NOVO N°6

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numĂŠro 6

01.2010

gratuit


Programme Mars 2010

Centre dramatique régional d’Alsace

03.– 04. 03. 2010

Kiwi

de Daniel Danis

16.– 18. 03. 2010

Borges vs Goya

de Rodrigo García

22.& 23. 03. 2010

Une maison de poupées

d’après Henrik Ibsen

Direction Guy Pierre Couleau

w w w. c o m e d i e - e s t . c o m info@comedie-est.com

C D E

mise en scène Daniel Danis

mise en scène Arnaud Troalic

Web Mail

mise en scène Nils Öhlund

08– 12. 03. 2010

Au fil d’Œdipe

à partir de 10 ans

15.– 19. 03. 2010

Zig Zag

à partir de 2 ans

30. 03. 2010

Va t e r l a n d

de Jean-Paul Wenzel

Comédie De l’Est 6 route d’Ingersheim

68027 Colmar 03 89 24 31 78

Adr.

mise en scène Camille Trouvé

Chorégraphie Frédérike Unger et Jérôme Ferron

mise en scène Cécile Zanibelli


ours

sommaire numéro 6

Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com u 06 86 17 20 40 Direction artistique et graphisme : starHlight Ont participé à ce numéro : REDACTEURS E.P Blondeau, Olivier Bombarda, Benjamin Bottemer, Caroline Châtelet, Sylvia Dubost, Nathalie Eberhardt, Magali Fichter, Virginie Joalland, Kim, Christophe Klein, Guillaume Malvoisin, Adeline Pasteur, Nicolas Querci, Matthieu Remy, Catherine Schickel, Christophe Sedierta, Fabien Texier, Fabien Velasquez. PHOTOGRAPHES Vincent Arbelet, Pascal Bastien, Matthieu Remy, Dorian Rollin, Christophe Urbain. CONTRIBUTEURS Bearboz, David Cascaro, Manuel Daull, Dupuy-Berberian, EM/M, Christophe Fourvel, Christian Garcin, Sophie Kaplan, Christophe Meyer, Henri Morgan, Nicopirate, Denis Scheubel, Vincent Vanoli, Henri Walliser, Stéphanie Weill, Jean Wollenschneider, Sandrine Wymann. RELECTURE Léonor Anstett, Caroline Châtelet, Estelle Dorninger. PHOTO DE COUVERTURE Malick Sidibé (1964, Bamako). Photo tirée du livre Bagagadji qui accompagne l’exposition Bamako 60-70 aux éditions Gwinzegal. (Un grand merci à Malick Sidibé, Paul Cottin et Jérôme Sother) www.gwinzegal.com Retrouvez entretiens, photos et extensions audio et vidéo sur les sites novomag.fr, facebook.com/novo, plan-neuf.com, mots-et-sons.com et flux4.eu Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias u 10 rue de Barr / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 12500 euros u Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane u bchibane@chicmedias.com 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire médiapop u 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 euros u Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer u ps@mediapop.fr 06 22 44 68 67 – www.mediapop.fr IMPRIMEUR Estimprim Tirage : 9000 exemplaires Dépôt légal : janvier 2010 ISSN : 1969-9514 u © NOVO 2010 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. ABONNEMENT novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 6 numéros u 40 euros 12 numéros u 70 euros ABONNEMENT hors France 6 numéros u 50 euros 12 numéros u 90 euros DIFFUSION Vous souhaitez diffuser novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros u 25 euros 1 carton de 50 numéros u 40 euros Envoyez votre règlement en chèque à l’ordre de médiapop ou de Chic Médias (voir adresses ci-dessus). novo est diffusé gratuitement dans les musées, centres d’art, galeries, théâtres, salles de spectacles, salles de concerts, cinémas d’art et essai, bibliothèques et librairies des principales villes du Grand Est.

Édito

01.2010

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FOCUS La sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer 08 Une balade d’art contemporain : les œuvres de Tobias Rehberger le long du tram à Mulhouse 30

RENCONTRES JP Nataf fait swinguer la langue française 32 Émily Loizeau fouille les sillons de la terre 34 Wax Tailor en chef de fil hip hop 35 Michel Vinaver ou la complexe beauté du geste

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MAGAZINE Yves Tenret obéit à ses impulsions 38 EM/M (www.emslashm.com) 42 Avec François Boucq, la représentation devient la chose 44 Médicis et Interfaces, de nouvelles possibilités pour le mécénat 48 Claude Régy fait passer la matière de l’écriture auprès du public 50 Jonathan Pontier, au croisement du sacré et du technologique 52 Josse de Pauw, le dialogue entre la musique et des mots 53 Jean-Charles Massera, cyclo-tout : cyclo-critique et cyclo-sportif 54 Dominique A continue de défricher le terrain de la chanson française 56 Hasse Poulsen se sent chez lui partout 58 André Engel dénoue le fil d’Ariane à Naxos 59

CHRONIQUES Novo ouvre ses colonnes à des interventions régulières ou ponctuelles La vraie vie des icônes 3 : Your butt is mine, par Christophe Meyer 61 Tout contre la BD, par Fabien Texier 62 Songs To Learn and Sing : Smog, Ex-Con, par Vincent Vanoli 64 La stylistique des hits : l’énumération, par Matthieu Remy et Charles Berberian 65 Mes égarements du cœur et de l’esprit : égarement 18 Sandrine, par nicopirate 66 Des plis et des histoires : Katsumi Komagata, par Stéphanie Weill 67 Chronique de mes collines : Pinocchio de Jacovitti, par Henri Morgan 68 Modernons : Natalité, par Nicolas Querci 69 Le monde est un seul / 5 : Siméon, jusqu’à Montevideo, par Christophe Fourvel 70 Quant aux Américains j’y reviendrai, par Manuel Daull 71 Bestiaire n°2 : Nuages, par Sophie Kaplan 72 Dans un monde où, par Henri Walliser et Denis Scheubel 73 Kunstchoses, par Jean Wollenschneider et David Cascaro 74 AK47 : Angoulême : le temps des marronniers, par Fabien Texier 75

selecta

disques, BD, livres et DVD

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édito par philippe schweyer

PETITS MAILS ENTRE AMIS

L’autre jour, je m’apprête à envoyer un mail à un ami complètement perdu de vue. Alors que je commence à peine à réfléchir à ce que je vais lui écrire pour tenter de renouer, ses vœux électroniques apparaissent comme par magie dans ma boîte mails. Un peu plus tard, une nouvelle amie m’envoie un texte nébuleux dans lequel je découvre, en caractères minuscules, le nom d’un vieil ami qui vit au Havre, face à la mer, et auquel je viens justement de penser. Cette fois la coïncidence me semble si extraordinaire que je décide aussitôt de lui passer un coup de fil. Il ne me laisse pas le temps de lui dire bonjour : - C’est fou, je pensais justement à toi en regardant une mouette… - Une mouette ? - Oui, je me suis rappelé qu’un jour en regardant un feu de cheminée, tu t’étais demandé combien de personnes étaient en train de faire la même chose… J’avais complètement oublié ce feu de cheminée. - En regardant cette mouette, je me suis demandé combien de personnes étaient en train de regarder une mouette en même temps que moi… De l’entendre parler ainsi de mouettes, ça me fait songer à la politique migratoire « ferme et juste » du gouvernement et j’ai une pensée fugace pour les 29 000 personnes expulsées par la France en 2009. Préférant parler de choses plus joyeuses, je m’efforce de changer de sujet de conversation. - Devine qui a fait la photo qui sera en couverture du prochain Novo ? - Je ne sais pas, Malick Sidibé ? Là, je suis vraiment étonné. - Comment tu as deviné ? - Quand tu m’as posé la question, je me suis souvenu que j’avais vu quelque part que tu l’avais rencontré il y a quelques années… ça doit être de la télépathie ! Après avoir raccroché, je songe qu’en me connectant nuit et jour à Internet, je permets au monde entier d’accéder à la moindre de mes pensées. Même mes amis qui ne sont pas sur Facebook en savent désormais trop sur moi ! C’est si flippant que je décide sur le champ de débrancher mon ordinateur, le temps de réfléchir à tout ça. Le lendemain, passablement en manque de messages électroniques, je sors faire provision de cartes de vœux et d’enveloppes timbrées. Tout en rédigeant laborieusement quelques messages de bonne année, je ne peux m’empêcher de me demander combien de mes amis sont en train de m’écrire au même moment. Avec les grèves et la neige, mes vœux n’arriveront pas avant quelques jours. D’ici là, j’ai le temps de penser à autre chose.

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49, rue MÊgevand 25000 Besançon Location : 03 81 87 81 97 www.letheatre-besancon.fr


focus

1 / NO WAY VERONICA Postuler qu’un ingénieux travail sur le son créera l’univers de la fiction. Substituer à l’illusion d’un personnage et d’un décor, la vraisemblance des voix et des sons. Demander au spectateur d’imaginer. Lui donner à voir autre chose, la fabrique d’un poème radiophonique, et l’entendre rire aux éclats ! Le 26 février au Théâtre Musical de Besançon. www.letheatre-besancon.fr 2 / Station Mir Depuis 1995, Station Mir a développé de nombreux projets d’expositions, d’interventions, de créations collectives et d’éditions. Conférence au Quai, à Mulhouse, le 1er mars à 17h. www.station-mir.com + www.lequai.fr 3 / La fiancée de Barbebleue Pierre-Yves Chapalain a transposé dans son univers si particulier le conte popularisé par Perrault. Du 17 au 27 février au Nouveau-Théâtre à Besançon. www.nouveau-theatre.com.fr 4 / Mc Laren Cinéclip DVJ Oof, revisite l’œuvre originale du cinéaste Mc Laren grâce au DVJing qui consiste à mixer ensemble images et sons. Les 2 et 3 février au théâtre de l’Espace à Besançon. www.theatre-espace.fr

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5 / Changer l’eau... Exposition de Jacqueline Gueux jusqu’au 28 février à la Galerie du Granit. Finissage dimanche 28 février à 17h au Musée d’histoire à la Citadelle à Belfort avec une sélection de vidéos et les retrouvailles de l’artiste avec Nicolas Surlapierre, conservateur des Musées de Belfort. www.theatregranit.com 6 / ECKNOBUL La Cie Ecknobul organise un stage de création In situ pour apprendre à créer une forme artistique en se basant sur l’architecture d’un lieu. Du 16 au 20 février à La Fonderie à Mulhouse. 06 22 90 62 61 + ecknobul@gmail.com 7 / BONA MENS Dans le cadre de la manifestation Utopies et Innovations, Jérôme Conscience donne à voir une série de locutions latines dont on devine le sens sans les comprendre tout à fait. Du 27 janvier au 27 mars au Pavé dans la Mare et du 10 au 24 février dans l’espace public. www.pavedanslamare.org + www.jeromeconscience.com + www.utopinov.com 8 / VANISHING POINT Exposition de Christine Camenisch du 4 au 24 février, espace Apollonia à Strasbourg. www.accelerateurdeparticules.net

9 / ART & CONTEMPORAIN A TOUS LES ETAGES Le musée des beaux-arts de Dole publie un guide et présente sa collection d’art contemporain jusqu’au 16 mai. www.dole.org + www.musees-franchecomte.com 10 / FRACTALS Le groupe NoName, soit huit étudiants de l’Ecole Supérieure des Arts Décos de Strasbourg (Élise Alloin, Désiré Amani, Claire Andrzejczak, Guillaume Chauvin, Gaëlle Cressant, Paula Del Castillo Cabeza, Rémi Hubert et Arthur Poutignat) présentent le résultat de leurs recherches au Frac Alsace à Sélestat du 15 au 19 Février. Soirée de finissage le 18 février. 11 / Sabine et Daniel Clochey A travers leurs gravures et leurs dessins, Sabine et Daniel Clochey décrivent le quotidien avec un regard décalé, une perception particulière qui lui donne une forme poétique. Du 6 février au 28 mars au musée des beaux-arts de Mulhouse. 12 / TOURS ET DETOURS Exposition de Robert Breer et Cécile Babiole jusqu’au 13 février à l’Espace Multimédia Gantner de Bourogne. www.cg90.fr

13 / Milos Forman Parcours en cinq films (Les Amours d’une blonde, Au feu les pompiers!, Vol au dessus d’un nid de coucou, Hair et Les Fantômes de Goya) du cinéaste qui a su mêler le meilleur du cinéma européen et américain. Du 19 au 28 février au Kursaal à Besançon. www.theatre-espace.fr 14 / Henri Rousseau La Fondation Beyeler présente quarante œuvres maîtresses du “douanier Rousseau”. La fascination de Rousseau pour l’opposition entre le monde occidental civilisé et la nature sauvage telle qu’il l’imaginait occupe une place centrale dans cette exposition. Du 7 février au 9 mai à Bâle (Riehen). www.beyeler.com Visuel : © RMN, Paris © René-Gabriel Ojéda

15 / USINESONORE 2010 Les 13 et 14 mars, l’usine Schaublin de Malleray-Bévilard (Jura bernois) accueille six concerts autour de la musique et de la danse des XXe et XXIe siècles. www.usinesonore.ch 16 / Take Care Les peintures sur plexiglas de Marie-Paule Bilger sont exposées à l’Espace Lézard à Colmar jusqu’au 6 mars. www.lezard.org


focus

17 / En attendant GéNéRiQ (1) Parce qu’il va bien falloir patienter en attendant la prochaine édition de GéNéRiQ du 13 au 19 décembre 2010, la Poudrière accueille Clues, Tune Yards et FM Belfast le 17 février à Belfort. www.pmabelfort.com 18 / MIOSSEC La tournée du chanteur pas si apaisé que ça se poursuit avec une escale au Théâtre des Feuillants à Dijon le 23 février et au Théâtre Musical de Besançon le 24 février. Interview exclusive sur www.flux4.eu www.christophemiossec.com 19 / Europa, Europa Exposition photographique de Pascal Bastien en partenariat avec l’association Chambre à Part dans le cadre de «Traduire l’Europe». Du 2 février au 20 mars à la Médiathèque Malraux à Strasbourg. www.mediatheques-cus.fr 20 / Microfictions Le dîner-spectacle concocté par Valéry Warnotte et Charlie Windelschmidt du collectif Dérézo sera-t-il à la hauteur du livre de Régis Jauffret ? Réponse pendant le festival Trans(e) les 11, 12 et 13 mars 2010 à la Filature de Mulhouse. www.lafilature.org

21 / Frac Lorraine Vous avez jusqu’au 9 février pour découvrir l’errance filmée de Bertrand Lozay présentée au Frac Lorraine à Metz dans le cadre de l’exposition « Esthétique des pôles, le testament des glaces ». www.fraclorraine.org 22 / EN ATTENDANT GéNéRiQ (2) La Vapeur a concocté quelques tumultes scéniques avec Tune Yards le 18 février à Hôtel de Vogüe (Gratuit sur présentation du billet du concert de Reverend & The Makers le soir même à La Vapeur). www.lavapeur.com 23 / La dernière fois où j’ai eu un corps Lecture ayant pour thème la prostitution à travers des témoignages recueillis par l’écrivain Christophe Fourvel et mis en voix par Anne Monfort. Avec Laure Wolf, le 8 mars au Granit à Belfort. En partenariat avec le Mouvement du Nid et la Ligue des Droits de l’Homme. www.theatregranit.com 24 / ART DANSE Du 23 au 31 janvier à Dijon le festival célèbre la danse contemporaine à travers 13 spectacles. Un voyage entre ici et ailleurs, à la découverte de la danse née du choc des cultures… www.art-danse.com

25 / Friedrich Hölderlin, Présences du poète Friedrich Hölderlin, un des poètes allemands les plus traduits au monde, a été peu compris de son vivant : l’exposition analyse ce paradoxe fondateur en se proposant de retracer le parcours littéraire de Hölderlin et de présenter ses avatars dans la poésie, la musique, la philosophie, le théâtre, les arts et le cinéma. Du 28 janvier au 1er avril à la BNU à Strasbourg. www.bnu.fr

29 / ITALIART & FESTIVAL Expositions, concerts, théâtre, happenings, installations, films… Vincenzo Cirillo, le directeur artistique du “festival de la créativité européenne”, provoque pour la quatrième fois une série d’échanges entre des artistes venus d’Italie, de France et d’ailleurs. Le festival se déroule pendant tout le mois de mars à Dijon avec des escapades à Lyon, Beaune, Semur-en-Auxois, Opole (Pologne) et Kladno (République Tchèque). www.malastranafestival.it

26 / CLUB HERZFELD Club Herzfeld est un abonnement qui permet de recevoir à domicile, en avant première et à un prix avantageux, toutes les sorties programmées par l’excellent label strasbourgeois. http://hrzfld.com

30/ Tristan et... d’après Tristan et Isolde de Wagner, le dernier spectacle de Sentimental Bourreau et Mathieu Bauer. Du 2 au 6 février au Parvis Saint-Jean à Dijon. www.tdb-cdn.com

27 / En attendant GENERIQ (3) Le Cylindre accueille Are We Brothers? + Sourya + Filiamotsa à Larnod (25). www.lecylindre.com 28 / Fantastique 17ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer du 27 au 31 janvier. www.festival-gerardmer.com

photo © Christophe Raynaud de Lage

31 / SUZANNE OBRECHT Suzanne Obrecht réalise que « la peinture n’existe que d’être vue ». À voir donc, à la galerie 6, à Strasbourg. Au 6, rue des Charpentiers. Tél. 03 88 32 50 36 32 / En attendant GENERIQ (4) Le Noumatrouff accueille Are We Brothers? + Sourya le 27 février à Mulhouse. www.noumatrouff.fr

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par nicolas querci

par nicolas querci

art KARLSRUHE, du 4 au 7 mars à Karlsruhe (Allemagne) + 49 (0)7 21 / 37 20 – 51 20 – www.art-karlsruhe.de

Le Meilleur des mondes – du point de vue de la Collection Mudam, exposition du 30 janvier au 23 mai au Mudam Luxembourg + 352 45 37 85 960 – www.mudam.lu

focus

Le droit du sol La septième édition de la foire d’art contemporain art KARLSRUHE accueillera quelque 200 exposants, parmi lesquels La Voix du Maître, unique galerie alsacienne représentée. Dirigée par Christophe Fleurov, elle consacrera un show à deux artistes de renommée internationale, le sculpteur Christian Lapie et le peintre Roger Dale, qui feront cohabiter leurs œuvres sur les 125 m² du stand. Les sculptures monumentales de Christian Lapie représentent des hommes, des âmes, des ombres. Désireux de créer un langage universel, il porte une attention soutenue aux autres, aux commanditaires, au public, mais aussi à l’espace, au paysage, à l’histoire du lieu où ses sculptures doivent s’intégrer, n’hésitant pas à visiter plusieurs fois un site pour s’en imprégner. L’exécution proprement dite est une affaire d’homme, qui passe par toute une série de gestes violents. Christian Lapie choisit lui-même les arbres à abattre, il les fend et les sculpte à la tronçonneuse, puis il enflamme les corps massifs qu’il obtient jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment noircis pour les éteindre. À première vue, la peinture de Roger Dale semble moins torturée, plus apaisée. C’est une fausse impression, tant elle plonge ses racines dans les secrets inavouables des paysages qu’il peint. Ainsi chaque œuvre est vécue comme expérience intense, et ses paysages, qu’ils soient nets, flous, distordus, ne sont calmes qu’en surface. Un même geste unit les deux artistes, une même démarche, une même exigence, une même galerie et un même événement. D

Brave New Collection En empruntant son titre au célèbre roman d’anticipation d’Aldous Huxley, Le meilleur des mondes convoque une lecture de l’univers qui nous entoure à travers les œuvres de plus de quatre-vingts artistes contemporains. Contrairement au livre d’Huxley, qui dépeint un monde uniforme, totalitaire, corseté, bête, immoral, injuste, d’où l’art est banni, l’exposition du Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean en propose une vision composite et fragmentée, et nous renseigne sur ses aspects les plus intimes tout comme les plus éloignés de nous. Comme l’indique le soustitre – du point de vue de la Collection Mudam –, nous avons également affaire à une vision partielle du monde, puisque toutes les œuvres sont issues de la collection du musée. Loin de se complaire et de se contenter de présenter le meilleur du meilleur du Mudam, l’exposition devient ainsi l’occasion d’éprouver la cohérence de cette collection et la pertinence dans le temps des choix opérés. Nul doute que le même principe appliqué à un autre musée donnerait une exposition totalement différente. Les artistes retenus ici ne délivrent aucune certitude et présentent toujours une menace potentielle face aux positions dominantes et face à l’idée de progrès définitif. Le monde de l’art est certes loin d’être parfait, mais jusqu’à preuve du contraire, c’est aussi le meilleur, puisque c’est le seul que nous connaissons. D

Shiro Kuramata, Laputa, 1991 © Photo : Mitsumasa Fujitsuka

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par emmanuel abela photo : youri lenquette

par emmanuel abela photo : camille vivier

Avishai Cohen, en concert le 27 janvier, à l’Arsenal, à Metz 03 87 39 92 00 – www.arsenal-metz.fr Dernier album : Aurora, Blue Note

Soirée “démarrage”, le 23 janvier, aux Trinitaires, à Metz 03 87 20 03 03 – www.lestrinitaires.com

focus

Jazz de là-bas ! Avishai Cohen s’est imposé comme l’une des grandes figures du jazz d’aujourd’hui. Ce bassiste israélien charismatique a su apporter les sons de là-bas, pour nourrir le jazz d’ici. En très peu de temps, Avishai Cohen est devenu un phénomène. Ce musicien israélien, passé très jeune du piano à la basse électrique après avoir subi le choc Jaco Pastorius, renouvelle la pratique du jazz et fédère bien au-delà du cercle d’initiés. Sa façon unique de mêler les influences de son pays natal à d’autres sources, plus occidentales, l’a sans doute imposé comme un side-man très convoité. Adoubé par Chick Corea, il est devenu l’un des contrebassistes les plus prisés, et a été amené à se produire aux côtés d’artistes aussi différents qu’Alicia Keys, Bobby McFerrin, Brad Mehldau, Roy Hargrove ou Herbie Hancock. Interrogez-les séparément, ils vous le diront : ils ont tous apprécié son doigté unique et son extrême rigueur rythmique. En concert, le public apprécie l’enthousiasme qu’il met à l’exécution des compositions qu’il écrit désormais chez lui, à Tel Aviv, depuis son installation en Israël après un long séjour new yorkais, et qu’il interprète avec ses complices du moment, Amos Hoffman à l’oud, Itamar Doari aux percussions et Shai Maestro au piano. Et puis, il y a cette voix – Avishai Cohen chante en hébreux, en anglais et en espagnol ! – qui nous entraîne aux portes du désert et nous rappelle les plus belles tentatives dans la plus grande tradition orientale, tout en embrassant la dimension universelle d’un jazz régénéré. D

Chronique d’une naissance annoncée Aux Trinitaires, on formule ses vœux avec la manière : une soirée décapante avec des artistes français, américains et norvégiens, histoire de poser les orientations du lieu à venir. Aux Trinitaires, on cultive volontiers le mélange des genres. Rien d’étonnant au fait que dans la même soirée, de la chapelle au caveau, s’entrechoquent les sons électroniques, pop, post-punk et folk. Quelle idée bien singulière que de programmer dans un même lieu, le même soir, Para One et Awkoder’89, deux de nos DJs et producteurs hexagonaux parmi les plus pointus, deux formations norvégiennes, les Casiokids et leurs chansons miniatures ou Yoyoyo Acapulco, adeptes compulsifs du yukulélé, ainsi que Bird Names et Weave, deux groupes américains qui pratiquent indifféremment le post-punk, l’art-disco et le rock psychédélique le plus déstructuré ! Le tout placé sous le haut patronage de Sal P., membre fondateur du groupe new yorkais légendaire, Liquid Liquid. La présence aux platines de ce pionnier – souvenez-vous le chanteur à la voix “caverneuse” sur Optimo, c’était lui ! –, nous renseigne sur les finalités implicites d’une soirée qui annonce la coloration globale d’une programmation à venir, intelligente, ouverte et parfois inattendue, dans un lieu qui aspire à se positionner comme la figure de proue des musiques actuelles à Metz, dans la perspective de la création d’une SMAC. Une manière de “démarrer” en quelque sorte, un instant fondateur dont les participants garderont sans doute à jamais le souvenir en tête. D

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par caroline châtelet

focus La Soupe (soupe populaire et artistique sous chapiteau), le 23 janvier, à Vic-sur-Seille Scènes d’hiver sur un coin de table (9 spectacles, expos, radio FM etc.), les 26, 27 et 28 février, à Vic-sur-Seille 06.71.48.77.18. – www.lavalise.org

Guido van der Werve, Nummer acht, Everything is going to be alright, 2007. © D.R.

Saynètes de marionnettes itinérantes Après avoir roulé sa bosse avec de « grosses machines », la compagnie la Valise ouvre sa toute nouvelle résidence par Scènes d’hiver sur un coin de table. Un festival qui fait la part belle aux petites formes et à la marionnette, en conjuguant humanités artistiques et itinérances villageoises.

Résumé des épisodes précédents : 1999, naissance de la Valise, créée, entre autres, par Fabien Bondil et Stéphanie Martin. Implantée à Metz, la compagnie se concentre sur des petites formes en marionnettes et manipulations d’objets. 2001, création de l’Inconsolé de Joël Jouanneau, bijou marionnettique qui tourne encore à l’heure actuelle. 2003, acquisition d’un chapiteau. S’engage un tournant important, puisqu’à compter de cette date la compagnie s’étoffe, les projets artistiques se consolident, les tournées se structurent. 2006 : largement identifiée pour son action sur les territoires communs aux arts de la rue, au cirque, à la marionnette et à la poésie collective sous chapiteau, la Valise se voit proposer un lieu de résidence à Bitche. L’occasion est inespérée, les bagages vite faits et l’équipe s’y installe, tentant de conjuguer actions dans la ville et nécessaires tournées. 2009/2010 : années de transition, les deux parties cessent d’un commun accord leur collaboration. Mais la Valise n’est pas rendue entièrement à l’itinérance pour autant, puisqu’à l’invitation de la municipalité de Vic-sur-Seille une résidence s’engage sur ce bout de monde mosellan. L’occasion pour la compagnie de continuer son travail artistique tout en prolongeant la mise en œuvre de ses convictions politiques : l’ancrage sur un territoire, la conscience des enjeux de développement à l’œuvre sur un plan local et le rayonnement au national.

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Créations de mille et unes mains Comment ça marche ? Simple : d’un côté, la compagnie, forte de sa quinzaine de membres, continue ses pérégrinations en France et à l’étranger. De l’autre, elle concrétise la résidence à Vic-sur-Seille à travers deux festivals, l’un en septembre dédié aux arts de la rue et l’autre en février consacré aux petites formes intimes. Ce dernier, qui s’intitule Scènes d’hiver sur un coin de table, verra sa première édition les 26, 27 et 28 février prochain. Au menu de copieuses découvertes, parmi lesquelles cinq spectacles de la Valise (dont quatre créés pour l’occasion), deux spectacles (créations 2009) de la compagnie messine la S.O.U.P.E., deux de la compagnie belge les Chemins de terre, une exposition de dessins de Virginie van der Bogaert, etc... Des univers artistiques qui n’ont pas été choisis au hasard, tous ces artisans de la manipulation d’objets partageant des affinités certaines avec l’équipe de la Valise. Mais ce n’est pas tout. La cheville ouvrière du festival étant son implantation locale et la ville de Vic possédant un joli vivier d’amateurs rompus aux exercices théâtraux, nombreux sont ceux mobilisés sur la manifestation. Et si vous doutez de la capacité de la Valise de tisser liens artistiques et sociaux, alors commencez par tenter l’aventure de la Soupe le 23 janvier. L’occasion de découvrir l’un des multiples outils mis en œuvre par la compagnie pour réactiver rapports humains et échanges culturels.... D


par caroline châtelet photo : christophe raynaud de lage

focus Giordano Bruno, des signes des temps, les 21 et 22 janvier à Mancieulles (CC St Pierremont) et les 27 et 28 janvier à Metz (Espace BMK - Théâtre du Saulcy) www.compagniedubredin.com

La science des planches On pense souvent que le théâtre n’a guère, sinon rien, à voir avec les sciences... La preuve du contraire avec Giordano Bruno, des signes des temps, plongée dans la vie d’un iconoclaste brûlé pour ses idées.

