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DOSSIER

N°61 - MAI 2013

Finance

Durable

Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent partout en Europe pour défendre une vision « solidaire » de la finance, mais aussi et surtout moins déconnectée de l’économie réelle. En marge du secteur financier, c’est l’ensemble de la société qui est touchée par ce besoin de durabilité et de long-termisme.

02 « Les acteurs socialement responsables sont plus valorisés par le marché »

Des recherches montrent qu’avec des horizons de réflexion et d’investissement plus longs, les entreprises sont plus performantes dès maintenant, pas seulement dans dix ans.

05 « Le modèle de l’entreprise capitaliste doit évoluer »

De par sa finalité et son mode de fonctionnement moins soumis aux pressions des actionnaires, le secteur de l’économie sociale séduit et intrigue, en particulier depuis la crise financière.

08 « C’est la simplicité qui fait le succès du modèle Triodos »

La philosophie de la banque est restée la même depuis ses débuts en 1980: ne financer que l’économie réelle et durable. Un modèle qui séduit de plus en plus de clients, mais aussi de collaborateurs.

10 « La coopérative investit là où les autres font défaut »

A la tête d’un réseau de 1.850 coopérateurs, la Coopérative de crédit alternatif vient en aide aux exclus du crédit classique en finançant des projets sociaux en marge du circuit bancaire.

12 « L’intérêt pour les fonds éthiques ne fait que progresser »

Créé en 87, le Réseau Financement Alternatif fédère aujourd’hui une centaine d’organisations. II est notamment actif dans la recherche, le lobbying et la promotion de la finance éthique.


DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT

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Les acteurs socialement responsables sont plus valorisés par le marché Alors que la Commission européenne planche sérieusement sur les moyens d’atteindre une croissance plus durable pour l’Union, de nombreuses voix s’élèvent partout en Europe pour défendre une vision « solidaire » de la finance, mais aussi et surtout moins déconnectée de l’économie réelle. En marge du secteur financier, c’est l’ensemble de la société qui est touchée par ce besoin de durabilité et de long-termisme.

D

éjà au cœur du Livre vert sur le système ban-

alternatives. « La base de la finance durable est la prise en

caire parallèle de la Commission paru en mars

compte par l’entreprise de ses externalités sur la société et sur

2012, la finance dite « éthique » fait de plus en

ses parties prenantes, analyse Sébastien Pouget, professeur de

plus d’adeptes, en témoigne le lancement de

finance à la Toulouse School of Economics et co-directeur de

New B, une nouvelle banque coopérative et participative belge

la chaire Finance durable et investissements responsables aux

née le 24 mars dernier avec l’ambition de proposer les services

côtés de Patricia Crifo de l’Ecole Polytechnique. C’est être ren-

d’une banque plus humaine. Soutenu par plus de 60 organisa-

table tout en étant socialement responsable afin de pallier les

tions issues de la société civile, ce nouvel acteur du paysage ban-

défaillances éventuelles des marchés et de la régulation. »

caire a fait appel aux citoyens pour constituer son capital. Une semaine après son lancement, la banque comptait déjà

LAME DE FOND

25.000 coopérateurs. Sa campagne Je prends part a suscité

Refroidis par les excès des grandes banques traditionnelles,

un engouement impressionnant de toute part, reflétant un

les citoyens sont nombreux à vouloir savoir ce qui est finan-

intérêt réel de nos compatriotes pour les modèles de finances

cé par leur épargne. Depuis lors, la finance solidaire, perçue

FINANCE MANAGEMENT - N°61 - MAI 2013


comme plus raisonnable, transparente et modérée, est en pleine ascension et l’intérêt pour le durable se diffuse, des politiques publiques aux stratégies des entreprises. « Il y a beaucoup d’effervescence autour de ces questions en ce moment. C’est un champ de recherche porté par des préoccupations émanant de la société civile », souligne Sébastien Pouget. La crise aura eu le mérite de mettre en lumière tout ce qui a trait au durable. « Il y a une vraie demande des citoyens qu’on ne peut plus ignorer. Si on parle d’investissements, environ 10 à 15% des actifs sont déjà gérés de manière durable en Europe, c’est loin d’être négligeable! Sous la pression des investisseurs, les entreprises vont s’y intéresser de plus en plus. S’ils sont convaincus, ces dernières auront davantage le temps de développer une vision plus créatrice de valeur pour la société. Nous sommes donc face à une double tendance: une lame de fond en provenance des citoyens, ainsi qu’une remise en question des gestionnaires de portefeuilles. Les entreprises socialement responsables sont déjà plus valorisées par le marché. C’est un phénomène validé de manière empirique par différentes études. Celles qui respectent l’environnement sont aussi plus facilement financées par les banques. C’est un cercle vertueux. »

TERREAU ACADÉMIQUE

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Les universités suivent le mouvement puisque les chaires dédiées à ces thématiques se multiplient, relayant par la même occasion les préoccupations de nombreuses entreprises. Première initiative au niveau mondial de cette taille, la chaire Finance Durable et Investissement Responsable est jointe entre la Toulouse School of Economics et l’Ecole de Polytechnique à Paris. Elle naît en 2007 sous l’impulsion de l’Association française de la Gestion Financière qui ressent alors un mouvement vers le développement durable au sein des détenteurs et des gestionnaires d’actifs. « Les gestionnaires et détenteurs eux-mêmes ressentaient le besoin d’une réflexion profonde sur leur métier et sur la manière de mesurer la performance des entreprises. Ils cherchaient des réponses communes à leurs questions, c’est comme ça qu’est née la chaire, explique Sébastien Pouget. Son modèle

Sébastien Pouget: « Investir sur le long terme est encore souvent vu comme allant à l’encontre des intérêts commerciaux. Pourtant, des recherches montrent qu’avec des horizons de réflexion et d’investissement plus longs, les entreprises sont plus performantes dès maintenant, pas seulement dans dix ans. »

hybride lui permet un double regard intéressant, ainsi que des recherches croisées. Par ISR, on entend un investissement qui

ses travaux, ainsi que deux partenaires institutionnels: le

optimise ses choix non plus uniquement sur base de critères

Fonds de Réserve pour les Retraites et la Caisse des dépôts.

financiers, mais en y intégrant également des préoccupations

Parmi ses missions directrices: contribuer à montrer qu’un

environnementales, sociales et de gouvernance. »

développement de la finance durable et de l’investissement

Quelque peu atypique dans le paysage académique, la chaire

responsable est aujourd’hui non seulement nécessaire, mais

rassemble une dizaine de sociétés de gestion qui financent

surtout possible; développer dans ce domaine des méthodologies de recherche permettant de mieux identifier et intégrer dans les analyses les critères extra-financiers à la base de la création de valeur; et constituer une équipe scientifique de

« Les sociétés qui respectent l’environnement sont aussi plus facilement financées par les banques. »

niveau mondial sur l’ISR.

