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: n’est pas une fatalité
par Stéphane Thépot
LS font partie du paysage urbain des grandes métropoles depuis une dizaine d’années mais leur omniprésence a sauté aux yeux lors du confinement qui a mis la planète à l’arrêt en raison du Covid 19. De fait, les livreurs de repas à domicile se sont multipliés avec l’apparition des plateformes numériques, comme Uber Eats ou Deliveroo, qui permettent de commander directement des plats cuisinés depuis un ordinateur ou un smartphone. Les traditionnels scooters qui livraient jadis uniquement des pizzas ont été dépassés par un peloton d’autres livreurs à deux-roues, véhiculant des menus bien plus variés dans leurs sacs isothermes. Ces start-up ont « révolutionné le marché de la livraison en mettant en concurrence Mc Do et les restaurants gastronomiques », résume Basile MazadeLecourbe. Elles organisent aussi la course entre livreurs, traités comme des entrepreneurs et non comme des salariés et gérés par « un algorithme opaque », déplore celui qui copréside CoopCycle en France et se présente comme un opposant résolu à l’ubérisation de l’économie.
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« LE LIVREUR QUI DÉPLAÎT EST SIMPLEMENT DÉSACTIVÉ ».
En faisant primer le droit commercial sur le droit du travail, les plateformes numériques de type Uber opèrent une véritable « contre-révolution », poursuit Bazile Mazade-Lecourbe. Le jeune homme, diplômé d’une business school , a lui-même rejoint les bataillons de livreurs à vélo pendant ses études.
« Au début, elles proposaient des rémunérations plutôt attractives », reconnaît-il. Les start-up qui défrichent le marché ont besoin d’une « énorme flotte de livreurs » et les jobs proposés conviennent à des jeunes qui ont plutôt tendance à considérer le salariat comme « un carcan », ajoute même l’ancien étudiant. Mais l’envers du décor se fait jour avec la faillite, en juillet 2016, à Bruxelles, de Take Eat Easy, l’une de ces sociétés lancées dans la course à l’échelle européenne. Basile Mazade-Lecourbe prend alors conscience que le modèle d’autoentrepreneur prôné par les plateformes pour rémunérer les livreurs s’apparente à du salariat déguisé : couverture sociale minimale, pas de congés payés, notation par les clients qui « permet » d’écarter les livreurs passant sous la barre de 90 % d’opinions favorables, etc. « Avec ce système, il n’y a jamais de licenciement ni de plan social : le livreur qui déplaît est simplement “désactivé”… ».
CHANGEMENT DE BRAQUET. Avec Jean-Bernard Robillard, un ancien coursier de la start-up belge filmé dans un documentaire 1, Basile et une poignée de livreurs se retrouvent place de la République à Paris, pendant les soirées enfiévrées du mouvement Nuit debout. De là, leur vient l’idée de redonner le pouvoir aux livreurs à travers des coopératives, avec leur propre algorithme de mise en relation entre restaurants et consommateurs, sous forme de logiciel libre : ce sera CoopCycle, créé en 2017. « C’est un projet politique, un contre-modèle pour prouver que l’ubérisation n’est pas une fatalité », assène Basile Mazade-Lecourbe. Cette fédération revendique actuellement l’adhésion de quatre-vingts coopératives dans une dizaine de pays, en Europe comme en Amérique du Nord. En France, CoopCycle a ainsi accompagné la structuration des Coursiers montpelliérains en 2021. Comme les autres coopératives locales, l’entreprise s’interdit de recourir aux scooters et se limite à un rayon de cinq kilomètres autour des restaurants partenaires. Elle détermine avec quels établissements elle veut ou ne veut pas travailler. « Il n’est pas interdit de bosser avec Mc Do mais, quitte à proposer du fast-food au nom du principe de réalité, on préfère généralement livrer des burgers ou des kebabs faits maison », résume le coprésident de l’association. À Bordeaux, une Maison des livreurs vient d’être inaugurée sur le modèle de la Maison des coursiers qui fonctionne déjà dans le quartier de Barbès à Paris. Un lieu de repos et d’accompagnement où des syndicalistes de la CGT et de Sud portent assistance aux livreurs précaires des autres plateformes. « La sociologie a changé, il y a de plus en plus de sans-papiers », constate Basile Mazade Lecourbe. Le métier demeure par ailleurs essentiellement masculin. Une étude réalisée auprès des 650 livreurs fréquentant la Maison des coursiers de Paris n’a recensé que... deux femmes ! Quant à la rémunération, chez CoopCycle les livreurs sont payés légèrement au-dessus du Smic, assure Basile Mazade- Lecourbe, mais rarement en CDI à temps complet. Il ne renonce pas pour autant à son objectif affiché depuis qu’il a commencé à pédaler pour livrer des repas : « dépasser le salariat ». À ses yeux, le bulletin de salaire apporte « une base, une protection » mais l’essentiel pour lui réside « dans une plus grande démocratisation des rapports au travail et dans la répartition des profits ». ◆