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Le land art et la mise en écologie de l’art contemporain
QUI se souvient du projet du néoréalisme italien ? Il prévoyait la fin des films hermétiques destinés à un public privilégié. Il prônait l’adoption d’un langage transversal, « national-populaire », compréhensible à l’ensemble des citoyens, riches et pauvres, savants et illettrés. Visconti, Rossellini, De Sica et leurs émules ont su atteindre cet objectif. Un moment magique, sans doute. Mais, en matière d’esthétique, la distance entre les initiés et les profanes reste une réalité : l’art contemporain est comme un feuilleton, si on ne connaît pas les épisodes précédents, on a du mal à comprendre les suivants.
RECYCLEURS. Il y a un champ, cependant, dans lequel le miracle du néoréalisme semble aujourd’hui se reproduire, celui du land art. Cela fait un moment que les artistes ont pris l’habitude d’investir la nature pour y installer leurs œuvres. Parfois, ils interviennent énergiquement, comme Christo qui, avant de nous quitter, avait prévu d’ériger une pyramide dans le désert d’Abou Dhabi ; ou comme Robert Smithson, avec ses spirales monumentales creusées à l’aide d’un bulldozer. Plus souvent, ils préfèrent une approche minimaliste : ils recyclent les matériaux trouvés sur place, bois, feuilles, cailloux et livrent leurs créations aux intempéries. En France, pour apprécier
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par Sergio Dalla

Bernardina, le land art, on peut faire un tour au Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière (Haute-Vienne) ou au Domaine de Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher). En Italie, dans la région de Trento, il y a Arte Sella, un musée à ciel ouvert installé depuis une trentaine d’années dans une vallée perdue qui, pour être localisée, demande l’aide d’un bon GPS.
TOUS CONNAISSEURS ? Quelle idée, a priori, d’installer des œuvres d’art contemporain dans un cul-desac (avec ce qu’elles coûtent, par surcroît) ! Qui peut s’intéresser à ces artefacts énigmatiques, alors que les spécialistes capables de les déchiffrer ne courent pas les rues ? Eh bien, cent mille visiteurs par an. Il y a de tout. Des critiques, des historiens de l’art, des érudits, des bobos, des hipsters … La qualité des installations justifie largement leur déplacement. Mais c’est bien plus varié que cela. Dans le parking, situé à distance pour ne pas dénaturer le site, on voit débarquer des cars pleins d’écoliers, de retraités qui viennent juste de visiter le musée du Jambon de Parme et se préparent ensuite à une tournée sur les hauts lieux de la guerre de 14-18. Et après, bien évidemment, il y a les familles avec enfants plus ou moins « éco-respectueux », qui grimpent sur les œuvres comme des sauterelles.
UN MALENTENDU ? Tout le monde s’empare du site à sa manière. Et tout le monde semble à l’aise. Personnellement, même en lisant la notice explicative, je me sens un peu dépaysé. Je suis jaloux. Pour saisir les motivations du public, je consulte les commentaires recueillis dans le livre d’or. Généralement, on hésite à exprimer un jugement esthétique, sauf à déclarer « c’est spectaculaire », « c’est génial », « c’est magnifique ». Mais là, on trouve que c’est sain, que c’est moral : « Lieu magique où l’art et la nature sont en parfaite harmonie . » On tire l’art vers autre chose, la gymnastique, l’écologie, le sensoriel, l’extase paysagère, le sentiment religieux. On évalue les services, « Le restaurant est correct » ; « Les toilettes sont propres ».
En arrière-plan, une conviction partagée par les signataires : Arte Sella, c’est de l’art dans la nature. Puisque j’aime la nature et que je me considère d’ailleurs très naturel, je comprends le land art. ◆