RÉFLEXION STRATÉGIQUE Pour Nathalie Crutzen, docteur en sciences économique et de gestion et professeur au sein de la Chaire Accenture en stratégie durable à HEC-ULg, les organisations ne peuvent aujourd’hui FINANCE MANAGEMENT - N°61 - MAI 2013


DOSSIER

durabilité est une préoccupation qui monte au sein de la société, mais il n’est pas toujours facile de déterminer si les pratiques des entreprises suivent sur le terrain, affirme Sébastien Pouget. Nous réfléchissons en ce moment à l’impact de la création de labels sur les activités des organisations. Le développement durable est un terme générique et un domaine très vaste. Les paramètres à évaluer sont nombreux et parfois difficile à mesurer: bien-être des salariés, biodiversité, respect de l’environnement… » Il y a des efforts dans de nombreuses entreprises, mais on n’en est pas encore à un stade mature. « C’est tout un changement d’esprit à opérer. Investir sur le long terme est encore souvent vu comme allant à l’encontre des intérêts commerciaux. Pourtant, des recherches montrent qu’avec des horizons de réflexion et d’investissement plus longs, les entreprises sont plus performantes dès maintenant, pas seulement dans dix ans. Avec des systèmes d’incitation fiscaux adaptés, les acteurs peuvent se permettre de se préoccuper de ce qu’il se passera dans cinq ou dix ans et concilier les intérêts à court et long termes. »

CONTAMINER L’ORGANISATION Si les grandes structures sont plus visibles et subissent plus la pression de leurs clients ou partenaires, les petits joueurs ne sont pas en reste, même si beaucoup s’en tiennent encore

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Nathalie Crutzen: « Le développement durable ne doit pas uniquement être l'affaire du département CSR, ou environnement ou autre, quel que soit son nom! Il s'agit d'intégrer ces dimensions à tous les niveaux de l'organisation, et ce, d'un point de vue vertical mais aussi horizontal. »

aux discours d’intention. « Dans le cas des PME, le quotidien, parfois difficile, rattrape souvent le dirigeant qui n’a pas nécessairement l’occasion d’avoir une approche et une réflexion plus globales, observe Nathalie Crutzen. Par ailleurs, en temps de crise, toutes les entreprises ont tendance à se focaliser sur les activités qui sont les plus proches de leur core business. Si elles

plus ignorer leur impact sur la société. « En Belgique, les grandes

perçoivent leurs actions sociétales comme étant un plus, elles

entreprises ont, à mon sens, toutes conscience de l’importance de

auront tendance à mettre ces aspects de côté... Par contre, si ces

mettre en place une réflexion stratégique durable, qui tienne à

dimensions sont étroitement liées à leur core business et à leur

la fois compte des aspects économiques et financiers, mais aussi

stratégie globale, le scénario est différent et ces stratégies du-

sociaux et environnementaux », soutient-elle.

rables peuvent devenir un must pour survivre et leur permettre

Lancée en décembre 2010 pour une durée de trois ans, la Chaire

d’être performantes à long terme. »

a notamment pour mission d’envisager la durabilité de manière

« Certains grands groupes français ont inscrit la durabilité au

pluridisciplinaire. « Nous travaillons avant tout sur le développe-

cœur de leur stratégie, ajoute encore Sébastien Pouget. La

ment durable et la stratégie, deux concepts transdisciplinaires par

culture d’entreprise joue un rôle important dans ce domaine.

nature », précise Nathalie Crutzen, également instigatrice d’une

Changer toutes ses procédures prend beaucoup de temps.

plateforme d’échanges en Management durable qui rassemble

Une stratégie fondée sur le développement durable peut donc

une quinzaine de chercheurs issus de différentes disciplines.

constituer un avantage concurrentiel. »

Si la prise de conscience est là, évaluer ce qui est fait concrè-

Pour être efficace et directement concerner l’ensemble du

tement est loin d’être évident. « Il est clair que la recherche de

personnel, la recherche de durabilité doit toucher tous les départements de l’entreprise. Repenser ses finances et son contrôle de gestion sous l’angle du durable doit passer par une stratégie globale. « C’est essentiel! Le développement

« Ces stratégies durables peuvent devenir un must pour survivre et permettre aux entreprises d’être performantes à long terme. » FINANCE MANAGEMENT - N°61 - MAI 2013

durable ne doit pas uniquement être l’affaire du département CSR, ou environnement ou autre, quel que soit son nom! Il s’agit d’intégrer ces dimensions à tous les niveaux de l’organisation, et ce, d’un point de vue vertical, mais aussi horizontal, conclut Nathalie Crutzen. Si ce n’est pas le cas, la stratégie et les activités sociétales seront uniquement l’apanage de quelques personnes et on ne pourra pas parler de stratégie ou d’entreprise durable! »


DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT

Le modèle de l’entreprise capitaliste doit évoluer De par sa finalité et son mode de fonctionnement moins soumis aux pressions des actionnaires, le secteur de l’économie sociale séduit et intrigue, en particulier depuis la crise financière. De plus en plus de ponts existent entre les acteurs privés et les organisations à finalité sociale, les uns s’inspirant des autres pour répondre à l’incertitude et aux défis actuels.

