délimitant au Nord du boulevard Paepsem la limite des parcelles de Bpost et du parc d’entreprise et au Sud la frontière méridionale du siège social de Bosch constituent une forme de mémoire biologique du quartier et de son histoire hydrographique.
Il revient aux concepteurs de tenir compte de l’écriture environnementale des lieux pour proposer des interventions à venir motivées par un désir de réhabilitation éco-systémique, d’autant comme on peut le constater du moins surtout sur la section Nord de la rivière avortée, que peu encore de construction se trouvent sur cet ancien cours et que la présence de l’eau dans le quotidien des riverains peut véritablement refonder une dialectique symbiotique entre être humain et nature.
Google Earth16
Crue Décennale
Crue Cinquantenale
Crue Centenale
Cours d’eau
Réseau hydrographique et risque de crue Une histoire environnementale tourmentée
Les modifications substantielles du réseau hydrographique ont généré une redéfinition du quartier tout entier, ayant dès l’aval des lainières d’Aoust modifié en profondeur la perception paysagère et biotopique des lieux.
Edifices concernés par les risques de crue
Cours d’eau en 1953
11
Bruxelles Environnement
On omet souvent lorsqu’il est question d’analyse territoriale, de surcroit lorsqu’on s’en tient à examiner la littérature officielle, les schémas directeurs ou d’autres types de documents prescriptifs, le caractère informel de certaines typologies d’habitat nomade. Le caractère de friche périphérique incarnant dans sa définition spatiale une forme de marginalité, il y a là, de même que dans la terminologie même « d’aire d’accueil des gens du voyage », que celle-ci soit délimitée par les autorités territoriales ou non, occupée légalement ou non, en substance la notion de non-lieu qui en transparait, réduite à l’expression presque mathématique, abstraite mais bien tangible, de ses limites.
C’est comme si la toponymie incarnait une forme de domestication et d’appropriation intime voire de filiation familière avec l’espace. Celle-ci se voit être à l’emploi systématiquement lorsqu’il s’agit de désigner un lieu de l’hétérotopie à sous-entendu positif, plus rarement lorsque ce lieu possède une certaine charge émotionnelle négative vis-à-vis d’une partie de la population, où l’on essayera de s’abstraire d’un contexte en le généralisant, en le replaçant dans une pure, simple voire primitive logique de production spatiale : « la zone », « le centre », « la cité » ou « les extérieurs », en somme des lieux génériques, qui s’opposent à d’autres, plus que des lieux incarnés, à l’exception de leurs habitants.
Dans le cas précis du Nord de Biestebroeck, au sein de la ZEMU, il faut noter la proximité immédiate malgré la voie ferré avec Cureghem, qui est la terre d’accueil des immigrés africains de la première génération, précarisés pour beaucoup par l’absence de papiers et conséquence la difficulté à trouver un emploi déclaré. La sociologie de l’autre côté du canal est plus contrastée, les17 programmes des années 60 et 70 sur la rive sont constitués par une population d’âge plus avancée, installée depuis plusieurs décennie.
Les abords de Saint-Guidon sont enfin quant à eux plutôt occupés par des familles, souvent d’origines maghrébines ou proche orientales (Turquie, Maroc). Il domine malgré la volonté des pouvoirs publics une misère sociale au sein de ces quartiers qu’il convient non pas de conjurer en faisant s’établir des cadres supérieurs mais en favorisant des actions et un investissement en structures locales permettant à la population la sensation d’appartenir à la métropole.18
Delfosse, C., Et au milieu coule un canal in Médor, n°21, décembre 202017
Ci-contre, Manu, jeune portugais et mécanicien dans le garage familial situé à proximité, Lyon, T., Vanden Neste, P.
Des interactions
« L'analyse de cette strate porte moins sur les pesanteurs du social que sur sa gravité propre. C'est pourquoi elle légitime assez aisément une pensée de la restitution, dont nos nostalgies seraient le bon sens. Elle imagine des villes carapaces, à la limite de l'organique et du minéral et dont la consistance tient à des régularités qui ne sont pas de type institutionnel puisqu'elles tolèrent une quantité étonnante d'irrégularités : migrations intra-urbaines, […], petits-mondes, cercles et sectes, excentricités tranquilles qui font que les sociétés urbaines semblent parfois camper à l'écart de leur propre histoire, indifférentes aux trépidations du tout-politique. »19
Si fait l’unanimité que l’architecture a trait aux sciences humaines et politiques, l’architecte se doit d’être le sismologue de l’identité urbaine pour la révéler de manière multiscalaire. Le continuum perceptif de l’environnement urbain s’inscrivant de maniè re différenciée selon la distance et l’altitude du point de vue de l’observateur, on peut tout d’abord statuer quant au fait que les situations d’un côté ou l’autre de la vallée sont bien distinguables.
Pour faire le poids avec en front la logique de zoning peu incarnée à laquelle on assiste s’ajoute la dimension sociale induite par une telle fracture, frontière physique entre la ville haute et la ville basse. L’impact du lieu de résidence reste déterminant : il y a lieu de considérer l’évolution du regard de la société sur ces espaces démembrés pour faire naître à travers ces décisions de nouveaux regards sur ces lieux inanimés, dans un temps long. C’est par un processus de réappropriation par les riverains de ces espaces que ceux-ci parviendront à se définir selon de nouveaux standards et à s’affilier à ses limites en s’y confondant.20
Joseph, I., Le passant considérable : essai sur la dispersion de l'espace public,19 Paris : Librairie des méridiens, 1984
Ci-contre, action populaire lors du salon Brussels Real Estate 2022, Yousri, S.
Au même titre que le modèle de la tour (la tour du Midi en est un des nombreux exemples) vient rompre la dynamique et s’immiscer de la manière symbolique la plus transgressive à l’espace de l’horizontalité, de la rue, qui est le terreau de l’expression publique politisée, de la confrontation et de l’échange, tant du point de vue spatial que social, le modèle du zoning qui ici articule avec vigueur les décisions politiques et les relations entre le haut et le bas de la ville sur une portée spatiale considérable, n’en est pas moins dépourvu de subversion et d’aversion à l’égard du potentiel de ces lieux à s’inscrire de manière fluide dans leurs environnements immédiats.
On constate bien qu’outre le Pentagone qui fait figure de centralité la plus manifeste pour l’agglomération toute entière, les multiples polarités qui définissent la structure des faubourgs sont souvent liés aux coeurs historiques des communes de première couronne. Cet exemple s’illustre pour Anderlecht par la densification de l’habitat autour de l’église Saint- Guidon. A Forest en revanche, avec l’implantation d’emprises industrielles de très larges échelles, employant une main d’oeuvre fortement qualifiée en fond de vallée et de manière contigüe aux voix ferrés, et l’urbanisation des coteaux, on perçoit plus difficilement la polarisation. Altitude 100 se développe comme une entité résidentielle fortement affiliée aux codes de la bourgeoisie urbaine moderne du début du XXe siècle. Les parcs Duden et de Forest font figure d’espace tampon dans la lecture de bas en haut, qui pour ces lieux fortement dénivelés, définissent fortement les affectations et les ségrégations spatiales qui en résultent.
On trouve à travers la transdisciplinarité de ces dernières approches des voies pour expliciter les facteurs de perception négatifs de ces territoires. Pour dégager des pistes pour les stratégies à venir à un échelon plus local, il faut appréhender le maillage associatif et le réseau fin des comités de quartier pour percevoir les actions menées, qui force d’implication et d’affirmation dans l’espace public, sont à même de faire naître chez l’habitant un sentiment d’appropriation de son quartier, touchant à la symbiotique de l’Homme avec son environnement social.
Sophia Yousri, habitante de Cureghem et à l’instigation de la première journée des quartiers populaires, répond à mes questions :
Bonjour Sophia, vous qui êtes à l’instigation de la première fête populaire du quartier et impliquée dans une série d’actions sociales à destination des habitants, à quels enjeux nous confrontent les dynamiques à l’oeuvre ?
Cureghem était un quartier initialement abordable, où la vie était accessible, un endroit habité par des travailleurs, un quartier intégré à la ville par le biais de ces infrastructures de travail. Quand l’industrie a disparu, les quartiers et leurs habitants sont restés. Le quartier a perdu son rôle de pôle, sa raison initiale qui était de fixer la population ouvrière autour du travail. La question à se poser est : « comment maintient-on l’intégrité d’un quartier quand sa raison d’être initiale a disparu ? »
Le gouvernement et les communes espèrent toujours attirer des fonds, des capitaux, une main-d’œuvre qualifiée qui vont tirer le quartier vers le haut. Mais dans les faits on crée des bulles et des ghettos. Comme si la revitalisation d’un quartier par le haut allait créer un « ruissellement » vers des populations plus modestes en termes de qualité de vie ou répondre à des problématiques telles que l’emploi, la sécurité… Cela serait peut-être pertinent, mais si et seulement si cela se fait en concertation avec la population existante, qui habite là.
Les opportunités créées par les pouvoirs politiques lors de l’aménagement des nouveaux quartiers et des quartiers anciens sont à destination des personnes que les politiques veulent attirer. On ne créé pas de « loisirs populaires » ou des emplois pour les non qualifiés.
Quels autres retentissements la mainmise des promoteurs sur le quartier Biestebroeck a-t-elle ?
Tout d’abord, le prix des loyers et celui de l’achat du bâti de ces quartiers ne cessent, depuis le Plan Canal, d’augmenter. Ce que l’on nomme « la revitalisation/gentrification urbaine » — et cette taxonomie sous-entendrait que ces quartiers sont sans vie — organisée par la Région bruxelloise, consiste dans les faits à modifier et à adapter les outils législatifs en fonction des besoins juridiques des investisseurs, et ce, en oblitérant l’intérêt général.
Le 24 mai 2022 s’est tenu le Brussels Real Estate, le « Festival de Cannes » des promoteurs immobiliers et acteurs publics de la Région bruxelloise, au cours duquel les projets immobiliers et d’aménagement du territoire pour la région se négocient sans la présence de comités de quartier ou d’un panel d’habitants de cette même ville. Le prix d’entrée de 650 € est déjà révélateur : il exclut les habitants à cet événement.
