La Bérallaz

Jacques Janin

La Bérallaz

La Bérallaz

Jacques Janin

La Bérallaz 1ère partie Mes riches heures à la ferme de la Bérallaz

2e partie La Bérallaz, son histoire et ses habitants

En témoignage de reconnaissance à mes parents :

Ernest Janin

Nancy Janin-Menétrey

1ère partie

Mes riches heures Ă la ferme de la BĂŠrallaz

Ma naissance 1939 est une très vilaine année. Elle est obscurcie par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Et puis le vin tiré des vendanges 1939 est la plus mauvaise piquette du siècle.

Je suis donc né sous de mauvais auspices. Pourtant, Dieu, dit-on, n’a jamais créé la même année un grand vin et un grand homme.

Prétentieux, il m’est arrivé de penser que je pouvais être l’heupatibilité. Il semble que j’aie été, bébé, un enfant facile ; l’oncle Jules, me regardant dans la poussette, aurait dit à maman : « Des comme ça, vous pouvez en faire encore ».

Mon tout premier souvenir Un patatras, provoqué par l’arrêt brusque du train à la gare de Pompaples, et qui me remémore un basculement, la tête la première, avec perte honteuse de mon couvre-chef : une blanche casquette comme en portent ou en portaient les jockeys. Les trains disposaient alors de trois classes et, dans la troisième, nous étions assis sur des bancs aux dures lattes de bois. Nous allions avec tante Lucette rendre visite, à l’Hôpital de St-Loup, à une vieille dame, – peut-être Madame Dubuis, une amie de mes grands-parents. – Ainsi donc, du choc d’une culbute en avant a jailli le souvenir originel.

–9–

L’anniversaire de mes 4 ans

C’est le plus ancien souvenir dont je sois sûr de la date. J’ai reçu ce jour-là un gros et beau cadeau, puisqu’il s’agissait d’un petit char à ridelles tout neuf. D’abord, j’ai beaucoup apprécié ce choix de mes parents, ou plus probablement de ma maman, et je n’y ai vu que le côté jouet. Mais au bout de quelque temps, il m’a semblé que c’étaient les

– 10 –

« p’tit char » était quotidiennement utilisé pour porter les « dix heures » et les « quatre heures » (ou le « goûter ») aux champs, véhiculant un bidon de thé ou de café, le pain, le fromage et le lard.

C’était tout à fait dans l’esprit de maman Nancy et aussi dans celui de son temps : l’utilité d’un objet devait primer sur son côté ludique.

D’abord venait le travail, ensuite le jeu. Maman d’ailleurs ne rechignait pullovers.

Mes jouets d’enfant vaz de Vionnaz. Elle a accompagné ma tendre enfance. Elle a passé 4 ans chez nous avant de se marier avec Juston Vannay. Comme jouets, j’avais un tricycle au cadre de bois, doté d’une sonnette et de roues en métal. Je pouvais aussi galoper sur un cheval à balançoire que papa avait fabriqué. Un jeu très prisé, lorsque nous jouions à plusieurs, était celui du train : des chaises à la queue leu leu représentaient les wagons, alors que le tabouret du piano de tante Mathilde, rond et à vis réglable, formait le plus parfait volant une fois incliné contre les genoux du conducteur.

Il est fort probable qu’avant le tricycle, – suivi plus tard de la trottinette, – mon premier véhicule ait été un youpala pour bébé, sorte de nacelle de toile suspendue à un cadre muni de roues. Pour se déplacer, il s’agissait de pousser cette espèce de « tintébin » avec les pieds – pour autant qu’ils soient assez longs pour atteindre le parquet. Mais, à ce youpala-là, je préférais de – 11 –

loin le youpala suspendu par des élastiques au plafond. Nous pouvions monter et descendre à la verticale, comme aujourd’hui sur un trampoline, et mieux encore, voler en rond comme sur un carrousel-voltigeur. Adulte, et même grand-père, j’ai encore la nostalgie de ce jeu-là.

Je n’ai pas le souvenir d’avoir tellement joué avec mon frère Raymond, de 4 ans plus âgé. Mon compagnon de jeu était plutôt Edmond 2 jours par semaine aider mes parents à la préparation des légumes pour les marchés de Lausanne du mercredi et du samedi. Nos jeux se partageaient entre la collecte de sable dans les rigoles le long de la route de la Râpe, le ramassage avec pelle et brouette de crottin de cheval destiné à accélérer la poussée des semis dans les couches du jardin potager, la construction de cabanes à l’aide de bottes de paille de la grange ou bien de cageots à pommes dans une remise ; ajoutons et de sauts sur les corniches de neige formées sur le talus nord du chemin appelé « cheminée », au-dessus de la Bérallaz.

Souvenirs de guerre semblablement en 1944 ou 1945, nous entendions, la nuit vers 22 heures, le vrombissement des escadrilles de bombardiers anglais ou américains volant à très haute altitude en direction de Gênes.

Et, quelques heures plus tard, ces avions passaient à nouveau sur le chemin du retour, déchargés de leurs bombes, et ça faisait trembler les vitres. Parfois, leur – 12 –

passage était signalé par les projecteurs des batteries de canons DCA, basées à Étagnières, qui tailladaient les nuages de leur puissant faisceau lumineux.

Un dimanche, c’était le 23 juillet 1944, le grand-père Auguste, de retour de l’alpage de Jaman, nous annonce avoir vu brûler le village de St-Gingolph, incendié par les Allemands en représailles à une attaque des maquisards. On apprenait plus tard que 6 otages, dont une femme et un curé, avaient été fusillés par les SS. À certaines périodes, les deux voitures de papa, de marque Ansaldo, une berline noire et une camionnette jaune, étaient interdites de circulation, donc au repos dans le garage, « sur les plots ». Peut-être cette immobilité était-elle tout simplement due à la pénurie de carburant, qu’on appelait benzine ou essence synthétique, un substitut du pétrole. Mes parents et le grand-père Auguste, ainsi qu’oncle Gaston et tante Lucette se déplaçaient à vélo. À d’autres moments, la circulation automobile était autorisée, mais soumise à des restrictions : par exemple les phares devaient être masqués par un couvercle percé d’une fente surmontée d’une visière, ce qui rabattait la lumière sur la route – 13 –

à courte distance devant le véhicule. C’était en prévision de périodes où l’obscurcissement était requis pour éviter le repérage par l’ennemi.

Dans le même ordre d’idée, nos fenêtres étaient munies de rideaux noirs d’obscurcissement.

Pendant la guerre, non seulement les hommes valides de 20 à 50 ans étaient mobilisés, – les uns stationnés aux frontières, les autres dans les ouvrages de défense du « réduit national », – mais les chevaux l’étaient aussi. Dans ces conditions, les travaux de la ferme devaient être assurés par les femmes, les personnes âgées, les soldats en congé, les enfants, les « réformés » ou exemptés de service militaire. Et, pour remplacer les chevaux mobilisés, on attelait des boeufs, si on en avait, ou des vaches qu’il fallait équiper de colliers et de harnais appropriés. On parlait alors

Pendant des années la Suisse a été complètement encerclée par l’Allemagne ou ses alliés. Aussi, le ravitaillement en nourriture et en énergie, notamment, s’en est-il trouvé coupé, réduit ou précarisé.

L’achat dans les magasins des victuailles nécessaires : pain, fromage, sucre, riz, huile, etc., se faisait au moyen de coupons que chaque individu détachait de sa carte personnelle de ravitaillement, distribuée chaque mois par le bureau communal de l’économie de guerre. Comme domestique Aloïs Maillard qui ne consommait pas cette denrée. Alors, le dimanche matin, il nous accompagnait, Raymond et moi, à Cugy – 14 –

Reproduction de cartes de rationnement des denrées alimentaires de 1939, 1940 et 1942.

chez M lle tait à notre intention des doubles plaques de chocolat au lait.

Ce magasin était une véritable caverne d’Ali Baba. On y trouvait tout ce qui était nécessaire pour vivre et travailler à la campagne : la nourriture, les habits, la mercerie, les chaussures, les ustensiles, les outils, etc. Et toutes les odeurs du monde embaumaient la pièce.

Dans les fermes on s’est mis alors à chercher des solutions de remment, à utiliser des aliments ou des équipements nouveaux.

Faute de café, on fabriquait soi-même un « ersatz » à partir d’orge grilremplaçait le sucre par de la mélasse de betterave. Pour économiser la – 15 –

cuit » avec des morceaux de pommes ou de poires incorporés. Étant donné que l’essence était rare et réservée prioritairement à l’armée, les camions et tracteurs se virent équipés de chaudières qui transformaient le bois en gaz, si bien que les moteurs durent être adaptés en conséquence. Des cultures nouvelles sont apparues ou se sont étendues : le pavot, le colza pour l’huile, et les pommes de terre qui ont alors connu une extrême extension de leurs surfaces, car elles sont faciles à cultiver, bien adaptées à nos conditions, nourrissantes tout en étant bon marché.

Comme il n’y avait pas d’assurance chômage ni d’assurance vieillesse et que la guerre était survenue après une longue période de crise économique, il y avait beaucoup de gens nécessiteux, pour ne pas dire miséreux. Aussi, la ville de Lausanne, propriétaire d’immenses forêts, autorisait-elle deux jours par semaine le ramassage de bois mort.

Devant la Bérallaz, en direction de Cugy, on voyait alors passer des le bois que l’on brûlait dans le poêle était quasiment la seule énergie de

Les promenades en traîneau En ces temps-là, l’hiver, les routes devaient être ouvertes, c’est-àdire débarrassées de la neige par des « triangles » de bois tirés par un ou plusieurs chevaux. La neige était poussée du centre de la route vers les bords par les deux côtés latéraux du triangle, ce qui formait des « remparts » de neige de part et d’autre du chemin. Heureusement, il restait généralement une bonne couche de neige pilée sur toute la surface de la route. C’était idéal pour la glisse des luges.

Mieux encore, quand il faisait froid plusieurs jours de suite, cela valait la peine de sortir le traîneau et d’y atteler les chevaux pour aller faire une balade. Je me souviens d’une visite rendue sauf erreur un 2 janvier aux parents de l’oncle Gaston à Peney-le-Jorat, via Froideville et Villars-Tiercelin. Ce traîneau à deux lugeons, très élégant par les formes baroques de sa carrosserie porteuse, pouvait emmener six – 16 –

personnes assises face à face sur deux bancs. Pour lutter contre le froid, des briques réfractaires déposées quelques heures auparavant dans la « bornatse » ou la petite armoire du poêle. Pour rehausser encore le côté romantique de l’expédition et imiter l’enchantement des troïkas russes, l’un des chevaux portait une « grelottière » dont le tintement nous berçait tout au long du parcours. Nous avions l’impression d’accompagner Sibérie entre Omsk et Tomsk, sur le chemin d’Irkoutsk.

– 17 –

La fête de la démobilisation Quand bien même la Suisse n’a connu ni les combats ni les destructions de la guerre, c’est avec un énorme soulagement qu’elle a salué l’armistice, le 9 mai 1945. J’ai personnellement appris cette bonne nouvelle à l’école, que je venais de commencer quelques semaines plus tôt. Le régent, Monsieur Gilbert Conne, avait descendu son poste de radio dans la classe pour nous informer en direct de cette délivrance.

Quelques semaines ou quelques mois plus tard, Montheron a célébré cet événement en grande pompe. C’est, me semble-t-il, la seule importante manifestation que Montheron ait organisée pour tous ses habitants et pour eux seulement. Deux séquences se sont succédé : un cortège à la mi-journée et un souper, le soir, à l’auberge, pour tous les villageois et villageoises adultes.

C. Syrvet, A. Gilliard, A. Michon, C. Regamey, A. Janin, E. Janin, G. Correvon, F. Vaney, E. Sachot, F. Demont, A. Germond, M. Reymond, F. Michon, W. Michon, J.-P. Michon, R. Mermet, P. Gringet, R. Gilliard, G. Gavillet, E. Dietiker, M. Demont, A. Roulet, H. Mellet, R. Vaney, G. Vaney, A. Neuenschwander, R. Burkhalter, A. Demont, E. Vaney, A. Gilliard, C. Gavillet, J. Guignet, C. Clerc, G. Conne, G. Monod, P. Vaney, C. Vaney

– 18 –

Dans le cortège, les Janin ont occupé des places en vue. En tête, sur la monture empruntée, sauf erreur, au cousin Martin de Froideville, oncle Gustave conduisait la troupe des mobilisés en uniformes. Il avait été choisi car, étant Premier Lieutenant, il était le plus haut gradé du lieu. Et moi, je suivais en battant du tambour, en tête des civils.

Avant la manifestation, il avait fallu ressortir du cache-collier du galetas l’harnachement de la jument de l’oncle Gugu, puis surtout l’astiquer au Sigolin pour que les pièces métalliques brillent de mille feux. Devant nité l’identité de tous les soldats jeunes et vieux qui ont servi la patrie pendant les 6 ans de cette guerre mondiale.

Du fameux souper, je n’ai guère eu d’échos, si ce n’est que le lenen avait abusé. Pendant ce temps, restés à la Bérallaz, Raymond, Philippe et moi étions sous la bonne garde de grand-maman de Coppoz qui, peut-être, nous avait fricoté des croûtes aux fraises.

Premiers pas à l’école primaire Mon livret scolaire atteste que j’ai commencé l’école en avril 1945 dans la classe unique du collège de Montheron. Nous devions être 10 à 15 écoliers et écolières. Le régent était Monsieur Gilbert Conne dont l’épouse, Geneviève, dite Genette, née Menétrey, était une cousine de maman Nancy. Si mes notes (10 de conduite, 9 d’application et 10 et plutôt tranquille. Je n’avais pas de raison de craindre l’école et, pourtant, ce n’était pas d’un coeur léger que je m’y rendais, seul, le matin.

J’avais grand besoin d’être conforté par la présence de tante Lucette sur les escaliers de la remise du Champ-Dessus ; quand j’arrivais au contour, à mi-distance entre la Bérallaz et le collège, je me retournais et Lulu me faisait de la main un signe qui me donnait l’impression qu’elle m’accompagnait.

– 19 –

L’un de mes souvenirs, c’est, comme je l’ai déjà dit, l’annonce à

jambe, en se retournant, etc. Quand la balle tombait, la joueuse « bédait » et la suivante prenait sa place. Pendant ce temps, les garçons jouaient « aux nius » c’est-à-dire aux billes et plus précisément « au pot ». Un garçon s’asseyait parterre et écartait les jambes autour d’un trou creusé dans le sol ; et le jeu consistait à lancer les billes dans ce trou. À la place du trou, on pouvait aussi poser une agate, soit une avec son « niu » de terre pouvait la conserver. Il arrivait que, pendant la classe, un élève, voulant sortir son mouchoir de sa poche, déclenche la cascade sonore de son pesant de billes « pétaradantes », qui alors se répandaient partout sur le plancher.

– 20 –

Chaque après-midi commençait par l’opération « dents propres » autour de la fontaine à côté du collège. Sur un plateau rangé normalement dans une armoire de la classe et que sortait à tour de rôle l’un ou l’autre camarade, chacun et chacune disposaient d’un gobelet et d’une brosse à dents, et peut-être d’un tube de pâte dentifrice.

Il arrivait aussi que le maître contrôle la propreté de nos mains et l’état de nos ongles. Monsieur Conne étendait son rôle au-delà de la formation scolaire, en nous donnant des leçons de comportement.

Par exemple, il nous imposait de saluer les passants que nous rencontrions, et de lever notre casquette ou notre bonnet.

En été, une ou deux fois dans après-midi, il incombait aux élèves de porter le bois destiné au poêle de la classe jusqu’au galetas du collège, là où pendait la corde qui actionnait la cloche. C’était une tâche relativement pénible, mais divertissante, d’autant plus que, pour nous récompenser, Madame Conne nous préparait des glaces à la vanille qu’elle apprêtait dans un ustensile insolite et magique : une sorbetière. La glace naturelle qui entourait le pot que l’on faisait tourner avec une manivelle provenait sans doute du café Reymond, puisque, à cette époque, les brasseries fournissaient avec la bière des gros blocs de glace qui avaient été prélevés par sciage sur le Lac de Joux en hiver et qui étaient conservés dans de la sciure.

– 21 –

Durant l’hiver, à l’instigation de Madame Conne, avait lieu une représentation théâtrale avec décors, et le public pouvait y assister. Nous avons été une fois les nains entourant Blanche-Neige et nous chantions des mélodies tirées du Feuillu d’Emile Jaques-Dalcroze. Ce fut ma première montée sur les planches d’un théâtre.

Montheron étant situé sur la commune de Lausanne, nous participions, début juillet, à la Fête du Bois qui rassemblait à Sauvabelin, à la veille des vacances d’été, tous les élèves du primaire et du secondaire.

Nous descendions en tram jusqu’à La Motte à Bellevaux, puis montions à pied à la place de fête. Là, nous recevions un petit pain au lait, une boisson et une carte avec des coupons donnant droit à divers jeux et stands.

Ensuite, libres, nous allions de carrousels en voltigeurs, de balançoires en tire-pipes, avec une prédilection pour le théâtre Guignol. Une seule fois, devenu grand et peut-être déjà à l’École de commerce, je suis descendu à La Riponne où, traditionnellement, la fête se terminait par un gigantesque « picoulet » qui occupait toute la place.

Le camp de ski des Paccots Toute ma vie, et aujourd’hui encore, 70 ans plus tard, cette première expérience de vie hors de ma famille, pendant une semaine, me laisse un mes parents et sous l’autorité d’un maître inconnu et d’une sévérité toute l’armée, avec la classe duquel nous avons séjourné dans un chalet isolé au bas de la pente de Corbettaz. Certes, mon frère Raymond faisait partie de l’équipée mais, plus âgé, il skiait avec le groupe des grands. Heureusement, le mercredi, en milieu de semaine donc, une apparition aussi inattendue que lumineuse est venue me remonter le moral. Tante Lucette, – accompagnée je crois de Madame Hortense Gavillet, monitrice de l’école du dimanche, et de cousine Genette, – est venue nous rendre visite. Et Lulu n’était pas venue les mains vides, elle m’apportait son fameux biscuit – 22 –

celui des copains soldats à l’école de recrue et aux cours de répétition. Un détail s’est incrusté : le chalet que nous occupions n’avait pas l’électricité ; si bien que, le soir, nous jouions ou lisions à la lumière d’une lampe à gaz dont un manchon était porté à incandescence. Nos skis étaient en bois de entouraient le soulier. Nos chaussures de cuir avaient une extrémité carrée

Le camp de ski d’Orgevaux

Un an plus tard, en mars 1947, la classe de Montheron renouvelle l’expérience du camp de ski, mais, cette fois, dans un environnement et une atmosphère de chaleur familiale. Nous sommes hébergés dans le chalet « Roberty » de M. et M me Conne à Orgevaux. Ici, nous sommes comme des coqs en pâte, car cousine Genette est la maîtresse de maison, non pas dans le sens de maîtresse d’école, mais dans celui de mère de famille et d’animatrice d’un groupe de scouts.