T

erreau académique populaire depuis une dizaine

couverte au niveau académique. C’est à présent un sujet à la

d’années, l’économie sociale et ses entrepreneurs

mode, résume Sybille Mertens. Nous l’exploitons à travers dif-

ont bénéficié d’un coup de projecteur depuis 2008.

férents canaux d’enseignement. Forts de vingt ans d’expérience

« La crise a ébranlé tout notre système économique,

du secteur, nous touchons aujourd’hui chaque année plus de

analyse Sybille Mertens, économiste, titulaire de la Chaire Cera en

300 étudiants qui choisissent au moins un cours à option ayant

Entreprenariat social d’HEC-ULg et chargée de cours au sein de

trait à l’entreprenariat social. L’impact est grand, sur ce groupe:

cette institution. Celui-ci génère des tensions sociales et environ-

environ 30 d’entre eux vont se lancer comme entrepreneurs ou

nementales conséquentes qui requièrent un aménagement, voire

experts de la thématique pour des bureaux de consultance. »

un changement profond dans la manière dont nous envisageons le fonctionnement de notre activité économique. »

THÉMATIQUE D’AVENIR

De nombreuses disciplines scientifiques relayent ces ques-

Aux côtés de la chaire SRIW-Sowecsom en Management en

tionnements. Créé dès 2000, cette Chaire est le fruit d’une

économie sociale et de la chaire Baillet Latour en Social Invest-

collaboration entre le Centre d’Economie Sociale et le groupe

ment and Philanthropy , la Chaire Cera contribue à la montée

financier coopératif Cera. Première a être consacrée à la thé-

en puissance de cette thématique au sein d’HEC-ULg. « Nos

matique en Belgique, elle a parcouru du chemin depuis ses

recherches sont menées dans le cadre d’un centre de recherche

débuts. Cours à option, master dédié depuis 2010 et forma-

multidisciplinaire, le Centre d’Economie Sociale. Notre force de

tion continue depuis peu, la filière est bien ancrée au sein

frappe grandit et notre légitimité interne est en progression

d’HEC-ULg. Une dizaine de doctorants participent actuelle-

constante. Le succès de ces thématiques n’est pas anodin au sein

ment à ses travaux.

d’une business school, poursuit Sybille Mertens. Nous sommes

« Assez avant-gardiste, la chaire est née du constat que la ges-

aujourd’hui devenus un pôle d’attraction sur ces questions-là.

tion des entreprises qui ne maximisent pas le profit était peu

La politique sociale fédérale a d’ailleurs choisi de financer un FINANCE MANAGEMENT - N°61 - MAI 2013

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vaste projet interuniversitaire que nous coordonnons ‘‘If not for

matériaux de construction, a davantage souhaité s’intéresser

profit, for what ? and how ? pour une durée de cinq ans, c’est

à la santé de ses travailleurs en utilisant des produits d’entre-

un signal encourageant et révélateur d’un intérêt grandissant. »

tien adaptés, sans pour autant s’afficher d’emblée comme une

Différentes initiatives de collaborations scientifiques se

entreprise sociale. Pour ce faire, les dirigeants et les action-

créent au niveau international, le réseau EMES fondé par

naires ont accepté de revoir leur rémunération à la baisse. Le

Jacques Defourny, par exemple, représente une quinzaine de

message à faire passer est le suivant: il est possible d’agir autre-

centres de recherche en Europe. Et Sybille Mertens de conti-

ment que par du greenwashing! Le but n’est, bien sûr, pas que

nuer: « Il y a dix ans, le rassemblement des chercheurs spécia-

tout le monde se transforme en Mère Théresa, mais, au sein

lisés en entreprenariat social était très différent. Ces derniers

même de l’entreprise, chacun peut prendre des initiatives à son

étaient plus solitaires et marginaux dans leurs universités

échelle, ce qui fait évoluer le modèle, défend Sybille Mertens.

respectives. On sent à présent un mouvement de fond, la thé-

A mon sens, ce constat va de pair avec une relocalisation de

matique devient centrale dans les universités et un dialogue

l’entreprise. Le modèle de l’entreprise capitaliste gagnante doit

interdisciplinaire se crée de plus en plus. Liège accueillera ainsi

changer. Les entreprises classiques veulent aussi être plus res-

en juillet prochain la plus grande conférence scientifique in-

pectueuses de la société et de l’environnement. » En ce sens, le

ternationale jamais organisée sur les entreprises sociales. Les

modèle de l’entreprise sociale peut les inspirer.

réseaux se mettent progressivement en place. En tant que cher-

« En matière de RSE, on ne peut plus seulement compter sur

cheur, on a tous intérêt à se parler. Tout est lié, l’entreprenariat social doit s’inspirer du marketing, de l’économie classique, de la communication et vice versa. » Pour distinguer un entrepreneur social d’un entrepre-

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ENGOUEMENT CITOYEN

neur « classique », il faut d’abord regarder la finalité de

Cet intérêt du monde universitaire pour l’entreprenariat

son organisation. Le but principal du premier sera de pro-

social gagne progressivement le grand public. De la même

duire une plus-value sociale ou sociétale, quand pour le

façon qu’on veut savoir ce qui est fait de son épargne, on veut

deuxième, ce sera de maximiser son profit économique

s’impliquer. « En parallèle à cet attrait académique, on assiste

et le rendement de ses actionnaires, de préférence à

à un engouement de la société civile qui fait écho à la stratégie

court terme. Pour J.Defourny& M.Nyssens, ce qui carac-

européenne pour 2020. La communication de la Commission

térise en premier lieu une entreprise sociale, c’est sa ten-

en 2011 a causé un boom du secteur. C’est dans l’air du temps

tative de combiner une dynamique d’entreprise avec une

depuis quatre ou cinq ans, note Sybille Mertens. Il y a aussi

finalité sociétale prioritaire (2011).

un nouvel élan de la philanthropie, de nouvelles fondations se

Dans la pratique, ces structures endossent bien souvent

créent et soutiennent ce phénomène. On ressent une forte de-

des formes juridiques qui consacrent cette priorité: ASBL,

mande émanant du terrain. » La crise a également poussé ces

sociétés à finalité sociale, sociétés coopératives… Ceci ne

questions-là. « Les chefs d’entreprise ne savent plus comment

veut pas dire pour autant que l’entrepreneur social ne

faire. Ils sont nombreux à vouloir s’inspirer d’un autre modèle

s’intéresse pas au profit, mais ce n’est pas sa raison d’être

que le canevas post-industriel capitaliste ».

et son moteur principal. Au delà de l’opposition profit

« La crise a aussi accru l’intérêt pour la finance durable », pointe

économique vs profit social, les entrepreneurs se dis-

Veroniek Collewaert, Professeur en Entreprenariat à la Vlerick

tinguent aussi par leurs sources d’opportunité et la ma-

Business School. Parmi les atouts des entreprises issues de la

nière dont ils mobilisent le capital, humain et financier.

