Hors-Série N°19 du Magazine NOVO spécial festival C'est dans la Vallée 2019

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m a g a z i n e

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Programme

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Jeudi 3 octobre

Samedi 5 octobre

Dimanche 6 octobre

20H30

18H00

Midi

→ PROJECTION : GOOD Film-portrait de RODOLPHE BURGER réalisé par PATRICK MARIO BERNARD en partenariat avec Ciné Vallée suivi d’une rencontre avec Rodolphe Burger

→ CONCERT ACOUSTIQUE : RED

→ PIQUE NIQUE MUSICAL

Foyer du Théâtre

Vendredi 4 octobre 16H00 → PROJECTION : Film HIGELIN EN HUIS CLOS (40 mn, inédit) réalisé par NICOLAS COMMENT (40 mn) → RENCONTRE-DÉDICACE : avec NICOLAS COMMENT et ANTOINE COUDER pour la sortie officielle du Livre JACQUES HIGELIN de Nicolas Comment, aux Éditions Hoëbeke Foyer du Théâtre

18H00 → INAUGURATION OFFICIELLE du KIOSQUE JACQUES HIGELIN

Parc de la Villa Burrus

Eglise Saint-Pierre-sur-l’Hâte

20H30

15H

→ GRAND CONCERT-HOMMAGE à JACQUES HIGELIN

→ THÉÂTRE SOLO : Histoire intime d'elephant man (1H30) par FANTAZIO

avec MAHUT, ALICE BOTTÉ, CHRISTOPHER BOARD, ARNAUD DIETERLEN, et BEAU CATCHEUR (SARAH MURCIA et FRED POULET), IZIA, ARESKI, RED, ERIK TRUFFAZ, SANDRINE BONNAIRE, RODOLPHE BURGER, ...

SUR RÉSERVATION uniquement via le site du Festival Lieu secret communiqué le jour même

17H → CONCERT DE CLÔTURE : BERTRAND BELIN ET RODOLPHE BURGER

Théâtre

23H59 → CONCERT SOLO : MEHDI HADDAB Café du Parc (chez Mehdi)

À partir de 23H → GRANDE NUIT ELECTRO-LIVE avec GRIMAÇE, PRIMA, SOURDURE, HEIMAT et REBEKA WARRIOR, ACID ARAB, ARNAUD REBOTINI

Temple Réformé → EN

AMONT ET PENDANT TOUTE LA DURÉE DU FESTIVAL, CONCERTS GRATUITS DANS LES BARS DE LA VALLÉE. PROGRAMME COMPLET DU BARATHON DISPONIBLE SUR LE SITE

Val Expo

→ SUIVI D’UN GRAND BAL GRATUIT ANIMÉ PAR LE DUO LOUISON MORIKHÔNE Parc Jules Simon

23H59 → CONCERT : THE HOOK Café du Parc (chez Mehdi)

Renseignements & réservations

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www.cestdanslavallee.fr contact@cestdanslavallee.fr

Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer — Rédacteur en chef : Philippe Schweyer — Secrétaire de rédaction : Cécile Becker Direction artistique et graphisme : star★light — Rédacteurs : Cécile Becker, Caroline Châtelet, Nicolas Comment, Guillaume Malvoisin, Philippe Schweyer, Pierre Walch Photographes : Vincent Arbelet, Nicolas Comment, Christophe Urbain Tigre : Rodolphe Burger — Production : Micka Rock — Sourire : Cathie Venchiarutti-Cordival Imprimeur : Ott imprimeurs — Dépôt légal : octobre 2019 — ISSN : 1969-9514 — © Novo 2019 Ce hors-série du magazine Novo est édité par Chicmedias & Médiapop Abonnements à

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Rodolphe Burger

L’art de l’accueil à quelques semaines de la 13ème édition du festival C’est dans la Vallée, rencontre avec Rodolphe Burger sur les hauteurs de Sainte-Marie-aux-Mines.

31 juillet 2019. Après un trajet rythmé par de gros ralentissements sur l’A35 et des travaux spectaculaires sur la N59, on quitte Sainte-Marie par la D48. Il est enfin temps de baisser les vitres et de respirer le bon air du Val d’argent en longeant la petite Lièpvre (Klein Leberau) en direction du col des Bagenelles. Arrivés à destination, voiture abandonnée sans regret entre route et rivière, il ne reste qu’à emprunter un petit pont de bois et à faire quelques pas pour contourner l’ancienne ferme où Rodolphe Burger, au travail dans son studio d’enregistrement, met la dernière main à son prochain album. Comme il est l’heure de casser la croûte, nous

rejoignons collaborateurs et amis de passage autour de la longue table en bois qui vole la vedette à la table de mixage planquée à l’autre bout de la pièce. Au menu du jour : saucisses blanches (dont raffolait également Alain Bashung) tendrement poêlées par le maître de maison et salade de radis noir au goût de revenez-y, le tout arrosé de quelques verres de blanc. Trois heures plus tard, on arrache Rodolphe à sa Stammtisch pour s’installer avec lui au pied du pré qui grimpe en flèche à l’arrière de la ferme, curieux de découvrir le programme 2019 d’un festival qui nous a fait découvrir et aimer la vallée et ses habitants.

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Imaginais-tu que C’est dans la Vallée existerait toujours dix-huit ans après la première édition ? En 2001, on a appelé cela «festival» comme on lance une bouteille à la mer. Au programme de la première édition, il y avait des concerts de Kat Onoma à la Chapelle, mais aussi le barathon (des concerts gratuits dans les bars), une installation d'arts plastiques avec Salvatore Puglia, Fred Poulet en concert dans une ancienne banque, du cinéma… En fait, il y avait déjà en germe ce que le festival est devenu. Cette première édition, c'était pour voir. S’il n'y avait pas eu de réponse locale, ça se serait arrêté. C'est à la demande du maire que l'on a fait une deuxième édition. Avais-tu des modèles de festivals ? Il y avait l’idée d’un festival qui soit plutôt un rendez-vous d’artistes qu’un festival de programmateurs. L’envie de convier le public à assister à des choses particulières en fonction des lieux. Mais le plus important, c’était qu’il y ait une réponse locale et ça a été impressionnant. Des gens de Sainte-Marie qui n’avaient jamais mis les pieds à l’église de SaintPierre-sur-l’Hâte sont venus. Il y avait une véritable curiosité pour Kat Onoma. à l’époque on tournait un peu partout, mais on n’avait jamais joué à Sainte-Marie. J’ai un souvenir très fort de ces concerts. Le disque issu de ces concerts en témoigne. C’était émouvant de me retrouver face à des gens, dont certains qui étaient allés à l’école avec moi, éclairés à la chandelle. Ils étaient là, mélangés avec des fans venus parfois de loin ou des journalistes, pour voir Kat Onoma sur ses terres. C’était plus exotique et plus amusant que de nous voir à l’Olympia ! Comment résumer le festival ? Il n’y a pas vraiment de ligne directrice musicale. Il y a toujours eu l’envie de mélanger les publics, mais aussi de mélanger des choses populaires avec des propositions plus pointues jusqu’à arriver à ce que les gens viennent pour le festival parce qu’ils savent qu’ils vont être surpris. Bien sûr, il y a eu la venue régulière de Bashung, de Higelin, de Rachid Taha, mais le bonheur, c’est quand les gens viennent par curiosité. J’étais heureux lors de la dernière édition de programmer quatre solos de guitaristes et que ce soit complet. C’est un luxe de pouvoir échapper au boxoffice. Le festival privilégie de plus en plus la création, des propositions inédites dans des endroits eux-mêmes particuliers. Tu invites plutôt des artistes que tu connais. On se connaît, mais il y a un lien qui n’est pas forcément personnel.


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Ça arrive que des artistes refusent ton invitation ? Jamais ! Je n’ai jamais eu le moindre refus pour une raison autre que d’agenda. On pratique quelque chose d’assez inhabituel qui est un système “communiste”. Quelqu’un de très connu est payé autant qu’un artiste qui va faire son premier concert, ceci quel que soit son nombre de prestations et son degré de notoriété. Les artistes peuvent venir pendant toute la durée du festival et ils sont tous bien accueillis. La qualité de l’accueil est fondamentale. Te sens-tu obligé d’accueillir tous les artistes qui demandent à revenir ? Non non, tu rigoles ! Je croule sous les demandes car les artistes savent qu’ils vont rencontrer d’autres artistes sympas, qu’il va y avoir une ambiance particulière, qu’ils vont être bien accueillis. C’est tout à fait autre chose que d’être programmé à tel ou tel festival.