Quelles actions engager pour désarçonner ces logiques ?
Le Mouvement des quartiers populaires et d’autres collectifs citoyens étaient présents à l’entrée lors d’un rassemblement pour faire entendre leurs voix et « crier » que Bruxelles, leur ville, ne peut se construire sans eux, mais avec eux. Ces collectifs d’habitants ont décidé de faire front contre le déni démocratique des pouvoirs publics et de leurs projets de logements inaccessibles aux autochtones. Nous sommes là pour dénoncer publiquement ce rapport de proximité entre le pouvoir exécutif et le secteur de la finance et des acteurs économiques. Le mouvement se veut être un barrage contre ce système qui nie l’Intérêt général.
La création de logements sociaux est le rempart pour éviter la gentrification et créer une mixité là où sont prévus les projets immobiliers destinés à une classe aisée. À Biestebroeck, sur les 4000 logements neufs seuls 276 sont des logements sociaux. Les pouvoirs publics doivent en amont des projets urbains : informer mieux les habitants, leur donner une place réelle dans le processus de création, exiger la concertation démocratique. Les habitants doivent absolument s’organiser en collectifs d’habitants, se créer des lieux de rencontres, s’informer et s’outiller pour se faire entendre et être leurs propres voix. Le gouvernement de la Région bruxelloise doit agir de toutes urgences en soutien des fonctions essentielles à la vie urbaine en maintenant voire en accroissant un foncier public qui doit rester public tout en préservant les zones d’entreprise en milieu urbain (à Biestebroeck sur la ZEMU il y a 80 % de logements construits et pour la majorité privée).
Quelle conciliation proposer selon vous entre impératifs de production de logement, de mixité sociale et les enjeux fonciers dans ces espaces soumis à des pressions intenses ?
La crise que connaît la région est celle du logement abordable et de qualité. Le boom démographique avancé par les pouvoirs politiques en 2012-2013 est la cause du changement du Plan d’affectation des sols (PRAS). Or, celui-ci n’a pas été défini : qui sont ces nouveaux habitants ? Naissances, migrations socio-économiques, socioprofessionnelles, aucune information en la matière et pourtant en fonction des besoins, le type de logement doit être adapté.
Il faut être franc le mot conciliation est inadéquat dans cette question parce qu’il ne peut pas y avoir de dialogue avec ce système capitaliste du logement où les enjeux financiers sont à la base de tout. Alors que tu es habitant, que tu vis là depuis un certain nombre d’années, l’offre ne s’adresse pas, plus à toi qui vit là. L’offre ne te concerne plus.
Des interactions
« Je crois profondément au fait que l’architecture soit une activité sociale, qu’elle ait à voir à la communication et produise des lieux d’interaction, qu’en somme changer l’environnement c’est changer les comportements. »21
Des acteurs du territoire, de natures les plus variées qu’ils soient naissent des interactions. Pour autant que ceux-ci soient ou non décisionnaires ou influents sur les décisions spatiales, tout autant que ces impacts aient trait aux dimensions environnementales, administratives ou en matière de mobilité, un engagement d’un panel le plus large d’intervenants sur le territoire permet de proposer, de débattre et de confronter spontanément un certain nombre de questions centrales et allant au-delà du pur cadre spatial.
L’abyssale propension de l’écran noir à satisfaire nos relations à l’altérité néglige la solide structuration induite par des interactions fortes entre l’Homme et son milieu de vie. L’absorption dans l’univers numérique pouvant être intempestive pour celui-ci, il convient dès lors de déterminer quelles tactiques l’architecte contemporain doit adopter pour faire se développer un rapport plus ritualisé, intense et sensibilisant à l’immédiat.
Dans une civilisation urbaine où l’anonymat et la solitude (souhaitée ou subie) semblent prendre une place de plus en plus mesurable, il importe pour l’Homme de se trouver. Le quartier à l’étude pose ces enjeux de la manière la plus sérieuse, celui-ci se devant de répondre à la fois à des impératifs d’ouverture sur ses environs et les développements à venir, d’ordres domestiques surtout, devant gérer avec habileté les ruptures d’échelle qui font le paysage actuel.22
Mayne, T.21
Ci-contre, Première assemblée générale du projet de CLT Calico, 2019
Acteurs Impact actuel Impact souhaité Intérêts d’une sollicitation
INSTITUTIONNELS / POLITIQUES
Bruxelles Capitale +++ +++
Modification des voiries régionales / Urbanisme Gouvernement bruxellois +++ +++ Modification du PRAS Citydev.Brussels + + Légitimation économique des projets SLRB - BGHM +++ Création de logements sociaux ou en accession à la propriété pour les ménages à faibles revenus Anderlecht, Forest, Saint-Gilles ++ ++ Modification des voiries communales
Justice + Validation juridique des interventions Maître-architecte de la région bruxelloise + +++ Garantie de qualité architecturale et urbanistique appuyée / Compétences élargies ECONOMIQUES
Entreprises publiques +++ ++
Modification du parcellaire / Actes de cession de terrains Gestionnaires d’infrastructures ++ +++ Gestion des nuisances acoustiques / Actes de cession de terrains
Bailleurs privés / Maîtres d’ouvrage +++ + Modification du parcellaire / Actes de cession de terrains Entreprises privées +++ ++ Gestion des nuisances acoustiques / Gestion de l’état des sols / Actes de cession de terrains ASSOCIATIFS
Comités de quartier (quartier Wiels Wijk) + +++ Remise en question des décisions prises par les communes et/ou la région Inter-Environnement Bruxelles + +++ Remise en question des décisions prises du point de vue de l’impact social / Connaissances de terrain INNOVATEURS
ARAU + +++ Propositions originales / Capacité analytique
Comme c’est le cas avec une façade ancienne, le cadastre témoigne d’une forme d’archéologie du matériau urbain. On peut en effet s’essayer à tenter de le décomposer en fonction des constructions disparues mais aussi des édifications autour des mitoyens, des phénomènes de remembrement et d’allotissement dont nous parlerons plus tard.
La cession des grandes emprises logistiques au Nord du territoire par exemple est liée à la présence antérieure des voies ferrés. Le foncier autour du cours de la Senne, le long de son lit actuel mais aussi autour de ses anciennes rives est marqué par des limites organiques qui ne peuvent être expliquées que par l’analyse hydrographique (11).
La taille des parcelles autour des lainières d’Aoust, de faibles dimensions, est quant à elle expliquée par la densité artisanale et résidentielle héritée et qui persiste toujours. D’autres décisions ne sont pas aussi interprétables sensément sans une connaissance pointue du terrain ou du marché de la construction. Ainsi, les parcelles des rives du canal au Nord de la zone, développées sur une surface moyenne et reproduites en série d’édifices étroits et hauts comme sur les « waterfronts » des stations de la côte, sont expliquées par d’anciennes décisions urbanistiques, aujourd’hui remises en causes par les études de terrain soulignant la nécessité de développer des activités productives de grandes surfaces en rezde-chaussée des nouveaux programmes de logement édifiés.
Gouvernance spatiale et interventions sur le parcellaire Une armature administrative coercitive
Les interactions figurées par le cadastre se trouvent témoigner de conceptions du monde. Celles-ci pourraient dès lors, si des propositions émergeaient pour en substance les désarçonner, faire prendre des directions avantageuses pour un futur plus intégrateur du quartier dans son environnement social, politique et spatial.
12 Brugis Administrations communales
Acteurs Impact actuel Impact souhaité Intérêts d’une sollicitation
POLITIQUES
Bruxelles-Environnement ++ +++
ECONOMIQUES
Création de zones Natura 2000 / Dépollution des sols
Entreprises privées +++ ++ Gestion des nuisances acoustiques / Gestion de l’état des sols / Actes de cession de terrains SOCIAUX
Habitants = +++ Pratique permanente du territoire Riverains du quartier = +++ Pratique occasionnelle ou fréquente du territoire ASSOCIATIFS
Comités de quartier (quartier Wiels Wijk) + +++ Remise en question des décisions prises par les communes et/ou la région Coordination Senne + +++ Coordination interrégionale pour une gestion plus résiliente des eaux de la Senne Inter-Environnement Bruxelles + +++ Remise en question des décisions prises du point de vue de l’impact social / Connaissances de terrain NON-HUMAINS
Faune +++
Intégration / Préservation de biodiversité Flore + +++ Intégration / Préservation du couvert végétal
A une centaine de mètres au Nord, à l’emplacement du programme Urbanities, la présence d’une parcelle d’angle, désormais démolie malgré son intérêt patrimonial est symptomatique d’une forme d’absence de souci pour l’identité du territoire.
Du point de vue environnemental et malgré l’imaginaire transmis par la juxtaposition des fonctions logistiques ou industrielles, inspirant ni plus ni moins qu’une aversion pour ce qui n’aurait pas spatialement et fonctionnellement trait à l’utile, il faut témoigner en dépit de23 l’atmosphère suggérée par ces constructions rationnelles de la richesse biotopique du milieu de l’étude. Le très fort potentiel vert de la zone (13), ce en dépit de la présence de nombreuses zones grises laissées vacantes, signalées pour la plupart comme des espaces de stationnement, traduit l’idée qu’une attention particulière à des continuités boisées a pu régir jusqu’alors la production spatiale.
A l’échelle métropolitaine, ces continuités sont rares, sont le fait d’avenues plantées ou de systèmes de parcs tel que celui que constituent les parcs Duden et de Forest à l’Est. A noter que ceux-ci, enveloppés par des artères passantes et un patrimoine bâti d’une très forte densité, ne peuvent présenter pour les animaux terrestres y trouvant refuge qu’un caractère d’enclavement, au contraire des rivages de la Senne et des talus de chemin de fer, quant à eux propices à une circulation aisée de la faune locale, se frayant un chemin sous le réseau viaire par l’entremise des nombreux ouvrages d’art. Sanctuariser et renforcer ces dynamiques semble être une condition sine qua none pour un développement urbain plus durable.