mouvance de l’économie sociale, la prise de recul et la vision

Limitée voir interdite dans les entreprises sociales, la

à long terme font partie des points enviés par les autres. « On

distribution du surplus financier en est une bonne illus-

dit souvent qu’un problème pour un entrepreneur classique est

tration. Ces dernières associent généralement plusieurs

une opportunité pour un entrepreneur social. Leurs moteurs

sources de revenus : des ressources du marché, produits

sont différents et il est bien plus difficile pour les entrepreneurs

de ventes, des ressources non marchandes publiques

sociaux de mobiliser des ressources. »

comme des subsides ou privées (dons, bénévolat). Souvent plus ancrés localement, les acteurs sociaux se

PIERRE À L’ÉDIFICE

démarquent aussi par la façon dont ils mesurent leur

« Ces entreprises ressentent moins la pression des actionnaires,

impact. Leurs « consommateurs » ne sont pas toujours

pointe Sybille Mertens. De plus, elles se donnent des marges

faciles à identifier, le bénéficiaire d’un service n’étant pas

de manœuvre pour prendre en compte des aspects sociaux et

toujours celui qui le rémunère. Enfin, le cercle de leurs

environnementaux. Elles ont plus de latitude pour le faire. C’est

parties prenantes est généralement plus étendu et ils

leur côté raisonnable et durable qui interpelle souvent. »

expérimentent davantage des principes de démocratie

Certaines entreprises s’intéressent à leurs impacts sur la

économique, où ce sont les membres qui prennent les

société et ne s’affichent pas comme entreprises sociales en

décisions, et favorisent des dynamiques participatives.

tant que telles. « Carodec, par exemple, une entreprise de FINANCE MANAGEMENT - N°61 - MAI 2013


Veroniek Collewaert: « On dit souvent qu’un problème pour un entrepreneur classique est une opportunité pour un entrepreneur social. Leurs moteurs sont différents et il est bien plus difficile pour les entrepreneurs sociaux de mobiliser des ressources. » les grands acteurs, complète Veroniek Collewaert. Avec les

encore Sybille Mertens. En éliminant les grosses institutions

nouvelles technologies et Internet, toutes les organisations

du non-marchand et les asbl sans travailleurs, il reste environ

peuvent s’informer en temps réel et s’impliquer. »

1.200 entreprises et 300.000 emplois, soit entre 7 et 8% de

CHIFFRES EN HAUSSE

d’affiner cette sélection. Ce qui est sûr, c’est que ces chiffres aug-

S’il est en hausse, le nombre d’entrepreneurs sociaux en Bel-

mentent de manière continue. Sur les cinq dernières années,

gique est difficile à estimer avec précision et varie souvent

l’entreprenariat social a augmenté deux fois et demi plus vite

selon l’interlocuteur. « C’est très difficile d’avoir des statistiques

que le reste de l’économie depuis 2010. L’intérêt accru dont il

précises sur l’entreprenariat social en Belgique et à l’étranger,

bénéficie devrait à l’avenir confirmer encore cette croissance. »

l’emploi global, ce qui n’est pas négligeable. Il est très difficile

soutient Veroniek Collewaert. Ce qui est certain c’est que l’attention qui lui est portée est en constante augmentation. On

PHASE DE TRANSITION

ne compte plus les cours, les articles ou les livres qui lui sont

Face à ces évolutions, il faut néanmoins être vigilant. Si on peut

dédiés. Les enjeux environnementaux ou sociaux que traite ce

se réjouir du développement de la philanthropie et du bénévo-

type d’entreprenariat augmentent en parallèle. La conscience

lat comme soutien de l’entrepreneuriat social, le danger serait

que ces problèmes ne vont pas disparaître et qu’il faut faire

qu’il mène à un retrait progressif des pouvoirs publics. « Les en-

quelque chose est bien acquise. »

jeux sociaux et environnementaux sont tels que les acteurs pu-

En examinant les statuts juridiques, le chiffre pourrait mon-

blics et privés ont tous un rôle à jouer. Je crois par ailleurs en une

ter à 100.000 organisations et englober des coopératives

contagion du modèle social dans les entreprises, conclut Sybille

agréées, des sociétés à finalité sociale, des associations, des

Mertens. L’économie sociale dans son ensemble est aussi dans

mutualités, des fondations… « Cette palette est très large et

une phase de transition en ce moment. Auparavant limitée à un

inclut aussi des petites asbl, des écoles ou des hôpitaux, qui ne

rôle de réparatrice des dégâts d’un capitalisme exacerbé durant

sont pas des entreprises sociales en tant que telles, poursuit

la deuxième moitié du 20ème siècle, elle joue à présent davantage un rôle de précurseur et de moteur par rapport au secteur privé. Le commerce équitable, la finance durable, la relocalisation des activités, le développement durable, s’inspirent des modèles coo-

« Un problème pour un entrepreneur classique est une opportunité pour un entrepreneur social. »

pératifs et figuratifs de l’économie sociale. On voit d’ailleurs de nouveaux types de profil, mieux armés en gestion, en finance, en communication, ou encore en marketing, au sein des entreprises sociales. Les personnes sur le terrain ne se voient pas encore toujours comme appartenant à la même famille, les dynamiques de réseaux doivent encore s’intensifier. » FINANCE MANAGEMENT - N°61 - MAI 2013

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DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT

C’est la simplicité qui fait le succès du modèle Triodos 8

Avec une croissance continue allant de 15 à 20% en termes de dépôts comme de crédits depuis dix ans, la Banque Triodos a traversé la crise de 2008 sans égratignure. La philosophie de la banque est restée la même depuis ses débuts en 1980: ne financer que l’économie réelle et durable. Transparence, croissance stable et durabilité sont les maîtres mots du modèle, qui séduit de plus en plus de clients, mais aussi de collaborateurs.