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La dédicace à Higelin a-t-elle été le point de départ de cette édition ? C’est vraiment une édition spéciale dans la mesure où il n’y a rien eu depuis trois ans. Le public, les habitués, les fans du festival, mais aussi la population et les élus étaient demandeurs d’un festival. Ça donnait envie de repartir, mais à condition que l’on travaille avec la SPL EVA qui s’occupe des grands événements à Sainte-Marie. L’année dernière, j’étais là pendant la bourse aux minéraux et j’ai été soufflé par le niveau d’organisation et l’ampleur qu’a pris la manifestation, moi qui ai connu la bourse à sa naissance. à dix ans, j’avais ma petite table avec ma collection de cailloux. Les gamins de Sainte-Marie, on avait tous notre collection de pierres et de cristaux, notre marteau de géologue, et ça reste quelque chose que j’aime. Pendant une semaine, Sainte-Marie est le centre du monde ! C’est extraordinaire pour cette vallée qui est tout de même un peu isolée. Il y a des Touaregs qui logent chaque fois au même endroit, des Afghans qui viennent avec des émeraudes. C’est tout cela qui m’a décidé à proposer à la SPL EVA que l’on organise le festival ensemble. Et ça s’imposait de faire un tribute à Jacques Higelin qui a enregistré trois disques ici, qui a fait des concerts mémorables pendant le festival, qui racontait à la télé que c’était le paradis et qui a fait une chanson sur Sainte-Marie alors que les gens d’ici pensent parfois qu’ils sont les damnés de la terre, qu’ils sont oubliés de tous. Je me souviens du jour où il a reçu les clefs de la ville. à ce moment-là, la mairie avait déjà l’idée de baptiser le kiosque à musique que j’ai souvent eu envie d’utiliser pendant le festival. Ça fait tout à fait sens que ce soit un kiosque à musique plutôt qu’une place ou une ruelle qui soit baptisé du nom de Jacques Higelin. On se devait de proposer un moment festif, musical, avec Arnaud Dieterlen et Fortunato D’Orio. Ça c’est pour le vendredi. Et le samedi ? L’idée est de faire une belle soirée d’hommage à Higelin au théâtre avec l’équipe des fidèles, le groupe de la dernière tournée et des invités dont Sandrine Bonnaire par exemple. Ça me touche beaucoup que Areski ait accepté

de venir lui aussi. Truffaz et Mahut sont des habitués. Izia aussi, c’est à C’est dans la Vallée qu’elle a fait ses premières armes. Jouerez-vous uniquement des morceaux d’Higelin ? Oui, mais pas forcément les plus connus. Par exemple, je chanterai sûrement à feu et à Sang, un morceau du dernier album de Jacques qui dure 21 minutes. Sarah Murcia et Fred Poulet vont faire une reprise formidable du Minimum qu’ils ont jouée au Printemps de Bourges. La set-list est-elle en train de s’élaborer ? On a déjà fait un beau concert en hommage à Jacques à Poitiers et on se connaît bien. Après cette première partie de soirée entièrement dédiée à Jacques, il y aura le concert rituel de Mehdi (Haddab) au bar chez Mehdi. Et ensuite, ça c’est vraiment nouveau, on inaugure le Val Expo, un ancien bâtiment industriel très vaste que l’on va équiper pour faire des concerts. L’idée est de le faire en partenariat avec l’Ososphère et qu’il y ait 24 heures de musique non stop. Cette deuxième partie de soirée durera jusqu’au petit matin avec pour commencer Grimaçe, Heimat, Prima et Sourdure qui ont des points communs dans leur approche très ouverte. La rencontre peut être fructueuse ! Ensuite, il y a des pointures de l'électro : Rebeka Warrior, Acid Arab et Arnaud Rebotini. Le lendemain à midi, on se retrouve à la Villa Burrus pour un pique-nique avec des propositions acoustiques. Certaines préparées, d’autres improvisées. C’est totalement ouvert y compris à des gens du coin. Et puis on clôt avec un concert au Temple où il y a eu des concerts mémorables, notamment avec Bashung. Là, ce sera avec Bertrand Belin qui est déjà venu au festival et avec lequel j’ai fait pas mal de choses récemment. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Il connaissait très bien Kat Onoma et il avait même envisagé de me demander de participer à la réalisation d’un de ses premiers disques. J’ai suivi son parcours. C’est quelqu’un qui s’est fabriqué son propre chemin de façon démente. Pour moi, c’est l’artiste le plus intéressant du moment. Jusqu’à écrire et être publié par P.O.L..On a fait ensemble un hommage à Paul Otchakovsky-Laurens à Manosque et à la Maison de la Poésie de Paris. Je l’ai aussi invité pas mal de fois sur des concerts. On a notamment fait un concert à deux à la Maison Rouge. Il y aura deux duos avec Bertrand sur mon prochain album. Connaissais-tu l’éditeur Paul Otchakovsky-Laurens ? On était très amis. On s’est rencontrés très tôt par l’intermédiaire d’Olivier Cadiot et de Pierre Alferi. Je l’aimais beaucoup et on se voyait l’été chez Olivier Cadiot. Il venait aux concerts et sur le répondeur de P.O.L. il y a le morceau Cheval Mouvement. Il adorait la musique, il adorait les fêtes, il adorait danser, c’était un mec merveilleux. Est-ce que tu écoutais Jacques Higelin quand tu étais jeune ? Je l’écoutais et j’allais à ses concerts. C’était le seul mec crédible en France en tant que rocker. Je me souviens de concerts de Jacques au théâtre Fontaine à Paris avec Brigitte. Mais à un moment j’ai décroché, j’étais moins au fait de ce qu’il faisait. C’était très surprenant qu’il vienne me trouver. Il t’avait entendu à la radio. Il m’avait entendu reprendre Old Man de Neil Young en live et c’est son manager Emmanuel Poënat qui nous a mis en contact. Je pense que Mahut l’a encouragé à venir me trouver. Il m’a mis une pression de dingue en me disant : « J’aime pas mes derniers disques, je ne m’entends pas avec les gens, je ne veux pas d’un directeur artistique, j’ai besoin d’un partenaire artiste, musicien qui m’aide car si je rate celui-là, j’arrête tout ! » Je n’avais jamais fait ça ! Ce qu’il me demandait, c’était de l’aider à accoucher de son album. évidemment, j’avais des doutes terribles. J’ai répondu en lui proposant qu’on se rencontre, qu’on se connaisse un peu mieux, et qu’il vienne au festival à Sainte-Marie pour voir l’endroit où je travaille, la ferme. Il est venu avec Mahut et il a fait un concert mémorable au Temple. Mahut a beaucoup compté, sa présence était

