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DANS LA MIRE DE LA PHOTOGRAPHE

Si la photographie de guerre est une profession dominée par les hommes, de nombreuses femmes photographes ont cependant travaillé dans les zones de guerre. Dans les territoires de conflits, contrairement aux hommes, ces femmes ont souvent eu accès aux familles, dont elles ont réalisé des portraits particulièrement émouvants.

Actives également sur le front, les clichés des femmes photographes de guerre n’épargnent pas l’observateur. Dans un contexte de violence effroyable, ces clichés questionnent sur la notion de genre et la spécificité du regard féminin sur la guerre. Sur les fronts depuis près d’un siècle, elles prennent des images sans cacher l’horreur des événements. Certaines y laissent même la vie.

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Un regard différent ?

Le Musée de la Libération de Paris avait présenté jusqu’en décembre dernier l’exposition “Femmes photographes de guerre”, dévoilant ainsi les œuvres de huit femmes photographes reconnues qui ont couvert 75 ans de conflits internationaux, des années trente aux guerres les plus récentes : Lee Miller (1907-1977), Gerda Taro (1910-1937), Catherine Leroy (1944-2006), Christine Spengler (née en 1945), Françoise Demulder (1947-2008), Susan Meiselas (née en 1948), Carolyn Cole (née en 1961) et Anja Niedringhaus (1965-2014). À l’aide d’une centaine de documents, plus de 80 photographies, ainsi qu’une douzaine de journaux et de magazines originaux, l’exposition mettait en évidence l’implication des femmes dans tous les conflits, qu’elles soient combattantes, victimes ou témoins. À ce titre, plusieurs questions se posent : comment témoigner de la sauvagerie de la guerre ? Faut-il passer par une vision crue ou par une euphémisation formelle ?

Au milieu d’une grande variété stylistique et narrative, on trouve des aperçus intimes de la vie quotidienne pendant la guerre autant que des témoignages d’atrocités ou des références à l’absurdité de la guerre et à ses conséquences.

Christine Spengler ne montre pas les corps calcinés mais les ruines de Phnom Penh, qui touchent le spectateur sans expliciter la cruauté de la scène. Les cadavres photographiés par Gerda Taro ou par Carolyn Cole, à plus de 70 années de distance, dérangent tout autant. L’approche de la première est frontale alors que la seconde donne un effet esthétique et calme à sa prise de vue. Catherine Leroy choisit la proximité immédiate avec son sujet, et ses images interpellent.

Chacune des photographes présentées dans l’exposition témoigne avec son style particulier des souffrances engendrées par les guerres. Leur production doit cependant tenir compte des réalités économiques. Employées par des agences ou des titres de presse, elles doivent fournir des images « publiables », obéissant aux critères en vigueur au moment où elles réalisent les clichés. Il s’en est fallu de peu pour que l’image emblématique du quartier de Beyrouth prise par Françoise Demulder ne soit pas retenue par son agence, car les intentions des photographes ne sont pas forcément celles que souhaitent promouvoir les médias. Cela ne les empêche pourtant pas de choisir leurs sujets et de proposer des images très personnelles. L’intention première de ces photographes est de contribuer à faire apparaître publiquement ce qui se passe réellement sur le champ de bataille et à l’arrière du front.

La photographie : un outil pour décryter l'histoire

Les images de ces femmes photographes de guerre mettent le spectateur face au destin des individus et face à l’Histoire. On voit peu à peu émerger une professionnalisation des conflits, un armement toujours plus technologique des armées occidentales en réponse à une menace toujours plus complexe à appréhender. Le rapport entre les belligérants ne paraît jamais symétrique dans ces photographies : les conflits opposent armées officielles traditionnelles et combattants peu équipés.

Gerda Taro représente l’armée républicaine populaire espagnole, parfois sans armes ; Lee Miller montre à peine les soldats allemands en déroute lors de la Seconde Guerre mondiale. L’impression de déséquilibre s’accentue face aux images brutales de Catherine Leroy mettant en scène la disproportion entre les combattants du Vietcong et les Marines américains. Susan Meiselas photographie les guérilleros rebelles au Nicaragua. Mais ce sont sans doute les images d’Anja Niedringhaus qui mettent en évidence l’inconsistance du surarmement des soldats américains et canadiens face à un ennemi insaisissable en Irak (2004) ou en Afghanistan (2011).

Ces photographies parlent de conflits proches et lointains, dont certains semblent ne plus finir. Elles repositionnent la Seconde Guerre mondiale dans le contexte plus large des guerres du XXe et du XXIe siècle, et montrent l’ancrage profond des affrontements qui secouent la planète. La valeur de ces images va bien au-delà de leur qualité informative puisqu’elles nous apprennent aussi comment l’œil de ces femmes photographes de guerre s’est aiguisé au fil du temps, en composant avec leur qualité de femme, leur perception des opérations et la sensibilité du public. Leurs regards enrichissent le récit de ces conflits et laissent entendre autrement “le bruit et la fureur” du monde.