P

remier groupe bancaire durable présent en Bel-

citoyens réfléchissent et prennent conscience de leur pouvoir

gique, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Alle-

d’action sur le monde bancaire. Depuis 30 ans, la Banque Trio-

magne et en Espagne, la Banque Triodos compte

dos prouve qu’une autre manière de faire la banque existe et

aujourd’hui 437.000 clients et près de 24.000 cré-

fonctionne très bien. » Son principal moteur reste l’optimisa-

dits en portefeuille (chiffres à fin 2012). « Ce qui fait le succès de

tion du profit et non sa maximisation à tout prix. Fondée à

la Banque Triodos, c’est la simplicité de son modèle où l’argent col-

Zeist par des banquiers expérimentés et intéressés par une

lecté est exclusivement et directement réinvesti dans des projets

nouvelle vision de leur métier, la banque a choisi de ne pas

durables et où chacun peut vérifier ce qui est fait de son épargne,

être cotée en bourse afin de préserver son indépendance.

confie Olivier Marquet, Managing Director de la banque. C’est un modèle qui existe depuis longtemps, mais qui contraste avec les

OPTIMISER LE PROFIT

dérives et les dysfonctionnements du secteur bancaire mis à jour

Présente en Belgique depuis vingt ans cette année et implan-

par la crise financière. »

tée dans le quartier des Marolles, la banque emploie une cen-

L’intérêt des épargnants pour la finance durable ne cesse

taine de collaborateurs, soit deux fois plus qu’il y a quatre ans.

de grandir. « C’est un signal très positif. Cela indique que les

Maisons de retraite de qualité, compagnies de théâtre, filière bio, parcs éoliens: les projets ne manquent pas et doivent toujours combiner viabilité économique et finalité sociale. « Nous qualifions nos activités de durables pour leur contenu,

« L’intérêt des épargnants pour la finance durable ne cesse de grandir, ce qui est un signal très positif. » FINANCE MANAGEMENT - N°61 - MAI 2013

non pas pour faire tendance, contextualise Paul Gérard, communication manager de la Banque Triodos. Durable renvoie à ce que nous faisons et à ce que nous ne faisons pas. Nous finançons uniquement des projets qui ont un impact positif sur la société et œuvrent à améliorer durablement la qualité de vie, du point de vue environnemental, social ou culturel. »


Bien avant le dégoût du grand public pour les salaires disproportionnés des patrons de banques affichés dans les médias, Triodos s’est fixée une politique stricte en matière de rémunération. Non seulement les bonus n’y ont pas cours, mais la différence entre le plus bas et le plus haut salaire au sein de l’institution ne pourra jamais dépasser un ratio de 1 à 10.

BANQUE RAISONNABLE Sur le marché belge, la banque ne craint pas la concurrence. C’est le seul acteur dont l’ensemble des activités peut être considéré comme durable. « Nous estimons que le métier de banquier s’inscrit dans une perspective de long terme et de stabilité, ajoute Paul Gérard. Un banquier a un rôle essentiel à jouer dans la société. Il finance des entreprises, qui de la sorte engagent et innovent, il permet aux ménages d’acheter leur maison … Nous refusons la course aux résultats, c’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas cotés en bourse. Cette vision est la même depuis nos débuts. Ce qui évolue dans le temps, ce sont les projets financés. » Chaque demande de crédit passe d’abord devant un comité qui en évalue l’intérêt sociétal. « Ce n’est pas forcément noir ou blanc. Il faut, dans certains cas, faire une balance des critères. Dans le cas d’une maison de repos, par exemple, nous

9

examinons la qualité des soins et des services, l’alimentation proposée, l’espace disponible etc. Le projet parfait sur tous ces points risque de pratiquer des tarifs impayables, ce qui n’est pas le but. L’intérêt de ce premier comité, dont la composition est tournante, est aussi de ne pas être uniquement composé d’analystes financiers. » Si la demande de crédit est jugée intéressante sur le plan de sa contribution au développement durable, un comité crédit classique prend ensuite le relais et évalue le réalisme financier du projet. Toute demande de crédit doit ainsi rencontrer les deux logiques pour obtenir un feu vert. Etant donné la diversité des projets financés, des indices crédits ont été définis

Olivier Marquet: « Nous visons un ROE de 7%. Si certains jugent cela trop faible, nous estimons que viser 10 ou 15% implique des risques que nous ne voulons pas prendre. Nous conservons également toujours une marge de liquidités de 20 à 25% de dépôts. »

par sous-domaine. « Un projet doit avoir un rendement économique, mais pas seulement. Sa qualité sociétale au sens large

permettre à ses clients de suivre leur épargne à la trace. En

est examinée en premier lieu. Nous exigeons un double rende-

complément, le magazine La couleur de l’argent apporte un

ment. Il y a deux moments de décisions sur un même crédit.

éclairage particulier sur certains d’entre eux.

Bien sûr, nous ne sommes pas une ONG, tout projet doit aussi

« La banque collecte l’épargne, elle n’en est que le dépositaire. La

être viable dans la durée », affirme Olivier Marquet.

transparence est un mot à la mode en ce moment, mais c’est une

LOCALISER LES PROJETS

valeur qui est au cœur de notre fonctionnement : nous estimons que l’épargnant a le droit de savoir à quoi sert concrètement

« La raison d’être de la banque est d’assurer une utilisation

son argent, ajoute le porte-parole de la banque. Je pense que

responsable et transparente de l’argent qui lui est confié, c’est

cet engagement répond à un intérêt grandissant des épargnants

inscrit jusque dans les statuts de la banque », souligne Paul

pour ce qui est fait de leur argent. On ressent cette curiosité et un

Gérard. Dans la pratique, cela signifie qu’il est possible pour

besoin d’informations grandissant chez nos clients. »

les internautes de suivre en ligne les entreprises et les pro-

La banque refuse également les bénéfices trop rapides. « Nous

jets financés par leur banque grâce à une application de type

visons un ROE de 7%. Si certains jugent cela trop faible, nous

Google Maps qui offre une visibilité par région, dossier ou sec-

estimons que viser 10 ou 15% implique des risques que nous ne

teur. Tous les crédits sont répertoriés sur le site de la banque

voulons pas prendre. Nous conservons également toujours une

de manière exhaustive. Dans la même logique, la maison

marge de liquidités de 20 à 25% de dépôts, ce qui nous rend indé-

mère a récemment développé une application mobile, pour

pendants par rapport du marché interbancaire et nous permet de

l’instant uniquement dédiée au marché hollandais, afin de

rester concentrés sur le long terme », achève Olivier Marquet. FINANCE MANAGEMENT - N°61 - MAI 2013


DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT

La coopérative investit là où les autres font défaut 10

A la tête d’un réseau de 1.850 coopérateurs, la Coopérative de crédit alternatif vient en aide aux exclus du crédit classique en finançant des projets sociaux en marge du circuit bancaire. Active en Wallonie et à Bruxelles, cette organisation pluraliste à finalité sociale utilise les apports de ses mandants pour promouvoir une société plus juste et solidaire, particulièrement en ce qui concerne l’usage de l’argent. Pour ce faire, elle combine placement, accompagnement et crédit.