très importante. Quand Jacques est venu à la ferme, il s’est mis au piano et il a tout de suite dit que c’était là qu’il voulait enregistrer. Tout d’un coup, ça réveillait quelque chose du côté de ses origines alsaciennes. Il savait que Bashung était venu avant lui. Oui et c'est ici qu’ils se sont vraiment rencontrés. C’est dans le jardin de Lili qu’ils ont fait connaissance. évidement ils se croisaient, mais ils ne s’étaient jamais vraiment rencontrés et ça a été une surprise pour Jacques. Ils n’avaient pas le même type de caractère. Pas du tout ! Jacques était très intimidé par Alain qui avait un côté taiseux. Il pensait que c’était un intello très cérébral, mais il a rencontré quelqu’un d’extrêmement simple. Ils se sont très bien entendus. On a fait plus tard un concert à La Laiterie où on était tous les trois. Les trois Alsaciens. La vallée a permis à Alain, mais aussi à Jacques, de se réconcilier avec l’Alsace par l’intermédiaire de la bouffe et des souvenirs. Alain raffolait des saucisses blanches, Jacques c’était les tartes à la rhubarbe de Lili. Jacques aimait les gens d’ici, parce qu’ils ne l’emmerdaient pas. Il allait à la pharmacie, au Super U. Jacques a adoré la ferme. C’était comme un recommencement à zéro pour lui. Quand il a fait Amor Doloroso on a commencé à travailler avec un Jacques très fragile, en proie à des doutes terribles. Il fallait y aller très prudemment. Dès qu’il y avait un rythme programmé, c’était l’allergie : « c’est quoi cette boîte à rythmes ! » Arnaud Dieterlen est venu jouer de la batterie dans une deuxième phase. Il fallait y aller très prudemment et partir de son mouvement, saisir son pulse pour construire à partir de ça et faire en sorte qu’il soit dans son assiette. L’environnement à la ferme permet de faire des choses que l’on ne peut pas faire ailleurs. Pour le dernier album, on a saisi quelque chose de tout à fait extraordinaire. Je suis content que Sony soit d’accord pour sortir les versions intégrales du live en studio. Quatre titres ont été faits comme ça et c’est très précieux car ça ne pouvait se produire qu’ici. Jacques entouré de très bons musiciens qu’il connaissait très bien, totalement à son écoute, qui lui proposaient de la musique sur laquelle il pouvait se lâcher. Et là, c’était le grand Jacques ! On renouait avec le rock psychédélique des années Saravah. Il y avait ce Jacques-là avec une fantaisie complètement dingue qui le rapprochait de Brigitte Fontaine et puis un Jacques qui voulait faire de belles chansons avec de très belles mélodies. Ce côté docteur Jekyll et mister Hyde s’entend beaucoup sur le dernier album. Avec le morceau à feu et à sang, on entend un autre Jacques. Il le dit lui-même : « Je suis pas toujours d'humeur à écrire Tombé du ciel si tu veux le savoir ! » Là c'était le Jacques féroce avec une énergie, une cruauté, un côté bête sauvage ! Lui-même était effrayé. Pour moi c’est là qu’il était absolument unique. Jacques Higelin écrivait-il ses textes à la ferme ? Il avait apporté plein d’enregistrements sur lesquels il improvisait sur des petites boucles rythmiques de Mahut. C’était chamanique ! Mahut lui faisait une petite boucle de sorcier et hop, il était sur un tapis volant ! Pour son dernier album, on a commencé par les morceaux pour lesquels il n’avait pas de musique. Il y avait une équipe de musiciens fantastiques et on a vécu des moments absolument dingues pendant une semaine. à côté de ça, il avait aussi des belles mélodies de piano à la McCartney, mais pas de paroles. Il y avait des moments de fulgurance, des moments d’allégresse et aussi des moments de grande souffrance quand il s’agissait de « paroler » les musiques comme dit Françoise Hardy qui adore ça. Après le kiosque Jacques Higelin, y aura-t-il bientôt un boulevard Rachid Taha à Sainte-Marie ? Plus qu’un boulevard ! Bien sûr ! Je suis très content de jouer avec le Couscous Clan à la Filature à Mulhouse le 25 septembre. On en avait parlé avec Rachid quand on a fait notre dernier concert à Marseille. On s’était dit qu’on allait faire le Choucroute Clan à Mulhouse ! Je n’ai pas osé reprendre l’appellation Choucroute Clan. Avec Rachid je l’aurais fait, mais tout seul je ne suis pas sûr de pouvoir affronter les conséquences ! C’est quand même avec du halouf la choucroute ! Rachid disait que


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son couscous préféré était celui au chou. On lui fera évidemment l’hommage qu’il mérite à Sainte-Marie, mais plus tard. Tu vas te spécialiser dans les hommages. Je ne veux pas ! J’étais très content de ce qu’on a fait à Poitiers pour Jacques Higelin, c’était chouette parce que c’était vraiment du côté du vivant. Idem pour le Couscous Clan à Banlieues bleues. C’était vraiment magnifique. On espère que Sandrine Bonnaire et Lili vont bien s’entendre ! Je n’ai aucune inquiétude ! Olivier Cadiot sera-t-il là ? Oui ! Il y a plein d’amis qui veulent venir !

Propos recueillis par Philippe Schweyer Photos : Christophe Urbain

Duo Louison Morikhône

En avant la musique !

Duo Louison Morikhône. Rien à voir avec un orchestre de cinéma ambulant, rien à voir avec les brailleurs de rue, rien à voir avec les orphéons désaccordés. Quoique. Peut-être le duo formé par Arnaud Dieterlen et Fortunato d’Orio est-il même un génial malentendu musical. « Je ne crois pas qu’on soit les bonnes personnes, avec les bonnes partoches pour animer un bal du vendredi soir, à Sainte-Marie. Mais

ça va danser comme des fous. » Il y aura quelques trucs connus, des standards comme Sway, que Diam’s a dû piquer à Dean Martin sans le savoir. « Les morceaux sont irrésistibles, les rumbas, les cha cha… même le paso doble c’est un truc hyper fun. » La bio officielle de Louison Morikhône indique qu’il s’est inspiré largement du Duo Louison Moretti et de son projet de Thé Dansant. « Le répertoire ne change

pas mais la manière est modifiée et ça part en sucette. » Trempez un répertoire qui court des années 20 aux sixties dans un bain sonore typé années 80. Au piano à queue et percussions acoustiques succèdent les pads octogonaux d’une batterie Simmons et des synthés analogiques. « Ça donne une nouvelle ambiance sonore, plus fun. » Chez Louison Morikhône, on joue les partitions d’époque mais on adapte les rythmes. On laisse toujours une plage d’impro, d’arrangement incongru comme une intro à la Mozart pour le Quizás Quizás Quizás d’Osvaldo Farrés. On cale des trucs technoïdes au milieu d’un cha cha cha, c’est très souriant. « Dans les années 10 ou 20, on allait dans les boutiques de musique ou sur les marchés et on achetait la partition. C’était les succès des opéras et des opérettes. C’était pour piano solo, c’était sous-titré “danse de salon”. » Aujourd’hui les gens ne dansent plus cela, alors Louison Morikhône a pris des partitions très simples, ultra catchy. « Les danseurs ne viennent pas forcément tout de suite mais quand ils sont là, tu dois continuer le morceau et inventer de quoi le moduler, sinon, c’est redondant et tout le monde est frustré. » D’accompagnateur, le duo devient entertainer perruqué, cravaté, synthétisé. Chapeau de cowboy, citation furtive des Cure voire même, dit la légende, de Jean-Michel Jarre. « Ce qui est important, c’est qu’on danse et qu’on ait envie de rire. » Pas de ridicule au galop, juste une absence minutieuse de sérieux. Tristes sir.e.s s’abstenir. Guillaume Malvoisin


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Un doux fauve C ' est da n s l a va l l ée

« Ma grand-mère chantait, elle aussi, en alsacien. C'est comme ça que j’ai appris à chanter. »

C’EST DANS UN NUAGE de poussière soulevé par les roues d’un petit coupé rouge vif, au bout d’un chemin de terre perdu sur les hauteurs de la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines, en Alsace, que j’aperçus, pour la toute première fois hors de scène, la haute silhouette élastique de Jacques Higelin. Très exactement tel qu’il apparaît, assis sur la banquette d’une Renault Floride-Caravelle – blanche celle-ci – dans la bande annonce de SaintTropez Blues, pour ses débuts au cinéma, en 1961. Altier, les cheveux au vent et le coude nonchalamment posé sur l’arête de la vitre latérale du bolide, Higelin semblait flotter au-dessus du monde, des êtres et des choses. La poussière dégagée par la décapotable s’estompa bientôt tandis que dans une volte-face – en sautant la portière – il sortait de l’auto comme on descend de cheval. Dans un geste tout aussi chevaleresque, il se

recoiffa aussitôt ; non pas en lissant sa crinière argentée, mais au contraire en la secouant vigoureusement. Les cheveux en pétard, le pas alerte et dansant – avec cette démarche un peu artificielle qui me fit instantanément penser à celle de Jean Cocteau dans son film Le Testament d’Orphée – il entra dans le restaurant de montagne où l’attendaient les membres de Dernière Bande, le label indépendant de Rodolphe Burger, dont je faisais alors partie. Nous étions en 2005, Higelin venait tout juste d’avoir soixante-six ans. « Boncchhourrr, ché sssuis le petit CHACKY ! » Se présentant ainsi, en imitant l’accent alsacien, il déclencha aussitôt l’hilarité de l’assistance. J’entends encore le rire grave et franc de Rodolphe Burger ponctuer le sketch hilarant que le nouvel arrivé improvisait en prenant un malin plaisir à ridiculiser gentiment ses hôtes. S’emparant des symboles alsaciens