Nous sommes venus par le train jusqu’aux Avants, puis montés à Sonloup par le funiculaire et de là à pied, skis sur l’épaule et sac au – 23 –

dos jusqu’au chalet. Avant de connaître l’ivresse de la descente dans la poudreuse – que dis-je – dans une neige lourde, car il n’y avait pas de piste damée ni de remonte-pente, il nous fallait d’abord monter pas à pas en zigzaguant le long de la pente du Folly, sous la direction d’un moniteur de l’endroit.

L’année suivante, les Conne ont quitté Montheron pour aller s’installer à Lausanne où mon premier régent avait été nommé maître de travaux manuels. Toutefois, pendant des années, nous sommes régulièrement remontés en famille à Orgevaux un dimanche de la mi-août pour la fête de cousine Genette. Et j’ai gardé un vif attachement à la région des Avants et de Sonloup. Longtemps, la route sinueuse entre ces deux localités a été utilisée, l’hiver, comme piste de bobsleigh, y compris pour des compétitions internationales.

À Isérables en course d’école Pour la traditionnelle course d’école annuelle, nous, les élèves de Montheron, étions des privilégiés. Elle était organisée par la Bourse En été 1945, nous nous sommes rendus à Isérables, probablement en train jusqu’à Riddes et, ensuite, par une voie dont j’ignorais alors tout, évidemment, puisque j’y ai reçu mon baptême de l’air en téléphérique. C’était impressionnant, surtout au franchissement des pylones qui faisait vaciller la cabine de-ci de-là comme un lampion de 1er août au bout d’un long bâton, un soir d’orage. Tout s’associait pour nous faire peur : le bruit des roulements sur le câble, la plongée après le franchissement du faîte des pylones, qui provoquait une remonté de l’estomac sous le menton, avec le vide vertigineux sous nos pieds.

Mais le souvenir que j’ai gardé par-dessus tout de cette première course d’école, c’est celui du mode d’agriculture encore pratiqué au sortir de la Deuxième Guerre mondiale dans ces contrées alors reculées du Valais. Je vois comme si c’était hier un champ de seigle en – 24 –

légère pente, deux mulets en bordure attachés à un piquet, deux femmes en costume et chapeau de couleurs sombres – et dont il est impossible de savoir si elles étaient jeunes ou vieilles – moissonnant avec une faucille et rassemblant les épis en petites gerbes ou javelles.

C’est un riche privilège d’avoir conservé cette vision qui me permet de réaliser combien la pratique de l’agriculture a évolué de façon phénoménale au cours du dernier siècle.

Ma seconde course d’école Cette fois, c’est au Niesen sur les hauteurs du Lac de Thoune que nous a conduits la Course de quartiers, comme on l’appelle dorénavant puisque tous les habitants des hameaux de Montheron y sont conviés. Nous nous y sommes rendus en autocar du garage Lebet de Chexbres. Je peux imaginer qu’il s’agissait d’un bus Saurer, l’une des marques les plus répandues à l’époque, avec ses concurrents Berna ou FBV. De cette escapade, je retiens la majesté et la perfection pyramidale du Niesen, une vue grandiose sur les géants que sont l’Eiger, le Mönch et la Jungfrau, la beauté sauvage du Lac de Thoune, dont je verrai plus tard la ressemblance avec les fjords norvégiens. Cette seconde course m’a laissé un si lumineux souvenir que j’ai refait le

En classe avec le régent Guignard Je dois à cet instituteur la chance d’avoir été repéré comme un élève susceptible de dépasser le niveau minimum d’instruction. Il m’a fait sauter une année du degré moyen, ce qui m’a permis d’accéder avec un an d’avance, soit à 12 ans, à la Primaire Supérieure du Mont. D’une certaine façon, il m’a mis sur des rails qui vont, par un automatisme, décider de mes orientations futures quasiment à l’insu de mon plein gré.

Sorti à 15 ans de la « prim.-sup. », toujours avec une année d’avance, – 25 –

j’étais prédestiné à poursuivre mon cursus scolaire à l’École de commerce. Et au terme de celle-ci, doté d’une maturité commerciale, j’ai vu les portes de l’École des HEC s’ouvrir tout naturellement, après une année sabbatique passée en Angleterre.

De la pédagogie de Monsieur Guignard j’ai retenu les lectures qu’il nous faisait le samedi matin en dernière heure, parmi lesquelles deux chefs-d’oeuvre littéraires : La Guerre du Feu de Rosny aîné et Docteur Jekyll et Mister Hyde de Stevenson. Des leçons de chant, je me souviens de la triste

légende de St-Nicolas : « Ils étaient trois petits enfants qui s’en allaient glaner au champ … » Monsieur Guignard avait des doigts jaunes qui sentaient le tabac car c’était un grand fumeur de cigarettes Champion et il consommait force bonbons Gaba contre la toux. Lors de nos promenades d’orientation, il nous a appris à nous servir d’une boussole et à nous guider à l’aide d’une carte de géographie au 1 : 25’000. Nous avons une fois remonté le Talent jusqu’à sa source et sommes allés découvrir le prétendu « col » entre Villars-Tiercelin et Peney-le-Jorat. Au cours des leçons de travaux manuels, il nous a initiés à la vannerie en nous faisant confectionner de petites corbeilles en rotin et des plus grandes en osier. Monsieur Guignard avait une voiture très sympathique de marque Balilla, un modèle de Fiat. Son épouse – une Lavenex d’Arnex – était d’origine italienne par sa mère, ce que trahissaient de très beaux yeux foncés et un teint basané.

– 26 –

Grand-maman Lina préceptrice à une polyarthrite chronique évolutive, grand-maman avait de la peine à se mouvoir. Brinquebalante, s’appuyant sur une canne, vaire de traverser la cour pavée de pierres rondes, pour se rendre aux cabinets, à l’entrée de la chambre à lessive. Une fois, elle a même été « turtée » par un cabri qu’il a fallu abattre au grand dam des enfants.

Aussi, grand-maman passait-elle la plus grande partie de la journée comme vissée à la table de la « grande chambre » avec, le plus souvent devant elle, une machine à coudre qu’elle actionnait non pas avec une pédale, mais avec une manivelle.

Elle n’avait suivi que l’école primaire de Montheron, avec un régent, un Mossieu Paris, qui avait dû être un excellent pédagogue, car grand-maman écrivait le français sans faute d’orthographe, connaissait la grammaire sur le bout des doigts, était incollable en géographie. Elle était capable de citer par exemple tous les pays de l’Amérique du Sud en indiquant leurs capitales y compris celles des trois Guyanes. Ceci pour dire que nous avons eu la chance, enfants en âge scolaire, de disposer en permanence à domicile d’une répétitrice fort instruite et totalement disponible. Chaque jour, elle nous faisait épeler les mots de vocabulaire, réciter les verbes à tous les temps, les livrets et autres calculs oraux. Elle tenait de sa propre scolarité une méthode particulière d’épeler les mots en découpant les syllabes et en en prononçant les sons les uns après les autres. Par exemple, confédération donnait : c o n, con ; f é, fé ; d é, dé ; r – 27 –

a, ra ; t i o n, sion. J’attribue au mérite de grand-maman le privilège que mes frères et moi avons eu d’obtenir de bons résultats scolaires qui nous ont, par la suite, permis de faire des études supérieures. Nos parents avaient d’autres chats à fouetter que de surveiller nos devoirs, encore que maman s’inquiétait de savoir si, avant de partir jouer, nous avions « fait nos tâches ». Une fois, pourtant, alors que j’étais en prim.-sup. au Mont, papa m’a aidé à rédiger une dissertation. Il s’agissait de traiter des avantages du moteur à explosion. Là, son dada pour la mécanique m’a été d’un grand secours.

De grand-maman Lina, j’ai appris la notion de PRÉVENANCE. Étant donné son handicap, elle comptait sur ses petits-enfants pour la ravitailler en bois de feu. Dans le fourneau de la chambre où elle se tenait, nous brûlions des « troncs », c’est-à-dire des bûches de relaétaient stockées à la « chambrette », la dépendance entre la cuisine et la fourragère. Quand nous répondions à sa demande : « Va me chercher des troncs », elle nous disait : « Vous êtes obéissants ». Et quand, de nous-mêmes, nous constations le manque et allions spontanément chercher du bois pour réalimenter le feu, nous étions « prévenants ». Dans la hiérarchie des valeurs, la prévenance valait plus que l’obéissance.

Grand-maman a connu bien des malheurs dans sa vie : son rhumatisme l’a handicapée dès l’âge de 40 ans l’obligeant à aller faire des cures dans des stations de bains comme Bad Ragaz ou Lavey et à prendre toutes sortes de médicaments ; elle a eu le chagrin de perdre en 1934 Edmond, âgé de deux ans, qui est mort suite à l’opération d’une tumeur au cerveau. Néanmoins, elle a conservé une foi inébranlable en Dieu et elle n’allait jamais se coucher sans lire un chapitre dans sa grosse Bible de mariage.

Grand-maman était sérieuse, plutôt grave, – ce qui peut s’explivue d’humour. De grande taille avant que sa maladie ne la courbe, elle – 28 –

« rabotson », ne pouvait pas l’embrasser lorsqu’elle se tenait droite. Il faut dire aussi que la ferme était sa propriété et que son mari vivait donc chez son épouse, si bien que, par conséquent, maman Nancy habitait chez sa belle-mère, ce qui l’amenait parfois – rarement d’ailleurs – à faire le poing dans sa poche.

Le grand-père Auguste, ancien député À la cuisine, sa place était celle du commandeur, immuablement au ralement, n’avait rien de menaçant, mais sa forte voix rendait imposants ses avertissements et ses gronderies. Et, au-dessus de sa tête, posée entre deux suspentes à habits, il tenait à disposition une verge, qu’il appelait sa « vouiste », une baguette de noisetier prête à nous frapper ; mes fesses. Malgré ce descriptif, Auguste n’avait rien d’un père fouet« rondouillard » et de grosses moustaches à la Georges Clemenceau ou comme celles de son sosie le Conseiller d’État Ferdinand Porchet. Sauf exception, c’est lui qui, au début de chaque dîner, faisait la prière. Avec Raymond, il nous a fallu longtemps pour comprendre certaines phrases ce que nous croyions entendre : « Fais-nous la krasténusai » qui revenait chaque midi. Jusqu’au jour où grand-maman nous a mis sur la voie : « Fais-nous la grâce d’en user avec reconnaissance », s’agissant du pain ou de la nourriture. Question punition des enfants pour cause de bavardage ou de refus de tel ou tel mets, la famille se divisait souvent en deux clans, et maman restait neutre entre les deux. La sanction était l’enfermement dans la cave sans lumière. Nous y étions conduits par papa et grand-papa, qui nous poussaient en bas les escaliers. Au bout d’un moment qui ne devait pas être très long, grand-maman et tante Lucette venaient nous délivrer, alors que Nancy se tenait coite, comme prise entre deux feux : entre sévères et trop gentils. Notre grand-père, d’ailleurs, était très apprécié de tout le monde. Nous l’accompagnions volontiers au bois, en forêt pour abattre des arbres, ou aux alentours – 29 –

de la ferme pour « embâtonner » des planches, donc les empiler en introduisant un bâton entre chacune d’elles pour en faciliter le séchage. À cette époque, il pratiquait encore le commerce de grumes ou de planches. L’un de ses clients était la CGN à laquelle il livrait des pieux pour étayer les passerelles et embarcadères des ports du Léman. L’une de ses spécelui qui fait éclater la souche (le tronc) des arbres en faisant exploser de la poudre noire préalablement bourrée dans un trou percé avec un vilebrequin. Le moment jusqu’à la poudre et annonçait l’explosion imminente. Elle dégageait une odeur dont on imaginait qu’elle était pareille à celle du canon.

Une autre occasion de l’accompagner, c’était une fois par année, lorsque nous conduisions quelques génisses jusqu’à la place de concours de bétail à Bretigny ou au Chalet des Enfants, où un jury taxait les l’on clouait comme trophée de bon éleveur sur la porte de la grange aux vaches.

Maman avait une haute opinion de son beau-père. Elle disait ne lui connaître que deux défauts, très mineurs : le bruit qu’il faisait en claquant des lèvres (ou du bec) lorsqu’il mangeait sa soupe ou surtout fait de pisser juste devant le seuil de la porte d’entrée, au pied du lilas.

Maman admirait sa droiture et son sens de la justice. Pour nous, les enfants, c’était un « Mossieu », une personnalité. Il avait été conseiller communal de Lausanne puis député libéral au Grand Conseil. Il lisait « La Gazette de Lausanne », le journal de la bonne société libérale – 30 –

et libriste vaudoise. Il s’en recouvrait le visage pour se protéger de la lumière et des mouches quand il faisait sa reposée sur le canapé à l’issue du dîner. Très sociable, il débouchait volontiers une bouteille de Savuit ou de Calamin avec les connaissances qui se pointaient à la Bérallaz à l’improviste, ou sur invitation, car il avait de nombreux amis de toute profession et formation, dont les conversations nous intéressaient au plus haut point. Je mentionne ici : Monsieur Henri Herr-Dutoit, ancien juge ; Monsieur Cuendet, instituteur à Montheron, qui avait été le maître des aînés Mathilde, Gustave et Ernest ; et une cousine de grand-maman qui a habité longtemps en face du home en imposait car il était séduisant par la parole et le discours, il avait été Consul de Suisse à Mulhouse, il lisait le latin, parlait le Schwitdu 1er août 1941 alors que la Suisse était encerclée par les armées de Hitler. Il avait une réputation de comédien et de pamphlétaire. Alors qu’il était étudiant belletrien, du haut de la galerie de notre ferme, il déclamait des discours au peuple et haranguait la foule. C’était l’un teur en scène de théâtre à Strasbourg, entre autres, j’ai abondamment pédalé avec mon vélo autour de la Bérallaz et dans la forêt de Cugy,

Le dimanche dans une famille libriste Notre famille était rattachée à l’Église libre, constituée en 1847 et indépendante de l’État suite à la Révolution vaudoise de 1845 qui a amené les Radicaux au pouvoir. Pour ses adhérents, le dimanche était vraiment un jour à part.

L’adhésion de notre famille à l’Église évangélique libre du Canton de Vaud était due à notre parenté avec la famille Vaney de Cugy. En – 31 –

soit Louise Henriette Vaney, était venue s’établir à la Bérallaz avec sa soeur et ses enfants après le décès de Marc-Henri Janin, sauf erreur en 1883. Or ces Vaney-là fréquentaient la chapelle de Cheseaux ; c’est au parti libéral dont le journal était la Gazette de Lausanne. Dans l’historique « Il y a cinquante ans » du pasteur J. Favre, publié en 1897, au chapitre de l’Église libre de Cheseaux, page 116, il est dit que « L’assemblée s’accrût encore d’un petit noyau de Cugy et Morrens, formé par le pasteur Isaac Marguerat, dont les réunions du dimanche soir, à la cure, amenaient de loin les personnes altérées de vérité ». Mes recherches en généalogie m’ont révélé que l’inscription de la naissance d’Auguste dans le registre de la paroisse de Morrens laisse vierge l’emplacement réservé au baptême. Cela me porte à formuler l’hypothèse d’un baptême dans le cadre de l’Église libre.

Il s’avère que le mariage des parents d’Auguste, soit de Marc-Henri Janin avec Louise Henriette Vaney, le 20 octobre 1868, n’a pas eu lieu dans la paroisse de Morrens, mais à Lausanne, Église St-François. Serait-ce pour les mêmes raisons ?

Le dimanche, donc, on ne travaillait pas, si ce n’est qu’il fallait « gouverner », c’est-à-dire nourrir et traire les vaches. On s’habillait « du dimanche », ce qui veut dire que nous revêtions nos plus beaux habits. Cela n’allait pas sans pleurs et grincements de dents de ma part car je détestais changer d’habits. Mon grand-père et mes parents se rendaient régulièrement à la chapelle à Cheseaux, à vélo pendant la guerre, ou en voiture. Raymond et moi allions à l’école du dimanche au collège de Montheron où mesdames Léa Michon et Hortense Gavillet, à tour de rôle, étaient nos monitrices. Pour encoucarnet ou des puces de couleur en guise de grains à ajouter à une grappe de raisin imprimée. Après la leçon, nous étions invités à déposer un sou en faveur de la mission en Afrique. Nous glissions notre pièce dans la fente d’une crousille en forme de petit nègre qui inclinait la tête pour nous remercier. Dans les années 1950, nous osions et nous étions très friands de « têtes de nègres », ces boules de pâte de guimauve enrobées de chocolat que l’on nomme désormais têtes – 32 –

au choco. Cette nouvelle terminologie n’enlève-t-elle pas beaucoup de charme au produit ? Une fois dans l’année, à la belle saison, les enfants de l’école du dimanche avec leurs monitrices et les parents volontaires se retrouvaient au bien nommé « Chalet des Enfants » pour une journée en plein air dans le pâturage. Nous pique-niquions et, après le dîner, nous participions à des joutes sportives : course au sac, saute-mouton, relais, course avec une pomme de terre dans une cuillère, etc. Presque chaque dimanche, à l’issue de l’école du même nom, nous allions à la rencontre de nos parents sur le retour de la chapelle, en bas la côte de la Bérallaz et parfois plus loin jusqu’au moulin et même sur la route de Morrens. Le menu du dimanche lui aussi était spécial. Pas de lard, ce jour-là, cette viande passe-partout que le grand-père Auguste appelait de la « truite de boiton ». Non, c’était plutôt le jour du rôti de boeuf ou de la saucisse à rôtir que l’on servait avec des pommes de terre au lait et des petits pois. Si le boeuf était au menu, c’est vraisemblablement qu’une vache malade ou accidentée avait été abattue et sa viande répartie entre les membres de la Société d’assurance du bétail de Cugy-Montheron dont nous faisions partie. Le soir, nous avions volontiers des croûtes dorées ou, en saison estivale, des croûtes aux fraises. Et papa, pour une fois le « gâtion », avait droit à un diplomate au rhum ou à un pudding à la serviette.

La fête du 1er août sur la colline août était célébré communautairement par les habitants de la Bérallaz, de la Grange Neuve et de la Râpe, pour autant qu’il m’en souvienne. Ça se passait sur un replat, à mi-colline, entre la Bérallaz et la Grange Neuve. Un peu comme le Grütli pour les Suisses, l’endroit avait, pour les Béralliens, quelque chose de mythique parce que c’est ici qu’avait eu lieu le 1er août de 1941, année de la commémoration des 650 ans de la Confédération, à un moment où la Suisse vivait dans la peur d’une invasion par les forces allemandes. Et, pour une fois, m’a-t-on dit, un discours patriotique solennel avait été prononcé par le professeur de droit Charles er

– 33 –

suspendus au bout d’un bâton de noisetier. Arrivés sur place, papa était de la famille le seul autorisé à lancer des fusées que préalablement à l’allumage il avait placées dans une bouteille inclinée dans la direction visée. Plus que les fusées aux étoiles éphémères, nous aimions les « vésuves » qui expriment la toute-puissance du feu par bon moment. Le lendemain, animés peut-être par la nostalgie de la fête trop tôt passée et les 12 mois qui allaient devoir s’écouler avant la prochaine, ou bien attirés par l’odeur de la poudre, nous allions rechercher dans l’herbe piétinée les manches des fusées, comme les glaneurs ramassent les épis oubliés derrière les moissonneurs. Et nous fusée. Peut-être qu’en nous sommeillait un apprenti pyromane ou pyrotechnicien ; peut-être était-ce aussi les prémices d’une vocation de canonnier d’artillerie ?