Peu de spectacles osant aborder le domaine scientifique, on ne porte que plus d’attention aux exceptions théâtrales qui s’attellent à cette thématique injustement boudée. Giordano Bruno, des signes des temps, de la compagnie du Bredin est de celle-ci, puisqu’elle retrace l’histoire d’un philosophe, mathématicien et astronome italien du XVIe siècle. Ce précurseur de Galilée développa des idées novatrices, bousculant autant les pré-requis de la religion que de l’astronomie. Mais il ne fait pas bon remettre en cause les dogmes de l’Église et Bruno mourra sur le bûcher, brûlé pour avoir refusé d’abjurer sa pensée. Cette vie étonnante d’un homme obstiné, Laurent Vacher la met en scène dans une déambulation en trois parties, révélant l’imbrication intime de la formation et de la pensée de Bruno. Trois comédiens sont en scène, interprétant tour à tour le libre-penseur dans une alternance de joutes de l’esprit et de choralité. Le parcours du spectacle suit ainsi celui de la pensée, répondant à la

complexité de la philosophie de Bruno, alliance de poésie et de sciences. Entre propos documentaire vivifié par la forme dialoguée, réalisme du jeu et onirisme des espaces traversés, la création se concentre au plus près de l’homme et de son discours. On suit l’ensemble avec passion, et la référence finale explicite à un jeu télévisé n’en apparaît que plus inutile, tant les réflexions de Bruno touchent à un universel encore concret aujourd’hui. D

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par sylvia dubost

photo : herman sorgeloos

focus 32 rue Vandenbranden, le 9 février au Carreau à Forbach 03 87 84 64 34 - www.carreau-forbach.com du 27 au 29 avril au Maillon à Strasbourg (co-réalisation Pôle Sud) 03 88 26 61 81 – www.le-maillon.com

Tous ensemble ? Après avoir étudié la vie de famille dans trois spectacles, les Belges de Peeping Tom (voyeur en anglais) poursuivent leur travail sur le groupe, en mettant cette fois l’accent sur l’individu.

Peeping Tom c’est, dans la légende de Lady Godiva, le seul personnage qui l’a vue traverser la ville nue sur son cheval. Sur les plateaux de théâtre, c’est ce collectif qui observe avec acuité nos comportements et nos névroses. Issus des ballets C. de la B. d’Alain Platel, compagnie qui a donné un nouveau souffle à la danse belge et la porte encore aujourd’hui, les deux fondateurs, Gabriela Carrizo et Franck Chartier, se situent dans son sillage, en proposant une danse mêlée de théâtre et ancrée dans le quotidien. Ils ont pourtant apporté leur propre patte à cette « manière » belge, en y ajoutant une touche presque fantastique : leurs spectacles sont à la fois hyperréaliste et oniriques, et mêlent trivialité et mystère. Peeping Tom s’est surtout fait connaître par sa trilogie Le Jardin, Le Salon, Le Sous-sol, qui a tourné dans le monde entier et mettait en scène une famille de quatre générations, dans un espace à chaque fois reconnaissable. Le collectif y étudiait le fonctionnement d’un groupe, dont les décisions étaient guidés par des événements accidentels que chacun essayait de parvenir sans jamais y parvenir, une famille qui se bat sans pouvoir maîtriser son destin.

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Leur dernière création, 32 Rue Vandenbranden, s’intéresse toujours au groupe mais cette fois dans le rapport à l’individu : comment se comporter dans un groupe ? Comment concilier liberté individuelle et règles sociales ? Un thème rebattu, mais l’on fait confiance à Peeping Tom pour l’éclairer de manière toute personnelle. Le point de départ a été La Ballade de Narayama, chef d’œuvre de Shohei Imamura (Palme d’or 1983) qui dépeint une société rurale rude et isolée dont les règles sociales peuvent sembler étranges à un regard extérieur. Établissant un parallèle avec la scène finale, où Orin-yan emmène sa mère sur le sommet de Narayama pour qu’elle y meure, un groupe de jeunes se retrouve en haut d’une montagne. Leur isolement en communauté forcée fera surgir des peurs et des sentiments enfouis. Avec beaucoup d’humour et de sensibilité, on l’imagine. D


par sylvia dubost

photo : eric didym

Invasion !, du 9 au 12 février au Théâtre du Saulcy de Metz 03 87 31 57 77 du 17 au 20 février à La Manufacture de Nancy 03 83 37 42 42

ARSENAL — DANSE Ven. 22 janvier 2010 Nasser Martin-Gousset Comedy « 1re partie »

Jeu. 11 février 2010 Cie Sui Generis Emmanuelle Vo-Dinh Ad Astra

Le poids des mots Fraîchement arrivé à la tête de La Manufacture de Nancy, Michel Didym met en scène Invasion !, du jeune auteur suédois Jonas Hassen Khemiri. Un texte dense qui pose à la fois la question de l’immigration et de la langue. C’est aujourd’hui l’une des voix les plus originales de la littérature suédoise. Après deux romans, couronnés de succès critique et public, Jonas Hassen Khemiri, né en 1978 d’une mère suédoise et d’un père tunisien, écrit sa première pièce de théâtre. Invasion ! est conçue comme une enquête policière à la poursuite d’Abdulkasem, à l’origine un personnage de Signora Luna de Carl Jonas Love Almqvist. Au fil du texte et des époques, ce nom va changer de sens, devenir un substantif, une interjection, charrier de multiples images, cristalliser tous les fantasmes et toutes les craintes pour au final, représenter la peur absolue de notre société : celle du terrorisme. Écrite comme une succession de scènes, Invasion ! condense une multitude des questions, sur la langue et son usage, sur la représentation de l’étranger, sur les identités culturelles et les malentendus entre communautés d’une même société. Un tissu extrêmement dense dans lequel se coulent quatre comédiens interprétant seize personnages, favorisant ainsi les glissements de sens. Cette forme est l’enjeu principal de la pièce pour le metteur en scène Michel Didym, qui entend mettre l’accent sur son éclatement : chaque scène sera montée selon des codes différents (théâtre classique, fiction, théâtre-réalité…) et accompagnée par la musique live de Philippe Thibault et Flavien Goudon, chargés de mettre en sons le sous-texte. D

Jeu. 4 mars 2010 Cie Salia Nï Seydou Poussières de sang

Metz en Scènes — Arsenal

3 avenue Ney, 57000 Metz

T. bill. + 33 87 74 1 16 16 www.arsenal-metz.fr 85x123-agwa:Mise en(0)3 page 14/01/10 11:44 Page1

agwa-correria compagnie käfig vendredi 5 mars 2010 . 20h30

Jonas Hassen Khemiri

Danse hip-hop, capoeira et musiques du monde sont réunis dans un spectacle aux acrobaties époustouflantes, mené par 11 danseurs brésiliens de très haut niveau ! renseignements & réservations Ensemble Poirel 03 83 32 31 25 www.poirel.nancy.fr Réseau Fnac, Carrefour 0 892 683 622 * www.fnac.com Ticketnet, Cora, Auchan, Leclerc, Cultura 0 892 390 100 * www.ticketnet.fr Digitick, Office du tourisme et Hall du livre à Nancy 0 892 700 840 * www.digitick.com organisation ville de Nancy licences I 10.22157 & III 10.22159. production Compagnie Käfig. Coproduction Biennale de la Danse de Lyon (Agwa), Espace Albert Camus de Bron. Avec le soutien de la Fondation BNP Paribas et de la Fondation Jean-Luc Lagardère (Agwa). Remerciements : Le Nouveau Théâtre du 8ème de Lyon (Agwa), le Centro Coreographico de Rio de Janeiro et le Consulat de France de Rio de Janeiro (Correria). Photos Michel Cavalca. Programme non contractuel. Graphisme : element-s.


par magali fichter photo : michel cavalca

par emmanuel abela photo : alain kaiser

Agwa / Correria, de la Compagnie Käfig, spectacle le 5 mars, à la salle Poirel, à Nancy 03 83 32 31 25 – www.poirel.nancy.fr

Rencontre dédicace avec Peter Knapp et Wouter van der Veen, le 22 janvier à 17h30, à La Librairie Kléber, à Strasbourg.

focus Derniers Jours à Auvers, projection du film de Peter Knapp et rencontre, le 22 janvier à 18h30, à l’auditorium du MAMCS, à Strasbourg. 03 88 23 31 31 – www.musees-strasbourg.org

Agwa / Correria : energie de groupe

Nouveaux regards sur Vincent van Gogh

Agwa / Correria est le fruit de la rencontre entre le chorégraphe Mourad Merzouki, de la compagnie Käfig, et onze danseurs cariocas de la Companha Urbana de Dança. Un spectacle, deux pièces, bourrées de passion et de vie.

On croit connaître Vincent van Gogh, mais grâce à un ouvrage de Peter Knapp et de Wouter van der Veen, on le découvre sous un jour nouveau, très loin des idées reçues.

Mourad Merzouki l’a fondé en 1996. Comme son nom – qui signifie « cage » en allemand et en arabe – ne l’indique pas, la spécialité de la compagnie Käfig, c’est l’ouverture, le mélange des genres et le métissage artistique. D’une rencontre providentielle, en 2006, à la Biennale de Lyon, avec les danseurs de la Companha Urbana de Dança, ont jailli des œuvres bigarrées, mêlant capoeira et hip-hop, électro et bossa, samba et poésie, pleines d’âme et de chaleur. Ce sont Agwa et Correria. Des danseurs bondissent entre des verres d’eau. Des corps se font gouttes, vagues, orages. Un personnage en k-way transparent observe, étonné, le contenu d’un gobelet en plastique. Voici Agwa, « Aguà », « eau », en portugais. Cette chorégraphie, créée en septembre 2008, distille un message écologique sur une musique au confluent de multiples influences. Correria, c’est « courir », un hip-hop intense et brut, une course contre la montre, fiévreuse et frénétique. Une chorégraphie créée par Mourad Merzouki en 2009, en étroite collaboration avec les onze danseurs brésiliens, qui sont emmenés par Diego Gonçalves “White” Leitao. Puissante. Agwa et Correria, ou comment se laisser emporter, pendant une petite heure, et accumuler de quoi se charger d’énergie positive. D

Peter Knapp, c’est l’élégance du regard, mais c’est aussi une pensée ouverte sur l’évolution de son temps. Il est bon de revoir ses images, mais il est également passionnant d’écouter cet inclassable, tour à tour directeur artistique pour le magazine Elle et initiateur de Dim Dam Dom dans les années 60, photographe, peintre et cinéaste. Sa passion pour Vincent van Gogh l’a conduit à lui consacrer un film, puis deux, et enfin un livre avec l’historien strasbourgeois Wouter van der Veen, publié en novembre dernier, Vincent van Gogh à Auvers. Ce livre qui porte sur les 70 derniers jours du peintre révèle, avec des partis pris graphiques très forts toute la modernité du peintre. Il permet de rétablir quelques vérités par rapport aux fantasmes véhiculés concernant sa folie, sa faiblesse, sa pauvreté et son manque de reconnaissance. Enfin, il resitue toute l’importance de Johanna Bonger, l’épouse de Theo, femme à l’intégrité désarmante, à qui l’on doit non seulement d’avoir préservé une bonne partie de l’œuvre de son beau-frère, mais aussi de n’avoir cessé de favoriser sa notoriété avec intelligence, à la fin du XIX e et au début du XXe siècle. D Ouvrage : Vincent van Gogh à Auvers, de Wouter van der Veen et Peter Knapp, Éditions du Chêne.

Vieille vigne avec figure de paysanne à Auvers F 1624, JH 1985 Huile, aquarelle et crayon sur papier vergé, 435 x 540 mm Van Gogh Museum, Amsterdam © agence lovetc

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par emmanuel abela

par nicolas querci

La longue route de sable, Du 19 au 24 janvier, au Taps Gare 10, rue du Hohwald 03 88 34 10 36

Donnez-vous la peine d’entrer, exposition du 6 février au 28 mars à l’E.A.C André Malraux, à Colmar 03 89 20 67 59 – www.francoise-saur.com

focus

L’autre Strada Un texte de Pier Paolo Pasolini méconnu, adapté au théâtre, c’est le pari audacieux du metteur en scène Cyril Pointurier pour sa compagnie Orchestre Seconde, qu’il expose en première ligne… « Partout éclate la blancheur des uniformes marins. Tout le monde est à la mer, dans le golfe. Commence alors l’un des plus beaux jours de ma vie. » Alors qu’il publie son second roman en 1959, Une vie violente (Una vita violenta), Pier Paolo Pasolini poursuit son travail de collaboration avec différentes revues, dont Successo. Pour ce magazine il rapporte une série de témoignages très personnels, La longue route de sable (La lunga strada di sabbia), un an avant d’écrire son premier film, Accattone. Ce texte a fait l’objet d’une superbe édition en 2005 avec la reproduction des extraits du tapuscrit original et des photos de Philippe Séclier. Aujourd’hui, Cyril Pointurier en propose la première adaptation théâtrale pour sa compagnie, l’Orchestre Seconde. L’exercice est périlleux quand on sait que l’auteur italien a lui-même écrit pour le théâtre, mais l’occasion est trop belle pour provoquer les rencontres les plus insoupçonnées : auto-stoppeurs, vedettes de cinéma, bistrotiers, voyous des ports ou touristes en quête de soleil. Chacun a son mot à dire pour participer à un panorama mordant, drôle et souvent nostalgique des temps où l’industrialisation touristique n’avait pas encore dénaturé cette partie maritime de l’Italie. La présence des photographies originales de Catherine Gier et les travellings sonores rappellent l’affection que porte Cyril à des dispositifs hybrides et en mouvement ; contribution à la restitution de la mélancolie intime et la violence contenue dans le texte d’origine. D

Ne pas déranger Donnez-vous la peine d’entrer est une invitation – presque une injonction – à dépasser le stade des apparences, à aller à la rencontre de l’autre, à rapprocher les lointains, à pousser les portes qui sont laissées entrouvertes à notre intention, à s’asseoir à la table des personnes photographiées. Depuis plus de 30 ans, la photographe alsacienne Françoise Saur (née en Algérie en 1949 et première femme à recevoir le prix Niépce en 1979) explore les sphères de l’intime et de l’universel à travers des images pleines de pudeur et d’empathie pour ses sujets. Démontrant un sens pointu de la lumière et de la composition, ses œuvres sont riches, complexes, chargées de détails censés éclairer la personnalité d’un lieu et de ses occupants. Même lorsqu’elle traite de sujets réputés « sensibles », elle s’en sort sans verser dans la complaisance, en faisant de l’humain plutôt que du social. Donnez-vous la peine d’entrer se présente comme plusieurs séries d’images au format carré qui alternent portraits et natures mortes, scènes de chasse et scènes ménagères, pour former une sorte d’étrange documentaire poétique. La manifestation du Centre d’Art André Malraux suit de quelques semaines sa participation à l’exposition Photographes en Alsace (à la Filature de Mulhouse) et la publication d’un beau livre, Les éclats du miroir (aux éditions Trans Photographic Press), consacré à sa série des Petits contes algériens et accompagné d’un texte inédit de l’écrivain Boualem Sansal. D

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par sylvia dubost

focus Les Présidentes, les 25 et 26 février à la Comédie de l’Est à Colmar 03 89 24 31 78 – www.comedie-est.com

La vie, c’est de la merde Maître du théâtre d’art, le Polonais Krystian Lupa met en scène Les Présidentes de Werner Schwab, auteur autrichien qui puise la matière de ses pièces dans la laideur et la saleté du quotidien.

Pour Schwab, l’homme n’aime pas l’homme. Profondément et à jamais. Il est vil, veule, stupide et méchant. Rien de le sauvera de sa bestialité primitive, aucune religion, aucune politique, aucun art. Né en 1958 à Graz en Autriche, Schwab partage avec son compatriote Thomas Bernhard une haine pour le théâtre, pour son pays natal et ses habitants, et une langue vitupérante, crue et brutale ; avec Elfriede Jelinek, une façon d’enfoncer ses personnages médiocres, produits d’une Autriche raciste et encore largement irriguée par l’idéologie nazie. Ses textes trouvent leur matériau dans toutes les bassesses humaines, pointent la décadence de notre espèce, dans une langue volontiers provocante où l’homme finit toujours par se confondre avec ses propres déjections. Il avait d’ailleurs réuni une partie de ses textes sous l’intitulé Drames fécaux. Lui qui voulait être une rock star, vivait retiré à la campagne où il exerçait l’activité de « bûcheron sculpteur ». C’est ainsi qu’il s’est attaqué à la langue : comme une brute. Werner Schwab écrit sa première pièce en 1990, trois ans avant de se saouler à mort un soir de Nouvel an. En tout, il en écrira une quinzaine. Pour son traducteur Mike Sens, Schwab est un moraliste. Pour le metteur en scène Krystian Lupa, c’est un humaniste qui, par delà son mépris, éprouve une profonde compassion pour ses personnages. Ces Présidentes, explique Lupa, trois femmes dévotes, bêtes et vulgaires, qui partagent leurs rêves et leur vision du monde dans un intérieur aussi misérable que leur existence, « ne maîtrisent pas la langue. Elles ne peuvent prendre du recul et analyser leur décadence, et sont prises au piège. » Lorsque Marie, jeune, naïve et un peu demeurée, mettra involontairement Erna et Grete face à leur triste réalité, elles commettront l’irréparable. M e t te u r e n s c è n e d e M u s i l , Dostoïevski, Bernhard et Hermann Broch, Lupa renoue ici avec un texte de théâtre, auxquels il avait souvent préféré les romans car « les auteurs de drame pensent trop en termes de théâtre et trop peu en termes de vie ». On ne peut certainement pas dire cela de Werner Schwab. D

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par philippe schweyer visuel : ramona poenaru

focus Matin brun, le 4 février à l’espace Grün de Cernay (festival Momix) Goya, du 9 au 11 mars à La Filature de Mulhouse (festival Trans(e))

Face à faces Avec Goya et Matin brun, le metteur en scène strasbourgeois Christophe Greilsammer met le comédien au plus près du public pour mieux mettre celui-ci face à lui-même.

Les deux dernières créations de la compagnie l’Astrolabe fonctionnent suivant un dispositif similaire : un texte court et percutant, un comédien seul, une grande proximité avec le public, une scénographie minimale. Matin brun, qui sera créé à l’occasion du festival Momix, s’adresse avant tout au jeune public ; il est plus immédiatement pédagogique. Dans un espace clos, les spectateurs assistent à une séance de diapositives, commentée par le comédien-narrateur qui décrit, dans une langue claire et simple, la lente transformation d’un pays en État brun, rejetant et enfermant tout ce qui a une autre couleur, et l’apathie avec laquelle son ami et lui se sont contentés de l’observer… jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour eux aussi. Christophe Greilsammer sort opportunément d’un presque oubli la nouvelle de Franck Pavloff, publiée en 1998 par Cheyne et qui fut pourtant le livre français le plus vendu en 2002, quand la présence au deuxième tour de Le Pen suscita une inquiétude générale… Il ambitionne d’« œuvrer à l’éveil d’une conscience citoyenne », qui a bien besoin d’un coup de main.

Si la forme du spectacle est proche, avec un comédien seul au plus près du public et un écran vidéo, auxquels s’ajoute un DJ, Goya est plus complexe. Embarqué à bord d’un bus, le public suit le débat d’idées puis le road-trip hallucinant d’un père et de ses fils à qui il veut, de gré ou de force, ouvrir l’esprit. Il dépensera ses dernières économies pour louer un taxi et les services du philosophe Peter Sloterdijk, et embarquera tout ce beau monde dans une expédition nocturne au musée du Prado, pour voir les œuvres noires de Goya. « Je préfère que ce soit Goya qui m’empêche de dormir, plutôt que n’importe quel enfoiré » lance-t-il à sa progéniture insensible à la beauté de ces peintures et à la lutte de leur père contre « la magnification, la planification, l’amoindrissement de la vie ». Comme toujours chez Garcia, c’est bavard, contradictoire, absurde, brillant… Contrairement à Matin brun, la problématique de Goya est tout sauf binaire, et la position à adopter bien complexe à déterminer… D

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par sylvia dubost

par sylvia dubost

Voyages extraordinaires, du 7 février au 16 mai 2010 Crac Alsace à Altkirch (68) 03 89 08 82 59 – www.cracalsace.com

Les sculptures meurent aussi, du 28 janvier au 28 mars à la Kunsthalle de Mulhouse 03 69 77 66 28 – www.kunsthallemulhouse.fr

focus

Savants fous

L’art et le reste

Les artistes Simon Faithfull et Christoph Keller se livrent à des expériences étranges et, en tentant de comprendre le monde, y injectent un peu de poésie.

Troisième et dernière exposition du commissaire invité Lorenzo Benedetti. Les sculptures meurent aussi clôt une trilogie autour de l’œuvre et de son contexte.

Ils ont un goût commun pour les voyages, certes, mais aussi pour les expériences, les données scientifiques et la manière dont elles peuvent investir le champ de l’art. Simon Faithfull et Christoph Keller, britannique et allemand vivant tous deux à Berlin, ont néanmoins des pratiques bien différentes. Les dessins, vidéos, livres de Faithfull sont autant de traces de ses voyages et de quelques expérimentations étranges. En arpentant scrupuleusement le méridien de Greenwich à l’aide d’un GPS, en reliant Liverpool (Grande-Bretagne) à Liverpool (Canada) ou en tentant de faire voler des chaises, Simon Faithfull tente d’habiter et de se déplacer dans le monde de façon plus libre et poétique. De formation scientifique, Christoph Keller applique scrupuleusement les méthodes rationalistes, qui visaient à la fois à « chiffrer » le monde et à le modifier : il reproduit à l’identique des expériences dont les bases scientifiques sont aujourd’hui remises en cause et interroge ainsi l’évolution (ou non) de notre rapport au monde. L’exposition du Crac montrera un film réalisé à partir du voyage du Cloudbuster, appareil conçu dans les années 50 par le psychologue Wilhelm Reich capable, selon son inventeur, de faire tomber la pluie… Au final, c’est la découverte qui est au cœur de leur travail, de quelque nature qu’elle soit. L’expérimentation peut bien être absurde, l’expédition mentale, l’aventure intérieure. Ce qui importe, c’est de dépasser le connu, et par là même, de le transformer un peu… D

Pour sa première saison, et avec son premier commissaire invité, la Kunsthalle de Mulhouse avait choisi de lier fortement son programme au lieu qu’elle a investi : la Fonderie, cathédrale industrielle qui abritait les ateliers de la Société Alsacienne de Construction Mécanique réhabilitée par les architectes Mongiello-Plisson. Lorenzo Benedetti a ainsi conçu un programme autour de la place de l’œuvre dans l’espace, dans le monde, dans l’histoire de l’art, en invitant exclusivement des artistes émergents. Sa première exposition, La Notte, s’intéressait aux rapports entre l’œuvre et le lieu dans lequel elle est exposée. La suivante, Le jardin aux chemins qui bifurquent, explorait aussi cette question tout en abordant la question du temps et du parcours d’un artiste, la façon dont il peut faire évoluer le sens d’une œuvre. Un programme ambitieux et pointu, avec des œuvres qui résistent à toute approche purement esthétique ou émotionnelle… La dernière exposition de l’ère Benedetti ne déroge pas à la règle. Les sculptures meurent aussi naÎt du constat d’un retour aux formes des années 50 et 60 : à la sculpture, à la forme et à la matière. Le titre de l’exposition fait référence au documentaire d’Alain Resnais et Chris Marker Les statues meurent aussi (1953), qui débute avec cette phrase : « Quand les hommes sont morts, ils entrent dans l’histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’art », référence aux statues africaines qui, arrachées à leurs usages rituels, entrent au musée. La mort des statues est ici le point de départ d’une nouvelle approche de la sculpture, menée à travers les œuvres de Francesco Arena, Michael Dean, Alex Cecchetti, Ida Ekblad, Guillaume Leblon, Mandla Reuter, Oscar Tuazon. D

vidéo de Simon Faithfull

Oscar Tuazon, Where I Lived and What I Lived for, 2007

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par philippe schweyer

par fabien texier

Le 28 janvier à partir de 19h30 au Quai, école supérieure d’art de Mulhouse www.lequai.fr

Du 23 février au 9 mars au Cinéma Bel Air à Mulhouse 03 89 60 48 99 - www.cinebelair.org

focus

Tranches de Quai #11

Espoirs en 35 mm.

Performances sonores et visuelles, expositions de travaux d’étudiants et dégustations : le Quai invite les Mulhousiens à une soirée artistique et festive.

Le festival des premiers films est de retour à Mulhouse, la section hors compétition est dévoilée.

Pour les étudiants, cette nouvelle édition de Tranches de Quai conclura une semaine d’ateliers en compagnie des nombreux artistes invités par l’école : Christophe Keller qui expose au Crac cet hiver, Jérôme Noetinger du catalogue Metamkine, Marc Bembekoff, Michel Giroud, Sébastien Gschwind, Eric Hurtado, Matthieu Husser, Christian Kempf, Jérôme Knebusch, Marjolaine Pigeon, Alexandra Roussopoulos, Christian Savioz, Jürg Stäeuble, etc. Cerise sur le gâteau : on annonce aussi la présence du Sinead Expérience Orchestra en solo. D

La relève est déjà là, il suffit de l’identifier, c’est un peu ce que propose Espoirs en 35 mm. En compétition, des courts d’ici et d’ailleurs, des longs français et des Européens avec la venue de réalisateurs. C’est aussi l’occasion de (re)voir des premiers films sortis cette année comme Ordinary People simplissime et très beau film de Vladimir Perisic, l’itinéraire rock de Violent Days par Lucile Chaufour, l’étrange univers clos de Canines de Yorgos Lanthimos, mais aussi du côté patrimonial, les trois premiers Moretti et le génial L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot revu par Serge Bromberg. D

photo : © pascal bichain

Les frontières de sable La Filature accueille une exposition de documentation céline duval, Frédéric Bridot et Hervé Coqueret sur le thème de la frontière. Jusqu’au 21 février à la galerie de la Filature à Mulhouse. 03 89 36 28 28 – www.lafilature.org www.doc-cd.net + www.semiose.com

L’artiste documentation céline duval constitue depuis quelques années un fonds iconographique en glanant des photos aux puces, sur le net ou dans la presse. Elle les retravaille ensuite pour composer des univers très personnels qu’elle édite sous forme de cahiers d’images imprimés sur papier journal ou restitue en plus grands formats, voire dans des installations vidéo (tel Horizon VI présenté ici dos à Plan d’évasion de Hervé Coqueret, un montage de scènes de cinéma dans lesquelles apparaît le mot “Exit”). Quant à Frédéric Bridot, il présente pour l’occasion une série de photographies de rues privées qui laisse songeur. D (P.S.)

