GQ N°163 - Pierce Brosnan - Octobre 2022

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OCTOBRE 2022 L 13563 - 163 - F: 4,90 € - RD GAZO LE ROI DE LA DRILL IMPOSE SON STYLE PARIS + PAR ART BASEL DÉBARQUE AU GRAND PALAIS CHIRURGIE ESTHÉTIQUE : 15 CM DE PLUS ? FRANCE PIERCE BROSNAN LA GRANDE CLASSE DE PÈRE EN FILS
ORLANDO, OMARI, BAYE, SUNMOON, ARTHUR et ISMAEL
GENERATION "V" Avec la participation de

MAXIME DELCOURT Journali ste

Journaliste culture indépendant, Maxime Delcourt collabore depuis 2012 avec différents magazines et écrit avec passion des articles centrés sur ses différents centres d’intérêt : la musique, le cinéma, les séries, la pop culture...

Aux éditions Le Mot et le Reste, il est également l’auteur de quatre ouvrages, dont l’unique livre en français consacré à la carrière et au parcours de 2Pac.

REMI PUJOL Photograph

Après avoir débuté sa carrière à New York, il est à présent basé à Paris. Il entretient une approche authentique et pleine d’énergie avec ses sujets, toujours à la recherche de la vérité autant que de la beauté dans ses clichés. ll a été publié dans Vogue US, WSJ Magazine et Elle UK entre autres.

SOMMAIRE Style GAZO p. 82 Mode ROAD TRIP p. 62 Culture PARIS + par ART BASEL p. 106 Culture DIEGO LUNA p. 98
e
Contributeurs Drops Style �������������������������������������������������� 23 GQ Recommande������������������������������������������� 32 La chronique sneakers ������������������������������������ 38 Société – 15 centimètre de plus 114 Culture Cinéma – 60 ans de James Bond 118 Cover Story : Pierce Brosnan et ses fils 44 STYLE : Portrait – Nigo le nouveau directeur artistique de Kenzo ������� 56 Rencontre – La collab Fursac x De Rrusie ������������������������� 72 Culture – Le mythe du débardeur blanc 76 Octobre COUVERTURE Pierce, Paris et Dylan BROSNAN Photographe Danielle Levitt Styliste Simon Rasmussen PIERCE: Veste et chemise Dior Men PARIS: Veste et chemise Gucci DYLAN: Veste et chemise Versace Dans le sujet, boucle d’oreilles perso Ce numéro comporte un encart abonnement jeté sur la diffusion kiosques Suisse et Belgique et un collage carte parfumée Armani Code sur diffusion totale 8 GQ OCTOBRE2022

Octobre

Voir notre article en page 44 Veste de costume et chemise, Dolce & Gabbana. Lunette de soleil, Bottega Veneta.
PHOTOGRAPHE DANIELLE LEVITT12 GQ OCTOBRE 2022
SOMMAIRE

Rédacteur en chef

head of editorial content

Pierre A. M’Pelé

Création artistique

directeur artistique Sidikhi Diallo

Designer art. production chargée de production

Anna Graindorge

Visual Editor & production responsable

Louise Cartier-Bresson

Rédaction

responsable coordination digitale

Jérémy Patrelle

chef de rubrique style Adrien Communier

chef de rubrique bien être Maxime Joly chef de rubrique lifestyle Alexandre Lazerges chef de rubrique culture Adam Sanchez fashion market editor

Victor Vergara fashion market assistant Pierre Dufait commerce editors

Agathe Duval Hugues Pascot social media editor Sarata Dramé

Ont contribué à ce numéro

photographes

Gonzalo Ortuño

Remi Pujol

stylisme

San Sebastian création artistique Charlotte Parisse texte

Virginie Chuimer-layen Maxime Delcourt

adaptateur

Alex Simon

Adaptation

chef de service Étienne Menu adjointe Chantal Bloom traducteurs adaptateurs

Julie Ackermann, Hervé Loncan Sarah Mandois Sandra Proutry-Skrzypek Dario Rudy

Opérations éditoriales

responsable Keren Zenati chargée des opérations éditoriales

Helene Paulin

Casting & entertainment responsable Winta Ghebre

Développement des audiences responsable Hugo Zelli

Production & distribution cheffe de fabrication Sabine France

Diffusion & marketing clients ventes

Fabien Miont abonnements Mélodie Baudusseau service client & abonnés Aurélie Gendron

Pôle image

directrice Caroline Berton gestionnaire du patrimoine et documentaliste Laure Fournis

Marketing Publicité & Contenus

directrice commerciale fashion , luxury & beauty Murielle Mucha équipe commerciale fashion , luxury & beauty Cécile Boutillier Céline Delacquis Stéphanie Dupin Sophie Maarek Sophia Masurel Gérald Passy

directrice commerciale lifestyle Josiane Inamo-Montreuil équipe commerciale lifestyle Frédéric Frossard Karima Keriche Marie-Christine Lanza Philippine Renaud agents étrangers Paola Zuffi paola.zuffi@zeta-media.it Agnès Wanat agnes@adwestmedia.eu Laurent Bouaziz lbouaziz@llbcom.com

administration des ventes Aurore Vetillart

directrice stratégie media Victoria Bravo directrice des opérations natives Marine Guigon Mompezat responsable operations natives Bastien Saunier

directrice creative cnx studio Sarah Herz directrice event & partenariat Céline Zaragoza responsable event & partenariat Marion Hinzelin

Direction

présidente et directrice de la publication

Natalia Gamero del Castillo assistante de direction Viviane Amans chief business officer Delphine Royant directrice de la diffusion et du marketing clients

Dominique Dirand directeur de la production et de la distribution

Francis Dufour

directrice de la communication

Bernie Torres

directrice des ressources humaines Nadia Benhayyan directrice financière Isabelle Léger

GQ Global

global editorial director ( u . s )

Will Welch deputy global editorial director ( british gq )

Adam Baidawi

head of editorial content , gq germany

Tobias Frericks head of editorial content , gq india Che Kurrien head of editorial content , gq italy Federico Sarica head of editorial content , gq japan

Satoshi Niibori

head of editorial content , gq mexico & latin america Urbano Hidalgo head of editorial content , gq spain

Daniel Borrás

head of editorial content , gq taiwan

Kevin Wang editor in chief , gq china Rocco Liu

global executive design director

Robert Vargas global director of editorial operations

Sarah Schmidt global visuals director

Roxanne Behr global director of content strategy

Joel Pavelski global features director

Geoffrey Gagnon global entertainment director Dana Mathews global style director

Noah Johnson global commerce category director , gq / fashion Martin Mulkeen global visuals production director

Victoria Graham global production director

Jim Gomez global content manager

Milly Tritton

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Diffusion MLP – ISSN 1959-7800.

Numéro de commission paritaire 0725 K 89484

Dépôt légal : Octobre 2022.

Provenance des papiers :

Papier de couverture, Autriche (Ptot : 0,035 kg/tonne)

Taux de fibres recyclées 0%

Papier intérieur, Finlande (Ptot : 0,003 kg/tonne)

Taux de fibres recyclées : 0%

14 GQ OCTOBRE 2022 FR

CONDÉ NAST

chief executive officer

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chairman of the board

Jonathan Newhouse

global chief revenue officer & president u s revenue

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France : AD, AD Collector, GQ, Vanity Fair, Vogue, Vogue Collections. Allemagne : AD, Glamour, GQ, Vogue. Indie : AD, Condé Nast Traveller, GQ, Vogue.

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Mexique et Amérique latine : AD Mexico and Latin America, Condé Nast College Américas, Glamour Mexico and Latin America, GQ Mexico and Latin America, Vogue Mexico and Latin America. Espagne : AD, Condé Nast College Spain, Condé Nast Traveler, Glamour, GQ, Vanity Fair, Vogue.

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Brésil : Casa Vogue, Glamour, GQ, Vogue.

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Condé Nast est un groupe média mondial de contenu premium, présent dans 32 pays, auprès de plus d’un milliard de consommateurs. condenast.com - Publié au 1 World Trade Center, New York NY 10007.

16 GQ OCTOBRE 2022

PIERCE BROSNAN EST LE JAMES BOND DE MON ENFANCE. Lorsque la saga du héros de Ian Fleming bat de l’aile, l’acteur irlandais endosse la responsabilité de 007 en 1995 dans GoldenEye, succédant ainsi à Timothy Dalton. Je me souviens surtout de Die Another Day (Meurs un autre jour) sorti en 2002 pour plusieurs raisons y compris la pré sence de Madonna sur la bande son, et le choix de Halle Berry. C’est la première fois qu’une actrice oscarisée devient James Bond Girl. L’actrice américaine est la deu xième femme noire à incarner le personnage après l’inimitable Grace Jones qui donna la réplique à Roger Moore et Christopher Walken dans A View to à Kill (Dangereusement vôtre) sortie en 1985. Pierce Brosnan représentait donc un James Bond moderne et l’acteur bénéficie aujourd’hui d’une aura internationale. Aujourd’hui, à 69 ans, il continue de jouer, mais c’est bien évidemment un rôle secondaire à celui de père de famille. Il a cinq enfants dont Dylan, 25 ans et Paris, 21 ans, avec qui il partage la vedette en couver ture de GQ FRANCE. Ils sont tous les deux mannequins pour les plus grandes marques de luxe et de mode. Invité dans la villa familiale des Brosnan à Malibu, le rédacteur Alex Pappademas relate ce moment pour GQ.

DANS CE NUMÉRO, LES CONNAIS SEURS DE MODE ET DE MUSIQUE SONT SERVIS. Un portrait de Nigo, le créateur de mode, DJ et produc teur japonais installé à la tête de Kenzo depuis environ un an,

retrace son assension. Il est une figure importante de la mode contemporaine, ayant fonder la marque de streetwear A Bathing Ape (BAPE) en 1993. Il est respecté par les grands du hip-hop tels Kanye West, Pharrell Williams, Pusha T et Mos Def. Il est entouré par la nouvelle génération dont A$AP Rocky et Tyler, The Creator avec qui il produit une partie de la bande son de son premier défilé pour Kenzo en janvier 2022, auquel assistent plusieurs de ses amis.

GAZO LE CHEF DE FIL DE LA DRILL EN FRANCE. Ce mouvement issue de la culture hip hop, né à Chicago en 2010 et associé gangsta rap, prend de l’ampleur chez nous. Le succès de KMT, la deuxième mixtape du rappeur né en 1994 à Châteauroux dans le département de l’Indre, recoit deux disques de platine et son titre CELINE 3x attire l’attention du monde de la mode. Il sera par ailleurs un des invités d’Hedi Slimane, directeur artistique de Céline, lors du défilé masculin printemps-été 2023 de la maison. Devant l’objectif du photo graphe Rémi Pujol, Gazo devient ambassadeur d’un streetwear pointue et luxueux.

DIVERSITÉ ET INCLUSION; PASSÉ, PRÉSENT ET FUTUR; TRA DITION ET MODERNITÉ. Ce numéro est une sélection de changements culturelles, de la foire Paris+ par Art Basel au spectacle de Jérôme Niel en passant par Ramy, une des séries phares de la platforme de streaming Hulu, sélectionnés soigneusement pour vous.

CLAUDIO FLEITAS
Pierre A. M’Pelé (@PAM_BOY) HEAD OF EDITORIAL CONTENT ÉDITO 18 GQ OCTOBRE 2022
*CHANGEZ LA DONNE
2022 MODE Ultra Lous and the Yakuza ICÔNE POSTMODERNE EN VENTE ACTUELLEMENT

SKATE EN MODE ULTRA CHIC

RAYÉ

BRILLERPOUR

Porter un costume est uneattitude ensoi,surtoutà l’ère du télétravail. Celatémoigned’unmodede vie,d’unsensdustyle.Quoidemieuxpourillustrercetteidéequececostume SaintLaurentavecsonpantalonample,seslargesépaulesetsesrayuresscintillantesquibrille de mille feux ?

Veste, 1pantalon,2390€, 190€, et boots,1050€, LaurentSaint by Anthony Vaccarello.

Depuis qu’il a trouvé son premier skate dans une poubelle à l’âge de 11 ans, on dirait que rien ne peut l’arrêter. Celui qu’on surnomme Shredmaster Keith a développé son propre style : ultra urbain, bourré d’audace et d’inventivité. “Il faut se saper cool quand tu fais du skate !”, explique ce natif du Bronx, réputé pour ses looks classy, entre pantalons à rayures, mocassins et costumes couleur crème. Car si son audace sur la planche a fait de lui le sportif globe-trotteur qu’il est aujourd’hui, son sens du style l’a transformé en icône du cool. “Enfant, j’allais à l’église le dimanche. On me faisait porter des costumes et des chemises boutonnées avec des motifs de ouf”, raconte le skateur. “Je n’aimais pas ça à l’époque, mais maintenant que je suis plus âgé, je me replonge dans ce passé et je trouve de vraies pépites !”

Shredmaster Keith. P ar YANG-YI GOH et SAMUEL HINE
PHOTOGRAPHE CIAN MOORE STYLISME BRANDON TAN OCTOBRE 2022 GQ 23 World
CHEMISE, 215 €, MANS. CRAVATE, 450 €, GUCCI. MONTRE, 54 000 €, CARTIER. BAGUES (MAIN GAUCHE ET INDEX DE DROITE), PERSO. BAGUES, 190 € (SUR LE MAJEUR DROIT), 280 € (ANNULAIRE DROIT), ET 330 € (AURICULAIRE DROIT), THE GREAT FROG. ÉPINGLETTES, 585 € (EN HAUT) ET 1 085 € (EN BAS), CHROME HEARTS. ÉPINGLETTE (AU MILIEU), 2 710 €. KENTSHIRE. SHREDMASTER KEITH HAIR & MAKE UP, MELISSA D E ZARATE, PRODUITS KEVIN MURPHY. RETOUCHES, ALBERTO RIVERA DE LARS NORD STUDIO. TRADUCTION JULIE ACKERMANN

PINK REVOLUTION

À L’HEURE DE L’OR ROSE Pour les 50 ans de sa montre Royal Oak, Audemars Piguet a légèrement réduit sa taille,

donné

et l’a

inoxydable et

(29 200 €).

(2 500 €).

MIAMI VIBES Jack Nicholson en est la preuve vivante : les bonnes lunettes de soleil peuvent transformer un homme en icône du cool. Les verres à branches dorées Chrome Hearts sont faits pour ça (1 675 €).

BLUES DE MINUIT

Cette cravate bleutée, crochetée en clin d’œil aux origines équestres de Hermès est un peu plus discrète que les célèbres cravates en soie de la maison, mais elle a un côté enfantin qui nous plaît bien (310 €).

TALISMAN NOIR

Voici comment ponctuer le revers de son costume et upgrader son look en une seconde : avec l’emblématique broche Rose de Noël de Van Cleef & Arpels en or jaune, onyx et diamants (17 900 €).

NOMBRIL À L’AIR

Les chemises crop top Miu Miu de l’incroyable styliste et femme d’affaires Miuccia Prada qui ont fait fureur sur internet sont enfin disponibles à votre taille. Il était temps (720 €).

GRANDMASTER

Porter un short de costume n’est pas sans risque, mais c’est une valeur sûre avec un modèle aussi stylé que ce Fendi Men à coupe ample (800 €).

COL À LA COOL Comment porter cette chemisette en soie Bode délicatement brodée quand il fait plus frais ?

Le col sorti sur un blazer, comme dans les 70’s (523 €).

VICE-VERSA

Portez ces boutons de manchettes

Completedworks sur le devant de la manche côté perle, ou optez pour les gouttes couleur jade en fonction de votre humeur (152 €).

COWBOY DANDY

Les foulards de Brunello Cucinelli, ou le mariage parfait entre les motifs de vos bandanas préférés et la soie luxueuse des mouchoirs de grand-père (195 € l’unité).

24 GQ OCTOBRE 2022
Votre destin est entre vos mains : soit vous faites comme tout le monde et portez un blazer anthracite, soit vous optez pour un manteau rose en cachemire Valentino
VALENTINO : AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DES MARQUES. STYLISTE SHARON RYAN DE HALLEY RESOURCES
lui a
un nouveau mouvement automatique
habillée d’acier
d’or rose 18 carats
DROPSGQ WORLD
REGÉ-JEAN PAGEarmanibeauty.fr

THE

REWRITE
CODE *RÉÉCRIRE LE CODE

CRAVATES OLD-SCHOOL

Ralph Lauren le sait mieux que quiconque, le cool réside dans les classiques. La preuve : ces cravates en sergé (109 € l’unité, Polo Ralph Lauren).

SHOW BUSINESS

D’Iggy Pop à Harry Styles, on ne compte plus le nombre de musiciens habillés en Gucci sur scène. Vous avez besoin d’une nouvelle preuve qu’Alessandro Michele est devenu le roi du costard de star ? Admirez cet ensemble vert avec son large col montant et ses quatre boutons. Très style Swinging London de la fin des années 60’s (veste, 2 600 €, chemise, 520 €, pantalon, 980 €, cravate, 450 €).

BLING-BLING À la place d’une cravate, adoptez une chaîne en or. Ce modèle David Yurman est orné d’un scarabée, symbole de renaissance de l’Égypte antique (25 200 €).

FLOWER POWER Discrètement parsemées de fleurs, les chaussettes Tabio font leur petit effet : joyeuses, avec une pointe de nostalgie (18 € la paire).

L’ÂGE DE GLACE

La plupart des tailleurs cherchent à éviter que le tissu ne se froisse ou se plisse. C’est tout le contraire avec ce costume bleu glacé Dior Men signé Kim Jones, magnifiant les mouvements du tissu avec son élégante ceinture (2 700 €).

COLOR-BLOCK Avec sa base vert mousse et ses épaules roses pastel, cette veste en laine Kenzo incarne à la perfection le style pop du roi du streetwear japonais, le directeur artistique Nigo (890 €).

TRÈS TOUFFUS Les mocassins Santoni ne sont pas là pour faire bonne figure mais pour exhiber leur chevelure toute hirsute (1 250 €).

MAGE CLASSE

Parce que, non, on n’a pas forcément besoin de revers sur le blazer : on est déjà ultra chic avec cette veste de soirée Dolce & Gabbana (1 950 €).

FROQUE FORT

Le vestiaire tradi est un terrain de jeu pour Thom Browne. Superbe exemple avec ce superbe pantalon épais à large revers, réalisé avec pas moins de trois tweeds différents (3 383 €).

28 GQ OCTOBRE 2022 KENZO AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE LA MARQUE DROPSGQ WORLD

parfums qui envoient du bois

Avec leurs notes de cèdres, de cyprès, de santal ou de mousse de chêne, ces fragrances de caractère incarnent le changement des saisons.

LE NOUVEAU CLASSIQUE

Santal 33 fêtait l’année dernière 10 ans d’une discrète conquête mondiale des amateurs de fragrances sophistiquées. Si vous ne le connaissez pas, vous l’avez déjà senti. Si, si…

Santal 33, Le Labo

L’INCONTOURNABLE

Toujours au goût du jour, Terre d’Hermès puise son intensité dans le dialogue entre des notes boisées-épicées et la fraîcheur des agrumes.

Terre d’Hermès

LE TOUT FRAIS

Toute première création de notre jeune marque française de cosmétique préférée, l’eau de parfum Horace est douce, sensuelle et fraîche, mais avec un touche de piquant.

Eau de parfum Horace

LE MYSTIQUE

Eau de parfum au caractère aussi intrigant que son nom, la création fumée et riche de la marque australienne est le partenaire idéal des mois les plus humides de l’année.

Hwyl, Aesop

LE LÉGER

A porter tout au long de l’année pour sa fraîcheur, ce parfum boisé aromatique très fruité puise son caractère dans ses notes de cèdre, de santal, de pin et de mousse de chêne.

Hugo Man, Hugo Boss

LE MASCULIN

Rassurant et élégant, avec ses notes de bergamote, de poivre rose, de cèdre et de patchouli, Dior Homme fait partie des indispensables du vestiaire olfactif masculin.

Dior Homme

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BIEN-ÊTREGQ RECOMMANDE IMAGES PUBLIÉES AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DES MARQUES 32 GQ OCTOBRE 2022

PEARBAINE UU

RÉÉQUILIBRER

BOOSTER

Stressée par un retour à la ville et à la vie normale, votre peau a besoin d’un coup de pouce pour rester éclatante cet automne. Voici la routine skincare à suivre pour vous protéger des radicaux libres nocifs qui causent un vieillissement cutané prématuré. la nuit.

Le combo d’acide hyaluronique, de caféine et de Bio-Complex Marin de ce sérum favorise l’élimination des toxines et stimule le renouvellement cellulaire la nuit.

Associé au Ginseng indien, le safran forme un voile protecteur contre les agressions urbaines et rééquilibre la peau grâce à son action détox.

Soin visage protecteur et antipollution, Nideco, 26€

EXFOLIER

Patyka,

Concentré détoxifiant nuit, Patyka, 49€

Enrichie en Kombucha, cette lotion antioxydante protège pendant 24 heures des effets néfastes de la pollution et combat le vieillissement de la peau.

Kombucha Antioxidant Essence, Fresh, 79€

Mélangée à quelques gouttes d’eau, cette poudre d’enzymes se transforme en pâte à laisser poser une minute sur le visage avant de rincer. Simple, rapide et e cace.