Au marché avec papa Deux fois par semaine, le mercredi et le samedi, papa descendait à Lausanne livrer avec la camionnette les légumes et les fruits que ses clients lui avaient commandés la veille. Pendant les vacances, il pagner. Nous aimions ces escapades car il fallait se lever tôt ; c’était une occasion de découvrir Lausanne et la vie citadine, de rencontrer des personnes intéressantes, de faire parfois des commissions comme le plaisir de manger des « petites pièces » ou « coucons » dans une pâtisserie.

La tournée commençait à la place de La Palud. Il fallait s’y rendre avant 7 heures, car après, l’accès était fermé à la circulation des véhicules. La place de marché était située sur le trottoir en face de l’Hôtel-de-Ville qui abritait alors la caserne des pompiers dont nous voyions parfois sortir et slalomer entre les corbeilles, les motopompes – 34 –

et la grande échelle. Les alentours étaient occupés par des voisins maraîchers connus : à gauche, Eugène Amy, le roi de la rave, et aussi Edmond Cottier de Romanel ; à droite, tante Julia et oncle Etienne de Coppoz et Madame Jaquet, revendeuse de Montblesson, une cliente nous retournions à la camionnette pour faire la tournée de livraison des légumes et fruits aux magasins de primeurs. Il y en avait une net, un deuxième au Chemin des Fleurettes ; Colombo père, mère et chacun, nous aidions papa à porter les cageots dans l’arrière-boutique. Chez Jaques, nous livrions aussi des oeufs ; chez Colombo, une famille d’Italiens, notre plus gros commerce, nous aimions la bonne odeur des fruits exotiques. avec oncle Pierrot ou une autre connaissance, nous nous rendions à ger des pièces sèches telles que les macarons ou des pièces à la crème du type mille-feuilles. Oncle Gustave, adjoint puis chef du Service des gérances de la Ville de Lausanne, avait son bureau dans l’annexe de l’Hôtel-de-Ville. C’était un beau bâtiment – il l’est encore – dont l’attraction était un ascenseur qui marchait en continu et qu’il fallait donc prendre en marche. Souvent, après les « dix heures », nous retrouvions oncle Gustave au restaurant « Vaudois », parfois accomproduits antiparasitaires et les pompes à sulfater Birchmeier. Autour de trois décis de blanc de la commune et d’un sirop de grenadine pour les enfants, la conversation s’alimentait souvent du récit de la l’énoncé du menu et des vins consommés à Arbois ou ailleurs en Bourgogne.

– 35 –

Les montées à Jaman Chaque été, deux de nos vaches laitières partaient en villégiature vers les alpages de Jaman.

Avant l’acquisition d’un tracteur susceptible de remorquer un char à pont transformé provisoirement en bétaillère, il fallait, à pied, conduire nos bêtes à cornes jusqu’à la gare de Lausanne. Là, elles étaient « enwagonnées » jusqu’à Montreux. Et de la gare de la capitale des narcisses jusqu’à « l’à-premier » des Grésalleys, le troupeau, encore augmenté du bétail des amodiateurs de la Riviera, montait sur la route zigzagante, tranquillement mais sûrement, en lâchant force bouses sur la chaussée. Ayant quitté la Bérallaz avant 4 heures du matin en compagnie des deux vaches de cousin Ami, nous aurions pu dire un peu comme dans le Cid de Corneille « nous partîmes à quatre, mais par un prompt renfort, nous nous vîmes trente-six Lausanne, arrivant de Longeraie, des Buchilles, de Penau, du Châtelard, de nouvelles estivantes venaient se joindre au troupeau et étaient empelotonnées avec leurs consoeurs, si bien que José-Maria de Heredia, à son tour, aurait pu écrire que « Fatiguées de porter leurs tétines trop pleines, laitières et primipares partaient ivres d’un rêve héroïque et bestial ».

Arrivées au chalet de leur premier séjour, les vaches étaient prises en charge par les armaillis, ce qui permettait aux accompagnants de se mettre à saucissonner et à déboucher leurs chopines jusqu’à plus soif. saient glisser en bas la pente jusqu’à la halte du MOB (Montreux Oberland Bernois) des Cases ou des Avants pour reprendre le train.

Le bétail, durant l’été, entre le mois de juin et le début d’octobre, remuait de bas en haut puis de haut en bas entre les pâturages des Grésalleys, du Col de Jaman et de la Montagne d’Amont, tout en haut à l’entrée du tunnel de Naye. À chaque étage, l’étable était accolée au local de – 36 –

fromagerie où brillait un énorme chaudron de cuivre suspendu au-dessus de l’âtre. À deux ou trois reprises, le dimanche, papa, maman, Raymond et moi, en Peugeot 402 BL, montions aux Grésalleys puis au Col pour chercher du séré ou sérac, visiter les vaches, prendre connaissance déterminer notre part de fromage.

Le séré que nous ramenions à la maison était fabriqué après le fromage, avec le résidu maigre du lait. Il avait la forme d’un cylindre de quelque 20 cm de haut et de 30 cm de diamètre. À la Bérallaz, nous le conservions à la cave dans de grosses feuilles de rhubarbe ou enveloppé dans un linge humide. Il était essentiel qu’il soit à l’abri des mouches, sinon les vers allaient s’en emparer, ce qui arrivait d’ailleurs assez fréquemment après une semaine ou deux. Nous le consommions avec un morceau de pain en y a ajoutant du sel et du cumin. Quant au fromage, rie Agricole où nous allions en chercher de gros quartiers au fur et à mesure des besoins durant l’année.

Le tout grand moment, c’était le pique-nique qui avait lieu généralement dans l’herbe, entre deux rochers, sur le replat, légèrement en dessous du Col, sur le sentier de la Montagne d’Amont. C’était la seule de la Bolette à Borgognon de Savuit, bien entendu. Il s’agissait d’une moins de seize ans ; nous étions donc en deçà du seuil d’accès aux boissons alcooliques.

L’après-midi, si nous avions de bonnes jambes, nous montions jusqu’à la Montagne d’Amont qui se trouve juste au pied de la Dent de Jaman, sommet qu’une fois nous avons gravi. En ce temps-là, nous osions monter jusque dans la combe de Naye en suivant les voies du train à travers le tunnel. Et, de là, nous pouvions atteindre le sommet des Rochers et visiter le jardin alpin avec ses marmottes.

– 37 –

Les foins Au temps, au bon temps des fenaisons d’antan, les vacances autorités communales en fonction des travaux agricoles. Les écoliers étaient donc censés aider aux travaux des champs. À l’époque, en zone rurale, les paysans étaient encore majoritaires sinon dominants. C’est dire qu’année après année, j’ai personnellement « désandagné » derrière la faucheuse, tourné l’herbe encore humide sens dessus dessous avec ma fourche en bois à 3 « berles », « enchironné » le soir quand le mauvais temps menaçait, redéfait les « chirons » le lendemain, mis en tires le foin sec avant qu’il ne soit enfourché par les adultes et porté sur le char où Maillard l’entassait en roulant, à l’arrière, des cornets.

Pour la mise en tires, il fallait riper le foin avec une fourche, de gauche et de droite le long d’une ligne. Nous aimions faire cela en couple avec maman, car elle était la seule droitière de la famille alors que nous étions gauchers.

Nous pouvions aussi utiliser le râteau-lion tiré comme ci-dessus par un cheval.

Pour conduire le foin à la grange, nous utilisions des chars à pont et non plus les chars à échelles comme auparavant, car ceux-ci étaient trop étroits. Une fois le char bien « enchâtelé », donc plein à ras bord, devant, entre les deux « pachons » supérieurs de l’échelette et prise, à l’arrière, sous la corde qui, tendue, allait compresser la cargaison et la ment autour d’un axe, les chars étaient équipés, à l’arrière, d’un tour en bois avec des trous pour y glisser des manivelles que l’on utilisait comme – 38 –

leviers. Parfois, soi-disant pour mieux assurer la stabilité du transport, Maillard ne se contentait pas de faire une boucle sur la presse, mais il faisait le noeud savant. C’était, me semble-t-il, un perfectionnement qui la sortie du champ était cahoteuse, on appuyait la charretée avec une ou plusieurs fourches du côté aval. Et, avant de se mettre en route, pour éviter de perdre des fétus le long du chemin, le chargement était soigneusement peigné avec un petit râteau en bois, au long manche et aux dents en frêne. Un plus gros râteau avait des dents arrondies, plus longues et métalliques. C’était généralement tante Lucette qui s’en servait pour ramasser derrière le char les brins épars qui avaient échappé aux fourches des chargeurs. Chère Tante Lulu avait peur des petites bêtes Raymond et moi, quand l’occasion se présentait, avions la méchanceté de lancer dans sa direction les orvets qu’on trouvait assez fréquemment en râtelant.

– 39 –

Une des plaies des fenaisons à l’ère de la traction hippomobile, c’était les taons, que l’on appelait « tavans ». Il y en avait des petits gris, dont les piqûres étaient les plus douloureuses, et des gros plus foncés.

Ces gros-là, il arrivait que nous les empalions en leur plantant un fétu de paille dans le derrière. Ils appréciaient spécialement le sang des chevaux dont le poitrail pouvait en être couvert, comme si un essaim y avait atterri. Pour essayer de s’en débarrasser, les bidets « piataient » c’est-àdire frappaient des pieds par terre, ce qui provoquait des secousses et déséquilibrait le rangeur de foin sur son char. Pour tenter d’éloigner ces « pouèta bîta » ou en tout cas d’en réduire le nombre, nous badigeonnions d’huile de pierre ou de Tavanol des pans de jute, sortes de bavettes, que nous suspendions au cou des chevaux. D’autres charretiers accrochaient au timon, entre les chevaux, des boîtes contenant des bipèdes, nous trempions des plumes de poule dans l’huile de pierre et les

Pour marquer ce moment, le char contenant le foin de la dernière prairie fauchée arborait, par exemple, un rameau de cerisier bien fourni qui était attaché au sommet de l’échelette frontale. Ce signalement annonçait aussi que le soir, à souper, pour fêter l’accomplissement de cette récolte, les cuisinières mijoteraient un banquet campagnard que nous appelions « ressat ». Je crois me souvenir, sans en être sûr, qu’il s’agissait de saucisse à rôtir et de pommes de terre au lait.

Nos tours de Suisse après les foins

alpestre. Papa avait une prédilection pour les cols de montagne qu’il avait commencé à sillonner avec son Ansaldo jaune et décapotable dans les années 1930 déjà. La Furka, le Gothard, le San Bernardino, – 40 –

pour lui. Et pourtant, comme maman d’ailleurs, à chacun des trajets, ils s’extasiaient à nouveau devant la grande et sauvage beauté de la vastitude rocheuse.

Parfois, nous étions accompagnés de grand-maman de Coppoz ou de la cousine Marthe Emery de Vernand, dite marraine. Une fois, nous avons fait route ensemble jusqu’au Tessin avec oncle Théodore, tante Louise, Hervé et Jacqueline. Nous avions dormi à Bellinzone et le soir étions allés jusqu’à Lugano. En 1948, nous avons été parmi les premiers à emprunter la route du Col du Susten qui venait d’être ouverte à la circulation, construite qu’elle avait été par des militaires pendant lieux et des données géographiques ainsi que des sites et monuments historiques dont nous avions pris connaissance à l’école. Je pense ici au glacier du Rhône que nous pouvions encore voir depuis Gletsch, aux Schöllenen avec son Pont du Diable, au monument de Guillaume Tell à Altdorf, à la chapelle de Tell sur l’Axenstrasse, au Chemin Creux etc. Probablement que mon intérêt pour la géographie et l’histoire est dû en partie ou entièrement à ces découvertes faites à un âge où notre – 41 –

attention et notre mémoire ont la capacité d’absorption des éponges.

Je vois encore distinctement la route rectiligne bordée de peupliers de la Vallée du Rhône entre Martigny et Riddes, la montée du col de la Furka, étroite, non encore goudronnée avec ses virages en épingles à cheveux que la Peugeot ne pouvait négocier sans manœuvrer en avant et en arrière. Sur les routes signalées « de montagne », les bus et notamment les prestigieux cars postaux jaunes annonçaient leur venue par un klaxon particulier dont le son reproduisait les 3 notes de l’ouverture de l’opéra Guillaume Tell de Rossini. En cas de croisement, le bus se déplaçait du côté amont et les voitures légères se rangeaient du côté du préciavait des bazars où capets à edelweiss, cannes décorées, clochettes et gresuscitaient notre envie.

Les moissons Chronologiquement, au nombre des grands travaux saisonniers, après les foins viennent les moissons. Elles intervenaient la plupart du temps en août, plutôt vers le milieu du mois qu’au début, en tout cas pour les blés ou froments, plus tardifs que les orges. C’est la moisson qui a connu ces 75 dernières années l’évolution technologique la plus spectaculaire, avec une succession d’étapes qui ont provoqué, à chacune d’elles, un bouleversement de l’équipement.

Plus haut, j’ai évoqué le fauchage du seigle à la faucille, à la monXIXe par un manège qu’actionnaient des chevaux. Dans les années 1940, nous combinions plusieurs pratiques, selon que les céréales étaient droites sur tiges ou bien versées sur le sol par les intempéries. De plus, comme les faucheuses ou les moissonneuses-lieuses avaient une barre de coupe latérale, pour éviter que les chevaux, puis le tracteur et la faucheuse ou la moissonneuse n’écrasent les plantes, nous commencions – 42 –

par « enrayer » les parcelles, donc par faucher à la faux la bordure des couple : un faucheur suivi généralement d’une femme qui prenait l’anséchage.

Ensuite, la faucheuse, une Mc Cormick d’origine américaine, pouvait s’engager. Elle impliquait deux hommes ; l’un conduisait les chevaux ; le second, assis sur le côté, tirait vers l’arrière les épis fauchés avec une sorte de peigne à manche, d’abord sur une plateforme, puis sur le sol, ce qui formait des doublons ou brassées qu’il fallait ensuite étendre comme derrière la faux.

– 43 –

Les jours subséquents, suivant le temps, il convenait, avec le manche d’un râteau, de tourner (sens dessus dessous) les céréales étencéréales étendues étaient réunies en « doublons » à l’aide d’un râteau, puis portées sur le lien avec une fourche large dotée de hauts tenons de retenue à l’arrière. Nous utilisions des liens de chanvre d’une longueur d’un bon mètre, munis d’une « boucle » en bois à une extrémité. Autour de celle-ci, le lieur nouait la gerbe après avoir compressé le ballot de ses genoux et tiré de toutes ses forces sur le lien. Une génération plus tôt, les liens ne s’achetaient pas encore dans le commerce, ils étaient fabriqués par les moissonneurs eux-mêmes au moyen de paille tressée. La tâche des enfants consistait à déployer le lien de tout son long au bon endroit pour favoriser le portage.

Les gerbes étaient lourdes. Les hommes les hissaient sur les chars à pont avec un « fourchon » ou fourche à deux dents et long manche.

Comme les céréales étaient souvent accompagnées de mauvaises herbes, dont certaines étaient très piquantes, – les pires étant les chardons et les « chiens » ou orties royales, – il était recommandé de porter des gants ainsi que de longs tabliers pour se protéger les jambes, souvent égratignées par les « étroubles » ou chaumes, soit la base des tiges qui restent

– 44 –

après le fauchage. Traditionnellement, les moissonneurs portaient des habits de lin blancs. À la grange, il fallait une fois de plus hisser les gerbes du char sur les « hiaos », voire plus haut sur les « cholâs », soit les À l’avènement de la moissonneuse-lieuse, nous avons continué à préparer les champs de la même manière. Je l’ai vue tirée par trois chevaux – le Trésor, le Marco et la Cocotte de cousin Ami, – ou bien par le tracteur Hürlimann d’Aimé Ramuz de Sullens, un parent du susdit cousin et voisin. Le progrès était immense. Comme son nom l’indique, cette machine accomplissait une double tâche : les céréales étaient conduites du devant (du couteau) vers l’arrière par un tourniquet sisal, les petites gerbes ou javelles. Ensuite, nous dressions celles-ci 4 à 4, les unes contre les autres, pour former de petites pyramides appelées le genou quand le mauvais temps menaçait, ce qui, si les jours humides persistaient, pouvait provoquer une germination prématurée et intempestive du grain.

Pour les grosses gerbes nouées à la main, tout comme pour les petites liées par la machine, l’étape subséquente au transport du champ à la ferme était le stockage en grange. Après quelques mois sous les toits secs pour un battage dans de bonnes conditions.

– 45 –

Le battage des céréales Avec la boucherie et les « à-fonds de printemps », le battage des de la vie à la campagne, de ces journées qui surviennent seulement une fois dans l’année, qui mobilisent femmes et hommes et exigent même le recours à des aides extérieures.

Si je remonte jusqu’au souvenir de grand-maman Lina, née en 1877, le battage des céréales nesse. Elle m’a raconté que cela se passait à l’entrée de la grange à pont. Le froment était étendu sur le plancher et trois hommes, en cercle, les uns en face des autres, tait deux pièces de bois : un manche et un battant plus large, reliés et articulés par une lanière en cuir.

La ferme de la Bérallaz, chose exceptionnelle, était équipée de des pailles et épis à l’étage supérieur (domaine de papa), des secoueurs qui rejetaient, dans un nuage de poussière, la paille séparée des épis à mi-étage en dessous (royaume de Maillard) et, au rez-de-chaussée, les guichets d’où sortaient les gros et petits grains séparément pour tomber Originellement, cette batteuse était mue en sous-sol par un manège, à savoir un engrenage de roues dentées en bois qu’entraînaient des chevaux qui avançaient en tournant.

– 46 –

Personnellement, j’ai encore vu cet engrenage au plafond de la cave dite à Alfred, puisque située dans la partie arrière de la ferme, propriété d’Alfred Reymond, réparateur de vélos, ex-commissaire de police et petit-cousin de notre grand-mère. Je ne sais pas de quand datait cette installation, mais elle dénotait l’existence d’une exploitation agricole d’importance, tenue par des agriculteurs relativement aisés et innovants. Je formule l’hypothèse d’une mise en service vers 1870, époque où la céréaliculture vaudoise jouissait d’une – 47 –

bonne prospérité, avant que les chemins de fer et la navigation à vapeur n’amènent en Suisse en grande quantité et à bas coût des grains de Russie et d’Amérique. Probablement remontait-elle aussi au temps où la ferme de la Bérallaz n’avait pas encore été séparée entre deux frères ou deux cousins Reymond. moteur à benzine de marque St-Aubin, placé dans un petit local sous la grange à Alfred, au niveau de la cour de cousin Ami. Cela devait être dans les années 1945-1948. Ensuite, c’est notre premier tracteur Case, avec sa poulie et une longue courroie de cuir, qui a dû remplacer cet ancien moteur. Lorsque, sans arrêter le moteur, nous voulions stopper la batteuse, on poussait d’un bâton la courroie sur une poulie libre ou folle, qui tournait à vide. Ce mécanisme d’embrayage a donné naissance par dérivation, – c’est le cas de le dire, – à une jolie d’un quidam qui, une fois de temps en temps, se laisse aller à « faire la foire », donc à boire de l’alcool au-delà du raisonnable.