Cinémas d’Asie 16ème édition d’un festival de passionnés : Taïwan, le Viêt-Nam et la Turquie à l’honneur. Du 26 janvier au 2 février à Vesoul 03 84 97 10 85 - www.cinemas-asie.com

C’est le pionnier des festivals asiatique en Europe. Depuis 1995, une poignée de passionnés s’escrime à montrer des films venus de la totalité du continent et à en faire venir les réalisateurs. Une compétition d’inédits : fiction et documentaires, des sections patrimoniales ; avec un regard sur le cinéma d’auteur taïwanais de 1956 à 2008, une intégrale Ömer Kavur, parrain de la Nouvelle Vague turque, des documentaires vietnamiens, une thématique L’Homme et la Nature, mais aussi une soirée japanimation, des expos, des débats… D (F.T)

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par fabien texier

par fabien velasquez

Momix, du 28 janvier au 7 février, à Kingersheim et ailleurs 03 89 57 30 57- www.momix.org

V, le 4 février, au Granit, à Belfort 03 84 58 67 67 – www.theatregranit.com

focus

Gangs de jeunes Momix, 19ème édition, est un de ces quelques festivals jeune public en France qui ont misé avant tout sur l’exigence artistique, l’ouverture à toutes les disciplines et à tous les pays. Traduction : de nombreuses créations et des formes très variées, souvent hybrides : danse, musique, dessin, cinéma, vidéo, et, bien sûr le conte, le théâtre et les marionnettes. Les compagnies viennent cette année de France, Belgique, Allemagne, Québec et même du Brésil. Conséquence de l’ambition artistique du festival organisé par le Créa, des spectacles qui conçus pour les plus petits, les enfants ou les ados ne manquent pas moins pour la plupart d’intéresser les adultes. Prenons par exemple le Carton Park, de Gangpol et Mit, un collectif de musiciens (emmenés par Norman Bambi et Gangpol) et graphistes, qu’on a pu voir dans l’ambiance festive du Natala à Colmar. Ce spectacle, fête foraine en carton en vidéo, musique et bric-à-brac, à destination des plus de sept ans devrait séduire un public extrêmement large. On retrouvera aussi la performance BD/concert de Vanoli et Lauter ou Ein Stuck Autokino, un road-movie allemand filmé directement sur scène… L’ONDA (Office Nationale de Diffusion Artistique) invite par ailleurs les spectateurs à un parcours découverte de quelques spectacles particulièrement audacieux sur le plan de la création artistique. En dehors de la bonne trentaine de spectacles proposés à Kingersheim, on en trouvera presque autant chez les partenaires de Momix, en Alsace bien sûr, en Lorraine, Franche-Comté et jusqu’à Dijon… D

Visuel : Ein Stuck Autokino

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Hate and War Métaphoriquement transposée par la voix, la musique et la vidéo, la révolte est au cœur de ce spectacle de Claude Guerre. Saisi dans ce moment crucial de la fin de la classe ouvrière anglaise, V restitue avec vigueur les tensions dans le Royaume-Uni des années 1980 dirigé par Margaret Thatcher, la dame de fer, « femme-cerbère » insensible aux revendications des syndicats. On assiste à la fin d’un monde… Un homme découvre la tombe de son père profanée par un hooligan sur laquelle la lettre V est taguée. Tony Harrison imagine la rencontre entre le hooligan et l’homme. S’engage alors un match verbal mêlant insultes, poésie et critique sociale : « Mais comment ces sans emploi, ces gamins peuvent-ils croire Même si leur équipe n’arrête pas de perdre Que les pakis, les nègres ou les youpins Qu’ils bombent sur la pierre des caveaux Sont les causes de leur chagrin ? Homme de théâtre, journaliste et cinéaste, Tony Harrison est avant tout un poète se servant des mots comme d’une arme pour dénoncer les injustices d’une société en souffrance. Frontale et radicale (plateau sans décor, quatre spots de lumière, un mur de son, nuages de fumée), la mise en scène voulue par Claude Guerre respecte scrupuleusement le registre du texte : « Je ne fais pas du théâtre, la situation n’est pas un acteur qui représente un personnage et un autre qui représente le second, ce ne serait pas le poème, le poème contient les deux, le comédien se transcende en deux, il s’ouvre en deux pour incarner les deux personnages ; le poème reste devant. » La musique de Jean-Phil Dary (opéra pop, rock et reggae) est omniprésente, les vers déclamés par Guillaume Durieux sont efficaces et incisifs. C’est bien le langage de la rue que le spectateur découvre avec fracas. Harrison dénonce la médiocrité ambiante en proie à la dégénérescence : « Le monde d’aujourd’hui où nous sommes surpeuplés Commence ses matinées par des mires de télé Puis suivent ping-pong, tennis, football ; le tourniquet Pivote, par tous la Guerre du Golfe est admirée. » D


par adeline pasteur

focus Peter Vogel, l’Orchestre Fantôme, exposition interactive, jusqu’au 14 février 2010 Musée du Temps de Besançon – Palais Granvelle. 03 81 87 81 50 – www.besancon.fr Peter Vogel, partitions de réactions Ouvrage co-édité avec l’Espace Gantner de Bourogne.

La science de l’art Peter Vogel, scientifique et artiste touche-à-tout, a déposé son Orchestre Fantôme et d’autres œuvres ectoplasmo-fantastiques au Musée du Temps de Besançon. L’ensemble offre une exposition très ludique, qui interagit complètement avec le visiteur.

Passez votre main au-dessus de cette sphère métallique et observez : des diodes s’allument, un tambourin se met en route, des accessoires crépitent et s’agitent... La sculpture s’anime et le simple visiteur devient alors une composante essentielle de l’œuvre. C’est ainsi que Peter Vogel envisage son travail d’artiste. Cet éminent physicien puise dans son savoir-faire tout en laissant libre cours à son imagination, dans des domaines totalement éclectiques : la danse, le dessin, la peinture, la sculpture ou la musique. Il crée des œuvres « vivantes » qui, grâce à des capteurs sensoriels, réagissent à la lumière ou au bruit et offrent un spectacle étonnant. Les visiteurs s’en donnent à cœur joie, chantant, bougeant ou tapant des pieds pour provoquer une réaction inattendue chez ces objets filiformes que l’on croit, de prime abord, inanimés.

Physique et poétique Le Musée du Temps de Besançon abrite les œuvres de Peter Vogel sous une magnifique charpente, dans un espace tamisé et confidentiel, où la modernité des sculptures prend toute son envergure. Le clou de l’exposition est sans aucun doute l’Orchestre Fantôme : un alignement d’instruments oniriques, dont l’ombre est projetée sur le mur, que le visiteur commande à distance en passant la main sur les capteurs d’un boîtier. Des mélodies surnaturelles prennent vie sous le mouvement abracadabrant et délicat des mécanismes. La visite se poursuit aussi avec des projections vidéo, l’une présentant le travail d’un danseur qui interagit avec une sculpture, l’autre offrant l’image vertigineuse d’une caméra en train de « filmer un écran diffusant ce qu’elle filme ». Déroutant. Les visiteurs séduits peuvent conserver une trace de cette expérience sensorielle en se procurant l’ouvrage co-édité avec l’Espace Gantner de Bourogne, « Peter Vogel, partitions de réactions », qui offre un bel aperçu du travail de l’artiste. D

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par adeline pasteur

focus Charles Fourier ou l’Écart Absolu, du 28 janvier au 26 avril, au Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon 03 81 87 81 61 – www.besancon.fr Utopies et Innovations – Inventer pour dépasser les crises, manifestations culturelles dans seize communes entre la France, la Suisse et l’Allemagne. www.utopinov.net

Vladimir Skoda, Parallax II, 2002-2003 © Faujour Jacques

Quand l’utopie s’expose Seize villes de la Métropole Rhin-Rhône expérimentent un premier projet culturel commun autour de la thématique « Utopies et Innovations », avec des manifestations tout au long de l’année 2010. Besançon ouvre le bal le 28 janvier, avec une exposition consacrée au visionnaire Charles Fourier.

La Métropole Rhin-Rhône est, en soi, une vision qui peut paraître utopiste : réunir des villes françaises, suisses et allemandes et développer un territoire d’une autre échelle, mutualisant intelligences et moyens pour un développement économique collaboratif... Loin d’en arriver encore à cet objectif ambitieux, la Métropole a d’abord décidé de concrétiser sa vocation en une grande manifestation culturelle, au titre savamment choisi : Utopies et Innovations. Des expositions d’art, d’histoire, de science et de technologie émergeront ainsi toute l’année dans différentes villes entre Rhin et Rhône. Besançon, qui se félicite d’avoir accueilli de grands maîtres de la pensée utopiste, tel Jean-Baptiste Victor Proudhon, a décidé d’ouvrir la marche avec, du 28 janvier au 26 avril, une exposition d’œuvres inspirées de l’un de ces maîtres bisontins : Charles Fourier.

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Ambitions sociétales Rêveur et avant-gardiste, Charles Fourier a eu une influence considérable sur la pensée politique et littéraire du XIXe siècle. Il nourrissait l’ambition d’une société liant individu et collectif, sachant à la fois créer du lien social et respecter les diversités, autour d’une économie éthique. L’exposition bisontine présentera l’homme et ses théories, ainsi que des œuvres contemporaines se revendiquant « fouriéristes », dans un parcours en douze passions, offrant une lecture originale des grandes idéologies du philosophe : les cosmogonies, le règne de l’Harmonie, les architectures utopiques, le Nouveau Monde Amoureux ou encore la gastrosophie. Charles Fourier est, en effet, le seul philosophe à avoir inspiré une production artistique constante jusqu’à aujourd’hui, d’André Breton à Robert Filliou, en passant par Paul Chan et Franck Scurti. Une exposition qui met en valeur des idées de coopération et de partage d’un siècle révolu, mais qui restent, furieusement, d’actualité. D


par adeline pasteur photo : antonin borie

focus Somadaya, en concert au Cylindre, à Larnod (25), aux côtés de Sugar Plum Fairy et Aloan, le 21 janvier, 21h30. www.myspace.com/somadaya Album : My Lady of Pain

Somadaya, l’explosion jubilatoire Somadaya débarque au Cylindre le 21 janvier prochain avec, dans ses valises, un son atomique et un enthousiasme contagieux.

Somadaya, c’est d’abord une voix. Une voix à la fois brute et cristalline, totalement atypique, qui ne laisse pas de place pour la demi-mesure. Les amateurs du timbre d’Anouk sont d’ailleurs unanimes sur le sujet, et intarissables quant aux émotions qu’elle leur procure. Mais ce serait bien trop simple si le groupe ne se résumait qu’à un grain de voix fantasmagorique... Somadaya, c’est aussi six compositeurs talentueux, revendiquant des inspirations savoureuses – Mogwai, Radiohead, Sigur Ros, Blonde Redhead – qui pimentent leurs morceaux sans jamais trahir leur identité et leur créativité. Leur premier album, My Lady of Pain, offre un voyage dans des univers démesurés, aux sons hors normes et aux identités imposantes. Sur scène, le ton est immédiatement donné, avec l’enchaînement de morceaux qui saisissent tripes et tympans dans une frénésie jubilatoire, qui ne s’achève qu’au bout de la psychédélique Dots : une prouesse de huit minutes qui monte en puissance avant d’exploser, aussi bien sur scène que côté public. Des bisontins à suivre de près, et à découvrir en live sans tarder.

Lorsque l’on est un jeune groupe, sortir un album professionnel par ses propres moyens est ambitieux… Etait-ce une décision difficile à prendre ? À dire vrai nous avons toujours eu cette ambition... En fait, la question est de savoir la valeur que l’on accorde à sa propre musique. Nous n’avions pas la prétention d’avoir un niveau de jeu parfait, mais nous voulions vraiment concevoir un album aussi abouti que possible. Et nous y avons apporté beaucoup de soin. Pourquoi ce titre de My Lady of Pain ? Le titre est lié à la préparation de l’album, qui n’a pas été simple. Nous avions tous beaucoup de choses extramusicales à gérer et, par ailleurs, nous avons dû changer de batteur en pleine réalisation. Ce titre reflète le côté « lady » de la musique, par sa beauté et son élégance, et le fait que créer implique aussi une certaine douleur. C’est une réalité que nous voulions partager. Quelles sont vos ambitions ? Continuer à jouer dans cette configuration, car cela nous procure beaucoup de plaisir, et pourquoi pas, un jour, en vivre. Nous sommes vraiment prêts à nous lancer à 100 % dans un projet d’envergure et, si l’opportunité se présente, nous saurons la saisir. Aujourd’hui, nous sommes à la recherche d’un label et d’un éditeur pour aller plus loin. D

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par e.p. blondeau photo : vincent arbelet

focus Dum Dum Club #1, le 26 février, et Anti-pop Consortium, le 9 mars à La Vapeur, à Dijon 03 80 609 610 – www.lavapeur.com www.myspace.com/sabotagecrew

Sabotage à tous les étages Non contents d’avoir réussi le tour de force de fédérer tous les amoureux des musiques indépendantes à Dijon, les têtes chercheuses de l’association Sabotage investissent désormais les musiques électroniques et le hip hop. L’hiver sera chaud. Sabotage aime les contre pieds, aller au delà des évidences, bref ils ne sont jamais là où on les attend et c’est pour cela qu’on les aime. Depuis plusieurs années, ils ont entamé un véritable défrichage des musiques indépendantes et ont fait découvrir au public dijonnais des hobos improbables, des folk-singers bouleversants et autres artificiers d’un monde de la musique qui existe encore loin des autoroutes du prêt à écouter et des tubes digestifs sonores. Avouons-le, un concert Sabotage est bien souvent la promesse d’un moment inoubliable dans des lieux et avec des groupes où l’intimité a toute sa place. Aussi, pourquoi ne pas déplacer ce savoir-faire et s’associer désormais avec d’autres activistes dijonnais pour mieux bouleverser encore davantage nos habitudes d’auditeurs qui ne demandent que ça. Le vendredi 26 février, l’électro va passer à la moulinette des activistes de La Vapeur, du label Citizen et de Sabotage pour une soirée Dum Dum Club qui va faire date. L’enjeu : inverser la Vapeur, la retourner, la rendre méconnaissable pour mieux mettre en valeur les prestations de Terry Lynn, FM Belfast, Arnaud

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Rebotini et Surkin. Soit un plateau électro de très haute volée qui lancera à coup sûr le rendez-vous avec un lieu que l’on croyait pourtant bien connaître. Mais détrompez-vous : vous n’étiez encore jamais allé à la Vapeur…. Et l’association Sabotage vous réserve encore une surprise de taille avec la venue d’Anti-pop Consortium, les légendes du hip hop new yorkais, le mardi 9 mars. À la fois détenteurs des recettes magiques du hip hop à l’ancienne et expérimentaux jusqu’au bout des scratchs, Anti-pop Consortium n’a même pas à se soucier des comparaisons, ils habitent une terre musicale où personne ne saurait défier leur aura. Combo sans concession, leur dernier album en date a remis tout le monde d’accord. Le hip hop que l’on aime, celui qui n’est pas frelaté, garantie sans bimbos et piscines, un hip hop avec des paroles de haut rang et des déflagrations jouissives. D


par caroline châtelet photo : sophie pouchet

focus Les Schubertiades, les 22, 23 et 24 janvier, à l’auditorium de Dijon et à l’auditorium du CRR de Chalon-sur-Saône 03.80.48.82.82 – www.opera-dijon.fr

Schubert dans tous ses états Sous la houlette de l’Opéra de Dijon, le musicien David Grimal propose trois jours autour de l’œuvre multiple et passionnante de Franz Schubert. Un marathon musical à l’orée du romantisme, à réaliser tête baissée.

« Schubertiades » : en tant que béotien, on peut croire à une création du mot pour l’occasion... Ce dernier est en réalité ancien et sa naissance contemporaine du compositeur autrichien, puisque le terme apparaît pour la première fois sous la plume d’un intime de Schubert en 1821. Les Schubertiades désignent alors des cercles, groupes de personnes liées par leurs affinités artistiques et leurs amitiés, qui se retrouvent pour échanger. Les conditions politiques et sociales de l’Autriche à cette époque étouffant l’émergence artistique, ces formations semiclandestines deviennent pour leurs membres un geste de survie intellectuelle. Les Schubertiades occupent ainsi une place essentielle dans la vie du compositeur, exaltant par leur essence même la psychologie schubertienne : on y retrouve à la fois le besoin primordial de la communion dans le collectif, la nostalgie face à un paradis perdu et l’impossibilité qui en découle à exister en tant qu’individu propre. Tant de thèmes et d’obsessions présentes dans l’œuvre de Franz Peter Schubert. Mais, si les Schubertiades se fondent sur l’amitié et le partage du génie artistique, Schubert n’y figure pas pour autant comme un maître à penser omnipotent. Il en constitue, au contraire, le cœur et on y lit aussi bien des vers, des pièces de Shakespeare, des romans de Walter Scott, qu’on y discute les propos de Schubert.

C’est tout l’esprit de ces Schubertiades que le violoniste David Grimal réactive à Dijon et à Chalon-sur-Saône. Ce soliste renommé internationalement intervient régulièrement avec son ensemble les Dissonances au sein de l’Opéra de Dijon, structure qui l’accueille en résidence depuis 2008. Des rendez-vous bien souvent atypiques, qui bousculent la simple forme du concert pour proposer la découverte transversale d’une œuvre ou d’un compositeur. Les Schubertiades version Grimal se placent donc elles aussi sous la double influence de l’amitié et de la création. Le violoniste réunit autour de lui de grands talents de la scène nationale et internationale et des artistes tels que Ayako Tanaka, François Salque, Alain Planès, Anne Gastinel, Thomas Bauer ou le quatuor Orfeo qui se succéderont pour interpréter les œuvres connues et d’autres, plus confidentielles de Schubert. Un marathon-musical en dix étapes, pour s’immerger trois jours durant dans la richesse de l’œuvre de l’un des plus grands compositeurs du XIXe siècle. L’ensemble étant précédé d’une rencontre et conférence sur le thème « Qu’est-ce qu’une Schubertiade ? », afin de maîtriser au mieux le sujet avant de débuter... D

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par caroline châtelet photo : vincent arbelet

focus Péniche Cancale, Port du Canal à Dijon 03.80.43.15.72. – www.penichecancale.com

Canal alternatif Nouveau lieu dijonnais, la Péniche Cancale offre de jolies alternatives bistrotières et un renouvellement du paysage culturel. Visite guidée du bateau et de sa drôle d’équipée.

Pour vous raconter la Péniche Cancale, je pourrais commencer par son pedigree : bâtiment fluvial de 39 mètres, de gabarit Freycinet – du nom d’un ministre des Travaux publics de la Troisième République –, construite en 1951 à l’Arsenal de Toulon et utilisée pendant une quarantaine d’années pour le transport de marchandises les plus diverses (sel, charbon, ciment et même pièces nucléaires !). Ou alors, je pourrais vous la décrire telle qu’elle est aujourd’hui : rouge bordeaux à l’extérieur, noire à l’intérieur et amarrée au port du canal à Dijon. D’une capacité d’accueil de quatre-vingt dix-neuf personnes à quai et douze en navigation, son réaménagement concilie sur les 82 m2 de sa surface une scène, un bar, une cuisine, des sanitaires, une loge et des lieux de stockage. Et, pour les beaux jours à venir, un pont terrasse de 125 m2. Voilà. Deux descriptifs très factuels, l’un historique, l’autre contemporain, mais qui ne suffiront jamais à appréhender la réelle folie de ce projet. Ainsi que toutes les étapes nécessaires à son existence. Car si l’inauguration de la Péniche le 5 novembre 2009 constitue l’aboutissement d’une première phase, elle ouvre également une nouvelle période, celle de la vie au long cours de ce bar culturel et de son équipée autant cinglée que passionnée... Remontons aux origines de l’histoire : l’envie d’une péniche spectacles germe il y a quelques années au sein d’un groupe d’amis. Parmi eux, Benjamin Magnen, ancien responsable de la communication à Zutique Productions (association organisatrice du fameux Tribu festival) et actuel gérant de Cancale. L’idée est belle, d’autant plus ambitieuse que Dijon n’est traversée d’eaux que par son canal, situé à la lisière de la ville. Une progressive mise en œuvre s’engage alors, à travers la consultation d’autres porteurs de projets de ce type en France (tels le bateau phare à Paris), la réflexion sur la structure administrative adéquate et, surtout, la recherche de la fameuse Péniche. C’est à Saint-Jean de Losne que l’équipe la trouve, où elle est en retraite longue durée. Acquise en octobre 2008, Cancale fait l’objet d’une remise à neuf intégrale, seul le nom demeurant inchangé par superstition généralisée ! Et, mieux qu’une deuxième jeunesse, les travaux dotent le vaisseau d’une ambition écologique, qui

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possède désormais sa propre centrale de traitement des eaux usées. Restent ensuite quelques peintures, le convoyage et l’aménagement intérieur, réalisés avec l’aide des associés et actionnaires. Ces bénévoles, tous acquis à la cause Cancale, sont d’ailleurs encore présents de temps à autre, afin d’aider les salariés à gérer le lieu. Car, oui, la Péniche Cancale est un bar. Oui, elle est un lieu culturel, proposant une programmation diversifiée du jeudi au dimanche, avec concerts et mix les soirs, et spectacles, jeux de sociétés, goûters les week-ends. Mais, surtout, elle est un projet collectif, citoyen et solidaire, brassant publics, populations et univers artistiques. L’occasion, aussi, de redécouvrir une ville les pieds dans l’eau. D


à La Filature, Scène Nationale – Mulhouse du vendredi 5 au samedi 13 mars 2010 théâtre / dès 6 ans (Allemagne) Höchste Eisenbahn – Les Seigneurs du Rail Hans Fallada – Markus Joss danse – performance (Suisse) Dream Season Alexandra Bachzetsis danse – musique / première (France – Suisse) Mais le diable marche à nos côtés Heddy Maalem théâtre déambulatoire (France) Goya Rodrigo Garcia – Christophe Greilsammer opéra / première française (Allemagne – France) Geen krimp, Gustav ! d’après Gustav Mahler – Ludivine Petit théâtre dînatoire / première (France) Microfictions Régis Jauffret – Valéry Warnotte, Charlie Windelschmidt Nuit électro (Allemagne – France) Danger / Ellen Allien installation sonore et lumineuse (France) Cécile Babiole installations – arts plastiques / du 5 mars au 2 mai / en partenariat avec le CRAC Alsace (Allemagne, France, Suisse, mais aussi Belgique, Afrique du Sud…) Le décor à l’envers avec Ulla von Brandenburg, Yves Chaudouët, David Cousinard et Sarah Fauguet, Aurélien Froment, Franziska Furter, Ann Veronica Janssens et Michel François, William Kentridge, Lutz & Guggisberg, Estelle Vernay


Rehberger trace sa ligne Par Sandrine Wymann et Bearboz

Bordeaux, Strasbourg, Paris et bien d’autres villes encore ont déjà offert leurs lignes de tram aux douces élucubrations d’artistes. Installer des œuvres le long d’un trajet de transport en commun, c’est se plier aux enjeux de l’art dans l’espace public, donner à voir et parfois à vivre l’art contemporain aux usagers quotidiens d’un transport dont ils n’attendent que l’aspect utilitaire du service. Mulhouse a choisi de confier chacune de ses lignes à un artiste. Après Daniel Buren, c’est à Tobias Rehberger de proposer une série d’œuvres qui petit à petit trouvent leur place le long des rails mulhousiens. Tobias Rehberger a été choisi en 2006. En juin dernier, à Venise, il a reçu le Lion d’Or de la Biennale. Le voilà à présent connu et reconnu. Qui douterait dans ces conditions du bien-fondé de sa venue à Mulhouse ? Le design, l’architecture, la sculpture mais aussi les liens sociaux que ces disciplines sous-tendent, intéressent Rehberger. Ainsi, quand on lui demande d’intervenir le long de la ligne 1, il fait appel à tous ces champs artistiques et développe des œuvres que le public a peut-être du mal à attribuer à une seule et même personne. À la gare, apparaissent depuis peu les structures de Muullhhoouuse. Sortes d’Abribus de couleurs vives qui, quand ils seront opérationnels, seront directement reliés à la météo de trois villes homonymes : Casa Molino, Mülhausen et Millhouse. Entre esthétiques et fonctionnelles, ces pièces invitent le passant à s’installer, à prendre son temps mais à ses risques et périls, puisque la moindre goutte de pluie tombant sur l’un des « mulhouse » sera répercutées dans le module qui lui est associé.

Deux arrêts plus loin, deux très courtes pièces musicales de Pierre Henry plus tard, on arrive Porte Jeune et ce n’est pas sans mal que l’on devine en rebroussant un peu chemin le champ de La Pomme de terre d’or, au pied de la Tour du Bollwerk. Certes, cette pièce ne se présente pas sous son meilleur profil en plein mois de janvier mais elle met également le doigt sur la difficulté qu’a eu l’artiste à concilier les exigences de l’exercice auquel il faisait face: faire appel à des références locales, les mettre en œuvre et les restituer.

La légende de la pomme de terre d’or, Tobias Rehberger se l’est ré-appropriée à travers un petit champ presque anodin et aucunement signalé, qui se fond aux autres parterres verts de la cité et par un film réalisé par Björn Renner, qui met en image cette histoire traditionnelle. À défaut de le voir, comme annoncé, dans une vitrine voisine, ce film caricatural, mais plutôt réussi, peut être visionné sur Youtube.

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Le long de la ligne, peut-être dans la tradition de la fresque mulhousienne, Tobias Rehberger a disséminé Paroles sur différentes façades. Des messages que seuls les habitants, nous dit-on, savent décoder. Une enquête, sans doute trop rapide mais assurément spontanée, ne nous a pas permis d’obtenir les clés de cet alphabet obscur.

Devant la caserne des pompiers, Non stop est une œuvre un peu étrange qui s’inscrit difficilement dans l’esthétique de Tobias Rehberger et qui peine à être reliée à la dynamique du tram, vu son isolement. Cette construction en béton fait référence à une ancienne station de tram, délabrée par le temps et offerte aux graffitis et aux tags. Un peu facile tant dans sa référence que dans ce qu’elle représente de main tendue vers les habitants du quartier, cette construction aurait sans doute mérité une utilisation plus réelle et moins de décorum.

À la Cité de l’Automobile, les Garages Monstruits sont pour le moment une des pièces les plus réussies. Trois garages, en réalité plutôt des abris, auxquels Rehberger a réservé ses meilleurs qualités de designer. Originales et colorées, elles embellissent la station et offrent également aux usagers un toit qu’ils ne refusent pas par temps difficiles.

D’autres œuvres sont annoncées et il nous reviendra de commenter un tout puisque c’est ainsi que le projet a été pensé. Pour autant et pour l’instant, un vrai geste artistique est constaté mais comme à chaque intervention dans l’espace public, on mesure la complexité qu’il y a à rencontrer sur ses terres un public qu’il faut prendre par la main et mener vers d’autres territoires.

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rencontres par matthieu remy

Fort d’un deuxième album solo, Clair, JP Nataf est venu faire un tour sur la scène de l’Émile Vache à Metz et sur celle du Coup du Monocle à Nancy, pour deux concerts solos parfaitement inoubliables. L’occasion de lui demander quel est son rapport aux mots, à la littérature et aux chanteurs à texte.

Vers la clarté Quelle est la place que tu accordes aux textes dans tes chansons ? En partant du postulat qu’il n’y a pas de règles, que chaque chanson a une conception particulière, qu’elle peut prendre du temps ou pas du tout, le texte chez moi est dans la majorité des cas secondaire. Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas important mais il vient en second. En moi, il y a un grand atelier mental qui est rempli de musique et au-delà une sorte de bloc-notes sur mon ordinateur – avant c’était un dictaphone mais je fais partie de ces gens qui font dérailler les machines – où j’enregistre de temps en temps des airs, des rythmes, des mélodies. Dans les périodes créatives, j’ai dans les doigts, en permanence, une trentaine d’ébauches de chansons. Et le premier frisson dans la conception d’une chanson, il est sonore. Le réflexe, quand je prends une guitare, ça n’est pas de me demander ce que je vais dire, c’est plutôt d’ajouter une mélodie par la voix. Pour moi, les textes doivent être de la musique, ils doivent être un support à l’instrument qu’est la voix. Ce qui peut poser un vrai problème, notamment quand on pose une mélodie de voix en anglais sur une chanson qui est destinée à être en français, parce qu’il faudra ensuite respecter les sonorités qui ont servi à faire venir la chanson : à l’époque des Innocents, on s’arrachait pas mal les cheveux là-dessus. Pour éviter ce piège-là, maintenant, j’essaie d’avoir très vite quelque chose en français et de ne pas passer par l’anglais. Et si j’enregistre, c’est qu’il s’est déjà passé quelque chose quant à ce que ça va raconter. Mais ça peut prendre entre un quart d’heure et trois mois, à se demander ce que ces noteslà peuvent engendrer comme images, comme réflexion sur qui je suis.