Masque exfoliant enzymatique, Sisley, 95€

Cette mousse onctueuse à utiliser matin et soir nettoie les impuretés de l’épiderme et assure une bonne hydratation de la peau. Crème nettoyante moussante, Malin+Goetz, 32€

BIEN-ÊTREGQ RECOMMANDE
IMAGES PUBLIÉES AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DES MARQUES 34 GQ OCTOBRE 2022
SÉLECTIONGQ RECOMMANDE FIFOU Jerome

4 RAISONS

D’ALLER VOIR SON SPECTACLE

A 37 ans, Jérôme Niel présente un premier one man show, aussi absurde qu’hilarant. Après s’être fait connaître du grand public par ses vidéos Youtube avec le Studio Bagel, les Tutos sur Canal+, et aujourd’hui ses vidéos Instagram, l’homme le plus drôle de France est en tournée à partir du 1 octobre et à la Cigale du 24 au 31 mars.

PARCE QUE ÇA A FAIT UN CARTON PLEIN À PARIS

Pour ses premiers pas sur scène, Jérôme Niel a su séduire son public avec plus d’une cinquantaine de représentations, faisant salle comble pendant sept mois, à raison de 3 représentations par semaine. “ A l’Européen, le spectacle a constamment évolué. Il y avait des gags qui ne bougeaient pas, mais à côté, il y avait tous les jours de nouvelles choses, des trucs en impro que j’ai rajoutés. Quand une idée marchait vraiment bien, je me disais : on la fixe et on la garde pour la prochaine fois. ”

2PARCE QU’IL SAIT CRÉER UNE VRAIE CONNEXION AVEC SON PUBLIC Jérôme Niel est quelqu’un qui aime jouer avec les spectateurs. Attendez-vous à interagir, à participer, à monter sur scène et peut-être même à recevoir des cadeaux des plus absurdes. “ J’ai hâte d’aller à la rencontre d’autres publics à travers la France. Je pense qu’il y aura une nouvelle dynamique qui sera intéressante à découvrir. Lorsque je suis sur scène, je veux qu’il se passe quelque chose entre les spectateurs et moi. J’ai à cœur de tout donner pour montrer aux gens qu’il n’y a qu’ici qu’ils pourront voir ça. ”

PARCE QUE C’EST UN MAÎTRE DE L’ABSURDE

Qualifiant son spectacle de “ savant mélange entre Albert Dupontel, Jim Carrey, The Rock et Marguerite Yourcenar ” , il annonce clairement la couleur : un show absurde dont on ignore jusqu’où il peut nous conduire. On ne saisit pas forcément la structure de sa prestation mais c’est sûrement ça le plus drôle. “ Dans mon spectacle, j’essaye d’aller là où les gens ne m’attendent pas. Ce que j’aime, c’est lorsque le public se dit Houla oui ! Qu’est-ce qui se passe encore ? Mais il est fou en fait ! ”

PARCE QU’IL RÉALISE UNE PERFORMANCE PHYSIQUE HORS NORME Attendez-vous à des cris, à des chorégraphies, à beaucoup de sueur, bref, à une prestation physique à couper le souffle. “ J’ai besoin de bouger et d’occuper l’espace lorsque je fais un spectacle. Le point commun entre ce que je fais sur Instagram et sur scène, c’est que je joue avec tout : l’environnement, la forme de mon visage, la forme de mon corps. J’essaye de tordre le truc au maximum. J’aime tout type de spectacle mais j’ai un point faible pour la performance. Et donc, je me suis dit que si un jour je montais sur scène, je voudrais que mon show ressemble à une performance. ”

LES ONE MAN SHOWS À NE PAS RATER

FARY

Après la sortie de son EP Le Stand-UP m’a tué.e, Fary fera son retour sur scène les 17, 18 et 19 Novembre avec son nouveau spectacle Aime-moi si tu peux au Dôme de Paris où l’humoriste évoquera la relation qu’il entretient avec le public.

REDOUANE BOUGHERABA

Entre improvisation, autodérision et tranches de vie, Redouane Bougheraba offre un spectacle aussi lumineux que sa ville d’origine Marseille. Un one-man-show dans lequel il n’hésite pas à jouer avec les spectateurs. Il est en tournée jusqu’en avril 2023.

A seulement 23 ans, Panayotis Pascot confirme son talent de stand-upper avec son premier spectacle Presque qu’il présente depuis 2019. Il sera en tournée dans toute la France à partir de fin septembre et à l’Olympia les 23 et 24 Octobre.

PANAYOTIS PASCOT
OCTOBRE 2022 GQ 37
1
3 4 Niel

L’ART DE LA BASKET

Customiser des sneakers n’a jamais été aussi avant-gardiste avec l’artiste Canyaon. Véritable sensation sur les réseaux sociaux, voici trois choses à savoir sur ce jeune prodige dont on n’a pas fini d’entendre parler.

SON TRAVAIL EST RELATIVEMENT RÉCENT

Canyaon, de son vrai nom Alexander Osipov, est originaire de Naberezhnye Chelny, une grande ville industrielle à l’ouest de la Russie. À tout juste 23 ans, le jeune artiste est novice dans la transformation de baskets. “ J’ai conçu ma première œuvre en décembre dernier, nous explique-t-il, j’ai pris une vieille paire de sneakers et un coupe-vent Nike violet déniché dans une friperie que j’ai ensuite attachés ensemble à l’aide d’une corde. ” Alexander Osipov s’est depuis attaqué à plusieurs modèles emblématiques des principaux équipementiers sportswear. Nike, New Balance, Salomon, Reebok ou encore Arc’teryx, tout est bon pour servir de matière première au jeune homme qui avoue être très inspiré par le monde de la musique. Si ses œuvres n’existent pour l’instant que sur les réseaux sociaux, Alexander Osipov espère un jour pouvoir imaginer des concepts pouvant être portés au quotidien et on s’attend déjà à ce que l’Arc’teryx décapsuleur et la Reebok bouteille de vodka fassent un carton.

SES ŒUVRES SE RÉPANDENT COMME UNE TRAÎNÉE DE POUDRE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

“ Quand j’ai créé ma première paire de sneakers customisées, j’ai su immédiatement que je voulais partager mon travail sur les réseaux sociaux pour montrer aux gens ma façon de voir les baskets, explique Canyaon. Il y a eu un feedback immédiatement positif ce qui m’a motivé à poursuivre mon travail en explorant de nouveaux modèles. ” Aujourd’hui, le jeune artiste peut compter sur une communauté (qui continue à grandir) de plus de 82 000 abonnés sur Instagram contre 255 000 sur TikTok où certaines de ses vidéos atteignent plusieurs millions de vues.

“ Le modèle qui m’a propulsé sur les

réseaux sociaux est une paire de Nike entourée d’un tube relié à des seringues qui fonctionnent comme une perfusion ”, raconte Alexander Osipov face à ce succès inattendu. “ Je pense que les gens apprécient mon travail car ce que je fais est inhabituel et di érent. Mon compte Instagram est comme une série télévisée où chaque œuvre est un nouvel épisode. On se demande ce qu’il va bien pouvoir se passer. ”

LA GUERRE EN UKRAINE A CONSIDÉRABLEMENT IMPACTÉ SON ART (ET SON QUOTIDIEN)

Depuis le 24 février dernier et l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Vladimir Poutine, une série de sanctions ont été prises par la communauté internationale à l’encontre de la Russie. Des restrictions émanant aussi des grands acteurs de la mode et du luxe qui ont préféré s’éloigner de la Russie en fermant leurs boutiques et en cessant les commandes en ligne. Des prises de positions qui ont particulièrement affecté le projet de Canyaon. “ Cela a eu un impact négatif considérable sur mon travail et sur ma créativité ”, confie le jeune artiste. “ De nombreuses marques de vêtements et de chaussures ont quitté la Russie, les entreprises étrangères ont arrêté de collaborer avec le peuple russe et les boutiques en lignes ne livrent plus rien. ” Nike fait par exemple partie des géants de la mode à avoir stoppé toute activité en Russie. L’équipementier américain a indiqué à ce propos en juin dernier qu’il quittait définitivement le marché russe après avoir fermé temporairement ses magasins. En attendant, Alexander fait au mieux pour poursuivre son activité et admet avoir de nombreuses idées en cours sur lesquelles il travaille en même temps. “ Cette situation n’a pas seulement a ecté mon travail, elle a aussi grandement impacté ma vie. J’espère que tout cela sera bientôt terminé. ”

PAR ADRIEN COMMUNIER
ALEXANDER OSIPOV SNEAKERSCHRONIQUE 38 GQ OCTOBRE 2022
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Bella Hadid et son meilleur

R amyBella Hadid fait ses premiers pas à l’écran dans la nouvelle saison de Ramy. Avec Ramy Youssef, le créateur et héros de la série, la jeune femme a noué une amitié qui lui permet de réfléchir en profondeur à sa famille et à sa foi, et lui donne envie de faire entendre sa voix en faveur du bien commun.

BELLA HADID n’est pas le premier supermodel de sa génération à tenter sa chance en tant qu’actrice. Et c’est bien pour ça qu’ avec sa première expérience de comédienne, l’Américaine d’origine palestinienne et néerlandaise a voulu surprendre. “Les gens devaient sûrement s’attendre à ce que mon premier rôle soit forcément super sexy.” Et dans cette nouvelle saison de la série Ramy, diffusée à l’automne, la jeune femme endosse donc un rôle étonnant : celui de la petite amie perturbée.

Cette comédie la fois sombre et hilarante, disponible en France sur Canal+, suit l’alter ego fictionnel de Ramy Youssef, jeune Américano-Égyptien qui tente en vain d’être un bon musulman alors qu’il entre dans l’âge adulte. La série séduit par sa profonde aversion de la bien-pensance et son goût avéré du terrain glissant. Un exemple parmi d’autres : le personnage de Ramy doit régulièrement aider son meilleur ami qui souffre de dystrophie musculaire à se masturber. Du rôle qu’il a donné à Bella Hadid, l’acteur et auteur dit qu’il est “l’un des personnages les plus bizarres” qu’il ait jamais écrits.

L’idée de la faire jouer remonte à janvier dernier. Ramy la contacte sans l’avoir jamais rencontrée, et lui propose de but

en blanc d’être guest-star dans sa série. Après une longue conversation sur Zoom, la jeune femme accepte son offre, qu’elle envisage comme “un signe du destin”. Bella et Ramy ont en commun un réseau d’amis et de confidents qui évoluent tous dans les milieux artistiques. Le frère de Bella, Anwar, est par exemple très proche de Ramy. “Elle évolue en général au sein d’un monde qui ne sait pas bien ce que c’est que d’être musulman”, m’explique un autre de leurs amis, le musicien canadien Mustafa. “Elle est souvent la seule musulmane ou la seule Arabe de son environnement de travail. Et grâce à Ramy, elle se retrouve pour une fois au cœur de sa communauté.”

LA STAR DES PODIUMS dit avoir immédiatement éprouvé ce sentiment d’appartenance sur le tournage. Le premier jour, elle a trouvé dans sa loge un T-shirt floqué “Free Palestine”. Un cadeau de l’équipe qui l’a beaucoup touché. “Je n’ai pas pu retenir mon émotion, car je suis arabe, et pour la première fois dans mon métier, je me suis retrouvée avec des personnes avec le même état d’esprit que moi. Je me suis sentie pleinement moi-même, je me suis reconnue dans tout ça.”

Je comprends tout à fait ce que Bella Hadid veut dire. Se sentir obligé de toujours

minimiser son identité musulmane peut être un fardeau lourd à porter. Je suis moi-même musulmane, j’ai été élevée dans l’islam et j’ai souvent l’impression de devoir neutraliser ou réfréner cette partie de mon être pour paraître moins compliquée et moins contraignante aux yeux des autres. Bella et Ramy ont chacun leur approche de cette identité culturelle qui leur est propre. Ils exposent fièrement leur héritage, leurs valeurs, et profitent de leur notoriété pour revendiquer une conception neuve, riche et complexe de ce que les Arabes et les musulmans peuvent apporter au monde. Dans sa série, Ramy réussit ainsi à soulever des questions spirituelles essentielles, et au-delà des diverses intrigues, il a l’intelligence de ne jamais fournir de réponse toute faite, et de ne pas chercher à graver dans le marbre ce que devrait être un “bon” musulman.

BELLA HADID, de son côté, s’est impliquée ces dernières années dans la lutte en faveur du peuple palestinien. Sur Instagram, plateforme pourtant critiquée pour son pseudo-militantisme tiédasse, elle pose un regard très aigu sur ces sujets et sur sa propre expérience. Cet hiver, elle y évoquait par exemple les discriminations quotidiennes vécues par les femmes en hijab. “Si nous voyons de plus en plus de

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BELLA Débardeur et pantalon, Prada Chaussures, Nicole Saldana Collier perso RAMY Vetêments, chaussure et accessoires perso

hijabs et de voiles dans les photos de mode, écrivait-elle, nous devons aussi reconnaître les abus que subissent régulièrement les femmes musulmanes, qu’importe leur ethnie, de la part des maisons de mode, en particulier en Europe et en Amérique.”

Pas trop le genre de préoccupations qui en général taraude le mannequin moyen sur Instagram.

Dans la série qui porte son prénom, le personnage de Ramy Youssef n’est pas un garçon recommandable. C’est un fuckboy faible et vaniteux, qui trompe sa fiancée la veille de leur mariage, et qui plus est avec sa cousine. Le Ramy de la vraie vie, lui, est avenant, gentil, attentionné. Et lors de notre interview, il était tellement absorbé par la conversation qu’il a raté l’avion qu’il devait prendre. “L’avantage quand on joue un personnage comme celui-là, c’est que les gens qui vous rencontrent dans la réalité vous trouvent forcément mieux que lui. C’est tout bénéf !” Bella voit très bien de quoi parle son ami : “Bienvenue dans ma vie ! Quand quelqu’un me parle en vrai, il s’aperçoit que je ne suis ni une connasse ni une méchante, que je ne suis pas l’espèce de créature froide et sans âme qu’il a cru voir sur les couvertures de magazine. Pour moi, cette image, c’est juste une armure.”

Car derrière la célébrité de Bella Hadid se cache une jeune femme aux prises avec son propre héritage, qui cherche à trouver sa place. Si elle a d’abord grandi à Washington D.C., où elle fréquentait souvent sa famille palestinienne paternelle, le déménagement de sa mère en Californie l’a coupée de ses liens. Ce déracinement a fait naître en elle un sentiment de malaise. Elle se retrouvait souvent à être la seule fille arabe de sa classe, pouvait se faire insulter par quelques tocards racistes, et a longtemps senti un vide dans sa vie et son être. “Je n’ai jamais pu me reconnaître dans quoi que ce soit, alors j’ai préféré rester en retrait, commente-telle aujourd’hui. Pendant longtemps, cette partie de moi manquait, et ça me rendait vraiment triste.”

LA SÉPARATION DE SES PARENTS et le déménagement sur la côte ouest ont donc laissé des traces indélébiles sur sa construction personnelle. “J’aurais adoré passer plus de temps avec mon père, étudier et pratiquer l’islam, vivre au sein d’une culture musulmane… Mais je n’en ai pas

eu l’opportunité.” Elle se sent néanmoins aujourd’hui très concernée par le sort du peuple palestinien, et très attentive aux épreuves traversées par sa famille. “J’aborde ces sujets à la fois pour mes aînés, qui vivent encore là-bas et qui n’ont jamais connu la Palestine libre, et pour leurs enfants, qui méritent de pouvoir grandir et de profiter d’une vie meilleure.”

Intégrer le casting de Ramy s’est donc présenté comme une étape naturelle dans son projet de renouer avec son héritage arabe et musulman. Un travail qui demande de la patience et de l’humilité. Ramy Youssef raconte que “Bella a beau ressentir cette connexion profonde quand elle entre dans une mosquée ou lorsqu’elle prie, elle hésite

“Bella a beau ressentir cette connexion profonde quand elle entre dans une mosquée ou lorsqu’elle prie, elle hésite encore à se qualifier de ‘musulmane’ en raison de ce que le terme peut évoquer.”
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encore à se qualifier de ‘musulmane’ en raison de ce que le terme peut évoquer”. Cette injonction à incarner un croyant exemplaire tend donc toujours à brimer la communauté musulmane et à nous imposer des étiquettes. Mais son amitié avec Ramy a tout de même poussé Bella à explorer certaines questions liées à sa foi.

“Un jour, alors qu’il faisait le ramadan, il m’a invitée à prier avec lui”, dit-elle tout en souriant à son ami. “C’était l’un des plus beaux moments de ma vie d’adulte.”

“Ramy a toujours eu un talent incroyable pour faire grandir notre communauté”, indique Mustafa, musicien canadien, proche à la fois de Youssef et de Hadid. “Dans sa manière d’accepter les gens, même lorsque leur foi est timide. Il leur fait comprendre qu’ils peuvent tout de même pratiquer et s’y accrocher. Il leur montre que les lieux musulmans sont ouverts à tous.”

Un des épisodes de la nouvelle saison de Ramy a été filmé à Haïfa et à Jérusalem,

et a été produit par l’actrice palestinienne Hiam Abbass, qui joue la mère de Ramy. Cet épisode était déjà dans les tuyaux avant même que Bella ne rejoigne le casting. L’acteur et auteur avait découvert la région en 2015 en participant à la toute première édition du Palestine Comedy Festival, où il s’était produit et avait animé un atelier. “On était en plein scandale de l’eau contaminée à Flint, aux États-Unis”, se rappelle-t-il. Et pendant mon atelier, une petite fille est venue me demander : ‘Qu’est-ce qu’on peut faire pour aider les enfants du Michigan ?’ Ça m’a laissé bouche bée.”

APPORTER SON SOUTIEN À LA PALESTINE A VALU À BELLA HADID de faire régulièrement les gros titres. L’an passé, par exemple, sa sœur Gigi et elle, ainsi que la chanteuse Dua Lipa, ont été visées par une pleine page de publicité qui attaquait leurs opinions dans un quotidien américain. Le supermodel n’a pas fléchi et est resté campé sur ses positions.

Ramy Chemise, Le Père

T-shirt appartenant à Bella Pantalon, Carhartt WIP Sneakers, adidas

Chaussettes perso

Bella Chemise, Louis Vuitton Pantalon, Kenzo

Chaussures, Nicole Saldana

Chaussettes, Falke

Veste perso

Pour Bella Hadid Hair : Evanie Frausto à Streeters avec des produits Redken Make-up : Raisa Flowers à E.D.M.A. avec des produits Mac. Production  : Anima studios

Pour Ramy Youssef Hair : Andrea Grande-Capone Hair & make-up : Melissa Dezarate avec des produits Augustinus Bader.

“J’ai compris que je n’étais pas arrivée sur cette planète juste pour être mannequin”, a-t-elle rappelé. “J’ai beaucoup de chance d’avoir une tribune et de pouvoir m’exprimer publiquement comme je le fais. Et puis dans le pire des cas, il se passe quoi ? Je perds mon travail ?”

Car pour Bella Hadid, certaines choses ont désormais plus d’importance que sa carrière. Lors de notre conversation, nous avons fini par nous dire qu’il y aurait toujours un aspect de notre parcours et de notre relation à Dieu qui demeurerait foncièrement intime. Et que l’existence de cette relation constitue à elle seule une source où puiser de la force. “C’est ça le truc”, conclut Ramy Youssef. “On pense qu’on est seul. Mais si on se dit qu’il existe un invisible, et je suis presque sûr que cet invisible existe, alors on n’est plus seul.”

sarah hagi, journaliste basée à Toronto Sarah Mandois, adaptation française

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Vous connaissez déjà Pierce : légendaire acteur irlando-américain, ancien James Bond et désormais peintre. Probablement l’homme le plus charmant du monde.

GQ vous présente deux des seules personnes capables de résister à son charme : ses fils Dylan et Paris, mannequins, musiciens et cinéastes.

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Les Brosnan sont habillés par Fear of God

N 2018, QUAND LES AMIS DE DYLAN BROSNAN, ont fait irruption chez lui pour ses 21 ans, ils sont tombés des nues en découvrant que son père était Pierce Brosnan. “C’est vrai”, me confirme Dylan en riant. “Je ne le dis à personne. Jamais.”

C’est un après-midi chaud mais venteux dans la maison de Malibu que les parents de Dylan, Pierce et sa seconde épouse, Keely Shaye Smith, possèdent depuis leur mariage en 2001. Sur un canapé du salon, Dylan observe le ciel bleu et la mer par la fenêtre. Il me parle de son enfance, et du fait d’avoir grandi avec un père que tout le monde connaissait. “Vu que des gens l’abordaient sans arrêt dans la rue et qu’il prenait toujours le temps de leur parler, je me disais qu’il avait plein d’amis.”

Dylan, né en 1997, a aujourd’hui 25 ans. Sa petite enfance a coïncidé avec les plus grands succès de Pierce Brosnan – les années 007 et Thomas Crown. Plus tard, quand il en parlera à son père – “Tu te souviens de ton ami, là ? Celui qui s’ habillait n’importe comment et traînait près du cinéma ?” – il comprendra que ces “amis” étaient en réalité des inconnus. Des fans, pour la plupart. Et parfois d’authentiques cinglés.

Un Pierce Brosnan aux cheveux argentés nous rejoint en short kaki et vieux t-shirt blanc. “Aujourd’hui, annonce-t-il, je n’ai rien de prévu à part cet entretien. Quand on aura fini, je me verserai un cocktail et j’irai voir les pélicans sur le rivage.”