Arendt, H., Condition de l'homme moderne, Paris : Calmann-Lévy, 1958
23
INSTITUTIONNELS /
Trame verte et couvert végétal
Un potentiel de biodiversité insoupçonnable
La présence de verdure selon des logiques de corridors est un indice intéressant de la capacité du territoire à se réinventer selon des modes de production spatiales tenant compte de cette richesse rare à l’échelle de la métropole bruxelloise. L’armature verte tenant lieux de solides structures et amorces pour les développements à venir. Les abords végétalisés de ces cours sont préservés au même titre que des zones Natura 2000.
Toitures végétalisées
Bruxelles Environnement Google Earth
13
S’inscrivant dans un système dynamique, celui de la métropole productive, le parc logistique et industriel nécessite d’être ravitaillé en matières premières, de voir ses biens manufacturés acheminés hors des emprises industrielles, d’y stocker ses moyens de transport, d’y réaliser les réparations, les contrôles que nécessitent ceux-ci, la Petite-île est un organisme aux mouvements motorisés intenses, questionnant la place du piéton dans ces espaces où il est de mise de se trouver derrière un habitacle.
Cet habitacle, celui de la voiture individuelle, du camion ou du train, à la fois protecteur et déconnectant, vient métaphoriquement signifier le rapport défait de l’Homme à ce milieu et nous introduit à une des thématiques qui suivra : la fenêtre.
C’est bien ici d’un espace métropolitain dont il est question, avec l’axialité Nord-Sud se dessinant à travers les occupations que sont de bas en haut le faisceau ferré, ses talus industrialisés, le réseau de parc en coteaux puis les quartiers résidentiels, déjà parties intégrantes de la ville compacte. La notion de clivage est encore ici plus sournoise car les franges amoindrissent le degré d’ouverture avec un dense et haut bâti adossé aux voies de chemin de fer (usines Audi). Si ces lieux sont économiquement compétitifs et structurants, ils sont fortement imprégnés à la notion de fracture dans la couture territoriale avec la zone industrielle.
Pour établir un rapport cohérent du territoire et à ses représentations socio-spatiales, il est de mise de considérer une somme d’intuitions sur un échantillonnage défini et élargi de la population du quartier, de ses abords et des habitants de la métropole ayant une pratique ponctuelle de ces lieux. Ainsi, ce qui semble apparaître de ces conversations informelles est la rupture en matière de gabarit, d’ambiance acoustique, visuelle, olfactive.
Par là-même, il est dénoté une identité forte par l’entremise des installations gazières, fluviales et ferroviaires. En ce sens, une analyse d’impact spatial de ces infrastructures (14,19) semble à-propos pour définir les capacités de mises en lien ou de rupture du tissu bâti d’avec ces « totems » ou « horizons », les possibilités étant innombrables pour favoriser ou fragiliser les relations directes à ces structures tantôt vues comme des plaies ou des bénédictions pour le territoire d’analyse.
Réseau ferroviaire et impact visuel
Un quartier ceinturé par les voies ferrés
Omniprésent dans le champ visuel du transiteur ou de celui ayant une pratique courante du territoire, le chemin de fer s’affirme comme étant le premier messager de l’identité enclavée du quartier. Définies comme des portes, les ouvrages presque souterrains de franchissement des voies pourraient revêtir une nouvelle dimension, tout en affirmant leurs singularités.
14 Google Earth
Acteurs Impact actuel Impact souhaité Intérêts d’une sollicitation
INSTITUTIONNELS / POLITIQUES
Bruxelles Capitale
Modification des voiries régionales / Urbanisme Bruxelles-Mobilité
Modification du réseau de transports en commun
Anderlecht, Forest, Saint-Gilles ++ ++ Modification des voiries communales
Elus d’opposition communaux = + Remise en question des décisions prises par les communes et/ou la région Justice + Validation juridique des interventions
ECONOMIQUES
Gestionnaires d’infrastructures ++ +++
Gestion des nuisances acoustiques / Actes de cession de terrains Entreprises privées +++ ++ Gestion des nuisances acoustiques / Gestion de l’état des sols / Actes de cession de terrains Locataires + +++ Intégration économique / Principes de non-concurrence Travailleurs = +++ Pratique pendulaire du territoire
SOCIAUX
Habitants = +++ Pratique permanente du territoire Riverains du quartier = +++ Pratique occasionnelle ou fréquente du territoire ASSOCIATIFS
Comités de quartier (quartier Wiels Wijk) + +++ Remise en question des décisions prises par les communes et/ou la région Inter-Environnement Bruxelles + +++ Remise en question des décisions prises du point de vue de l’impact social / Connaissances de terrain INNOVATEURS
Bureaux d’étude en ouvrages d’art / Voiries = +++ Conseil en rationnalisation des flux poids lourds, fluviaux, automobiles et ferroviaires
La multiplication des flux (15) sur l’artère presque fémorale du Bruxelles métropolitain que constitue le boulevard Industriel renvoie l’idée que le sacrifice de ces espaces n’est qu’une conséquence à subir pour permettre à tout citoyen la vie qu’il est en droit d’attendre. La ville contemporaine a rendu, par delà les manufactures et la production destinées à un usage local, les fonctions de production et de distribution électrique et des marchandises indispensables au fonctionnement de la machine métropolitaine. Questionner l’objectivisme affiché des politiques publiques aurait l’intérêt de placer ces décisions dans une nouvelle dimension. La caractérisation du territoire d’étude comme simple corollaire à l’urbanisation et au phénomène de métropolisation ne légitime pas les arbitrages récents, qui soit veulent gommer la vocation historiquement singulière des lieux, soit en encourager la fragmentation.
Il ne faut d’une part pas oublier que le réinvestissement de ces espaces d’entre-deux à des fins d’y loger des habitants n’est qu’une manifestation récente de la politique de la ville. D’autre part, il y a nécessité de sonder la nature atypique de ces milieux. Comme entité morphologique exogène, la zone industrielle Sud se déploie telle une colonne vertébrale, faisant fi de l’identité du territoire dans lequel elle vient s’insérer. Appréhender le territoire d’étude comme u n organisme marginalisé et presque antisocial dans les relations mutuelles qu’il entretient avec son voisinage synthétiserait peut-être le mieux la nature du site.
+++ +++
++ +++
Edifices
Voies
régionales
ferroviaires
Transports en commun et mobilités
Des infrastructures inadaptées au futur du quartier
Le maillage de transports en commun, pour le moment constitué d’un réseau performant de bus, pourra difficilement répondre aux besoins des nouveaux habitants du quartier, nécessitant de pouvoir rejoindre le centre de manière efficace.
STIB-MIVB Brugis
15
liés aux infrastructures
de bus Voiries
Voiries communales Voies
La conclusion issue de cette analyse verbalise le paradoxe de l’urbanité dans les espaces de frange des agglomérations : ceux-ci sont par essence indéfinis dans leurs relations à la ville et se doivent d’être le terreau fertile d’un développement disruptif. C’est en cela qu’ils parviendront alors à se lier au tissu bâti. Pour ce faire, l’exploitation des intermodalités dans les circuits de distribution industriels et dans les déplacements des riverains des quartiers limitrophes pourrait avoir un effet salutaire sur l’engorgement des voies de transport terrestre. Si l’accès au centre n’est pour l’heure pas facilité en raison de l’engorgement des voies de transit sur la colonne dorsale que constitue le boulevard Industriel, les relations entre quartiers de part et d’autre du faisceau ferroviaire et du canal sont d’autant mises en difficulté par l’isolement spatial des lieux du point de vue du réseau de transport public, très centralisé sur le Pentagone.
Le faisceau ferroviaire agissant comme axe le plus générateur de nuisances sonores (16) pour le quartier, on peut en conséquence s’interroger sur les modalités de production urbaines induites et les affectations générées par cette macro-infrastructure. Sur la somme des surfaces foncières du quartier, on remarque d’ailleurs l’omniprésence physique des voies ferrés, n’épargnant de fait en matière d’atmosphère sonore que des zones situées dans des lieux enclos entre certains entrepôts se jouxtant de peu ou bien situées le long des rives du canal.
Ce constat est exploité dans la vision transmise ci-après afin de générer des espaces à l’abri des nuisances sonores bien que structurées par ce mode de transport lourd, qui en tant que contrainte est exploité pour générer ensuite des articulations spatiales intéressantes et trouvant plusieurs justifications.
Le calme régnant sur la rive gauche du canal à hauteur des opérations résidentielles des années 60 et 70 est obtenu par la mise à distance d’avec les activités industrielles et la présence de voies de halage rendues piétonnes. Outre le faisceau ferroviaire, il faut bien entendu avoir à l’esprit l’importance de l’automobile dans ces phénomènes de nuisance, accentuant le besoin de développer de nouvelles formes de mobilité axées sur les circulations piétonnes ou cyclables, ou bien en transports en commun tels que les tramways, bien moins bruyants que les trains à la condition de les dissocier un maximum des nouveaux logements.
Bruyant +
Nuisances et confort acoustique
Un quartier bruyant aux espaces ouverts
La présence d’infrastructures industrielles, logistiques, ferroviaires oucomme le démontre l’intensité du bruit autour du canal, les ouvrages portuaires - génèrent de nombreuses nuisances, renforcées par l’absence d’ilots fermés, seuls garants d’une forme de confort acoustique dans le tissu bâti dense des quartiers environnants.
16
Bruxelles
Environnement
Calme
De la même manière que pour empêcher les nuisances acoustiques, la contribution d’un réseau de mobilités douces, dont les sols n’exigent pas l’utilisation d’asphalte ou de métal afin d’empêcher les phénomènes d’ilots de chaleur urbaine (17) serait salutaire.
Si certes des efforts ont été menés afin de favoriser une politique de végétalisation des toitures au même titre que pour l’installation de24 panneaux solaires, on réalise assez difficilement le poids de ces mesures sur le phénomène des ilots de chaleur à l’échelle du quartier malgré des bénéfices certains de récolte des eaux de pluie pouvant par l’emploi de ces toitures pour la plupart extensives, être une raison supplémentaire à des rénovations des couvertures dans un parc logistique et industriel plus ou moins vieillissant.