N

ée en 1984 en réaction au financement de pro-

dèle a peu d’équivalents en Belgique. Le groupe s’organise

jets en Afrique du Sud par des banques belges

actuellement en quatre structures juridiques distinctes: la

sous le régime de l’apartheid, Crédal est fon-

coopérative, son bras économique, l’asbl Crédal, qui s’oc-

dée par une dizaine de coopérateurs dégoutés

cupe du volet accompagnement, l’absl Crédal Plus, dédiée

du système bancaire traditionnel. « Ces militants font alors une

à la microfinance et Crédal Entreprendre, la dernière née

découverte simple: l’argent implique le pouvoir, contextualise

qui encourage plus particulièrement l’entreprenariat sous

Bernard Horenbeek, directeur général de la coopérative. Quand

toutes ses formes.

on place son argent dans une banque, il disparaît dans une boite noire. Bien souvent, on ne sait pas à quoi il est utilisé. On cède son

PLACEMENT ÉTHIQUE

pouvoir à la banque sans mandat. Suite à ce constat, les militants

Le crédo de la coopérative est d’offrir un placement stable,

ont mis en place un réseau banque-apartheid pour dénoncer le

éthique et solidaire, à l’image de sa croissance, puisqu’elle se

manque de transparence des acteurs bancaires. Après cet élec-

situe entre 12 et 15% depuis des années. Très variables, les

trochoc, une partie d’entre eux ont mis leurs économies en com-

contributions des membres peuvent varier d’un à dix million

mun pour fonder Crédal dans le but de financer des projets qui

d’euros. Le principe reste toujours un homme égale une voix.

partageaient les mêmes valeurs. La crise financière a réactivé les

« Les fondateurs ont directement décidé d’investir dans des pro-

questions que se posaient ces fondateurs. Elle a donné un coup de

jets qui avient un impact sur la société et faisaient la différence.

projecteur sur la finance éthique. »

Le principe phare a été et est toujours la transparence. Chaque

La coopérative soutient aujourd’hui des particuliers dans le

contributeur sait ce qu’on choisit de financer. Les dividendes

cadre de microcrédits personnels, des organisations d’éco-

sont toujours communiqués et calculés entre 1,5 et 2,5% en

nomie sociale, grâce à des crédits solidaires, mais aussi des

fonction de l’inflation. Ces valeurs sont restées des lignes direc-

entrepreneurs via des microcrédits professionnels. Son mo-

trices depuis nos débuts », note Bernard Horenbeek.

FINANCE MANAGEMENT - N°61 - MAI 2013


Dans les années 90, le microcrédit aux particuliers et aux professionnels s’ajoute à la panoplie de la coopérative. Dans le premier cas, les bénéficiaires types sont généralement des allocataires sociaux qui n’ont pas la possibilité d’avoir de garanties à offrir aux banques. « Suite au succès du microcrédit au Bengladesh, beaucoup de gens étaient demandeurs. Crédal a choisit d’explorer cette piste dont la cible est constituée de toutes les personnes qui n’ont pas accès au crédit bancaire classique. La coopérative a fait le pari d’investir là où les autres font défaut. Ce n’est pas un choix facile puisque c’est généralement l’activité la plus risquée. Chaque dossier représente beaucoup de travail pour peu de ROI. Les cas de figure en Belgique sont très différents des situations des pays du Sud. »

SOLUTION ALTERNATIVE Crédal collabore fréquemment avec plusieurs partenaires publics, dont la région Bruxelloise dans le cas des prêts verts ou des prêts Bien vivre chez soi qui s’adressent aux personnes de plus de 65 ans en perte d’autonomie. A partir de l’année 2000,

Bernard Horenbeek: « Nous sommes aussi exigeants que les banques, mais pas de la même façon. Nous avons une responsabilité et une obligation morale de bonne gestion par rapport à nos coopérateurs. »

l’organisation a ainsi travaillé de concert avec la Région wallonne pour combattre un surendettement en hausse conti-

« Pour être accepté chaque dossier doit rencontrer ces deux intérêts.

nue. Pour Bernard Horenbeek, l’idée, quelque peu paradoxale,

Pour le microcrédit professionnel, nous invitons aussi un expert avec

est de combattre le surendettement par le microcrédit.

des compétences entrepreneuriales afin d’être sûrs que l’entreprise

« Cette idée rencontrait un autre paradoxe: la vie coûte beau-

soit viable. Quand nous effectuons un acte financier, nous nous

coup plus cher quand on est pauvre, indique-t-il. C’est un

posons toujours la question de l’impact pour la personne, mais

constat sans appel et qui se vérifie toujours dans la pratique.

aussi pour son entourage et ses parties prenantes. Un projet ne dois

Au moins on a de moyens, au plus on est exposé à des situa-

pas seulement ne pas avoir d’effet négatif ou dommageable sur la

tions extrêmes. Avec des liquidités réduites, l’accès aux services

société, mais bien avoir un effet positif sur celle-ci. »

ou au financement, que ce soit les crédits révolving ou plus

Le comité envisage aussi les répercussions sur la famille de

récemment, le crédit par sms, est toujours le plus cher et le plus

l’empruntant et ne systématise pas le recours aux garanties.

risqué. Notre but est de financer un projet de vie et accorder

« Nous sommes aussi exigeants que les banques, mais pas de

un crédit à ces personnes qui n’ont pas le choix. Nous misons

la même façon. Comme toutes les acteurs du financement,

sur un ‘slow credit’ qui s’inscrit dans la durée, plutôt que sur

nous devons nous assurer d’être remboursés, affirme Bernard

un crédit impulsif. Nous voulons travailler avec ces ménages

Horenbeek. Nôtre rôle n’est pas de faire des dons, mais d’accor-

sur le long terme et mener une réflexion pour que le crédit soit

der des crédits. Nous avons une responsabilité et une obligation

raisonnable et raisonné. Tout crédit coûte de l’agent, il faut le

morale de bonne gestion par rapport à nos coopérateurs. »

faire comprendre. Notre démarche est parfois pédagogique. »