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On a l’impression que quelque chose relève du collage dans tes textes… Disons que c’est comme si je donnais soudainement la parole à un personnage. Et c’est un peu comme si j’écrivais un rôle pour un acteur avec qui je n’avais pas pu travailler jusque là. Et le sens, c’est la dernière chose dont je me préoccupe, du coup. C’est Bertrand Bonello qui m’a sorti cette phrase de Godard un jour en studio, sur le fait d’associer des images claires avec des idées floues. En réalité, je ne sais pas ce que je vais raconter : il n’y a pas de message, pas d’idée au préalable. Je ne vois que des images. C’est sûrement du cinéma, quelque part. À un certain moment, la scène est claire et je demande aux personnages d’improviser. Après, je prends tous les mots tels qu’ils arrivent et il faut qu’ils fonctionnent avec la voix : si je chante une octave en-dessous, ça n’impliquera pas les mêmes mots et c’est toute la différence entre Ovale lune et Mon ami d’en haut sur le premier album. Mais ça n’est ni un article, ni un livre : je puise. J’écris énormément de bouts de phrases sur des cahiers, que je ne relis jamais. Mais de temps en temps quand je les rouvre, je me rends compte qu’il y a des tas d’éléments qui se retrouvent dans mes chansons. Je pense que lorsque j’entends des phrases, ou quand je vois des mots écrits, du panneau de signalisation au titre de film, ça m’arrive dans le cerveau comme de la musique. Et j’enregistre ça comme si c’était un sample de musique. Ovale lune, c’est l’allitération en « l » qui l’a emporté sur le sens, par exemple. Tu as été influencé par certains chanteurs à texte ? Oui, Brassens. J’ai essayé de le faire mais je pense qu’on finit toujours pas lâcher les choses pour lesquelles on est le moins doué. Pourquoi ne pas chanter en anglais ? L’anglais sonne mieux musicalement, c’est certain mais je crois que toutes les langues, très bien chantées, sonnent très bien. Brassens et Trenet, ça swingue. Il se trouve qu’on est un pays, globalement, avec une pauvre culture musicale. Nos musiques folkloriques, ça n’est pas le Brésil… Pourtant, il y a beaucoup de gens qui font de la musique, mais quand on écoute la radio, on voit bien que la recherche de la belle mélodie a été abandonnée il y a un bout de temps. Je pense que la dernière génération qui s’est préoccupée de ça, c’est la nouvelle chanson française de la fin des années 70 : Berger, Souchon, Voulzy, Sanson. C’est le dernier


moment où on a une variété populaire de qualité musicalement. Je déteste le propos de Starmania, c’est le summum du mauvais goût pour moi, mais je reconnais que les mélodies sont des tueries. Depuis, je ne pense pas qu’il y ait eu un chanteur populaire en France dont je puisse me souvenir d’une mélodie au réveil. Goldman, c’est pour moi le moment où ça bascule. Et aujourd’hui, Bénabar, il n’y a pas l’ombre d’une mélodie. Le storytelling a pris le pas sur la musique : on projette un personnage et on met de la musique derrière. Est-ce que tu es un lecteur de littérature ? Non. Mais quand je dis que je ne suis pas cultivé, ça ne veut pas dire que je ne suis pas sensible aux mots. Je suis un sensitif : une strophe d’un poème, un paragraphe d’un roman peuvent me nourrir pendant trois semaines. J’ai le souvenir d’une page de Mort à Venise de Thomas Mann que j’ai lue en boucle pendant une semaine. Cette page était tellement merveilleuse, que j’y suis restée. Et de la même manière, je

peux lire les trois mêmes pages de Michaux pendant trois semaines. Je lis mais je ne replace pas dans un contexte, dans l’histoire de la littérature. J’aime une phrase comme j’aime un arbre. Alors je n’ai pas de culture mais j’adore la langue. J’étais mauvais élève enfant, mais je n’arrêtais pas de jouer au Scrabble avec mon père : j’aime les mots. Mais tous les mots, y compris ceux qu’on trouve dans la rue. La musique, au moment où je la pose, où je la valide, montre une exigence de certains mots. Et il est hors de question qu’un mot inadéquat vienne contrecarrer le sentiment que je veux faire naître. Je déteste ça chez les autres et je suis encore plus dur avec moi. ❤ Dernier album : Clair, Tôt ou Tard

Propos recueillis au Coup du Monocle le 4 décembre 2009.

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rencontres par emmanuel abela

photo : pascal bastien

En quelques mois, l’élégance d’esprit d’Émily Loizeau a de fait de cette belle jeune femme une figure incontournable dans le domaine de la pop, en France. Retour aux sources, à l’occasion de sa venue à La Laiterie, à Strasbourg, en décembre dernier.

Émily Loizeau, les sillons de la terre

Son second album révèle quelque chose d’incroyablement charnel chez Émily Loizeau. Pays Sauvage touche au cœur et au corps. L’enregistrement, chez elle, en Ardèche a-t-il favorisé une quelconque forme de libération ? « Ça répondait à un besoin intense au moment de l’écriture pour me plonger dans une véritable introspection et ne pas m’échapper. Le fait d’enregistrer là-bas a non seulement permis cela, mais a amplifié les choses : ça a provoqué quelque chose de très animal effectivement. Ce pays a répondu à ces envies… » Sur le disque,

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les influences sont ouvertement folk, Émily Loizeau renoue ainsi avec une culture qui a bercé son enfance. « J’ai baigné là-dedans, avec un père français qui aimait toute cette musique-là, mais aussi la musique noire américaine et beaucoup la chanson française et avec une mère, fan de Bob Dylan et de Joan Baez. Tour cela fait partie de mes racines autant que le classique et la chanson. » Il y a cependant quelque chose en plus chez elle, qui renvoie à Tom Waits, en passant par Kurt Weill. « Oui, j’aime ce côté cabaret, très brut dans la forme et dans le son », nous confirme-t-elle. « Dans l’Opéra de Quat’Sous, j’aime ce côté rugueux des harmonies et des timbres. » On pense immanquablement à Lotte Lenya, et du même coup, l’attitude d’Émily Loizeau sur scène, juchée sur un cube, le tambourin à la main, martelant le rappel des troupes, nous devient évidente : derrière une extrême générosité, il y a une forme de sécheresse et un goût prononcé pour la terre, en tout cas une grande exigence qui se manifeste jusque dans le choix des mots. Ne lui parlez pas de “nostalgie” par exemple – « Je trouve que la nostalgie, c’est morbide. » –, sa filiation anglaise l’incitera à préférer l’emploi du mot “mélancolie”, une mélancolie qu’on sent rattachée à d’autres sources, notamment d’Europe de l’Est. « Je n’essaie pas de m’implanter dans un style très précis. Avant tout, j’ai un besoin d’écrire et d’exprimer des choses, mais c’est sûr que dans ma musique, outre le blues, le negro spiritual, en passant par le hip hop et le slam, il y a cette dimension européenne. Je crois que c’est l’importance des chœurs et des rythmiques qui donne ce côté presque chamanique. Nous avons mené une réflexion sur les rythmes, les cordes pincées du violoncelle et sur les voix qui, de manière habitée et organique, font penser à la fois à des musiques d’Europe de l’Est, mais aussi à une chanteuse brésilienne qu’un ami de mon bassiste m’a fait découvrir, Renata Rossa. J’ai écouté son disque, et je me suis dit qu’il y avait quelque chose de mystique, très lié entre la voix, les percussions et les chœurs qui présentent ce côté rond et aigre à la fois, et qui semblent venir de loin. » ❤ Dernier album : Pays Sauvage, Polydor En concert dans le cadre de la semaine de la chanson à la Filature de Mulhouse le 27 mars.


par e.p. blondeau

photo : vincent arbelet

Depuis bientôt dix ans, Wax Tailor fait résonner ses productions. Reconnu désormais comme un producteur de premier plan aux États-Unis, plus personne ne doute que le futur du son US passera aussi par lui. Il est français, d’accord… mais c’est lui qui a la formule.

Wax Tailor : l’affranchi Alors que l’électro à la française montre quelques signes d’essoufflement, il faudrait tout de même être d’une sacrée mauvaise foi pour ne pas reconnaître, depuis désormais quinze ans l’apport décisif de notre électro hexagonal à l’export. Malheureusement, cette heureuse parenthèse a engendré quelques monstres qui finiront de discréditer l’électro à la française dans un bain moite de mièvrerie superpitchée. Mais on ne s’en fera jamais pour Wax Tailor, il a suivi patiemment et obstinément le chemin qu’il s’est tracé et cette voie le conduit au cœur de cinquante ans de musique noire américaine. Au passage, les alpinistes noteront qu’il n’a pas choisi la voie la plus aisée : marcher sur les traces des grands producteurs US, manier la soul, le funk, le hip hop pour un producteur français, on ne peut pas vraiment parler de tradition séculaire. Mais c’est oublier que les producteurs américains ont bien souvent la tête dans le guidon, le style chevillé à la table de mixage et surtout l’appel des charts comme Graal ultime. De ce côté-ci de l’Atlantique, Wax Tailor s’accorde le luxe de ne rien se refuser, à lui les clins d’œil à la Blaxploitation, au funk de Parliament, à la Motown ou aux pionniers du hip hop. L’alchimie est réglée au cordeau et il faut voir Wax Tailor sur scène, concentré, arc-bouté sur ses platines, lancer ses frappes chirurgicales électro, hip hop et bien souvent bristoliennes aussi. Encore un truc que les Américains n’auront pas… Wax Tailor convoque les fantômes de Massive Attack et de Portishead et prend un malin plaisir à les transférer illico au cœur de New York. Son dernier album en date In the Mood for Life sonne comme un condensé du bagage de Wax Tailor, biberonné au hip hop des années 90 et au funk de Bootsy Collins, il s’est définitivement affranchi. Les révérences, les clins d’œil et les emprunts sont désormais au placard, le futur de la musique américaine passera aussi par lui, qu’on se le dise. Les samples laissent désormais la place en concert au violoncelle, à la flûte traversière funky et aux voix de Mattic, MC bondissant et de Charlotte Savary, chanteuse évanescente. La production des morceaux est tout simplement vertigineuse, Wax n’est pas du genre à multiplier les effets de manche, à pointer le doigt vers le

public ou à démontrer ses talents de DJ – et pourtant croyez moi, il pourrait en remontrer à un bon nombre de pousseurs de boutons. Ici, on parle de musique et de célébration afro-américaine, en jetant des ponts parfois improbables entre les genres. Un véritable rêve de mélomane. Wax Tailor est en mission, il laisse les autres DJs à la française user le genre jusqu’à la corde. Il le sait, dans la ruée vers l’or, il a bien plus d’un coup d’avance. ❤ En concert le 10 mars à L’autre Canal à Nancy et le 17 avril au festival des Artefacts à Strasbourg.

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rencontres par guillaume malvoisin

photo : vincent arbelet

Michel Vinaver, l’action et le réel L’an passé, la Maison Saint-Jean, à Dijon, recevait Michel Vinaver pour une reprise de sa pièce Aujourd’hui ou Les Coréens mis en scène par Wuturi. Avec l’évidence simple du ruisseau frappant les pierres, cette version amène la complexe beauté du geste de théâtre de Vinaver à son essence polyphonique : celle de l’action farouchement portée sur l’ouverture du spectateur. Entretien avec l’auteur.

Je suis très heureux de vous rencontrer car je crois avoir compris enfin votre théâtre après avoir vu cette représentation. Ce qu’en a fait Wuturi, me révèle des dimensions dont je n’avais pas idée ni à l’écriture ni ensuite. Vous me disiez que vous avez eu un accès à mon théâtre par cette représentation, je dirais que j’ai un accès à cette pièce par cette représentation, plus précisément à comment représenter mon théâtre. J’avais déjà vu deux fois Wuturi monter Les Coréens, à Séoul puis à Louviers. Cela m’a certainement marqué dans le travail que j’ai fait ensuite à la Comédie Française sur L’Ordinaire. Cela a déblayé pas mal de voies pour représenter ce théâtre et notamment comment on fait du point du vue du réel, de ce qu’on n’a pas besoin de faire pour que la pièce advienne dans la conscience et dans les émotions des spectateurs.

Mais des moyens très pauvres... Ce seraient des moyens élémentaires plutôt que pauvres. C’est tout l’apport de cette chorégraphie où on ne peut séparer le jeu de la danse. La danse fait le jeu.

Il y a quelque chose de paradoxal à partir du réel pour aboutir à une vérité possible avec un bout de bâton et un bout d’étoffe. Oui, mais sans que cela ne devienne maniériste, sans que cela soit une stylisation. C’est ce qui est intéressant dans ce travail. Nous n’avons pas besoin de figurer les fusils des soldats, la nourriture. Tout cela peut se faire par des moyens qui sont propres au théâtre et qui évitent les effets en trompe-l’œil.

Vous écrivez Les Coréens en 1955, deux ans après la fin de présence française en Corée. Pourtant votre texte semble dénué d’urgence ou de revendication. Dès cette pièce, il m’a semblé que l’écriture théâtrale était une façon d’explorer le réel dans ce qu’il a de confus et d’indéterminé. C’est un travail de fouille et certainement pas de communication d’idées ou de sentiments. L’écriture est un acte exploratoire. Il n’y a pas une vérité qui essaie de se communiquer d’une façon ou d’une autre. C’est vrai que la pièce a été écrite par un jeune écrivain convaincu que la Corée du Nord était en train de libérer la Corée du Sud. C’était l’image d’Épinal de l’époque. Ce qui est intéressant pour moi, c’est que 50 ans après, les Coréens du Sud y voient ce qui est peut-être justement un regard de l’extérieur sur la réalité de leur peuple, de leur nation née de cette guerre fratricide. Je voulais, à partir de la lecture des journaux, essayer de voir ce qu’était tout cela.

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Et la présence du sacré, niché jusque dans le corps des interprètes... Oui, c’est un élément qu’on ne pourrait pas imiter dans notre façon de travailler. On se dit à voir les acteurs sur scène que ce n’est pas uniquement du savoir-faire. Il y a quelque chose d’autre. Il y a cette très belle réplique décrivant l’effet du métal dans la chair et des liquides qui en écoulent. Pour vous, est-ce là un effet du mot au théâtre ? C’est intéressant de vous l’entendre dire, mais ce n’est pas une pensée qui m’est venue, ce n’est pas une connexion que j’avais faite.


C’est ce qui induit cette forme séquencée, de collage à votre pièce ? Oui, mais il y a quand même un récit, le récit du passage de Belair vers la “coréanité”, un récit initiatique.

à-dire quel rythme, quels éléments musicaux. J’apporte le texte non seulement dans sa version définitive mais annoté comme une partition.

Il perd son idéologie, son illusion ? Les soldats ne sont pas dans l’illusion dans cette pièce, ils sont littéralement dans un no man’s land, sur une terre où il n’y a pas d’humanité. L’approche de la mort, la perte de la virilité de Belair puis la petite fille sont le début d’un parcours initiatique. J’ai toujours été intéressé par les rites d’initiation comme ceux qu’on peut supposer avoir été à l’origine du théâtre. Quand j’ai écrit ma première pièce, j’avais ceci à l’esprit.

Vous parlez de vos pièces comme un champ politique ouvert. Tout est là. La représentation est une invitation pour chaque spectateur à trouver son espace, son paysage à lui. Ce qui m’intéresse, c’est de voir combien les réceptions sont diverses à partir d’une seule et même représentation. Chacun se fait sa pièce.

On vous considère comme un dramaturge de l’oreille, pour qui le son propose le sens. Comment arrive-t-on à l’oreille en privilégiant comme vous le faites l’œil de l’actualité ? J’aime beaucoup les images, je les découpe dans les journaux, je les collectionne, je fais des collages mais quand j’écris, je ne vois pas d’image. J’écris dans une écoute qui n’est pas physique. Je n’entends pas les mots, mais il se trouve que je sais exactement dans quel son ça va venir. C’est-

Êtes-vous ainsi toujours arrivé à éviter le piège de l’idéologie ? C’est l’idéologie qui n’est pas arrivée jusqu’à moi. Je n’ai jamais su adhérer à une opinion. Mon théâtre est ouvert du fait de cette incapacité. ❤

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Portrait de l’artiste en révolté, Editions de la Différence (Matière d’images) http://blogsocialtraitre.blogspot.com www.radiomne.com (Yves Tenret lit ses textes pour les auditeurs de la webradio mulhousienne)

ELOGE DE LA REVOLTE par philippe schweyer

Dans Portrait de l’artiste en révolté, Yves Tenret raconte à travers de courtes monographies comment certains artistes marquants (de Jérôme Bosch à Dubuffet en passant par Duchamp et Courbet) se sont opposés au système dominant.

Yves Tenret enseigne l’histoire des idées à l’école d’art de Mulhouse, écrit des romans (Comment j’ai tué la Troisième Internationale situationniste et Maman) et publie régulièrement dans la revue Social-Traître. Il a collaboré avec l’écrivain-dessinateur Frédéric Pajak, l’artiste Stéphane Magnin et le vidéaste Loïc Conanski. En 2008, les architectes Berger&Berger lui ont commandé une série de récits fantastiques dans le cadre de leur résidence au 104 à Paris. Morveux for ever, provocateur attachant et libertaire indécrottable, Yves Tenret est surtout un raconteur d’histoire(s) fascinant. Rencontre rock’n’roll dans les locaux de la webradio mulhousienne MNE pour évoquer la vie chaotique d’artistes qui, bien que morts depuis longtemps, ne nous avaient jamais parus aussi vivants.

Dans la préface, tu écris que si la révolte est excitante, l’art l’est encore plus… Contrairement à ce que pourrait faire croire ce livre, je ne pense pas du tout qu’il faille absolument se révolter et faire un art révolté. D’ailleurs, j’ai mis un tableau de Fragonard au début du livre. J’ai énormément d’estime pour un peintre comme Poussin au XVIIe siècle, qui était heureux, qui vivait à Rome et qui ne supportait pas les rapports de soumission à la cour du Roi de France. Je ne crois pas du tout à une obligation de se révolter. Je voulais appeler mon livre Portrait de l’artiste en caractériel, mais l’éditeur a refusé parce qu’il avait peur qu’on le range dans le rayon psychologie. Mais le fond de mon livre, c’est plutôt « obéissez à vos impulsions, soyez pénibles ! » Dans ton livre, il y a quand même l’idée de donner envie aux jeunes artistes de se révolter ? C’est ça, mais ça ne se limite pas aux jeunes. On vit un moment assez mou. Il s’agit de poser aujourd’hui, dans un

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contexte très précis, l’idée de l’art et de la révolte. Je montre la vie de ces artistes, les contextes historiques dans lesquels ils se sont révoltés et comment ils se sont révoltés. Mais ce qui m’a aussi intéressé, c’est une problématique métaphysique sur la compulsion à faire de l’art, sur la question fondamentale « Qu’est-ce que c’est l’art ? ». Il y a une chose qui me fascine et qui court tout le long du livre, c’est l’intérêt pour le graffiti. À un moment donné, George Grosz a une telle rage qu’il va dans les pissotières relever les graffitis pour changer son style, pour le rendre plus agressif. Picasso dit à Brassaï qu’il adore les graffiti. Avant de le comprendre profondément, je croyais que ce que faisait Paul Klee, c’était de la régression infantile. Kandinsky a fait un livre sur les fondements de l’art… Tous ces gens s’interrogent métaphysiquement sur l’art. Mon livre s’arrête à Dubuffet qui va exposer des graffiti en 1945. La critique, ça n’existe plus malheureusement, va réagir au quart de tour ! Jeanson, qui sera secrétaire


informatique ! J’aime Dubuffet qui a réussi sa carrière et qui reste complètement révolté jusqu’à la fin de sa vie. Il se fâche avec tous ses amis en écrivant qu’il faudrait créer des instituts de déculturation pour former un corps de spécialistes aptes à dire non. C’est une idée formidable ! C’est ce que tu apprends à tes étudiants ? Je ne suis pas un idéologue et je n’apprends pas aux étudiants des attitudes. J’apporte mes propres opinions, très tranchées, pour leur permettre d’avoir les leurs. Mais si il y a quelqu’un qui me dit qu’il préfère rester suspendu à sa liane toute la journée en fumant des joints, pourquoi pas. Je ne sais pas ce que les gens doivent faire. Je serais davantage en deuil d’un art intéressant que d’une attitude politique intéressante. Le militant était très mal vu par l’Internationale Situationniste parce qu’il a un côté christique. Il veut la révolution pour demain et quand il souffre, c’est pour le bien des autres. Il y a un reste de chrétienté là-dedans que je déteste ! Je déteste évidemment toute la soupe politique et j’ai peur de l’écologie. Je suis plutôt dans l’individualisme exacerbé.

de Sartre, va dire que Dubuffet a inventé le Cacaïsme ! Je n’avais pas du tout pensé aux tags, mais quand je dis graffiti, les jeunes gens pensent tag. Je ne sais pas si je n’ai pas cherché l’essence du rock’n’roll en faisant ce livre… Le rock, c’est davantage la rébellion contre les parents que contre la bourgeoisie… Si on lit Please Kill Me, un très bon livre sur les punks américains publié chez Allia, on voit que le punk dépasse la révolte yéyé. Il y a un mûrissement qui va très vite. Les punks ont essayé quelque chose en s’inspirant des situationnistes qui sont la référence “ultra-gauche” après guerre.

Tu écris à la fin de ta préface qu’en scrutant le tableau Tête de vieillard de Fragonard au Musée de Nice, ce que tu hallucines est une promesse de bonheur… Il y a une histoire autonome de la peinture. Fragonard représente le moment où, à la fin du XVIIIe siècle, s’invente la peinture moderne. C’est un peu le plaisir de peinture. Je me vois écrire un bon livre avant de mourir. La question du bonheur est une question très récente qui a à voir avec ce dont on parle. Aujourd’hui, mon slogan est « qui cherche le bonheur trouve le confort ». Le système de consommation est plus fort que nous. Alors que je n’ai jamais rien possédé, j’adore la micro-

Les noms des mouvements auxquels tu t’intéresses (les zutistes, les fumistes, etc.) rappellent les noms de certains groupes de rock. À l’époque, il y a un changement des outils de production industrielle. Le prolétariat arrive à la lecture et à l’écriture. Il se créée une petite classe moyenne de gens qui savent lire et écrire et qui cherchent un emploi. On donne envie aux gens de faire quelque chose qui n’est pas possible. C’est la même chose de nos jours. Ces gens sont malheureux et ils font des mouvements de révoltés, mais dans un esprit très potache. Par exemple, Nerval va se promener avec un homard vivant en laisse au Jardin du Luxembourg. Ils font des gags sans arrêt. Mais derrière cet aspect potache, il y a une plainte. Le but de ces regroupements, c’est de se réunir, de boire comme des salauds, d’essayer d’avoir des rapports avec les femmes. Ils inventent quelque chose qui ressemble au rock’n’roll. Y a-t-il aussi des exclusions ? Il y a des fâcheries comme dans tout mouvement, mais il n’y a pas d’idéologie dominante puisque ce sont des trucs de fous. Alphonse Allais traverse tous les mouvements. C’est vraiment quelqu’un d’adorable. Mais le type que je préfère est en queue de comète, c’est Félix Fénéon qui va faire des revues et un boulot d’édition formidable. Il va aller aux procès défendre des gens qui ont mis des bombes. Le peintre de référence, c’est Vallotton. Les autres semblent un peu attardés. Après, il va y avoir le grand mouvement Dada qui lui, est dos au mur. Ces gens sont vraiment dans l’engagement politique. À la première révolte sérieuse, l’armée assassine Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. De ce malheur, les Dadaïstes n’arriveront jamais à se

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FĂŠlix Vallotton, Femme accroupie offrant du lait Ă un chat, 1919.

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« Je ne sais pas si je n’ai pas cherché l’essence du rock’n’roll en faisant ce livre… » ggg

relever. Un type comme George Grosz est très célèbre en Allemagne. En mars 1933, les nazis débarquent dans son atelier pour l’envoyer dans un camp de concentration, mais il n’est plus là. Il arrive aux EtatsUnis où il n’est plus personne. Il devient professeur dans une école privée de jeunes filles. Et il est très malheureux… Quel est le point commun entre ces artistes ? Depuis Jérôme Bosch jusqu’à la dernière toile de Dubuffet, ils sont tous antirationalistes. Tous ces gens sont violemment contre Descartes, contre la Grèce classique, pour un retour à la sauvagerie, à la barbarie. C’est un rock’n’roll qui serait sublimé, qui n’est pas le rock’n’roll commercial des rééditions en coffrets à 600 euros. Ce qui les relie aussi, c’est le goût qu’ils ont pour ce qu’ils font. Ils sont prêts à crever pour faire ce qu’ils font et ce qu’ils font est plus important que leur engagement politique. Degas était d’extrême droite et Pissarro d’extrême gauche. Degas est antisémite et Pissarro est un gauchiste juif. Ils s’adoraient, ils tiraient des lithographies ensemble, ils étaient copains comme cochons parce qu’ils aimaient ce qu’ils faisaient et ils se réunissaient là-dessus ! Duchamp n’a jamais eu d’argent. Personne ne le dit alors que ça devrait être mis en avant. Quand Tinguely va le voir après guerre à New York et qu’il apprend qu’il paye 40 dollars de loyer par mois alors qu’il est déjà très célèbre, il tombe sur le cul. Il n’y a rien chez lui. Duchamp est un type extrêmement élégant qui arrive à vivre sans frais fixes. Il avait ce dégoût de la possession. Jorn paye des revues à des jeunes gens exaltés dès qu’il a de l’argent. Dubuffet fait un truc fantastique à la fin de sa vie quand il commence à avoir vraiment beaucoup d’argent : il construit une maison en pente dans le sud de la France sur un terrain vaseux, une espèce d’œuvre d’art en vrai pour brûler cet argent. Ce sont des gens désintéressés, alors que la première chose qui frappe dans l’art contemporain, c’est la vénalité. De même que quand je te parle de rock’n’roll, tu entends money, fric… des choses assez laides.

Comment as-tu choisi les artistes auxquels tu t’es intéressé? J’ai été fortement marqué par le Situationnisme. Je me suis rendu compte après coup que c’était le pivot inconscient du livre. Les situationnistes aimaient beaucoup le millénarisme, les mouvements exaltés : quand on en peut plus, qu’on brûle tout le monde… Et Bosch était un millénariste nudiste. C’étaient des proto protestants assez délirants qui faisaient la messe à poil, qui valorisaient la femme à un moment où elle ne l’était pas tellement. Ensuite, on passe à Courbet qui est une icône de la lutte des classes en France. Un situationniste anglais, Timothy James Clark, a écrit un très bon livre sur Courbet. Courbet, c’est Andy Warhol, un type qui utilise tout le monde, qui fait sa propre pub, qui aime le public plus que tout, qui est d’une vanité émouvante. C’est un gros ours plein de santé. Enfermé après la Commune, il écrit à ses sœurs : « C’était moche, mais ça va bien pour mes toiles, elles ont gagné 50% en importance marchande. » Chaque fois qu’il fait une rentrée d’argent importante, il achète du terrain pour se construire une superbe maison avec un atelier. Il n’y arrive jamais parce qu’il mène une vie d’artiste et qu’il est très vivant. Il couche vraisemblablement avec la plupart de ses modèles. On sent son goût pour la chose, alors que Proudhon est un coincé qui pense que Courbet peint des femmes nues pour montrer que les putes sont dégradées par le système. C’est vraiment l’idéologie la plus stupide qu’on puisse imaginer ! Courbet est touchant. Il a grandi avec ses sœurs et il a dû jouer beaucoup à touche-pipi avec elles. Il a un rapport heureux aux femmes. Il se comporte très bien pendant la Commune, mais comme il appartient aux classes moyennes, il n’a pas intérêt à changer le monde. Il a réussi, il aime le monde comme il est, mais il aime aussi beaucoup la Commune. Il a quelque chose de paradoxal. Après la Commune, il finit dans un désespoir total comme George Grosz qui meurt dans son vomi, comme Jimi Hendrix, très peu de temps après être rentré en Allemagne. C’était lui aussi un type très excessif qui picolait beaucoup…

Pour être artiste, il faut picoler ? Pas du tout ! Je commence à douter, mais toute ma vie j’ai pensé qu’il fallait travailler contre soi pour élargir son territoire. Dubuffet, quand il arrive à la maîtrise de quelque chose, il l’abandonne et il va dans le sens inverse. Toute ma vie j’ai pensé que quand on était un homme, il fallait trouver sa féminité. Si on était jeune et plein de vitalité, il fallait trouver en soi son côté vieillard. Si on était un homme mûr, il fallait retrouver son côté enfant. Si on était blanc, il fallait trouver son côté noir. Norman Mailer a écrit Le Nègre blanc. C’est un révolté pour lequel j’avais beaucoup d’estime quand j’étais jeune. Tu pourrais écrire un Portrait de l’écrivain en révolté… Dans le cas de l’écriture, c’est presque un pléonasme. Même des contemplatifs comme Kafka et Musil sont des révoltés. Kafka est complètement révolté par le milieu juif dans lequel il vit. James Joyce, pourtant une figure anti politique vraiment militante, était capable de dire du bien d’Hitler uniquement pour faire chier. James Joyce qui est l’icône des écrivains du XXe siècle, est révolté par la situation en Irlande. Il trouve qu’il n’y a que des crétins dans les deux camps. C’est vraiment un caractériel formidable. La plupart des écrivains finissent dans des conditions très difficiles. Ils ont des vies dramatiques. Ils ne vont pas à la soupe. On a l’idée de gens qui auraient vécus en marchant sur l’eau, mais ce n’est pas ça du tout. Ils étaient dans la merde jusqu’au cou. Musil finit sa vie dans une cave à Genève. C’est très difficile d’écrire à un certain niveau. Ça demande une espèce de rage, de compulsion. C’est violemment obscène. Contrairement à l’art où le savoirfaire revient très vite, le langage résiste vraiment. On est toujours au bord de la platitude ou de l’incohérence. Dotremont qui était le théoricien de Cobra finit dans un asile de vieux en banlieue bruxelloise ! Appel est millionnaire, Corneille est millionnaire et ce sont les mêmes merdes ! Jorn est très célèbre et gagne beaucoup d’argent. L’écrivain est un peu le maudit de notre temps. Les mecs qui tirent à 100 000 exemplaires comme Marc Levy ne sont pas des écrivains. J’espère pour eux qu’ils n’écrivent pas leurs livres eux-mêmes ! Y a-t-il des Marc Levy de l’art contemporain ? Très certainement. Mais, le côté mondain est lié à l’art. J’aimerais aimer le côté léger, le côté design, la mode… Je n’y arrive pas. Je suis un vieux briscard et je ressemble plus à un vieux bout de cuir boucané qu’à une jeune fille fraîche et rose… i

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Corentin et Sam Timel, Milan K. – Tome 1 : Le Prix de la Survie, Les Humanoïdes Associés.