– bretzel, cigogne, colombages –, il ne s’arrêtait plus de les faire s’entrechoquer dans une élucubration délirante : croix de Lorraine, casques à pointe, svastika, tout y passait. Adepte de la provocation et de l’« umour noir » – tels que l’ont défini André Breton et un autre Jacques (Vaché) –, « Chacky » allait vraiment loin. Vociférant de sa voix éraillée, au milieu de la salle, en faisant de grands moulinets avec ses bras, il dépassait les bornes, crevait le plafond. Tous les clients du restaurant étaient au spectacle. Bien décidé à ne pas attirer son attention, je m’enfonçai dans ma chaise, me contentant de sourire discrètement à ses blagues en m’abstenant de tout commentaire pour éviter une surenchère. Higelin, qui venait tout juste de se réveiller, était arrivé en retard : le déjeuner prenait fin et plus aucune place n’était libre dans ce petit restaurant bondé. Si


Jacques Higelin par Nicolas Comment

avait connu les riches heures du château d’Hérouville, la Louisiane, l’Afrique, et qui avait désormais les moyens d’enregistrer où bon lui semblait, c’est donc dans le grenier d’une vieille ferme au plancher grinçant qu’il décidera de poser son sac, sa guitare et son dictaphone. Higelin y enregistrera durant dix ans – entre 2006 et 2016 – non pas un, mais trois albums… Les derniers. (…) PRINTEMPS 2006. LE TEMPS est enfin venu des premiers jours d’enregistrement de ce qui deviendra l’album Amor Doloroso. Les contrats ont été paraphés dans les bureaux d’EMI, à Paris, les courses sont faites, le catering est assuré pour une semaine d’autonomie complète. Jacques s’est installé dans la chambre située sous la cuisine. Il n’a qu’un seul étage à gravir pour prendre ses repas ou se retrouver dans le studio : en fait, une seule et grande pièce qui tient à la fois de lieu de répétition, d’enregistrement et de vie commune… Aucune cabine, aucun sas, ni aucun de ces paravents de Plexiglas habituellement utilisés dans les studios conventionnels ne viennent obstruer la perspective de ce vaste grenier très haut de plafond qui est comme une grande tente nomade suspendue en rase campagne. Nous sommes au mois de mai, et le poêle à bois, situé au centre de la pièce, est toujours allumé. C’est qu’il fait encore froid, au printemps, dans ces contrées montagneuses des Vosges moyennes… La nuit, la lumière rougeoyante des bûches qui flambent et réchauffent les rêves des dormeurs est comme une présence, le Saint-Esprit de la Ferme, l’âme du studio Klein Leberau. Quelques jours plus tôt, j’ai demandé à Rodolphe Burger de bien vouloir m’emmener avec lui. Je pourrais en effet filmer, photographier, documenter l’enregistrement et si besoin aider un peu à l’intendance : préparer le café ou descendre au village pour acheter des cigarettes. Rodolphe a accepté en me disant : « D’accord, mais garde à l’esprit que dans un studio, chacun doit avoir un rôle précis. Et il faudra demander l’autorisation à Jacques pour les images. » Burger est censé réaliser ce nouvel album en compagnie de Mahut, le percussionniste historique de Bernard Lavilliers. Celui que le Stéphanois nomme « Docteur Mahut » est beaucoup plus qu’un simple musicien. Mahut est peintre, Mahut est poète, Mahut est chaman… Il a beaucoup œuvré dans les couloirs des majors pour que le disque se fasse ici, loin de l’agitation parisienne et dans des conditions qui, quoique particulières, lui ont semblé idéales pour Jacques, dans l’âme duquel il sait lire comme dans un livre. Il est à cette époque – et le restera jusqu’aux derniers instants – son meilleur ami, son bras droit, son « frère », dit Higelin. DERNIÈRE BANDE Ces premiers moments d’enregistrement sont très importants. En effet, Jacques Higelin, dont la personnalité flamboyante est constituée d’une matière grise hautement inflammable, est dans le milieu précédé d’une réputation d’être cyclothymique, voire cataclysmique. Il est capable de tout lorsqu’il enregistre un album. Il l’a déjà prouvé en épuisant,

à cause de son exigence, plusieurs producteurs. On raconte même que lors du mixage de son dernier album, il s’est saisi du disque dur pour shooter dedans comme dans un ballon de foot… Les premiers instants sont décisifs. Si Jacques se sent bien, tout peut aller très vite, mais si le feeling qu’il recherche n’est pas là, il peut tout aussi bien repartir sur-lechamp. Seuls Mahut et Rodolphe Burger sont présents en qualité de musiciens lors de cette toute première semaine d’enregistrement à la Ferme. À la console, Luc Tytgat et Joël Theux veillent sur les leds et les lampes de leur MCI JH428 (28 pistes) qui brillent dans l’ombre, sous les combles. Pour organiser le séjour de tous à la Ferme, Anne-Lise Broyer – une artiste doublée d’une excellente cuisinière qui s’occupe à cette époque avec moi du label Dernière Bande – a engagé un ami récemment démis de ses fonctions chez Naïve, Jérôme Bourdon. Je suis le seul à n’avoir aucun rôle vraiment défini. « Nicolas est là, sans être vraiment là », a dit Rodolphe. UN DOUX FAUVE Nous voici, tous les sept, réunis autour d’un doux fauve. Mais d’un fauve quand même. Une bête de scène qu’il va falloir apprivoiser, amadouer afin qu’il ne se sente pas prisonnier du studio et ne tente pas, alors, de briser les barreaux de sa cage. C’est une lourde responsabilité qui incombe à la petite équipe, beaucoup plus « arty » que « pro », réunie par Rodolphe Burger. Jacques, qui n’a pas enregistré depuis huit longues années, est en plein doute. C’est encore Mahut qui a fomenté l’idée d’associer Higelin à Rodolphe Burger : un artiste en marge de la chanson française, autant guitariste que chanteur, expérimentateur souvent, avant-gardiste parfois. Lorsque Jacques le rencontre, le fondateur du groupe Kat Onoma développe depuis plus de trente ans une carrière des plus originales à travers son label indépendant Dernière Bande et de prestigieuses collaborations avec Jeanne Balibar, Françoise Hardy ou Alain Bashung. Philosophe de formation, Rodolphe Burger est aussi un intellectuel subtil que sa stature physique imposante dissimule pudiquement. Lucide, Mahut aura sans doute remarqué que la carrière de Jacques Higelin est ponctuée de rencontres-clés avec des artistes aventureux échappant souvent au monde de la variété : d’Henri Crolla à Areski, de Brigitte Fontaine à Simon Boissezon, de Michel Magne à Jacno, c’est régulièrement dans l’underground qu’Higelin puise son inspiration pour atteindre les couches populaires. LE PREMIER SOIR Pour ne pas passer pour un importun, je décide donc, dès le premier soir, d’aller me présenter à Jacques. Je respire un bon coup et traverse d’un trait le long plancher du grenier en m’avançant vers lui d’un pas décidé. Je lui tends la main en lui disant mon nom, droit dans les yeux, sans sourciller. Avec humour et élégance, il me rend la pareille : « Bonjour, Jacques Higelin. » En lui serrant la main, je sens sous mes doigts la tiédeur de ses épais coussinets de fauve. Le soir, après le dîner qui s’est prolongé, chacun vaque à ses occupations et, un à un, descend se coucher. Tous, sauf