Le dispositif mis en œuvre depuis 2015 par le gouvernement ne bénéficiait déjà malheureusement qu’aux cent premiers mètres carrés de surface végétalisées, peu importe que l'initiative provienne d’une entreprise privée ou d’un particulier, ce qui au vu des emprises bâties représentait en majorité un faible ratio pour les activités de la Petite-île, dont les surfaces foncières donc de toiture étaient et sont toujours plus souvent chiffrées en milliers de mètres carrés. Depuis la mise en oeuvre du programme « Rénolution », sans25 doute guère au vu des nouvelles conditions d’obtention des primes une « révolution », seuls désormais les programmes résidentiels datés de plus de 10 ans peuvent bénéficier de ladite aide gouvernementale, mettant fin à la facilitation de ces investissements.
Questionnant l’action des pouvoirs publics sur une zone à très fort potentiel de perméabilisation, pouvant jouer un rôle certain sur l’équilibre des sols du quart sud-Ouest de l’agglomération comme le bois de la Cambre le permet au Sud-Est, ce constat révèle une nouvelle fois une absence de souci pour les situations particulières des ZIU et ZEMU de la Petite-île, où est contrarié le recours à une aide publique qui aurait persisté à trouver sa légitimité tout particulièrement ici. A défaut de végétalisation, la décision fut prise d’équiper considérablement le quartier en panneaux solaires, plus rentables mais accentuant le phénomène d’ilots de chaleur.
Prime énergie B5 – Toiture verte, Décision du 11 décembre 2014 du
Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale d’approbation du programme d’exécution relatif à l’octroi d’aides financières en matière d’énergie, 2015
Prime énergie E5 - Toiture : Toiture végétalisée ou stockante en eau, Décision
identique, 2022
24
25
Ilots de chaleur et confort thermique
Des situations très contrastées
A l’exception des zones le long des cours d’eau, l’intensité du phénomène d’ilots de chaleur urbaine est assez fort compte tenu de la présence du faisceau ferré et de nombreuses zones grises. Le tout est accentué par la métallisation des façades des grands entrepôts logistiques.
17 Bruxelles Environnement
Intense +Faible Toitures végétalisées
Acteurs Impact actuel Impact souhaité Intérêts d’une sollicitation
INSTITUTIONNELS / POLITIQUES
Gouvernement bruxellois +++ +++
Facilitation de l’investissement en solutions énergétiques durables Bruxelles-Environnement ++ +++ Dépollution des sols / Facilitation d’un traitement des déchets vertueux
ECONOMIQUES
Entreprises publiques +++ ++ Investissement en solutions énergétiques durables / Traitement des déchets vertueux Gestionnaires d’infrastructures ++ +++ Investissement et développement de solutions énergétiques durables
Fournisseurs d’énergie + ++ Investissement et développement de solutions énergétiques durables
Entreprises privées +++ ++ Investissement en solutions énergétiques durables / Traitement des déchets vertueux SOCIAUX
Habitants = +++ Recours à des solutions énergétiques durables ASSOCIATIFS
Comités de quartier (quartier Wiels Wijk) + +++ Remise en question des décisions prises par les communes et/ou la région Coordination Senne + +++ Coordination interrégionale pour une gestion plus résiliente des eaux de la Senne / Riothermie
Concourir à une passivité énergétique pour un quartier d’industrie illustrerait l’exemplarité d’un modèle de ville productiv e contemporain. Les techniques sont de plus en plus nombreuses et les surfaces foncières encore disponibles dans le quartier permettent le développement et l’enfouissement aisé de nouveaux réseaux énergétiques plus performants.
Si le territoire est, à en croire les modélisations de la plateforme brugeotool, capable de supporter des infrastructures fermées de26 captage de la géothermie, la plaque paléozoïque rocheuse atteignant en moyenne une profondeur de 60 mètres sous la surface du sol, l’investissement dans ce type d’infrastructure pourrait faire l’objet d’une mutualisation par des séries d’entreprises, dont les besoins en eaux de chauffage ou de refroidissement se complèteraient au sein d’un seul et même réseau rationalisé. L’exploitation des eaux souterraines - la nappe aquifère étant sur la totalité de la surface du territoire héritée du caractère alluvial de la géologie - est fortement facilitée par leurs faibles profondeurs. Il est utile face à ce constat de rappeler qu’il puisse s’agir d’une des raisons de la fondation industrielle de ce quartier dès les premières étapes d’urbanisation. De la même façon, la riothermie, technique ayant recours à des27 récupérateurs de chaleur dans le réseau d’égouttage, employée de manière complémentaire, cette méthode permettrait d’abaisser en sus de 25 % les consommations liées tout autant au chauffage qu’au
Brugeotool, consulté sur https://geodata.environnement.brussels/client/26 brugeotool/general/145796/167708/open
Vivaqua, Qu’est-ce que la riothermie ?, consulté sur https://www.vivaqua.be/fr/27 nos-activites/nos-activites-egouttage/riothermie/
Infrastructures liées à l’énergie
Parcelles appartenant aux gestionnaires
Equipement actuel en panneaux solaires
Equipement potentiel en panneaux solaires
Toitures végétalisées
L’équipement en énergies renouvelables est insuffisant au vu des consommations des activités présentes dans le territoire malgré de récents développements en ce sens, facilités par la région bruxelloise.
Réseaux d’énergie et potentiels de durabilité Une transition énergétique envisagée 18
Bruxelles
Environnement
refroidissement des édifices. Mis en oeuvre à Uccle, la technique trouve un intérêt de performance énergétique mais un doute subsiste quant à sa rentabilité à l’heure actuelle, le modèle n’étant ni encore largement diffusé ni démocratisé.
Du fait des nombreux espaces ouverts et la situation dans le corridor venteux du fond de vallée de la Senne, la mise en oeuvre d’infrastructures éoliennes pourrait être légitimée le long des voies de chemin de fer ou du cours du canal. L’installation de panneaux solaires, du fait des multiples et immenses surfaces de toiture plates ou de faible inclinaison, est elle aussi justifiée pour l’approvisionnement calorifique des bâtiments. La carte ( 18 ) définissant les emplacements potentiels de ces structures définit un ratio supérieur à 80 % de la surface foncière bâtie totale du quartier. Or, certaines installations pour l’heure déjà présentes ou nouvellement édifiées font fi de l’occupation de ces surfaces en toiture pour se développer sur pleine terre comme en témoigne l’aménagement d’IPM Press Print, le long du boulevard Industriel.
Enfin, il est important de questionner pour faire le bilan exhaustif des infrastructures liées à l’energie le statut des gazomètres, propriété de Sibelga. Ceux-ci marquent fortement l’identité du territoire et dans un contexte de crise énergétique sont un enjeu de soft power assez important dans un pays qui importe en 2022 95 % de ses ressources nécessaires en énergies primaires. Ces gazomètres (19), bien que présents depuis l’installation dans le quartier - à l’emplacement actuel des centres de formation d’Actiris - de la Compagnie Continentale du Gaz, ont été à maintes reprisescomme en témoignent les cartes historiques - déplacés ou bien ont fait l’objet de démantèlements successifs.
Les dernières orientations paysagères à l’échelle du quartier laissent peu de place à ces aménagements de stockage, les cuves cylindriques des abords du bassin Biestebroeck au Nord démantelées pour laisser place à une promenade. Il subsiste cependant le site sensible Seveso de Comfort Energy plus au Sud le long du canal, ravitaillant les poids lourds en essence. Associées à la pollution des sols, ces structures, établies dès l’industrialisation du quartier et la présence des compagnies du gaz sont les derniers témoins du long passé d’exploitation industrielle du quartier, ce malgré les volontés, sauf à de rares exceptions, du politique d’effacer les traces de cette histoire récente.
Gazomètres et impacts physiques
Une identité territoriale à préserver
Rayonnant au centre du quartier, ces cuves sphériques marquent fortement le paysage et affirment la dimension productive liée aux énergies sur le site. Dans un contexte historique de crise, il serait de mise de favoriser le plein emploi de ces structures afin de garantir un minimum d’indépendance ou de se tourner vers de nouveaux schémas de consommation afin d’éviter le recours au gaz naturel.
19 Google Earth
Les programmes immobiliers récents répertoriés avant (10), sous couvert de bonne intention, prétendent engager la dépollution des sols à leurs frais, légitimant leurs interventions massives dans l’espace public. Or, en regardant de près le nouveau régime des primes à la dépollution depuis 2018, on réalise que celles-ci sont28 accordées peu importe l’ampleur du terrain et que dans le cas d’un parcellaire plus petit et mieux en phase avec le tissu bâti environnant, sans diminuer la volonté d’une intensité et de verticalités, il serait à la limite envisageable pour un petit investisseur privé souhaitant développer quelques dizaines de logement de dépolluer et de rentabiliser son opération sans assister à des phénomènes de macro-lotissements.
Il ne s’agit en outre pas de négliger le caractère industrieux du territoire, celui-ci a gravé son empreinte dans la nature même du sol, soumis à une pollution tangible depuis plus d’un siècle. L’attitude à adopter face à cela est ambivalente : Y a-t’il lieu de rendre son caractère pseudo-virginal, néorural dépouillé de la marque du temps, de l’industrie ou de la pression démographique à ces territoires ? Cela semblerait relever du passéisme sans se confronter à l’essence même du milieu. A contrario, la perpétuation du modèle de production urbaine sacrificiel est inenvisageable.
Préfigurant un modèle d’urbanisation propice à la réintroduction d’usages liés à l’oisiveté dans ce territoire enclavé, cette première partie sous forme d’atlas constitue la première étape à la réhabilitation et la transmission d’une perception complexe et croisée de ces lieux dans nos imaginaires via la juxtaposition des strates.
Davantage à percevoir comme des orientations, les développements sur les méthodes dont il est fait mention au long du présent travail de recherche nous mènent à considérer avec de nouvelles clefs de lecture la capacité des territoires à tirer partie de leurs histoires et situations actuelles pour s’incarner dans un futur plus cohésif, interdépendant et durable de fait.