Derniers albums : François Boucq et Alejandro Jodorowsky, Bouncer – Tome 7 : Cœur Double, Les Humanoïdes Associés

Chez François Boucq, la relation trinitaire – un auteur, un dessinateur, un lecteur – favorise des perspectives inouïes. Échange informel autour de la série Bouncer, à la Librairie Kléber, à Strasbourg, en compagnie de Corentin, un jeune dessinateur publié chez les Humanoïdes Associés.

L’incarnation d’une intention par emmanuel abela et olivier bombarda

photos : pascal bastien

Vous avez pris l’habitude de demander aux lecteurs qui vous sollicitent pour une dédicace de se dessiner eux-mêmes. Que cherchezvous à leur faire comprendre ? Quand la personne se dessine, elle ne dessine pas seulement une représentation d’elle-même, elle représente la conscience qu’elle a d’elle-même. À force de dessiner des personnages, on se pose la question des pieds, des mains, du nez, de la bouche… Chaque élément dessiné renvoie à quelque chose de vécue par la personne. Elle va négliger certains aspects d’elle-même, en révéler d’autres : ça donne un portrait extrêmement évocateur de ce qu’est la personne. Il y a un phénomène qu’on peut apparenter à une forme d’incarnation. Nous ne nous situons pas dans une

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problématique qui ne serait que celle de l’esprit, mais nous sommes bien dans la réalisation du verbe. Ainsi, si on fait un retour en arrière, quand le lecteur me désigne un personnage qu’il souhaiterait voir représenter, il me montre comment il envisage sa propre incarnation, ainsi que les données qu’il n’est pas en mesure d’exprimer sur lui-même, mais sur lesquels, moi, je peux le renseigner. Cette manière de faire s’inscrit-elle dans un projet particulier ? C’est une démarche qui me fait prendre conscience que le dessin en général, et le dessin pour la bande dessinée en particulier, est un moyen qui n’est pas seulement artistique, mais thérapeutique. Le traumatisme renvoie à la négligence.

Pourquoi la négligence ? Quand quelque chose souffre en nous, on va en parler et tenter de l’évacuer, mais on va rarement l’aborder de manière frontale, alors que cette chose peut se manifester de manière très différente, notamment par le biais du dessin. Le fait d’aider quelqu’un à dessiner une chose qui reste inconsciente pour lui, lui permet de rentrer dans la conscience de cette chose. S’il a été blessé, il va manifester cette blessure et on peut, par un geste qu’on peut qualifier d’analogique ou de symbolique, l’aider dans la phase incarnée de lui-même à cautériser la blessure qui lui a été infligée.


Cela peut-il expliquer le fait que vous explorez le monstrueux avec Alejandro Jodorowsky dans la série Bouncer, notamment ? La monstruosité n’est qu’un a priori de celui qui croit avoir une idée de ce qu’est la beauté alors que dans la beauté et la monstruosité, je n’y vois que des particularités de l’incarnation. Quand je dessine une personne telle que je la vois je vais avoir tendance à réveiller, chez celui qui regarde, une idée particulière, y compris celle de la monstruosité alors que moi, mon personnage, je ne le vis pas comme quelqu’un de monstrueux, mais plutôt comme l’expression d’une spécificité. Alors, c’est sûr, dans le cas de Bouncer, l’ablation du bras correspond à une limitation, mais cette limitation engendre une compensation. Son handicap va me permettre de révéler le caractère héroïque du personnage. L’un des héritages de la bande dessinée est celui du conte traditionnel ou du mythe raconté. Avec Bouncer, j’explore un type de narration qui prend sa pleine dimension narcissique et qui me permet de révéler le caractère héroïque du lecteur lui-même.

« Je me suis dit : c’est incroyable, le dessin vaut pour la chose. Il n’est pas uniquement une représentation, c’est la chose même ! » personnage avec une hache plantée dans la tête, je lui réponds que je vais d’abord voir si je suis capable de le lui créer et de le rendre crédible. Après, je lui dis : je veux bien que dans le scénario, tu m’intègres cinq enfants tueurs. On avance ainsi… Et en même temps, vous vous retrouvez sur un terrain qui peut sembler neutre, celui du western. Le problème du western, c’est qu’il était monopolisé par Giraud [le dessinateur des Blueberry, ndlr] depuis des années. Ça devenait un terrain tabou sans qu’on n’ose se le dire. Le travail de Giraud était tellement exemplaire que d’essayer de s’y confronter, ça s’apparentait à une forme de profanation. Je me suis autorisé à faire un western le jour où Giraud m’a proposé de dessiner un Blueberry.

Dans Bouncer, le cadre renvoie au Spectre aux balles d’or ou à certains épisodes du cycle Chihuahua Pearl. Est-ce si difficile de sortir de ce cadre-là ? Dans les cycles de Blueberry, le décor jouait son propre rôle. Je connais bien les images de Giraud, je les apprécie tellement que je les aie forcément quelque part en tête. Du coup, pour sortir de ce cadre, il faut retourner à la source : il faut se rendre là-bas, regarder les paysages, les photographier, les dessiner. Il faut également se replonger dans l’histoire de l’Ouest américain et dans la documentation d’époque sur les vêtements et les habitudes. Si on cherche à savoir comment ils tenaient leurs flingues, tout à coup naît une nouvelle iconographie, sur laquelle on peut s’appuyer pour créer un nouveau type d’histoire. Il y a une différence

Dans ce dernier cycle, on découvre des sœurs siamoises, un médecin très amoureux, brûlé, défiguré, un bandit effroyable, père de cinq enfants terrifiants, une source mystérieuse. Tous ces éléments naissent-ils des discussions avec Alejandro ? Ces éléments apparaissent au fur et à mesure du récit. Avec Alejandro, on se téléphone et on envisage ensemble des situations : et si untel faisait cela ?, et si l’autre disait ceci ?, etc… Je prends l’exemple des sœurs. Dans une première version, elles n’étaient pas siamoises… C’est amusant, mais à la lecture de Bouncer, on a le sentiment d’une vraie fusion de vos univers propres à Alejandro et à vous-même. Au bout d’un moment, on ne sait plus ce qui vient de l’un et ce qui vient de l’autre. Et puis, il arrive comme dans un couple qu’on impose ses conditions : je veux bien faire ceci, mais accepte cela en retour ! Quand Alejandro me demande de dessiner un

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entre la réalité de ces gars qui tiraient à bout portant et ce qu’on voit dans les films, cette manière de tirer de Kirk Douglas dans L’Homme qui n’a pas d’étoile de King Vidor, par exemple. Le détail du flingue qui éclate en pleine main constitue un élément narratif très intéressant. De même, pour ces situations où les gars se tiraient dessus sans voir le truc partir… Après, il y aura forcément des éléments communs à Giraud, tout comme on trouvera des éléments communs à Giraud et Gijé. Dans le dessin réaliste, on s’inscrit toujours dans une filiation.

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Vous évoquiez un nécessaire retour à la source, et justement, dans votre parcours personnel, il y a un instant fondateur qui concerne un sourcier et qui explique la pratique de votre trait vibrant. Cette expérience fait partie des choses qui m’ont éclairé sur la capacité qu’a le dessin lui-même. Un jour, je me retrouve avec ce sourcier dans son atelier. Il m’annonce qu’on va chercher une source à proximité. Je m’apprête à partir sur le terrain et là, il me dit que ça n’est pas nécessaire, que le travail

de recherche va se faire dans son atelier. Il prend une feuille de papier, et dessine le plan du terrain à explorer. Il passe ses baguettes sur la feuille de papier. À l’emplacement où devait se situer l’eau, les baguettes se sont retournées. Quand nous nous sommes rendus sur le terrain, ça correspondait bien à l’endroit qui avait été indiqué sur le papier. Je me suis dit : c’est incroyable, le dessin vaut pour la chose. Il n’est pas uniquement une représentation, c’est la chose même ! De même, quand on dessine, nous ne sommes pas non plus dans la simple représentation,


« Quand on est dessinateur, on cherche à faire du dessin et au bout d’un moment, il y a une inversion : c’est le dessin qui se fait à travers vous. » nous évoquons constamment des aspects de nous-mêmes. Quand Corentin [il désigne le dessinateur en face de lui] représente un arbre, une femme, un homme, etc., ces figures deviennent l’arbre pour lui, la femme pour lui, l’homme pour lui, c’est le héros pour lui, c’est le méchant pour lui. Nous, notre travail, c’est d’agir sur nous-mêmes en utilisant les représentations extérieures du monde.

constant. Cette réflexion sur la pratique du dessin est menée quotidiennement, ce qui n’empêche pas un plaisir inouï. Quand on est dessinateur, on cherche à faire du dessin et au bout d’un moment, il y a une inversion : c’est le dessin qui se fait à travers vous. Vous êtes possédé par lui et vous découvrez donc le plaisir de l’état de dessiner. Il faut maintenir cet état-là.

Quelle distance mettez-vous par rapport au dessin que vous réalisez et qu’est-ce qui vous permet de dire qu’il s’agit d’un bon dessin ? Il est bon quand il est juste, et la meilleure manière d’obtenir cette justesse, c’est justement de réduire cette distance entre ce dessin et vous. Le dessin est juste parce qu’il est homogène par rapport à l’intention. Si entre cette intention et la production du dessin, il y avait la moindre hésitation ou approximation, on perdrait en justesse. Il ne sera plus l’expression de cette intention. Le dessin constitue une image mouvante. On se rend compte que la réalité objective nous échappe en permanence, et on est désespéré de constater à quel point elle nous échappe. Le seul moyen par lequel nous pouvons réussir à dépasser ce constat, c’est de s’appuyer sur la culture commune du dessin, donc sur les contemporains, mais aussi sur les grands anciens. Nous allons essayer des choses, mais comme celles-ci nous échappent, nous empruntons alors des points de fixation qui nous ont été transmis. Il faut donc osciller entre cette tentative de fixation et l’impermanence des choses que nous cherchons à représenter.

Vous-même, Corentin, menez-vous une réflexion équivalente ? Corentin : Au côté de François Boucq, mon apprentissage est plutôt technique. Il porte sur des principes de narration assez précis.

Dans ces choses qui vous échappent, y en a-t-il auxquelles vous ne souhaitez pas vous confronter, qui vous font peur ou qui, malgré tout, continueront à vous échapper ? Cette confrontation à la réalité, on peut la résumer comme un aller-retour

Qu’est-ce qui vous a frappé chez Corentin ? François Boucq : Tout d’abord, je ne devrais pas le dire en sa présence, mais c’est un bon dessinateur, très prometteur… Mon propos n’est pas d’intervenir sur son dessin. Il a son vocabulaire, sa manière de voir les choses, mais là où je peux lui apporter quelque chose, c’est dans l’ordonnancement de son récit. On peut être bon dessinateur, mais il s’agit d’être bon dessinateur de bande dessinée, ce qui veut dire être capable de raconter une histoire. Je cherche à lui faire prendre conscience des pièges qu’on peut placer dans ses propres images, du fait de l’activité de l’inconscience. Parfois la partie inconsciente qui s’exprime vient créer des perturbations, et peut conduire le lecteur dans des voies qui ne sont plus celles du récit. Je lui ai fait la démonstration récemment d’un cercle vicieux créé involontairement par un dessinateur. Si on ne fait pas attention, l’œil peut être piégé dans des formes, il va suivre d’autres lignes de force dans la page et il faudra un effort supplémentaire au lecteur pour retourner au récit. Ce que j’explique à Corentin, c’est que chaque élément doit être posé l’un par rapport à l’autre et qu’on doit favoriser un flux naturel.

Corentin : François m’a fait prendre conscience de compositions en mouvement, au cœur même de la page, afin d’éviter les impasses dans lesquelles on peut s’enfermer. Si on replace les choses dans une perspective historique, alors que le peintre a quitté la figuration depuis les années 20, celui qui appréhende le réel par le dessin aujourd’hui, c’est bien le dessinateur de bande dessinée. François Boucq : Je suis complètement d’accord avec ça. Prenons Mondrian, un cas typique, le Mondrian des débuts et le Mondrian de la fin. Celui de la fin est très intéressant intellectuellement, mais il me semble stérile dans ce qu’il m’apporte visuellement. Par contre, le moment où Mondrian est intermédiaire et où il n’a pas encore adopté sa théorie radicale qui lui fait peindre des tableaux géométriques, ce moment où il est en train de s’épuiser en essayant de saisir la structure des arbres, là, il est beaucoup plus fertile. Il est encore dans une tentative de représentation figurée, et en même temps pas seulement. Il se trouvait à l’endroit où l’on se trouve aujourd’hui, nous autres, dessinateurs de bande dessinée, à la fois dedans et pas dedans, à la limite parfois de l’abstraction. À partir du moment où l’on admet que le réalisme absolu est impossible, nous n’exprimons qu’une vision de la réalité. C’est la même chose pour la photographie, cette sorte de cannibalisme du réel. [Commentaire amusé du photographe Pascal Bastien, en train de se préparer : « Il ne va pas être déçu ! »] Ça n’est qu’une manière de voir la réalité qui entre en résonance avec l’expérience de celui qui en témoigne. On pense souvent à cet extrait de L’Évangile selon St Jean : « Au commencement, était le verbe. » [Jn 1,1] On prend le verbe pour le mot, mais c’est une erreur. Le verbe est intention. La perversion de l’approche conceptuelle contemporaine, c’est de ne réduire cette intention qu’au mot, alors que le verbe doit s’incarner dans la chair pour exister. À ce titre, l’une des plus belles manières de permettre cette incarnation, c’est le dessin. i

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www.medicis-art.fr www.schaufenster.fr

Signe des temps : en l’espace de quelques mois se sont créés en Alsace l’association Médicis et le fonds de dotation Interfaces, deux structures visant à promouvoir le mécénat dans le domaine de l’art contemporain. Un même objectif mais des modes de fonctionnement différents.

Finances privées par sylvia dubost

Il semble désormais évident que les pouvoirs publics ne peuvent plus financer seuls la culture. L’état se désengage clairement et les DRAC (directions régionales des affaires culturelles) voient leur budget diminuer drastiquement, les régions et départements sont à deux doigts de perdre leurs compétences en matière de culture, les budgets des collectivités locales, privées de taxe professionnelle et pour l’heure de compensation, sont en baisse. La « société civile » va devoir prendre le relais, au moins pour partie, encouragée en cela depuis plusieurs années par une fiscalité avantageuse. La loi du 1er août 2003 permet notamment aux entreprises (et professions libérales) mécènes de bénéficier d’une réduction de l’impôt sur les sociétés, pouvant atteindre 60% du don. Il semble cependant que l’information passe encore assez mal. Marc Willard, psychiatre et président de l’association Médicis, constate par exemple que certains experts comptables et l’AGA (association de gestion pour les professions libérales) ne font pas toujours preuve de bonne volonté et que lorsqu’il s’agit de défiscalisation, « c’est parfois le parcours du combattant ». Il manque encore des relais entre le monde de l’entreprise et celui de la culture… Il existe bien des structures œuvrant en ce sens : les chambres de commerce et d’industrie, l’Admical (Association pour le Développement du Mécénat

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« Les entreprises ont besoin d’être guidées dans leur choix artistiques. » Industriel et Commercial), la DRAC avec un chargé de mission… mais Grégory Jérôme, conseiller à l’OGACA et président du fonds de dotation Interfaces, pointe un certain immobilisme, surtout dans le domaine de la création contemporaine. « Le mécénat est accaparé par le patrimoine », constate-til, domaine qui se situe certes devant l’art contemporain en termes de dons, mais plus loin encore devant le spectacle vivant. Les entreprises se tournent souvent vers ce qui leur semble le plus accessible et, face à des modes d’expression qu’elles connaissent mal, ont besoin d’être informées sur les possibilités d’action et guidées dans leurs choix artistiques.

Un manque que Médicis et Interfaces entendent bien combler, avec des modes de fonctionnement très différents. L’association Médicis est essentiellement une structure de conseil : sa mission est d’informer les entreprises sur les enjeux du mécénat (différents du parrainage ou sponsoring ), les possibilités de défiscalisation, de les aider dans leur choix et, s’il ne s’agit pas d’un simple achat d’œuvre, de suivre le projet jusqu’à son terme. L’argent est versé directement du mécène au « mécéné ». Ses premiers projets se sont concrétisés au moment de St-art, la foire d’art contemporain de Strasbourg en novembre dernier, avec


la réalisation d’une voiture-estampe, commande passée de BMW à Raymond Waydelich. « Le cahier des charges était simple, raconte Marc Willard, l’entreprise voulait travailler avec un artiste régional, mais de renommée internationale. Nous avons eu l’idée de la voiture-estampe, et avons mené à bien le projet. » L’association a également permis la publication de la brochure de la manifestation Rencontrer l’Europe-Istanbul, organisée par l’association Apollonia dont le directeur, Dimitri Konstantinidis, est aussi conseiller artistique de Médicis. Parmi ses autres projets : la mise en place d’un club « art » pour le CE d’une banque, avec organisation de visites d’ateliers, de conférences et, pourquoi pas, création d’une artothèque. Interfaces a opté pour la forme du fonds de dotation, structure instituée par la loi du 4 août 2008 qui peut, pour faire simple, recevoir des dons et les distribuer

à des missions d’intérêt général qu’elle aura choisies. Elle peut ainsi « cumuler » des dons et financer des projets plus importants, sans les contraintes d’une fondation, dont le budget minimum est de 150 000 €. Créé officiellement le 8 décembre 2009, Interfaces comporte trois collèges (particuliers, professions libérales, entreprises) dont les membres doivent s’acquitter d’une cotisation minimale (respectivement 100, 1000 et 5000 €), en échange d’un reçu pour don. Chaque collège élira un représentant au conseil d’administration et au comité artistique qui décidera de l’affectation des sommes et du choix des projets à soutenir. Un fonds de dotation s’adosse souvent à une structure culturelle, qu’il contribue à financer ; c’est le cas par exemple du fonds de dotation du Louvre ou du 104 à Paris, c’est aussi celui d’Interfaces, lié à Schaufenster, nouveau lieu d’art à Sélestat, qui lui offrira

la structure nécessaire à la réalisation de projets et pourra, lui, bénéficier de subventions. Interfaces entend cependant financer d’autres projets. « Nous allons par exemple signer une convention avec la Kunsthalle et la Ville de Mulhouse pour la production d’une œuvre de Stephen Wilks, explique Grégory Jérôme, et nous avons prévu de réserver, dans le cadre de co-productions d’œuvres, un certain pourcentage à la rémunération des artistes. » C’est bien ce qui importe aux deux structures : permettre aux artistes, par le biais du mécénat, de vivre de leur travail. Et de faire prendre conscience au secteur privé qu’il est désormais lui aussi responsable de la place que l’art et la culture occuperont dans notre société. i

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Ode maritime de Fernando Pessoa, mise en scène Claude Régy, du 15 janvier au 4 février au Théâtre National de Strasbourg www.tns.fr

Le théâtre sans spectacle par sylvia dubost

photos : pascal bastien

Pour Ode maritime, poème en prose de Pessoa, Claude Régy a placé le comédien Jean-Quentin Châtelain seul et immobile face au public. Depuis plus de 40 ans, le metteur en scène imagine des dispositifs pour créer le meilleur contact possible entre un texte et un public. Rencontre avec un des maîtres du théâtre contemporain.

Vers l’Ode maritime « Je pensais vraiment que l’Ode maritime était une espèce d’Himalaya très dangereux à franchir. C’est seulement maintenant que je suis prêt, après avoir beaucoup travaillé et réfléchi sur l’écriture, aidé par Henri Meschonnic*. Quand Avignon m’a invité, j’ai pensé à ce texte, mais j’ai voulu une jauge très restreinte : il ne fallait pas tomber dans le péché de la déclamation, du faux lyrisme, mais essayer d’en faire une œuvre intérieure. L’océan représente pour Pessoa l’immensité de la vie intérieure, avec ses zones d’ombres, ses contradictions, ses secrets inextricables. Nous avons abouti à un spectacle de deux heures, avec un seul comédien, qui essaye de transmettre l’inspiration de Pessoa au moment où il écrit. »

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La théâtralité du langage « Meschonnic parle de « théâtralité inhérente au langage ». Il faut donc la découvrir, la faire voir, ne pas chercher de théâtralité externe au langage, c’est-à-dire dans la décoration, qui encombre l’esprit, qui bloque l’imaginaire. J’ai été très surpris de voir que ce que j’ai pris à Meschonnic, on l’avait empiriquement découvert en 68, au moment de L’Amante anglaise de Duras. Elle avait écrit Les Viaducs de la Seine-et-Oise, pièce que j’ai montée. Duras s’est rendue compte qu’elle avait limité son pouvoir de création par obéissance aux règles du théâtre ; il y avait trois actes, des figurants, des changements de décor, et son écriture était beaucoup moins libre que dans ses romans. Elle a voulu écrire un roman sur ce même sujet. L’Amante anglaise est écrit

sous forme de questions-réponses : j’ai été certain immédiatement qu’on pouvait faire du théâtre avec cela. Avec ce texte, on ne pouvait pas bouger, cela n’avait aucun sens : on a abouti à des acteurs immobiles assis sur une chaise. C’est là qu’on a trouvé ce chemin direct de l’écriture au spectateur, par l’intermédiaire de l’acteur, sans aucune intervention de mise en scène, et cela a guidé à peu près tout mon travail. »


« Le travail du metteur en scène est de trouver comment faire passer la matière de l’écriture à travers l’acteur vers le public. » La voix de l’écriture « Il n’y a plus vraiment de représentation spectaculaire, il n’y a en général pas de costumes, presque pas de décor. Le travail du metteur en scène est de trouver comment faire passer la matière de l’écriture à travers l’acteur vers le public. L’erreur majoritaire est de croire que l’important dans un texte est ce qui est dit. Or on sait, en théorisant sur le langage, que la grande qualité de l’écriture, c’est qu’elle est impuissante à dire ce qu’elle voudrait dire, et c’est de cette impuissance que naît la poésie. C’est ce que Jon Fosse, que j’ai beaucoup monté, appelle la voix muette de l’écriture. Cela m’a toujours frappé que parmi les gens de théâtre, qui en principe travaillent sur des textes, certains ne font aucune étude sur l’écriture, sur le langage. Ils se réfugient dans des effets extérieurs, dans des décors, des vidéos, de la musique, des costumes… tout un déploiement de technologie. On est baba devant le progrès, mais le progrès c’est qu’on imagine à la place des gens, on leur montre des images au lieu de leur laisser créer les leurs. Pour moi tout cela a des conséquences extrêmement menaçantes. L’Ode maritime est une proposition pour les imaginations, et ma théorie du théâtre est justement cela : il faut rendre le public, l’acteur, et tous les autres participants du spectacle écrivains et poètes. C’est ce canal, ce chemin qui m’intéresse : de l’auteur en train décrire au spectateur en train d’écouter mais qui devrait presque avoir l’impression de recréer, de réécrire l’œuvre. » Une autre dimension de l’être humain « J’ai toujours choisi des écritures qui s’éloignaient du réalisme, de la psychologie, de la notion de personnage, d’une histoire à raconter. Évidemment, ce sont des formes qui vont plutôt vers l’abstraction.

C’est peut-être pour cela que Pessoa est très attirant, parce qu’il est très concret et très intérieur, il nous force à casser nos limites et nous entraîne vers des régions qu’on occulte, dont on ne parle pas. Lui ne fait pas semblant, il exprime absolument tout ce qu’il sent. Y compris les choses les plus dures, comme dans Ode maritime. L’accueil à Avignon et Lausanne m’a d’ailleurs surpris, je m’attendais à ce

que les gens trouvent cela très difficile et trop violent, moralement très choquant. En fait, ils ont reçu cela comme quelque chose de bienfaisant, presque comme un don. Peut-être parce que cela leur donne accès à une autre dimension d’eux-mêmes. La civilisation moderne ne nous donne pas souvent cette occasion-là. » i *Henri Meschonnic (1932 - 2009) : théoricien du langage, essayiste, traducteur et poète

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Territoires de l’âme, les 27 et 28 janvier à la Filature, à Mulhouse 03.89.36.28.28. – www.lafilature.org, http://territoiresdelame.free.fr

à Montbéliard le 23 mars - www.lallan.fr à Metz le 31 mars - www.arsenal-metz.fr

Les langages multiples de l’âme par caroline châtelet

photo : christophe raynaud de lage

Après une résidence aux Dominicains de Haute-Alsace, Jonathan Pontier prépare à la Filature Territoires de l’âme, une proposition hybride au croisement du sacré et de la technologie.

« Âme », « rituel », « e-bible », « sceptre de sacrement contemporain » : le vocabulaire employé par le musicien et compositeur Jonathan Pontier pour évoquer Territoires de l’âme est teinté d’une religiosité certaine... Ce qui, pour un spectacle se présentant comme un dispositif multimédia peut, de prime abord, sembler étrange. Mais une fois rencontré Ponthier, cette perplexité s’estompe, ce dernier se souciant bien peu de ce type de paradoxes et pratiquant le métissage naturellement, affranchi qu’il est des conventions musicales. On retrouve, d’ailleurs, cette liberté dans l’Écorce et le noyau, une pièce réalisée pour Radio France en 2007 qui mêle avec la même aisance

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musiques électroniques, contemporaines ou encore traditionnelles. Et si l’on vous cite ce projet, c’est que c’est à sa suite que Jonathan débarque aux Dominicains pour deux ans. Là, dans ce lieu qu’il qualifie de « laboratoire à ciel ouvert, dépassant le côté académique que peuvent avoir certains lieux de résidence », il a pu « découvrir et réaliser des projets à l’échelle d’un territoire ». C’est même au fil des multiples ateliers et rencontres musicales expérimentés lors de ce séjour que naît l’envie du spectacle Territoires de l’âme.