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bien qu’attrapant un des rares sièges vacants à la table voisine, il le glissa d’autorité entre ma chaise et celle de mon voisin puis vint s’assoir, non pas contre, mais littéralement sur moi. Je me retrouvai collé à lui, épaule contre épaule. La chaleur que transmettait son corps en sueur me parvenait physiquement, les mouvements de sa respiration, l’écho de sa voix caverneuse – son coffre – résonnait dans mon thorax. Jacques pulvérisait d’emblée toute distance sociale et faisait fi de ma « dimension cachée », pour reprendre l’expression chère à l’anthropologue Edward T. Hall. Son aura m’envahissait. C’était la toute première fois que je me trouvais en sa présence. Et quelle présence ! Si l’on me demandait d’attribuer le mot « charisme » à une seule personne, je l’appliquerais sans hésiter à Jacques Higelin. Le chanteur se trouve alors en Alsace dans la perspective d’enregistrer un nouvel album. Il est venu visiter le studio Klein Leberau que Rodolphe Burger a installé dans le grenier de sa ferme familiale, au fin fond d’une vallée où coule la Petite Lièpvre, qui donne son nom au lieu-dit. Dans ce minuscule cours d’eau, aux flots parfois torrentiels et noirs quand l’orage gronde, batifolent d’étincelantes truites fario, qui sont les véritables pépites de ce Val d’Argent aux abords duquel la Ferme a été construite, il y a plusieurs siècles sur d’anciens territoires amish. Coupée du monde mais reliée comme aucune autre à la terre, cette vaste bâtisse est si massive et trapue qu’elle semble vouloir s’enfoncer dans le sol. Et ce n’est pas un hasard si Higelin est là, dans ce coin paumé du département du Haut-Rhin. Il est ici chez lui, de retour sur la terre de ses ancêtres, proche du berceau de ses origines. Celles de son grand-père Auguste et de sa grand-mère Joséphine, qui tenaient un bistrot à Didenheim (aujourd’hui Brunstatt-Didenheim), dans les environs de Mulhouse. « Un bistrot où l’on faisait de la musique », précisera Jacques, plus tard, à un journaliste de L’Alsace. En effet, Jacques Higelin est certes né en 1940 à Brou-sur-Chantereine, en banlieue parisienne, mais il a été élevé « dans une véritable enclave alsacienne » au sein d’une famille où l’on mangeait le kougelhof le dimanche : « Ma grand-mère chantait, elle aussi, en alsacien. C’est comme ça que j’ai appris à chanter. » Et c’est cette grand-mère qui, précisément, le surnommait le « petit Jacky ». Le nom même d’Higelin étant un dérivé du vocable alsacien Hügela, signifiant « petite colline ». Ma véritable rencontre avec Jacques aura lieu ultérieurement. Très vite, il repartit dans le même petit coupé rouge vif conduit par Lili – la mère de Rodolphe Burger –, mais qui eût tout aussi bien pu être piloté par l’ange Heurtebise… Soulevant un semblable nuage de poussière, il disparut au bout du chemin de terre, comme il était venu. Dans la traîne floue de cet attelage écarlate suivaient deux motards vêtus de cuir noir, courbés sur leurs machines qui bourdonnaient au loin comme deux gros insectes. Les antennes de leurs lourdes et sombres BMW percevaient-elles qu’à l’avant de l’habitacle recapoté, Higelin – tel Orphée dans le film de Jean Cocteau – tournait le bouton de la radio pour capter sur une fréquence inconnue des messages sibyllins, du genre : « Le silence va plus vite à reculons, trois fois ; je répète : le silence va plus vite à reculons, trois fois » ou bien « L’oiseau chante avec ses doigts. Je répète, une fois : l’oiseau chante avec ses doigts… » ? Je le crois. Traqueur d’inconnu, Jacques Higelin avait traversé tant et tant de styles et d’époques qu’il ne m’eût pas étonné qu’on lui prêtât avoir un jour expérimenté une catabase (ou descente aux Enfers). Orphée moderne – de l’acteur jeune premier au rocker protopunk, de l’écorché hirsute qu’il fut au glorieux papa assagi d’enfants de la balle –, lui aussi semblait s’être métamorphosé maintes et maintes fois. Célèbre et adulé par son public, il avait connu la galère et la gloire, l’amour des plus belles et la guerre d’Algérie, défiant la mort dans les soirées de gala, rejouant sa vie entière sur scène à chacun de ses concerts… Dans son goût de la provocation qui masquait évidemment une grande pudeur et une immense sensibilité, Higelin se souvenait sans doute aussi de « cette valse autrichienne » que son père lui jouait « en rentrant du boulot » (« Le Parc Montsouris »). « Quand j’étais môme, mon père se mettait tous les soirs au piano et jouait des valses viennoises, des vieux airs alsaciens… . » Ainsi, lui qui

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Jacques Higelin par Nicolas Comment

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l’inspiration en observant la flamme d’une bougie où tournoie, comme les mots dans sa tête, un papillon de nuit. Il chantonne. Je filme et le photographie discrètement, pour ne pas le déranger. J’essaie de me faire tout petit, aussi discret que Rhapsodie. L’ambiance est intimiste : nous sommes deux chats tapis autour d’un fauve, entre chien et loup… Comme dans un tableau de Caravage ou de Georges de La Tour. Soudain, Higelin se lève et se dirige vers le piano. Il plaque quelques accords dans la nuit, esquisse une mélodie et puis revient s’asseoir à la table de cuisine pour noter quelques mots. Enfin, il descend se coucher sans omettre d’emporter avec lui mes modestes livres de photographies. Je regarde la pendule, il est déjà quatre heures du matin.

Jacques, qui se ressert une dernière tranche de gâteau au chocolat, allume une cigarette et ouvre un grand carnet dans lequel il commence à griffonner. Je profite de ce moment de tranquillité pour me rapprocher de lui : « Jacques… J’aimerais vous demander l’autorisation de vous photographier et, si vous en êtes d’accord, de filmer l’enregistrement. Je suis photographe. J’ai apporté quelques livres pour vous donner une idée de ce que je fais. » Higelin me répond qu’il les emportera avec lui dans sa chambre pour les regarder tranquillement et me déclare : « Tu sais, tout à l’heure, j’ai vraiment aimé la façon dont tu es venu me saluer. Tu t’es présenté en disant ton nom en entier et en me regardant droit dans les yeux. C’est plutôt rare… Donc oui, tu peux photographier, tu peux filmer ce que tu veux, mais que ça ne sorte pas d’ici pour le moment ! »

QUELQUES ACCORDS DANS LA NUIT Me voici donc seul avec Jacques et mon « autorisation » fraîchement obtenue… Il commence à être bien tard. La nuit est tombée depuis longtemps, et dehors la vallée a disparu dans un noir profond. Seule Rhapsodie, la petite chatte de la Ferme brise de temps à autre le silence en frôlant de ses pattes feutrées une sanza ou un tambourin abandonnés par Mahut sur le sol. J’ai moi-même quitté mes boots et me déplace avec ma caméra, en chaussettes, sur les épais tapis qui recouvrent le plancher. De temps à autre, dans le poêle, le feu de bois craque comme un vieux 33-tours vinyle. Jacques écrit. Il semble chercher

« TU SERAS MON SCRIBE » Le lendemain, au petit déjeuner, Jacques m’alpague : « Nicolas, dis-moi. J’ai regardé tes livres de photos. Elles sont belles, elles sont douces tes photos… Mais j’ai lu aussi les textes qui les accompagnaient… Tu ne m’avais pas dit, hier soir, que tu écrivais ! Voici donc ce que je te propose. Je t’autorise à filmer et à photographier tout ce que tu veux si en échange tu acceptes de m’aider à finaliser mes textes de chansons. J’ai besoin de quelqu’un comme toi pour m’aider à classer, trier, taper mes textes. Qu’en dis-tu ? » Je repense tout à coup à la phrase que Rodolphe avait prononcée en acceptant ma présence au studio… Voilà. Jacques vient de me donner un rôle. « Tu seras mon scribe ! », dit-il en riant. Cette toute nouvelle fonction justifie désormais ma présence au studio. « Scribe » de Jacques Higelin, pourquoi pas ? Je n’ai rien d’autre à faire cet été-là, aucune obligation. J’accepte sur-le-champ. Texte et photos : Nicolas Comment Extrait du livre Jacques Higelin en librairie le 4 octobre (avec 50 photographies pour la plupart inédites et un dessin de Mahut). Collection “Les indociles” dirigée par Stan Cuesta. Éditions Höebeke, 2019.

The Hook

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Never Get Off The Hook Désolé Erich, à l’Est, rien de nouveau non plus. Ou alors du neuf avec du vieux. Ou alors, peut-être que le neuf d’alors n’est décidément pas disposé à vieillir. On parle ici des seventies. On parle ici du Rock’n’Roll. Avec apostrophes et deux majuscules. On parle de The Hook, un groupe de l’Est, un groupe de Rock, un groupe de jeunes. Avec apostrophes aux anciens et deux majuscules. The Hook ? C’est coiffé comme des aisselles, c’est souriant comme une amanite phalloïde et ça braille rubis sur l’ongle que le neuf vieillit pas mal du tout, pour peu qu’il sache rester sanguin. The Hook, avec ses deux majuscules est, néanmoins, un quartet, au cœur battant. Un quartet dur, dur comme on décrivait le son du Rock dans les seventies. Car, oui, on y est, les deux pieds dedans, dans les seventies. Les quatre cocos avec leurs cheveux en bataille et leur deux majuscules remuent la décennie de rage et de désillusion dans leur Too Much Blood. Sanguin donc. Yep, avec la pression toujours un peu superlative, pour vous balancer ce qu’il faudra de riffs incisifs, de gimmicks chocs, de “Oh Yeah” descendus du Silver Train des Stones, de tessitures piquées aux divas du Rock. Rien que du bien vieilli. Rien que du neuf en action. Alors oui, vous avez de quoi jouer au jeu des influences, des sept ressemblances et du copycat. Si vraiment vous avez du temps à perdre. The Hook, eux, sont trop occupés à prendre un peu d’avance sur la nostalgie. “Oh Yeah” comme dirait Mick Jagger. Guillaume Malvoisin Photo : Benoit Gilbert www.mediapop-records.fr


Sarah Murcia

Un rêve de musique

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Impossible de faire entrer la contrebassiste Sarah Murcia dans une case. Citer tous ses « projets » (un mot à bannir selon elle) et dresser la liste des musiciens avec lesquels elle collabore prendrait beaucoup trop de place. Pour tout cela, heureusement, il y a Internet. Pour le reste et parce qu’on en rêvait depuis longtemps, rencontre avec une artiste passionnante qui revient à C’est dans la Vallée pour accompagner Rodolphe Burger et aussi pour jouer avec Fred Poulet, son partenaire dans Beau Catcheur.