Il aura 70 ans l’an prochain. Le temps a adouci son visage, moins sévère mais toujours aussi beau. Plus tard, je me sentirai obligé de lui demander : “Dis-moi, Pierce, quand as-tu réalisé que tu étais un si bel homme ?” Il rit haut et fort, puis refuse poliment de répondre. Que pourrait-il bien me dire ? Ce visage, il est né avec, tout comme la tache de naissance sur son bras gauche. “Ma grand-mère disait toujours : ‘Cette tâche-là, c’est un porte-bonheur. Toi mon petit, tu vas avoir de la chance dans la vie.’” Il hausse les épaules. “Jusqu’ici, on ne peut pas dire qu’elle se soit trompée.”

Dylan est allé au lycée et à l’université à Los Angeles, mais avant ça, lui et son frère Paris, aujourd’hui âgé de 21 ans, partageaient leur vie entre Malibu et la maison familiale à Hawaii. Cette dernière leur a fourni un quotidien presque normal, que Dylan compare au film Stand by Me. “On était une bande de gosses qui passaient leur temps à courir en forêt, se demander quoi faire, pédaler à vélo, explorer des

grottes, nager, surfer et tout ça. Je rentrais quelques jours à Malibu puis j’y retournais.” À l’école, ces allers-retours lui procurent une aura mystérieuse. “Les autres me disaient : ‘Ah oui, c’est toi… On a été ensemble au CM2 une semaine, et puis t’as disparu.”

Quand ils étaient plus jeunes, Dylan et Paris ont aussi passé du temps sur les plateaux avec papa – Dylan se souvient avoir exploré le palais de glace de Meurs un autre jour – et, une fois adultes, ils ont tous deux travaillé dans les coulisses de ses films. Mais leur père leur a toujours déconseillé la carrière d’acteur.

“C’est vraiment un boulot difficile”, m’explique Pierce Brosnan en haussant les épaules. “C’est une croix à porter : tu dois te réinventer en permanence.”

Jusqu’à présent, les frères Brosnan ont suivi les conseils de leur père : ils se sont orientés vers des formes de créativité moins risquées d’un point de vue existentiel. Paris peint, surfe, et a déjà défilé en tant que mannequin pour Balmain, Dolce & Gabbana, et Moschino. Quant à Dylan, le cadet, il poste ses compositions psychédéliques sur SoundCloud, donne un coup de main chaque fois qu’un groupe a besoin d’un bassiste, et joue de tous les instruments sur un disque qu’il sortira “un de ces jours”. (Il cite Chet Baker et Scott Walker comme influences, et n’arrive toujours pas à croire que son père ait vu Nick Drake en concert dans les années 1970 ; ça semble beaucoup plus l’impressionner que toute cette histoire de James Bond.)

En 2020, les deux frères ont joué les ambassadeurs lors de la cérémonie des Golden Globes – un job qui a servi de tremplin vers le grand écran à de nombreuses stars, de Laura Dern à Dakota Johnson. Mais les jeunes Brosnan, eux, sont plus attirés par la réalisation. Dylan a travaillé avec Thom Zimny, à qui l’ont doit des documentaires sur Willie Nelson, Elvis et Bruce Springsteen ; quant à Paris, c’est un militant écologiste qui a réalisé des courts-métrages sur le vote et la faim dans le monde.

Les deux m’assurent qu’ils ont beaucoup appris de leur père – des leçons sur l’acharnement, la passion, la confiance, la ponctualité. Sans oublier l’humour, comme le précise Dylan : “Il ne faut pas craindre de se moquer de soi-même.”

Ce sens de l’humour transparaît dans les réponses de Pierce Brosnan dès que notre conversation s’oriente vers le travail. Cela constitue une partie importante de son charme. Certes, il a répondu présent quand il a fallu enfiler le smoking de James Bond.

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Veste et pantalon, Brunello Cucinelli Pull, Brioni Chaussures, G.H. Bass Originals Lunettes de soleil, Fred Montre, Jaeger-LeCoultre PARIS Manteau, veste, col roulé et pantalon, Dolce & Gabbana Lunettes de soleil Gentle Monster DYLAN Manteau, col roulé, pantalon, ceinture et gant, Saint Laurent par Anthony Vaccarello PIERCE Costume et chemise, Dolce & Gabbana

Mais il a fait de même quand on lui a proposé de jouer un abruti ne portant que des bottes, une moustache et un slip de bain tandis qu’il traverse un hall d’hôtel (The Matador). Il a aussi été bombardé de fruits par Robin Williams, été transformé en tête désincarnée par des Martiens, et a un beau jour chanté SOS d’Abba à Meryl Streep.

À en juger par la bande-annonce, il semble aussi s’amuser dans son premier film adapté d’un comics, qui sort en octobre. Mais il n’est pas autorisé à en révéler grand-chose. “Black Adam, Dwayne Johnson, DC… Et moi, je suis le Docteur Fate.”

Dans les comics, Black Adam est un Égyptien, autrefois esclave, devenu un antihéros semi-immortel – une sorte de Superman chef d’État du Moyen-Orient – et le Docteur Fate est un sorcier qui porte un casque télépathique. Pierce Brosnan s’est prêté au jeu du film de super-héros, et a trouvé tout cela “très gratifiant niveau humoristique”.

Le tournage s’est déroulé à Atlanta – un nom qu’il prononce comme s’il en savourait la saveur locale – où il a passé son temps libre à peindre. Quand Pierce Brosnan travaille, ses scripts finissent toujours couverts de croquis. “Des symboles, des portraits… Des emblèmes d’un certain passé celtique”, dit-il avec un petit rire auto-dépréciateur.

En général, ses croquis deviennent des peintures. Car Pierce peint depuis des années. “Ça adoucit la solitude de l’acteur – patienter seul dans des remorques, patienter seul dans des parkings, patienter seul dans des champs… En haut d’une montagne, en bas d’une montagne, dans les coulisses… Je peux dessiner n’importe où.”

LE TABLEAU SURDIMENSIONNÉ au fond de la pièce – un agrandissement style pop art du mode d’emploi d’un paquet de bouchons d’oreille jetables – date de 1995. Il a été peint sur le tournage de GoldenEye, soit six mois de coups de feu et d’explosions. Pierce Brosnan a tendance à peindre des visages humains abstraits aux couleurs psychédéliques. Mais il aime aussi les images vernaculaires, comme les illustrations qui ornent les fiches de sécurité des compagnies aériennes. “Les hiéroglyphes de notre époque…”, lance-t-il d’un air songeur. “Une femme qui change la couche d’un bébé. Comment s’enfuir. Comment enfiler son masque. Il y a là un vocabulaire artistique et une diction silencieuse qui collent bien à mon style.”

Dans le temps, il a suivi une formation d’artiste-peintre, mais le destin en a décidé autrement. Il apprécie toujours autant Andy Warhol, Roy Lichtenstein, les peintres surréalistes, et raconte que c’est lui qui a eu l’idée du Metropolitan Museum of Art pour le braquage de Thomas Crown – à l’origine, c’était censé être le musée Guggenheim.

→ DYLAN Chemise, Brioni Débardeur, Tom Ford Pantalon, RalphLauren Purple Label

Lunettes de soleil, Dita Bracelet (du haut) David Yurman Bracelet (du bas), Tiffany & Co.

PIERCE

Surchemise, Lessless Chemise, Brioni Pantalon, Giorgio Armani Ceinture, Ralph Lauren Purple Label

PARIS

Veste, chemise et pantalon, Louis Vuitton Men’s

Lunettes de soleil, Dita

“La première nuit à New York”, racontet-il, “je séjournais dans un superbe appartement. Dylan était encore bébé. Sur la table, il y avait un livre avec une reproduction de L’Homme au chapeau melon de René Magritte.” Il a appelé le réalisateur, John McTiernan, et lui a suggéré de faire porter un chapeau melon à Thomas Crown.

Sa première exposition en galerie est prévue pour le printemps 2023 chez Seasons, à Los Angeles. La peinture des bouchons d’oreilles sera de la partie, même si elle a déjà été vendue à un mystérieux acheteur. Selon Pierce, ce sera une véritable rétrospective ; les premières œuvres présentées datent de 1987, année où il a commencé à peindre.

Quand je lui demande ce qui l’a poussé à s’y mettre, sa réponse nous ramène sur terre. “Ma défunte épouse en était à sa deuxième année de cancer des ovaires”, dit-il d’un ton égal. “Il fallait que je trouve un moyen de faire face à sa maladie.”

Sa femme, c’était Cassandra Harris, elle aussi actrice. Ils se rencontrent à la fin des années 1970. À l’époque, Pierce sort tout juste de l’école d’art dramatique. C’est un enfant du prolétariat, originaire du comté de Meath, en Irlande, qui s’est installé à Londres et fréquente le théâtre Oval House, dans le West End (où il foule parfois les planches lors de pièces de théâtre et de spectacles de danse organisés par les Black Panthers britanniques). Cassandra et lui se marient en 1980, l’année où Pierce fait ses débuts au cinéma dans Le Long Vendredi Saint de John Mackenzie. Il y joue le rôle d’un membre de l’Armée républicaine irlandaise qui menace Bob Hoskins.

Pierce Brosnan obtient ensuite un rôle principal dans The Manions of America, mini-série d’ABC sur la migration vers les ÉtatsUnis pendant la famine irlandaise. Cassandra et lui prennent une seconde hypothèque sur leur maison de Wimbledon et déménagent à Los Angeles pour se rapprocher du monde du show-business et de ses opportunités.

Il a raconté cette histoire mille fois. Il loue une voiture à 50 dollars la semaine pour se rendre à son audition à Los Angeles quand, quelque part dans le quartier de Laurel Canyon, le véhicule tombe en panne. Pierce dévale la colline, arrive à temps, et décroche le rôle de Remington Steele dans la série éponyme, qui fait de lui une star.

Les critiques trouvent la série meilleure sur la forme que sur le fond, mais les audiences sont bonnes, et elle dure cinq saisons. Pierce vient juste de se ruiner en fournitures artistiques qui terminent au placard. “J’étais à la télévision, je gagnais bien ma vie… C’était le moment de peindre, mais je n’ai fait que travailler.”

Cassandra tombe malade en 1986. L’année suivante, Pierce m’explique qu’une nuit, il a sorti la peinture et s’est mis à peindre.

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Veste, col roulé, pantalon et mouchoir de poche Tom Ford Lunette de soleil Gentle Monster Montre Jaeger-LeCoultre Bague David Yurman
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Veste, chemise et pantalon Gucci Lunette de soleil Matsuda Bracelet (au haut) David Yurman Bracelet (du bas) Tiffany & Co.

Pierre Brosnan

Hair & Make-up : David Cox avec des produits Kevin Murphy

Dylan et Paris Brosnan Hair & Make-up: Heather‑rae Bang avec des produits Balmain Hair Couture Set design : Brian Crumley Rob Strauss studio Production : Isaac Féria

“Avec mes doigts, avec mes mains… Tout était bon pour affronter le poids et la douleur de sa maladie.”

Cette toile sera aussi dans l’exposition. “C’est souvent comme ça qu’on commence – ça a un côté tragique, certes, mais c’en est d’autant plus beau.”

UN BEAU JOUR, la série Les Enquêtes de Remington Steele attire l’attention de feu Albert Broccoli, producteur de James Bond, qui aurait vu la photo de Pierce Brosnan et se serait exclamé : “S’ il sait jouer, c’est mon homme !” NBC en a vent et garde Pierce sous contrat pour une autre saison ; le prochain Bond sera donc Timothy Dalton, mais Pierce sera celui d’après – il reprend le rôle à partir de GoldenEye, en 1995.

Pour la petite histoire, Pierce n’a jamais joué au jeu vidéo GoldenEye 007 sur Nintendo 64 – sauf une fois, à la télévision, avec Jimmy Fallon. Les fans chantent encore les louanges de ce jeu, mais les films, eux, ont mauvaise presse : ce sont les derniers James Bond avec une touche de kitsch, en écho au sourcil arqué de Roger Moore.

Vers 2004, les producteurs de James Bond téléphonent à Pierce aux Bahamas pour lui annoncer qu’ils changent de voie. Sur le coup, ça l’énerve – “Ces enfoirés m’ont viré au pire moment”, déclaret-il à Playboy en 2005 – mais très vite, il est soulagé d’être libéré de ce poids. Son successeur, Daniel Craig, s’illustrera dans cinq films en Bond hanté par des temps géopolitiques de plus en plus sombres. Aujourd’hui, l’époque de Craig est révolue, et une nouvelle réinvention est imminente.

“Ce sera intéressant de voir qui ils vont choisir”, me dit Pierce sur un ton qui indique tout sauf de l’intérêt. “Enfin… Qui que ce soit, je lui souhaite bon courage.”

Et d’ajouter : “J’ai vu le dernier. Et j’ai vu Skyfall. J’adore Skyfall. Par contre, le dernier…” Il marque une pause. “Daniel donne toujours tout… C’est quelqu’un de très courageux, de très fort. Mais…” Sa phrase reste inachevée.

Paris rentre dans la pièce, fraîchement sorti d’une séance d’essayage pour notre article. Il porte d’immenses bottes en fourrure qui semblent provenir des Pierrafeu. Au grand soulagement de Pierce, la discussion sur James Bond est finie.

“Je pourrais t’avoir un job sur mon prochain tournage”, dit Pierce à Paris.

“Comme quoi ?” répond le jeune homme, moqueur. “Chargé du petit déjeuner ?”

C’est une blague, mais son père, lui, semble tout ce qu’il y a de plus sérieux : il veut vraiment que son fils l’accompagne sur ce tournage imminent. Lui, qui n’a jamais connu son père, un charpentier qui a abandonné sa famille peu après sa naissance, offre à ses fils une vie très différente, tant sur le plan personnel que socio-économique. Pierce a un atelier de peinture dans le garage, et parfois, lui et Paris y peignent ensemble. Le jeune homme utilise un bâton à huile en hommage à Basquiat.

“Il peint très vite”, dit Pierce. Je suis tellement fier de lui. J’adore peindre à ses côtés, être là, tranquille dans le garage… C’est vraiment une super expérience.”

Paris et Dylan ont grandi en regardant leur père dessiner sur n’importe quelle surface – des tablettes, leurs chaussures, les planches de surf de Paris… Après toutes ces années, ils sont ravis de voir son travail exposé en galerie.

“C’est en train de devenir un vrai artiste !” dit Paris le plus sérieusement du monde.

Son père rit, puis se contente de lui dire merci avec une ironie non dissimulée.

Pour lors, il doit toujours arpenter les plateaux. Pierce se lève, attrape une canne en bois légèrement argentée et une vieille mallette, puis il fait quelques pas en adoptant la posture voûtée d’un homme de 89 ans. Il est sur le point de se rendre à Belfast et en Normandie pour filmer The Last Rifleman, d’après l’histoire vraie d’un vétéran octogénaire de la Royal Navy qui, pour le soixantedixième anniversaire du débarquement, s’est échappé de sa maison de retraite et s’est rendu à pied du Sussex de l’Est pour arriver jusqu’au nord de la France. La canne et la mallette sont ses outils de travail pour cette performance, qui inclut aussi “un sacré paquet de prothèses”.

“On travaille avec une équipe qui fait un boulot incroyable”, affirme Pierce. Récemment, ils ont même réussi à transformer Kenneth Branagh en Boris Johnson.”

Il sort son smartphone, fait défiler les photos, puis m’en montre une d’un visage en gros plan évoquant une vieille pomme de terre souriante, dotée des yeux bleu vif de Pierce Brosnan. Pas de doute, celui-là fera un charmant vieil homme.

Alex pappademas collaborateur de GQ US et l’hôte du podcast The Big Hit Show.

Alex Simon, adaptation française

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54 GQ OCTOBRE 2022
Les Brosnan sont habillés par Fear of God Par Joshua Hunt Photographe Nadine Fraczkowski Fondateur de A Bathing Ape, producteur pour Pusha T ou Kid Cudi, Nigo lance les tendances et façonne la culture depuis de nombreuses années. Nouveau directeur artistique de Kenzo, la superstar du streetwear a enfin l’occasion de laisser son empreinte sur le monde de la mode.
NI G O
56 GQ OCTOBRE 2022 STYLE PORTRAIT

ébut décembre, un peu plus de deux mois après avoir pris les rênes de la maison Kenzo, Nigo quitte la capitale française et s’envole en jet privé pour New York. Première destination, la luxueuse joaillerie Jacob & Co, au cœur de Manhattan. Une escale incontournable pour la star du streetwear, dont le goût prononcé pour les chaînes et autres diamants ont quasiment fait du joaillier Jacob Arabo son biographe o cieux. On lui doit des colliers avec d’imposants pendentifs en forme de têtes de singe, inspirés par A Bathing Ape, la marque de streetwear qui a changé la donne, fondée par Nigo dans le quartier Harajuku de Tokyo en 1993. Dix ans plus tard viendront les pendentifs en forme de symbole du dollar incrustés de diamants, pour célébrer la marque Billionaire Boys Club, lancée aux côtés du producteur Pharrell Williams. Enfin Jacob a créé un assortiment d’ours polaires, de canards et autres personnages cartoonesques en diamants et or blanc pour

célébrer Human Made, la ligne de vêtements casual – et très hype – de Nigo, apparue en 2010.

Dans le showroom du bijoutier, on comprend mieux pourquoi LVMH, la maison mère de Kenzo, lui a accordé sa confiance. Dès son arrivée, le styliste de 50 ans est reçu par un prestigieux comité d’accueil formé des rappeurs Lil Uzi Vert et A$AP Rocky. C’est en réalité toute une équipe qui est là pour tourner un clip improvisé pour la promotion de l’album I Know Nigo. Pour ce projet, né pendant la pandémie, le styliste et beatmaker a fait appel au gratin du rap américain, comme entre autres Pusha T, Kid Cudi, ou Tyler the Creator. Preuve de son entregent dans le hip-hop US, il est même parvenu à faire collaborer à nouveau les Neptunes et Clipse, la première fois depuis 2009.

Nouveau défi, son rôle de directeur artistique chez Kenzo est toutefois sans équivalent dans une carrière déjà bien remplie. Pour la première fois, ses décisions influent sur la vie d’une marque dont il n’est pas à l’origine. Malgré son retrait en 1999 – son

décès en 2020 – l’esprit du fondateur Kenzo Takada plane encore sur le 18, rue Vivienne. À charge pour Nigo de respectueusement réinventer l’identité d’une maison iconique, à peine plus vieille que lui.

“On peut légitimement dire que Nigo est le premier créateur de streetwear à s’attaquer à ce type de marque”, déclare Toby Feltwell, cofondateur et directeur de la création du label streetwear Cav Empt, ancien collaborateur de Nigo chez Bape et Billionaire Boys Club (“Je dirais que l’approche de Virgil était plutôt post-streetwear”, précise-t-il, non pour relativiser l’impact historique de Virgil Abloh chez Louis Vuitton, mais pour corriger un malentendu courant sur le flirt actuel du streetwear et des podiums).

UN MOIS APRÈS ce tournage impromptu, le styliste dévoilait sa collection A/H 202223, la toute première pour Kenzo : inspirations workwear et campus américain, large palette de couleurs, imprimés qui revisitent les archives de la maison, costumes, maille, et bien sûr bérets. Le tout confectionné dans les matières simples qu’a ectionne le créateur (denim, coton et laine). Sur les chaises de la galerie Vivienne, on a pu apercevoir Kanye West, l’actrice Julia Fox, Pharrell, Pusha T ou Tyler the Creator. Interrogé sur la raison de sa présence, Kanye se contentera de deux syllabes : “Nigo”.

Début juin, au siège parisien de Kenzo, Nigo est à pied d’œuvre sur la prochaine collection. Sur la longue table basse de son bureau minimaliste sont disséminées des photos de la collection en cours. Derrière un paravent pliable, son éternelle veste en jean est suspendue à un cintre.

Ce bureau, le créateur l’occupe environ une semaine par mois. Lorsqu’il se trouve loin de son domicile tokyoïte, Nigo se lève néanmoins aux aurores pour superviser les opérations de sa propre marque, Human Made, avant de se mettre à la tâche pour Kenzo. Ce nouveau poste implique pour lui de travailler avec beaucoup plus de collaborateurs que d’habitude.

Les tenues pensées par Nigo pour ses deux premières collections, automne 2022 et printemps 2023, s’appuient sur des éléments qu’il maîtrise – jeans impeccables, imprimés picturaux et chapeaux qui signent le look.

“Quand je travaille, explique-t-il, je me sens plus metteur en scène que dictateur. Je ne donne pas d’ordres très précis, mais je fournis à l’équipe des images et des références pour qu’ils s’en inspirent.” Si pour son premier exercice, il a largement pioché ces éléments dans ses propres créations, il s’est plongé plus avant dans les archives de Kenzo pour la collection printemps-été 2023. En ce début du mois de juin, à trois semaines

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Nigo au siège de Kenzo à Paris, où il élabore ses collections à venir lorsqu’il ne travaille pas depuis Tokyo.
“Je crois que j’avais fait le tour de tout ce qu’on peut faire dans le streetwear. J’avais besoin d’un nouveau défi.” OCTOBRE 2022 GQ 59

de la présentation de sa collection, il s’attelle à homogénéiser l’ensemble, en créant des passerelles entre sa nouvelle collection et la précédente.