Bruxelles environnement, Les primes sol, 2018, consulté sur https://
environnement.brussels/thematiques/sols/pollution-du-sol/les-aides-financieres/ les-primes-sol
28
Pollution des sols
Parcelle potentiellement polluée
Parcelle non polluée / suspectée d’être non polluée
Parcelle légèrement polluée / suspectée d’être légèrement polluée sans risque Parcelle polluée sans risque / suspectée d’être polluée sans risque
Parcelle polluée en cours d’étude ou de traitement ou suspectée d’être polluée avec d’éventuels risques
Un enjeu de viabilité pour les projets, des solutions
20 Bruxelles Environnement
II. Visions
« Le sentiment de la dérive se rattache naturellement à une façon plus générale de prendre la vie, qu’il serait pourtant maladroit d’en déduire mécaniquement. Je ne m’étendrai ni sur les précurseurs de la dérive, que l’on peut reconnaître justement, ou détourner abusivement, dans la littérature du passé, ni sur les aspects passionnels particuliers que cette dérive entraîne. Les difficultés de la dérive sont celles de la liberté. Tout porte à croire que l’avenir précipitera le changement irréversible du comportement et du décor de la société actuelle. Un jour, on construira des villes pour dériver. On peut utiliser, avec des retouches relativement légères, certaines zones qui existent déjà. On peut utiliser certaines personnes qui existent déjà. »29
Nécessitant de se positionner avant de proposer un modèle figé de réponse face à des enjeux territoriaux les plus variés, il s’agit dans ce second acte de transmettre progressivement une vision pour l’avenir du quartier.
Si ont été discutés nombre d’enjeux venant alimenter une réflexion assez élargie sur le domaine d’étude, il convient de proposer à l’issue de ces considérations des modèles, relevant de plusieurs constats réalisés au cours du travail. Ceux-ci s’inscrivent dans des stratégies d’intervention bien ciblées et une lecture attentive des articulations des parcelles et des dimensions explorées. Ils sont à interpréter comme autant de combinatoires et d’ouvertures possibles pour générer du sens dans l’urbanisation à venir du territoire d’étude.
Debord, G., Théorie de la dérive in Les lèvres nues, n°9, 1956
29
Des décompositions
« Architecture is a vital penetration in a context which is always plural, mysterious, cultivated and structured. Its creative mission is to make the situation visible, to order the existing, to accentuate and amplify the place. It always consists in a rediscovery of the Genius Loci which it proceeds. »30
En considérant la question territoriale, on peut affirmer qu’en prenant de la distance avec les choses on prenne aussi la mesure de leurs dissemblances. L’observation des réalités macro et micro confirme notre place dans un entre-deux familier. La confrontation avec ces échelles si elle est trop brutale confère cependant à une instabilité : vertige, claustrophobie, agoraphobie : quels témoins plus puissants de l’importance d’une conception harmonieuse et envisagée sur l’échelle entière d’un territoire ? Si malgré tout sont rarement poussées à leurs paroxysmes ces manifestations intuitives pénibles liées à l’oreille interne et au métabolisme, on peut néanmoins considérer qu’elles devraient jouer un rôle bien plus décisif dans la production de la ville en dépassant les questions liées au parcellaire, aux pressions foncières ou aux politiques de développement hégémoniques car la fenêtre incarne la mise à l’échelle humaine. En cela, elle traduit universellement l’échelle domestique, d’identification de soi et des hommes, peu importe l’ampleur de la construction. Elle figure aussi l’affectation de l’édifice, sans proprement la déterminer.
En tant que lieu transitionnel par essence, définissant un seuil à la frontière floue de part et d’autre de son occupation, la fenêtre incarne avant tout l’esprit de son occupant. Ainsi, si pour un être humain vue de l’extérieur la fenêtre peut constituer un lieu de construction du désir, de l’intérieur un lieu d’enfermement, de frustration du désir, il apparaît que cette conception puisse différer selon plusieurs facteurs (genre, âge, culture), on assimilerait donc la fenêtre à une interface dynamique, un objet sur lequel nos conceptions individuelles viennent se heurter.
Ungers, O.M., Gieselmann, R., 1960
30
Dynamiques angulaires des façades
Des amorces à de nouvelles compositions
L’exemplification par les projets présentés sur la page précédente démontre la capacité de coexistence de gabarits de tailles variées, témoignant du potentiel de diversification d’ampleur et d’alambiquement des emprises construites. Développant à partir de l’existant des jeux formels, la composition d’origine, souvent simple, est réinterprétée.
Google Earth
21
Les itérations présentées sur la double-page précédente tiennent lieu d’extrapolations des dynamiques existantes du patrimoine bâti. En composant à partir de ces volumétries sans remettre en cause leurs affectations premières, l’initiative encourage la sauvegarde des activités productives déjà présentes. Plus encore, ces activités se trouvent renforcées de par la présence de pôles de mutualisation des accès et de lieux d’intensité urbaine, conformément au souhait de générer sur le territoire un phénomène de densification répondant à un besoin de logement, d’activités de production et donc d’une forme de métropolisation du cadre de vie. Les méthodes de complexification à partir des amorces de l’existant et notamment la question de l’angle balisent la construction future de la ville. Les dessertes liées aux livraisons sont surmontées de nouvelles activités, générant également un couvert pour ces rez déjà activés par les pôles logistiques. Une meilleure pratique des modes de transports doux est favorisée, de même que de nouvelles liaisons avec les quartiers environnants, au-dessus du faisceau ferré par exemple.
A mettre en relation au tissu résidentiel bruxellois, actif et conférant à une énergie urbaine rare, même en Europe de l’Ouest, la fenêtre, constituée selon des modes de composition variés, a donné et donne toujours de la substance à la ville, ce depuis la popularisation de la verrerie, tenant lieu de balise historique à la constitution de la ville moderne. Enoncée par Alberti comme « un acte inaugural », l’évolution de la figure de la fenêtre comme passage vers la fenêtre barrière physique dès lors le verre popularisé et démocratisé.
Si la dualité dénotée en introduction sur l’affectation des façades du parc logistique laisse à penser de manière dichotomique le tissu bâti du territoire d’étude, on peut aisément se rendre compte qu’un catalogue extrêmement varié de baies composent le quartier, avec des exemples tantôt datés de la fin du XIXe siècle que de ces dernières années. On relève que ces façades possèdent un degré d’ouverture se distinguant systématiquement, ceci la plupart du temps lié à la vocation initiale des lieux de leurs percements. (22)
Tout autant que la combinaison de notes d’une jolie mélodie est aussi une combinaison de silences, un cadrage visuel bienvenu ouvre autant le regard sur une partie du tout qu’il ne l’occulte sur une autre, une fenêtre à elle seule est le choix guidant le destin d’un lieu.31
Bachelard, G., La poétique de l’espace, Presses universitaires de France : Paris,
31 1957
Catalogue typologique des façades
Des élaborations variées
Si faire entrer la lumière, c’est d’une certaine manière remettre en cause le caractère sécurisant de l’enveloppe par l’entremise d’un percement, c’est aussi par là-même donner de la substance à cette enveloppe, en connaître son épaisseur, c’est vivifier son existence propre et l’expérience en résultant.
Visites in-situ Google Earth
22
En provocateur, Lyotard énonce : « La télécommunication et la32 téléproduction ne nécessitent pas des villes bien faites. L a mégalopole constitue la planète, de Singapour à Los Angeles et Milan. Une unique zone toute entière entre rien et rien; elle s’abstrait de la durée et des distances vécues. L’habitat devient un habitacle où la vie consiste à émettre et recevoir des messages ».
Les tendances récentes rendent le vitrage presque occultant, assimilé à un miroir et développé comme une surface sur laquelle disparaissent nos singularités, traçant une mythologie singulière à cet élément du quotidien jusqu’à notre ère cybernétique.
L’introduction d’une démarche analytique basée sur le degré fractal des espaces de frange pourrait révéler un point pertinent de la construction spatiale et mentale de la périurbanité. Si une logique de décomposition fractale usitée telle que celle théorisée pa r Frankhauser s’avère limitante du point de vue d’espaces fortement33 clivés tels que le territoire de l’étude pour lequel elle ne démontre pas son efficacité, soulignant la propension dudit territoire à s’inscrire de manière assez singulière dans son environnement, le manichéisme de l’approche rend néanmoins compte au sein du maillage urbain à l’étude des répétitions à échelles distinctes de spatialit és hiérarchisées.
Le décalage entre la perception de la distance visuelle ou à vol d’oiseau et la difficulté de la déambulation spatiale définissent quant à eux la notion de fracture. La fracture doit donc être assimilée à un défaut de complexité immanent de la machine métropolitaine sur lequel une remédiation par la méthode fractale s’avèrerait salutaire. Comme le théorise Salat en évoquant le potentiel de durabilité et34 de dynamisme des structures spatiales possédant le degré fractal le plus optimisé, l’association de la méthode décrite et sa mise en perspective avec la zone d’intervention peut être à l’origine d’une lecture nouvelle des périphéries et d’une démarche critique.35
Lyotard, J., La Condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Editions de32 minuit : Paris, 1979
Frankhauser, P., La morphologie des tissus urbains et périurbains à travers une33 lecture fractale in Revue Géographique de l'Est, vol. 45 / 3-4, 2005
Salat, S., Labbé, F., Nowacki, C., Les villes et les formes : sur l’urbanisme34 durable, CSTB : Paris, 2001
Ci-contre, Krier, L., The architecture of community, Island Press : Londres, 2009
Des décompositions
« Les structures fractales optimisent les flux urbains et sont également primordiales pour apporter aux villes la résilience qui leur fait si gravement défaut aujourd’hui. Plus la ville est structurée et complexe, plus elle peut se nourrir des perturbations qu’elle subit, en les amortissant sans déstabiliser sa structure. Et c’est en assimilant ces fluctuations et ces tensions au sein de sa structure qu’elle se complexifie pour mieux les amortir. Il y a donc un dialogue permanent entre les capacités de résilience de la ville et les contraintes qu’elle subit. »36
Entraîné à percevoir des motifs, l’esprit humain rationalise et réduit la quantité d’information lui parvenant en assimilant non pas l’addition de systèmes similaires comme une somme mais bien en faisant synthèse - dans un souci de perception globale de son environnement sensible - des stimulis présent dans son champ perceptif. Eu égard aux théories de la forme, des commandements s’imposent à la perception, ceux-ci détaillés par les théories gestaltistes. Y-a-t’il dans les politiques de développement37 territoriales un égard pour ces questions dans le vécu de l’urbanité ?