Quels que soient les artistes avec lesquels tu joues, c’est toujours le même plaisir ? Je ne participe qu’à des projets qui me tiennent à cœur. L’esthétique a peu d’incidence sur l’intensité du ressenti. À dix-neuf ans, j’ai passé une audition et j’ai commencé à « faire le métier » avec Charlélie Couture. Même ça, c’était agréable. Puis je suis partie et je n’ai jamais réessayé. Je n’ai plus fait de tournées avec des chanteurs. J’ai fait un disque avec Higelin, mais je ne serais jamais partie en tournée avec lui, parce que c’est une autre vie. Je ne fais pas ce métier-là. Ça m’ennuie de me contenter de faire ce qu’on me dit de faire. Avec Rodolphe ce n’est pas le cas : j’ai ma petite maison et j’arrose les plantes. Dans un entretien avec Guillaume Malvoisin pour Novo, tu expliquais que tu adores jouer avec Rodolphe Burger parce que sa musique est spacieuse… Quand je joue avec lui, la question du tempo ne se pose pas, nous sommes toujours connectés. Il a vraiment un « time » très sérieux, mais son art, c’est l’élasticité. Avec Rodolphe, c’est comme si je jouais avec un groupe de musique instrumentale. Tu sembles enchaîner les collaborations avec beaucoup de facilité. On ne me demande rien, on m’appelle pour être ce que je suis. L’esthétique, c’est juste un outil. Certaines musiques nécessitent peu de verbiage, d’autres beaucoup plus. Louis Sclavis attend de moi que je sois dans un rapport d’énergie avec l’instrument. Ce n’est pas ce que me demande Fred Poulet. La différence, je la situe dans la mise en danger : j’aime quand je ne sais pas ce qu’il va se passer et qu’il y a sensation de perte d’équilibre. C’est cette sensation-là qui m’est chère. Mais s’il ne faut rien jouer, je ne joue rien. Avec Elysian Fields, je joue une note par mesure. Pendant dix ans, j’ai fait la plupart de leurs tournées en Europe. Oren est bassiste et il me demande de jouer comme il aurait joué. Il ne faut s’occuper que du résultat. Et si au contraire Rodolphe me laisse libre, ce n’est pas pour ça que j’en mets des caisses. C’est juste qu’il me fait davantage confiance qu’Oren qui a besoin de tout contrôler pour que la musique ressemble exactement à ce qu’il a en tête. Ce qui est une priorité pour lui n’est pas une priorité pour Rodolphe. Jouer en trio avec Rodolphe et Christophe Calpini, c’est très vivant, différent du duo. Il y a un vrai équilibre et on est davantage « à poil » que dans un quintet.

Tes projets personnels sont-ils ceux qui te ressemblent le plus ? J’ai un rêve de musique et mes groupes me permettent de me rapprocher des musiques que j’ai envie d’entendre. C’est par nécessité que je le fais. Même quand les esthétiques sont vraiment différentes comme avec Kamilya Jubran, c’est le même langage qui s’insinue au milieu de tout ça. Il se trouve que Kamilya est Arabe, mais elle aurait très bien pu être Thaïlandaise. Est-ce que, ce que tu as appris avec elle, te sert quand tu joues avec Rodolphe ? De façon souterraine tout agit sur tout. Si j’apprends un morceau de treize minutes par cœur avec Kamilya, j’imagine que cela m’amènera à penser des cycles longs, à penser dans la longueur, du coup je vais avoir davantage cette détente-là quand je joue avec Rodolphe. Alors que dans le trio de jazz avec Sylvain Cathala, je vais davantage voir le résultat de mon travail dans l’exécution. Je comprends comment travailler depuis seulement quatre ou cinq ans. J’ai joué avec Malik et son groupe pendant dix ans et j’ai appris plein de choses, mais j’avais peur de tout. Il m’a congédié pour mon plus grand bien. J’étais très inhibée, j’avais peur de son regard, du regard des gens. Ne plus avoir ce regard qui pesait sur moi m’a permis de voir les choses autrement et d’apprendre à travailler dans la bonne direction. J’ai l’impression que tu chantes davantage ces derniers temps… Le chemin que j’ai fait ne se résume pas en quantité de travail, mais en prise de distance avec l’instrument, avec ce que j’attends de l’instrument. Penser qu’en fait on s’en fiche de la contrebasse, m’a fait beaucoup progresser. J’ai arrêté de sacraliser l’instrument et la musique ellemême. Je suis vraiment « redescendue de la moto ». Et c’est ce qui me fait travailler dans la bonne direction et m’aide à me focaliser sur des choses plus importantes, plus essentielles. Comme je ne suis pas chanteuse, le chant c’est « tout de suite et maintenant ». On ne peut pas « chanter un petit peu ». Il m’a fallu moins de temps

pour réussir à faire ça que les vingt ans que j’ai passés à faire de la basse. Je commence à aller vers des choses plus essentielles par rapport à mon instrument et à ce que je veux faire avec mon instrument. Je me vois chanter de plus en plus, mais pas en première ligne. Plutôt comme Zappa, qui chante ou ne chante pas. Je vois la voix comme un instrument. C’est pour ça que je m’efforce d’aller vers des formats qui ressemblent à ceux du jazz où il y a autant de place pour l’instrumental que pour la voix. Ce ne sont pas des chansons que je veux faire. D’ailleurs, je n’écris pas de textes. À part avec Kamilya et Elysian Fields, tu es plutôt entourée de mecs. On s’en fiche de ça. Je ne suis pas du tout pour la politique des quotas. Je ne crois pas qu’il faille plus de femmes dans le jazz, mais il en faut plus à l’Assemblée Nationale. On ne m’a jamais mis de bâton dans les roues. Par contre, on m’a donné trop de crédit quand je jouais mal, juste parce que j’étais une fille. Aujourd’hui, si t’es une fille, tu peux faire de la musique. Donc, t’as qu’à en faire, et si t’en as pas fait, c’est que tu n’en avais pas envie. La musique c’est difficile. C’est dur pour l’ego, il faut savoir reconnaître qu’on est médiocre tout le temps. Il faut savoir supporter ça, et c’est désagréable. Est-ce que Rodolphe bosse encore sa guitare ? [En riant] Tu veux que je dénonce ? Non, non, il ne fout rien [rires]. J’essaye de ne rien faire que je ne veux pas faire. Pour l’instant j’y arrive. J’ai cette chance de pouvoir multiplier les petits projets même si mon planning est un vrai Tetris. Qu’est-ce que tu conseillerais à un jeune musicien ? Rien. Je dirais juste : « when business is down, practice your instrument » [quand tu n’as pas de boulot, travaille ton instrument] ! C’est Joachim Kühn qui dit ça. Propos recueillis par Philippe Schweyer et Pierre Walch Photo : Vincent Arbelet (Novo 47)


Nuit électro live à Val Expo

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Computer Love Pour la première fois, le festival C’est dans la vallée consacre une nuit grand format aux musiques électroniques et ce, dans le nouvel espace Val Expo. L’occasion de créer des situations nouvelles…

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Une nuit électro, la première fois ? Vraiment ? À bien y réfléchir, en 2004, Laurent Garnier avait déjà secoué la vallée : « Il avait mixé toute une nuit dans une usine, à côté de Val Expo [Usine Edler & Lepavec, ndlr], se souvient Rodolphe Burger. C’était mémorable. Tout le monde a dansé jusqu’au petit matin, même les membres du service de sécurité. » Certes, cette année c’est une programmation toute entière qui se déroule à Val Expo, mais l’intention est claire : dévier les musiques électroniques de leur sens premier pour laisser advenir des situations qui invitent les artistes à se saisir de la scène comme ils l’entendent, pour décloisonner, pour inventer de nouvelles formes de représentation. « Parce que “musiques électroniques”, ça veut dire quoi ? Utiliser des machines ? Alors on peut aussi y faire entrer les musiques acoustiques. » Rodolphe Burger s’est entouré de ses amis de l’association WART – qui programme le festival Panoramas à Morlaix et accompagne une tripotée d’artistes déjà vus sur les scènes du festival C’est dans la vallée (Winter Family, Salut c’est Cool ou Jeanne Addeb, pour ne citer qu’eux) – et de l’équipe Ososphère pour habiller la soirée. Le but ? « Faire croiser musique d’avant-garde et formats pop ou rock, un peu comme a pu le faire Kraftwerk qui a incroyablement marqué ma génération et particulièrement l’Est de la France. » Vaste programme, commenté par Rodolphe Burger.

