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A L A I N ERNOULT LA SIXIÈME EXTINCTION

Un million d’espèces animales sont menacées d'extinction aujourd’hui. Pour pousser ce cri d’alerte, il y a Alain Ernoult, photojournaliste de talent. Habitué aux plus grands titres internationaux et aux récompenses majeures, il nous alarme sur le règne animal en péril au travers de son ouvrage La Sixième Extinction.

Alain Ernoult fait partie de ces personnes qui semblent avoir vécu mille vies, mille destins, et qui, dans tout ce tourbillon, se battent encore pour ce en quoi il croit. Comme poussées par l’élan de la passion, la force de la conscience. L’une des beautés de ces personnes-ci, c'est que l’on se plonge abruptement, tout entier, dans leurs récits. Des pans de vie - Ô combien nombreux - qui côtoient l’extraordinaire et qui, inéluctablement, imposent l’admiration. Son nom n’a pas fait la une des journaux, mais était noté en bas de page, en guise de signature des quelque 15 000 articles remarquables qu’il a menés pour des médias du monde entier : Paris Match (France), Stern (Allemagne), Time (US), National Geographic (US), The New York Times (US), The Daily Telegraph (UK), El Mundo (Espagne)...

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Ancien grand reporter de guerre, photojournaliste, l’extrême était son quotidien, de l’adrénaline qu’il bouffait sans compter. Cette référence mondiale de la photographie d’action a couvert de nombreux conflits (Afghanistan, Bosnie, Guerre du Golfe, Tchad...) et a été - excusez du peu - le premier photographe civil à monter à bord d’un Alpha Jet de la Patrouille de France. Alain Ernoult entretiendra avec l'extrême un rapport privilégié pendant près de 20 ans, et n’aura de cesse d’en capturer des images spectaculaires. Il est assez fou de penser que c’est en partant de chez lui pour aller sauver une tribu au Mali - seul en auto-stop - qu’il a trouvé sa voie dans la photographie à l’âge de 17 ans. Totalement autodidacte, instinctif, cet artiste aventurier, dont les clichés sont désormais exposés dans le monde entier, voit son travail récompensé à plus de cent reprises.

Depuis cinq ans, ce “no limit man”, qui vibrait dès sa jeunesse au cœur de l’action, revient à des choses plus simples, davantage portées par le sens. « Je dois m’occuper de la transmission par rapport à la planète », confie-t-il. Son art, toujours autant imprégné d'émotion pure, de beauté et d'intensité rare, se consacre désormais à la nature, à la préservation des espaces et espèces en voie d’extinction. Son ouvrage La 6e Extinction, publié en 2020, illustre un têteà-tête inattendu, poétique et alarmant avec la faune menacée de la planète. Ses rencontres avec des centaines d’animaux, entre mufles, ours polaires, rhinocéros ou encore gorilles, ont été immortalisées par son œil aguerri mais tendre, et cherchent à alerter sur la fragilité de leurs équilibres naturels. Il explique : « En seulement deux siècles, les humains ont durablement transformé l’équilibre naturel de la Terre. Aujourd’hui, tous les continents sont concernés par la fulgurante dégradation de la biodiversité. Le monde fait face à un anéantissement biologique, un risque existentiel majeur : la sixième extinction ». Si son livre du même nom devait avoir une seule vocation, ce serait celle-ci : partager la beauté du monde pour en prendre conscience. Car l’art de la photographie a bien cette vertu : sublimer pour mieux révéler.

Cet après-midi-là, à peine revenu d’un séjour à l’Île Maurice où il nous a confié avoir joué à cache-cache avec les cachalots pour tirer leur portrait, cet artiste baroudeur nous a raconté un peu de son histoire, son art et son engagement au fil d’une conversation sincère.

: En découvrant tous vos faits d’armes, on se demande d’emblée : votre engagement était-il inné ou est-ce que vous l’avez développé au cours de vos expériences de vie ?

J’ai commencé très tôt. À l'âge de 17 ans, j’ai appris qu’il y avait une tribu au Mali qui mourait du Paludisme ; j’ai décidé de partir leur apporter des médicaments en auto-stop depuis la Normandie. La relation avec la nature a toujours été présente chez moi. Gamin, je passais mon temps dans les forêts. C’est mon univers. J’ai besoin d’elles pour me ressourcer, me remplir et m’inspirer. C’était donc déjà inné quelque part.

: C’est donc ce que vous êtes qui vous a poussé à avoir ces expériences ?

Absolument. J’ai fait ce métier parce j'ai croisé des personnes sur mon chemin qui m’ont permis de faire des choses en exclusivité. J’ai été extrêmement sollicité par la presse mondiale, ce qui m’a fait rentrer dans un système de commandes de manière ininterrompue. Je n’arrivais plus à prendre du recul, mais ça me plaisait parce que je croisais des gens extraordinaires. J’avais cette richesse des rencontres. C’était fabuleux de pouvoir se remettre systématiquement en question.

: Depuis 2017, vous avez pris la décision d’utiliser votre art pour servir la cause de la défense de la nature et la préservation des espèces. Qu’est-ce qui vous a fait franchir le pas ?