Les schémas de développement des zones logistiques et d’industries en contextes d’agglomération humaine prennent depuis le courant du XXe siècle la forme de distensions physiques, agrégats de boîtes conférant à la ville tentaculaire et omettant souvent de trouver à travers les espaces attenants des logiques spatiales génératrices de sens. Ce postulat cependant est dans le cas de la Petite-île contrebalancé dans le grain fin par des exemples de gabarits singuliers, prenant la forme de maisons individuelles, de fragments d’îlots, de pépinières d’entreprises aux logiques spatiales sophistiquées, parfois loufoques, de reliques de l’âge d’or industriel du quartier, etc., générant un catalogue de compositions variées que nous nous devons d’analyser plus finement. (23)
Salat, S., Labbé, F., Nowacki, C., Les villes et les formes : sur l’urbanisme36 durable, CSTB : Paris, 2001
Husserl, E., Idées directrices pour une phénoménologie, Niemeyer : Halle, 1928
37
Décomposition du parcellaire
Une archéologie spatiale instructive
Le dévoilement des caractéristiques du cadastre communique sur les dynamiques de développement des entreprises, les opérations immobilières et urbanistiques, tout ceci ayant une influence conséquente sur la production spatiale, ce sans même nécessiter d’avoir d’égard pour ce qui a trait aux exigences constructives ou urbanistiques édictées par les services municipaux ou régionaux.
23 Bruxelles Environnement Google Earth
Parcelles non construites
Parcelles entièrement bâties
Parcelles bâties présentant un édifice ni mitoyen ni contigü au réseau viaire
Parcelles bâties présentant plusieurs édifice ni mitoyens ni contigüs au réseau viaire
Parcelles faisant l'objet de constructions affiliées à des parcelles mitoyennes
Parcelles bâties présentant un édifice ni mitoyen ni contigü au réseau viaire
Parcelles bâties présentant plusieurs édifice ni mitoyens ni contigüs au réseau viaire
Parcelles faisant l'objet de constructions affiliées à des parcelles mitoyennes
Parcelles entièrement bâties
Recomposition cadastrale
Une remise à l’échelle de l’individu
La décomposition des façades et des parcelles permet de proposer de nouvelles lectures au territoire, mettant en exergue un positionnement programmatique basé sur l’individualité des formes d’habitat dans la lecture verticale et sur le développement foncier d’activités productives.
Parcellaire hérité Recomposition cadastrale
Pignons aveugles
Nouvelles activités productives
24 Bruxelles Environnement Google Earth
« Fracture » et « fractale » empruntent chacun au latin fractus (briser).
Ces considérations étymologiques permettent d’affirmer l es capacités de ces termes à traduire des réalités à la fois dans des relations de correspondances ou de paradoxes lorsqu’il s’agit de les employer pour caractériser des territoires. Si pour fractale c’est la méthode qui est désignée (fractionner des segments dans un souci de sophistication formelle, de manière exponentielle pour illustrer l’entropie et des potentiels d’interaction et d’analogies croissantes dans le temps (alis \ˈaː.lis\ : Suffixe adjectival marquant la relation, l’appartenance, la dépendance), la fracture telle qu’on l’entend ici (ure : Le radical est un verbe et le suffixe indique une action) participe à plus large échelle à un amoindrissement de la lecture fractale de la ville.
La proposition de recomposition cadastrale (24), basée sur les études entreprise autour des degrés d’ouverture des fenêtres (22) et particulièrement des pignons aveugles vient infuser au sein d’un territoire morcelé par de très larges emprises construites des fragments d’individualités et alambiquer le rapport à ces façades pauvres en expression architecturale qui tiennent pourtant place le long de bon nombre d’axes routiers. Lesdites façades jusqu’ici vectrices d’une perception du quartier comme nécessitant un investissement esthétique amoindri lors de nouvelles édifications visà-vis d’autres quartiers bruxellois, la méthode d’intervention sur le parcellaire, contrecarrant les logiques de production urbaines, tient ici lieu de manifeste pour voir s’épanouir une proximité entre habitants, travailleurs et transiteurs et garantir au territoire des interventions sous forme de petits programmes où l’attention au détail sera possible voire condition sine qua none de la délivrance des permis.
Les nouvelles propositions d’implantation d’activités productives, dimensionnées en regard des standards existants dans le quartier, n’empêchent guère ces nouveaux établissements de population, l’occupation des activités en rez et leur ceinturage encourageant la compacité des constructions et des économies d’énergie certaines tout en relayant en rez l’idée de gabarits pouvant trouver une échelle intermédiaire au sein d’un système de l’ordre du macroscopique.
On retrouve cette échelle intermédiaire dans la décomposition du territoire lorsqu’il s’agit d’analyser l’îlot, qui, dans ce qui compte tenu de la grande largeur des voies de transit (sans même évoquer les
Recomposition volumétrique
Des densifications au cas par cas
L’intégration des nouvelles volumétries dans une logique fine de densification permet l’implantation d’habitants dans des lieux se trouvant dotés de nouvelles énergies urbaines par un processus non pas de requalification mais bien de révélation des qualités existantes et des potentiels d’appropriation affectives par les nouveaux occupants.
25 Bruxelles Environnement Google Earth
2 4 3 5 6 7 1
grandes infrastructures de ceinturage), constitue en soi un archipel urbain. Exploitant ce constat, la proposition volumétrique (25) se sert de cette décomposition pour définir une relecture spatiale du quartier.
Ainsi, tirant partie des atmosphères, tantôt imprégnés des héritages liés à l’industrie portuaire (1), aux infrastructures en lien avec les énergies (2), aux enclavements et axialités générées par le faisceau ferroviaire (3), ou bien dévoilant des qualités paysagères à révéler à des degrés et échelles divers (4, 6, 7) ou bien dans un souci de renfort de dynamiques urbanistiques (5), ces qualifications en « parc habité », « promenades », « isolats pavillonnaires », « intensités », « flux », etc., permettent de proposer de nouvelles définitions, qui rendent compte d’un point de vue plus large des sensibles variétés d’ambiance au sein d’un quartier : un lieu, décomposable non pas en « sous-lieux » mais bien en lieux à une échelle raisonnable pour se définir comme la nouvelle couche d’un palimpseste.
Des propositions
Dans un modèle économique, politique et culturel propice à s’interroger sur ses habitus, il est de mise de questionner les modèles de développement urbanistiques hérités des XIXe et XXe siècle, de surcroit quand ceux-ci représentent un enjeu démographique, écologique ou énergétique de premier plan pour une métropole comme Bruxelles.
Ces développements convergent vers une partie de la caractérisation de Foucault d’état « hétérotopique » du matériau urbain. Ne38 cherchant guère à s’imprégner d’une forme de beauté, ni idéelle ni concrétisée, ces espaces renvoient tout un chacun à la notion d’absence. En cela, ils touchent à une réalité implicite de la pratique urbaine que le philosophe exprime en ces termes :
« Dans le miroir, je me vois là où je ne suis pas, dans un espace irréel qui s'ouvre virtuellement derrière la surface, je suis là-bas, là où je ne suis pas, une sorte d'ombre qui me donne à moimême ma propre visibilité, qui me permet de me regarder là où je suis absent - utopie du miroir. ».
Sans faire table rase de l’existant, en tirant partie des activités s’y déroulant, il devient envisageable de deviner un avenir plus vertueux et compatible avec la morphologie urbaine environnante, tant en matière d’identités territoriales, autant en interaction perpétuelle avec ses abords, que de manière quasi hétérotopique dans une volonté plus autarcique : habiter la Petite-île aussi qualitativement qu’habiter Saint-Gilles ou le Pentagone, animant une riche vie de quartier.39
Foucault, M., Dits et écrits, Des espaces autres (Hétérotopies) (conférence au38 Cercle d'études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, pp. 46-49, 1984
Ci-contre, The City in the City : « Pictures at an Exhibition », 1977, Riemann P., Ungers, O. M.
Des dessertes de livraison rationalisées
Tenir compte par ailleurs de la présence du réseau de voiries semble inévitable dans un quartier soumis à une intense circulation, a fortiori celle des poids lourds, nécessitant des gabarits spéciaux pour les ouvrages d’art présents tout du long des accès aux emprises logistiques.
De nouveaux potentiels spatiaux libérés
26 Visites in-situ Bruxelles Environnement
A l’origine d’un nouveau schéma de circulation des poids lourds, la rationalisation des voies de desserte permet de dégager un espace certain pour de nouvelles séries d’activités productives, économiques et résidentielles (26).
Les accès aux emprises logistiques étant consommateurs d’espace et ayant la capacité d’être usités à des moments précis de la journée selon un planning établi, les espaces actuels étant dimensionnés pour un usage à plein temps, ce déconnecté des conditions de livraisons, souvent temporisées de manière discontinues au cours du jour et de la nuit, permettre une mutualisation des usages de ces accès, comme une juxtaposition, en ayant cerné les nœuds de transition entre moyens de transport selon les analyses cartographiques, les visites in-situ et les conclusions tirées des développements théoriques, permet dès lors de dégager des stratégies d’implantation autour d’articulations considérées à même de désengorger pour partie le trafic des véhicules, en ayant à cœur simultanément une forme de souplesse tout comme une réponse agissant comme système sur l’ensemble du territoire.
Ces dessertes désormais gérées collectivement le sont au bénéfice de la mise à disposition d’une variété de surfaces foncières enclavées ou non et pour lesquelles il existe des milliers de façon d’intervenir, en dialogue sémillant avec les dynamiques déjà à l’œuvre.