Vers le milieu des années 1950, notre installation privée a été sieur Lavenex du moulin de Villars-Tiercelin. À l’automne, accomferme. Sa batteuse était entraînée par un tracteur Lanz-Bulldog à un cylindre dont le bruit cadencé tof, tof, tof, me rappelle celui de certains anciens bateaux.

Le battage « au mécanique », comme disaient les anciens, est une expression qui fait probablement référence au remplacement du geait l’engagement d’une nombreuse main-d’oeuvre d’un bout de la chaîne à l’autre. En voici les maillons successifs : amenée des gerbes de la tèche d’entreposage à la table d’engrenage, déliage des javelles et engagement dans le tambour, récupération de la paille, bottelage dans une remise en attendant la livraison à la Confédération pour – 48 –

tion des sélectionneurs pour les céréales de semence. L’introduction des chaumes ou plantes de céréales dans le tambour d’engrenage était une opération relamécanique tournait à très haute vitesse à proximité des mains.

Une fois, papa a reçu un grain de blé dans l’oeil qui a nécessité une extraction à l’Asile des aveugles. Une autre fois, l’engreneur de Monsieur Lavenex s’est fait arracher un doigt qui a été retrouvé en bout de chaîne dans le sac de grains. Moins tragique et de se tenir au bas des tèches de céréales, à proximité des dernières javelles amenées vers la gueule de la batteuse.

– 49 –

Certains postes de travail étaient pénibles à cause de la poussière et des barbes des orges ou des seigles qui démangeaient sous la chemise. Les pauses à 10 heures et 4 heures étaient donc particulièrement bienvenues pour humecter les gosiers et en faire descendre la poussière. À midi, tout ce monde, – une bonne quinzaine de personnes, – se retrouvait à la cuisine pour consommer une soupe aux pommes de terre ou aux pois, suivie d’une platée de haricots, pommes de terre et jambon. Les « dix heures » et les « quatre heures » étaient pris sur le pouce, c’est-à-dire sur le pont de grange où un char à pont tenait lieu de table.

– 50 –

Au menu : pain, saucisson, lard, fromage, thé pour les enfants et les « croix-bleusars », piquette et « p’tit vin de mécanique ». Cette expression est encore usitée de nos jours dans la campagne vaudoise. Elle fait référence à un vin rouge de moindre qualité, celui qu’on servait le jour du « battage au mécanique » aux domestiques ou valets de fermes qui avaient souvent tendance à abuser des boissons alcooliques. Il pouvait Le grand-père Auguste en avait acheté un tonneau à Bogis-Bossey. tage, mise en sacs du grain ou en boxes et éventuellement bottelage de la paille. Aperçue sur des photos présentant les moissons en Amérique, c’est la sorte de machine, dont le grand-père disait, quelques années avant qu’elle n’apparaisse à la Bérallaz : « On ne la verra jamais chez nous ». Et pourtant, elle est apparue dans les années 1950, louée de la ferme de Cery et conduite par MM. Miauton ou Péguiron.

La photo ci-contre, prise au « Clou » ou au « Grand-Champ » en atteste. Elle montre aussi que le Jacot avait à cette époque une vocation de cultivateur, ou bien faisait-il semblant, pour crâner ?

Les premières années, le blé était ensaché sur la plateforme de la fois remplis de 100kg de grains, ils étaient descendus à terre le long d’un sur un char et les stocker provisoirement à la grange en attendant de les livrer à l’Association suisse des sélectionneurs à Cery, s’il s’agissait de de Montheron sur un wagon du tram, au terminus de la Râpe.

– 51 –

L’achat du premier tracteur C’est une étape absolument fondamentale qui marque le passage de l’agriculture hippomobile à l’agriculture mécanisée ou plus justement tractorisée. Elle est aussi la résultante du changement de génération à la tête de Ernest reprend la ferme en fermage au printemps 1947 et c’est rend à Ballens chez Allamand pour acheter un tracteur.

Nous nous y rendons avec la Peugeot par Cossonay et Apples et béret basque. La clarté de ce souvenir montre l’importance de l’événement. Dans la famille, il me semble qu’à Coppoz et à la Viannaz, ils avaient déjà un tracteur Hürlimann. Papa, qui était et restera toujours des marques américaines très répandues en Europe après la Deuxième américaine à la relance de l’économie européenne écrasée par 6 ans de guerre. À la Bérallaz, la vie en est bouleversée. Il y a un avant et un après.

Avant, quand Auguste était patron, il complétait son revenu agricole grâce au commerce de bois, ce qui le mettait en relation, entre autres, avec des scieries, des ébénistes et la Compagnie générale de navigation sur le Lac Léman à laquelle il fournissait les piliers pour supporter les passerelles et l’amarrage des bateaux. Ce complément était de-l’Air (école supérieure d’agriculture). Il disait : « Le matin, j’ai souvent le portemonnaie ouvert avant les yeux ». Notons ici qu’Auguste a été Conseiller communal de Lausanne dans les années 1920 avant – 52 –

d’être pendant 8 ans député libéral au Grand Conseil dans les années 1930. Sur la ferme, l’oncle Gaston Gavillet qui a épousé tante Lucette en 1940 était le charretier, donc le conducteur des chevaux. Il y avait en plus Aloïs Maillard, engagé en 1909 comme « domestique » bon à tout faire, et tantôt vacher, tantôt second valet de ferme à fonctions multiples. Dès 1930, année de leur mariage, Nancy et Ernest géraient en propre la production maraîchère que maman avait dans le sang. Deux fois par semaine, ils descendaient des légumes au marché de Lausanne, où ils tenaient un emplacement de vente à la Palud et approvisionnaient divers primeurs. Papa avait acquis, vers 1930 déjà, une voiture limouet un peu plus tard, pour pouvoir élever ses 4 garçons dont plusieurs aux études à Lausanne en école privée, les recettes de la production maraîAinsi, sous le règne d’Ernest, le tracteur remplace peu à peu les chevaux, si bien que le charretier n’est plus un acteur indispensable.

Oncle Gaston s’initie alors à la conduite automobile en s’entraînant sur boîte à vitesse et se rompre les dents du pont arrière dans un nuage de fumée. Muni d’un permis (licence) poids lourd, Gaston est engagé Marcel Menétrey, frère aîné de maman, alors directeur de la SVAV (Société vaudoise d’agriculture et de viticulture). Il fait les trajets avec une moto de marque Motosacoche. Chaque matin, il part avec le repas de midi que tante Lucette lui a préparé dans une gamelle. Depuis leur mariage, Gaston et Lucette avaient une chambre dans l’autre moitié de la ferme, chez Alfred Reymond. Ils vont désormais occuper l’appartehome d’enfants.

– 53 –

Jour de lessive C’était une rude tâche pour les dames car, hiver comme été, cela se passait principalement dehors, autour de la fon« à la main », sans l’aide d’aucune machine, jusqu’au jour où nous avons installé une essoreuse qui tournait propulsée par un jet d’eau sous pression. Autant qu’il m’en souvienne, la grande lessive, celle qui concernait les draps de lin, les salopettes, les linges de cuisine, etc. intervenait toutes les quatre ou six semaines.

Le grand jour était placé sous le patronage d’une lessiveuse professionnelle, en l’occurrence Jenny Chatelan, une cousine de grand-maman, qui habitait Bretigny. Ses bras costauds nous impressionnaient car l’eau froide des bassins les rendaient bleus, et pourtant, malgré la dureté du métier, Jenny était toujours de bonne humeur et elle avait plein de bonnes histoires à raconter, dont quelques-unes assez crues.

Le linge passait par plusieurs étapes, dont je ne suis plus sûr de l’ordre d’entrée en scène : trempage, dégrossissage, cuite dans la chaudière de la chambre à lessive, égouttage sur le « trabetset » (table basse à claire-voie, formée de lattes espacées), étendage, pliage, repassage et rangement dans les armoires. inclinée dans la fontaine ; il se faisait à l’aide d’une brosse à risette ou par frottage à la main en utilisant soit du savon de Marseille soit de la soude, ou éventuellement des cendres. Nous n’utilisions pas de poudre à lessive, alors inconnue chez nous.

– 54 –

L’étendage était installé dans le jardin où une corde à lessive était suspendue à hauteur d’homme – ou plutôt de femme, – soutenue par des perches ou « cotes » croisées. À noter que les pinces à linge utilil’une des rares constantes, à ceci près qu’elles étaient toutes en bois.

Les draps, les serviettes portaient généralement le monogramme brodé partie du trousseau, soit de l’apport de l’épouse dans sa corbeille de mariage. À propos de corbeille de mariage, une coutume voulait, vers 1900, que l’épouse se fasse arracher les dents et rejoigne son époux avec des dentiers ou prothèses. Grand-maman Lina, victime d’une grave hémorragie, a subi cette pratique qui, j’imagine, avait pour but de supprimer le risque de grosses dépenses consécutives à de graves caries dentaires. Voilà un témoin de l’incroyable discrimination que subissaient les femmes.

– 55 –

Les « à-fonds » de printemps Aussi sûrement que Noël marque l’entrée dans le plein hiver, les temps. Comme nous ne connaissions pas les aspirateurs, mais seulement des balais et des brosses qu’il n’était pas aisé de glisser sous les meubles, une fois par année, nous sortions tout le mobilier des chambres, les unes après les autres, y compris les tableaux, les étagères et les tapis. Et dans ces espaces nus, du plancher au plafond en passant par les murs, à grands coups de brosse, de plumeau, de « panosse » poussière, remuaient les taches, « poutzaient » cuivres et bibelots, lustraient les linoléums, ciraient les parquets avant de les encaustiquer.

Les tapis étaient étendus sur le gazon ou sur le gravier et battus des les tapis pouvaient être déployés sur la neige qui absorbait la poussière aussi l’occasion de tourner les matelas des lits, voire de demander au matelassier de leur rendre de l’épaisseur en rajoutant du crin de cheval. À la même époque, les hommes rafraîchissaient aussi le « salon » des vaches en recrépissant à la chaux vive les murs de l’étable.

La boucherie À la saison morte, la boucherie, c’est l’événement, la fête, la célébration de l’hiver revenu …en tout cas pour les enfants de la ferme ; peut-être l’est-ce moins pour les dames qui vident et lavent les boyaux du cochon à peine « éterti ».

Commençons par le commencement. Année après année, nous engraissions deux cochons logés dans un sombre « boîton » situé sous l’aile nord de la ferme, dans le couloir conduisant à la cave des betteraves, en face de l’écurie aux veaux. Ils étaient nourris de lavures (déchets alimentaires et restes culinaires) recueillies dans un bidon placé sous l’évier de la cuisine. En été, ils consommaient aussi de – 56 –

l’herbe fraîche. Il incombait à maman de porter les lourds seaux chaque soir. Peut-être arrivait-il qu’ils restent à jeun le dimanche, car maman disait que c’était le jour de la semaine où ils mettaient la ligne de rouge dans leur lard.

Le grand-père Auguste était le maître boucher ou en patois le « tsacaïon », littéralement le « tue cochon », celui qui sait découper les morceaux sur la bête, trier les parties qui conviennent le mieux pour les jambons, les côtelettes, la saucisse à rôtir, les saucissons, les saucisses aux choux, les salaisons. C’était encore lui qui, l’après-midi, épices en quelles quantités convenaient pour chacune des préparations. Il allait « bouchoyer » également chez cousin Ami, oncle Aimé et tante Julie au Chalet Curial et chez les Cottier à Cheseaux.

De bon matin, la cour était parée de divers accessoires, ustensiles et outils : une baignoire en bois ou « mé » pour laver les porcs une fois « étertis », un « trabetset » en guise de table d’opération ou plutôt de dissection, un « corbeillon » pour recueillir les boyaux, des boîtes ou racloirs pour épiler les bestioles, des couteaux bien aiguisés au « stahl » pour la découpe, une poêle pour recueillir le sang, des choux blancs cuits et hachés pour la saucisse aux choux.

Alors, tout était prêt pour la première et dernière sortie à l’air libre des condamnés à mort.

Le premier se laissait généralement conduire sans histoire jusqu’à l’échafaud. Le second, alerté sans doute par la plainte de son contemporain, était souvent plus réfractaire et il fallait le pousser et le tirer avec une corde nouée autour de l’une de ses jambes.

En guise de guillotine, on utilisait un « masque », soit un outil en forme de marteau que le bourreau (Auguste) posait sur le crâne de la victime. À ses côtés, l’assistant (Ernest) avec un maillet frappait sur l’outil, plus précisément sur la cheville mobile à l’intérieur – 57 –

du marteau, soit le percuteur qui était censé, d’un seul coup, Mais il n’était pas rare qu’il faille répéter l’opération, ce qui ame«siclant » à museau déployé.

Les opérations se déroulaient dans l’ordre suivant : mise à mort ou, en langage du coin, « étertissement », saignée au cou de l’animal et recueil du sang dans une poêle pour la préparation du boudin, bain à l’eau bouillante dans la « mé » ou baignoire à cochons, lavage du porc, épilation et manu-pédicure, portage sur le « trabetset », découpe de la carcasse, dépose des intestins utilisés comme enveloppes des saucisses après vidage et lavage, sauvegarde des nombrils ou « bourillons » conservés pour graisser les scies, mise de côté des vessies utilisables comme Disons ici que chez le cochon tout est bon, tout est utile et rien ou presque n’est perdu. Les poumons étaient les seuls organes que nous jetions sur la courtine, autrement dit sur le fumier. Quant à la queue, nous la gardions pour la déposer dans la blouse du régent, qui était ainsi averti que la boucherie avait eu lieu et qu’il pouvait s’attendre à recevoir sous peu un bout de saucisse à rôtir. La tâche la plus ingrate, parce que sale, puante et disons-le dégoûtante, consistait à laver les boyaux. Elle incombait à grand-maman Lina et à tante Lucette. Ces dames se plaçaient à proximité de la fumière (ou fumier) sur un tabouret. En versant (avec un pot) de l’eau bouillante à l’aide d’un osier plié eu deux, et qui formait une pince qu’elles faisaient glisser le long du boyau. Un bon rinçage garantissait une propreté impeccable.

– 58 –

La boucherie était une fête pour certains, mais pas pour tout le monde. Oncle Gustave prenait congé de son bureau et ne voulait manquer ce jour pour rien au monde, alors que tante Mathilde, à l’époque où elle habitait la Bérallaz, s’enfuyait loin à la ronde, ne supportant pas l’odeur suave de la viande fraîche.

L’après-midi était consacré à la fabrication, c’est-à-dire à la poussée des viandes dans les boyaux, en partie achetés aux abattoirs de Lausanne, en partie récupérés sur les porcs tués le matin. Ça se passait à la forge. Dans la baignoire utilisée comme pétrissoire ou pétrin, grand-papa préparait le mélange d’épices et les diverses espèces de à rôtir. Elle était poussée par la machine de remplissage dans un long boyau que l’on enroulait comme un serpent ou coquille d’escargot sur une planche ronde à manche appelée « foncet ». Les boyaux du porc les plus gros étaient coupés en sections d’une vingtaine de centimètres et utilisés pour le saucisson alors que son grand frère, le boutefas, héritait du trapu caecum. La saucisse aux choux se logeait dans les boyaux de diamètre moyen et de plus grande longueur, mais pliés en boucle ; une un bâton dans le fumoir. La machine de remplissage, en fonte, était un cylindre d’une vingtaine de centimètres de diamètre, un peu plus haute que large, dans lequel un piston actionné par une manivelle poussait la

Les saucisses aux choux et les saucissons étaient alors attachés à des bâtons et transportés dans le fumoir où ils étaient suspendus à côté des plaques de lard. Le fumage durait plusieurs jours au-dessus d’un feu doux qui dégageait plus de fumée que de

– 59 –

quartiers du porc (jambons, joues, museau, pieds ou « piotons » étaient mis à la saumure, c’est-à-dire trempés dans un bain d’eau salée dans une cuve de bois à la cave.

Le jour de la boucherie, à midi comme le soir, nous savions d’avance quels seraient les menus. Rituellement, à midi, la cuisinière servait du sang ou boudin apprêté avec des oignons, un plat que personnellement je n’aimais pas. Il y avait aussi de la « fricassée », c’est-à-dire des vertèbres (ou sections de la colonne vertébrale que nous appelions « rîte ») auxquelles un peu de viande restait attachée. Boudin et fricassée étaient accompagnés de pommes de terre au lait. Le soir, le repas se hissait au rang de « ressat » car c’était un festin de gala : saucisse à rôtir, côtelettes et pâtes sous la forme de cornettes. Grand-papa, c’était le seul, était aussi amateur de cervelle ; peut-être qu’il y avait aussi du foie.

Les invitations d’après boucherie En hiver, hommes et femmes disposaient de davantage de temps pour en consacrer une portion à la convivialité et à l’entretien des amitiés. Et puis, il y avait abondance de bons morceaux gracieusement mis à disposition par nos porcs, donc amplement de quoi régaler les ancien juge, et Madame, parfois accompagnés de l’un ou l’autre de theron, et Madame ; les frères et soeurs Albert et Hélène, Fernand et Berthe Cottier-Bussy, amis libristes de Cheseaux. Une fois, grand-maman a invité tous ensemble ses cousins Reymond de Pully, la branche des intellectuels de la famille, côté maternel ; ils étaient juristes, médecins ou dentistes et ont été pendant des décennies approvisionnés en pommes de terre de la Bérallaz. Raymond et moi avions des sentiments et des comportements ambigus face à ces visiteurs : d’un côté, ils mettaient de la diversité et de l’originalité dans la conversation, mais, d’un autre côté, leurs nouvelles n’étaient guère passionnantes pour les enfants. Alors, pour attirer l’attention, nous nous retrouvions parfois à jouer sous la table, tentés de détacher les souliers de l’un ou – 60 –

de l’autre, ou de secouer la table ou les chaises. Je me souviens du 25 janvier 1946, car pendant le repas les meubles et les plats se sont mis à trembler et la vaisselle à tinter dans les armoires. Tout naturellement, nos parents ont cru que la turbulence de leur progéniture était à l’origine de ce trouble. Ce n’est que quelques heures plus tard, au bulletin de dix heures et demie de l’Agence télégraphique suisse, que nous avons appris qu’un tremblement de terre avait fait de sérieux dégâts, en Valais particulièrement. Avec une magnitude de 6,1 sur l’échelle de Richter, c’est le séisme le plus violent enregistré dans les Alpes au XXe siècle.