Créé en janvier 2010 et étrangement sous-titré « rituel multimédia pour 12 307 amis, un comédien et sa Wii », Territoires de l’âme s’affirme comme une forme hybride mêlant à loisir le théâtre, le concert, le ciné-concert et la vidéo. Cette pluridisciplinarité, la myriade d’artistes réunie (Jocelyn Bonnerave, Yves Chaudouët, Olivier Garouste, Thibault Walter, Sylvain Thévenard, Alexandre Authelain, Christelle Séry, Sylvain Lemêtre, Guillaume Lantonnet, Nicolas Senty) l’utilise pour nous narrer ce que Pontier définit comme une « fable sur l’avènement des toutes dernières technologies. » Il s’agirait alors d’une singulière épopée, « apparentée à une longue histoire. Pas fictionnelle ni chronologique mais faite de symboles » et usant du dispositif théâtral avec la présence sur scène d’un comédien entouré de musiciens. Prométhée moderne, ce « maître de cérémonies sorti d’on ne sait où » est là afin de rendre le feu aux hommes, dans une fable balançant entre mystère et fantasme. Aux croisements du sacré et de l’analogique, du rituel et du virtuel, ces Territoires saute-frontières s’autorisent les influences musicales les plus diverses, telles « l’électro-rock, le jazz, les sonorités ethniques ou improvisées... » Nous rappelant, au passage, la nécessité pour Jonathan Pontier de ne pas « sacraliser l’art en tant que tel. En tout cas pas du point de vue profane. Un spectacle n’est pas fini avant d’avoir rencontré le public. C’est ce qui le rend à la fois vital et dangereux. » i


La Version Claus, du 18 au 20 mars au Maillon à Strasbourg 03 88 27 61 81 – www.le-maillon.com

Jusque fin janvier, le Théâtre National, le KVS et la Cinémathèque de Bruxelles rendent hommage à Josse de Pauw, immense comédien, auteur, metteur en scène, réalisateur. En mars, c’est au tour du Maillon d’accueillir sa dernière création.

Acteur monstre par sylvia dubost

Josse de Pauw, c’est d’abord un corps qui emplit la scène. Une drôle de silhouette, un peu lourde, gauche, ancrée dans le sol ; elle bouge a minima, se déplace parfois, toujours lentement, et de temps en temps lance en avant et fait tournoyer ses bras. La voix est grave, un peu éraillée, presque étouffée, elle peut aussi bien tonner que s’éteindre dans un souffle. Le jeu ne paraît pas un jeu : Josse de Pauw s’empare du texte et cela suffit à le tendre comme un fil et le faire résonner. Il en fait juste assez, dans l’intensité, la fragilité, l’absurde et le tragique, avec un sens inouï du rythme. Il y a chez cet acteur résolument terrien une telle maîtrise de la tension dramatique qu’il finit par atteindre une autre sphère. C’est la musique qui l’aide à décoller. Né en 1952, membre fondateur du mythique collectif muet Radeis de 1977 à 1984, Josse de Pauw est venu aux mots sur le tard, pour ne plus jamais s’en détacher. Auteur de ses propres textes, comédien ces dernières années chez Guy Cassiers (il adapte Sous le volcan de Malcolm Mowry) et Luk Perceval (époustouflante performance dans Mort d’un commis voyageur), il se produit désormais souvent seul en scène, accompagné de musiciens : le dialogue entre la musique et les mots est devenue son obsession, et la forme du « concert–spectacle », qu’il joue en néerlandais, français, allemand ou anglais, sa spécialité. « Alors que chaque mot que j’utilise quand j’écris un texte est lourd, et pèse tel un ballast, la musique est libre, explique-til. J’adore la langue, mais je la déteste quand

elle me bloque, alors que la musique libère. Sa dernière création, La Version Claus (De versie Claus), s’appuie sur un texte de Mark Schaevers, écrit à partir d’interviews de Hugo Claus, considéré comme l’un des plus brillants romanciers contemporains d’expression néerlandaise. Un écrivain fantasque et contestataire, proche d’Artaud et membre de Cobra, affabulateur habile qui truffait ses interviews de mensonges,

photo : koen broos

suicidé en 2008, alors que le spectacle est en pleine répétition. « Son langage grésillait et roucoulait et tanguait et crépitait et vous en mettait plein la gueule, écrit de Pauw. […] Et quand il disait quelque chose, ça se passait. » Deux phrases qu’on aurait très bien pu écrire à son propos… i

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We Are L’Europe : Le 2 février à Scènes du Jura, Théâtre Municipal de Dole, du 23 au 25 mars au Nouveau théâtre de Besançon et les 4 et 5 mai à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône 03.84.86.03.05 – www.doledujura.com — 03.81.88.55.11 – www.nouveau-theatre.com.fr — 03.85.45.52.12 – www.espace-des-arts.com Émission radio Jean de La Ciotat, Star maudite du cyclosport sur France Culture www.jean-charles-massera.com

Cyclocritique par caroline châtelet

Critique d’art, écrivain et ex-col killer de Mantes-la-Jolie, Jean-Charles Massera a découvert voici quelques années le premier degré. Une expérience hors de son commun qui, en étant éprouvée intégralement, a largement contribué à la confirmation de sa pensée.

Télérama, les Inrock s, Libération, Cassandre... Nombre de journaux et magazines ont consacré un article ces derniers mois à Jean-Charles Massera. Un “buzz”, débuté au printemps lors de la tournée parisienne de We Are La France, collage de ses textes mis en scène par Benoît Lambert, puis prolongé cet automne autour de trois événements : Meeting Massera, création de Jean-Pierre Vincent, la parution de We Are L’Europe (son dernier ouvrage) et la mise en scène qu’en fait Benoît Lambert. Pourquoi, alors, à notre tour, nous pencher sur le « cas Massera » ? Que pointer de lui qui ne l’aurait pas déjà été ? Le vélo. Car si aujourd’hui le rapport qu’a entretenu l’écrivain au vélo est souvent cité à titre d’anecdotes par certains chroniqueurs, son échappée en tant que cyclo-sportif permet de comprendre nombre de ses positions... Retour sur quelques étapes de son parcours.

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Formation critique Souvent défini comme un écrivain auteur de fictions, Massera est initialement issu de l’art contemporain. De ses chocs esthétiques au début des années 90 face aux œuvres de Bruce Nauman ou Vito Acconci, il tire ses premiers écrits en tant que critique. Suivent des articles et essais sur des artistes (Pierre Huyghe, Thomas Hirschhorn), ainsi que la participation à des expériences collectives telles le groupe Xn. Pour Massera, l’art contemporain est déterminant, en ce qu’il « l’a aidé à penser » et demeure pour lui « le champ de tous les possibles, le plus avancé dans le champ esthétique en général. Là où les autres disciplines ont la limite de leurs médiums, l’art n’a pas la limite de ses médiums ». S’il y œuvre moins en tant que critique depuis quelques années, Massera conserve un lien étroit avec la discipline. Outre sa participation à une exposition collective à Fribourg en

février, il prépare la publication d’une sélection d’articles sur l’art et le cinéma, ainsi que la sortie espérée prochaine du dictionnaire de l’art contemporain (version numérique) réalisé sous le pseudonyme de Jean de La Ciotat. Jean de La Ciotat... Ce drôle de nom, alter-ego de l’écrivain, va muter en improbable double sportif... Reprenons : en 2002, Massera a presque « complètement disparu de la circulation dans les milieux artistiques parisiens ». C’est à La Ciotat, à partir de deux non-événements, qu’il retrouve des sensations éprouvées lorsqu’il était membre d’une association locale de coureurs cyclistes. Deux escapades à vélo qui le renvoient vingt-cinq ans en arrière. Enclenchant au passage une mécanique improbable qui associe


« l’expérience du vélo et son écriture ». Après quelques échanges avec P.O.L., Massera relate le retour au vélo de Jean de La Ciotat sous la forme de dépêches AFP publiées sur le site de l’éditeur. Pris au jeu, car « pour écrire une dépêche, il fallait faire une sortie. Puis une fois rédigée, il en fallait une autre », Massera « s’aperçoit que ce qui était juste un vulgaire gag creuse et interroge plein de choses. Le fait de pousser la fiction dans le réel, de faire entrer le réel dans la fiction [lui] permet de toucher à ce [qu’il] avait théorisé une dizaine d’années auparavant », comme « le déficit d’expériences, le désinvestissement des subjectivités au travail et le surinvestissement de ces mêmes subjectivités dans le temps libre ». En l’occurrence, le vélo. L’expérience n’a rien d’un jeu et Massera la vit totalement, allant même jusqu’à trouver des sponsors à Jean de La Ciotat (ici, le réel), écrire deux livres et participer à une émission de radio, Jean de La Ciotat, Star maudite du cyclosport (là, la fiction). « Un aller-retour quotidien entre le premier et le second degré » de trois années durant lesquelles l’écrivain vit « un truc le matin et l’analyse le soir en l’écrivant ». Ce travail, « construit dans le processus d’expérience littéral du vélo » mènera Massera « à des endroits, où géographiquement et en termes de pensées [il] ne pensait pas aller ». Et lui confirme définitivement au passage la nécessité d’éprouver le réel. Forme et pensée Cette question de « l’appropriation de son temps, de son espace » sont largement à l’œuvre dans We Are L’Europe, commande du théâtre de la Tentative (mené par Benoît Lambert) et du Granit à Belfort. Constitué d’une succession de saynètes mettant en jeu des interrogations et positions quotidiennes d’“Européens moyens”, WALE est souvent considéré comme la suite de Emmerdements of new order. À tort, le texte

1 page de We Are L’Europe, 1 ©Jean-Charles Massera

prolongeant plutôt « des réflexions inaugurées dans Jean de La Ciotat, la légende. On y retrouve toute la question de l’appropriation des usages et des pratiques dites pauvres », interrogations que Lambert et Massera ont dans WALE formulées ensemble. Les liens intimes entre les ouvrages sont visibles d’emblée, qui interrogent « comment se réinventer, reconstruire des pratiques de soi et des pratiques en commun à partir de nos expériences données, et non par rapport à une espèce de grand projet fédérateur rêvé... ». Chacun dans une forme propre et singulière, travaillant la langue de l’encommun pour We Are L’Europe et le dialogue via email pour JDLC, la légende. La forme est

d’ailleurs essentielle pour l’écrivain selon qui « il n’y a pas de pensée ni d’expériences du monde ou esthétique sans formes ». Le livre ne serait alors qu’un support parmi d’autres, l’important étant de trouver « la meilleure forme, le meilleur format pour l’objet visé ». Une explication possible pour appréhender la multiplicité de visages que prennent ses écrits, performances ou pièces d’art contemporain. Mais ça, c’est un autre chapitre... i Dernier livre : We Are L’Europe, Verticales.

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Dominique A, en concert le 20 février, à L’Illiade à Illkirch-Graffenstaden, le 12 mars, au Théâtre de Mâcon le 11 mars, au théâtre de Lons le Saunier le 20 mars, à l’Espace Culturel de Rombas

Dominique A, la possibilité d’une rencontre par emmanuel abela

photo dorian rollin

À un moment de pleine déconfiture de la chanson française, Dominique A continue de s’interroger sur son rôle d’artiste. Les réponses qu’il nous apporte aussi bien sur disque qu’en concert nous donnent des raisons d’espérer.

Avec l’album La Musique et le single Kick Peplum, le mode de production s’est voulu plus direct, plus intimiste, un peu comme à l’époque de tes débuts. On a le sentiment d’un retour sur soi. C ’est un peu logique. Il y a des allers-retours permanents entre un fonctionnement en solitaire et un fonctionnement de groupe. Le live entérinait une période assez cossue entre les musiciens du groupe et moi-même, mais comme chacun était engagé ailleurs, il n’a jamais été question pour moi de faire durer l’histoire, tout en sachant que ça n’hypothèque pas l’idée de rejouer avec les uns et les autres. Je tiens à la liberté de l’artiste solo, et puis en règle générale, chaque fois que je fais quelque chose, j’ai envie de son contraire.

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Il y a une forte présence des claviers et boîtes à rythme sur ces disques, ce ne sont pas forcément les instruments qu’on invoque quand on cherche une forme d’émotion, et pourtant tu en tires une substance particulière… J’ai toujours trouvé que ce son hérité de la technopop des années 80, les textures lisses des claviers, se mariaient bien avec le côté très accentué de la langue française. Pour moi, cette association va de soi, que ce soit dans les disques de Polyphonic Size ou d’Elli et Jacno. De même, pour certaines chansons de Mikado, d’Etienne Daho ou de Jean-Louis Murat. Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas attaché à cela, mais il y avait une envie très forte. Ce qui est amusant, c’est que la pochette du EP Kick Peplum est la réplique de la pochette de La Fossette. Oui, ça peut paraître hallucinant, mais je ne m’en étais même pas rendu compte. J’ai proposé une image de voyage au graphiste, qui a recadré de façon à voir le profil. Quand j’ai reçu sa proposition, j’ai vu la couleur

rouge et je n’ai fait que comparer cette pochette à celle de l’album La Musique, à tonalité bleue. Aujourd’hui, il est vrai que côte à côte, la ressemblance est flagrante. Après, la passerelle est toute trouvée : quand j’ai enregistré La Fossette, je sortais de l’adolescence – si tant est que je n’en sois jamais sorti –, et un morceau comme Sarah Records renvoie forcément à cette période. La similarité des images nous affirme un lien, mais il n’y avait aucune intention particulière : c’est l’inconscient qui a parlé à travers les images. Malgré tout, cette similarité marquet-elle la fin d’un cycle ? J’ai le sentiment d’enregistrer chaque disque comme si c’était le dernier. Même si je pense être dans ce métier pour un bout de temps, aujourd’hui je m’interroge : concrètement, on ne sait pas ce que va devenir la musique. On ne sait pas comment on va travailler, ni sur quel type de format. L’album ? Des formats courts ? Plutôt que de se dire si on va repartir vers un ailleurs, on se pose la question de savoir si toute tentative


n’est pas une fin en soi. Naturellement, l’idée ça serait que les disques se répondent les uns les autres, et qu’une cohérence naisse ainsi, mais pour moi, chaque disque est une boucle tournée sur elle-même, qui s’auto-suffit. Ton attitude sur scène est en train de changer. Tu vivais tes chansons de l’intérieur, et là on sent que tu les portes différemment, de manière plus ouverte. As-tu peur que le public ne se sente pas destinataire de tes chansons ? Par la distance que j’imposais au public, il m’est arrivé d’instaurer parfois un climat un peu pesant. Là, je suis dans une dynamique nouvelle, et je me sens plus liant. Je l’étais par le passé, je ne l’étais plus, avec cette idée que la musique se suffit à elle-même. Aujourd’hui, j’ai envie d’être plus présent. Dans une salle, on apprend à se connaître. Dès les premiers morceaux, on a une indication sur le climat de la soirée, sur le niveau d’attention du public, et en fonction de cela, j’essaie de jouer avec les réactions des gens plutôt que de rester sur le sentiment d’une rencontre qui ne s’est pas produite. Tu as récemment évoqué la « ringardisation de la chanson française ». On assiste à un retour en arrière, et pourtant bon nombre de groupes français peuvent rivaliser avec leurs équivalents anglo-saxons. Que dire à ces artistes pour qu’ils tentent l’écriture en français ? Il me semble que nous jouons les passeplats pour une culture déjà hégémonique et triomphante, et ça je le ressens avec un peu de tristesse. Et puis, quand on fait de la musique, on se pose forcément la question de la trace qu’on va laisser. Là, en chantant en anglais, à part le fait de passer un bon moment, quelle trace laisse-t-on ? À quoi aspire-t-on, si ce n’est d’être dans un rapport de mimétisme, avec la finalité de côtoyer nos idoles à un moment ou à un autre ? Je ne jette la pierre à personne. Il est vrai qu’en France, nous avons des artistes comme Syd Matters ou Sébastien Schuller. Je peux écouter des francophones qui chantent en anglais, ça ne me pose aucun souci. Tout dépend du talent et en même temps, je me laisse volontiers épater par une chanson en français qui tient, parce que je connais cette difficulté-là. Et puis, ça me semble être un terrain encore à défricher. i

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Progressive Patriots, en concert le 5 février, à Pôle Sud, à Strasbourg 03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr Rencontre musicale avec Hasse Poulsen, le 5 février, à 18h30, à la Médiathèque de Lingolsheim (entrée libre)

On s’interroge beaucoup sur l’identité nationale, mais Hasse Poulsen se sent bien partout, notamment en France, sa terre d’accueil depuis 10 ans. Avec des musiciens français, danois et américains, ce guitariste danois vient de réunir les Progressive Patriots, une manière de se revendiquer de la nation jazz.

Musique sans frontières par emmanuel abela

photo : alain julie

Hasse Poulsen fête ses dix ans de résidence en France. Comme bon nombre de musiciens de jazz, cet artiste danois a décidé de développer sa pratique à Paris, plus que dans toute autre capitale européenne. Dans un français parfait, il nous explique ce choix : « Il y a plein de raisons à cela, mais la première concerne le nombre et surtout la diversité des musiciens qui résident en France. Pour moi, il s’agit d’un grand pays de rencontres. Et puis, j’étais frappé par l’intérêt que manifestent les Français pour tout ce qui se passe dans le monde, aussi bien en Afrique, au Japon qu’en Scandinavie. Ça peut paraître bizarre aujourd’hui, alors qu’on a le sentiment d’un pays qui se referme sur lui-même, mais ça reste vrai. Quand on vient s’installer ici, on n’est pas considéré comme un étranger, mais comme quelqu’un qui peut apporter

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quelque chose. » Et puis, il y a une chose qui semble très nettement distinguer les habitants de son pays d’accueil des autres populations européennes, c’est « la manière dont les Français formulent leur pensée. » Au Danemark, on est concret : « Un balai est un balai ». En France, « c’est plus compliqué. On préfère trouver de belles manières pour dire les choses. » Pour lui qui, du fait de ses origines anglaises, a fait des études aux Etats-Unis et vécu au Kenya, s’amuse à caricaturer la manière frontale de dire les choses pour les Anglo-Saxons et sa vision d’une langue française qui « aime s’habiller à la mode Louis XIV ». Mais

au-delà des mœurs des uns et des autres, ce qu’affirme avant tout cet artiste sans frontières, c’est l’existence d’une nation jazz. « Les premiers jazzmen sont morts, de même pour une partie de ceux qui ont participé aux révolutions artistiques. Et comme les jeunes musiciens ont accès à d’autres formes de musique, classique, populaire et du monde, ils les mélangent volontiers au jazz. » Ce jazz qui aspire de manière constante à une plus grande ouverture de la connaissance de la musique. « Oui, nous confirme-t-il, il s’agit d’un véritable état d’esprit qui s’appuie sur un genre “bâtard”. Ce mélange de musique traditionnelle africaine et de musique populaire, a su évoluer aux États-Unis comme en Europe aux contacts d’influences diverses, gitane et latino. » Et puis, il y a cette forme de brutalité qu’on trouve dans le jazz, « un peu comme dans le punk », qui permet de cultiver par le biais de l’improvisation une forme d’inachèvement. « Cela correspond à nos vies. L’art peut devenir une expression de la vie : on essaie de faire quelque chose, on aimerait tant vivre éternellement, mais on prend conscience que ça n’est pas possible et je trouve que de le constater, c’est assez beau tout comme je trouve qu’il y a quelque chose de beau, en soi, dans ce qui n’est pas fini. » i


Ariadne auf Naxos, un opéra de Richard Strauss, les 7, 9, 11, 16, 18 et 20 février à l’Opéra à Strasbourg, les 5 et 7 mars, au théâtre de la Sinne, à Mulhouse. Rencontre avec le chef d’orchestre Daniel Klajner et le metteur en scène André Engel, le 6 février à 18h30 à l’Opéra à Strasbourg. 08 25 84 14 84 (Strasbourg) - 03 89 36 28 28 (Mulhouse) www.operanationaldurhin

Placée sous la thématique du choc des générations, l’opéra Ariadne auf Naxos de Richard Strauss confronte un compositeur à son mécène. L’occasion pour le metteur en scène André Engel de revenir à Strasbourg, avec le décorateur Nicky Rieti, son complice depuis plus de 35 ans.

Dénouer le fil d’Ariane par emmanuel abela

André Engel revient à l’Opéra National du Rhin dix ans après sa dernière mise en scène à Strasbourg, Die Freischütz. Quand on l’interroge sur une quelconque appréhension, la réponse révèle une maladresse bien involontaire : « Oui, une appréhension de taille ! Il y a tout juste dix ans, presque jour pour jour, j’ai été admis aux urgences pour un pontage coronarien, alors que j’étais en train de répéter. » Quand on suppose une charge particulière, il nous précise : « Oui, c’est un double anniversaire, en tout cas. » Ce retour, il le fait avec Ariadne auf Naxos, « une œuvre multiple, qui peut se lire très simplement, mais aussi d’une manière plus profonde. » Cet opéra de Richard Strauss impose des contraintes particulières, dans la mesure où il sépare nettement le prologue de la partie opéra proprement dite et confronte l’exécution d’une œuvre dramatique à un ballet burlesque. Comment contourner cette difficulté, en termes de mise en scène ? « Je n’ai rien fait de bien original : je suis allé à Naxos pour voir ce qu’on dit d’Ariane, et ce qu’on peut en faire. J’ai eu envie de placer l’œuvre là où les auteurs ont souhaité la situer. » D’où la création d’un décor qui correspond à l’île elle-même. « Le décor est le lieu de l’action », nous précise-t-il, sans la maison du grand mécène qu’on pouvait découvrir dans la première version de la pièce. « Nous n’avons pas souhaité recréer la demeure du richissime mécène viennois de l’époque de Strauss, mais un environnement plus proche de nous : les célèbres armateurs grecs qui s’intéressent aux divas, ce qui a aussi à voir avec le monde

de l’opéra, mais de manière plus ironique. » L’intrigue est placée au cœur des années 50. Peut-on y voir une manière de souligner la modernité de la pièce tout en maintenant une distance temporelle ? « La dramaturgie c’est cela, cette volonté d’avoir un regard distancié. Pourquoi les années 50 ? Je n’ai pas trop de goût pour la transposition dans

la modernité absolue qui est la nôtre et sur laquelle je n’ai pas grand chose à dire d’autre que du mal. Et puis, c’est une période qui me rend un peu plus nostalgique. Le monde changeait aussi, nous vivions un moment de rupture, mais à la différence, nous le vivions, comme dans la Dolce Vita, sur des bases optimistes. » i

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TRILOGIE STRINDBERG

par le Théâtre-Laboratoire Sfumato de Sofia Spectacles en bulgare surtitré

JULIE, JEAN ET KRISTINE

2 > 13 mars

LA DANSE DE MORT

2 > 6 mars

STRINDBERG À DAMAS

9 > 13 mars

abonnement / location

03 88 24 88 24 www.tns.fr


La vraie vie des icônes / 3 Par Christophe Meyer

Le décès de Michael Jackson, le 25 juin dernier, inspire à Christophe Meyer une série de gravures, pour autant d’épisodes d’un feuilleton en cours. Troisième volet : Your Butt Is Mine

Pour nous tous ou presque, Bad sonne crescendo : coups de synthé suivis d’un roulement, puis surgissent de derrière les piliers carrelés de blanc d’une station de métro, un groupe de danseurs multicolores genre punks, tendance street-wear chic et aérobic. La musique se tait, les danseurs encadrent en haletant un espace où se plante, tombant d’en haut, un Michael Jackson bardé de cuir et de métal. D’une féline lenteur, il se glisse avec des délices de chatte dans un rapide répertoire de poses viriles. Zoom arrière, le groupe se rassemble autour du fétiche bad boy, large d’épaules légèrement voûtées dans des crissements de cuir, des bruits de bottes, des soupirs de sneakers, des cliquetis de quincaillerie, des frottis-frottas de survêts, et ils nous affrontent du regard. Sol en ciment bleuté contre-éclairé, gros plan en légère plongée sur l’arrière d’une noire paire de santiags castrée de ses éperons, mais où, dorés, brillent sur des talons nickelés, deux crânes de longhorns affirmant la décoration mâle. Toujours sur le fond sonore, des respirations et des halètements codifiés post-effort séminal, la caméra contourne la botte par la droite, détaillant une série de boucles et de fermetures façon fers à cheval avec leurs garnitures assorties, lanières de cuir sm-western, et dans une vrille verticale remonte la jambe, glisse après le cuir et le métal sur une étoffe aile de corbeau coupée de sangles, découvre des phalanges serrées émergeant d’un poignet manchonné de cuir clouté et bouclé comme les bottes. Caparaçonné dans un blouson de cuir sur-couturé de fermetures à glissières, de boucles, d’œillets et de lacets, le visage du chérubin à l’angélique expression teigneuse coiffé d’une crinière à effet mouillé toise en contre champ Wesley Snipes jeune, Mini Max et ses deux acolytes. Un joint de tuyauterie pète, soufflant sa vapeur sous pression. “So wassup!” éructe Mini Max, érection du poing de Daryl et début de Bad : Your Butt Is Mine Gonna Tell You Right Just Show Your Face In Broad Daylight I’m Telling You On How I Feel ...

Ainsi commence le plus souvent le clip de Bad. En full-version c’est à 8’45, cela correspond en réalité, à la 2ème partie du court métrage de 16’12 réalisé par Martin Scorcese, jusqu’à ce moment là en noir et blanc. Scénario de Richard Price, écrivain inspiré par un fait divers pêché dans Newsweek, une triste histoire d’enfant noir méritant, bon élève, rattrapé par ses potes du ghetto au sortir de son école Wasp lors de ses vacances de Noël.

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Tout contre la bande dessinée Par Fabien Texier — Illustration : détail de la deuxième page du chapitre 4 de Contre la bande dessinée, Jochen Gerner, L’Association.

Des chroniques Comme l’essentiel de la presse papier généraliste ou culturelle, Novo accueille des chroniques BD. Des articles consacrés aux (dernières) publications de la simple notule à la page entière. Audelà de la place qui leur est consacrée, on peut s’interroger sur la pertinence de sélection qu’elles représentent dans une production pléthorique, la qualification de ceux qui les publient et la qualité des textes. Des interrogations sur cette forme se posent bien sûr chez les éditeurs qui en sont à la source avec leur services de presse (livres envoyés aux journalistes/critiques) et les premiers intéressés puisqu’il s’agit du principal discours médiatique tenu sur leurs « produits ». Elles se font plus visibles chez les auteurs depuis la fin des années 90 concomitamment à la reconnaissance croissante de leurs productions par le public, les médias et les institutions. Mais dans les médias eux-mêmes ce questionnement n’apparaît guère : c’est précisément ce que l’on tente d’amorcer ici, avec une relative candeur.

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La place Daniel Pellegrino (éditions Atrabile) nous disait récemment être de plus en plus sceptique sur les notules (telles que nous les pratiquons ici) où sont expédiées en 500 signes le sujet d’un livre, sa forme, son auteur (souvent peu connu), ses enjeux, son contexte éditorial. Ces chroniques sont dans Novo au même format que celles traitant des disques, livres ou DVD. Ailleurs, elles peuvent parfois apparaître de manière aléatoire, visiblement pour meubler les trous ou être coincées dans un espace ridicule. Dans les cas extrêmes, on aboutit à une sorte de name-dropping de cinq ou six ouvrages dans un paragraphe plus ou moins thématique. Cette ségrégation nous renvoie aux considérations sociologiques de l’OCNI de Thierry Groensteen, et à l’économie de la presse ; l’espace papier coûtant cher et les supports payants comme les gratuits devant consacrer à côté de leurs pages « à perte », une part aux sujets « vendeurs » et aux annonceurs ou mécènes. Si les formes courtes peuvent répondre à des exigences de concision, il est intéressant de se demander dans quelle mesure on peut instaurer une régularité et définir un espace minimal en deçà duquel le sens ne saurait être préservé.