L’ampleur du terrain, auquel il convient bien entendu d’ôter les circulations automobiles, cyclables et piétonnes, rend possible en idée la réinvention d’un quartier semblant jusqu’alors conditionné par les activités et les structures viaires, y étant de nos jours figurées comme des déterminants spatiaux. (27)
La sophistication menée en projet autour de ces dynamiques dégagées permettrait de manière inattendue de réinventer en profondeur une structure qui mériterait qu’on s’attache à ses nombreux potentiels pour proposer une composition de la conciliation entre production et intensité citadine.
Redéfinition des vacances foncières
En ôtant les emprises liées à la réception des marchandises et devant les façades dites « tertiaires » du parc industriel, ce en considérant le nouveau schéma de circulation des poids lourds et en sanctuarisant les espaces verdurés, on peut dégager un espace constructible considérable dans le quartier, symbolisé en noir ci-dessus et permettant d’amorcer une certaine redéfinition de ces lieux jusqu’alors de transit.
Une lecture nouvelle du quartier
27 Google Earth Bruxelles Environnement
La qualification des espaces de marge du tissu bâti comme entrées de ville, faubourgs, espaces tampons est à plusieurs égards interessante car elle interroge la capacité du tissu bâti à se lier avec les espaces ségrégués de la zone industrielle, et ce ponctuellement. Néanmoins, si l’interrogation quant à la place de l’automobile dans nos vies persiste, il est rarement envisageable de tenir le même propos quant aux voies ferroviaires. L’enclavement de la zone nécessitera des adaptations pour arriver à faire lien avec les amorces bâties des quartiers voisins.
Dès cet instant, on assimile mal les projections cadastrales basées uniquement sur l’occupation des sols, Infrabel possesseur de la majorité des emprises foncières ceinturant le quartier et sur des largeurs souvent supérieures à 100 m, générant au même titre que le mur de Berlin un no man’s.
Pour concourir à faire du quartier un morceau de ville, il est nécessaire de réviser en profondeur notre rapport à l’espace foncier et s’en tenir à ces relectures sans s’emparer de manière plus affirmée et positionnée du sujet ne mènerait guère à des prises de position novatrices.
Des propositions
« Le sens pratique oriente des “choix” qui pour n’être pas délibérés n’en sont pas moins systématiques, et qui, sans être ordonnés et organisés par rapport à une fin, n’en sont pas moins porteurs d’une sorte de finalité rétrospective […] [qui illustre] la rencontre quasi miraculeuse entre l’habitus et un champ, entre l’histoire incorporée et l’histoire objectivée, qui rend possible l’anticipation quasi parfaite de l’avenir inscrit dans toutes les configurations concrètes d’un espace de jeu »40
L’objectif d’une intervention raisonnée au moyen des potentialités du site reposerait à l’issue des notions abordées jusqu’alors et plus exhaustivement encore sur l’amoindrissement de la rupture sociale entre le haut et le bas de la ville, la capacité de connexion du matériau urbain, des considérations quant aux identités historiques, environnementales des lieux et de ses sociologies, bien que ces dernières ne soient qu’un facteur adaptatif comme bien des exemples l’ont prouvé avec d’ailleurs des résultats peu convaincants en raison des phénomènes de gentrification assez peu porteurs de sens pour ces espaces traditionnellement prolétariens.
Si le parti-prix de la radicalité pour Biestebroeck semble aujourd’hui résider dans la volonté d’y implanter un noyau dense, pour le reste de la zone d’y maintenir la production, c’est à mon sens en cherchant à définir pour ces lieux des parti-prix radicaux d’une manière plus affirmée encore que le simple objectif de densifier que ceux-ci pourront faire corps à la ville et appartenir avec moins d’ambiguïtés à l’archipel métropolitain.
Afin de parvenir à des solutions originales, toucher à des définitions de lieux de l’altérité pour les développements futurs, la méthode employée par Mathias Ungers, lorsqu’il tente par des analogies de définir la structure métropolitaine berlinoise est réinterprétée par mes soins pour le quartier de la Petite-île.
Bourdieu, P., Le sens pratique, Editions de minuit : Paris, 1980
40
L’atlas de la première partie du présent travail de fin d’étude a engagé des collectes de données ayant permis de redéfinir sur les trames viaires ou cadastrales des engagements et positionnements vis-à-vis des ressources existantes : ce qui s’en est dégagé est le maintien des activités, la mise en oeuvre de continuités vertes ou la minimisation de l’ampleur des dessertes. Le projet dont l’aboutissement est bien d’ouvrir à des pistes nouvelles souhaite se saisir des documents de représentation spatiale en mettant l’accent selon le cas de figure sur des jeux de superposition d’informations bien choisies.
Engagée de manière intuitive et non pas à l’échelle de la ville entière mais au contraire ici d’un territoire dont les volumétries sont appréhendables à la taille de l’étude, il s’est agit de se réapproprier la méthode d’Ungers en choisissant tout d’abord d’en définir la genèse, ce qui a donc pu amorcer les choix de références.
Deux représentations cartographiques sont citées en référence pour chacune des lectures engagées et l’analyse calquée sur celle du théoricien engage - avec ces quelques variations résidant dans la révélation des strates - un même projet de conscientisation de logiques spatiales démontrables en isolant certains éléments de composition.
Les références spatiales, d’échelles variées et puisées dans les cultures architecturale et urbanistique à travers les sièc les, définissent des stratégies d’aménagement légitimées. Les propositions, multiples, sont adaptées à des lieux d’implantation définis comme des noeuds d’interaction forts à partir desquels peut naître en concepts bien qu’en envisageant quelques adaptations une trame urbaine bien plus rythmée par le foisonnement de gabarits les plus variés.41
En inversant le regard sur la périurbanité et sur les difficultés occasionnées par des enjeux les plus variés tels que la pollution des sols ou l’acoustique par exemple, les projets tirent partie de ces nuisances comme annonciateurs de profonds remaniements spatiaux. L’atlas négativé devient le support d’intuitions pour le quartier du XXIe siècle.
Ci-contre, The City in the City : Méthodologie d’implantation en concept par analogies spatiales, 1977, Ungers, O. M.
Lecture croisée 1
Contextes hydrographique et cadastraux
L’eau vécue comme barrière physique devient trait d’union entre deux rives. Annonciatrice de crue, ses qualités minérales le sont désormais au bénéfice du thermalisme le long des rives redécouvertes de son ancien cours.
L’eau de l’exploitation industrielle, vecteur d’insalubrité en aval et à l’origine du voûtement de la Senne maintenant la matrice de modes d’habitat insolites.
28
Lecture croisée 2
Contextes environnemental et thermique
La terre naturellement fertilisée mise à profit pour développer un mode de culture inspiré des rythmes ancestraux.
Les talus constituant des corridors écologiques affirmés comme de nouveaux lieu d’habitat novateur sans nuire à la libre circulation des espèces animales.
Les espaces résiduels hérités réinterprétés comme un réseau de parc métropolitain.
29
Lecture croisée 3
Mobilité et contexte acoustique
Des lieux de relégation comme nouveaux symboles forts de la cohésion sociale et des infrastructures vectrices de lien.
Des enclaves dans l’enclave mises au service de la population et de ses besoins tout en garantissant des ambiances acoustiques sereines.
De nouveaux réseaux de mobilité et de nouveaux rythmes générés.
30
Lecture croisée 4
Energies et pollution
Des fondations industrielles préservées et réinterprétées pour offrir au quartier un rayonnement au-delà de ses frontières.
De nouveaux services intermodaux dans un quartier emblématique de la ville productive. De nouvelles formes d’habitat rationnelles et compétitives sur le plan énergivore et des implantations en symbiose avec un patrimoine environnemental à révéler.
31
Lecture croisée 5
Affectation des sols et typologie des façades
Des centralités affirmées et de nouveaux équipements culturels.
Des lieux alternatifs à destination d’un public des quatre coins de la capitale.
La constitution de nouveaux coeurs de quartier pour rompre avec la binarité des zonages, développer de nouvelles porosités et des lieux incarnés par le local tout en proposant de nouveaux itinéraires et usages pour les locaux.
32
CSynthèse des propositions
BDes villes dans la ville, un quartier aux mille visages
AVue comme un terrain d’expérimentation, la ville périphérique mise non plus uniquement au service de la production mais recomposant une myriade de possibilités d’itinéraires et de rencontres. Le hasard ainsi ré-infusé dans un morceau de ville dont la définition stérile et jusqu’ici basée sur des impératifs de production nous laisse désormais entrevoir des radicalités de définitions.
33
Vue vers le Sud à l’extrême Nord du Boulevard Industriel
BVue vers le Nord sur le Boulevard industriel à hauteur des gazomètres
CVue vers le Nord sur le Boulevard industriel depuis l’extrême Sud de la zone d’étude
Des visions à l’échelle perceptive
Des adaptations, un même désir d’intensité urbaine
Pas sans éveiller quelques doutes compte tenu de l’ample échelle territoriale d’étude, au prisme des constats et positions développées et afin de proposer une réelle immersion dans le nouveau paysage urbain, les trois synthèses sous forme de vues déployées ci-après tentent de conjuguer dans leurs expressions impératifs de maintien des activités et de l’héritage patrimonial tout en reconquérant des espaces délaissés.
A
34
A
B
C
Conclusion
Des questions ?
S’il en reste, le propos tenu est bien celui de l’ouverture.
Cherchant à contribuer à des réflexions sur un paysage urbain malmené, celui d’une zone monopolisant les injonctions productives de la machine urbaine sans chercher à déployer d’usages confinant aux réjouissances, l’argumentation se place dans un contexte théorique propice aux détours pour mieux déterminer au fil des interprétation une idée non pas préconçue de ce qui fait ville mais bien tenir des pistes solides et complémentaires pour un territoire
destiné à développer originalement et radicalement des modes de penser la coexistence des activités et des êtres humains.