La visite aux petits renards Au printemps, disons au oncle Gaston nous conduisait, Raymond et moi, dans le bois de Cugy à la découverte de la nouvelle nichée de renards. Arrivés sur place à pas feutrés, nous repérions l’endroit des terriers, cherchant plus précisément ceux qui étaient occupés : à l’entrée de leurs trous, la terre apparaissait fraîchement remuée avec des traces de pas. À une dizaine de mètres, nous nous couchions à plat ventre, dissimulés si possible derrière un petit sapin. Et là, immobiles et muets, nous attendions l’apparition des artistes. Ils avaient bien l’air d’acrobates ces charmants renardeaux ; comme des enfants, ils s’amusaient à se taquiner en se poussant, en se dressant, en se frottant les uns contre les autres. Avec leur pelage qu’on imaginait tout doux, leur joli museau pointu et leur queue empanachée, on aurait voulu les serrer contre notre poitrine et pourquoi pas les embrasser. Nous restions silencieux, attentifs à les observer jusqu’à ce que la nuit tombante nous engage à regagner notre logis, comme eux leur tanière.

– 61 –

Après la visite aux renards, il arrivait que nous allions aussi donner un coup d’oeil au terrier des blaireaux au bas de Rueyres, dans le talus bordant la rivière Latigny. Nous connaissions leur logis, mais nous n’en avons jamais vus devant leur demeure. Il faut dire qu’ils ne sortent que la nuit, aussi est-il arrivé que papa en voie dans le faisceau des phares de sa voiture en montant la côte de la Bérallaz.

C’est joli tout plein un jeune renard qui joue devant son terrier.

Mais il arrivait que notre maman maudisse cet animal quand elle découvrait, un beau matin, que le goupil était passé pendant la nuit et avait égorgé plusieurs de ses plus belles pondeuses. Si, la veille elle avait oublié de fermer le poulailler ou de tirer le guichet, elle prenait sur elle une part de la responsabilité, mais la perte n’en était pas moins pesante ; c’était des oeufs qui allaient manquer pour longtemps, et des poules qui bouchées à la reine.

Une autre menace planait sur les poules et plus encore sur les poussins. C’était l’épervier que paradoxalement nous nommions « bon oiseau » et qui parfois tournoyait au-dessus de nos volailles en liberté extra-muros. Le poulailler était entouré de treillis, mais n’avait d’autre toit que deux gros poiriers de « poires à botzi » que l’on consommait volontiers cuites pour accompagner une viande. venir sous la lame de la serpe de Maillard. Ainsi, avant la poule au pot, il y avait la poule au plot. Les poules de réforme (les plus âgées, celles guillotinées. Le bourreau les empoignait par les pattes, les faisait touril posait leur cou sur le plot à couper le bois et d’un sec coup de serpe leur tranchait la gorge. Il arrivait que la « dzenelye » s’envole pour une – 62 –

ultime et dernière fois, propulsée à l’insu du détenteur par la rupture de ses nerfs. Elle passait ensuite dans la casserole pour être consommée à la mode Henri IV avec du riz ou bien elle constituait le principal ingrédient de la farce des vol-au-vent.

On mène le fumier Au printemps, le tas de fumier – ou la « courtine » – est à son apogée. Il est de coutume de dire que le volume du fumier indique le niveau de fortune de l’agriculteur ; on en déduira que le printemps est la saison de la richesse maximale. D’un paysan riche, on dit aussi qu’il a du foin dans les bottes. En mars, la courtine est si haute que la planche sur laquelle il faut pousser la brouette est des plus vertigineuses. C’est aussi le temps où il faut enrichir le sol avant de planter les pommes de terre.

Pour conduire au champ le précieux engrais naturel, on utilise un « char à panière » qu’on place le long de la courtine. Selon le « Dictionnaire du patois vaudois », imprimerie Campiche, Oron, 2006, un char à panière est un char à pont étroit, muni de deux planches latérales pour le transport du fumier.

On attaque le tas comme une tèche de foin, par tranche, que l’on sépare verticalement de la masse avec un outil spécial muni d’un tranchoir en son extrémité et d’un marche-pied sur lequel on appuie. Puis, avec une fourche à 3 ou 4 berles métalliques, on soulève couche après couche le fumier que l’on dépose sur le char. D’abord posée sur toute la largeur du pont, la charretée s’élève par couches sucd’une pyramide tronquée.

– 63 –

lisse la cargaison à l’aide d’une « tapiâre » ou grosse spatule taillée dans un « couenneau » large à une extrémité et aminci à l’autre, en forme de manche. Le « couenneau » est la partie extérieure d’une bille de sapin, la première débitée à la scie ; l’un de ses côtés est brut avec des restes d’écorce et des noeuds, et l’autre est lisse. On s’en sert pour garnir les parois des « carnotsets » et, autrefois, on les brûlait dans les fours à pain.

Au champ, le charroi est distribué en tas espacés de 5 à 6 mètres, tirés du char vers le sol à l’aide d’une « crouillette » ou trident courbe. fourche pour éparpiller le fumier aussi également que possible sur la surface à labourer ; ceci jusqu’au jour où quelqu’un a eu la bonne idée d’utiliser le tourniquet de la machine à arracher les pommes de terre pour répandre le fumier préalablement déchargé en lignes.

Les travaux d’automne En octobre, les élèves avaient 3 semaines de vacances dites « des pommes de terre ». Nous en cultivions d’assez grandes surfaces car il en fallait pour le marché et aussi pour ravitailler une clientèle privée constituée par les cousins Reymond de Pully et les amis des parents et grands-parents. Nous utilisions une arracheuse à pommes de terre à tourniquet, qui les dégageait du sillon et les répandait sur le sol. Il s’agissait alors de les ramasser dans un « corbeillon » d’osier que l’on versait ensuite dans des sacs de jute de 50 kg. À l’entame du champ, nous procédions à l’arrachage avec un croc ou fossoir.

– 64 –

Les belles grosses pommes de terre étaient vendues pour la consommation humaine, soit livrées au marché, ou chez les primeurs, soit portées en sacs dans la cave des acheteurs habituels ; les petites d’abord cuites dans une étuveuse ambulante que détenait la SVAV (Société vaudoise d’agriculture et de viticulture) qui passait de ferme bois. Une fois cuites, les pommes de terre étaient ensilées dans une fosse en béton d’où elles étaient resssorties à la pelle au fur et à mesure des besoins durant l’hiver.

Après la récolte des pommes de terre venait celle des betteraves fourragères ou « abondance » comme les dénommait grand-papa.

C’était de grosses betteraves que l’on arrachait à la main une à une en tirant sur les feuilles. Ensuite, avec un couteau, on les débarrassait de leur terre et on coupait les tiges avant de les amonceler en tas que l’on recouvrait de feuilles. Elles étaient chargées dans une caisse de dimenment agréé par l’autorité de contrôle des poids et mesures. Conduites à la Bérallaz jusqu’à la nuit tombée, elles étaient déchargées et portées à la cave derrière les boîtons aux cochons.

La betterave était l’élément le plus appétent du « léché », lequel était avec le foin l’une des ment des vaches pendant l’hiver, la période où l’herbe fraîche faisait défaut. Le « léché » était un mélange de paille hachée dénommée « fouétre », de farine de son et de chips de betterave.

– 65 –

Le « fouétre » était souvent préparé le samedi après-midi pour la semaine suivante. La paille était poussée dans la rigole du hache-paille, un engin muni de couteaux montés sur un grand volant actionné par une manivelle, et elle en ressortait coupée menu, en brins de 1 ou 2 cm. On la mélangeait à la pelle avec du son et avec la betterave préalablement râpée dans un coupe-racine. Dans la fourragère, il y avait deux bandes de nourriture que l’on préparait dans la matinée pour le repas du soir et du lendemain : d’un côté le foin et de l’autre le léché. Chaque vache recevait sa ration dans sa portion de crèche ouverte, sorte de guichet ou « borancle » qui glissait de côté avec l’odeur de l’étable, dégageait une senteur typique de la saison d’hiver ; je la retrouve avec plaisir à Sauvabelin à proximité de la fermette qui abrite deux ou trois vaches de la race rhétique. À part les pommes de terre et les betteraves, à l’automne, nous ramenions aussi des champs : les carottes rouges ou betteraves à salade, les raves et navets, les carottes nantaises et les céleris, soit les légumes dits de garde, que l’on conservait en cave.

Et il y avait aussi des fruits : pommes, poires et coings, dont nous avions de nombreuses espèces. Les beaux fruits sains étaient conservés en caisses ou « cageots » d’une trentaine de kilos stockés à la cave neuve, au nord de la ferme. Nous avions alors plusieurs vergers : celui du pré à côté du home d’enfants et de la villa « Sans Souci », celui de « La Frène », ainsi nommé peut-être à cause d’une ancienne demeure habitée par une certaine Vreni, selon les dires de tante Mathilde.

Les variétés de pommes dont je me souviens étaient la Boskoop, la – 66 –

Reinette grise, la Calville de Danzig, la Gravenstein, la Jacques Lebel et l’Ontario, sans oublier les Pommes Douces que l’on consommait cuites avec du lard. Les poiriers, en ce temps-là, étaient souvent très hauts ; ils donnaient des poires Curé, des poires Golliard, des Louise Bonne, des Beurré Hardi, et bien sûr des poires à Botzi ainsi qu’une espèce de petites poires acidulées que l’on utilisait pour le cidre. Les en cidre. Nous avions notre propre pressoir, mais quand les quantités étaient si importantes qu’il convenait de conserver le jus de pomme en bonbonnes, nous allions broyer nos fruits chez Robert Bovey à Romanel qui disposait d’un grand pressoir hydraulique.

Une autre façon de tirer parti des fruits de seconde qualité était de Pour transformer en raisinée onctueuse ou vin cuit un plein chaudron de jus de pomme et poire, il faut alimenter le feu pendant une journée entière et une bonne partie de la nuit. Le moment fatidique est celui où le liquide s’épaissit pour devenir une sorte de mélasse. Grand-maman jugeait de la consistance du produit en étalant du doigt une goutte de la mixture dans une sous-tasse. Celle-ci ne devait être ni trop claire, ni trop épaisse et ne pas avoir un goût de « brûlon ». Pendant la guerre, tant des morceaux de pommes et/ou de poire à la raisinée ; c’était la « cougnarde » dont le nom a pour origine une gelée de coing.

Les vendanges à Savuit d’après-midi, tombait un rendez-vous incontournable et très prisé des grands et des petits. Nous étions invités à aller grappiller à Savuit chez les Borgognon, une famille liée à la nôtre depuis 3 générations. Le cordon ombilical viti-vinicole avait été noué par tante Mathilde qui avait logé chez les Borgognon alors qu’elle était institutrice au collège de Savuit, juste à côté, vers 1930. Il était convenu qu’après avoir joué aux étourneaux dans les vignes, nous resterions pour le souper. Aussi, – 67 –

comme il fallait des paniers pour ramener les grappes de raisins – et bien sûr il n’était pas question de faire le trajet à vide – nous avions pourvu nos corbeilles en farine, saucissons, fruits et légumes, qu’un paysan produit en abondance, alors qu’ils font souvent défaut ou sont plus rares chez un vigneron.

En ce temps-là, nulle caissette jaune en plastique ne déparait le vignoble. Les vendangeuses coupaient les grappes avec un petit sécateur, les déposaient dans un panier en osier qu’elles vidaient dans des brantes ou gerles, espèce de hotte vigneronne à bretelles pouvant contenir 50-70 kg de raisins et de moût que le brantard transportait sur son dos jusqu’à la bossette ou tine posée sur un char. Autant dire que les brantards étaient des gars costauds alors que la cueillette était avant une rangée de ceps, le brantard avait le droit de donner un baiser à la vendangeuse. Les patrons vignerons restaient à la cave pour réceptionner la vendange et la transvaser dans la cuve du pressoir. Une fois pleine, la cuvée était soumise à la pression d’un couvercle qui descenque poussait d’abord un homme seul, puis plusieurs. Après la cueillette à la vigne, les femmes se retrouvaient à la cuisine, les hommes et les garçons à la cave. Assis sur des chaises rustiques du genre de celles qu’utilisent les vachers, nous buvions une bouteille de « Bolette » de l’année précédente dans un seul verre de type gobelet que nous nous passions de l’un à l’autre en tournant dans le sens des aiguilles de la montre. Et, de temps en temps, suivant le débit du pressoir, l’un des cavistes redonnait une poussée ou deux à la palanche. Comme – 68 –

nous nous « goinfrions » de bons raisins mûrs et dorés, nous attrapions souvent la diarrhée que nous dénommions « courante » ou « grande suzanne ». Pour les enfants de l’arrière-pays, ces escapades vigneronnes avaient un attrait supplémentaire fourni par le passage des trains sur les lignes du Simplon et de Berne. la locomotive et ses wagons entre la halte de Bossière et le pont du Daley.

La piquette Dans le langage courant, la piquette est un vin médiocre, voire mauvais. Dans le Pays de Vaud et chez les Janin de la Bérallaz, pendant la première moitié du XXe siècle, il s’agissait d’une boisson originale. Relativement peu alcoolique et très désaltérante, c’était la boisson destinée prioritairement aux domestiques, – nom que nous donnions aux valets de ferme, – et appréciée de tout un chacun de sexe masculin, en été, quand il faisait chaud. À propos du terme « domestique », disons que la terminologie évolue et qu’un mot tout à fait convenable à un moment donné peut prendre un sens péjoratif quelques décennies plus tard. Ainsi, les annonces libellées : On cherche domestique de campagne sachant traire et faucher, que nous mettions dans le journal, étaient à l’époque politiquement correctes. Nos aides de ménage étaient appemande et n’avaient que 15 à 16 ans. Personne n’y trouvait à redire.

On fabriquait notre piquette chaque année en faisant macérer quelques jours du marc de vigne dans un grand cuvier rempli d’eau.

Le marc, nous allions le chercher à Savuit chez Dionis et Gilbert – 69 –

Borgognon, sitôt après les vendanges. Nous ajoutions un certain pourcentage de sucre pour adoucir le breuvage et lui donner une teneur modérée en alcool. Quand il avait le goût recherché, on le mettait en tonneaux. Les premières semaines, la piquette était délicieuse, bien sucrée, puis, progressivement, elle fermentait et devenait plus acide pour se rapprocher du vinaigre au bout d’un an.

Les dames et les enfants ne buvaient pas de piquette, et pas ou peu C’était du jus de pomme augmenté de sucre et d’une poignée de riz qui macérait dans un petit tonneau aux douves très épaisses et cerclées. Le jus fermentait sous pression comme du champagne sans que le sucre ne se transforme en alcool. Nous le tirions au guillon, ou « boîte » (un robigiclait en faisant pschiiittt et la mousse était plus abondante que le jus.

C’était en quelque sorte le champagne des pauvres et nous y recourions dans les grandes occasions, par exemple au retour de la fête de Noël ou lorsque nous méritions une récompense.

Ruclon, ruisseau, déchetterie Il n’y a pas que le progrès technique qui ait bouleversé notre vie quotidienne. Lors de mes jeunes années, nous n’avions pas le souci de l’environnement. Il faut dire aussi que nos pratiques et nos équipements le sollicitaient beaucoup moins qu’aujourd’hui. En guise de déchetterie, nous ne connaissions que le fumier pour le déchet animal, le « ruclon » pour le végétal et le « ruisseau » , alias le remblai pour tout ce qui était solide, soit pierreux ou métallique. Le ruisseau, au propre comme au communes de Lausanne et de Cugy. Quand on fouillait le remblai, on découvrait des vélos, des poussettes, des tôles, des instruments électriques, des matelas de lits à ressorts, etc. ; aussi probablement des meubles anciens et de vieux objets, un rouet par exemple, qui auraient mérité d’être sauvés comme antiquités. Mais voilà, sur le moment, on ne sait pas trop bien ce qui va prendre de la valeur pécuniaire ou – 70 –

ce qui est utile ou précieux pour les uns n’est qu’encombrant et futile pour les autres.

Le Nouvel An C’était la mère de toutes les fêtes. Chez les libristes, Noël était une fête chrétienne, célébrée CHRETIENNEMENT, c’est-à-dire pieusement, sans jubilation, ni gloutonnerie et sans autre cadeau que le « cornet » que nous, les gosses, recevions au pied des sapins de Noël de l’église de Montheron et de la chapelle à Cheseaux. Ces cornets contenaient une orange, un bâton de chocolat, un biscôme et deux à trois cire, nous chantions des cantiques.

En revanche, la semaine suivante, le Nouvel An était célébré fastueusement. Cela commençait la veille, soit le soir de la Saint-Sylvestre.

Avec papa, nous préparions une caissette remplie d’avoine que nous allions puiser dans l’arche, à l’écurie des chevaux. Cette ration était destinée à l’âne du Bon Enfant, lequel allait, durant la nuit, apporter les cadeaux qu’il déposerait sur la table de la cuisine et que nous trouverions le matin au lever du jour.

Vers onze heures le matin de l’an, arrivaient les convives. Généralement, l’oncle Gustave, la tante Annie, les cousins Bernard et Michel formaient l’avant-garde. Gugu nous souhaitait ses voeux par une formule raccourcie : « Bonne et heureuse ! » Les autres délégations suivaient : Gaston et Lucette, tante Mathilde et oncle Alfred, tante Julie et oncle Aimé du Chalet Curial, oncle Armand le frère célibataire de Coppoz. Les hommes prenaient l’apéritif à la « petite chambre » alors que les femmes s’activaient à la cuisine. Raymond et moi, nous recevions l’« Almanach Pestalozzi », un agenda de poche publié par Pro Juventute, destiné à informer la jeunesse scolaire. Vers midi nous passions à table. Celle-ci s’était agrandie de plusieurs rallonges car nous étions une bonne vingtaine à l’entourer. Le repas était ouvert par une – 71 –

prière ou un chant qu’entonnait volontiers oncle Alfred, doté d’une basse somptueuse. À midi pile, à la radio, nous écoutions le discours du Président de la Confédération. Ce fut quatre fois entre 1942 et 1953 celui de Philippe Etter, dont on disait qu’il s’éternisait au gouvernement parce qu’il avait dix enfants à élever. Je ne me souviens pas du menu classique du banquet si ce n’est qu’il y avait une multitude de plats : jamla tourte. Les hommes et les enfants restaient assis, les femmes, souvent debout, tantôt à la cuisine, tantôt à la chambre s’occupaient du service.

Nous étions de vrais machos, sans nous en rendre compte d’ailleurs et sans que les dames ne se regimbent.

Après le dîner, vers les quatre heures, les hommes partaient faire le tour de Montheron, pour une promenade de digestion non sans un arrêt à l’auberge pour y boire un coup de vin de la ville de Lausanne, dont l’oncle Gustave avait la gérance des vignobles. De retour à la Bérallaz, nous nous remettions à table pour attaquer le souper. Autant dire que repos. Probablement que le soir c’était la saucisse à rôtir et les côtelettes qui avaient les honneurs du menu, avec force crèmes et desserts. En

– 72 –

soirée, Gaston et Lucette assistaient volontiers à la Revue qu’organisait musique et avec humour les événements de l’année écoulée.