« Un Album au graphisme sympa et vivant reprenant les aventures d’un groupe de motards hauts en couleurs. » Propos cité par Jochen Gerner dans Contre la bande dessinée, l’Association

La sélection On peut choisir de traiter moins d’ouvrages, mais mieux : alors, quels titres sélectionner. Faut-il parler de la même chose que tout le monde, amplifiant le bruit médiatique et négligeant des bandes dessinées qui mériteraient d’être défendues ? Faut-il aller à contre-courant et se priver d’apporter un éclairage différent, ignorer les œuvres majeures et/ou succès commerciaux et les abandonner à la critique la plus opportuniste ? Faut-il traiter les ouvrages mineurs, semi ratés ou se concentrer sur le meilleur de la production ? Soutenir les débutants ? Flinguer les horribles ? Si un choix cohérent de livres contribue à donner une couleur à un titre, un sens aux lecteurs, ne peutil conduire à l’enfermement sectaire ? Suivre toujours les mêmes auteurs ? Est-on suffisamment au fait de ce qui se passe en dehors de nos domaines de prédilection ? Ces questions ne sont pas propres à la bande dessinée, mais elles s’y posent avec plus d’acuité qu’ailleurs, la culture de la bande dessinée (chez les rédacteurs, leur encadrement, les « savants » référents) s’avérant souvent déficiente, les garde-fous sont minimes. La culture Antérieur au septième art, le « neuvième », pour des raisons qui tiennent à sa légitimation (on renvoie une nouvelle fois à OCNI) et peut être aussi à la multiplicité de ses formes (voir notamment les Principes des littératures dessinées, le point de vue de Harry Morgan), souffre de la faiblesse de son assise culturelle. Le rédacteur formé sur le tas, parfois plus fan que « connoisseur » ne peut guère plus compter sur un corpus clairement constitué (le travail patrimonial se développe depuis peu) que sur une littérature savante encore encombrée de Diafoirus (un symbole : les dictionnaires BD truffés d’erreurs). Il est aussi possible que le travail soit refilé au chroniqueur littéraire qui n’en peut mais, au copain qui veut agrandir sa bibliothèque ou au petit nouveau qui, sans coach, risque de beaucoup errer avant de trouver sa voie. Quels que soient leurs goûts et connaissances en matière de pop-métal-ambiante-émo-drone ou de littérature populaire Annamite du XIXème siècle, les divers relecteurs et responsables, peuvent au moins distinguer les gougnaferies ou tentatives tragiques des produits passables, détecter les erreurs grossières dans les chroniques. C’est plus rare en bande dessinée. Plus grave, les ravages du « fanisme » et l’infantilisation caractéristiques de la « bédé » les amènent parfois à considérer que tout cela n’est pas si sérieux et ne mérite pas tant de complications.

La qualité Ce laisser-aller s’étend au style, à la construction et au sens de la chronique. Il arrive que le chroniqueur ne soit pas formé à l’écriture (ne serait-ce qu’en autodidacte) ou repousse ce type d’article à la fin de son travail, l’amenant ainsi à bâcler au finish (nous plaidons coupable en ce qui nous concerne). Les éditeurs soignent de plus en plus communiqués de presse et quatrièmes de couverture dont ils savent que certains n’hésiteront pas à les reprendre in extenso et à les signer ! On se contente aussi dans bien des cas de raconter l’histoire du livre et d’y accoler des adjectifs flatteurs (l’« enthousiasme plat » dénoncé par J.-C. Menu dans Plates-bandes), se refusant à produire un minimum de réflexion, à construire un raisonnement. Et voilà le sens qui disparaît et contamine les autres chroniques : nuancer le jugement dans l’une à côté d’une autre assaisonnée au « superbe » et à l’« excellent » peut laisser croire que l’on exprime de très sérieuses réserves sur l’ouvrage dont on a choisi de parler. Usure Enfin, après des années, comme le notait Joseph Ghosn, ex-chroniqueur des Inrocks, on peut se fatiguer, voir le plaisir de lire de la bande dessinée abîmé par l’exercice, manquer de recul. Plutôt que de s’enfermer dans des automatismes et perdre toute curiosité, voici venu pour nous le moment de passer la main… Sur ces questions : La revue Jade # 200U (automne 2009) Plates-bandes, de J-C Menu et les Éprouvette #1,2,3, collectif, à L’Association OCNI, de T. Groensteen, l’An 2 Le Petit Critique Illustré, de H. Morgan et M. Hirtz

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Songs to learn and sing Par Vincent Vanoli

Référence de la bande dessinée d’auteur, le Ludovicien et italo-lorrain. Vincent Vanoli est aussi DJ à ses heures, illustrateur de la revue musicale anglaise Plan B. Assez logiquement, il a choisi dans son intervention d’interpréter en image des paroles de chansons.

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La stylistique des hits Par Matthieu Remy — Illustration : Dupuy-Berberian

L’énumération

Il n’est pas rare qu’une figure de style soit la mécanique verbale rêvée pour évoquer le plus simplement possible un phénomène complexe. Ainsi, l’énumération a ce génie de montrer graphiquement et rythmiquement quels sont les constituants principaux d’un univers entier. Jamais, par exemple, on n’avait aussi bien expliqué la société de consommation que par cette figure de style, en montrant combien le grand ballet des marchandises s’est définitivement installé dans notre champ de vision et dans nos discours. C’est le cas dans la Complainte du Progrès de Boris Vian : « Ah… Gudule ! Viens m’embrasser… Et je te donnerai / Un frigidaire / Un joli scooter / Un atomixer / Et du Dunlopillo / Une cuisinière / Avec un four en verre / Des tas de couverts / Et des pell’ à gâteaux / Une tourniquette / Pour fair’ la vinaigrette / Un bel aérateur / Pour bouffer les odeurs / Des draps qui chauffent / Un pistolet à gaufres / Un avion pour deux / Et nous serons heureux ». À la fin des années 50, ce thème est relativement audacieux et annonce des

réflexions plus récentes, comme lorsque David Bowie écrit Five years et décrit un monde devenu chaotique à travers quelques signaux précis, reliés parfois les uns aux autres par une assonance (« I heard telephones, opera house, favourite melodies / I saw boys, toys electric irons and T.V.’s »). Il peut aussi être question de parodier les énumérations des notices d’objets, comme le font Florent Marchet et l’écrivain Arnaud Cathrine dans la chanson Les cachets, issue du génial album Rio Baril : « attention : chez certains sujets ce médicament peut provoquer des réactions contraires à l’effet recherché / insomnie / agitation / hépatite / mouvement involontaire de la face / modification de la conscience / embarras au contact des organes génitaux des animaux domestiques allant jusqu’à l’impuissance / goût prononcé pour la variété française / tentative de putsch / fait divers / Ibiza / défenestration ». Dans l’énumération, il y a déjà un rythme, une palpitation, qui renvoient à ce que le narrateur voit du monde, comprend de lui en quelques éléments qui tournoieraient devant ses yeux. Il y a une analyse éclair dans l’énumération, comme si l’on rassemblait dans un vertige ce qui peut permettre d’atteindre la globalité du problème. Amoureux d’une femme, Dylan la résume dans Just like a woman à quelques traits – on notera au passage le joli zeugme et la célèbre épiphore – mais suggère pudiquement qu’elle est au-delà de cette simple explication énumérative, humaine comme tous mais unique pour lui : « Till she sees finally that she’s like all the rest / With her fog, her amphetamine and her pearls / She takes just like a woman, yes, she does / She makes love just like a woman, yes, she does / And she aches just like a woman / But she breaks just like a little girl ». Car l’énumération semble clore un peu vite la convocation des éléments marquants, mais elle est aussi un principe d’ouverture et une invitation à poursuivre l’élan. Comme si l’auteur choisissait d’ouvrir la boîte de Pandore du réel et de laisser celui-ci déborder, confiant au lecteur ou à l’auditeur le soin de poursuivre la liste entamée. Boris Vian – La complainte des temps modernes David Bowie – Five years Florent Marchet/Arnaud Cathrine – Les cachets Bob Dylan - Just like a woman

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Mes égarements du cœur et de l’esprit Par Nicopirate Égarement #18

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Des plis et des histoires

Par Stéphanie Weill

Katsumi Komagata

Il y a des rendez-vous qui laissent comme des empreintes, un dessin, une image forte dans la mémoire. C’est le cas de ma rencontre avec Katsumi Komagata à Paris cet hiver. La présence en France de l’artiste et designer japonais est bien trop rare et exceptionnelle pour que je manque son intervention aux 3 Ourses, maison d’édition et de diffusion (entre autres) des livres, œuvres de plasticiens et de designers. C’est en tant qu’amoureuse de la littérature de jeunesse que je connais le travail de Katsumi Komagata depuis une bonne dizaine d’années l’ayant découvert dans le fonds des livres d’art de la bibliothèque de Mulhouse. Depuis toujours, le travail du designer japonais me fascine : comment peut-on s’adresser si simplement aux enfants, aux adultes, aux voyants et non-voyants avec une si grande économie de

mots et une si grande simplicité ? Komagata sait ouvrir l’esprit et attiser la curiosité de celui qui découvre ses livres. Il fallait que je le rencontre, que je discute avec lui de son travail, de ses ateliers et de sa vision des livres pour enfants. Cette rencontre a été à la hauteur de mes attentes et même bien au delà. Katsumi ne parle pas français et moi pas japonais mais ce n’est pas du tout un problème. Comme point de départ du workshop, il nous parle de sa fille et explique que c’est grâce à elle qu’il commence au début des années 90 à créer des livres pour enfants. Ce sont des coffretslivres d’images géométriques qui s’ouvrent, se déplient et laissent la part belle aux couleurs vives, franches mais ne montrent pas la même chose en fonction de l’endroit où on se place. Il explique les choses simplement et invite à découper dans du papier coloré une forme que l’on donne à un autre participant du workshop. Katsumi insiste sur le fait que l’on doit accepter sans rechigner le travail de l’autre et construire une image à partir de cette forme. C’est déjà du respect : le respect de l’autre. Les ateliers s’enchaînent (entre thé vert japonais et déjeuners de soupe miso et sushis) : il s’agit simplement de laisser jouer son imagination à partir de consignes précises : pliages, découpages, superpositions de couleurs. Je me rends compte que Katsumi regarde les travaux des stagiaires avec beaucoup d’intérêt et de curiosité. Je suis sous le charme. Dans le monde de l’édition pour enfants, Katsumi Komagata reste en marge : il réalise avec un raffinement d’artisan des ouvrages avec très peu de textes (ses livres ne sont pas toujours traduits en français mais qu’importe), joue avec art sur la subtilité des nuances de tons, de couleurs, joue avec l’épaisseur, la texture, le grain du papier, ses aspérités, les découpes, les pliages, les pliures, tout participe au récit, chaque détail raconte l’histoire. On a envie de toucher, de suivre une découpe du doigt, de déplier et de se laisser surprendre à chaque page. C’est de la poésie qui parle à tout le monde, du rêve. Les livres de Komagata font appel aux sens, donnent à « sentir » la notion d’espace. Je suis rentrée à Mulhouse enrichie, gonflée à bloc, prête à transmettre aux enfants du quartier Drouot la richesse de l’enseignement de Katsumi Komagata : l’art, la beauté des lignes, l’imagination, la créativité, le respect de l’autre et de son travail. Tout ça, c’est accessible à tout le monde. C’est si simple… www.troisourses.online.fr Pour voir le travail de Katsumi Komagata : www.one-stroke.co.jp/ (site en japonais) www.formandcolours.com

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Chronique de mes collines

Henri Morgan vit retiré à la campagne, et se consacre à l’étude et à la méditation. Jacovitti, Pinocchio, Éditions Les Rêveurs, novembre 2009

Pinocchio de Jacovitti didactiques et édifiantes. C’était le collège et l’église devenus portables. Les lointains descendants de ces auteurs à passion servent aujourd’hui aux petits enfants une délicieuse « littérature jeunesse » conforme à leurs lubies, à base d’enfants juifs déportés, de petites disparues latino-américaines, de victimes de l’inceste, du racisme, de l’anorexie, de la recomposition familiale et du changement climatique, car la première règle de la pédagogie est qu’il faut confier la jeunesse à des mabouls, afin de l’aguerrir. Les éditions Les Rêveurs ont eu la bonne idée de publier en traduction française les 31 planches du Pinocchio que Benito Jacovitti dessina en 1946 et 1947 pour l’illustré catholique pour enfants Il Vittorioso. Cette édition en grand format est en tout point semblable à l’édition italienne parue en tirage limité aux Edizioni Di en 2007. Elle reprend en couleur, du mieux qu’elle peut, les pages du Vittorioso. Mais il va de soi que l’on ne peut, même en faisant des prodiges de traitement d’image puis des prodiges d’impression, donner qu’une idée approximative des pages d’un journal. Le lecteur doit donc faire un effort pour « s’y voir » en quelque sorte. Il en sera récompensé. La littérature pour enfants telle qu’elle s’est développée au cours du XIXe siècle offre le meilleur et le pire. Pour le meilleur, il semble qu’on ait découvert non un nouveau public mais un territoire inexploré de l’âme humaine. Les défricheurs de ce territoire avaient nom Andersen, Lewis Carroll, Louisa May Alcott, Edmondo De Amicis. Pour le pire, il apparaît que des illuminés avaient inventé une nouvelle façon d’enquiquiner les enfants. Désormais, il ne suffisait plus de les séquestrer dans des bagnes scolaires, où on les occupait à mémoriser des âneries, ou dans des églises, où on les amenait à la spiritualité par l’ennui. On allait aussi les obliger à lire des sornettes

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Pinocchio commence à paraître dans le Giornale per i bambini en 1881. À l’instar de son collègue Lewis Carroll, Collodi nous donne une sorte de mythe instantané. Le fait que les images de Pinocchio soient plus ou moins ancrées dans chaque cervelle ne provient pas d’une précoce habituation, via le cinéma, le dessin animé, les livres d’images, les BD, etc. C’est au contraire la nature mythique de cette imagerie qui pousse les auteurs à la réinterpréter sans cesse, dans divers médias. Le Pinocchio de Jacovitti n’est pas complètement une BD. Le fascisme avait interdit les bulles, et le dessinateur conserve le principe d’un texte typographié dans des cases intercalaires. Mais Jacovitti est un anarchiste, et ces cases à textes s’achèvent sur des sortes de pancartes où le dessinateur écrit des idioties. Jacovitti nous fournit certes de très belles illustrations (ces intérieurs surchargés où il ne manque pas une meulière), mais surtout, il considère Pinocchio au travers de son médium, comme à travers des lunettes. La troisième planche, où Gepetto taille dans un rondin son pantin, qui se rebiffe à mesure qu’il vient au monde, est un admirable résumé des rapports entre un auteur de BD et son personnage, d’autant plus lisible que, bédéiquement, Jacovitti se situe au milieu d’une ligne qui va de Segar, l’auteur de Popeye, à Florence Cestac.


Modernons Par Nicolas Querci Un but : dénoncer les exactions du moderne.

Invasion !

Mise en scène Michel Didym

17 > 20 février 10

Marcelin était né et avait grandi dans le village de Sainte-Foix, Vosges. Ses études, puis son travail l’en éloignèrent pendant de longues années. N’ayant jamais rompu les liens avec son village natal, il revint s’y installer une fois à la retraite, dans la vieille maison familiale héritée de ses parents. Ses activités favorites étaient le jardinage, le bricolage, les promenades, la pêche. Un matin qu’il bêchait son jardin, deux individus vinrent lui tendre une décision du Conseil régional. Marcelin planta sa bêche dans le sol et considéra longuement les deux émissaires. Quand il eut terminé, il leur renvoya le papier à la figure et s’enferma chez lui en maugréant. Les deux individus haussèrent les épaules et s’en allèrent en déplorant que Marcelin ait perdu son accent vosgien. « C’est bête », disaient-ils. Son terrain venait d’être classé réserve naturelle. Plus question pour lui de jardiner. Ses moindres faits et gestes étaient soupçonnés de bouleverser l’écosystème. Bientôt, il dut suivre un sentier balisé pour accéder au village, jusqu’à ce qu’il lui fût interdit de quitter sa propriété, protégée par une clôture électrifiée, censée permettre au milieu naturel de se régénérer. Cinq ans plus tard, et bien qu’il empestât le chou, Marcelin avait encore toute sa tête quand deux nouveaux individus lui firent part de la décision établissant que sa maison, une robuste maison vosgienne, serait le centre de l’écomusée de Sainte-Foix. Ils lui remirent un costume de paysan ainsi que des fiches concernant sa vie, son métier, les techniques agricoles et les expressions usitées au XIXe siècle. Selon sa biographie, il était né en 1855. Le village entier fut restauré pour reprendre l’apparence qui avait été la sienne avant l’apparition de l’électricité et de la voiture. Chaque villageois avait un rôle à tenir et un parler bien à lui. Les habitants s’étaient pris au jeu de bonne grâce, à l’exception de Marcelin, qui renâclait à promener ses oies aux heures convenues. L’écomusée connut tout d’abord un vif succès. Puis rapidement le public se tarit, jusqu’à ce que le village eût sombré corps et âme dans l’oubli le plus total, terrassé par la concurrence des villages voisins. Ces derniers étaient notamment parvenus à tout repeindre en sépia. Un soir, Marcelin fut dévoré dans son champ par une meute de loups, qui venaient tout juste d’être réintroduits dans le secteur.

Coproduction Théâtre NanterreAmandiers, Maison de la Culture de Bourges, Compagnie Boomerang Lorraine.

Locations : du lundi au vendredi de 13h30 à 19h et le samedi en période de spectacle.

Locations théâtre de la Manufacture, 8 rue Baron Louis, Nancy, tél. 03 83 37 42 42. Magasins Fnac (www.fnac.com)

www.theatre-manufacture.fr d 26 FÉV - 18 AVR 10 ------------------------------------------------------------------

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49 NORD 6 EST

ÉSAMM

ARTISTES : M. DE BOER, B. DUFOUR, J. GAUTEL ET J. KARAINDROS,O. KAWARA, Z. KEMPINAS,E. KOCH, J. KOLÁR, A. NEMOURS, R. SIGNER, R. ZAUGG, A. ZMIJEWSKI

ARTISTES : C. ANDRE, Z. ANTAR, J. KNIFER, R. LERICOLAIS, B. MONINOT, M. NANNUCCI, S-M. TSE

INFOS / CONTACTS 1BIS RUE DES TRINITAIRES F-57000 METZ

INFOS / CONTACTS 1 RUE DE LA CITADELLE F-57000 METZ

WWW.FRACLORRAINE.ORG

HTTP://ESAMM.METZMETROPOLE.FR

FONDS RÉGIONAL D’ART CONTEMPORAIN DE LORRAINE

ÉCOLE SUPÉRIEURE D’ART DE METZ MÉTROPOLE

-----------------------------------------------------------------DANS LE CADRE DE LA MANIFESTATION DIAGONALES : SON, VIBRATION, MUSIQUE PROPOSÉE PAR LE CENTRE NATIONAL DES ARTS PLASTIQUES - CNAP, PARIS

-----------------------------------------------------------------LE FRAC, MEMBRE DU RÉSEAU PLATFORM, BÉNÉFICIE DU SOUTIEN DU CONSEIL RÉGIONAL DE LORRAINE ET DU MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION - DRAC LORRAINE.

Jonas Hassen Khemiri photo : Éric Didym

Natalité

Texte Jonas Hassen Khemiri (Suède) Création du 9 au 12 février 2010 à Texte français de Susanne Burstein Metz, Espace Bernard-Marie Koltès avec la collaboration de Aziz Théâtre du Saulcy Chouaki. Entre intrigue policière et Scénographie Sarah de Battice. documentaire, Invasion ! est un Lumières Joël Hourbeigt. Costumes hommage à la magie du théâtre, Anne-Sophie Lecourt. Assistante à la puissance du jeu dramatique costumes Anna Deschamps. Assistant qui donne vie à la naissance d’une à la mise en scène Éric Lehembre. légende : ABULKASEM, mot-valise Musique et interprétation Flavien qui pose les questions de l’identité, Gaudon et Philippe Thibault. de l’intégration, du racisme et du Avec Quentin Baillot, Nicolas terrorisme. Chupin, Luc-Antoine Diquéro, Julie Pilod et Léna Bréban en alternance. Tarifs 20¼, 15¼, 9¼.


le monde est un seul / 5 Par Christophe Fourvel — photo : Christian Garcin

Siméon, jusqu’à Montevideo

Il arriva par le sentier de la Cluse, vers le seizième mois de l’automne, qu’on appelait là-bas : la saison pourrie. « Il » se prénomme Siméon. Il est le personnage égaré d’un roman magistral et sombre paru en 1965 sous le titre Les Saisons. Siméon a vécu l’enfer de l’enfermement et de la torture dans la chaleur suffocante d’un désert. Lorsqu’il chemine sur « le sentier de la Cluse » au début de cet étrange et fascinant roman de Maurice Pons, il porte dans son sac quatre rames d’un papier vierge et précieux. Il cherche un havre de paix pour enfin se grandir d’un écrit qui rachèterait les malheurs du passé. Mais dès son arrivée, Siméon frappe avec son pied dans un crâne de mouton qu’un individu jette au-devant de ses pas. Le coup infecte un de ses orteils. La blessure subira une lente dégradation qui coïncidera avec les paliers d’une immersion dans le monde abject des « Saisons ». Car le voilà hôte d’un village autarcique pétri dans l’animalité, la hideur, la saleté ; un monde évidé de la moindre beauté et dont l’unique nourriture est une lentille servie à chaque repas et distillée pour devenir un alcool noir et épais, de la couleur de la crasse, du cauchemar, de la fange. Le temps lui-même prend ici toute sa lenteur sadique pour contempler le naufrage : car au terme de la saison pourrie, vient s’aboucher un hiver interminable. Cette dureté climatique pourrait excuser en partie la régression des corps et des âmes. Elle échoue pourtant à nous rendre indulgents, tant les villageois des « Saisons » ajustent sur leur petitesse et leur vulgarité méchante, l’affligeant manteau de la complaisance envers eux-mêmes.

Les Saisons est un grand livre, de ceux qui durent, permettent à des hommes distants de trente, quarante années de s’épancher avec complicité à propos des émotions, des peurs, des plaisirs cultivés et intemporels. De toutes les sentences capables de nommer le destin de Siméon, il en est une qui dirait ceci : c’est un homme qui a connu deux enfers. On voudrait alors ranger ce particularisme dans le dictionnaire des imaginaires d’écrivains. Pourtant, il n’en est rien. L’enfer est, et fut si souvent sur terre, qu’il arrive que des hommes le rencontrent deux fois. J’ai, ici, une pensée pour el viejo, le surnom affectif que Mauricio Rosencof donne à son père dans son livre, Les lettres qui ne sont jamais arrivées. Mauricio Rosencof fut un des fondateurs du groupe d’extrême gauche Tupamaro, qui naquit en Uruguay dans les années soixante. À ce titre, il connut pendant douze ans les geôles d’une dictature. Douze ans d’enfermement dans une cellule nue qui ne mesurait pas plus de deux mètres carrés et dans un isolement complet dont Rosencof n’était extrait que pour des séances de torture et quelques rares visites de ses proches. Douze ans à vivre debout dit-il, à écrire des livres dans sa tête et à dialoguer à distance avec son père, el viejo. Celui-ci, juif né en Pologne, immigra à Montevideo pour échapper aux pogroms. Ce fut une vie humble, silencieuse, laborieuse, à coudre bouton après bouton pour faire venir à lui sa femme et à penser « aux autres », la famille restée là-bas. Un jour, el viejo ne reçut plus de lettres de Pologne. Tous avaient atteint le point ultime du camp de Treblinka. Le nom, le souvenir de ces juifs furent évacués de la mémoire de son village natal. Puis il y eut un deuxième enfer. La perte d’un enfant, l’enfermement d’un autre douze ans durant, dans deux mètres carrés. Les lettres qui ne sont jamais arrivées ont arraché el viejo à l’oubli. Son souvenir est parvenu jusqu’à moi sous la forme d’un livre poignant. Je vous le confie. Qu’il vive ainsi longtemps, aussi longtemps que celui de toutes les saisons pourries de Treblinka et de Montevideo. Les Saisons de Maurice Pons, éditions Christian Bourgois , 214 p. Les lettres qui ne sont jamais arrivées de Mauricio Rosencof, traduit de l’Espagnol (Uruguay) par Philippe Poncet, éditions Folies d’encre, 126 p.

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Quant aux Américains j’y reviendrai Par Manuel Daull

derniers paysages avant traversée Traversée, c’est la saison qui le veut – le passage d’une année vers l’autre – mais où courrons nous mieux que des poulets sans tête – comme une illusion, celle de traverser le rideau, le déchirer faisant naître l’espoir – première résolution travailler mon pessimisme (ceux qui me connaissent le savent bien, mon éternel optimisme à force est insupportable, je promets donc de faire l’effort dans ce paysage-là de mon quotidien et du rapport à l’autre d’y mettre un peu de pondération) j’aime bien l’idée de traversée – peut-être parce que dans l’idée de traversée il y a celle de basculement – de franchissement et de son contraire – parce que la vie nous apprend à être humble dans celle de dépassement – combien ou comment sont ces moments que l’on peut affirmer avoir dépassé avec certitude avant qu’un jour pas différent d’un autre (le suivant par exemple) nous conduise à réviser notre jugement, pour le moins à l’atténuer ma vie est faites de tentatives de traversée (parfois réussies, parfois avortées mais toujours en cours, jamais acquises) – je tente à ma manière de franchir à gué cette chose curieuse du temps qui passe, plus à l’aise en vérité avec celui qu’il fait (même aujourd’hui malgré la saison glaciaire et le peu de chair de mon corps pour l’isoler du froid) – plus à l’aise avec les phénomènes, qu’avec cette image de Zénon le Zélé tirant sa flèche ou de Chronos me rappelant sans cesse le peu de temps et la taille de l’ouvrage – pour pallier à cette incapacité, à cet échec annoncé (mon optimisme en prend un coup) pour répondre à la question du que devienstu, j’ai pris la décision un jour de dire simplement je continue – comme si j’étais plus en paix avec l’idée d’une tentative qu’avec celle de son achèvement – le concept d’avancée remplaçant petit à petit celui de traversée, plus vraiment à la recherche comme David Vincent d’un raccourcis, mais juste de ne pas m’arrêter – je continue dit-il dans cette tentative de traversée, au long court on espère toujours

et puis me souvient là que Derniers Paysages avant Traversée fut le premier texte que je lus de Christophe Fourvel, peu de temps après sa rencontre – j’en garde un grand souvenir – souvent avec Christophe quand nous évoquons ce qui fait notre actualité, la question se pose de savoir de quel côté des choses nous sommes – dans l’écriture, nous savons que nous n’appartenons pas au sérail, que nous n’en ferons jamais partie – nous en parlons sans regret particulier, plus de l’ordre d’un constat banal – même pas une fierté, ni même une colère de ne pas appar­tenir à cette sorte de noblesse de plume à défaut de robe – nous savons juste que le chemin sera long, plus long simplement et qu’il ne peut être question finalement, que de se demander toujours de quel côté des choses nous sommes, comme s’il s’agissait finalement de marquer le petit territoire d’origine de nos pas sur le sol – pouvoir dire je suis d’ici ou je parle de là de quel côté des choses sommes-nous – je ne connais peu ou pas de réponse à cette question tant nos temps sont mouvants, je veux dire en déplacement d’un point à l’autre – parfois nous avons conscience d’un point d’origine, d’une trajectoire, parfois même pas – de quel côté des choses sommes-nous, c’est l’éternel question à laquelle je confie les directions que prennent ma vie, et ça dure – depuis des années ça dure – de quel côté des choses sommes-nous, sommes-nous-là seulement – parfois je me demande où se cache le réel tellement j’ai le sentiment de vivre de l’autre côté des choses – à force finit-on par mieux écrire sa vie que de la vivre – la chanson dit parfois on regarde les choses telles qu’elles sont en se demandant pourquoi parfois les regarde telles qu’elles pourraient être en se disant pourquoi pas – c’est ce grand écart que je souhaite à chacun, au point d’équilibre/de déséquilibre, pareil – 2009/2010 nous ne savons pas de quel côté des choses nous basculerons, cette année, la prochaine, avons-nous déjà basculé – pour l’instant, j’aime savoir que je ne tarderai pas à voir Christophe Fourvel en ce début d’année, pour le reste, pour ce qui est de traverser, un océan même, les Américains donc... j’y reviendrai

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Bestiaire n°2 : Nuages Par Sophie Kaplan

Nuages brumeux Nuages terminés Nuages en voile Nuages en lambeaux Nuages boursouflés Nuages en barre Nuages en balayures Nuages pommelés Nuages attroupés Nuages coureurs Nuages groupés Nuages de tonnerre