A l’instar de Berlin où certaines décisions urbanistiques ou architecturales trouvent de la difficulté à être décrié du fait de la constitution même de l’urbanité, brutalisée en profondeur par la présence du mur, dégageant dès lors des « lieux de tous les possibles », la Petite-Île comme atelier de Bruxelles se confronte elle aussi à un phénomène d’urbanisation de ses franges à vitesse exponentielle.
Du fait de la caractérisation atypique du quartier et de son apparente déconnexion aux structures résidentielles avoisinantes, les qualifications de ZEMU et ZIU héritées de la marchandisation des parcelles rendent possible une forme de mainmise des grands promoteurs au vu de l’ampleur des projets sans pourvoir aux riverains une capacité de questionner les décisions prises. Or, c’est bien des dernières parcelles disponibles à proximité immédiate de la ville-centre dont il s’agit et dont les modes de mise sur le marché questionnent fortement le regard contemporain posé sur la ville et notamment le droit pour des ménages de classe moyenne ou modeste à s’y établir.
Déconstruire le regard sur ces espaces, c’est aussi déconstruire leurs modes de production impersonnels qui en tant que tel déréalisent la relation à la ville-centre.
Comme des principes en puissance, les jalons désormais posés pour mieux caractériser l’indéfinition actuelle d’un quartier, le décomposer pour mieux y composer dès à présent, y agir pour y favoriser des interactions entre producteurs et habitants de la ville, il convient dès maintenant de se positionner face à tous ces enjeux pour mieux proposer, pour mieux définir la Petite-île comme partie intégrante d’un archipel métropolitain unitaire.
La nouvelle couche du palimpseste architectural, comme manifeste d’un droit à la ville retrouvé et d’usages innovants, objective la ville comme terrain d’expérimentations, il devient d’ici possible de voir dans l’indétermination d’un isolat d’infinies possibilit és d’aménagement dès lors que l’enclavement non plus pensé comme contrainte pour la cohésion de la ville lève le voile sur une idée nouvelle de ce qu’est éprouver la liberté : celle de créer dans son quartier, d’y répondre à ses besoins primaires et secondaires, d’y échanger, de s’y émanciper, en somme de s’y retrouver.
Bibliographie
Sur la Petite-île
Atelier Bruxelles, métropole productive, A good city has industry, Bruxelles : éditions Bozar, 2016
Be canal, be.bruxelles, Puissant J.,Van Praag Y., Nakhlé L., Demeter S., Vanderhulst G., Canal ? Vous avez dit canal ?! Etat des lieux illustré du territoire du canal à Bruxelles, pp. 31-45, 2014
Bokhorst, H., Toponymie. Histoires oubliées au coin des rues. Des Bogards à la Petite Ile, Le Soir, mercredi 21 août 2002
Citytools, Latéral Thinking Factory, Rive droite : Etude de faisabilité sur la zone d’industrie urbaine du Pras, Cahier 1 : Diagnostic, Commune d’Anderlecht, Fevrier 2017
Delfosse, C., Et au milieu coule un canal in Médor, n°21, décembre 2020
Kandjee, T., Claeys, M., Stevens, M., Masterclass Canal Anderlecht : 5-6-7 juin 2013, boîte à outils : inventer, construire, gérer l'espace public, 2013
Lacasse, G., Should I stay or should I go, Un paysage industriel déjà presque disparu, Research by design (BMA), 2021
Perspective.brussels, Observatoire des activités productives, 2011
Perspective.brussels (Bureau Bas Smets, Vercammen S.), Territoire du canal, plan de qualité paysagère et urbanistique
Rebout, M., Dissipation urbaine du sud-Ouest bruxellois : les emprises industrielles à l’épreuve perceptive de la ville, vers un développement polymorphe ?, 2019
Scohier, C., Babar, L., L’impact des projets immobiliers dans la zone industrielle d'Anderlecht : Analyse du tissu entrepreneurial et de la propriété, IEB, 2013
Vanhelder, A., Bruxelles, ville productive, fabrication de la ville dans le territoire du canal, ULB, 2018
Ouvrages généraux
Arendt, H., Condition de l'homme moderne, Paris : Calmann-Lévy, 1958
Augé, Marc, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil : Paris, 1992
Bachelard, G., La poétique de l’espace, Presses universitaires de France : Paris, 1957
Baudry, P., La ville, une impression sociale, Belval : Circé,, 2012
Berthoz, A., La Simplexité, Éditions Odile Jacob : Paris, 2009
Brun , J., Mobilité et domination territoriale des villes in Représentations mentales de la ville in Essais critiques sur la ville, Paris : Infolio, 2015
Capron G., Cortès G, Guétat-Bernard, H., Liens et lieux de la mobilité. Ces autres territoires, Paris : Belin, 2005
Chabot G., Géographie urbaine : la naissance et la localisation des villes industrielles, in L’information géographique, volume 11, n°2,. pp. 57-65, 1947
De Villanova, R., Espaces intermédiaires et entre-deux in Conjuguer la ville, Paris : l’Harmattan, 2007
Debord, G., Théorie de la dérive in Les lèvres nues, n°9, 1956
Foucault, M., Dits et écrits, Des espaces autres (Hétérotopies) (conférence au Cercle d'études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, pp. 46-49, 1984
Frampton, K.,“Towards a Critical Regionalism: Six Points for an Architecture of Resistance.” In Postmodern Culture, edited by Hal Foster, 16–30. Pluto Press,1985
Héran, F., La ville morcelée. Effets de coupure en milieu urbain, Economica, Collection Méthodes et Approches, Paris, 2011
Husserl, E., Idées directrices pour une phénoménologie, Niemeyer : Halle, 1928
Krier, L., The architecture of community, Island Press : Londres, 2009
Le Gall, J., Rougé, L., Oser les entre-deux in Carnets de géographes, 2014
Lucan, J., Les macro-lots, Série de dix vidéos publiées sur Youtube, sur la chaîne Club Ville Aménagement, Consultées le 25/11/21
Marot, S., Palimpsestuous Ithaca : a relative manifesto for suburbanism, Ehess : Paris, 2008
Salat, S., Labbé, F., Nowacki, C., Les villes et les formes : sur l’urbanisme durable, CSTB : Paris, 2001
Ungers, O. M., Architecture of the collective memory, The infinite catalogue of urban forms in Lotus International, n° 24, 1979
Villani , T., Psychogéographies urbaines, corps, territoires et technologies, Paris : Eterotopia, 2014
Virilio, P., L’Espace critique, Paris, Bourgois, 1982
Zumthor, P., Penser l’architecture, Birkhäuser : Bâle, 2007
Sites internet
BruCiel, Consulté à de multiples reprises sur https:// www.bruciel.brussels/
BruGéotool , Consulté à de multiples reprises sur https:// geodata.environnement.brussels/client/brugeotool/home
BruGIS , Consulté à de multiples reprises sur https:// gis.urban.brussels/brugis/#/
Bruxelles Environnement, Carte de l’état des sols en région bruxelloise. Mise à jour le 07/12/21, consulté à de multiples reprises sur https://geodata.environnement.brussels/client/view/
Community land trust, comment ça marche ?, Consulté le 21/04/22 sur https://www.cltb.be/comment-ca-marche/
Contrat d’Axe et Contrat d’Ilot : le Gouvernement bruxellois approuve la mise en place d’un nouveau dispositif de la politique de rénovation urbaine, communiqué de presse du 27/01/2022, consulté le 21/04/22 sur https://rudivervoort.brussels/news_/contrat-daxe-etcontrat-dilot-le-gouvernement-bruxellois-approuve-la-mise-en-placedun-nouveau-dispositif-de-la-politique-de-renovation-urbaine/
Contrats de quartiers durables : définition, consulté le 21/04/22 sur https://quartiers.brussels/1/page/definition
Google Earth, Consulté à de multiples reprises sur https:// earth.google.com/web/
La ZEMU, quelle est donc cette bizarrerie ? Et quelle norme de bruit en région de Bruxelles ?, Consulté le 21/04/22 sur https:// 1819.brussels/blog/la-zemu-quelle-est-donc-cette-bizarrerie-etquelle-norme-de-bruit-en-region-de-bruxelles
Plans stratégiques et réglementaires - Plan d'Aménagement Directeur (PAD), Consulté le 21/04/22 sur https:// perspective.brussels/fr/plans-reglements/plans-strategiques-etreglementaires-plan-damenagement-directeur-pad
Crédits photographiques
AHA-EB-KSA-noA-SBa, Illustration du projet CityGate II : Petite Île
BruCiel, L’ensemble des photographies historiques, Consulté à de multiples reprises sur https://www.bruciel.brussels/
B2AI - MSA - PlusOffice, Illustration du projet Urbanities
Calico, Première assemblée générale du projet de CLT, 2019, https://calico.brussels/fr/le-project-calico/
Citytools, Le pont de Luttre
Lyon, T., Vanden Neste, P., Ancien camp de rom évacué en 2018. Valérie et Abdel, deux amoureux d’une vingtaine d’années, se baladent sur le terrain vague. A l’arrière-plan, les immeubles de Citydox et Manu, jeune portugais et mécanicien dans le garage familial situé à proximité
XDGA, Illustration du projet Citydox
XDGA, Illustration du projet Mobilis
Yousri, S., action populaire lors du salon Brussels Real Estate 2022
Photographies historiques
En haut Le canal Bruxelles - Charleroi En bas, La Compagnie Intercontinentale du gaz vue depuis le Nord
Ci-dessous,
Les voies d’accès ferroviaires de la Compagnie Intercontinentale du gaz En bas,
Vue sur la Senne détournée, et le nouveau gazomètre de 100 000 mètres cubes
A gauche, Les armatures du gazomètre de 100 000 mètres cubes de la Compagnie Intercontinentale du gaz
A droite, La rue Bollinckx
Ci-dessous, Les lainières d’Aoust
Ci-contre en bas, La Senne au milieu des lainières d’Aoust
A gauche, Le dépôt ferroviaire avant sa désaffectation
Ci-contre en bas, L’ancienne gare de la Petite-Île
A droite, Une cour industrielle du Nord du bassin Biestebroeck
Ci-dessous, La rue du Sel