Après la « bamboula » du Nouvel An, venait le 2 janvier, beaucoup plus tranquille, le seul jour de l’année véritablement férié pour papa.

Ce jour-là, il avait pour habitude de faire les comptes de la Bourse des pauvres dont il était le caissier. L’un des jours ouvrables suivants, il se rendait au Crédit foncier à la Place Chaudron pour y déposer des économies – si l’année achevée avait été prospère – et en tout cas pour y faire mettre à jour ses carnets d’épargne et les nôtres.

Entre Noël et le Nouvel An, nous étions invités à La Viannaz, dont la ferme nous en imposait tant elle était grande et moderne, vu qu’elle venait d’être reconstruite après un incendie. C’était une exploitation agricole et maraîchère où cohabitaient deux couples familiaux, ceux formés par deux soeurs, Louise et Eugénie, qui avaient épousé deux des frères de maman, Théodore et Emile. Eugénie et Emile étaient mes marraine et parrain. Nous étions reçus dans un salon fort spacieux, au premier étage. D’un côté, se trouvait la chambre du couple Emile et Eugénie et, de l’autre côté, celle de Théodore et Louise. Et au-dessus de la rampe d’escaliers se trouvait une « chambre de bain », commodité que nous n’avions pas encore à la Bérallaz dans mes toutes jeunes tempéraient toutes les pièces.

Au moment de la distribution des cadeaux, nous avions le privilège, mêlé de frousse, de nous trouver face à face avec le Bon Enfant qui ne se gênait pas de faire quelques commentaires sur notre conduite et nos démérites durant l’année écoulée. J’ai su plus tard que c’était oncle Armand qui était sollicité de revêtir une longue barbe et de jouer le rôle du Père Noël à la hotte.

Notre plus grand plaisir à nous, les enfants, c’était de jouer à cache-cache avec nos cousin et cousine Hervé et Jacqueline, dans la longue fourragère et sur les vastes étages de la grange où s’entassaient – 73 –

foin et paille. Nous nous y hissions en grimpant le long des montants de soutènement des étages supérieurs, dont les échelons nous

La montée du bois au bûcher Le potager de la cuisine et les fourneaux ou poêles à bois dans l’abattage des arbres en forêts ; une deuxième pendant les opérations de débitage en bûches ; et la troisième par le brûlage. Pour le bois de feu, l’essence préférée était le hêtre ou foyard. Il provenait de nos forêts des Fayules sur la commune de Bretigny et de celle du Prazdoguet au bord du Talent sur la commune de Cugy. Les arbres étaient abattus en hiver avec une longue scie à deux mains, tantôt poussée, tantôt tirée par deux hommes « à croupeton », en face l’un de l’autre ; ensuite, la bille était débitée en rondins d’un mètre de long et fendue par écartèlement à l’aide d’un coin métallique enfoncé à coups de maillet ; les bûches obtenues étaient alors entassées en volumes d’un mètre cube ou stère ou de quatre mètres cubes ou moule. Par luge en hiver ou par char, les bûches étaient alors amenées dans la cour de la Bérallaz où elles restaient entassées le long de la balustrade du jardin. Ensuite, au moyen de la scie à ruban, les longues bûches étaient réduites en portions d’une trentaine de centimètres de long qu’il fallait ultérieurement fendre en bûchettes à l’aide d’une hache sur un plot. À ce stade, intervenait un tri entre les jolies bûches régudureté de tête et de caractère que l’on attribuait à nos cousins germains à l’époque de Guillaume II puis de Hitler. Ces grosses bûches dans le fourneau de la « grande chambre », soit le salon où se tenait grand-maman Lina du matin au soir. Le bûchage du bois était une opération d’« entre deux », une occupation pouvant se glisser entre – 74 –

d’autres travaux plus urgents ou saisonniers. Quand il faisait de « la bargagne », c’est-à-dire mauvais temps, on disait à nos employés : c’est un jour pour faire des fascines ou couper du bois.

Vers le milieu de l’été, entre foin et moisson, les bûchettes sèches pour être transportées au bûcher. C’est là que les enfants entraient en scène. Il fallait remplir les corbeilles en osier de bûchettes, les porter au travers de la cour jusqu’à l’aile nord du rural, d’où elles étaient hissées sur la galerie au moyen d’une « quetelle », sorte de palan constitué de deux crochets attachés à une corde qui pivotait autour d’une roue suspendue au bord du toit. De là, les corbeilles étaient saisies et vidées sur le tas du bûcher qui nous approvisionnerait en bois au fur et à mesure des besoins tout au long de l’année. Il y a lieu de rappeler ici qu’une rampe d’escaliers accolée à la paroi conduisait à une galerie et à la chambre qu’occupait Maillard. Sous cette rampe d’escaliers, un clapier hébergeait une demi-douzaine de lapins dont les enfants devaient sortir le fumier et rafraîchir la litière le samedi après-midi.

La fête de Pâques à Coppoz Si nous célébrions Noël à La Bérallaz, entre nous, dans une belle simplicité chrétienne, nous fêtions chaque année Pâques en tribu et avec faste à Coppoz. Tous les descendants d’Oscar et de Bertha Menétrey-Fleury s’y trouvaient réunis. Cela commençait dans la cour, sous les platanes. Oncle Marcel, le frère aîné de maman, avait sorti le petit – 75 –

harmonium portatif et jouait des airs entraînants et rythmés. Les Menétrey de Vevey nous impressionnaient beaucoup, peut-être parce que nous ne les rencontrions qu’une fois par année ; nos cousins Gérald et Yvan étaient plus âgés, tante Irène nous intimidait, ils avaient l’air d’appartenir à une autre classe sociale que la nôtre. C’étaient des citadins, qui pratiquaient le ski et qui en mars-avril étaient déjà tout bronzés, car ils revenaient généralement d’un séjour à la montagne. Nous étions admiratifs vis-à-vis d’oncle Marcel car il était musicien, avait été organiste à l’église du Mont, pilote militaire à l’époque des pionniers de l’aviation dans les et était directeur de la SVAV (Société vaudoise d’agriculture et de viticulture). Il avait une autorité naturelle, une âme de chef, savait entraîner les jeunes et c’est forcément sous sa conduite qu’avait lieu la partie de cache-cache aux oeufs. Dès que tout le monde attendu était présent, Marcel partait en courant derrière la maison, suivi de la ribambelle des enfants de 2 à 20 ans. Il portait un grand panier que grand-maman Bertha avait rempli d’oeufs multicolores et là, il nous intimait l’ordre de nous mettre à couvert dans la grange ou dans la mine pendant que lui-même, avec l’un ou l’autre de ses assistants, les piles de bois, murs, broussailles, outils qui occupaient l’espace dit de la « petite montagne », d’ailleurs partiellement couverte d’une forêt de pins. Quand la découverte devenait par trop laborieuse, il nous orientait en précisant : « froid, tiède, chaud, brûlant … ». À tour midi, tout ce petit monde rejoignait celui des adultes à la cuisine ou dans la grande chambre pour écouter oncle Armand jouer un sée d’oeufs » dans la « chambre noire », vaste pièce ainsi dénommée car elle n’avait pas de fenêtre. Pointu contre pointu, cul contre cul, – 76 –

chacune et chacun éprouvaient la dureté de son oeuf en le croquant contre celui de son voisin ou de sa voisine. Les fruits de la ser à moins qu’un malin tricheur se soit approprié un « niau » ou œuf factice en porcelaine. Il arrivait aussi qu’on glisse le pouce en guise de bouclier protecteur entre son oeuf et celui de son adversaire. Pour accompagner les oeufs, la salade aux dents de lion à la mode de Coppoz était hachée

Visite à cousine Berthe de Château-d’Œx Auguste – et demi-soeur de cousin Ami. Elle avait épousé Henri Lenoir au lieu-dit « Le Grand Pré » à Château-d’Œx. C’était une cousine très prisée de papa et de tante Lucette, ainsi que des enfants en général, car elle était très accueillante et passionnante conteuse d’histoires. Dans sa grande chambre, il y avait une balançoire suspendue au plafond, c’est dire si elle était attentive aux envies des gosses.

Nous lui rendions visite en tout cas une fois par an, en été. Nous y allions pour le dîner, par Aigle et le col des Mosses, et nous rentrions le soir par le canton de Fribourg, Montbovon, Bulle et Oron.

Vers 1950, notre Peugeot 402 BL était obligée de reculer et manœuvrer pour prendre les virages en épingle à cheveux les plus serrés au-dessus d’Aigle. Assez souvent, surtout si le grand-père Auguste nous accompagnait, nous nous arrêtions au café de la Poste à la Comballaz dont le tenancier, un Huber, était un ami de service militaire d’Auguste à qui il achetait parfois une génisse, car il était à la fois cafetier et paysan. Une fois, papa et Raymond, probablement avant 1950, s’y sont même rendus – 77 –

à vélo ; ils avaient alors pique-niqué entre Aigle et Roche où il y avait une fabrique de ciment. Sitôt après-guerre, le canton de Fribourg était en retard économiquement et avait une réputation de région arriérée. Ses routes, non encore goudronnées pour la plupart, avaient de nombreux « nids de poules » et on prétendait que, passé le Pont du Pissot, entre La Tine et Montbovon et jusqu’à Saint-Martin, soit d’un bout à l’autre du canton de Fribourg, ça sentait « le pouné », c’est-à-dire le renfermé, le duction laitière et l’élevage porcin, dégageait des odeurs auxquelles les céréaliers vaudois étaient peu habitués. Ajoutons qu’en ces temps-là, les protestants que nous étions nous montrions sévères à l’égard des catholiques et des « dzozets » en particulier. Nous allions jusqu’à dire qu’ils incendie. Papa prétendait aussi qu’un pasteur lui avait dit que le seul venir de villages où un sapin sec était planté à côté de chaque maison, probablement destiné année après année à porter des roses de décoration en papier à l’occasion de fêtes religieuses ou profanes.

Nous aimions aller à Château-d’Œx ; cela procurait du dépaysement : d’abord, géographiquement, nous découvrions les Préalpes après avoir longé la Riviera vaudoise. Nous passions de la plaine avec son agriculture orientée vers les cultures, à la montagne vouée presque exclusigrandes maisons de maçonnerie se substituaient des chalets plus petits, en bois, aux toits de tavillons. Cet aspect alpestre était encore plus évident chez cousine Berthe, car son mari Henri était guide de montagne et, à l’entrée de leur demeure, étaient suspendus, bien en vue, une corde d’alpinisme et un piolet. Nous mangions dans la galerie, à l’entrée saucisson ; parfois nous avions des rebibes de l’Étivaz à l’apéritif. Cousin Henri nous impressionnait par sa belle stature, une noble tête surmontée d’une toison argentée, et un beau visage à la moustache bien taillée.

Sont demeurés légendaires son calme, sa bonne et lente diction avec un accent damounais, sa culture, ses propos de sage et sa qualité de – 78 –

guide de montagne. Malgré la distance, nous sommes restés attachés à ces cousins du Pays-d’Enhaut et à leur descendants, dont plusieurs sont venus visiter tante Lucette dans ses dernières années.

Mon intérêt pour le sport Plutôt sportif passif de salon qu’actif sur les stades. Encore que j’aie fait avec plaisir du football au Mont, au Châtaignier, avec ma classe vacances d’été. En foot, mon exploit le plus retentissant fut une commotion cérébrale qui me valut une semaine de convalescence après un choc consécutif à une plongée dans les pieds d’un avant, alors que j’étais gardien de but. À vélo, mon entraînement journalier, au retour de l’école, consistait en un sprint dans le virage de Budron, en compétition avec les camarades de Bottens, Bretigny et Montheron. Pour ma scolarité au Mont, papa m’avait acheté un vélo neuf, de couleur rouge, ans, hiver comme été, les trajets à bicyclette, parfois même en brassant la neige ; prendre le bus était vexatoire.

Entre 1948 et 1955, la Suisse a compté deux des plus grands coureurs cyclistes de tous les queurs du Tour de France, respectivement en 1950 et 1951.

Pendant le Tour de France, surtout à l’occasion des étapes de montagne, j’étais « pendu » à la radio, à l’écoute des comptes rendus en direct et des commentaires exploits de nos héros et collectionner des photos, papa était chargé de m’acheter le journal français « Miroir Sprint » chaque mercredi et – 79 –

chaque samedi. En 1948 et 1949, le Tour de France a fait étape à Lausanne. À ces deux occasions, nous nous sommes rendus en famille à La Fontaine des Meules pour voir passer la caravane et les coureurs.

Même tante Mathilde était de la partie. En 1949, ce fut dramatique Grand St-Bernard, victime d’une dysenterie. Un peu plus tard, alors que ma présence était requise dans les champs au moment des foins ou des moissons, tante Lucette était chargée d’écouter les reportages à la radio et de me faire un rapport à mon retour à la maison.

Cette passion pour le cyclisme a eu des retombées d’ordre géographique ; elle a été déterminante pour le choix de mes premiers périples hors des frontières, comme accompagnant de tante Lucette et oncle Gaston. Le premier voyage nous a conduits à Briançon par les cols de l’Iseran, du Galibier et et de avant ou après eux) Bartali, Coppi et Bobet, s’étaient distingués. Le second voyage nous a menés à Venise en passant par les Dolomites et les cols de Costalunga, passé avec le maillot rose du futur vainqueur du tour d’Italie 1950.

Et l’étape majeure était à Cortina d’Ampezzo, la station qui avait accueilli les Jeux Olympiques d’hiver 1956, où Madeleine Berthod de Château-d’Oex avait gagné la médaille d’or en descente à ski et Renée Colliard de Genève celle d’or en slalom.

– 80 –

Le second sport qui me passionnait était le hockey sur glace, un jeu où les Suisses étaient assez brillants à ce moment-là. Nous avions eu les Jeux Olympiques d’hiver en 1948 à St-Moritz et notre équipe avait remporté la médaille de bronze derrière le Canada et la Tchécoslovaquie. En Suisse, dominaient alors les équipes de Davos et d’Arosa avec Bibi Torriani et les frères Cattini, Trepp et les frères Poltera. Lors d’un match Suisse-Tchécoslovaquie à la patinoire de Montchoisi à Lausanne, tante Lucette m’avait accompagné et nous avions vu évoluer la 1ère ligne d’attaque de Trepp et des frères Poltera. Lulu portait son manteau de fourrure en peaux de lapin, ce qui ne l’avait pas empêchée d’avoir froid aux pieds, car il y avait tant de monde que nous étions debout sur la glace, au pied des gradins.

Les phares qui m’ont guidé J’arrête là le récit détaillé de ma première tranche de vie. Non pas que mes riches heures se soient interrompues à ce stade. Mais la suite est moins personnelle, moins locale, ressemble davantage à la vie de tout un chacun et se voit davantage marquée par le développement général de notre environnement socio-économique. J’ai tenu à rendre compte – 81 –

de ma jeunesse pour témoigner de ma gratitude à mes parents et à mon entourage, et aussi pour décrire une existence à la campagne notableLes tranches de vie qui suivent, mon adolescence, mes années d’étude, ma vie familiale, ma carrière professionnelle, ma retraite, toutes regorgent de riches heures. Elles me poussent à dire que mon existence entière a été une bonne et heureuse vie qu’aucun drame n’est venu assombrir. Même les atteintes graves à ma santé, qui ont entraîné une série d’opérations délicates dès 1982, n’ont pas provoqué de traumatisme. Le souvenir que j’en ai est surtout dominé par les remarquables améliorations qui en ont résulté. Je ne peux qu’être reconnaissant d’avoir vécu dans la deuxième moitié du XXe siècle et d’avoir pu Aussi, en raccourci, il me tient à coeur de mentionner ici les personnes et les institutions à qui je suis particulièrement redevable. À commencer par mes parents qui ont été des exemples de droiture, de grand questionnement, de père et mère attentionnés, généreux, équitables, prévoyants, aimants.

Dans l’ordre chronologique, je cite au panthéon de mes bienfaiteurs : • mon instituteur à l’école primaire de Montheron, Jean Guignard, qui m’a avancé d’une année et préparé pour la prim.-sup. du Mont ; • mon maître de prim.-sup. Joseph Ziegenhagen qui m’a donné l’instruction de base et le goût de poursuivre des études au-delà du cycle élémentaire ; • permis d’accéder à des études d’économie au niveau de l’Université tout en élargissant ma culture générale, notamment en histoire et en littérature ; j’y ai aussi acquis de bonnes bases en allemand et en anglais ; – 82 –

• section de Cheseaux-Romanel, groupement où j’ai rencontré mon épouse, fait du théâtre et du cabaret, côtoyé pendant des années des poignées d’amis et amies aujourd’hui encore très chers ; • M. Félix Ansermoz, attaché culturel auprès de l’Ambassade de Suisse à Londres et son épouse née Dubois, qui m’ont introduit à la Swiss Mercantile School et accompagné tout au long de mon année de stage en Angleterre en 1958-59 ; • l’École des HEC, qui en plus de m’avoir fait connaître et apprécier le professeur Rieben, m’a fourni un bagage professionnel, m’a donné torat, m’a permis d’acquérir l’assurance nécessaire pour surmonter ma timidité et mon complexe d’infériorité d’enfant de la campagne • le professeur Rieben, qui d’ailleurs mérite une mention toute spéciale, car je lui dois non seulement mon premier poste de travail au au long de ma carrière. Il incarnait aussi l’exemple de réussite d’un que moi avant d’atteindre une notoriété internationale impressionpéenne et de l’importance de la participation de la Suisse à cet ambitieux objectif, conviction qui a fortement déterminé mon activité professionnelle ; • l’oncle Marcel Menétrey, alors encore directeur de la Société vaudoise d’agriculture et de viticulture, que je rencontrais souvent le samedi matin à son bureau, et qui m’a entretenu de l’histoire des coopératives agricoles en Suisse romande, fourni de la documentation et donné l’envie d’approfondir et d’actualiser ce sujet en rédigeant une thèse de doctorat sous la direction du professeur Rieben ;

– 83 –

• la Confédération européenne de l’agriculture (CEA) dont les Assemblées générales annuelles entre 1973 et 2002 m’ont fait découvrir, ainsi qu’à Anne, beaucoup de grandes villes et de fermes dans la plupart des pays européens, tout en me tenant au courant de la politique agricole dans les pays alentours.

• le Rotary Club de Lausanne-Ouest où j’ai rencontré des personnalités qui m’ont enrichi de leur culture, m’ont témoigné une grande amitié, fourni des occasions de collaborer à la mise sur pied d’actions de bienfaisance ainsi qu’à la rédaction de textes, qui m’ont, en un mot, donné un rôle et le sentiment d’être utile au moment où la retraite peut souvent priver les seniors de leur carte de visite ou de leur statut social reconnu.