Sur la table du bureau, un vieux magazine de mode japonais est ouvert sur des photos en noir et blanc de Kenzo Takada. Nigo a commencé à étudier sérieusement le parcours du créateur, comme en témoigne sa production récente. Sur les photos, Takada est habillé à l’européenne, mais sa fascination pour les vêtements plus informels de la mode américaine saute aux yeux ; un autre point commun entre les deux hommes. “Quand j’étais jeune, tout ce qui venait d’Occident me paraissait tellement plus cool, j’en étais venu à détester la culture japonaise.” Cette détestation a fait long feu, mais elle o re un point d’entrée sur la formation de Nigo. Son amour pour l’Amerikaji ou la mode américaine, commence avec les Checkers, un groupe japonais des années 1980 : “Ils étaient habillés comme des rockeurs des années 1950, ça me plaisait beaucoup.”

Signe avant-coureur de la symbiose à venir entre la mode américaine et mouvement hip-hop, l’arrivée de Run-DMC marque profondément le futur styliste. En 1991, il décroche son diplôme au Bunka Fukuso Gakuin, le meilleur institut de mode de Tokyo. Son modèle absolu a alors pour nom Hiroshi Fujiwara, fondateur de la marque Goodenough et véritable précurseur du streetwear à la japonaise.

C’est aussi ce dernier qui vaudra à Tomoaki Nagao – nom de baptême du futur créateur – le pseudo de Nigo. À l’époque, le mimétisme entre son idole et le jeune styliste est tel que ses amis le surnomment Fujiwara Nigo (“Fujiwara numéro deux »). Son job d’assistant personnel de Hiroshi Fujiwara achèvera de lui coller ce surnom à la peau, sous une forme abrégée : Nigo.

IL SE TROUVE ALORS AU CŒUR du monde bouillonnant du streetwear dans le quartier de Harajuku. En 1993, après un passage au très branché magazine Popeye, Nigo, associé à son camarade d’études Jun

Takahashi, ouvre la petite boutique Nowhere dans ce qui est encore une ruelle calme de Harajuku. Moins d’un an plus tard, il lance ses propres éditions limitées de T-shirts et de vestes, ornés de visuels empruntés à l’univers de La Planète des singes. C’est Shinichiro Nakamura – mieux connu sous son nom d’artiste Sk8thing – qui dessinera le logo de la marque et lui donnera son nom poétique : A Bathing Ape in Lukewarm Water (“Un singe se baignant dans des eaux tièdes”), bientôt abrégé en A Bathing Ape, puis en Bape.

Au cours de la décennie suivante, Bape explose, d’abord au Japon, puis à l’étranger. Sa production en séries ultra limitées a ole la clientèle et lui vaut un succès fulgurant. Les fans se pressent devant les boutiques Bape, dans l’espoir de pouvoir mettre la main sur l’un des cinquante nouveaux T-shirts de la marque. Cette stratégie perdure encore quelques années avant qu’en 1998, Nigo n’abandonne ce modèle pour ouvrir plusieurs boutiques au Japon.

En 2003, l’amitié qui est née entre Nigo et Pharrell va o rir une stature internationale au Japonais. Les deux hommes ont fait connaissance à Tokyo par l’entremise de Jacob Arabo, la star américaine utilise le studio d’enregistrement du styliste et beatmaker entre deux concerts. Le duo fait la paire, et le monde de la musique sera le tremplin de Nigo vers le marché américain.

À l’époque, un chassé-croisé culturel est en cours. Tandis que Nigo et ses acolytes sont persuadés que le hip-hop américain sera la force motrice de la culture à venir, l’Amérique s’éprend de tout ce qui vient du Japon : Miyazaki remporte un Oscar pour Le Voyage de Chihiro, Murakami devient une sensation du pop art et les produits dérivés Hello Kitty cartonnent. Nigo a le vent en poupe, il ne se refuse rien et s’o re une maison à trente millions d’euros dans le centre de Tokyo, multiplie les projets et collectionne les bijoux, les œuvres d’art et les meubles vintage.

Pourtant, en 2011, il finit par céder Nowhere Co., la maison mère de Bape, pour à peine deux millions d’euros, une somme qui reflète davantage les dettes colossales accumulées par l’entreprise que ses profits, qui avoisinent chaque année les 60 millions d’euros. Au-delà des déboires financiers, la passion initiale de Nigo s’est tarie. Créativement, il a fait le tour : “Chaque saison, il fallait produire un sweat à capuche avec des requins ou des pièces en camouflage chocolat. Tout ce qui faisait le succès de la marque a fini par me peser.”

Un an plus tôt, il a lancé Human Made, une marque plus confidentielle qui lui sert de refuge pour créer des vêtements “normaux”, comme il les définit. “Aujourd’hui, la mode doit choquer, être très tape-à-l’œil.

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Derniers essayages avant le défilé Kenzo printemps 2023 ; détails d’ornementations issues de la collection, dont la fleur japonaise, le boke, que Nigo a choisi comme motif phare de la marque.

Mon approche consiste à créer des vêtements ancrés dans la réalité, à l’opposé de cette démesure et de ces fringues que personne ne porte jamais.” Mais la liberté créative totale dont il jouit n’est pas de tout repos, et le créateur n’en apprécie que davantage sa nouvelle position chez Kenzo : “Je crois que j’avais fait le tour de tout ce qu’on peut faire dans le streetwear. J’avais besoin d’un nouveau défi”.

À TROIS SEMAINES du dévoilement de sa deuxième collection, Nigo me confie n’avoir jamais imaginé que son existence serait rythmée par les défilés : “Ce n’est pas ce qui m’excite le plus dans la mode. Mais grâce à Kenzo, je peux découvrir cette façon de faire plus mainstream.”

Sa prise de fonction ne s’est pourtant pas faite sans friction. En préparant sa première collection, Nigo a dû s’adapter à un environnement professionnel totalement di érent. Beaucoup, au sein des équipes,

craignaient pour leur emploi, car qui dit nouveau DA dit bien souvent nouvelles équipes. La nomination d’un nouveau PDG, Sylvain Blanc, a finalement permis d’apaiser les tensions.

Nigo sort renforcé de cet épisode pénible. Sa toute première ligne pour femme, conçue pour sa première collection, a reçu un bon accueil. Il tourne le dos aux précédentes tentatives streetwear de la marque. Exit les T-shirts et sweats à logo très flashy, remplacés par des costumes colorés, des manteaux longs, et des silhouettes simples. Désormais sur la même longueur d’onde que ses équipes, Nigo veut aller plus loin et parvenir à sentir les tendances bien avant qu’elles n’arrivent. Chez Human Made, un atelier in situ permet de transformer quasi instantanément les idées en prototypes et les prototypes en produits fi nis. Son pari chez Kenzo consiste donc à prévoir ce qu’on pensera d’un vêtement plusieurs mois après sa conception.

“Pour susciter le désir”, m’explique Nigo, “il faut non seulement être le premier à imaginer quelque chose, mais aussi deviner, capter la sensibilité future. Je viens d’un monde où tout ne tourne pas autour des défilés, et où on ne présente pas les créations des mois à l’avance. Je suis très heureux d’avoir la chance d’étudier et d’apprendre les rouages de cet univers, mais pour moi, le véritable événement, c’est quand les articles arrivent en boutique.”

Pour concilier ces di érentes temporalités, il lance une série limitée disponible sur commande, avant la collection printemps-été 2023, une sorte de collection capsule placée sous le signe du boke, la fleur japonaise emblématique de la marque, qui témoigne de sa capacité à innover et imprimer sa patte tout en restant fidèle à l’esprit de Kenzo. L’homme n’a rien perdu de sa capacité à parler à la jeunesse, mais parvient désormais à fédérer un public plus mûr. Lors du défilé printemps-été 2023, on a pu voir au premier rang Justin Timberlake côte à côte avec Jaden Smith, ou encore les époux Beckham.

Si Nigo semble avoir scellé son destin à celui de la maison parisienne dès son premier défilé – ses bérets étaient siglés du nombre “1970”, son année de naissance, mais aussi celle du tout premier défilé Kenzo dans la galerie Vivienne –, il n’en reste pas moins un incorrigible touche-à-tout. Sa nouvelle passion ? La céramique : il adore créer des bols à thé pour ses invités et a aménagé un petit atelier chez lui à Tokyo. Avant de nous séparer, je lui demande si ce nouveau hobby restera longtemps imperméable à sa bouillonnante activité professionnelle. Quelques semaines plus tard, arpentant les rues de Harajuku, je passe devant les devantures des boutiques Bape, Human Made et Billionaire Boys Club pour me rendre dans l’un des deux restaurants de curry de Nigo, et sa réponse me revient alors à l’esprit : “Décidément, on ne peut rien vous cacher.”

joshua hunt, journaliste et a été correspondant pour Reuters à Tokyo. dario rudy , adaptation française

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Un vestiaire mi-saison pour un excursion dans le désert de Garofe afin de célébrer l’été indien avec élégance.

PAR VICTOR VERGARA PHOTOGRAPHE GONZALO ORTUÑO tripRoad
MODE
chemise, pantalon et ceinture Miu Miu Lunettes de soleil, Andy Wolf Débardeur perso Veste, chemise et pantalon Versace
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Alejandro (à gauche) chemise et pantalon, Paul Smith Lunettes de soleil, Fendi Luis (à droite) Chemise Paul Smith Pantalon Ralph Lauren Purple Label Luis (à gauche) Veste, chemise et pantalon Burberry Bottes Saint Laurent par Anthony Vaccarello Joaillerie perso Alejandro (à droite) Manteau Burberry Bottes Prada Gilet, pantalon et ceinture Giorgio Armani Cravatte, Kenzo Joaillerie perso
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Veste,chemise et pantalon Dior men Lunettes de soleil Andy wolf Joaillerie perso
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Veste, chemise, pantolon Alexander McQueen Sac, Louis Vuitton Veste, chemise et pantalon Ralph Lauren Purple Label Lunettes de soleil Tom Ford Casquette perso
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Talents : Luis @ Elite Alejandro @ Universe scout Assistant photo : Mark Yareham Retouche photo : Alba Nieto Veste, short et bottes Miu Miu Chemise Ralph Lauren Purple Label Cravatte Moschino

Gauthier Borsarello, à la tête de Fursac depuis début 2021, a convié son ami et peintre De Rrusie à prendre les commandes de la marque parisienne le temps d’une collection capsule automnale. Rencontre en toute intimité avec les deux artistes aux univers éclectiques et résolument pointus.

Comme DeRrusie

PAR ADRIEN COMMUNIER PHOTOGRAPHE CASPER KOFI
PORTRAITSTYLE

Le premier est un chasseur de vintage hors pair devenu directeur artistique d’une des marques françaises de référence dans le milieu du prêt-à-porter masculin. Le second, jeune artiste autodidacte et touche-à-tout épris de liberté, a fait de la peinture son moyen d’expression principal. Tous les deux ont en commun le goût du vêtement “bien fait” et fonctionnel, celui qui traverse les époques sans jamais prendre une ride. Une fascination pour les archives du passé qui a inévitablement rapproché Gauthier Borsarello et De Rrusie, dont l’amitié à la ville se prolonge cet automne à travers une collection capsule imaginée ensemble pour Fursac. Un vestiaire automnal disponible en édition limitée à partir du 9 novembre et qui sera accompagnée d’une exposition au sein du flagship de la marque rue Richelieu dans le IIe arrondissement à Paris. À l’occasion de ce partenariat stylistique, GQ a rencontré Gauthier Borsarello et De Rrusie le temps d’une conversation croisée où les deux artistes discutent inspirations mode, garde-robe idéale et fascination pour le beau.

des frères

G a u t hier Borsarello

À QUAND REMONTE VOTRE RENCONTRE ?

DE RRUSIE : On s’est rencontré grâce au vêtement. Je suis dans l’exploration et j’aime trouver des pièces qui durent dans le temps. C’est comme ça que j’ai repéré le profil de Gauthier qui, à l'époque, chassait déjà les références vintage et militaires sur les défilés de mode.

GAUTHIER BORSARELLO : JJe faisais cela pour montrer de quelles pièces vintage s'inspirait la mode et que ces dernières pouvaient se retrouver 30 ou 50 ans plus tard sur les podiums. C’était il y a une dizaine d’années. De Rrusie a vu cela et comme on avait des amis en commun, on s’est rencontré et depuis, on ne s’est jamais lâché.

QU’EST-CE QUI VOUS FASCINE DANS L’UNIVERS DE CHACUN ?

GB : Ce qui m’inspire chez lui, c’est sa cohérence globale. Je m’intéresse beaucoup aux personnalités comme De Rrusie qui ont des univers complets facilement reconnaissables un peu à la manière de Ralph Lauren et de Giorgio Armani. De Rrusie a une âme tellement forte que tout ce qu’il fait et touche devient son truc à lui : un tableau peut être De Rrusie, une paire de chaussures ou même un meuble. C’est en lui. Quelque chose de très fort et de presque spirituel. C’est un garçon qui est loin du matériel, presque ascète et capable d’attendre plusieurs années pour que quelque chose de beau jaillisse.

DR : Ce que j’aime avec Gauthier, c’est son approche par rapport au vêtement. Il a une connaissance très précise des détails comme la couture d’une poche ou la précision d’un motif camo. Tout cela dans n’importe quel style de vêtements aussi pour un uniforme de travail que pour un costume. Et il sait comment garder une cohérence entre tous ces éléments pour imaginer le vestiaire parfait. En plus c’est un artiste de base [Gauthier Borsarello a été musicien classique, ndlr] donc il a compris et accepté mon approche sans chercher à dénaturer mon travail pour l’insérer dans un carcan Fursac ou Gauthier Borsarello. C’est vraiment une histoire de style et c’est ça que j’apprécie vraiment.

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JUSTEMENT, COMMENT EST NÉE CETTE IDÉE DE COLLABORATION ?

GB : Depuis mon arrivée chez Fursac, j’ai toujours voulu parler de la France dans sa pluralité. Parler de l’artisanat et de l’art à la française dans le but de montrer que la France n’est pas seulement le savoirfaire du passé et qu’aujourd’hui, il y a encore des artistes et artisans modernes qui travaillent. De Rrusie est quelqu’un qui synthétise cette idée de la beauté de la France : c’est un enfant du monde qui n’a pas de frontière et qui représente la France dans sa pluralité culturelle. C’est pour cela que je l’ai appelé. Il est tellement di cile à attraper (rires) mais par hasard complet, il venait d’arriver à Paris à ce moment-là. Il est venu dans la journée, à rencontré notre CEO et je savais qu’il avait toujours voulu faire des vêtements d’où la naissance de cette idée de collection capsule.

COMMENT S’EST DÉROULÉE LA CONCEPTION DE CETTE GARDE-ROBE ?

DR : J’ai souhaité développer l’idée d’être le plus simpliste possible et d’avoir une garde-robe concise par rapport à mon activité principale en ce moment qui est la peinture. Je me suis basé sur mes propres archives : j’avais des dessins qui dataient et qui étaient déjà prêts. J’avais envie de me laisser aller sans chercher à savoir ce qui était au goût du jour et d’assumer de pousser les idées que j’avais déjà de mon côté. Chez Fursac, je savais qu’il y avait un savoir-faire qui pouvait m’aider à avoir une exécution parfaite des pièces de référence que j’avais déjà en tête. C’est donc tout naturellement que le processus de collaboration s’est passé.

GAUTHIER, AS-TU ÉTÉ CONVAINCU AUX PREMIÈRES ESQUISSES DE CETTE COLLECTION ?

GB : Justement non et je pense que c’est cela qui fait la force de cette garde-robe. Je lui ai expliqué ce que savait faire le studio chez Fursac au niveau technique car chaque maison à sa spécificité. Mais question goût et style, je lui ai fait confiance car je sais comment il s’habille et ce qu’il cherche auprès d’un vêtement. Je lui ai entièrement donné carte blanche. Il y a des pièces qui sont très facile à porter mais que Fursac ne se serait pas permis de faire parce qu’elles ne correspondent pas à la direction artistique que je veux donner à la marque mais c’est justement ce qui est intéressant avec ce partenariat : montrer qu’un artiste peut exprimer son esthétique à travers notre savoir-faire.

PARLEZ-MOI UN PEU DES PIÈCES QUI COMPOSENT CETTE GARDE-ROBE. GB : Il y en a onze au total. Les plus créatifs vont aller vers la combinaison et d’autres plus “classiques” se dirigeront vers le manteau robe de chambre en laine. Il y a aussi une chemise en viscose qui se démarque et un pull dont les manches se détachent qui est également très beau. C’est une collection à tiroir car tu peux prendre un t-shirt simple avec une inscription “De Rrusie” ou alors des pièces plus rares qui vont être extrêmement créatives. Il y en a pour tous les goûts.

DR : Il y a certaines pièces dans lesquelles j’ai vraiment travaillé comme la combinaison. C’est un vrai bleu de travail avec lequel j’ai peint et qui est éclaboussé de tâches. Il n’y a rien d’harmonieux ou d’esthétique mais c’est ce côté-là qui m’intéressait. La seule pièce que j’ai véritablement peinte est le plastron en cuir. Je l’ai utilisé comme une toile où j’ai laissé transparaître ma signature violette pour injecter la gri e De Rrusie. Ce n’est pas un procédé que j’ai eu envie d’appliquer à chaque pièce pour que cela devienne un gimmick. C’est plus une signature esthétique.

DE RRUSIE, POURQUOI AVOIR DIT OUI À FURSAC ?

DR : Le style a toujours été quelque chose d’important pour moi : d’avoir une attitude particulière en portant des vêtements et de pouvoir raconter une histoire. J’aime l’idée d’art et d’artisanat donc avec Fursac, je savais qu’il y avait un savoir-faire qui était là et c’est ce qui m’a attiré. C’était une bonne façon de faire une collaboration dans le vêtement en restant l’artiste éclectique que je suis.

COMMENT VOS UNIVERS RESPECTIFS SE FONT-ILS ÉCHO ?

GB : Ce qui nous réunit c’est notre fascination pour le beau et notre recherche constante de ce dernier. On l’aime sous toutes ses formes, aussi bien au quotidien dans l’art, la nourriture ou les vêtements, que plus généralement auprès des gens et dans les interactions humaines. De mon côté je suis fasciné par les artistes, ces gens qui sont capables de créer à partir de rien. De Rrusie a vraiment sa signature artistique et cela m’inspire énormément donc si je peux prendre une goutte de son talent pour l’injecter dans mon travail, j’en suis ravi.

QUELLES SONT LES ÉTAPES SUIVANTES POUR VOUS ?

GB : Je continue de collaborer avec Fursac : on a récemment habillé l’Orchestre de Paris et on travaille en ce moment avec De Rrusie. On fait des choses qui, pour moi, ont un sens et qui montrent ce qu’est le vestiaire masculin de la France d’aujourd’hui.

DR : Toujours de la peinture pour moi, un peu de design aussi et une collection de bijoux sur laquelle je travaille depuis un moment et qui devrait sortir sous peu .

La collab sort le 9 novembre

CASPER KOFI 74 GQ OCTOBRE 2022 PORTRAITSTYLE “La seule pièce que j’ai véritablement peinte est le plastron en cuir. Je l’ai utilisé comme une toile où j’ai laissé transparaître ma signature violette pour injecter la griffe De Rrusie”
Freddie Mercury au concert du Live Aid en 1985 à Londres.
SEXE, PUISSANCE, ET CINÉMA : L’AVENTURE POPULAIRE DU DÉBARDEUR BLANC
CULTURESTYLE

Il était une fois une pièce de coton tubulaire qui parlait sport, classes sociales, érotisme et testostérone à chacune de ses apparitions dans le septième art. Un vêtement-script qui tisse un récit parallèle depuis près d’un siècle. C’est l’histoire, toujours active, de l’un des vêtements les plus basiques de la pop-culture : le débardeur blanc.

TOUS SES COLLÈGUES SONT MORTS, ce soir, à l’Opéra. “They are dead ! My team is dead !”, se désespère-t-il auprès de sa hiérarchie, cramponné à un téléphone. Quelques minutes plus tard, enfin planqué dans un appartement praguois, Ethan se déshabille et lave ses mains couvertes de sang. Muscles saillants, peau ruisselante, l’agent secret interprété par Tom Cruise démarre son enquête derrière un écran d’ordinateur. Il est en tenue d’Adam. C’est à dire, pour le cinéma d’action américain, en débardeur blanc. Idéalement paré pour démasquer les coupables du massacre auquel il vient d’assister.

Cette scène du célèbre blockbuster Mission : Impossible incarne à la perfection la puissance du débardeur dans nos fictions. À mi-chemin entre sous-vêtement et armure, symbole de virilité et preuve d’un effort physique fraîchement accompli, le débardeur blanc traverse l’histoire d’une pop-culture qui continue de se réinventer au contact de ce vêtement fétiche.

Le symbole d’une masculinité revendiquée

À PARTIR DES ANNÉES 1950, le débardeur blanc devient un atout de taille pour assurer aux personnages hollywoodiens une virilité immédiate. En 1951, Marlon Brando est propulsé au rang de sex symbol avec son interprétation de l’agressif Stanley Kowalski dans Un tramway nommé Désir . Dans ce film oscarisé, le débardeur blanc vient conforter l’acteur dans son rôle d’ouvrier polonais. Tantôt entraperçu sous son bleu de travail, tantôt enfilé dès qu’il rentre chez lui, le vêtement de coton marque la sortie d’usine grâce à son blanc immaculé. Directement inspiré de la réalité, le stylisme des fictions mondialement célèbres emprunte au débardeur blanc sa signification ouvrière historique ainsi que sa représentation de la propreté. “Le débardeur blanc aurait pu être de n’importe quelle couleur. Dès son apparition à la fin du xixe siècle, on savait multiplier les teintes. Le choix du blanc n’est pas anodin. Il vient renforcer l’obsession pour l’hygiène caractéristique de la grande époque industrielle”, explique Isabelle Crampes, fondatrice de DeToujours.com et commissaire de l’exposition “Vêtements Modèles” au Mucem de Marseille. Parallèlement à cette impression de propreté immédiate, le débardeur blanc, en ce tournant de siècle, est devenu l’emblème de la puissance physique.