J’ai réalisé beaucoup de livres, dont l’un sur les îles de rêve et l’autre sur les parcs américains. À chacun de mes voyages, dès que j’en avais l’occasion, je photographiais des animaux et la biodiversité. J’étais comme attiré, viscéralement. Il y a 5 ans, je faisais beaucoup de photos en rapport avec l’aviation, mais je ne trouvais plus cela d’actualité. Cela me semblait décalé par rapport à ce qui se produisait sur la planète. C’est pour cette raison que j’ai voulu faire des choses plus utiles, revenir à l’essentiel.

: Les animaux menacés qui sont illustrés dans votre ouvrage La Sixième Extinction ont-ils été soumis à des critères de sélection ?

J’ai fait effectivement tout un travail de recherche pour voir quels étaient les animaux les plus menacés. De cette liste, j’ai fait un tri selon ceux qui me semblaient les plus importants à faire figurer dans le livre. Depuis, j’ai réalisé un nouveau projet qui superpose la Terre et un animal. Il a été sélectionné pour être exposé sur le stand du pavillon français à la COP15 qui se tient actuellement au Canada* (*du 07 au 19 décembre 2022 à Montréal).

: On imagine qu’il faut beaucoup de patience pour obtenir la photo soit-disant parfaite d’un animal ; est-ce que vous avez des anecdotes sur des situations incongrues que vous avez vécues ?

Il y a de très bons photographes animaliers mais, pour moi, il est viscéral d’avoir un contact avec l’animal, de lui parler pour me laisser l’approcher et qu’il me donne une émotion à partager à travers la photo. Il y a plein d’anecdotes. Une fois, je suis allé sur le volcan au Rwanda pour photographier des gorilles. J’ai été submergé par l’émotion qu’ils dégagent, la similitude avec l’humain, leur gestuelle. J’ai approché une famille de trois gorilles, les deux parents et leur petit. Il s’avère que le mâle dominant, le mâle alpha, n’était pas d’accord. Il m’a donné un grand coup de poing sur l’épaule et m’a cassé un genou. Mais c’était un avertissement. S’il l’avait voulu, il aurait pu me tuer. Une autre fois, j’ai photographié un jeune rhino... il n’était pas content et a cassé mon appareil photo en me chargeant . Mais je reste persuadé que les animaux ressentent qui nous sommes exactement.

: C’est un métier à haut risque que vous exercez ! J’ai la chance de n’avoir jamais peur, mais j’ai un ange gardien qui me prévient quand j'atteins les limites. Pour moi il n’y a pas d’animaux sauvages, ce sont mes amis. On est tous ensemble sur la même planète, mais il faut toujours prendre des précautions. Je suis toujours accompagné d’un spécialiste qui me dit ce que je dois faire ou ne pas faire. Un jour, un ours polaire s'est approché de nous par curiosité ; le guide a alors frappé deux cailloux l’un contre l’autre. L’ours s’est arrêté tout de suite. Il faut savoir qu’en Arctique, il n’y a pas de bruit. Cet écho l’a tellement gêné que cela l’a stoppé dans son élan.

: Que ressentez-vous quand vous êtes dans ces conditions extrêmes ?

Je me sens privilégié et à ma place, je ressens des choses très fortes. J’habite à une demi-heure de Paris, et j’ai des oiseaux qui viennent se poser directement dans ma main. Je pense qu’on peut avoir un contact privilégié avec les animaux. C’est pour ça qu’ils me laissent entrer en communication avec eux.

: Vous avez publié un certain nombre d’ouvrages, quel sera le prochain ?

Je vais faire un livre sur la Tanzanie, en mélangeant aussi bien les animaux que les hommes. Je pense que les liens sont très importants et qu’ils ont encore beaucoup de choses à nous apprendre. Il y a encore des tribus qui sont très isolées, fascinantes. Et puis je vais faire encore d’autres livres sur les animaux, notamment en voie d’extinction. Je veux poursuivre dans cette voie-là. En aucun cas je ne suis un donneur de leçons, mais j’aimerais, qu’à travers les images, les gens prennent conscience par eux-mêmes.

: Pour vous, existe-il un lien entre l’être humain et la nature ? Je me suis retrouvé seul, perdu pendant 4 jours en plein milieu de l’Amazonie. J’ai été surpris par toutes les ressources insoupçonnables que l’on a en nous pour faire face à des situations inhabituelles. Et dans ces situations, on a une relation avec la nature qui est époustouflante et qui nous sauve. En Afrique du Sud par exemple, l’homme meurt de nouveau de la rage, maladie qui avait complètement disparu. Tout cela est lié à la démographie, à l’augmentation des champs et l’utilisation des pesticides. Pour dire, les vautours qui dévorent les cadavres succombent les uns après les autres. Près de 60% de la population des vautours en Afrique du Sud a disparu. Autre exemple : il y a même des fourmis qui cohabitent avec des arbres et se défendent l’un et l’autre pour une question de survie. La nature fonctionne ainsi, avec de l’entraide. C’est l’humain qui est le destructeur et le prédateur. Et pourtant, nous sommes indissociables.

Son dernier ouvrage Sosies de la Terre, qui fait un parallèle entre le monde végétal et animal, est actuellement disponible. Ses ouvrages et tirages de collection sont à découvrir sur : ernoult.art