• la poignée d’anciens collègues actifs dans la défense professionnelle et la politique agricole qui m’ont encouragé à rédiger mes convictions pro-européennes dans une publication qu’ils ont inspirée et dont ils ont assuré la traduction et favorisé la publication en 2013. À partir du moment où,

, je décide de déborder sur ma période

m’ont guidé et inspiré tout au long de ma vie d’adulte, je me dois de placer mon épouse Anne au fronton de mon panthéon. Elle a été de toujours et de tout temps à mes côtés, et, disons-le, aussi devant et derrière.

Notre totale convenance tient, je crois, à notre complémentarité. En voici quelques exemples : partir à la recherche d’un objet perdu en persévérant jusqu’à l’eurêka, réparer un instrument déglingué, voilà qui est l’un de ses forts, alors que rédiger une lettre de réclamation épineuse est plutôt de mon ressort. Respecter mois après mois l’échéance des ordres sur moi pour établir la déclaration d’impôt annuelle. Anticiper les évéd’en réduire les inconvénients, c’est le grand talent d’Anne, alors que moi, j’excelle dans la procrastination. Si j’ai un bon sens de l’orientapar ses sculptures et ses découpages un don artistique, une créativité que je n’ai pas. Daltonien, je dépends d’elle quand il s’agit d’assortir – 84 –

mes cravates aux chemises et vestons. Par contre, nous apprécions les mêmes musiques classiques et folkloriques, l’opéra, les pièces de théâtre, d’harmonie dit une sagesse populaire.

Au moment de conclure je me rends compte que mon récit fait une place à mon frère aîné Raymond, mais passe sous silence mes deux plus jeunes frères : Philippe et Gérard. Je ne l’ai bien sûr pas voulu et le constate avec étonnement. Cela tient au fait que mon texte relate ma tendre enfance et que, à ce stade précoce de l’existence, les années qui nous séparent, 4 1/2 avec Philippe, 7 avec Gérard, creusent des écarts non seulement de temps, mais de goût, d’intérêt, de jeu et de à s’en aller.

– 85 –

2e partie

La BĂŠrallaz, son histoire et ses habitants

À l’époque de l’Abbaye de Montheron La Bérallaz est un enfant de l’Abbaye de « Montheron », dénomination dérivée, selon F. de Gingins, de abbatia de monte rotundo, en relation avec une côte arrondie appelée la Roche du Mourguet, qui abrite l’ancien monastère au nord-est. (1)1

Photo 2016 du « Monte rotundo »

L’Abbaye de Montheron aujourd’hui

« Salle capitulaire de l’abbaye, état 1928 »

– 89 –

Maxime Reymond in « L’abbaye de Montheron », conteste cette origine. Il estime que Montheron est une déformation de Montenon.

(2) Pour Louis Levade, dans son dictionnaire de 1824, « Montherond » est dérivé de « Monasterium Telae Talent ou Tela. (3) Selon Berthold Van Muyden, l’évêque fondateur terres jusqu’alors couvertes de ronces et de buissons, et habitées par des vipères. » (4) L’abbaye de Grâce Dieu ou monastère de Théla, nom originel du en Bourgogne. Elle fut fondée entre 1135 et 1143 sous l’épiscopat de Gui de Merlen. Il lui donna des terres faisant partie du domaine l’Église de Lausanne. En 1147, Guillaume et Conon d’Ecublens donnèrent le lieu contigu à l’abbaye, qui va de la terre de Saint-Hippolyte à celle de Cugy, de Plannavy au Talent. C’est probablement, dit Maxime Reymond, l’origine du domaine de Plannavy, qui prendra le nom de Grange Neuve entre 1482 et 1542. (5) Ce sont les moines cisterciens qui ont créé les beaux vignobles du Dézaley et des Faverges ; ceux-ci furent défrichés par les religieux de Montheron, de Haut-Crêt et de Haute-Rive. Les Cisterciens vivaient essentiellement du travail de leurs mains et cherchaient de préférence les lieux déserts pour y fonder de nouveaux établissements.

Un document de 1349 (Montheron 227 AVL) acte la donation de la « Terre de Glatigny » faite à l’Abbaye de Thela par François et bois et terres situés au territoire de Glatigny près de la Grange de Plannavy. Il est aussi fait mention de la donation d’une rente annuelle à l’Abbaye par Dame Jeannette, mère des donateurs. (6) La seigneurie ecclésiastique de Montheron comprenait tout le territoire contigu à l’abbaye, limité au midi par les Raspes ou grands bois du Benenté et des Côtes, à l’orient par les bois du Jorat d’Echallens, au nord par les bois du et de la seigneurie de Bottens, et à – 90 –

AVL, Montheron 227, traduction

– 91 –

l’occident par les bois de Bretigny et de Cug y. L’abbé exerçait tous les droits de juridiction sauf l’exécution des criminels, qui appartenait à l’évêque. Les criminels conduits par le châtelain de l’abbaye étaient menés au ruisseau de Glatigny, limite du territoire de Lausanne et

Sous le régime bernois Après la conquête du Pays de Vaud par les Bernois en 1536, c’est à l’issue de longs pourparlers (petite et grande largitions en 1536 et 1548) que les magistrats de Lausanne obtinrent une partie des propriétés dont l’Évêque, le chapitre et les couvents avaient été dépouillés. En 1537, les hauts seigneurs bourgmestres et conseils de Lausanne accordèrent au prieur et aux religieux, qui avaient embrassé la réforme, la jouissance pleine et entière de leurs prébendes pendant la durée de leur vie. En 1539, les seigneurs de Lausanne invitèrent ceux des moines qui s’y trouvaient encore à quitter l’abbaye et à venir où ils vécurent d’une pension alimentaire qui leur fut payée partie en denrées et partie en argent. L’église et le couvent furent convertis en une cure du culte réformé dont le ministre fut nommé et salarié par la ville. Au bout de quelques années, cette cure fut réunie à celle de Morrens et l’église subsista comme annexe. Quant au couvent, il forma un domaine rural appelé la Grange de Montheron, abergée au sieur P. Banderet d’Yverdon. Le premier pasteur ou ministre de la nouvelle paroisse réformée de Morrens-Montheron fut Antoine Gilliard, moine converti. (7) Dans son dictionnaire géographique de la Suisse, le professeur grand-maman Lina) note que : « Peu de temps avant la Réforme, l’abbaye devenue commende papale fut donnée à un cardinal nommé Salviati, neveu du pape Léon X, et résidant à Rome, auquel passèrent

– 92 –

les revenus du couvent, ce qui réduisit ce dernier à un dénuement complet et ne contribua pas peu à disposer les religieux à accepter la Réforme ». (8) siècle, l’histoire de Montheron et de la Bérallaz reste, à ce jour pour moi, encore partiellement fragmentaire. Selon le chroniqueur combier Lucien Reymond, qui ne cite pas ses sources, le « Bien de Satigny » fut en 1552 abergé à Jaques Copin, ci-devant prieur de l’abbaye de Montheron, promu dans l’intervalle citoyen, puis plus tard Magistrat de Lausanne (9). Dans le Fonds d’archives de la commune de Lausanne un document de 1678 indique la « passation à clos et record à perpétuité, passée par la commune de Cugy en faveur de Dame Judith Rosset, veuve de feu Noble Jean-Louïs Loÿs Seigneur Maisonneur et Controlleur de Lausanne et Seigneur de Marnand, d’un pré situé rière Montheron, lieu-dit « En Lartigny », contenant 15 poses tant terre que pré.» (10) e

Ce document pourrait bien être le chaînon manquant entre la sécularisation de l’abbaye et l’appropriation de la Bérallaz par nos Rosset. Or, le dernier prieur de l’Abbaye a été Jaques Copin. Il est dès lors vraisemblable que Jean Coupin, bourgmestre de Lausanne entre 1629 et 1634, est pour le moins apparenté à l’abergataire de la terre de Latigny en 1552. De plus, selon le dictionnaire historique, polila généalogie de la famille Rosset comme «châtelain de Montheron ».

Ce D.-F. Rosset (1675-1762) est un descendant de Jean Rosset, Bourgmestre de Lausanne (1538-1592). (11) Ensuite, la liaison avec nos ancêtres Reymond-Capt acquéreurs de la Bérallaz en 1723 (voir pages suivantes) se fait par Jérémie Sterky 27 (dont j’ai une copie) atteste cette propriété. Un acte de 1696 fait état d’une demande par Jérémie Sterky de la cancellation par les Seigneurs de la ville d’un chemin traversant la possession de « La Beralle ». (12) – 93 –

– 94 –

Plan Melotte AVL C 347, 1722-1727

– 95 –

Dans ma documentation cadastrale, les mentions les plus anciennes précis du hameau de Montheron dessinés par Jean Philippe Rebeur en 1679. (13) Un plan cadastral Melotte (14), daté 1722-1727, fait apparaître un vaste domaine entre Talent et Glatigny appelé « A la Berala » et dont Hoirs de Monsieur Sterqui » contenant, semble-t-il, 81 poses 1/3 v 1/4, plus une seconde parcelle de 21 poses 2/3 et 1/8 à la même hoirie.

D’autres parcelles, plus réduites, sont attribuées aux Messieurs de la Ville au « Bois de la Râpa » pour 24 poses 1/6 ; un mas de terres et prés aux hoirs de Jean Baptiste Reymond pour 1/2 et Isaac et Pierre Rochat pour l’autre 1/2 ; une parcelle de 7 poses 2/3 à Bernard Combaz et une autre de 14 poses à Pierre Droguet.

Lausanne et ses campagnes, plan Jean Philippe Rebeur, 1679, territoire de Montheron

– 96 –

Les Reymond de la Vallée de Joux colonisent Montheron L’auteur chroniqueur combier Lucien Reymond, dans sa notice « La Vallée de Joux » publiée en 1887 (15) et dans l’hebdomadaire « Le conteur vaudois » (9) en 1868, révèle que, en 1723, deux membres d’une famille de Reymond, établie sur les bords du Lac de Joux, lieu-dit au dans le Jorat. Cet auteur, de même que Auguste Piguet indiquent que la population de la Vallée de Joux s’est considérablement développée e , début du XVIIe siècle. L’émigration vers la plaine devient alors massive. Elle est aussi accentuée par la fréquence des disettes comme celle, funeste, de 1709 en Suisse comme en France et un gel dévastateur en 1716 et 1717. Pas étonnant, dès lors, que nos colons Reymond et Capt achètent en 1723, d’une demoiselle Olonnelte-Salomé Sterky, la propriété de la Bérallaz appelée alors le « Bien de Latigny ».

C’est un domaine de 120 poses acquis avec le chédail et la récolte pour le prix de 7’000 francs anciens. (15) Jérémie Sterky, d’origine bernoise apparemment, né à Morges au milieu du XVIIe siècle, a étudié la théologie à Genève puis à Marburg et à Leiden et obtenu le grade de docteur en théologie à Francfort-surOder. De 1685 à 1702, il est professeur à l’Académie de Lausanne où il enseigne la philosophie puis la théologie. En 1703, il s’établit à Berlin où il est nommé premier pasteur de l’église réformée française. (16) À première vue, il peut paraître curieux qu’un professeur de théologie soit le propriétaire d’un vaste domaine agricole. Il faut dire qu’en ce temps-là, la pensée socio-économique dominante était celle des physiocrates. Les gens cultivés sont souvent les gens fortunés. Et il est de bon ton de placer sa fortune dans des biens agricoles, considérés alors comme la seule vraie richesse. Voir à ce sujet l’article que j’ai consacré à Jean Samuel de Loys, châtelain de Dorigny. (17)

– 97 –

Quarante ans plus tard, les mêmes circonstances se présentent. Les pionniers Jean Elie Catt, Abram Isaac Reymond, Sbastien Reymond, David Reymond et Benjamin Frederich Reymond, tous habitant la Bérallaz, élargissent substantiellement leur domaine. Ils acquièrent environ 50 poses en terre, prés et bois, à savoir « un challet dit à Marrain». La venderesse est ici également une dame de la bonne société puisqu’il s’agit de la « Noble et Vertueuse Dame Jeanne Françoise Gignillat, veuve de Noble George Polier, vivant colonel au Service de Sa Majesté le Roy d’Angleterre ». (18) Ce George Polier (1702-1752) est l’un des 24 enfants de Jean-Jacques de Polier, Seigneur de Bottens (1670-1747) et frère d’ Abraham Etienne Jacques ( Jacques Henri Etienne) de Polier, Seigneur de Bottens, aussi Conseiller de Lausanne (1700-1781). Il a passé sa vie de militaire au service de la France puis du duché de Hanovre. La famille des Polier a un temps cumulé les seigneuries de Bottens et de Vernand. (19) C’est dire que ce colonel, ou sa veuve n’ont sans doute jamais travaillé les terres du Chalet Marin et n’y ont peut-être même jamais séjourné.

Sous l’ancien régime, il n’y avait pas un droit unique de propriété sur une terre, mais une pluralité hiérarchisée de droits. Très vraisemblablement, le Sieur Serky, pas plus que la Vertueuse Dame Gignillat, n’ont été propriétaires-exploitants, mais tenanciers-rentiers d’un domaine travaillé probablement par des « grangiers » ou fermiers.

Entre 1710 et 1720, le registre paroissial de Morrens mentionne à la Bérallaz la présence d’une population originaire du baillage bernois de Schwarzenbourg. Ils ont noms : Schwaller, Turmach ou Turmak, Stoll.

Il n’en est plus fait mention après l’arrivée des Capt et Reymond ; on peut supposer qu’ils étaient les fermiers de Jérémie Sterky ?

Dans le Fonds Chavannes, la préface ouvrant la Rénovation des droitures sur Montheron en 1772 (20) donne aussi quelques renseignements sur cette période intermédiaire entre le début de l’époque de la domination bernoise et l’acquisition du domaine de la Bérallaz par nos ancêtres Reymond, soit entre 1536 et 1723 :

– 98 –

« Le canton de terrein qui forme aujourd’hui le territoire de Montheron était anciennement un grand domaine duquel la Noble Seigneurie en a détaché plusieurs mas, comme ceux de La Ramaz, de La Grange Neuve et une partie de La Bérallaz. … « Le deuxième de La Grange Neuve … est aujourd’hui possédé par 7 à 8 ménagers y habitant, ce qui forme un hameau assez considérable ; il fut abergé par la dite Seigneurie à David Tarin, le 2ème 9bre 1644 rins d’argent … « Le troisième, appelé La Bérallaz, dernièrement reconnue par Bénédict Liecti (Liechti) fut abergé par les dits très honorés Seigneurs de Lausanne à honnête Jaques Coupin, le 9e d’août 1552, sous la Cense de 30 sols. Il est aujourd’hui possédé par 5 ou 6 particuliers qui l’ont beaucoup fractionné, ce qui a nécessité d’égancer la dite cense sur chaque parcelle, pour la commodité du Seigneur et des Censitaires. » Rappelons que Jaques Copin était un moine défroqué du coin, puisqu’il a été le dernier prieur du couvent de Montheron.

Des Reymond de génération en génération D’après mes recherches aux Archives cantonales vaudoises dans les registres d’état civil de la paroisse de Morrens, les premiers « colons » combiers de la Bérallaz sont : Daniel Reymond et Jaques Daniel Capt (ou Catt).

Comment sont-ils arrivés là ? Il y avait déjà des Reymond à La Grange Neuve et à Bretigny. Étaient-ils apparentés ? Cela paraît proReymond et de Suzanne Reymond, le 16 juillet 1724, les parrains sont – 99 –

Jaques Capt et Jean Baptiste Reymond, tandis que les marraines sont Fraine Rochat, femme de Pierre Reymond, et Anne, femme d’Aaron Reymond. Or Fraine Rochat est l’épouse de Pierre Reymond résidant à La Grange Neuve, alors que Jean Batiste Reymond est son voisin propriétaire à ladite Grange Neuve. Quant à Anne, elle est l’épouse d’Aaron Reymond inscrit comme habitant « rière Montheron ». (21) Sur le plan cadastral Rebeur de Montheron portant la date de 1679 (12), trois maisons sont dessinées au lieu-dit la Bérallaz, qui correspondent par leur emplacement à celles appartenant aujourd’hui à Gérard Janin, à la famille Girard et au Home d’enfants. S’agissant de la propriété des terres, le plan Melotte (22), qui donne l’état des lieux avant l’arrivée des Capt et Reymond, montre un vaste domaine de La Bérallaz d’un seul tenant et d’une contenance de 102 poses appartenant aux hoirs de Monsieur Sterqui.

Sur le plus ancien plan d’une partie du domaine morcelé de la Bérallaz (23), il ressort que le ci-devant « Clos de Latigny », appelé actuellement « Clou », a été partagé en bandes parallèles entre les Hoirs de Daniel Reymond, d’une part et, par indivis, entre Aron Reymond et Jaques Daniel Capt, d’autre part. C’est comme si la répartition était de terres de même nature. Par ailleurs, ce souci d’équité et la propriété par indivis d’un Reymond et d’un Capt paraît indiquer une parenté entre ces deux familles. Des parcelles nettement plus réduites sont attribuées à Abram Isaac feu Daniel Reymond, du côté de l’actuelle pension, et trois autres encore plus restreintes, soit un pré à record à Benjamin feu Daniel Reymond, une chènevière à record à Aron Reymond, un lopin à Jean Elie feu Jaques Daniel Capt et une chènevière à Abel Reymond.

– 100 –

Plan du Clos de Latigny 1772

Le plan postérieur daté de 1772 (24) indique quelques changements de propriétaires et un morcellement de certaines parcelles. Apparaissent les noms de Sbastian et David feu Aron Reymond (à ne pas confondre avec son homonyme de Bretigny). L’hoirie de Daniel Reymond est pardemeure inchangé : Abraham Isaac « à la pension », Benjamin Frederich « au levant » et Jean Elie Capt « au couchant ».

Le plan Berney de 1827-1831(25) témoigne d’un regroupement des terres. Quatre parcelles en remplacent douze au toujours « Clos de Latigny ». Elles appartiennent, de haut en bas à : Jeanne Suzanne feu Jean Louis Capt et épouse de Jean Benjamin feu François Louis Reymond ;

Au niveau de l’habitat, une maison apparaît en face de « la penpension est propriété de Benjamin Frederich feu Jean Abram Reymond ; – 101 –

Abram Louis possède la moitié est de la ferme d’orient, François et Jean Louis Reymond, l’autre moitié et Jeanne Suzanne Capt, femme de Jean Abram Isaac), la ferme d’occident. Il y avait donc déjà une alliance entre « Béralliens ».

En 1825, daté du 11 juin, un acte en notre possession atteste d’un « Échange entre les frères Daniel et Abram Louis Reymond, domiciliés à la Bérallaz.» d’une part, et le Sieur Jean Benjamin Reymond, y mond, frère de Benjamin Frederich et époux de Jeanne Suzanne Capt.

Cet échange donne une répartition des terres du « Clos de Latigny » que connaîtront, un siècle plus tard Jules puis Ami Janin d’une part, Auguste puis Ernest Janin, d’autre part (voir Plan Berney 1827-1831).