À la fois utilisé par les sportifs, car le sport de loisir se démocratisait, et par les ouvriers pour lesquels il était préférable de ne pas porter d’objets sur des manches glissantes, “ce débardeur qui dévoile avant tout les bras et facilite le port de charges lourdes devient un vêtement archétype de la virilité”, décrypte Bruna Holderbaum, doctorante en histoire du vêtement et du genre. En compagnon idéal des activités physiques professionnelles ou de loisirs nécessitant de la force, le débardeur intervient donc dans le cinéma des années 1950 comme un calque des valeurs d’une société qui oppose alors l’ultra féminité à la puissance masculine. Isabelle Crampes le confirme : “aux États-Unis, le tank top [équivalent du terme “débardeur” en français, ndlr] a longtemps eu pour nom le wifebeater, c’est-à-dire le batteur de femmes.” En France, le terme “débardeur” nous vient du verbe “débarder”, action menée par les ouvriers et dockers qui vident les conteneurs. Une étymologie bien moins imprégnée de masculinité toxique qui a pour seul synonyme hexagonal le “marcel”, en hommage à Marcel Eisenberg, fondateur roannais de la marque de débardeurs éponyme.

Tom Cruise dans Mission : Impossible en 1996.
GETTYIMAGES OCTOBRE 2022 GQ 77
Bruce Lee dans La Fureur du dragon en 1972.

DE FIL EN AIGUILLE, cette symbolique de force physique que représente le débardeur a évolué. “Dans les années 1970, il est également adopté par les femmes pour la pratique des sports et en période estivale. Le débardeur rejoint le vestiaire que l’on nommait unisexe et s’inscrit dans une recherche esthétique de confort minimal à la Helmut Lang”, rappelle Nicolas Lor, historien de la mode et responsable des expositions au musée de la mode de Bruxelles.

Rien d’étonnant alors, lorsqu’il apparaît sur scène dans les années 1980 pour mieux valoriser les perfomeurs.

Patrick Swayze, dans le film Dirty Dancing , en fera son costume de danse dans une version noire que l’on retrouve jusque sur l’affiche de ce succès mondial ayant rapporté plus de 218 millions de dollars de recettes. Puis, viendra le tour de Justin Bieber, qui fera renouer la popculture avec la version blanche dès ses premiers concerts, en écho à ses prédécesseurs outre-atlantique, les membres du boysband 2be3. Ces célébrités ont chacune à leur tour soulevé des foules de fantasmes adolescents, et le débardeur n’y est sans doute pas pour rien. Véritable maillot de corps enjoliveur de la carrure masculine, il est la preuve textile d’un corps bien fait et en pleine forme, paré pour se montrer en action.

Une popularité à toute épreuve

APRÈS AVOIR ACCOMPAGNÉ LA VIRILITÉ VIOLENTE DES ANNÉES 1950, il perce au cinéma en tant que gage de puissance physique dans les films d’action. L’acteur Sylvester Stallone, protagoniste ordinaire qui interprètera des rôles de prisonnier, manutentionnaire syndiqué, boxeur, escroc, soldat, ou encore policier, adoptera très vite le débardeur blanc en toute situation,

qu’il s’agisse de la saga Rocky débutant en 1976, ou bien du film Haute Sécurité sorti en 1989. Les adeptes du grand écran (et des plateformes de streaming) n’ont peut-être pas visionné toute la filmographie de celui qui sera surnommé le “héros de la classe ouvrière” par le journaliste de cinéma Boris Szames. Cependant, quelques visionnages de super-productions suffisent pour que le débardeur blanc pénètre l’imaginaire au point de ne plus quitter la représentation stéréotypée des figures du policier, du soldat, du sportif, bref, du héros américain. “Il suffit de décrire certaines scènes typiques du cinéma grand public pour visualiser instantanément un débardeur blanc”, explique Jennifer Padjemi, journaliste critique et auteure du livre Féminismes et pop-culture, faisant référence au soldat qui retire son uniforme ou encore au sportif en session d’entraînement. Dans cette droite lignée, l’acteur Vin Diesel, qui interprètera Dom Torreto pour la dixième fois en 2023 dans un nouveau volet de Fast and Furious, a fait du débardeur blanc sa seconde peau face caméra. Quant aux acteurs stars des films d’arts martiaux Bruce Lee et Jackie Chan, Jennifer Padjemi voit dans leur iconique débardeur blanc “un moyen de faire le lien avec ce vêtement typique des personnages masculins d’Hollywood. Et ce particulièrement pour Bruce Lee qui, dans les années 1960, était victime d’un racisme anti- asiatique au sein des cercles hollywoodiens. Le débardeur blanc, en plus de révéler le corps combattant, lui permettait de s’identifier aux héros patriotiques empreints d’humilité du cinéma américain.”

VIENT ENSUITE LE TOUR DES SUPER-HÉROS pour lesquels le t-shirt de toutes les prouesses physiques remplace l’armure en tant que vêtement off-duty. En 2008, le playboy bionique Tony Stark, interprété par Robert Downey Jr., porte le débardeur blanc lorsqu’il s’entraîne chez lui, sans son armature d’Iron Man. Plus récemment, c’est l’actrice Zoë Kravitz dans le rôle de Catwoman pour le film The Batman, sorti en 2021, qui portait un débardeur blanc en l’absence de son costume en latex noir. Avant elle, Sydney Fox l’aventurière ou encore Tomb Raider avaient opté pour une version kaki. Toutes, en plus d’être les héroïnes de super- productions, récupèrent les codes virils du débardeur pour symboliser leur propre puissance. En effet, ce même débardeur, une fois porté par une femme “conserve cette dimension virile mais y ajoute un dose disruptive, très queer”, analyse la doctorante Bruna Holderbaum avant de préciser “surtout s’il s’agit d’une femme lesbienne.”

POURTANT, LE DÉBARDEUR BLANC EST AUSSI UN GIMMICK DU PASSAGE À L’ÂGE ADULTE pour les personnages féminins. Comme l’explique Jennifer Padjemi, “dans de nombreux films des années 2000, tel Lolita malgré moi, le débardeur blanc s’est mû en symbole sexy permettant de révéler le corps de la femme qui le porte et donc de prouver qu’elle n’est plus une fillette mais une femme désirable.” Le débardeur blanc n’est appréhendé que du point de vue d’un regard masculin normé puisque son apparition valorise la force physique ou facilite le déshabillage des corps de femmes. À ce phénomène de caméra subjective nommé malegaze par la réalisatrice britannique Laura Mulvey, s’ajoutent toutefois diverses réceptions du débardeur blanc à l’écran. Selon Jennifer Padjemi, “ces dernières

GETTYIMAGES “ Bruce Lee qui, dans les années 1960, était victime d’un racisme antiasiatique au sein des cercles hollywoodiens. Le débardeur blanc, en plus de révéler le corps combattant, lui permettait de s’identifier aux héros patriotiques empreints d’humilité du cinéma américain.” OCTOBRE 2022 GQ 79

“Le débardeur blanc est devenu un accessoire récurrent du septième art en même temps que l’emblème d’un sens commun du style.”

décennies, les adaptations féminines de buddy movies ont prouvé que le débardeur blanc, même mouillé et porté par une actrice, valorise un regard homo-érotique.” Quelque soit la signification qui justifie son apparition dans un film, le marcel iconique entretient donc depuis sa création l’atout majeur de dévoiler le corps. En tant que textile qui suggère sans montrer, il invite les spectateurs à faire travailler leur propre imaginaire autour de corps partiellement révélés. À la manière d’un sous-vêtement, le marcel accompagne de nombreuses scènes érotiques de notre paysage cinématographique, contribuant à toujours mieux conquérir le public. Ainsi, lorsque l’Irrésistible Alfie retire sa chemise durant la célèbre scène autour du billard, on assiste à un parfait strip-tease. L’envie d’en apprendre davantage sur le corps de Jude Law est immense, mais la caméra du réalisateur Charles Shyer nous fait comprendre que le débardeur marque l’apogée. Il est l’objet d’un érotisme encore plus puissant que la peau entièrement dénudée. De même pour le générique de Mission : Impossible sorti en 1996, dans lequel on aperçoit Tom Cruise, vêtu d’un débardeur, plaquant l’actrice française Emmanuelle Béart sur un matelas. Dans les fictions, une seule seconde et un débardeur blanc suffisent à interpréter la situation.

Entre anticonformisme et esthétique queer

À FORCE D’AVOIR ÉTÉ EMPLOYÉ EN TANT QU’ÉLÉMENT DE COSTUME DE CINÉMA typique des scènes accordant le premier rôle aux corps, le débardeur a transité vers la garde-robe masculine érotique pour mieux renouer avec son premier usage. Car ce tour de passe-passe n’est pas nouveau. Ce vêtement de maille serrée doit son statut de sous-vêtement aux hommes qui le portaient sous leur chemise jusqu’aux années 1950. À partir de cette décennie, il fût progressivement dévoilé et utilisé aussi bien en vêtement de dessus qu’en vêtement de dessous : “Le débardeur est devenu une alternative au t-shirt grâce à sa dimension anti-conformiste en opposition avec la génération précédente”, précise Bruna Holderbaum. Cette ambiguïté autour du sous-vêtement de buste,

moulant comme aucun autre vêtement du vestiaire masculin, a inspiré les mythiques garçonnes des années 1920. La mode dite garçonne, composée de pièces d’un vestiaire alors réservé aux hommes, ne se lassait pas de brouiller les pistes, en quête d’un style neutre. Les garçonnes les plus téméraires ont ainsi dissimulé leur poitrine via le port du débardeur pour hommes, “tout simplement parce qu’elles avaient adopté tous les éléments du costume masculin à l’exception du pantalon”, insiste Bruna Holderbaum. Une libération par le vêtement à nuancer dans cette période qui a vu naître l’abolition du corset au profit d’un culte de la minceur accessible par l’exercice physique. La pièce de coton tubulaire permettait donc de maintenir un certain galbe du buste. Le style garçonne, inspiré de celui des dandys et premier ancêtre des styles lesbiens, laissent place aujourd’hui à une pluralité d’esthétiques gays dans la mode. Cependant, le débardeur conserve une place au premier rang. En témoignent les photographies de Collier Schorr qui popularisera une esthétique queer jusque dans ses clichés d’actrices célèbres, dont celui de Judy Foster… en débardeur blanc.

Doit-on cet héritage queer au légendaire chanteur du groupe Queen grâce à sa performance mémorable en 1985 lors du concert Live Aid à Londres ? Le look de scène de Freddie Mercury a marqué la mémoire de toute une génération traversée par des inégalités de traitements. Le king de Queen, nom de groupe révélateur de la fluidité de genre incarnée par le leader, vêtu d’un total look blanc et débardeur, prouvera l’impact que peut avoir un morceau de tissus sur des imaginaires toujours prêts à évoluer. Cette icône du vestiaire queer, qui annoncera être atteint du sida la veille de sa mort en 1991, a prouvé par son style que si l’habit ne fait pas le moine, le débardeur contribue à façonner le héros.

EN 2022, SUR TWITTER, CHAQUE SEMAINE, le débardeur blanc fait l’objet de nombreux commentaires et images postés par des anonymes qui vantent ses mérites stylistiques ou érotiques. Lorsque la tendance No Bra est apparue en 2020, comptant plus de huit millions de hashtag #nobraneeded sur Instagram, le destin du débardeur blanc a alors croisé la route du féminisme 2.0 en tant qu’alibi manifeste. Un jeu de transparence pour tous que les multiples débardeurs Calvin Klein de la collection printemps-été 1999 tenaient déjà pour acquis. La maison italienne Prada, dont l’esthétique proposée dans les années 2000 refait surface, a dévoilé pas moins de quatorze débardeurs blancs, portés par dessus ou en dessous, pour sa collection automne-hiver 2022. La même saison, c’est le label pour homme Louis-Gabriel Nouchi qui a utilisé des débardeurs échancrés pour mieux suggérer la moiteur des night clubs. La pop-culture évolue en une culture à tiroirs dans laquelle on sélectionne le vêtement, l’idée, le modèle, qui nous sied le mieux à un moment précis. Dans ce contexte, le débardeur blanc est devenu un accessoire récurrent du septième art en même temps que l’emblème d’un sens commun du style. Et si, dans l’histoire des vêtements, rien n’est moins simple que les basiques, tout laisse à penser que le débardeur blanc réserve encore bien des révolutions stylistiques.

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CULTURESTYLE
Marlon Brando dans Un tramway nommé Désir en 1951.
RENCONTRESTYLE

C’EST LA SAISON DES FESTIVALS.

Les valises ne sont jamais vraiment défaites, le rythme est intense, mais Gazo a l’expression sereine d’un homme à qui tout réussi. Son équipe rapprochée est dans les parages, peut-être est-ce ça qui le rassure. Peut-être aussi que cela l’aide à se concentrer, lui que l’on imagine assez rêveur, difficile à cerner, toujours sur la réserve.

La preuve : ses réponses sont souvent courtes. Systématiquement, elles sont balancées comme des vérités, des évidences ponctuées par des expressions typiques de sa génération ( tu connais, t’as capté, etc.) : non pas parce que Gazo refuse la discussion, c’est juste que les interviews sont un exercice qu’il appréhende encore un peu, jouant le jeu promotionnel sans toujours en retirer un quelconque plaisir. “ Là, c’est différent, j’ai vraiment envie de parler ” confie-t-il, sans que cela passe pour de la courtoisie ou une vulgaire courbette effectuée dans l’unique but de flatter. On le voit sourire, on l’entend plaisanter, on prend plaisir à l’écouter s’épancher sur certains sujets.

C’EST QUE LE RAPPEUR DE SAINT-DENIS, 28 ans, a tout pour être satisfait : KMT, son deuxième long-format, vient d’être certifié disque d’or trois semaines seulement après sa sortie, prolongeant la successstory d’un artiste habitué aux louanges ces deux dernières années. Certifié disque de platine, DRILL FR a en effet permis à Gazo de populariser la drill en Hexagone, attirant à lui des millions d’auditeurs (plus de cinq millions par mois sur Spotify) en même temps que des collaborateurs de prestige, aussi bien en France (Freeze Corleone, Niska, Dadju) qu’en Angleterre (Pa Salieu, Headie One). Ces liens ténus avec la scène britannique, Gazo les entretiens avec talent sur KMT, via un duo avec M Huncho, en attendant une éventuelle tournée au pays de Skepta. “ On partage avec eux le même mode de vie, le même style vestimentaire et la même énergie, précise-t-il, l’air convaincu. C’est aussi plus facile de les ramener à Paris, de leur faire comprendre ce qui se joue réellement ici, là où les rappeurs américains se contentent de voir la ville en période de fashion week. ”

pas aussi fréquent qu’aujourd’hui, c’était une manière de briller et de me distinguer. Depuis, je continue de me fringuer ainsi, avec du Louis Vuitton, du Dior ou du Armani. ” Sur sa lancée, Gazo en profite pour parler de son ensemble BSB, le seul de sa garde-robe dont il paraît incapable de se débarasser.

“ Cette marque, c’est un vieux rêve que l’on a concrétisé lors de la création du label, BSB Productions. L’idée, à terme, c’est de développer des partenariats avec d’autres marques, de créer des collections entre streetwear et haute couture. ”

DERRIÈRE CE DISCOURS, un trait de caractère se distingue, son franc-parler. Celui d’un gars authentique, assez street pour ne pas se renier, assez hors-norme pour séduire au-delà de son cercle d’initiés. C’est pas pour rien finalement, si les marques de luxe le courtisent. On le voit enchaîner les shootings, on l’aperçoit au défilé de Céline, on l’entend même dédier un morceau à la marque française. “ D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été fasciné par les sapes. À 16 ans, quand j’ai eu l’âge de m’acheter mes propres vêtements, je me rappelle encore avoir dépensé 350 euros dans une sacoche Gucci. À l’époque, ce n’était

EN ATTENDANT, c’est à des collaborations musicales que Gazo consacre une bonne partie de son temps. Non pas dans l’idée de s’attirer la fan base de ses pairs, mais bien de continuer à s’ouvrir sur le plan artistique. “ Collaborer dans l’idée d’entrer en compétition avec un artiste, même de manière saine, ça ne m’intéresse pas. Souvent, j’adapte donc mon couplet au sien : sur ‘ BODIES ’, par exemple, Damso arrive tellement vénère que je ne voulais pas réécrire un texte dans la même veine. J’ai voulu m’accorder à lui, le mettre dans les meilleures dispositions. ” Cette bienveillance, c’est précisément ce qui permet à Gazo de tisser des relations privilégiées avec d’autres rappeurs de sa génération (Tiakola, Ninho), tous présents sur KMT. C’est aussi ce qui lui a plu chez Skread, le producteur d’Orelsan, présent sur GRA GRA BOOM. “ Le mec porte super bien son nom, on ne l’entend jamais, et pourtant, il aide un tas de rappeurs avec son studio. GRA GRA BOOM est né ainsi. On cherchait un studio, il nous a prêté le sien et, à force de le voir bosser sur différentes productions, j’ai fini par lui en demander une. Naturellement, ce titre est né. ”

Il n’a fallu que deux mixtapes à Gazo pour réussir à imposer un style au sein durap français. Pour GQ Hype, il revient aujourd’hui sur la genèse de KMT, parle deses connexions avec la scène britannique et évoque sa double fascination : pour la mode et pour les pyramides.
Pantalon Moncler PAR MAXIME DELCOURT PHOTOGRAPHE REMI PUJOL STYLISTE SAN SEBASTIAN
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Illico, Gazo checke les statistiques du morceau, rassuré par le nombre de streams accumulé ces dernières semaines. “ Il se démarque, c’est une bonne nouvelle. D’autant que c’est une prise de risque. ” Soucieux de connaître l’avis de ses fans, voire même de satisfaire un public féminin qu’il a vu grossir en concerts, Gazo défend aujourd’hui une drill nettement plus mélodique, caractérisée par des toplines, des passages chantonnés et des refrains presque pop dans leurs intentions. Une simple concession faite au temps ? Une volonté de coller de trop près aux dernières tendances ? Gazo ne masque pas son envie de plaire au plus grand nombre, ni de mener la vie de rêve “J’regarde plus les prices, j’ai collier tout doré ”, mais autre chose semble l’animer : “ J’ai simplement envie d’être considéré comme un artiste à part entière, avec une large palette, et pas simplement comme un rappeur. ”

SI « HENNESSY », « BOSS » ET « IMPACT » s’entendent comme d’efficaces variations sur le même thème que la série de freestyles DRILL FR celle qui a fait de Gazo un poids lourd du rap français, d’autres morceaux dévoilent des intentions plus surprenantes : ici, une orchestration au violon DIE , là, une réflexion sur les sentiments amoureux contradictoires FLEURS L’erreur serait toutefois de penser que Gazo en a fini avec la noirceur. KMT, c’est la mixtape d’un homme persuadé que “ l ’être humain est mauvais ”, qui parle crûment de sexe “ J’ kassav que des gros culs ”, qui a ses propres méthodes pour décompresser “ J’oublie ma haine quand j›suis entouré d’filles de joie ” et qui semble incapable de faire confiance à ses contemporains Y’a ceux qui voulaient ma têteY’a ceux qui prient pour oim ”, rongé par la paranoïa, trop habitué aux coups bas.

IL FAUT DIRE QUE GAZO, né en 1994 au sein d’une famille de cinq enfants dont il est le benjamin, a eu une adolescence agitée, passée entre des squats, des foyers d’accueil et des plans illégaux. Pourtant, en interview comme dans ses morceaux, l’intéressé préfère ne pas trop entrer dans les détails. “ Il faut garder de la matière pour les prochains projets ”, se contente-t-il de préciser. Gazo, dont les journées se déroulent régulièrement au studio, aurait-il déjà tout prévu ? Cela expliquerait pourquoi il parle déjà de l’après, comme si le rap était pour lui une expérience éphémère, comme s’il était déjà au moment de la vie où l’on se demande, “ et maintenant, on fait quoi ?. ”

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ENTRE UN PRÉSENT À SAVOURER et un futur à imaginer, Gazo a déjà quelques idées : alors que son premier Zénith parisien se prépare, l’intéressé aurait déjà enregistré de nouveaux morceaux. “J’écris en permanence, c’est autant un besoin que les conséquences d’un travailpassion”, explique-t-il, moins dans l’idée de se justifier que d’affirmer sa détermination. On lui demande alors si la suite pourrait s’inscrire dans le prolongement de KMT ( l’acronyme de ‘kemet’ ), nommé ainsi en référence au nom donné par les Égyptiens de l’Antiquité à leur pays, considéré alors comme une ‘terre noire’. Sa réponse fuse, “J’ai beau être intrigué par les pyramides depuis tout petit, autant par leur beauté que par les légendes autour de leur construction, ce projet est unique. C’est une façon pour moi de rappeler que mon succès reste un mystère : à l ’instar des pyramides, personne ne comprend encore réellement comment j’ai pu arriver aussi vite à ce stade-là. ”

Au moment de prononcer ces mots, Gazo a ce rire typique du méchant qui gagne à la fin. Qu’importe si les morceaux de KMT ne développent pas plus cette thématique égyptienne, préférant à cela arpenter un terrain déjà balisé (punchlines testostéronées, voix grave et détachée), l’essentiel est ailleurs : il est dans cette capacité qu’a le Parisien à emballer son propos dans un storytelling finement pensé (les photos de presse shootées en Égypte, la box en édition limitée avec une manette PS5 à l’intérieur, cette pyramide éphémère installée à Paris), à accepter ses contradictions, entre la noirceur et la lumière, et à incarner une nouvelle ère. “ Depuis DRILL

FR4, le rap français a quand même vachement changé, conclut-il, un sourire aux coins des lèvres. Je vois ce que j’ai apporté, je reconnais les influences de certains rappeurs. On peut se dire que c’est un concours de circonstance. Perso, je ne crois pas trop aux coïncidences… ”

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Talent : Gazo Hair & Make-up : Mathilde Moncamp Assistant photographe : Eric Ancel Assistants styliste : Ambrine Marouani

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Les enceintes de Devon Turnbull sont utilisées dans les boutiques Supreme, dans les clubs branchés de New York ou chez Mark Ronson. Pourtant, ce qui motive notre homme n’est ni la gloire, ni les décibels, mais une approche inédite de l’écoute.