Parmi les projets financés par la coopérative, on trouve des

Parmi les 37 personnes qui composent son équipe, la plupart

salons de coiffure utilisant des produits bio, des maraichers,

des collaborateurs de Crédal occupent un poste de conseil-

des restaurants, un réseau de cueilleurs de champignons

ler en crédits. Depuis les débuts, la coopérative s’appuie aussi

appelé Supersec ou encore un théâtre pour les enfants. Une

sur un réseau de bénévoles engagés qui interviennent à dif-

carte dynamique sur le site Internet de Crédal permet de les

férents niveaux: aux conseils d’administration, dans l’accom-

visualiser par secteur et emplacement géographique. « Nous

pagnement des entrepreneurs, qui s’étale généralement sur

sommes de plus en plus dans une logique d’accompagnement,

deux ans, aux comités de crédit…

conclut-il. En regardant en arrière, je pense que Crédal a réussi

DOUBLE EXIGENCE

le défi de conserver sa dimension militante, tout en professionnalisant ses services… »

Avant d’être approuvé, chaque dossier passe devant un comité de financement qui rassemble un expert financier, pour s’assurer que le projet tienne la route au niveau économique, et un expert social, afin qu’il ait un sens au niveau sociétal. En 2012, 872 nouveaux crédits ont ainsi été accordés. Les échéances de remboursement peuvent varier de quelques semaines, dans le cas d’un délai d’attente pour des subsides, jusqu’à plus de 25 ans pour un crédit immobilier. Chaque année, il y a en moyenne 5.000 nouvelles demandes.

« Nous misons sur un slow credit qui s’inscrit dans la durée, plutôt que sur un crédit impulsif. » FINANCE MANAGEMENT - N°61 - MAI 2013

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DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT

L’intérêt pour les fonds éthiques ne fait que progresser 12

Créé en 87, le Réseau Financement Alternatif fédère aujourd’hui une centaine d’organisations. Initialement conçu pour apporter des fonds alternatifs à ses membres, le réseau est également actif dans la recherche, le lobbying et la promotion de la finance éthique. Grâce à différents médias, son magazine Financité, des dépêches, une newsletter et son site Internet, il réexplique aussi les bases de la finance à monsieur et madame tout le monde.

C

réé dans la mouvance du crédit alternatif organisé

ce qui se passe dans le monde bancaire. Si la crise a eu un effet

dans les années 80 en Belgique, le réseau FA ras-

positif, c’est bien celui-là. Cela dit, on n’est pas loin de l’œil du

semble des citoyens, des asbl et des coopératives

cyclone, la crise n’est pas encore finie et appelle un changement

qui veulent plus de solidarité et de responsabilité

de notre système économique. »

dans les rapports à l’argent. A l’époque, face à l’inadaptation du secteur bancaire aux réalités du monde associatif belge, plusieurs

MOUVEMENT CITOYEN

initiatives d’épargne et de prêts de proximité se sont mises en place

Le conseil d’administration du réseau Financement alternatif

afin de réintroduire une dimension humaine dans le choix écono-

se compose aujourd’hui de dix organisations membres dont

mique. Le besoin de rassembler les initiatives locales s’est fait sentir.

Crédal, parmi les fondateurs, la Ligue des droits de l’homme

Depuis les débuts du réseau FA il y a 25 ans, le constat est

ou le CNCD-11.11.11. Des groupes locaux Financité dissémi-

encourageant: les Belges s’intéressent de plus en plus à leur

nés dans toute la Belgique francophone organisent des ate-

pouvoir d’action en tant qu’épargnants. « Chaque année, nous

liers thématiques et relayent ses actions sur le terrain. Les

étudions la progression de l’ISR. La courbe est exponentielle,

militants du réseau partagent le rêve que la finance soit un

même si la crise l’a quelque peu abimée, se réjouit Bernard

vrai facteur de changement positif dans l’économie locale,

Bayot, directeur du réseau depuis 2004, mais aussi président

mais aussi dans les relations Nord-Sud.

de New B, le nouvel et très médiatique acteur bancaire belge.

« Le réseau a été constitué par sept organisations fondatrices,

Il est clair que l’intérêt des épargnants et des investisseurs pour

dont le Mouvement international de la réconciliation, le Pivot ou

les fonds éthiques ne fait que progresser, en Belgique et ailleurs.

la Solidarité des alternatives wallonnes, contextualise Bernard

Cela fait écho à l’intérêt accentué des citoyens pour les aspects

Bayot. La banque CGER avait, à l’époque, créé un compte épargne

sociétaux. Depuis la crise, les mentalités sont en train de chan-

qui s’appelait Cigale et redistribuait une partie de sa marge béné-

ger. Un système très dangereux a été mis à jour et ce séisme a

ficiaire à des associations. Le réseau a d’abord été constitué pour

secoué beaucoup de certitudes. Il ne faut pas oublier que trois

jouer un rôle d’interface entre la banque et ces organisations

des plus grandes banques du pays n’ont dû leur salut qu’à l’in-

en Belgique francophone, l’équivalant existait déjà en Flandre.

tervention de l’Etat. Les Belges sont à présent plus attentifs à

D’autres missions se sont ajoutées en cours de route. »

FINANCE MANAGEMENT - N°61 - MAI 2013


Composée de dix profils complémentaires – juriste, ingé-

ce faire, nous essayons de mettre des concepts à la portée de

nieur de gestion ou encore journaliste –, l’équipe de Finan-

tous afin que les citoyens puissent jouer leur rôle de manière

cement Alternatif joue le rôle de courroie de transmission

active. Nous créons du contenu didactique et pédagogique

entre les associations membres. « La première motivation

pour équiper chacun face à l’actualité financière. Nous orga-

à vouloir faire partie de notre réseau est de partager notre

nisons des formations, en gestion budgétaire, mais aussi sur le

finalité: l’envie de favoriser l’émergence d’une finance durable

crédit, à destination de tout type de public. »

et solidaire. La majorité de nos membres ne sont pas des spé-

Le réseau exerce aussi un rôle de catalyseur et fait se rencon-

cialistes de la finance, mais ils savent que la finance n’est pas

trer les acteurs de la finance solidaire. « Nous exerçons une

neutre et intervient dans tous les domaines de la société. Ils

fonction de relais. Notre plateforme nous permet de mettre en

mutualisent leurs forces et bénéficient d’une expertise et

lumière des activités citoyennes locales, comme par exemple,

d’une force de frappe communes. » Pour ces organisations,

un projet de création d’une monnaie complémentaire à Virton.