Après le décès d’Ami Janin en 1969, son domaine sera vendu par ses héritiers Henri Janin et Hélène Dietiker-Janin : les terres à la ville de Lausanne, et la maison à un Pache, artisan, qui devra, faute de moyens associé de notre cousin Bernard Janin. Les Girard occupent toujours cet immeuble en 2017.

Abram Isaac et Benjamin Frederich ont fait souche et laissé une nombreuse descendance. Les Janin, par Lina Reymond notre grand-maman, sont issus de Benjamin Frederich. Ce qui frappe, c’est qu’on se marie entre combourgeois de la commune de l’Abbaye et du Chenit et même de préférence entre ressortissants du hameau du Bas-des-Bioux.

En attestent les alliances suivantes : Abram Isaac épouse Louise François Rochat ; Benjamin Frederich épouse Elisabeth Reymond de BretiMarguerite née Reymond, etc.

– 102 –

Une dynastie de régents Il est remarquable de noter aussi que, dans cette famille de paysans, il est de nombreux régents : Abram Isaac l’est à Montheron vers Abram Isaac junior l’est à Penthéréaz dans les années 1880-1890 ; son mond et oncle de Lina, a été instituteur à Vuibroye, entre autres lieux.

Et, dans la continuité, un cran au-dessus, il convient de mettre en évisin germain de ma grand-mère Lina, sera professeur de français, latin comme directeur de la Bibliothèque cantonale. Et puis tante Mathilde et tante Nelly seront institutrices après avoir suivi les cours de l’École d’Henri du café, enterré au cimetière de Montheron. Michel Janin,

Une autre vocation des familles Reymond à Montheron est celle de « Commissaire de police ». L’ont été : Jean Benjamin Reymond, François Reymond (vers 1862) et Alfred Reymond (notre voisin sous le même toit), tous les trois de la Bérallaz, ainsi que Jaques Samuel dit Louis Reymond de la Grange Neuve, entre les deux premiers, sans oublier Gérard Janin, le dernier commissaire, qui est descendant des Reymond par sa grand-mère. C’est dire que des Reymond ont souvent tion de « préfet bon à tout faire » de la commune de Lausanne dans ce territoire forain.

– 103 –

L’école au XVIIIe siècle En 1899, l’enquête Stapfer (26) révèle que 45 régents du canton, soit dont 16 sont ressortissants du Chenit. Dès lors, la description de la situation de l’école du Chenit doit être représentative de l’état général de l’enseignement primaire dans le canton. (27) Voici, en abrégé, les instructions du règlement des écoles de cette commune en 1737 : 1. Les régents devront se comporter en gens d’honneur et mener une vie chrétienne … être un exemple de piété et de modestie à leurs disciples ; ils chercheront à les rendre instruits et propres à toutes bonnes œuvres.

2. Les régents devront tenir l’école toute l’année …sauf le congé d’une semaine aux semailles et aux moissons. Ils commenceront les écoles environ les 9 heures du matin : apprendront aux petits et grands à prier Dieu nettement et à lire couramment ; leur feront apprendre les catéchismes par cœur ; leur apprendront aussi à écrire du mieux possible. Leur feront faire des thèmes. Leur apprendront aussi l’arithmétique et le chant des psaumes (même à quatre parties, à ceux qui en seront capables). Ils feront en été tous les samedis un catéchisme aux plus grands, en place de l’école l’après-midi. Dès la St-Martin, jusques à Pâques, ils en feront tous les matins, sans préjudice des écoles ordinaires… » Les enfants commencent à apprendre dans les abécédaires, puis s’exercent à la lecture des psaumes ; ils lisent ensuite dans le Nouveau Testament, l’Ancien étant réservé aux plus avancés. À l’ordinaire, et selon une vieille coutume, chaque écolier apporte en classe sa bûche journalière. Quant aux châtiments corporels, les régents y sont autorisés, mais avec prudence et modération, avec la verge seulement. Les rebelles méritant un plus grand châtiment sont dénoncés aux supérieurs.

– 104 –

Nous en savons peu sur la formation de nos régents. Sans doute étaient-ils des autodidactes. Nous n’avons pas la preuve que ceux de notre régentes fondé à Lausanne en 1757 dans le cadre des Écoles de charité. Ils sont souvent très jeunes, choisis parmi les meilleurs élèves et engagés dès du bailli, sur présentation du pasteur de la paroisse, après audition des postulants.

La loi du 28 mai 1806 sur l’instruction publique décréta la création d’un Institut pour les régents, qui ne vit cependant jamais le jour. Ce n’est d’État sur l’institution de l’École normale. Elle était réservée aux jeunes gens puis, trois ans plus tard, également aux maîtresses.

Dès 1676, un mandat souverain avait rendu l’école obligatoire, mais non gratuite. Chaque commune devait en ouvrir au moins une. En 1758 du gouvernement. Aucun adolescent ne peut être retiré de l’école avant qu’il ne sache lire correctement et réciter tout son catéchisme. Voilà pour l’intention.

Mais, selon l’enquête Stapfer, ces exigences sont peu respectées. À la campagne, la maison communale réserve rarement un local pour l’école ; les habitants des plus petites communes reçoivent à tour de rôle les écoliers chez eux. Près de 60% des classes ont plus de quarante élèves, parfois beaucoup plus, et de tous les âges ensemble. La fréquentation n’en est pas régulière, en été surtout.

La fonction était mal rémunérée, à la charge principalement des parents d’élèves qui apportaient leur contribution en nature plus qu’en espèces. Aussi, ces enseignants avaient-ils un ou plusieurs autres gagnepain. Un régent révélait-il des capacités spéciales, la commune en faisait un factotum : chantre et lecteur à l’église, secrétaire de sociétés, contrôleur de travaux, etc. (28)

– 105 –

Plus près de nous, à Vers-chez-les Blanc, hameau forain comme Montheron de la commune de Lausanne, un rapport de 1816 cite le témoignage suivant : « L’école se tient chez la veuve de l’ancien forestier Regamey ; dans le poêle [la chambre] de ménage où se rendent au moins 45 enfants, il y a un lit et quelques meubles ; cette chambre aurait besoin de reblanchir si la famille qui l’occupe pouvait se loger ailleurs pendant cette réparation.

Dans ce local, l’école est très souvent troublée et dérangée en hyver par la lequel en outre est attenant à la grange où l’on bat le blé une grande partie de l’hyver, soit pour la famille Regamey, soit pour les voisins, en sorte que ni le régent, ni les élèves ne peuvent bien souvent s’entendre. » (29) Et puis, il arrive que la politique s’en mêle. Une lettre de Monsieur Samson Vuilleumier du 7 juillet 1847 révèle la conclusion d’un examen auquel il a assisté comme expert à Payerne : « Il y avait dix aspirants. L’examen a duré deux jours pleins. D’après notre rapport, ceux qui devaient nommer auraient dû élire le premier mis en présentation, qui avait obtenu le plus grand nombre de succès, homme expérimenté, d’une conduite irréprochable, sincèrement pieux …Eh bien, on l’a laissé de côté, parce qu’il n’était que libéral, et on a nommé un candidat porté au quatrième rang … très inférieur à tous égards, mais bon …radical. » (30) Notre famille, par l’intermédiaire des Vaney de Cugy, a adhéré à l’Église libre fondée en 1847. Dans ce chapitre sur l’école, il convient de signaler que la loi sur l’instruction publique du 12. 11.1846, concernant les procédures de nomination des régents, stipule que : « Les aspirants, s’ils sont protestants, doivent déclarer qu’ils appartiennent à l’Église nationale garantie par la Constitution. » Les articles 256 et 262 précisent que : « Toute personne attachée à une branche quelconque de l’enseignement, qui fréquenterait les assemblées religieuses dissidentes en dehors de l’Église nationale, pourra être destituée… Les régentes, les sous-maîtres et les maîCe n’est qu’après l’adoption de la nouvelle constitution fédérale de 1874 que le Canton de Vaud abrogera cet ostracisme vis-à-vis des Libristes.

– 106 –

L’école à Montheron C’est grâce à l’enquête Stapfer (32) que nous avons des renseignements sur l’école de Montheron en 1799. Précisons que nous sommes alors sous le régime de la République helvétique après que le Pays de Vaud a été libéré des Bernois et placé sous l’autorité de Napoléon dans le Canton du Léman.

Montheron est provisoirement rattaché à la commune de Froideville.

L’école est fréquentée par 30 à 45 élèves. En hiver, il y a deux écoles par jour de deux heures chacune et en été une seule d’une durée variable suivant les élèves présents. Les branches enseignées sont : la lecture, l’écriture, l’arithmétique, la religion et le chant des psaumes. Les livres à disposition : « le testament, le catéchisme retouché, les psaumes, le recueil des passages ». Les enfants ne sont pas classés par degré, à l’exception des catéchumènes.

L’enquête précise que « la Beralaz contient cinq maisons, la Grange Neuve huit, la Rappe trois, le Chalet à Marin quatre, l’Abbaye de Montherond quatre, la Grange des Saugealles une », tous hameaux distants d’un quart d’heure.

Le régent est Jean Louis Vittoz de Froideville, âgé de 35 ans, en fonc16 ans par le ci-devant Conseil de Lausanne en suite d’un examen nominatif du ministre. Il aurait eu pour prédécesseur Gabriel François feu Jean François Clavel, régent à Éclagnens en 1799. Fonds scolaire : une pièce de 1 ¼ pose de champ sec et aride ; deux cents francs à la charge des pères de famille qui fournissent aussi un quarteron de blé et quatre baches par chaque enfant. [La bache, selon Bernard Gloor in « Langage des Vaudois », a plusieurs sens dont ceux de foin de marais ou de grand panier pour transporter la tourbe ou le charbon]. Le revenu du régent est estimé : « tout compris elle varie de quatre a six Louïs d’or neuf, que le Regent ne peu retirer d’une grande partie a cause de leur pauvreté, n’ayant aucun fond public. Et sest cette partie pauvre qui lui procure toujour le plus d’occupation. » – 107 –

Maison d’école ? « Point, & aucun Endroit propre pour faire LEcole etant obligé chaque jour, de faire une Heure de Chemin. par jour de faire Distraisent les Enfans, et sont en opposition avec les fonctions du Régent.

Dela il en resulte qui l’est tres urgent dy Construire un Baptiment, déstiné a Cet ûsage. » (33) L’attente sera longue. C’est en 1835 que le collège sera construit à la Râpe. (34). Ce bâtiment est un témoin historique important dans la mesure où il est une conséquence directe de la première loi vaudoise sur l’instruction publique, qui date de 1806, et qui charge chaque commune de fournir au régent une chambre pour tenir l’école et le bois nécessaire L’école de Montheron fait partie des cinq collèges forains de la commune de Lausanne construits entre 1831 et 1842. Les autres sont les collèges du Chalet-à-Gobet (1831), de Montblesson (1838), de Petit-Vennes en 1839 et celui de Vers-chez-les Blanc (1842)

Les relations de proximité L’examen de nos ascendances Reymond et Janin révèlent que la très c’est-à-dire entre habitants des villages de Bretigny, Cugy, Morrens et Montheron.

Cette proximité pouvait même se réduire à la distance d’une cour de ferme. Ce fut le cas pour les frères Jules et Auguste Janin qui en épousant les sœurs Hélène et Lina Reymond ne sont pas sortis du cercle de la Bérallaz. Un siècle plus tôt, un mariage avait déjà uni en 1810 deux ressortissants des fermes de la Bérallaz : celui de Jean Benjamin Reymond, Louis Capt.

– 108 –

Reymond de la Bérallaz.

Quel ne fut pas mon étonnement en découvrant que l’alliance mère d’Auguste, Louise Henriette Vaney de Cugy avait pour mère Anne Louise Reymond de la Bérallaz et pour grand-mère paternelle Jeanne Marguerite Reymond, elle aussi de la Bérallaz, déjà étroitement associée à cette féconde famille d’outre Latigny.

Des exemples de mariages intercommunaux entre homonymes de gny. À peine plus tard, en 1753, c’est Benjamin Frederich Reymond de la S’agissait-il de mariages d’amour ou de mariages de convenance, arrangés par les parents avec le souci d‘arrondir le domaine ou d’éviter On ne le saura jamais. Mais les indices abondent.

La Bérallaz, le 30.12.14

– 109 –

Ascendance de Lina Janin-Reymond

Bibliographie de La Bérallaz, son histoire et ses habitants (1)

F. de Gingins : Cartulaire de l’abbaye de Montheron, avant-propos, p. III, in Mémoires et Documents de la Société d’histoire de la Suisse romande, tome XII, Georges Bridel éditeur, Lausanne, 1854.

(2)

Maxime Reymond : « L’Abbaye de Montheron », Mémoires et documents… tome X, Georges Bridel, Lausanne, 1918, p.19.

(3)

Louis Levade : « Dictionnaire géographique, statistique et historique du canton de Vaud » Imprimerie des frères Blanchard, Lausanne, 1824, pp. 200 et 307.

(4)

Berthold Van Muyden : « Pages d’histoire lausannoise », Georges Bridel éditeur, Lausanne, 1911, p.122.

(5)

Maxime Reymond, op. cit. pp. 21 et 162.

(6)

Acte de donation de la « Terre de Glatigny », Archives de la Ville de Lausanne (AVL), sous Montheron 227.

(7)

F. de Gingins : « Cartulaire de l’Abbaye de Montheron », pp. I à VII de l’avant-propos in Cartulaires de la chartreuse d’Oujon, de l’abbaye de Hautcrêt, et de l’abbaye de Montheron, Georges Bridel, Lausanne,1854, dès p 387. Voir aussi : A. Ruchat et L. Vuillemin « Histoire de la Réformation de la Suisse », volume 5, Genève, 1728, p. 586 (chercher Jaques Copin + Montheron sur Google internet ou, directement : https ://books.google.ch/ books ?id=D10adh5DbF0C.

– 113 –

de la Suisse », tome 3, Victor Attinger, Neuchâtel, 1855, sous Montherond ou Montheron, p. 353. ( Chercher sous Google, dictionnairegogr02knap) (9)

Lucien Reymond : Colonisation du Jorat par les habitants de la Vallée de Joux, Le Conteur vaudois, volume 6, cahier 21,1868, p. 2. (Sur internet : e-periodica.ch et plus directement : http ://doi. org/10.5169/seals-179878) https ://www.e-periodica.ch/cntmng ?pid=cov-001 :1868 :6 : :75

(10) AVL, Corps de Ville EE 667, passation à clos et record entre la commune de Cugy et Judith Rosset d’un pré de 15 poses situé En Lartigny.

(11) David François Rosset, http ://gw.geneanet.org/ cvpolier ?lang=fr&p=david+francois&n=rosset (12) AVL, Corps de Ville EE 540, voir iPhoto J. Janin avec signature de pagnes au XVIIe siècle», (CH-ACV-RN_Gc 132-C pdf) 14) Plan cadastral Melotte 1722-1727, AVL C 347 (15) Lucien Reymond : op. cit et « La Vallée de Joux », notice, Georges Bridel éditeur, Lausanne,1887, p. 75.

(15) Auguste Piguet : « La commune du Chenit au XVIIIe siècle », tome III, imprimerie R. Dupuis, le Sentier, 1971, pp. 15 et 58.

(16) Jérémie Sterky, voir sur internet :

– 114 –

(17) Jacques Janin : « La révolution laitière au XIXe siècle dans le canton de Vaud » in Magazine « Passé simple » No 18, septembre 2016.

(18) Acquis du 4 7bre 1762, parchemin dans les archives de Jacques Janin (19) Georges de Polier sur internet : http ://gw.geneanet.org/ cvpolier ?lang=fr&p=georges&n=de+polier&oc=1 Jean-Jacques de Polier http ://gw.geneanet.org/ cvpolier ?lang=fr&p=jean+jacques&n=de+polier (20) Rénovation des droitures sur Montheron 1772, Fonds Chavannes, AVL C 169, préface, pp. 1-4.

(21) Registre de la paroisse de l’Abbaye, ACV, Eb 1/1-6 (22) Plan cadastral Melotte 1722-1727, AVL C 347 (23) Plan du Clos de Latigny 1715-1725, ACV-RN_Gc 198 (24) Plan du territoire de Montheron 1772, planche 15 et 16, AVL C 355 (c355_plan_montheron_18e_pl_15_16.jpg) (25) Plan Berney 1827-1831, Au clos de Latigny et A la Bérallaz, AVL F2 PC (26) Philippe Albert Stapfer, ministre de l’éducation sous la République helvétique : Enquête sur la situation des écoles dans la République. helvétique en 1799. Sur internet : http ://www.stapferenquete.ch/ db/transkriptions/karte (27) Auguste Piguet : « La commune du Chenit au XVIIIe siècle », tome III, Imprimerie R. Dupuis, Le Sentier, 1971, p. 151.

– 115 –

nois », Lausanne, 1952, présenté par Paul Louis Pelet, sur internet : www.eperiodica (29) Claude Berney : « Les chemins de l’école », Éditions Le Pèlerin, 1992, pp. 45-46. Sur internet : http ://www.histoirevalleedejoux.ch/ documents/Chemin%20de%20l’école%20.pdf (30) Ibidem, pp. 46-47 (31) Jean-Christophe Bourquin : « Les Radicaux vaudois et l’école primaire », Revue historique vaudoise 2001, Lausanne, pp 149-163.

(32) Stapfer-Enquête sur l’école de Montheron en 1799. Sur internet : www.stapferenquete.ch/db/transkriptions/view/1545 (33) Ibidem, p.2. ment-environnement-et-architecture/architecture/projets/projetsen-cours/projets-externes-en-cours/cve-petit-vennes.html

La BÊrallaz achève de s'imprimer en juin 2018 sur les presses de l'Atelier Grand SA au Mont-sur-Lausanne (Suisse).

Présentation de l’auteur

Jacques Janin est né à la ferme de la Bérallaz, Montheron sur Lausanne, le 4 mars 1939.

Après les écoles primaire à Montheron, primaire supérieure au Mont, puis secondaire à l’Ecole supérieure de commerce de Lausanne, il suit les cours de l’Ecole des HEC de Lausanne dont il obtiendra la licence en 1962 et le doctorat ès sc. économiques et commerciales en 1973.

Fils et frère d’agriculteur, il effectue toute sa carrière professionnelle comme économiste au Secrétariat agricole romand de 1962 à 1966 puis à la Chambre vaudoise d’agriculture devenue Prométerre en tant qu’adjoint de direction, sous-directeur et directeur de 1985 à 2001.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le mouvement coopératif agricole, l’histoire de l’agriculture ainsi que sur les relations entre la Suisse et l’Union européenne.

Dans ce recueil, Jacques Janin présente dans une première partie les riches heures de son enfance dans une famille paysanne du Jorat au cours des décennies 1940-1960; il décrit les multiples activités du métier d’agriculteur ainsi que les pratiques et équipements en pleine évolution. Dans une seconde partie, ses recherches généalogiques et historiques lui permettent d’établir le lien entre l’abbaye cistercienne de Montheron sécularisée en 1536 et la ferme de la Bérallaz acquise par ses ancêtres Reymond en 1723.