PHOTOGRAPHE ISA SAALABI PAR NOAH JOHNSON
* L’ART DU SON
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EN MARS 2020, alors que la ville de New York s’apprête à goûter au confinement, Devon Turnbull, 43 ans, reçoit un étrange SMS de son ami, l’influent Virgil Abloh. “Au début, je n’y ai rien compris”, se souvient-il. “Il m’a écrit : ‘Ça y est, c’est à toi d’être sous les feux des projecteurs.’ Je me suis demandé quelle mouche l’avait piqué.”

Pour Devon, qui fabrique alors depuis des années des enceintes haute-fidélité sous le pseudonyme Ojas, la prophétie d’Abloh demeure inexplicable. “C’était peut-être dû à sa clairvoyance hors du commun…”, tentet-il, en référence au fait que Virgil Abloh a réinventé le streetwear avec sa marque OffWhite, avant d’en faire autant pour Louis Vuitton. Mais quand il reçoit ce texto, ce n’est pas là-dessus qu’il mise. “Ça aurait aussi bien pu être parce qu’il s’était lancé dans la prévision de tendances pour LVMH, et que tout le monde se disait que la hi-fi domestique était sur le point d’exploser.” Quoi qu’il en soit, le message de Virgil Abloh est clair : “Bientôt, ce sera ton tour.”

Quand il reçoit ce texto, Devon Turnbull fabrique déjà des enceintes personnalisées pour les plus influents créateurs de New York. De simple pseudonyme, Ojas est devenu une entreprise, et ses systèmes audio au design brutaliste se vendent en milliers d’euros. On trouve ses enceintes dans les magasins Supreme du monde entier, mais aussi chez Public Records, l’un des clubs les plus prisés de Brooklyn. Virgil Abloh lui en a commandé une pour son exposition itinérante, Figures of Speech, lancée en 2019 au musée d’Art contemporain de Chicago. Et en avril 2020, Ojas a sorti son premier haut-parleur Artbook, une version moins imposante de ses

enceintes personnalisées qui se vendent aux alentours de 6 000 euros. Devon développe alors un modèle à construire soi-même, que les audiophiles pourront assembler bien au chaud. Son but ? Les vendre en kits, puis organiser des sessions Zoom pour que ses clients puissent les construire ensemble –une idée vouée à un franc succès, sachant que les boîtes de nuit sont sur le point d’être remplacées par des fêtes en appartements.

“Je ne pensais pas que ça parlerait à autant de monde”, se souvient le créateur. “Ça a été mon premier post Instagram viral, et à partir de là, c’était parti.” Virgil Abloh propose de vendre l’Ojas Artbook et les kits DIY sur Canary Yellow, son site d’e-commerce, et la liste des clients s’allonge jusqu’à inclure le Nine Orchard, l’hôtel le plus branché de New York, ainsi que des producteurs comme Mark Ronson. Le détaillant de mode Ssense commence lui aussi à vendre ses enceintes, et cet été, un système sonore Ojas est installé en tant qu’œuvre dans une galerie new-yorkaise.

Devon Turnbull n’en est pas à son premier coup d’éclat : en 2003, il cofonde la marque de vêtements Nom de Guerre. Sa boutique à Manhattan ferme en 2010, mais la marque n’en reste pas moins influente. Et si notre homme s’épanouit désormais dans un tout autre domaine, ses principes directeurs demeurent inchangés : minimalisme, utilitarisme, qualité. En tant que fabricant de certains des systèmes hi-fi les plus recherchés au monde, son œil le distingue autant que son oreille – une dualité qui n’a pas manqué d’échapper à un polymathe comme Virgil Abloh.

Cette polyvalence a aussi sauté aux yeux du cofondateur de Nom de Guerre, Isa Saalabi,

qui se rappelle avoir rendu visite à Devon en 2007, quand ce dernier lui a présenté le système audio qu’il venait de fabriquer. “Son argumentaire était limpide”, se souvient Saalabi. “Il m’a parlé d’un système audio au design brutaliste, et il a dit mot pour mot : ‘Mon but, c’est qu’on en vienne à le considérer avec autant d’égards qu’une sculpture en galerie.’ Le concept était donc là dès le début, et c’est ce qui le rend si unique : ce n’est pas quelque chose qui s’est produit du jour au lendemain.”

LA DÉVOTION DE DEVON TURNBULL est telle que même dans le monde de l’audio haut de gamme, elle fait figure d’exception. “Tout cela est un peu avant-gardiste”, dit-il en parlant de la communauté audiophile. “Je fais partie d’une culture underground mondiale qui prescrit une certaine formule pour les équipements sonores.”

Dans le monde de la musique analogique, tout commence par une aiguille sur les sillons d’un vinyle. Un petit signal électrique est généré ; pour créer une vibration suffisamment puissante pour que l’air se meuve dans les tubes de l’enceinte, il doit être amplifié. “Mon but, c’est d’intervenir le moins possible sur ce signal, afin de ne pas en altérer la pureté.” En cela, les créations de Devon Turnbull ont quelque chose de paradoxal. “On pourrait qualifier mon approche du son de minimaliste. Sauf que le design, lui, est tout sauf minimaliste ! Tout y est très grand, très lourd.” Voilà une chose à savoir en matière d’audio hi-fi : des enceintes plus grandes ne consomment pas forcément plus. Contre-intuitivement, les systèmes Ojas sont gros comme des frigos, car Devon

Grâce à Devon Turnbull, les visiteurs de la Lisson Gallery, à New York, ont partagé une expérience d’écoute inédite.
Le sens de l’esthétique de Devon sert le design de ses enceintes, ici sérigraphiées. OCTOBRE 2022 GQ 95

les alimente avec des amplificateurs à très faible puissance. Ces grands haut-parleurs permettent une moindre distorsion et un plus grand dynamisme.

Résultat ? Un système audio inédit tant d’un point de vue visuel que sonore. Devon, qui arbore la plupart du temps des pantalons cargo larges, une casquette de baseball et l’air relax d’un skateur vieillissant, affirme qu’il est “100 % motivé par l’acoustique”. Sa sensibilité esthétique s’accorde simplement à son expertise d’ingénieur du son.

Né à New York, Devon déménage dans l’Iowa avec sa famille à 11 ans. Après avoir abandonné le lycée à 17 ans, il s’installe à Seattle “pour étudier la science et le commerce du son”. Il y apprend à lire un schéma électronique audio, et suit un cours de graphisme. En 1999, de retour à New York, il se met à confectionner autocollants, t-shirts et casquettes Ojas, un terme sanskrit que l’on peut traduire par “vitalité”, et qu’il utilisait déjà en tant que graffeur. Il se fait une place au centre-ville, dans la scène des boutiques de proto-streetwear comme Alife et Union. Deux ans plus tard, il cofonde Nom de Guerre avec Saalabi (qui a travaillé pour Marc Jacobs), Wil Whitney (ex directeur du magasin Stüssy de New York), et Holly Harnsongkram (ancienne rédactrice mode pour le magazine W). En mettant en commun leurs expertises en art, en graphisme, en streetwear et en haute couture, ces quatre-là abattent les murs qui séparent ces domaines, et ouvrent une boutique au cœur de Manhattan.

Devon fait des allers-retours au Japon, où Nom de Guerre s’approvisionne. Il y découvre les racines de la culture audiophile à laquelle il va consacrer sa vie. Mais c’est dans un magasin à Paris – dont la scène audio hi-fi est florissante – qu’il entend pour la première fois un système sonore qui, comparé à sa stéréo de l’époque, lui paraît “carrément psychédélique”. “C’est là”, dit-il, “que j’ai su que c’était ma voie.”

Durant la décennie suivante, tout en vivant du streetwear, Devon se met à fabriquer, en guise de systèmes hi-fi, des œuvres avantgardistes qu’il appelle “sculptures sonores”. Petit à petit, il tente de transformer ce hobby en carrière. En utilisant son ancien nom de graffeur, Ojas, il se met à produire des systèmes sonores d’apparence brutaliste, mais dotés d’une qualité audio naturaliste. Plus Ojas se développe, plus Devon se prend au jeu. En 2020, il embauche deux employés et déménage son atelier, de sa maison à une zone industrielle. Aujourd’hui, Ojas peut confectionner une quinzaine d’enceintes personnalisées par an – une activité de plus en plus lucrative, mais dans des proportions relativement modestes par rapport à l’intérêt qu’elle suscite.

En 2021, l’artiste Hugh Hayden, un ami de Devon, lui présente Alex Logsdail, PDG

“J’essaie de créer un espace qui soit comme un sanctuaire.”

de la Lisson Gallery. Dans le cadre d’une exposition de sculptures, ce dernier invite Devon à placer son “HiFi Dream Listening Room No. 1” – qui n’est pas une sculpture, mais un système hi-fi artisanal – dans une pièce de 36 m2 au fond de la galerie. À un bout de la salle, un mur de haut-parleurs, au milieu, platine et amplificateurs, et à l’autre bout, des sièges où les visiteurs sont invités à s’asseoir pour écouter. Tous les composants sont faits main, anguleux et d’un gris mat ou légèrement brillant, comme s’ils étaient taillés dans de la pierre ou coulés dans du béton. L’atmosphère de la pièce n’est pas moins particulière, notamment grâce à une personnalisation minutieuse de l’espace afin d’en maximiser l’acoustique – c’est un endroit où l’on devine très vite que quelque chose d’important va se produire. “J’essaie de créer un espace qui soit comme un sanctuaire”, dit Devon Turnbull, “ou une sorte de pièce dédiée au bien-être.”

La salle d’écoute, gratuite et ouverte au public, reste en place deux mois. N’importe qui peut y entrer et écouter le système Ojas aussi longtemps qu’il le souhaite. La sélection musicale inclut des sessions avec le légendaire label de jazz Blue Note Records, des morceaux d’ambiance joués par Brian Eno et des performances live enregistrées sur bande. Chaque jour, la salle se remplit d’un mélange de fanatiques de la hi-fi, d’aficionados d’Ojas et de toutes sortes de curieux. Devon, lui, arpente la pièce sur un tabouret à roulettes, dépose des disques sur la platine Ojas, puis se contente d’écouter, comme n’importe quel visiteur.

L’un des visiteurs, Chance Chamblin, un étudiant en cinéma de 21 ans, est déjà familier du travail de Devon par les réseaux sociaux, mais n’a jamais eu l’occasion d’entendre un système Ojas. “Sérénité” : tel est le premier mot qui lui vient pour décrire l’expérience. Il a passé une trentaine d’heures dans cette pièce, dont sept le premier jour. “Je viens là pour me laisser envoûter”, résume-t-il.

LES PARENTS DE DEVON, jadis férus de méditation transcendantale, avaient scolarisé leur progéniture à Maharishi. C’était “comme une petite secte au milieu de nulle part”, se souvient celui qui a depuis pris ses distances et cessé de pratiquer la méditation. “Mais

j’en ai tiré beaucoup de bien. J’y ai compris le potentiel de la fusion des esprits – du fait de réunir des gens pour leur faire partager une expérience commune”. Via cette pratique, Devon découvre les vertus de la patience, de la dévotion et du calme. Tout en apprenant les schémas et formules nécessaires à la confection d’appareils hi-fi, il comprend comment la concentration, associée à un son de qualité, peut être transformatrice. Pour que les gens puissent pleinement l’apprécier, la salle d’écoute “HiFi Dream n° 1” encourage ainsi l’immobilisme, le silence, et, in fine, la clarification de l’esprit. Devon me fait remarquer qu’il n’a jamais fallu demander explicitement aux visiteurs de se taire ; cette demande implicite a été miraculeusement respectée par pratiquement tous ceux qui ont mis les pieds dans la pièce.

Devon souhaite reproduire ce processus à grande échelle, de façon à démocratiser cette expérience d’écoute. “Je veux créer une expérience hi-fi populaire”, dit-il. Première étape ? Créer davantage de salles d’écoute publiques et gratuites. Devon considère les musées et les galeries comme les endroits les plus appropriés. “La musique mérite de tels espaces”, dit-il. “Il devrait y en avoir le plus possible. De nos jours, il est très rare que les gens disposent ne serait-ce que d’une bonne stéréo. Quand la galerie m’a contacté, je me suis dit, ‘Oh, mon Dieu : voilà que mon rêve se réalise.’ J’espère que tout cela va prendre, qu’il y en aura d’autres, et qu’un beau jour, il sera parfaitement normal d’aller écouter de la musique au musée.”

Cette exposition en galerie a recontextualisé le travail de Devon Turnbull. “Avant, quand on me demandait ce que je faisais, j’avais toujours du mal à répondre. Si je répondant ‘J’ai une entreprise qui fabrique des composants audio’, ça n’évoquait pas du tout mon travail”, m’explique-t-il. Désormais, il peut simplement dire “Je suis artiste”.

Les plateformes de streaming, les enceintes Bluetooth et les écouteurs sans fil ont rendu la musique plus présente que jamais. On ne cesse d’en écouter, mais on le fait surtout de façon passive, en streaming, pendant qu’on est au volant, qu’on fait de l’exercice ou qu’on prépare à manger. La plupart d’entre nous ne savent plus écouter avec attention. Devon Turnbull s’est donné pour mission de remédier à cela. “Le son n’est qu’une ondulation dans l’air”, estime-t-il. “Les musiciens sont comme des chamans ; grâce à ces ondulations, ils apprennent à manipuler le fonctionnement des cerveaux. Et moi, j’ai l’importante responsabilité de capter ces vibrations et de les transmettre, jusqu’à ce qu’elles soient diffusées partout dans le monde.”

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Devon Turnbull fabrique à la main ses propres hautparleurs, amplis et platines.

toujoursrebelle DIEGO LUNA

Deux décennies après avoir percé dans le film culte Y Tu Mamá También , l’acteur mexicain lance une révolution galactique dans Andor, la nouvelle série Star Wars.

E PARTICIPE À LA LUTTE depuis que j’ai six ans.” C’est l’espion rebelle Cassian Andor qui prononce cette énigmatique réplique dans Rogue One, le fameux spin-off de Star Wars sorti en 2016. Si le film n’en dit pas plus, ce sont ces quelques mots qui vont servir de point de départ à Andor, la toute nouvelle série Disney+, dont l’action se déroule quelques années avant que le martyre rebelle ne se sacrifie pour l’Alliance. Mi-origin story, mi-récit d’un éveil à la conscience politique, les douze épisodes de la première saison scrutent les mécanismes qui vont pousser ce cynique récalcitrant – et tout un peuple avec lui – à sortir de sa torpeur pour lutter contre l’Empire. Pour Diego Luna, interprète du rôle-titre, Andor est avant tout “l’histoire du réveil d’une communauté”. Une idée qui tient particulièrement à cœur à l’acteur

mexicain de 42 ans, et pour cause. En 1994, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) organise un soulèvement contre le gouvernement fédéral pour défendre les droits des populations indigènes du Chiapas, l’État situé à la pointe sud du Mexique. Encouragé par ses parents et ses professeurs, le jeune Diego sèche les cours pour participer aux manifestations. Avec ses camarades de classe, ils se mobilisent et organisent des collectes de fonds et de nourriture en soutien aux habitants du Chiapas. Par une chaude après-midi madrilène de juillet dernier, il se souvient : “J’ai rencontré des gens géniaux de tous âges et de tous horizons concernés par les mêmes problèmes. J’avais le sentiment de prendre part à quelque chose d’important. J’avais 15 ans, je me sentais une responsabilité citoyenne. Ça a été une période décisive pour moi. Elle a fait de moi celui que

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je suis aujourd’hui.” Nous sommes attablés dans un restaurant de tapas du quartier de Chamberí, dans une capitale espagnole étonnamment calme. Joueur, le comédien lorgne sur mon assiette de légumes grillés avant de lancer : “ Tu es tombé sur le seul Mexicain qui n’aime pas l’avocat !”

Diego Luna est en Espagne depuis quelques semaines déjà. Il y interprète la pièce Cada Vez Nos Despedimos Mejor (“Nous nous séparons un peu mieux à chaque fois”), un monologue intimiste qui mêle petite et grande histoire. Habitué des planches avant la pandémie, il se réjouit de renouer avec l’énergie vibrante et éphémère de la scène, surtout dans “une salle aussi modeste, devant 250 personnes chaque soir”.

DEPUIS SON ENTRÉE FRACASSANTE sur la scène internationale en 2001 avec son rôle dans Y Tu Mamá También d’Alfonso Cuarón, Diego Luna n’a eu de cesse d’explorer les univers des réalisateurs les plus exigeants, tour à tour employé d’aéroport transi d’amour dans Le Terminal de Steven Spielberg ou imitateur de Michael Jackson chez Harmony Korine dans Mister Lonely. Avec Andor, l’acteur laisse un temps de côté le cinéma d’auteur pour se (re)mettre au service d’une franchise à plusieurs milliards de dollars.

Mais pour celui qui s’apprête à redevenir Cassian Andor pour le grand public, les choses ne sont pas aussi manichéennes. “La grosse cavalerie, ça ne m’intéresse pas. La série raconte des histoires très intimes, axées sur les personnages. J’aime avoir ce genre de textures dans un univers comme celui-ci.”

Il n’hésite pas à faire un parallèle entre le statut de réfugié de Cassian (dont le monde natal est détruit par l’Empire alors qu’il est encore enfant) et celui des migrants jetés sur les routes et les océans par les conflits du monde entier. “Son regard est celui d’un réalisateur”, souligne Sienna Miller, sa partenaire dans Wander Darkly en 2021. “Il ne se contente pas d’être acteur, il envisage vraiment les situations dans leur ensemble.”

Entretenir une flamme auteuriste au cœur de la machine Star Wars n’est évidemment pas une mince affaire. Mais son obstination à mettre toute sa sensibilité et tout son cœur dans le récit a fini par déteindre sur le reste du casting. Comme le rappelle Tony Gilroy, créateur de la série, “la personnalité, les qualités de leader, la grâce et l’empathie de celui

qui tient le premier rôle ont évidemment un impact sur le show”. En Diego Luna, il est convaincu d’avoir trouvé “le parfait numéro un”.

GAMIN, DIEGO EST OBSÉDÉ PAR LE FOOTBALL. Il ne perd pas une miette de la Coupe du monde au Mexique en 1986. Mais le théâtre coule dans ses veines. Son père est un décorateur renommé, et sa mère, une expatriée britannique, crée des costumes pour la scène. À table, dans la cuisine familiale, les repas sont animés, on y débat et discute longuement en toute liberté. La maison, encombrée de journaux et de livres, est un havre de paix, où le jugement n’existe pas et où le jeune homme va pouvoir éprouver ses idées, forger ses opinions, et “trouver ce en quoi il croyait”.

Sa mère meurt dans un accident de voiture alors qu’il est encore jeune. Dès lors, Diego colle aux basques de la figure paternelle. Le théâtre devient son terrain de jeu. Chaque fois que son père travaille sur une production, il traîne dans les travées et observe, fasciné, techniciens et acteurs.

C’est à cette époque qu’il croise Gael García Bernal, lui aussi fils d’artistes. Très vite, les deux jeunes gens deviennent inséparables. “On était plutôt avancés pour notre âge”, dit García Bernal, “on a vraiment grandi en étant exposés à la dynamique des adultes.

On les voyait jouer sur scène et on voulait en faire autant. On voulait être comme eux. On est devenu de vrais petits fantômes de l’Opéra.”

Diego suit avec gourmandise le processus créatif de son père, étape par étape, des croquis impressionnistes disséminés dans la maison jusqu’aux dioramas architecturaux dont la taille et les détails ne cessent d’augmenter. “C’était comme si on était dans Alice au pays des merveilles.” Ado, il devient l’apprenti de son père, et apprend les ficelles de la production théâtrale.

“C’était assez incroyable de grandir comme ça”, ajoute, ému, Gael García Bernal. “On avait le sentiment de pouvoir devenir n’importe quoi, n’importe qui.”

Diego finit par faire ses premiers pas d’acteur dans des telenovelas et, quasiment du jour au lendemain, devient une idole au Mexique. Cette célébrité soudaine le déboussole, lui qui vient du théâtre, où l’intégrité et la performance tiennent lieu de valeurs ultimes.