Sourdure

Grimaçe et Prima Sur Internet, le mystère règne autour de la galaxie Harmeny Records : 13 noms sont affichés au catalogue dans lequel on retrouve Grimaçe et Prima. Né dans l’effusion de l’école d’art de Nantes, le collectif poursuit sa route du côté de l’Est et puise dans l’énergie underground (mot certes galvaudé, on n’a pas trouvé mieux). En vrac : riffs technoïdes, voix lointaines et dissonantes, basses fréquences et clips expérimentaux. Le mot de Rodolphe Burger : « Ils ont à peine plus de 20 ans et arrivent à créer quelque chose d’assez foisonnant à michemin entre la performance et le concert. J’ai eu envie de leur laisser carte blanche, et je pense que je serai moi-même très surpris. Ce ne sera pas un format classique. »

Grimaçe

Sourdure Une chose est sûre : Ernest Bergez est à l’aise hors cadre. Ayant conscience que le renouvèlement du genre est chose (probablement) impossible, il s’applique à transformer les sons qui le transportent, en l’occurrence le répertoire traditionnel auvergnat (L’Espròva). La musicalité de la langue (qu’il a apprise) articulée aux oscillations électro-acoustiques, notamment d’un violon, et le rythme naturellement donné par ce folklore créent un mélange étonnant. En live, il favorise l’imprévu et construit avec l’énergie circulant entre le public et la scène. Le mot de Rodolphe Burger : « J’aime Murailles Music, cette petite écurie d’artistes. En discutant avec eux, on a pensé à Sourdure parce qu’il va forcément se passer des choses… » Heimat OlivierDemeaux(Cheveu)etl’incroyable Armelle O. (The Dreams, Badaboum) bien connue des Strasbourgeois, galopent sur des associations lancinantes : samples de musiques du monde, textes en allemand et percussions électroniques. Leur seul et unique album éponyme a été produit en quelques jours à peine sur une seule envie : faire des choses nouvelles. Le mot de Rodolphe Burger : « J’ai découvert Heimat lors d’une release party de leur label, Teenage Menopause : suite au spectacle Grande, Tsirihaka Harrivel et Vimala Pons


Nuit électro live à Val Expo

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Heimat

Acid Arab

Acid Arab Tout commence à Djerba, où, lors d’un festival, Guido Minisky et Hervé Carvalho participent à un ping-pong musical mêlant acid, house et musiques arabes, un morceau de Rabih Beaini plus tard pour l’impulsion et Acid Arab était né. Après un premier disque passionnant, Musique de France, ils font évoluer le format et sont rejoints par Pierrot Casanova, Nicolas Borne et Kenzi Bourras (ex-claviériste de Rachid Taha). À C’est dans la vallée, ils seront sur scène sous leur forme duo. Le mot de Rodolphe Burger : « Ça me fait très plaisir qu’ils viennent, d’autant qu’il y a ce lien avec Kenzi Bourras qui joue également dans le Couscous Clan [groupe fondé par Rodolphe Burger et Rachid Taha qui perdure sous une forme hommage, ndlr]. Ce détail en dit long sur ce festival qui se construit autant sur les affinités musicales que personnelles. »

Arnaud Rebotini Déjà passé par C’est dans la vallée, on connaît Rebotini pour Black Strobe, son groupe autant que son label, et pour ses bandes-originales de film sacrément bien ficelées – 120 battements par minute notamment qui a remporté le César de la meilleure musique originale. Sur l’échelle de la musique électronique française, Arnaud Rebotini serait plutôt à placer sur son versant sombre : envolées convulsives et rythmes tumultueux. Le mot de Rodolphe Burger : « Je le connais depuis très longtemps, il a remixé un de mes morceaux paru sur Meteor Show et a travaillé avec Philippe Poirier. L’année dernière on a enregistré un morceau ensemble au studio 107 de la Maison de la Radio, Fx of Love. Il est considéré comme un artiste des musiques électroniques mais je pense que sa discothèque contient 90% de blues et de rock. C’est une évidence qu’il vienne clôturer cette nuit électro. » Cécile Becker

Rebeka Warrior

ont sorti un album [Victoire Chose, sorte de bande-son de leur spectacle mais pas tout à fait, ndlr] avec l’aide d’Olivier Demeaux. Toute cette scène à l’avant-garde est pour moi importante. » Rebeka Warrior Doit-on encore présenter Julia Lanoë ? Sexy Sushi ? Mansfield TYA (qui a d’ailleurs joué lors de la précédente édition de C’est dans la vallée) ? Ça vous dit quelque chose ? Bingo. En plus d’un nouveau projet avec Vitalic (Kompromat), Rebeka Warrior joue seule et même, jusqu’à Ibiza. À part ça, elle aime « les chats et la musique » (sa bio sur le site de Wart est éclairante). Le mot de Rodolphe Burger : « Rebeka, je l’adore. Je l’ai croisée au festival Panoramas où j’ai toujours plaisir à aller pour découvrir de nouvelles choses. »

Arnaud Rebotini


Bertrand Belin

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Une histoire de paysages

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« Mes chansons sont souvent un petit théâtre de silhouettes, où il y a une, voire deux personnes dont on ne connaît ni le nom, ni le sexe. »

Passer par Quiberon, c’est comprendre – du moins en partie – que l’écriture de Bertrand Belin a son port d’attache. 21h04, isthme de Penthièvre. La route déchire les eaux : à gauche la baie de Quiberon et une lune grande, ronde et rousse, à droite, le reste. Le soleil n’est plus. Reste de lui quelques traces, là, au bout de l’horizon : le bleu du ciel qui s’éteint surplombe un camaïeu de couleurs de feu couché sur l’océan. Ce n’est plus un ciel, c’est un tableau. C’est alors que je me souviens. Première interview de Bertrand Belin, Cap Waller vient de sortir : « Quand on raconte une histoire, on est dans un mouvement qui va d’un point à un autre, on a un sentiment de déplacement, proche du cinéma. Alors que beaucoup de chanteurs comparent leurs chansons à des courts-métrages ou à des scènes de cinéma, moi ce serait plutôt à des tableaux ou à des photographies : l’image se fige. » Le temps vient se suspendre. Comme à cet instant-là, 21h04, à cet endroitlà, isthme de Penthièvre. Juste avant la nuit, juste avant Quiberon où Bertrand Belin a grandi, je crois saisir quelque chose : une

autre compréhension de sa musique. Elle est ancrée dans ce territoire-là. Ici, quoique vous fassiez vous vous laissez surprendre par la lumière, par les couleurs de la côte sauvage qui viennent vous sauter à la figure par leur franchise, par l’océan qui vous ceint et qui contient tout, même vous, par la nuit profonde et intense – vous savez cette Hypernuit ? C’est étrange ça : de se dire qu’on est au bout, qu’après ça c’est autre chose, que si on est ici, c’est qu’on l’a choisi. Parce que les paysages qu’on traverse, ce n’est pas la même histoire. On les traverse, on les a passés, voilà. Ici, on est forcé à s’arrêter, forcé à observer, forcé à sonder en-dedans de soi. Tout tourne autour de l’image arrêtée parce qu’elle est là devant vous et que vous n’avez d’autre choix que de la regarder. Ne pas détourner le regard, ça fait forcément quelque chose à l’écriture et à la musique. On voit les choses dans toute leur crudité. Ses textes, ils sont toujours comme ça : ils vont voir, ils vont tourner autour d’une situation et la décrire avec précision, que les gens aient le cul parterre (Grand duc, Persona) posé sur un carton ou qu’un type soit

prêt à plonger, les bras en croix (Plonge, Parcs). Rien ne ment jamais. L’écriture de Belin est osseuse : directe et nette, elle n’y va pas par quatre chemins, tout en vous laissant toujours de la place pour vous construire votre propre récit, votre propre image. « Mes chansons sont souvent un petit théâtre de silhouettes, où il y a une, voire deux personnes dont on ne connaît ni le nom, ni le sexe. C’est le contraire d’un portrait balzacien où on nous apprend à voir le double menton qui pend, les tempes creusées. Je ne suis pas appelé vers ça. […] Je trouve que c’est assez proche de la photographie ou de la peinture pour ce que ces deux disciplines partagent : l’image arrêtée qui produit un mouvement dans l’interprétation d’un observateur et pas dans le défilement d’une bobine. » Peut-être justement parce que d’où il vient, le regard se tend, peut-être parce que là-bas, tout au bout, c’est le paysage qui vous façonne et non l’inverse. La matière était là, il ne manquait plus qu’une guitare et un son tout aussi saillant pour habiller le texte. Par Cécile Becker Photo Christophe Urbain