Classification des nuages selon Lamarck

des nuages dans La forme des nuages d’après Howard6. Aux côtés des œuvres de Boudin, l’exposition présente d’admirables photographies de maîtres du XIXème et de la première moitié du XXème siècle (Gustave le Gray, James Craig Annan, Alfred Stieglitz, André Kertesz, etc.) et s’attache non seulement à ce moment déterminant de l’histoire de l’art où la photographie, expérimentale voire menteuse à ses débuts7, vola peu à peu le réel à la peinture, mais aussi à la période qui vit la naissance d’une nouvelle iconographie des nuages. Des œuvres contemporaines prolongent dans le présent cette promenade. Certaines, comme celles des finlandais Janne Lehtinen et Anni Leppälä, se situent dans la tradition du paysage romantique ; d’autres, comme celles de Christoph Keller, sont ancrées dans un questionnement géopolitique ; d’autres encore, comme celles de Gilbert Garcin ou de Joachim Mogarra, regorgent d’humour et de poésie ; d’autres enfin, comme celles de Bernard Plossu ou de Masao Yamamoto, magnifient les qualités du médium photographique. C’est le naturaliste français Jean-Baptiste Lamarck qui le premier proposa une classification des nuages dans son Annuaire météorologique1. « Il en détermine douze sortes assimilables aux genres dans la nomenclature des biologistes et pour chaque genre il décrit des variations équivalentes aux espèces2. »La comparaison avec les espèces animales ne s’arrête pas là. Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir des après-midi d’été, où, les yeux rivés au ciel, on y a observé des moutons, des loups, des oiseaux et même des éléphants : la vidéo Once Elephants used to fly d’Alessandro Nassiri Tabibzadeh3 retrace ainsi une poursuite en moto, caméra au poing, à travers les rues d’Istanbul, de cette espèce plutôt rare. Jusque fin janvier, une très belle exposition court elle aussi après les nuages dans une ville de bord de Manche où ils poussent nombreux et passent rapides. Son titre est emprunté à un poème de Baudelaire : Les nuages… là-bas… les merveilleux nuages4. Le Musée Malraux conserve environ 300 œuvres d’Eugène Boudin, dont de nombreuses dont de nombreuses études de ciel, réalisées sur le motif et annotées avec précision ; ainsi, par exemple : 8 octobre, midi, vent de nord-ouest5. Ces annotations confèrent aux études un caractère de relevés scientifiques, dans la lignée de ceux que Goethe fit

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Débordant l’exposition, ces photographies m’évoquent d’autres œuvres, en volume celles-ci. Je pense aux nuages de marbre de Jugnet + Clairet8, avec lesquels, les artistes « parviennent à quelque chose de saisissant : ils raffermissent ce qui est absolument fugitif. […] Ces sculptures nuageuses, dans leur concrétude même, donnent à voir et toucher une sorte d’évanescence quasi immatérielle9. » Je pense à certaines installations de fumées d’Ann Veronica Janssens, qui, englobant totalement le spectateur à l’intérieur d’elles, donnent l’impression de marcher dans un nuage… ne serait-ce nos pieds, qui restent sur la terre10. Et, si je pouvais garder la tête dans les nuages un peu plus longtemps, une multitude d’autres formes encore me reviendraient sans doute… Alfred Stieglitz, A Dirigible (1910), épreuve photomécanique à partir d’un négatif original 17,9 x 18 cm, Paris, musée d’Orsay

1 : L’Annuaire météorologique pour l’an XIII de l’ère de la République Françoise, à l’usage des Agriculteurs, des Médecins, des Marins, etc. de Lamarck, paru en 1804, constitue l’une des premières sommes d’observations raisonnées du temps. 2 : Gilles Clément, Nuages, éd. Bayard, p.28. 3 : Once Elephants used to fly, 2008, vidéo, couleur et son, 6 min, www.alessandronassiri.net. 4 : Exposition au Musée Malraux du Havre, organisée en collaboration avec le FRAC Haute-Normandie, commissariat Annette Haudiquet, Jean-Pierre Mélot et Marc Donnadieu, jusqu’au 24 janvier 2010. Ceux qui ne pourront s’y rendre se plongeront avec délice dans le catalogue, paru aux éditions Somogy. 5 : Exemple relevé par Charles Baudelaire dans sa critique du Salon de 1859. 6 : La forme des nuages d’après Howard (1817), éd. Premières Pierres, Charenton, 1999. 7 : Certains photographes, pour pallier à des problèmes de surexposition non encore résolus par la technique, superposaient deux négatifs au moment du tirage afin d’obtenir une image nette à la fois du ciel et de la terre. 8 : Série des Nuages, 2006, courtoisie galerie Serge le Borgne, Paris. 9 : Klaus Speidel, in www.paris-art.com, rubrique critiques, 2006. 10 : Par exemple : Représentation d’un corps rond, 1996, installation, Cyberlight, machine à brouillard, gobo en verre gravé, courtoisie galerie Air de Paris, Paris.


Mademoiselle Maria K dans Médée de Sénèque Sur la crête Henri Walliser + Denis Scheubel

en solo, en intégrale (ou presque) Conception, jeu et adaptation Cécile Gheerbrant co-mise en scène Patricia Pekmezian

La rencontre d’un linograveur et d’un poète

Graphisme po.lo. , photo Raoul Gilibert

Dans un monde où… Taps Gare en février du 23 au 27 à 20h30, dim. 28 à 17h Un nouvel an à Avoriaz. Elle est seule, elle danse comme une déesse indienne. Elle refuse le verre de Schlomo que je lui tends. Le deejay enchaîne sur un hit des années tubards. Elle semble fixer un air désapprobateur sur ma cigarette. Je me ventouse un peu à sa chorégraphie et me sens comme un pot de Gervita en porte-à-faux. Je l’ai connue dans une autre vie c’est sûr, moi d’ordinaire si distant. « On n’est plus sur les pistes, tu sais, heu tes lunettes heu » Pour toute réponse elle me montre d’un doigt académique et lassé la marque. Bon sang des Dolche et Gabanna.

Production Cie Les oreilles et la queue, Strasbourg – Création 2010

Un théâtre dans la ville, Les Taps

03 88 34 10 36 – resataps@cus-strasbourg.net

www.strasbourg.eu

Trop flûté ! Je sens le Schlomo se transformer en marée noire dans mon estomac. Combien de fois me suis-je répété qu’il faut rester dé-sin-volte ! Et attendre passivement que l’accélération de l’amour me coiffe vers l’arrière ! J’essaie d’imaginer ses yeux attendris, embués par l’émotion. Elles sont si divines quand un soupçon de mélancolie évapore leur assurance. J’espère que le deejay passe Hotel California pour qu’elle constate que je ne l’invite pas. 2027 Nouvel An, 4h du matin. Je suis sur le point de me laver les cheveux à la Vodka Schlomo quand je sens une de ses quatre mains effleurer la mienne. Elle me coule à l’oreille « Je te laisse pas rentrer seul ce soir. » Ces vénusiennes sont si pudiques. Bonne année 2027 à tous. About rock, sex and cities de Henri Walliser et Denis Scheubel publié dans la collection Sublime est disponible chez médiapop-éditions (96 pages, 9 euros TTC). www.mediapop.fr

© Photo Tristan Jeanne-Valès

Grand cru, vintage !

Le Recours aux forêts

/// Un spectacle de Jean Lambert-wild direction, Jean-Luc Therminarias musique, Michel Onfray texte, Carolyn Carlson avec la complicité de Juha-Peka Marsalo chorégraphie, François Royet images /// JEUDI 28 À 19H30 ET VENDREDI 29 JANVIER À 20H30 À LA MAISON DU PEUPLE, BELFORT /// Tarifs de 5,5€ à 15€ /// « Un spectacle total avec des lunettes 3D pour la première partie, des images illustrant le cosmos et le chaos du monde. » France Info /// « Sous cette forme non-conventionnelle, Michel Onfray aborde la philosophie d’une manière bien plus attractive qu’un long pensum. » Le Monde

LE GRANIT scène nationale, Belfort ///

03 84 58 67 67 /// www.theatregranit.com /// billetterie@theatregranit.com


Kunstchoses Par Jean Wollenschneider & David Cascaro

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AK-47

par Fabien Texier

ÂŤÂ Time Magazine (‌) mit pour la première fois Arafat en couverture, et près de lui (‌) un fedayin, la nouvelle guĂŠrilla arabe, tenant un AK-47. C’Êtait un moment-clef, je pense, dans la perception Ă travers le monde de l’AK-47 comme arme de l’underdog. 

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AK-47: The Story of the People’s Gun, Michael Hodges, Hodder & Stoughton, 1985.

AngoulĂŞme : le temps des marronniers. C’est le mois bĂŠni de la bande dessinĂŠe, c’est janvier et vous ne pourrez l’ignorer : le Festival International de la Bande DessinĂŠe d’AngoulĂŞme. On sort des hors-sĂŠries AstĂŠrix, des dossiers Blake & Mortimer, les magazines d’art daignent se pencher sur le 9ème art qu’ils avaient chassĂŠ de leurs pages ou simplement ignorĂŠ pendant l’annĂŠe, LibĂŠ passe au tout illus’ et se fend de quelques pages, la tĂŠlĂŠ ressort ses plus beaux cadrages fantaisie et ses musiques les plus rigolotes, pour interviewer un maĂŽtre bon vivant, un jeune loup intimidĂŠ, balancer du micro-trottoir aux pieds d’un troll gĂŠant. On s’Êpate des formidables chiffres (des centaines de millions d’euros) pieusement rĂŠcoltĂŠs par Gilles Ratier, compilateur officiel de donnĂŠes de l’ACBD, on rend hommage Ă notre SempĂŠ national, Ă notre Blutch (prĂŠsident 2010) rĂŠgional, peut-ĂŞtre se demanderat-on comment Crumb marie la Genèse et les gros culs ? Laurent Gerra vous explique son Lucky Luke, Joann Sfar son Gainsbourg, Enki Bilal ses performances en salles de ventes, Duber les bobos, Spielberg se fait Tintin‌ Tout le monde en veut de la bĂŠdĂŠ, de la papa, de la branchĂŠe, de la fessue, de la japonaise‌ On nous resservira la soupe sur cet art populaire et bon enfant si bien portant, les romans graphiques que c’est presque comme des vrais bouquins. Y’a mĂŞme une page dans le Monde Diplo, c’est dire ! Ben justement, on serait inspirĂŠ de la lire avant de rĂŠciter ses topoĂŻ, ça nous changerait. Parce qu’on y dĂŠmonte quelques idĂŠes reçues, avec des chiffres, et pas du Ratier Madame ! Du ministère de FrĂŠdo (ce qu’il en reste), parfaitement ! Alors si la rĂŠflexion pouvait avancer un peu, si le coup de projecteur annuel pouvait ĂŞtre un peu plus suivi que d’habitude, on chouinerait moins. Et peut-ĂŞtre mĂŞme que le rendez-vous international de la bande dessinĂŠe pourrait en profiter comme Cannes, s’installer durablement au croisement du Saint MarchĂŠ, du spectaculaire et de l’art pour enfin cesser d’être un phĂŠnomène de foire‌

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LES SCULPTURES MEURENT AUSSI 27.01 J 28.03.10 Francesco ARENA ÂŚ Alex CECCHETTI ÂŚ Michael DEAN ÂŚ Ida EKBLAD Guillaume LEBLON ÂŚ Mandla REUTER ÂŚ Oscar TUAZON

TĂŠl. +33 (0)3 69 77 66 47 ÂŚ kunsthalle@mulhouse.fr www.kunsthallemulhouse.com

Snow – Francesco Arena, 2009 graphisme : mĂŠdiapop + STAR★LIGHT



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ARNAUD FLEURENT-DIDIER LA REPRODUCTION – COLUMBIA

Voilà que surgit presque de nulle part Arnaud Fleurent Didier, à un moment où l’on désespérait d’écouter quoi que ce soit en français. Ce jeune Versaillais, soutenu par ses voisins du groupe Air, surprend par une approche qui le situe dans la droite ligne de tous ces artistes décalés dont on a le secret chez nous. À la limite parfois de l’agacement, on l’imagine en véritable dandy, même si on le suppose en capacité d’incarner l’un de ces personnages veules dans les films français très moyens des années 70. Il faut dire qu’il brouille les pistes, l’ami Didier : une dégaine, des idées politiques pas franchement sexy, des chansons qui interrogent pépé, mémé et notre passé. Mais il a pour lui cette candeur, mêlée de nostalgie, qui emprunte parfois au pire pour restituer le meilleur, ce qui est naturellement en soi très excitant. (E.A.) i

BUDDY HOLLY

JULIAN CASABLANCAS

NOT FADE AWAY – HIP’O SELECT

PHRAZES FOR THE YOUNG – RCA

Il est amusant de constater que sur les vestes des amis, les vieux badges de Joy Division sont parfois remplacés par un badge discret de Buddy Holly. Ceci dit, rien d’étonnant à cela : plus de cinquante ans après sa disparition, le mythe du Texan qui a influencé les Beatles, les Talking Heads, Elvis Costello et bon nombre de groupes actuels, reste intact. En 6 CD, le label Hip’O Select publie l’intégralité des enregistrements studio, avec un travail tout à fait exceptionnel sur le son qui restitue à sa juste valeur l’incroyable modernité de ce pionnier de la pop. L’objet sublime constitue une documentation rêvée dont les collectionneurs vont rapidement s’arracher les 7000 exemplaires en circulation. À se procurer au plus vite ! (E.A.) i

Au début de la décennie qui vient de s’achever, les Strokes avaient lancé un mouvement d’inspiration punk, sans qu’on ne leur reconnaisse la moindre paternité. Ils avaient pourtant ouvert la voie aux White Stripes et autres Libertines. Comme un hasard du sort, c’est Julian Casablancas, leur chanteur, qui clôt cette même décennie, avec cette désinvolture et ce soupçon de fausse insouciance qui le rend encore plus attachant. Son premier album solo n’est pas forcément le chef d’œuvre qu’on a voulu affirmer ici ou là, mais paradoxalement, à l’image de David Bowie à l’époque d’Heroes, la poignée de singles qui en est extrait l’installe dans son statut de véritable icône pop de notre temps. (E.A.) i

HEAVENLY SWEETNESS

SEEK MAGIC – DISCOGRAPH

V/A LABEL COMPILATION

Développer un label à l’ancienne, c’està-dire avec la volonté de favoriser un état d’esprit particulier autour d’une vraie couleur musicale est un drôle de pari en ces temps de dispersion. Et pourtant, depuis quelques années, nous guettons les productions du label jazz Heavenly Sweetness, dont les artistes ont en commun d’affirmer une totale liberté formelle, tout en explorant des voies nouvelles. Qu’ils s’appellent Doug Hammond, Monette Sudler ou Anthony Joseph, on les (re)découvre avec bonheur dans cette label compilation avec bon nombre de morceaux publiés dans des formats différents, vinyles, CD, digital et autant de remixes. (E.A.) i

MEMORY TAPES Les cassettes sont-elles notre mémoire ? Il faut croire que celles de Dayve Hawk alias Memory Tapes, étrange producteur et remixeur de Philadelphie, renferment une partie de ce nous avions presque occulté des années 80 : derrière une electronica très élégante, ressurgissent des sonorités occultées, qui ont fait le charme de bon nombre de groupes aériens du début des années 80, ceux de la Factory bien sûr, mais aussi des Disques du Crépuscule, avec cette touche de disco blanche, bancale, si propre à ceux qui aimeraient s’engager dans la danse sans y parvenir. (E.A.) i

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ROBERT MCLIAM WILSON / DONOVAN WYLIE LES DÉPOSSÉDÉS CHRISTIAN BOURGOIS

À l’heure où nos gouvernants prennent la « révolution » thatchérienne comme modèle, voire comme point de départ de leurs « réformes », ce livre mêlant texte et photographies vient rappeler à ceux qui en douteraient encore quels ravages sociaux, politiques et économiques le Royaume-Uni a vécus sous le règne de la Dame de Fer. Enquête aux qualités littéraires admirables, Les dépossédés plonge, de Londres à Belfast, en passant par Glasgow, au cœur de la misère sociale à la rencontre d’hommes et de femmes, prolétaires exploités, êtres brisés qui nulle part ne trouvent l’aide nécessaire pour éviter de sombrer, victimes du « désengagement » de l’État, de la brutalité du libéralisme économique, de l’égoïsme consumériste, et qui avec leurs forces déclinantes se battent dans le seul but de survivre. Un livre marquant, qui est aussi une réflexion, profonde et inquiète, sur le rôle de l’écrivain et du photographe, témoins sensibles et révoltés de ce que les hommes font subir à leurs semblables. (C.S.) i

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SPOUTNIK

LE NÉCROPHILE

DE JEAN-MARIE PIEMME – ÉDITIENS ADEN

GABRIELLE WITTKOP – VERTICALES

Tonique, Jean-Marie Piemme assemble un missile qui vous fonce droit dans le cœur en redonnant vie, et avec quelle faconde, aux figures tutélaires qui ont enchanté son enfance. La plume est alerte, irrévérencieuse, sa nostalgie sincère vous fend d’autant mieux l’âme. Mais la vitalité des personnages, leur anarchisme joyeux, leur refus des prisons morales comme l’envie, le conformisme et l’orgueil vous alpaguent aussitôt. Spoutnik est une torpille de bonne humeur qui dynamite sans cesse le chagrin lié à la disparition et au temps qui passe. À moins que ce ne soit une torpille de chagrin et de deuil qui dynamite l’optimisme et l’insouciance… (N.E.) i

Cauchemar éveillé, hiératique et terrible roman, prose sensuelle pleine de poison et d’horreur, voici Le nécrophile de l’insolente et sublime, machiavélique Gabrielle Wittkop. Une collection de netsuke japonais, statuettes macabres mettant en scène des étreintes nécrophiles, peut-elle rivaliser avec les jeux érotiques que les fantasmes hallucinants de Lucien N. lui intiment de commettre ? Le sexe est glacé, la chair est bleue et l’odeur mystérieuse du bombyx, vénéneuse. Gabrielle Wittkop rompt toute amarre avec les repères moraux et les normes sociales pour composer un univers blafard, poétique, éminemment dérangeant. Très, très, très toxique. (N.E.) i

CORRESPONDANCE 1949-1975

PSYCHANALYSE OU MORALE SEXUELLE : UN DILEMME CENTENAIRE

ERNST JÜNGER / MARTIN HEIDEGGER CHRISTIAN BOURGOIS

En 1933, Ernst Jünger était surveillé en permanence par la Gestapo, alors que Martin Heidegger adhérait au parti nazi, avant de démissionner et de se voir censuré à son tour. Autant l’avouer, on ne soupçonnait guère une relation aussi amicale entre les deux hommes. Et pourtant, la correspondance publiée aujourd’hui atteste d’échanges nourris. Qu’elles portent sur la volonté commune de dépasser le nihilisme largement répandu à l’issue de la Seconde Guerre mondiale ou qu’elles soient purement anecdotiques, leurs considérations manifestent chez l’un et chez l’autre une profonde affection réciproque, ce qui rend la lecture de cet ouvrage encore plus émouvante. (E.A.) i

SIGMUND FREUD, NESTOR BRAUNSTEIN, JACQUES NASSIF — ÉRÈS

Ce qui est déconcertant avec Freud, c’est l’actualité de certaines de ses tentatives. Un peu plus de 100 ans après la publication de La morale sexuelle « civilisée » et la maladie nerveuse des temps modernes, il semblait nécessaire de republier un texte qui a conservé toute sa portée révolutionnaire. Au regard de l’évolution de la société, Nestor A. Braunstein, psychanalyste résidant à Mexico et pionnier dans l’introduction de l’enseignement de Lacan, ainsi que Jacques Nassif, psychanalyste à Paris et Barcelone, apportent leur contribution, sous la forme de variations cultivées, à une nouvelle éthique du désir. (E.A.) i


Gao Xingjian, Le luth (détail), 1988, Collection de l’artiste, © Gao Xingjian – www.ithaque-design.fr


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DES SOURIS ET DES HOMMES DE PIERRE-ALAIN BERTOLA – DELCOURT

Dans l’Amérique des années 30, deux amis d’enfance errent de ranch en ranch à la recherche de petits boulots. Mais tout serait tellement plus simple pour Lennie s’il n’avait pas George à sa charge. George, le simple d’esprit, qui lui cause tant de soucis ! La chance semble enfin leur sourire dans cette propriété où le contremaître les prend sous sa protection bienveillante... Pierre-Alain Bertola, artiste et scénographe suisse, a nourri pendant des années ce projet de transposition en bande dessinée du chef d’œuvre Des souris et des hommes de John Steinbeck. Grand bien lui a pris, ses lavis à l’encre de chine sont sublimes et restituent pleinement la charge dramatique du récit originel. Des pages pleines d’émotions, savamment rythmées, qui n’omettent aucun détail d’une époque précaire et violente. Un album qui trouvera une résonance en chacun de nous. (Kim) i

ŒDIPE À CORINTHE

BLAST – T.1

DE CHRISTOPHE BLAIN ET JOANN SFAR DARGAUD / COLL. POISSON PILOTE

DE MANU LARCENET – DARGAUD

Retour savoureux de Socrate le demi-chien pour une vision du mythe d’Œdipe totalement inédite, rapide, rocambolesque, irrévérencieuse, mais aussi érudite. Le lecteur croise également Héraclès remis de son idylle avec Ulysse et à présent dopé – voire rendu quasi abruti – à la testostérone. « Le bonheur, c’est le plaisir sans remords » disait le philosophe grec : après cinq années d’attente pour ce nouvel opus, Blain et Sfar n’ont visiblement pas pris cet argument à la légère. (O.B.) i

THE AUTOBIOGRAPHY OF A MITROLL – T.2 DE GUILLAUME BOUZARD DARGAUD / COLL. POISSON PILOTE

Accompagné de son chien bavard, Bouzard poursuit ses recherches pour retrouver son père, soi-disant un troll dans le forêt de Brocéliande. L’arrivée de deux garagistes psychopathes et la découverte de Lisa, une ex-hippie, dans une maison bleue font basculer l’aventure. Bouzard détourne le concept de la BD autobiographique « parce que ça rapporte plein de fric » au profit d’un conte de fée sans limites, aussi fun qu’attentif aux affres des personnages. Du coup, la dimension surréaliste est d’autant plus prégnante que le résultat est profond et touchant. (O.B.) i

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En garde à vue, Polza l’obèse est interrogé par deux f lics qui tentent d’élucider l’acte qu’il a commis contre Carole. Pour s’expliquer, le jeune homme se raconte... Larcenet invente une nouvelle série à vif en noir et blanc autour d’un héros marginal, sorte d’usual suspect paumé, qui trimballe son auditoire dans les méandres d’une misère concrète et psychologique. Mensonges ou vérités sont les enjeux de dessins tour à tour doux et violents d’où l’humour pointe souvent comme l’échappatoire possible à une tension irrémédiable. Avec ce premier volet de 200 pages de cinq volumes au total, Blast s’inscrit désormais comme un point culminant dans la bibliographie de Larcenet. (O.B.) i

L’HOMME BONSAÏ DE FRED BERNARD DELCOURT / COLL. MIRAGES

Fred Bernard revisite en BD le conte (précédemment illustré par François Roca) qui lui vint d’un cauchemar : une graine tombe sur le crâne d’Amédée, prend racine jusqu’à le transformer en un mutant considéré comme un dieu par une troupe de pirates chinois. Captivante, énigmatique mais aussi sensuelle, l’histoire trouve un souffle nouveau au travers de dessins d’une belle simplicité, proches de l’univers d’un autre Fred, le père génial de Philémon. À ne pas manquer. (O.B.) i


Jeunes créateurs… à Berlin Vous entretenez un lien avec la Moselle ? Vous souhaitez développer un projet artistique dans un contexte favorable ? La capitale allemande constitue pour vous un terrain propice à la création ? Le Conseil Général de la Moselle propose des bourses de résidence à Berlin pour de jeunes créateurs vivant, travaillant ou étant originaires de Moselle. Le meilleur dossier se verra proposer une résidence dans la célèbre Künstlerhaus Bethanien ! Pour postuler, merci de nous retourner le dossier de candidature pour le 26 février 2010 à : Conseil Général de la Moselle Dct s / Sac eet , rue du pont Moreau B.P. Metz Cedex Renseignements / dossiers de candidature www.c g

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DOUGLAS SIRK : LES MÉLODRAMES ALLEMANDS COFFRET 3 DVD – CARLOTTA FILMS

ALAIN BASHUNG, À L’ARRIÈRE DES BERLINES BARCLAY

De toutes les éditions récentes – intégrale CD augmentée d’inédits, live à l’Olympia –, c’est finalement ce double DVD qui nous a le plus touché, tout d’abord parce qu’on y retrouve Alain Bashung au moment de ses premiers succès et parce qu’on prend conscience que finalement, il n’a jamais cessé de nous accompagner depuis. Et puis, il y a cette émotion qui se dégage naturellement de lui, qu’il réponde ou pas, lors de ses passages à la télévision, aux questions formulées parfois par Alain De Caunes, Jacky ou Thierry Ardisson. Il suffit de regarder ces quelques minutes de Lunettes noires pour nuits blanches où il évoque sa fascination pour l’érection qu’il provoque bien involontairement chez un gars avec qui il partage son lit, une nuit, pour se dire qu’on n’est pas prêt de retrouver autant de sincérité chez un chanteur de sa trempe. (E.A.) i

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Après les mélos américains des années 50, Carlotta réunit quatre films de la période allemande de Douglas Sirk lorsqu’il œuvrait encore sous le nom de Hans Detlef Sierck pour la UFA, à la fin des années 30. Loin de toute idéologie, Hans façonne ainsi l’armature d’un style concentré sur un personnage féminin au destin déchiré et enrobé de musique signifiante (« mélo-musique » et « drame »). Paramatta, bagne des femmes et La Habanera culminent en ce sens tant le cinéaste avait trouvé en Zarah Leander une muse véritable. Le succès des films en 1937 portera d’ailleurs l’actrice suédoise à une carrière d’égérie du cinéma nazi. Au même moment, Hans avait fait ses valises. (O.B.) i

Autour de Fernando Pessoa DE FABRICE RADENAC ET ALAIN EPO ArtOFILMS

Le Livre de l’intranquillité ≤de Fernando Pessoa est le récit du désenchantement du monde, mais aussi de l’affirmation que la vie n’est rien si l’art ne vient lui donner un sens. Le coffret Autour de Fernando Pessoa rassemble deux DVD et un CD. Pour Pessoa, l’intranquillité Fabrice Radenac a filmé une lecture du Livre de l’intranquillité par le comédien Frédéric Pierrot accompagné à la batterie par Christophe Marguet. La rumeur d’un monde de Alain Epo donne la parole au comédien et au batteur, mais aussi à Robert Bréchon qui a dirigé la publication des œuvres de Pessoa chez Christian Bourgois. Une version audio de Pessoa, l’intranquillité permet de s’immerger dans le livre de Pessoa de manière encore plus intime. (P.S.) i

MYSTÈRES D’ARCHIVES L’AUTRE DE SERGE VIALLET – ARTE ÉDITIONS DE YOUSSEF CHAHINE L’histoire, ça tient à des détails et pourqui sait regarder, une image d’archive filmée devient vite passionnante. C’est tout à fait par hasard, que nous avons découvert la série de films documentaires de Serge Viallet sur Arte, et il faut dire que la fascination a été immédiate. Que ce soient le crash du Hindenburg en 1937, les essais atomiques à Bikini en 1948, la tournée de Marilyn Monroe en Corée en 1954, les funérailles de John F. Kennedy en 1963, l’information historique prend une dimension nouvelle : l’image est scrutée, découpée, recadrée avec des effets graphiques subtiles qui la révèlent comme jamais elle n’a été révélée à la télévision. (E.A.) i

LES ÉDITIONS MONTPARNASSE

Film étonnant du grand Chahine, deux ans avant le 11.09.2001, L’Autre enfonçait le clou d’une croisade contre l’intégrisme. Au travers du destin de deux tourtereaux socialement opposés, Hanane, journaliste naïve issue du peuple et Adam, fils de l’élite arrogante et corrompue, la mise en scène toujours dynamique de Chahine surfe sur des registres différents, jouxte la satire au mélo, joue avec le kitch, mêle les contradictions aux certitudes les plus profondes. Visionnaire et positivement déconcertant, L’Autre s’insinue ainsi durablement dans l’esprit du spectateur. (O.B.)
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