Il décroche alors un rôle dans Y Tu Mamá También,

“Au Mexique, on a un dicton qui dit : ‘Jugamos como nunca y perdimos como siempre’. En gros, ça veut dire : ‘On a joué comme jamais auparavant, et on a perdu comme toujours...’”
OCTOBRE 2022 GQ 101
Veste, Bottega Veneta

“Tu es tombé sur le seul Mexicain qui n’aime pas l’avocat !”

aux côtés de son comparse García Bernal. Le roadmovie de Alfonso Cuarón sur deux adolescents en goguette, au sous-texte homo-érotique à peine voilé, propulse les comparses au rang de stars mondiales dès sa sortie en 2001. Six mois durant, ils sillonnent le circuit international des festivals. “Je n’avais aucune idée de la façon dont ma vie allait changer”, se souvient Luna. “Le film a remporté le prix du meilleur scénario à Venise. J’ai trouvé un agent et tout s’est enchaîné. On a voyagé partout, Europe, Amérique du Sud, Japon, États-Unis…”

Le genre de tournée promo habituellement réservée aux blockbusters hollywoodiens. Les deux acteurs savent qu’ils ont eu la chance unique de jouer dans un film comme on n’en voit qu’un par génération. “Je

ne sais pas si Y Tu Mamá También pourrait voir le jour aujourd’hui”, se demande García Bernal. “Avec ce film, on a pu goûter au cinéma. C’est là qu’on a tous les deux décidé de devenir acteurs pour de bon.”

TÉMOIN PRIVILÉGIÉ DE LA VAGUE de films mexicains (Sexo, Pudor y Lágrimas, Amores Perros, Y Tu Mamá También…) qui ont donné naissance à un véritable mouvement, Diego Luna reste attentif à la situation du cinéma dans son pays d’origine. “Les gens allaient au cinéma pour voir des histoires et des personnages dans lesquels ils se reconnaissaient enfin. À l’époque, le gouvernement n’accordait une aide financière qu’à très peu de films. Ce contrôle n’existe plus aujourd’hui.” Mais si la marge de manœuvre de la création

Pull, Miu Miu Pantalon, Gucci Ceinture vintage, Aigner
OCTOBRE 2022 GQ 103

est aujourd’hui plus grande, le cinéma mexicain se heurte à d’autres obstacles. “Notre industrie n’est pas saine, explique Luna. Il est quasiment impossible pour un film de gagner de l’argent. La pression qu’exercent les blockbusters sur les salles de cinéma laisse très peu de place aux productions hispanophones.”

S’IL RESTERA TOUJOURS l’un des visages de cette nouvelle vague mexicaine, Diego Luna se refuse à jouer les porte-drapeaux. “Mon passeport ne me définit pas, si ce n’est que je suis né à tel endroit, tel jour à telle heure...” Il marque une pause, comme pour observer ce que cette pensée à de paradoxale : esquiver tout nationalisme, tout en reconnaissant que ses rôles ont pu permettre à d’autres de se sentir enfin pris en compte.

”Comment traduit-on arraigo ?” Il me regarde, prend acte de mon ignorance, et attrape son téléphone pour demander à Siri : “Arraigo en anglais.”

Le mot se traduit par “racines”, mais la définition ne lui convient pas. Trop réductrice. Arraigo est l’un de ces mots dont les nuances sont trop subtiles pour la traduction automatique.

“Mais peu importe, on va dire racines”, poursuit-il. Je pense que nos racines ne se résument pas à un seul endroit. Ma mère était britannique, mon père mexicain. Quand j’ai eu 18 ans, j’ai passé du temps en Espagne, puis aux États-Unis [pour travailler].

J’ai vécu dans de nombreux endroits. Je me sentirai toujours chez moi au Mexique. Mais quand je suis en Espagne, je me sens d’ici. Il faut se méfier du nationalisme, il est aujourd’hui plus dangereux que jamais.”

Chaque soir, à Madrid, après la représentation, l’acteur échange avec les fans qui l’attendent à l’entrée des artistes. Il y a fait connaissance avec toute une riche communauté latino-américaine – des Colombiens, des Vénézuéliens, des Péruviens. “Quand on est au Mexique et en Amérique centrale”, estime-t-il, “les États-Unis sont la destination privilégiée pour émigrer. Mais en Amérique du Sud, on a plutôt tendance à se tourner vers l’Espagne. J’ai fini par comprendre un peu mieux ce qu’est l’Amérique latine en passant du temps ici, à Madrid. Les Latino-Américains s’y côtoient davantage que dans leurs pays respectifs. On ne voit ça nulle part ailleurs dans le monde, tu peux traverser vingt frontières et parler toujours la même langue. En même temps, c’est un peu triste de voir à quel point les Mexicains voyagent peu, que ce soit notre art, nos histoires, notre travail… À Madrid, toutes ces différentes communautés peuvent interagir d’une manière très intéressante, très riche.”

LE LENDEMAIN, je retrouve Diego dans la modeste villa où il réside aux abords de la ville. D’épais volumes patinés par le temps tapissent les murs : une Historia de España, un atlas architectural de Varsovie, une biographie de l’ingénieur américain John DeLorean. Il me confie son envie de passer derrière la caméra, comme il l’a déjà fait à quelques occasions. “Ça me manque”, me confie-t-il.

Il aspire à créer quelque chose de plus personnel. “Au Mexique, on a un dicton qui dit : ‘Jugamos como nunca y perdimos como siempre’. En gros, ça veut dire : ‘On a joué comme jamais auparavant, et on a perdu comme toujours...’” Il hésite un peu. “Bon, ça sonne mieux en espagnol.”

L’acteur explique que la phrase vient du foot et se remémore une anecdote concernant la Coupe du monde 2018. Son souvenir est encore très vif. Le Mexique affrontait l’Allemagne, grande favorite de la compétition. En première mi-temps, miracle, Hirving “Chucky” Lozano, l’attaquant mexicain, ouvre le score. Chez lui, avec une trentaine de potes agglutinés devant la télé, Diego Luna retient son souffle. “Jusqu’à la dernière seconde, on était persuadés qu’on allait faire le nul, qu’ils allaient égaliser.” Le dicton décrit précisément ce “sentiment de ne jamais pouvoir gagner”. Ce jour-là pourtant, la défense d’El Tricolor contient les assauts teutons : le Mexique l’emporte 1 à 0. “On a été éliminé au tour suivant”, s’esclaffe Diego Luna. “Mais on avait battu l’Allemagne, l’équipe réputée imbattable. Et à cet instant, j’ai senti que les choses pouvaient changer, que tout était possible.”

Iana Murray, journaliste freelance basée à Londres Herve Loncan, adaptation française

“Je me sentirai toujours chez moi au Mexique. Mais quand je suis en Espagne, je me sens d’ici. Il faut se méfier du nationalisme, il est aujourd’hui plus dangereux que jamais.” RENCONTRECULTURE HAIR & MAKEUP PAUL DONOVAN AVEC DES PRODUITS L’ORÉAL PROFESSIONNEL. SET DESIGN RORY MULLEN. RETOUCHEUSE NINA HANNEMANN 104 GQ OCTOBRE 2022
Manteau, Versace Col roulé, Hermès Pantalon, Martine Rose Boots, Prada Hair Matthew Tuozzoli Mamma Team
& Makeup :
pour Oribe Hair Care et Chanel Production :
Productions SL.

PARIS +, LA NOUVELLE FOIRE D’ART BASEL

Du 20 au 23 octobre, au Grand Palais Ephémère, la nouvelle foire Paris + par Art Basel ambitionne de replacer la Ville Lumière au centre de l’échiquier international du marché. Comment ? Grâce à l’expertise du mastodonte

Art Basel, au dynamisme d’une jeune direction, au cœur d’une capitale aux atouts alléchants. Décryptage et témoignage de trois acteurs majeursdu secteur.

EXPOCULTURE 106 GQ OCTOBRE 2022

EN JANVIER 2022, l’annonce avait ému le microcosme de l’art contemporain : exit la Fiac et son opérateur RX, bonjour Paris + par Art Basel, du géant suisse MCH, gérant la foire de Bâle et ses déclinaisons à Miami et Hong-Kong ! Cet été, la liste des 156 galeries issues de 30 pays, parmi lesquelles 61 ont des espaces en France, a été révélée. 140 enseignes composent le secteur « Galeries », tandis que la jeune création est représentée par 16 galeries émergentes internationales. Un ensemble sélectionné par dix galeries expertes, dont plusieurs ayant œuvré au sein du comité de sélection de la Fiac. « Cela nous permet d’assurer une certaine continuité avec notre prédécesseur », confie son jeune directeur Clément Delépine, entre autres ancien conservateur au Swiss Institute de New York et ex-directeur de la foire Paris Internationale. Pour piloter à ses côtés l’évènement, Virginie Aubert, ancienne vice-présidente du développement Christie’s France et Maxime Hourdequin, ex-directeur adjoint de la Fiac.

THE PLACE TO BE

Si les incontournables poids lourds que représentent, parmi d’autres, Mennour, Perrotin, Ropac, Templon, Gagosian sont toujours de la partie dans la section générale « Galeries », la nouvelle entité compte de nouveaux entrants et des revenants. « Certains participent pour la première fois à une foire « Art Basel », notamment dans le secteur « Galeries Émergentes », ajoute-t-il. Côté général, nous accueillons de nouvelles enseignes parisiennes et certaines américaines, de New York, reviennent. » En bref, une kyrielle de galeries des quatre continents, contribuant à faire de la ville, the place to be, que vient renforcer son programme « Sites », présentant plus de 25 sculptures-installations au jardin des Tuileries et autres lieux patrimoniaux emblématiques.

« ART BASEL »,UN SAVOIR-FAIRE UNIQUE AU MONDE Pas question cependant de cloner la Fiac, ou de créer un pâle avatar parisien de Bâle, Miami ou Hong-Kong. « Si la marque Art Basel est globale, les quatre foires sont locales, souligne encore Clément. Tout en valorisant le travail de fond des galeries françaises, notre objectif est de créer à Paris, un évènement mondial possédant sa propre identité, ancré dans la ville, et lié à ses industries créatives et culturelles. L’offre parisienne nous permet de collaborer avec de nombreux musées et fondations privées, comme de créer des passerelles avec les industries de la Mode ou du Cinéma. » Une ambition certes partagée par son prédécesseur, mais désormais soutenue par une organisation dantesque. Accentuant le décloisonnement des disciplines, Paris + par Art Basel est portée par l’expertise de la plus grande foire au monde, connue pour concocter des conditions de visite et un programme de « conversations » à nul autre pareils, faisant dialoguer à haut niveau intellectuels, commissaires et artistes.

De quoi ravir les collectionneurs internationaux, avides de conférer encore plus de sens à leurs achats, tout en profitant des plaisirs de la capitale du luxe, de la mode, du design et de ses restaurants étoilés

Paris + par Art Basel, du 20 au 23 octobre 2022, Grand Palais Ephémère. Sur invitation uniquement le mercredi 19 octobre. parisplus.artbasel.com

OCTOBRE 2022 GQ 107
COURTESY ART BASEL, PATRICK TOURNEBOEUF

Martha Jungwirth

Ohne Titel, aus der Serie “Corona-Tagebuch”, 2021 Oil on cardboard (painting back)

Image 35.2 x 49.3 cm

Courtoisie Galerie Thaddaeus Ropac, London · Paris · Salzburg · Seoul

Martha Jungwirth / Bildrecht, Wien 2022

Thaddaeus Ropac

LE PLUS PARISIEN DES GALERISTES AUTRICHIENS est un des incontournables de la scène arty mondiale. Thaddaeus Ropac se réjouit de cette nouvelle identité contribuant à créer un véritable « moment » profitable tant à Paris qu’à la marque suisse.

THADDAEUS ROPAC, QU’EST-CE QUI A POUSSÉ VOTRE GALERIE À POSTULER POUR CETTE NOUVELLE FOIRE ? En pleine renaissance artistique, la ville de Paris semble vivre un « moment » particulier dans le monde de l’art, que l’on n’avait pas connu depuis de nombreuses années. Si la Fiac a toujours été au cœur de la scène parisienne, je pense qu’Art Basel permet de renforcer encore plus ce « moment parisien ».

EXPOCULTURE 108 GQ OCTOBRE 2022

QU’EST-CE QUE LA FILIALE DU GROUPE HELVÈTE PEUT-ELLE OFFRIR DE DIFFÉRENT ?

Son réseau international et son expertise uniques. Toutefois, je suis convaincu qu’Art Basel profitera à la capitale autant que cette dernière saura tirer profit de la foire. C’est une situation gagnant-gagnant.

EN REGARD DE LA NOUVELLE FOIRE, SONGEZ-VOUS À DÉVOILER VOS ARTISTES DE MANIÈRE DIFFÉRENTE ET QUI SONT -ILS ?

Nous allons continuer à les présenter en appliquant ce qui a fait et fait toujours notre succès, à savoir proposer de la meilleure manière possible de nouvelles œuvres passionnantes, ainsi que des pièces importantes et historiques du second marché. Paris a toujours été et reste une ville avec un public éclairé ayant des attentes élevées. Nous avons récemment ajouté de nouveaux artistes à notre programme et prévoyons de montrer des œuvres-clés de la plasticienne autrichienne Martha Jungwirth, de la britannique trentenaire Rachel Jones, et de l’artiste vénézuélien basé à Londres, Alvaro Barrington.

LE PROFIL PLUS TRANSVERSAL DE CETTE FOIRE VOUS SEMBLE-T-IL PLUS PROFITABLE ? Absolument.

SELON VOUS, CETTE JEUNE DIRECTION TRIPARTITE CONTRIBUERA-T-ELLE

À FAIRE DE PARIS UNE CAPITALE INCONTOURNABLE DU MARCHÉ MONDIAL DE L’ART CONTEMPORAIN ?

Ce qui rend Paris si attractive, c’est sa scène artistique locale très importante. Actuellement, beaucoup d’artistes internationaux s’y installent et de nouvelles galeries y ouvrent des espaces [Marianne Ibrahim, White Cube, David Zwirner, Cécile Fakhoury, pour ne citer qu’elles, ndlr]. Paris est donc en mesure de devenir l’une des principales capitales mondiales de l’art.

PENSEZ-VOUS ÉGALEMENT QU’ELLE PUISSE ÊTRE CONSIDÉRÉE À NOUVEAU COMME UN HAUT LIEU DE DÉCOUVERTE DE LA JEUNE CRÉATION

?

Un grand lieu artistique ne peut exister longtemps sans de grands artistes. Paris est en train de regagner la place qu’elle a longtemps occupé au cours du 20e siècle. Je suis certain que de plus en plus d’artistes vont continuer à s’y installer. Une atmosphère accueillante aide toujours à révéler de nouveaux talents.

OCTOBRE 2022 GQ 109 ALESSA GRANDE, ULRICH GHEZZI

kamel mennour

Une forte présence de plusieurs de ses artistes à la biennale d’art contemporain de Venise, l’ouverture du fonds de dotation de l’artiste coréen Lee Ufan à Arles… Pour ce galeriste-star possédant quatre adresses à Paris, Paris + par Art Basel est une véritable aubaine pour la capitale et le marché français.

KAMEL MENNOUR, QU’EST-CE QUI A POUSSÉ VOTRE GALERIE À POSTULER POUR CETTE NOUVELLE FOIRE ?

Depuis quelques années, Paris aimante, Paris attire de nombreux intérêts.

On constate ce phénomène à travers l’installation toujours plus importante de nouvelles galeries internationales. Paris + par Art Basel va devenir incontournable sur la cartographie des foires internationales. Dans ce contexte, la capitale a un vrai coup à jouer ! Et en tant qu’acteur parisien, nous nous devions d’y participer.

QU’EST-CE QUE CETTE FILIALE DU GROUPE HELVÈTE PEUT-ELLE OFFRIR DE DIFFÉRENT ?

Le groupe MCH possède une expertise, un savoir-faire plus international que le groupe RX France, plus généraliste. Pour les visiteurs, il crée une programmation particulièrement pertinente ainsi qu’un environnement culturel exceptionnel, favorable à la venue de collectionneurs fortunés, profitant en même temps des plaisirs que leur offre la capitale. En outre, la foire s’est dotée d’une jeune équipe directionnelle expérimentée. Clément Delépine a été non seulement directeur de galeries et de foire, mais aussi curateur du Swiss Institute à New-York !

QUELS SONT LES ARTISTES QUE VOUS ALLEZ PRÉSENTER ?

Des artistes incarnant l’identité et l’orientation de notre galerie, tels qu’entre autres, Daniel Buren, Lee Ufan, Ugo Rondinone, Camille Henrot mais encore de nouveaux entrants, parmi lesquels le peintre historique français Eugène Carrière …Parallèlement, va se tenir la première exposition personnelle d’Ugo Rondinone, au Petit Palais. Et notre artiste Alicja Kwade va investir, sous la direction du curateur Jérôme Sans, la Place Vendôme, dans le cadre du programme « Sites » de la foire.

LE PROFIL PLUS TRANSVERSAL DE CETTE FOIRE VOUS SEMBLE-T-IL PLUS PROFITABLE ?

Bien sûr ! Si la Fiac avait déjà créé des liens avec les industries créatives, Paris + par Art Basel souhaite les approfondir étroitement, établir des passerelles, dans cette ville où l’offre culturelle est très dense.

SELON VOUS, CETTE JEUNE DIRECTION TRIPARTITE CONTRIBUERA-T-ELLE À FAIRE DE PARIS UNE CAPITALE INCONTOURNABLE DU MARCHÉ MONDIAL DE L’ART CONTEMPORAIN ? Clément Delépine, Virginie Aubert et Maxime Hourdequin forment une équipe, comme déjà dit, très expérimentée, qui sait faire. Paris saura en tirer profit.

Dhewadi Hadjab

Untitled , 2022 Huile sur toile 290 x 230cm (114 x 90 in.) courtoisie de l’artiste et de kamel mennour, Paris

galerie kamel mennour

EXPOCULTURE
110 GQ OCTOBRE 2022
EXPOCULTURE 112 GQ OCTOBRE 2022 @FABRICE GOUSSET, COURTOISIE DE MARIANE IBRAHIM

APRÈS CELLE DE CHICAGO, la jolie francosomalienne Mariane Ibrahim vient d’ouvrir une enseigne parisienne, où elle soutient particulièrement les artistes du continent africain et de sa diaspora. Selon elle, Paris + par Art Basel présente pour la capitale une opportunité de recouvrer une envergure internationale à l’instar de Londres.

MARIANE IBRAHIM, QU’EST-CE QUI A POUSSÉ VOTRE GALERIE À POSTULER POUR CETTE NOUVELLE FOIRE ?

L’année 2019 fut très importante pour nous. Pour la première fois nous avons participé à deux foires françaises, dont la FIAC. Je dois dire que cela faisait un petit moment que j’envisageais d’être présente à Paris, ville où j’ai vécu. Et pour la première fois également, nous avons été présents sur la foire Art Basel Miami, où nous avons rencontré un vif succès ! Quant à notre participation à Paris + par Art Basel, elle s’inscrit dans la logique d’une relation continue que nous entretenons avec Art Basel et ses équipes.

Il était donc normal que nous soyons présents sur cette nouvelle foire, d’autant plus que, durant cette semaine, nous aurons aussi l’immense plaisir d’accueillir nos collectionneurs au sein de notre nouvel espace, avenue Matignon.

QU’EST-CE QUE CETTE FILIALE DU GROUPE HELVÈTE PEUT-ELLE OFFRIR DE DIFFÉRENT ?

Art Basel a une forte expérience auprès des collectionneurs internationaux et exerce une grande influence dans le monde de l’art. Mais ce qui fait leur force, c’est surtout leur programmation et les « conversations ».

Paris a besoin de cette amplitude internationale que Londres possède depuis des décennies.

QUELS SONT LES ARTISTES QUE VOUS SONGEZ À DÉVOILER ?

Nous allons présenter de nouvelles pièces d’Amoako Boafo, de Raphaël Barontini, Ian Mwesiga, Clotilde Jiménez, Peter

Uka, Carmen Neely… Notre participation coïncidera également avec la première exposition personnelle de l’artiste japonais Yukimasa Ida, Now is Gone, au sein de notre espace parisien, du 15 octobre au 26 novembre 2022.

LE PROFIL PLUS TRANSVERSAL DE CETTE FOIRE VOUS SEMBLE-T-IL PLUS PROFITABLE ? Assurément.

SELON VOUS, CETTE JEUNE DIRECTION TRIPARTITE CONTRIBUERA-T-ELLE À FAIRE DE PARIS UNE CAPITALE INCONTOURNABLE DU MARCHÉ MONDIAL DE L’ART CONTEMPORAIN, COMME UNE VILLE PROSPECTIVE EN MATIÈRE DE DÉCOUVERTE DE JEUNES TALENTS PROVENANT DE DIVERS CONTINENTS ET COMMUNAUTÉS ?

Paris a toujours attiré les artistes du monde entier. La capitale rattrapera son retard et offrira une scène jeune et dynamique tournée vers la pluralité.

Amoako boafo Crossed Legs, 2022 Huile sur toile 211 x 209cm Courtoisie de Mariane Ibrahim.

Mariane Ibrahim
OCTOBRE 2022 GQ 113

De plus en plus d’hommes endurent des interventions chirurgicales extrêmes et onéreuses pour gagner entre 8 et 16 cm. Intéressé ? La procédure nécessite de briser vos deux fémurs. GQ vous guide à travers le secteur florissant de l’allongement des jambes.