Fantazio

La foire et l’éléphant

« “Oui, tu as une chair tout autour de tes os, et cette chair t’enferme mais te protège. Tu ne débordes pas sans arrêt dans le monde, et le monde ne déborde pas en permanence en toi, tu peux te reposer, tu as le droit.” Cette phrase vint à nouveau à l’esprit du fils de l’homme éléphant. Grâce à elle, il put commencer à réunir ses pensées, ses actes, armé d’un squelette, il n’était plus qu’une tache d’huile ou du gaz évaporé, et en tant qu’être humain, il avait le droit de prendre son cas pour un général alité. » Garde à vous ! Rompez. Rompez les codes, les barrières et tout le toutim de vos préconçus. Aller voir Fantazio en scène, dans la rue ou l’entendre, seulement, demande ceci. Rompre

avec le connu, avec ses propres habitudes. Et pour Histoire Intime d’Elephant Man, le contrebassiste, scateur, chanteur de trottoir vous pousse encore plus loin dans ce préalable. Il faut sortir de son propre cadre pour laisser déborder en soi, l’intimité dévoilée au cours de ce seul en scène. Qui est donc celui qui prend prétexte du héros de foire, forgé sur celluloïd par David Lynch, pour se donner à voir ? « D’une part, un monstre, certainement, une machine qui déborde, se répand et fuit », répond Fantazio dans une interview donnée à Pierre Notte. « Je suis simplement une personne qui a été formée à inviter des accidents à s’installer dans le corps... Mais oui ! Un prophète, évidemment ! » Mais alors, sans tambourin, sans oiseau de mauvaise augure sur l’épaule, le prophète. Seul en scène, avec costume crème et moustache fine. Le genre de prophète peu inquiétant, celui qui tisse en vous sa toile sans que vous le remarquiez. « Je suis comme le couturier, je passe l’aiguille par dessus, tout le monde la voit, puis par en dessous : on ne la voit plus. Je tente de mettre en place une petite cérémonie d’où je ressors transformé, ou bien à nouveau complet, comprenant à nouveau ce que je fais là. »

C’est joli et très fort cette idée millénaire de se mettre face aux autres pour en savoir un peu plus sur soi, de se montrer à cru pour aller faire jaillir chez chacun une part d’universel. Fantazio, qu’il commence un concert en fendant la foule armé de sa contrebasse, qu’il éructe un Français bousculé par sa fougue argentine native, n’a peut-être jamais rien d’autre. Et ça marche. Aucune raison de changer l’objet, modulons plutôt la méthode. Et parfois, cette modulation vient par une marche forcée, comme en décembre dernier, où Fantazio a vu le Théâtre du Rond Point fermer ses portes face au peuple, jaune de colère. Et alors, l’artiste, en fougue et en lucidité n’y a vu qu’un signe parmi d’autres : « Oui c’est le danger qui fait théâtre, mais quand des événements sociaux extérieurs surgissent, le théâtre ferme ses portes, ou les ouvre de manière très maîtrisée. Quand le théâtre est trop sacralisé, les comédiens et tout le reste, bien sûr qu’il étouffe ce qui l’a fait naître. » Peut-être faut-il alors laisser voir, comme dans cette Histoire Intime d’Elephant Man, que la foire, a souvent lieu à l’intérieur de soi. Et y laisser entrer le monde entier. Guillaume Malvoisin

Olivier Cadiot

Autour de la mémoire de C’est dans la vallée, Novo a interrogé l’auteur et compagnon de route artistique de Rodolphe Burger, Olivier Cadiot.

C’est – aussi – dans la mémoire En 1964, le fondateur du festival d’Avignon Jean Vilar signait un texte intitulé « Où vont les festivals ? » Réfléchissant à l’évolution d’Avignon, et plus largement au développement de ces manifestations, le metteur en scène s’interrogeait sur leur rôle : « Est-ce que les festivals n’ont d’autre ambition que de faire désormais partie de la panoplie du bonhomme moderne : frigidaire, télévision, 2 CV ? » Cinquante-cinq ans plus tard, la question n’a rien perdu de sa pertinence. Bien au contraire, l’omniprésence de la forme festivalière dans le champ de la culture, comme le développement de l’événementiel à tout crin, obligent, plus que jamais, à s’interroger sur la cohérence des projets, leur sens, leur histoire. Si cette dernière est toujours singulière – faite de réorientations, particularités, conflits, moments de déclins ou de renaissance –, gageons qu’elle est, aussi, constituée de celle que chaque spectateur va se raconter avec elle, à travers elle. Pour évoquer C’est dans la vallée, nous

avons sollicité l’auteur Olivier Cadiot, qui collabore régulièrement avec Rodolphe Burger et est un habitué du festival. C’est d’ailleurs de leur album commun On est pas des indiens c’est dommage (2000) que la manifestation tire son nom, la phrase ayant été prononcée par Monsieur Humbert, habitant welche de la vallée de la Petite Lièpvre – présent dans l’album. Cette double position d’invité ou de spectateur, Cadiot la signale d’emblée, soulignant que « toutes [ses] sensations sont imbriquées ». Une concentration qui rend difficile à caractériser « le chemin pour aller au festival : est-ce que je me rends à une fête, est-ce que je vais voir Rodolphe, est-ce que j’y retourne pour cette région et ce lieu dans lequel je me sens investi amicalement et artistiquement, estce que je vais voir des artistes que j’aime, et découvrir d’autres que je ne connais pas ? » Parmi la multiplicité d’émotions et d’images, Cadiot en relève quelquesunes. Outre « Moriarty [en 2013, ndlr] sortant de l’église et continuant le concert dans une procession, comme les sept nains disparaissant dans la forêt », l’auteur cite la venue du chanteur et compositeur américain David Thomas, en 2006. « David Thomas avait quelque chose de très ancien – qui pouvait faire songer à Allen Ginsberg –, il dépassait les catégories. Je ne savais plus si c’était de la poésie sonore, du Shakespeare ou de la musique punk. Et à la fin de son concert, Izïa Higelin – qui avait seize ou dix-sept ans – a chanté. Cette jeune femme qui chantait pour l’une des premières

fois en public avait déjà cette puissance, cette voix déchirante. » Aux côtés de « ces moments très raffinés », Cadiot évoque des concerts plus imposants, ou « un jardin avec d’énormes bassines de saucisses ». « C’est dans la vallée a cette vertu : la plasticité. La programmation amène le spectateur à passer avec fluidité d’un objet musical délicat à un concert massif ; ou des saucisses dans la forêt, aux petites bougies illuminant l’église. » Cet art de la concentration et du mixage – d’artistes, de projets et de lieux – infuse l’atmosphère. « Les spectateurs savent qu’ils vont assister à un truc bizarre, un parcours géographique et musical fort. » Mais cette manière de faire renvoie, aussi, à la façon dont « Rodolphe lui-même travaille. Il avance sous contraintes et sur chocs, et le festival est inspiré par cette façon de fabriquer – au sens artisanal du terme – de la rencontre. Il met en lien des ingrédients en combinant reprises et découvertes, gens nouveaux et gens anciens. » Le résultat est une manifestation saute-frontières, conçue hors des circuits promotionnels, promesse d’inscription dans la mémoire des spectateurs d’images durables. Nettement plus pérennes et substantielles qu’un frigidaire, une télévision, une 2 CV … Caroline Châtelet

hors - sér ie n ovo N º 1 9

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