la finance solidaire a pour moteur d’utiliser l’argent dans le

Depuis la crise, on sent un intérêt grandissant pour nos tra-

but d’augmenter la cohésion sociale, de soutenir des projets

vaux. Le public de nos évènements grandit d’année en année. »

qui respectent l’homme et son environnement, mais aussi

Dans le cadre de son activité de recherche, le réseau collabore

d’investir dans l’outil de travail plutôt que de rémunérer à

souvent avec les pouvoirs publics belges, ainsi qu’avec les ins-

outrance son actionnariat.

titutions européennes. En moyenne, une dizaine d’études simultanées sont en cours. « En 2007, nous avons, par exemple,

EDUCATION FINANCIÈRE

été mandatés par le gouvernement belge pour créer un label

Résolu à faire émerger une finance plus éthique, le réseau se

public afin d’encadrer les investissements socialement respon-

construit en quatre piliers: analyse & étude, participation,

sables. Notre étude a conduit à une proposition de loi examinée

éducation & formation citoyenne, et sensibilisation & infor-

par le Sénat en ce moment. » En 2001, une étude des cher-

mation. Démocratiser la finance et ses mécanismes com-

cheurs du réseau sur l’exclusion bancaire a également contri-

plexes fait partie de ses tâches quotidiennes. « Notre but est

bué à la création de la loi belge sur le service bancaire de base

aussi de mieux faire comprendre la finance et ses enjeux sous-

promulguée en 2003. Dans un deuxième temps, le projet est

jacents, parfois très techniques, soutient Bernard Bayot. Nous

monté au niveau européen et le sujet est en cours de traite-

voulons que notre audience développe un esprit critique. Pour

ment à la Commission.

« LES ASSOCIATIONS COMME LES NÔTRES PEUVENT DYNAMISER UNE RÉGION » Le réseau œuvre aussi à proposer de nouvelles formes de

grandi progressivement grâce à leurs contacts respectifs. En

financement à ses membres et à améliorer l’offre de pro-

92, elle a été reprise par d’autres militants. Sa raison d’être a

duits financiers éthiques et solidaires disponibles sur le

été et est toujours de venir en aide à des organisations sou-

marché. Dans cette optique, il travaille de concert avec

cieuses des autres ou à des personnes en difficulté. »

plusieurs acteurs financiers: Ethias Assurances dans le

Si l’association est un peu endormie pour le moment faute

cadre d’un fond de placement et BNP Paribas Fortis, avec le

de sang neuf, elle a déjà contribué à faire éclore de beaux

fameux compte Cigale.

projets. Les sommes prêtées varient généralement de 3.000

A l’instar des asbl Le Pivot, l’Aube, les Ecus Baladeurs, de

à 6.000 euros. Le prêt maximal a été de 10.000 euros. « Le

Bouche à Oreille, la Bouée, un groupe d’épargne de proximi-

cas le plus fréquent est le financement de crédits (de)pont à

té actif dans les environs de Stavelot-Malmédy, s’est engagé

des associations en attente de subsides. Nous les aidons à pas-

sur le chemin de la finance durable dans le but de stimuler

ser ce cap et payer leur personnel. Nous sommes également

sa région. « Agir de manière locale, savoir où l’argent atterrit

intervenus suite à une inondation ou dans le cadre de l’achat

et directement aider des asbl en difficulté, sans intermédiaire,

d’une maison protégée. »

est une formule qui me convient totalement. Je suis convain-

Depuis 1993, 35 prêts ont ainsi été octroyés. La Bouée a déjà

cue que les associations comme les nôtres peuvent contribuer

soutenu une maison des jeunes, une école des devoirs, des

à dynamiser une région », partage Marielle Goffard, Secré-

maisons médicales… Chaque dossier est approuvé dans le

taire de la Bouée.

cadre de l’Assemblée Générale. « Nous sommes aujourd’hui

Membre du réseau Financement Alternatif depuis les an-

trois membres impliqués dans le conseil d’administration,

nées 90, le groupe a été constitué en 1982 à l’initiative de

mais nous pourrions être plus actifs. Nous réfléchirons peut

deux couples et d’un prêtre. « Ces fondateurs ont mis en

être à l’avenir à passer le flambeau à d’autres ou à confier

commun leur capital. Au lieu de placer cet argent en banque,

nos fonds à une asbl sœur. C’est aussi une plateforme de ren-

ils ont choisi de l’utiliser à des fins solidaires. L’organisation a

contres intéressante. »

FINANCE MANAGEMENT - N°61 - MAI 2013

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Finance Management vous livre, chaque mois, un état des lieux, des témoignages, des conseils, un partage de bonnes pratiques sur des dossiers clés pour votre gestion financière.

N° 46 - Avril 2011 Les meilleurs conseils des banquiers

N° 47 - Mai 2011 Reporting

N° 48 - Juin 2011 Business Intelligence

N° 49 - Septembre 2011 DAF en PME

N° 50 - Octobre 2011 Les partenaires du CFO

N° 51 - Novembre 2011 Finance & HR

N° 52 - Décembre 2011 « Glocal » CFO

N° 53 - Février 2012 Compliance

N° 54 - Mars 2012 Finance & IT

N° 55 - Avril 2012 Secteur public

N° 56 - Mai 2012 Reinventing Finance

N° 57 - Juin/Juillet 2012 Leadership in Finance

N° 58 - Septembre 2012 Banques & Assurances

N° 59 - Janvier 2013 Cash Management

N° 60 - Février 2013 Sécurité de l'information

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Finance Management une publication périodique destinée aux responsables financiers et autres professionnels du secteur financier des entreprises de Belgique et du Grand-Duché de Luxembourg. Elle s’adresse également aux dirigeants d’entreprises soucieux d’optimiser la gestion financière de leur société ainsi qu’aux étudiants. Finance Management – Edité par MRH SPRL 7, Rue du Bosquet – 1400 Nivelles http:// www.financemanagement.be

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Régie publicitaire: Jean-Paul Erhard (jpe@financemanagement.be)

Equipe rédactionnelle : Christophe Lo Giudice, Florence Thibaut

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