PRENDRE DE

avec la chirurgie

PAR CHRIS GAYOMALI PHOTOGRAPHE ROGER KISBY
SOCIÉTÉ
LA
HAUTEUR

INTROSPECTION

Il sait qu’il ne devrait pas encore trop marcher mais John Lovedale ne peut pas résister à la tentation et il se sent bien. Nous sommes à Las Vegas, il déambule dans le Aria Resort & Casino en boitillant. Même s’il fait son possible pour avancer correctement, il ressemble à quelqu’un qui viendrait de se prendre une balle dans l’arrièretrain. John a la quarantaine et mesure un peu plus de 1,80 m. Il est en ville pour rencontrer son chirurgien orthopédique. Arrivé hier soir de Pennsylvanie, où il travaille comme ingénieur réseau pour le gouvernement, il a failli manquer son vol et a oublié ses béquilles dans la précipitation. Mais une fois encore, il se sent bien.

Ce John qui avance est impressionnant, et peut-être inconscient, sachant qu’il y a à peine huit mois, il mesurait 1,74 m. En septembre dernier, il a déboursé 75 000 dollars dans une inter vention chirurgicale d’allongement des jambes. L’opération est un véritable calvaire : il faut briser les deux fémurs et insérer un clou métallique aimanté en leur centre. Chaque clou est fabriqué en titane, un matériau à la fois flexible et résistant, de la taille d’une petite flûte. Ils sont allongés d’un millimètre par jour pendant environ 90 jours grâce à une télécommande électromagnétique. Les os se reconstruisent et… tadam : on obtient un nouveau John plus grand que le précédent.

Une telle procédure implique son lot de mises en garde. Déjà, tous les centimètres sont gagnés dans les jambes, ce qui peut créer une silhouette disproportionnée. La phase de rétablissement se révèle longue et pénible. Quand j’ai rencontré John, les os de ses jambes n’étaient pas pleinement cicatrisés et une petite section de son fémur droit était légèrement ramollie : la moindre chute peut briser son os en deux. D’autant que ce n’est pas un petit gabarit, il pèse plus de 90 kilos. Et il y a la douleur, sourde et permanente. Parfois, elle est presque insupportable : les clous nichés dans ses jambes étirent les nerfs et les tissus autour des os, en particulier pour des muscles aussi costauds que les ischio-jambiers. Il n’a pas pu marcher pendant plusieurs mois. “Il vous gavent d’analgésique pour rendre la douleur plus supportable”, explique John. Sa plus grande peur était de nouer une addiction aux antidouleurs et il a préféré se sevrer plus tôt que prévu.

Pourquoi quelqu’un comme John – bel homme, sûr de lui, drôle et père de trois enfants – souscrirait-il à une procédure qui coûte plus cher qu’une Tesla et implique de souffrir le martyr durant plusieurs mois pour quelques centimètres de plus ? “J’ai remarqué que la vie était plus simple quand on était grand”, rigole John.

L’été dernier, après une recherche sur Google, le feed Facebook de John a été inondé de publicités pour LimbplastX Institute, une clinique fondée en 2016 à Las Vegas par Kevin Debiparshad (Dr D pour les intimes). C’est l’une des seules cliniques en Amérique du Nord à proposer des interventions cosmétiques d’allongement des jambes, et elle compte parmi les leaders mondiaux du secteur.

Lors de mon premier entretien avec le chirurgien, il me confie que les demandes explosent. Depuis que le télétravail s’est imposé comme norme, LimbplastX Institute a reçu deux fois le nombre habituel de patients et enregistre jusqu’à 50 nouvelles consultations par mois.

Sur le papier, rien de surprenant. La stigmatisation associée à la chirurgie esthétique s’estompe, surtout chez les hommes. Mais les pressions sociales liées à la taille persistent, comme si les nouvelles règles de la mouvance body positive ne s’appliquaient pas à la verticale. Les hommes petits ne font pas tant l’objet de discriminations qu’ils sont exclus de certains comportements, comme sortir avec une personne plus grande ou intégrer l’équipe de basket de la fac. Selon une étude menée en 2009 en Australie, les hommes

de plus petite taille sont moins rémunérés que leurs paires plus grands, sont moins susceptibles de grimper les échelons (selon un sondage, la taille moyenne des hommes inclus au Fortune 500 CEO est 1,83 m). Une étude menée en 2013 aux Pays-Bas a par ailleurs établi que les femmes étaient plus grandes que leur conjoint dans seulement 7,5 % des cas. La promesse de l’institut est que, moyennant un certain prix, vous pouvez augmenter vos chances d’intégrer le classement des Fortune 500 CEO. La plupart des patients déboursent entre 70 000 et 150 000 dollars, selon le nombre de centimètres qu’ils souhaitent gagner. La majorité opte pour l’extension standard de 8 cm qui permet de limiter l’intervention aux fémurs sur environ un an. Une extension supplémentaire, pour atteindre les 16 cm, est possible si les docteurs s’attaquent ensuite aux tibias. Une autre opération est nécessaire pour retirer les clous, demandant entre 14 000 et 20 000 dollars supplémentaires. John a contracté un prêt pour ses fémurs et devra rembourser 1 200 dollars par mois pendant les cinq ans à venir.

Miracle ! Nous pouvons aujourd’hui modifier quelque chose d’auparavant immuable dans le corps humain. Un short king peut désormais devenir un roi à part entière, tant qu’il est prêt à s’auto-

Un célèbre YouTubeur vietnamien est passé de 1,62 m à 1,70 m suite à l’intervention pratiquée par Dr D.

ROGER KISBY/REDUX PICTURES OCTOBRE 2022 GQ 115

infliger une blessure et un traumatisme généralement induits par une collision terrible avec un bus. Ça peut paraître grotesque mais c’est aussi une prouesse médicale.

AJUSTEMENT

Comme la plupart des opérations de chirurgie esthétique, l’allongement des jambes a initialement été pensé pour aider des patients qui souffraient de pathologies parfois extrêmement douloureuses. La procédure a été mise au point dans les années 1950 par le chirurgien orthopédique soviétique Gavriil Ilizarov, qui voulait soigner les fractures et les malformations osseuses.

Sans surprise, le processus fait froid dans le dos. Il implique un instrument au nom moyenâgeux, le cadre d’Ilizarov, un appareil adjustable qui s’enroule autour d’une partie de la jambe du patient à la manière d’un échafaudage autour d’un immeuble. La jambe est ensuite cassée et la série de broches de l’appareil traversent la peau et les muscles pour se fixer sur l’os, où elles restent plusieurs mois pour maintenir les os fracturés tout en les éloignant légèrement plus qu’à la normale. De nouveaux tissus osseux se développent pour combler le vide durant plusieurs mois que le patient doit passer alité.

Le cadre d’Ilizarov est encore utilisé mais la méthode d’allongement proposée par Dr D a beaucoup évolué. Innovation à part entière de la clinique, le clou de titane est inséré directement dans l’os et les patients n’ont plus à subir les plaies ouvertes par les broches du cadre.

Je rencontre le Dr D. à Las Vegas pour dîner. Pour lui, les os

sont “le tissu le plus passionnant au monde”. “Ils se réparent tout seuls !”, s’exclame-t-il. “Et quand vous mourez, c’est la seule chose qui reste de vous.”

Notre docteur fait ses études de médecine à McGill avant de poursuivre un cursus à Harvard. Puis il entame un stage clinique en orthopédie avec un célèbre chirurgien de Montréal, Ken Brown, qui dirige la Lizzy Clinic, un établissement spécialisé dans le traitement des malformations osseuses chez les enfants. “Il réalisait toutes sortes d’opérations comme l’allongement des os, la correction de pied bot ou de malformations du tibia”, se souvient-il. Le Dr D développe alors une fascination pour les dispositifs comme le cadre d’Ilizarov conçu pour allonger les os et soigner les blessures.

Ses patients viennent de tous horizons mais la plupart ont des situations très confortables : médecins, spécialis tes de la finance, acteurs, PDG... Les tech bros représentent une portion importante de la clientèle. Tous les patients que j’ai interrogés ont une chose en commun : l ’intervention leur a permis de se sentir pleinement eux-mêmes. “Beaucoup voient ça comme un investissement pour leur bien-être”, explique le chirurgien. “La taille est un élément important de l’identité et de la façon dont le monde nous perçoit.”

Pour expliquer son changement de taille, John Lovedale a dit à tout le monde en marge de sa famille qu’il était tombé dans la baignoire et avait dû subir une intervention pour sa hanche cassée. “Je pourrai marcher plus vite quand je serai pleinement guéri”, poursuit-il. Malgré les souffrances traversées, il aime aujourd’hui se retrouver en public. “On vous regarde différemment quand vous êtes grand”, dit-il en riant.

Dr Kevin Debiparshad montre les centimètres gagnés à la jambe de son patient suite à l’intervention. Pour cela, il lui a brisé le fémur pour y insérer un clou en titane au centre de l’os.
SOCIÉTÉ 116 GQ OCTOBRE 2022

“On vous regarde différemment quand vous êtes grand.” —John Lovedale

TRANSFORMATION

D’après le chirurgien, 90 % de ses patients ne confient à personne qu’ils ont subi l’opération. Mais comment garder un tel secret ? “J’ai raconté que j’avais eu un accident de ski”, indique Alan, 23  ans, passé de 1,68 à 1,75 m. “Je ne pense pas que les femmes fanfaronnent quand elles se font refaire les seins”, argue le Dr D. Mais les mentalités changent : “Maintenant, c’est comme acheter un Birkin ou une voiture de sport. Ça prouve qu’on appartient à une certaine élite.”

Contre toute attente, le Dr D me convie à assister à sa prochaine opération d’allongement des fémurs qui a lieu le lendemain. Dans le tumulte de la salle d’opération, notre expert s’affaire aux côtés de son équipe. Au milieu de la pièce, se trouve le patient inconscient, la partie supérieure recouverte d’une bâche. Aujourd’hui, on lui implante deux clous dans les fémurs. Le Dr D insère sa petite perceuse dans les incisions de 5 cm sur la partie supérieure de la cuisse droite, où l’os sera fracturé. Il demande un alésoir. Le bloc s’agite avec la rapidité d’une équipe de ravitaillement F1. Cette perceuse sans fil à main, dotée d’une mèche de 60 cm, permet de creuser l’os afin que le clou puisse être placé correctement. Le chirurgien coince la pointe dans l’incision et enfonce l’embout dans la jambe du patient. À l’aide des radios et d’un fil-guide, il commence à percer un trou au centre du fémur.

Casser le fémur ne prend que quelques secondes. Gardant en place la perceuse, il se saisit de l’ostéotome, un ciseau aiguisé comme un rasoir. Il insère l’outil dans l’incision le long de la cuisse du patient et frappe avec un maillet. “Parfois, il suffit d’un coup”, me crie-t-il en martelant la zone comme s’il accrochait un cadre au mur. “Parfois, il en faut dix.” L’os cède finalement. Quand il retire l’alésoir de l’incision, une bouillie chaude et sanglante d’os liquéfié, de moelle et de graisse gicle du trou à une vitesse et dans des quantités horrifiantes.

Une fois le clou fixé dans l’os sectionné, le Dr D. fait encore quelques incisions le long de la jambe et insère des vis pour maintenir le tout. En tout, il faut 38 minutes pour terminer la jambe droite du patient et autant pour la gauche. Ce n’est que lorsque le patient se réveillera avec six nouveaux trous dans chaque jambe que le vrai travail commencera.

Plus tard, j’accompagne John Lovedale au LimbplastX Institute à son rendez-vous. Il n’a pas ses béquilles, pourtant indispensables. “John n’en fait qu’à sa tête”, regrette le Dr D. “Je dis toujours à mes patients que c’est toujours à la fin de l’extension qu’ils prennent le plus de risques. Ils sont beaucoup trop impatients.”

Comme l’explique le spécialiste, les fémurs de John ne sont pas encore pleinement consolidés. Le tissu osseux est encore en formation, il est souple et un peu spongieux. Si les clous étaient endommagés suite à une chute, il faudrait les remplacer et répéter toute la procédure. “Vous devez prendre soin de votre investissement”, sermonne le Dr D.

Certains ont déjà remarqué un changement chez John. Il s’est récemment retrouvé seul face à son ami, qui mesure environ 1,80 m. “Il s’est penché vers moi et m’a sorti : ‘Je te connais depuis trois ans et tu n’as jamais pu me regarder dans les yeux. Il s’est passé quoi ?’ ” John éclate de rire : “Je lui ai répondu qu’il avait rapetissé.”

chris gayomali , journaliste chez GQ US Sarah Mandois, adaptation française

Des radios d’un patient avant et après un allongement des fémurs et des tibias. Il a gagné en tout près de 15 cm.
ROGER KISBY/REDUX PICTURES OCTOBRE 2022 GQ 117

JAMES BOND LE DIAMANT EST ÉTERNEL

Sur le tournage de Les diamants sont éternels , son dernier film dans le costume de James Bond en 1971, Sean Connery se détend sur un divan
CINÉMACULTURE 118 GQ OCTOBRE 2022

James Bond fait son jubilé de diamant. 60 ans au cinéma pour l’agent secret le plus célèbre de la planète, entre coups de génie et choix artistiques hasardeux. GQ retrace son histoire avec Laurent Perriot, expert de l’espion de sa majesté.

EN 2022, deux icônes de la pop culture célèbrent leur soixantième anniversaire. D’un côté, l’un des super-héros les plus célèbres de l’histoire, Spider-Man, apparu pour la première fois dans l’univers du comic-book en août 1962; de l’autre, le héros qui a redéfini l’idée même de ce à quoi ressemble l’espionnage au cinéma. Le 5 octobre 1962, James Bond débarque sur les écrans anglais et révolutionne le film d’action avec James Bond contre Dr. No. Le succès est immédiat : 59 millions de dollars de recettes dans le monde pour un modeste budget d’un million de dollars. Un triomphe qui est dû à la popularité de la saga littéraire créée par Ian Fleming mais pas que. “ Le personnage des romans est assez différent de celui des films. On y retrouve certains traits. Il aime les bons mets, fume trop, mais reste quelqu’un de plus sombre dans la littérature. Il n’aime pas tuer, consomme des cachets. Cette vulnérabilité a été gommée dans sa transposition au cinéma”, explique Laurent Perriot, spécialiste de l’agent 007.

GETTYIMAGES OCTOBRE 2022 GQ 119

POUR L’AUTEUR DE BONS BAISERS DU MONDE et Les Répliques Cultes de la Saga Bond (tous deux co-écrits avec Guillaume Evin), James Bond arrive à un moment opportun où les spectateurs cherchent du dépaysement dans le cinéma. “ Ce sont des films cartes postales qui font voyager. Chaque dollar investi se voit à l’écran. Pour le cinéma d’espionnage, c’est vraiment nouveau. Fini le noir et blanc sombre. En 1961, James Bond est une formidable fenêtre sur le monde. ” Pour l’incarner, les légendaires producteurs Harry Saltzman et Albert R. Broccoli jettent leur dévolu sur Sean Connery. Avec Terence Young, réalisateur des deux premiers épisodes de la franchise et d’Opération Tonnerre, ils modèlent l’acteur écossais de 31 ans à leur image. “ Sean Connery avait beau avoir de la carrure et du charisme, il avait un côté un peu rustre qu’il fallait dissimuler. Terence Young a donc décidé de l’emmener se faire tailler des costumes sur Savile Row [célèbre rue à Londres, ndlr], chez son propre tailleur. ”

JAMES BOND CONTRE DR.NO imprime les contours de ce qui deviendra la plus longue saga de l’histoire du cinéma. “ C’est un cocktail d’idées géniales qui n’est pas simplement lié au personnage. Il y a la musique de John Barry, les décors de Ken Adam, les génériques de Maurice Binder, la séquence iconique du gun barrel… l’ensemble rend le film inoubliable ”, résume Laurent Perriot. Ajoutez à ce mélange secoué mais non-agité une légère dose de géopolitique et vous avez 25 films qui dialoguent en permanence avec les évolutions du monde. “ C ’est pour ça que la franchise marche toujours autant malgré ses différentes itérations et les acteurs qui se succèdent. Elle se réinvente sans se réinventer. Ce n’est pas tant le personnage qui change que James Bond qui s’adapte à l’époque. La sortie de Dr. No coïncide avec la crise des missiles à Cuba. On y pense en voyant certains détails. ”

Vers un Bond meilleur ?

SEAN CONNERY INCARNE L’AGENT DU MI6 le temps de six films avant de rendre le costume en 1971 avec Les diamants sont éternels . “ Sean Conner y a eu l’avantage et la difficulté d’être le premier à incarner

James Bond. C’est celui auquel tous les autres vont être comparés. George Lazenby s’y est cassé les dents même si son film est mémorable [Au service secret de Sa Majesté en 1969, ndlr] ”. Roger Moore, star du petit écran grâce à la série Amicalement vôtre, reprend le personnage et façonne une nouvelle image, plus extravagante. Suivent le charme discret de Timothy Dalton, l’élégance naturelle d’un Pierce Brosnan puis Daniel Craig qui ajoute une note plus désabusée et torturée au milieu des années 2000. “ Chaque interprète a apporté une facette différente au personnage. Le James Bond idéal est un mix de tous les acteurs.”

AUJOURD’HUI, James Bond se cherche un nouveau visage pour reprendre le flambeau. Laurent Perriot, qui ne cache pas sa perplexité face aux derniers opus de la saga, espère un retour aux sources. “ Les James Bond ont été des films précurseurs jusqu’aux années 80. Tout le monde voulait les imiter ou les copier. Puis le cinéma a changé. On pouvait frôler la caricature avec Sean Connery ou Roger Moore mais on sortait du cinéma heureux. Les derniers épisodes m’ennuient vraiment. ” Qui deviendra le septième interprète de l’espion au cinéma ? Tom Hardy, Idris Elba, Richard Madden ou James Norton ont figuré parmi les favoris mais aucun n’a été officiellement adoubé par Barbara Broccoli et Michael G. Wilson, les deux gardiens du temple James Bond. Laurent Perriot a une affection toute particulière pour Henry Cavill. “ Quand on voit Agents très spéciaux de Guy Ritchie, on s’imagine très bien ce qu’il pourrait apporter au personnage. À l’époque de Casino Royale, il était le choix numéro deux derrière Daniel Craig. Il a bientôt 40 ans, il faut passer le cap. ”

LE NOM DU PROCHAIN JAMES BOND ne sera pas connu avant au moins 2023. Bonne nouvelle, son histoire s’écrira encore dans les salles de cinéma. Malgré la tentation des plateformes de streaming (la MGM a été rachetée par Amazon en mars dernier), les producteurs ne dévient pas de leur feuille de route originale. “ Tous ceux qui ont participé au tournage de Dr. No étaient des gens qu’ils connaissaient d’autres tournages. Les producteurs sont très fidèles. Ils font appel aux mêmes techniciens de film en film, et leurs héritiers prennent le relais. Il en va de même pour la salle de cinéma qui reste primordiale pour eux. Depuis toujours, James Bond est une affaire de famille. ”

James Bond contre Dr. No, le 5 octobre en Blu-ray Ultra-collector chez Warner Home Video. Les Répliques Cultes de la Saga Bond de Guillaume Evin et Laurent Perriot, aux éditions Casa, 2021. Bons Baisers du Monde de Guillaume Evin et Laurent Perriot, aux éditions Dunod, 2020.

“Les James Bond ont été des films précurseurs jusqu’aux années 80. Tout le monde voulait les imiter ou les copier. Puis le cinéma a changé.”
CINÉMACULTURE 120 GQ OCTOBRE 2022
COLLECTION Sean Connery en 1962, à l’époque de James Bond contre Dr. No
EVERETT

MADRID le coup de cœur de l’automne

Éden luxueux situé au coeur de la cité madrilène, The Madrid Edition hotel éveille une envie d’évasion irrésistible. Cet hôtel de prestige qui allie design et authenticité offre un art de vivre idyllique. Le refuge chic parfait.

THE MADRID EDITION HOTEL : PLUS QU’UN HÔTEL, UN ART DE VIVRE.

Situé à quelques pas de La Puerta del Sol, The Madrid Edition hotel a ouvert ses portes en Mars 2022. Ce complexe de 200 chambres est tout à la fois luxueux, contemporain, et pleinement urbain puisqu’il est au cœur du quartier le plus animé de la capitale espagnole. Il propose à ses clients une expérience unique qui se décline autour de plusieurs points forts : sur le toit une somptueuse piscine extérieure avec une vue imprenable sur Madrid, un centre de bien-être et un spa luxueux. Une offre culinaire incomparable grâce à deux restaurants d’exception, animés par Enrique Olvera et Astrid Y Gaston, deux grands chefs talentueux, attachés au valeurs de la cuisine latino. Ce qui saute aux yeux lorsqu’on passe le seuil de l’hôtel, c’est son escalier en colimaçon blanc immaculé, dont le caractère graphique est à couper le souffle. Plus qu’un lieu de résidence, le Madrid Édition Hôtel est un espace unique, qui offre une expérience rare. Il est une vraie source d’inspiration pour un lifestyle d’exception.

The Madrid Edition hotel - Pl. de Celenque, 2, 28013 Madrid, Espagne

PAR LA RÉDACTION ADRESSEGQ RECOMMANDE NIKOLAS KOENIG 122 GQ OCTOBRE 2022
dior.com –01 40 73 73 73

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