FISCALITÉ DOSSIER : CRÉATION DE VALEUR
capital) abaissé et une charge de dette qui ne ‘mange’ pas la rentabilité opérationnelle. » Faut-il différencier la valeur financière d’une entreprise et ses aspects non financiers? Frédéric Liefferinckx: « Le marché peut donner à certaines entreprises une prime de valorisation au-delà de la valeur normale théorique déterminée par l’actualisation des cash flow futurs. Il s’agit souvent d’une prime de ‘leadership’. C’est le cas pour des entreprises qui possèdent un avantage
« Nombre de CFO ont fortement optimisé – parfois même un peu trop – leur coût du capital par le biais de la dette. »
compétitif durable – en termes de produits ou de service ou de marché géographique –, des acteurs bien implantés
antérieures. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Ne faudrait-il
dans un secteur où le ticket d’entrée serait rédhibitoire pour
pas revenir à un lissage de sa politique de dividendes? Nous
les nouveaux entrants, ou encore des entreprises appelées
vivons aujourd’hui un autre paradigme: pour qu’elles sortent
‘perles fondamentales’ qui font preuve, dans un marché de
plus fortes de la crise, les actionnaires s’attendent plutôt à
niche, d’un bilan sans ombres et d’une activité opération-
ce que les sociétés suspendent la distribution de dividendes
nelle lisible et en croissance régulière. »
pour pouvoir investir cette manne financière dans leur structure financière, dans leurs fonds de roulement ou dans
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Pourquoi une action comme celle de Fortis était considé-
l’innovation. Au-delà des paramètres purement financiers,
rée comme une action de valeur il y a moins d’un an, alors
l’entreprise devrait avoir à cœur de soigner sa communica-
qu’aujourd’hui, elle ne vaut presque plus rien? La notion de
tion aux actionnaires et aux analystes. Il en va de même pour
valeur est-elle à ce point éphémère?
les institutions bancaires. Celles-ci devront faire preuve de
Frédéric Liefferinckx: « Au-delà des événements spectaculaires
plus de transparence, d’une large visibilité sur les activités
qui ont émaillé le segment des banques et des implications
de chacune des branches et, surtout, repenser le processus
dramatiques en termes de cours de bourse, le point essentiel
global de décision d’investissement au niveau de la gestion
pour une bonne compréhension tient à la structure même du
des risques. »
bilan des institutions financières. Le moteur principal d’activité est constitué par les dépôts des épargnants. Or, ces dépôts
Le coup de tabac sera-t-il long?
sont volatils et, dans le pire des cas, ils peuvent se commuer
Frédéric Liefferinckx: « Le cash reste en attente sur le mar-
en ce qu’on appelle le ‘Bank Run’. C’est-à-dire la fuite massive
ché. Et tôt ou tard, le macroéconomique remettra les pen-
et rapide des dépôts. Privée de cette source de financement, la
dules à l’heure. La bourse est un marché émotif qui exagère
banque ne peut plus exercer son métier de manière optimale.
toujours dans un sens ou dans l’autre. Actuellement, nous
De plus, et dans le cas qui nous occupe, les actifs sont passés
sommes probablement trop négatifs. Mais après des dégâts
de tangibles à quasiment intangibles, voire toxiques, voire in-
d’une telle ampleur, il faudra laisser passer une période de
vendables. L’effet ciseaux se révèle ravageur en bourse. »
consolidation relativement longue. Nous pressentons 2009 comme l’année de la mise au point. En termes boursiers,
Comment piloter son entreprise en 2009 dans la tourmente
comme pour les sociétés qui devront en profiter pour repen-
tout en continuant néanmoins à créer de la valeur?
ser leur stratégie, leur positionnement, leurs pratiques et
Frédéric Liefferinckx: « Les décideurs devraient persévérer
leur ingénierie financière. Et 2010-2011 devraient, théori-
sous le régime de la création de valeur. Mais avec quelques
quement, voir la reprise arriver. Même si les stratégies ne
nuances dans leur manière d’agir car on peut tirer de grands
s’élaborent pas en six mois, il n’est jamais trop tard pour
enseignements de la crise. Premièrement, on s’est aperçus
réagir. Les CFO possèdent quelques boutons sur lesquels
que nombre de CFO ont fortement optimisé – parfois même
appuyer pour essayer de redonner rapidement de la valeur
un peu trop – leur coût du capital par le biais de la dette. Et
aux cours de bourse. Je pense principalement à l’incertitude
les charges des dettes qui s’avéraient tout à fait payables
qui inquiète et paralyse plus que tout le marché. La commu-
dans un environnement macroéconomique ‘normal’ com-
nication n’a jamais eu autant d’importance qu’à présent. Si
mencent à peser lourd dans un environnement ‘refroidi’.
les entreprises se cachent, le cours de bourse s’en ressentira.
Il conviendra également de travailler l’opérationnel ainsi
Mais je songe aussi à la structure financière du groupe qui
que de porter la plus grande attention à son exposition sur
pourrait être revue, ainsi qu’à une éventuelle renégociation
certains marchés géographiques et à la dépendance à cer-
des emprunts. Parfois, la différence entre deux sociétés
tains produits. Par ailleurs, la politique de rémunération des
tient simplement à la stabilité du chiffre d’affaires. Donc,
actionnaires, qui fait partie des valeurs économiques créées,
il vaut mieux se montrer sage et créer de la valeur à long
doit s’envisager de manière plus anticipative, afin d’éviter les
terme que d’essayer de prendre immédiatement l’ascenseur
mouvements erratiques. On l’a très bien fait dans les années
et subir la sanction de la bourse peu de temps après. »
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°25 - MARS 2009