NOVO N°27

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La culture n'a pas de prix

Déc. 2013 —> Jan. 2014

Nº27


THÉÂTRE / FRANCE

LA MOUETTE D’APRÈS ANTON TCHEKHOV MISE EN SCÈNE YANN-JOËL COLLIN CIE LA NUIT SURPRISE PAR LE JOUR

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Photo © Christian Berthelot

MER 29 + JEU 30 + VEN 31 JANVIER / 20H30 MAILLON-WACKEN


ours Nº27 Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com 06 86 17 20 40 Secrétaire de rédaction : Claire Tourdot Direction artistique et graphisme : Starlight

Ont participé à ce numéro : REDACTEURS

sommaire Édito — 05

CARNET Le monde est un seul / 26, par Christophe Fourvel — 07 Pas d’amour sans cinéma / 17, par Catherine Bizern — 09 Bréviaire des circonstances / 7, par Vanessa Schmitz-Grucker— 11 Bagarre / 1, par Chloé Tercé/Atelier 25 — 98

Gabrielle Awad, Cécile Becker, Betty Biedermann, E.P Blondeau, Olivier Bombarda, Benjamin Bottemer, Caroline Châtelet, Stefano Chiodi, Sylvia Dubost, Nadja Dumouchel, Sylvain Freyburger, Anthony Gaborit, Anthony Ghilas, Justine Goepfert Xavier Hug, Virginie Joalland, Claire Kueny, Nicolas Léger, Stéphanie Linsingh, Guillaume Malvoisin, Stéphanie Munier, Adeline Pasteur, Mickaël Roy, Vanessa Schmitz-Grucker, Christophe Sedierta, Valentine Schroeter, Jolan Thouvenot, Claire Tourdot, Fabien Velasquez.

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PHOTOGRAPHES

Le beau boucan d’Arto Lindsay à Altkirch — 34 La « géopoétique » de Kenneth White — 35 Ibrahim Maalouf invente son propre langage — 36

Éric Antoine, Vincent Arbelet, Janine Bächle, Pascal Bastien, Oriane Blandel, Aglaé Bory, Marc Cellier, Ludmilla Cerveny, Pierre Chinellato, Oliver Clément, Caroline Cutaia, Léa Fabing, Marianne Maric, Renaud Monfourny, Elisa Murcia-Artengo, Arno Paul, Yves Petit, Bernard Plossu, Marie Quéau, Olivier Roller, Dorian Rollin, Camille Roux, Christophe Urbain, Nicolas Waltefaugle, Sophie Yerly.

CONTRIBUTEURS Bearboz, Catherine Bizern, Baptiste Cogitore, Christophe Fourvel, Vanessa Schmitz-Grucker, Chloé Tercé, Sandrine Wymann..

COUVERTURE Photo : Ayline Olukman www.aylineolukman.fr IMPRIMEUR Estimprim – PubliVal Conseils Dépôt légal : novembre 2013 ISSN : 1969-9514 – © Novo 2013 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés.

Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 25000 € Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane bchibane@chicmedias.com — 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire

médiapop 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 € Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer ps@mediapop.fr — 06 22 44 68 67 www.mediapop.fr

ABONNEMENT — www.novomag.fr Novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 6 numéros — 40 euros / 12 numéros — 70 euros

La sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer — 13 Une balade d’art contemporain par Bearboz et Sandrine Wymann : Sélest’art, exposition de Claudia Comte & Omar Ba au Centre PasquArt à Bienne — 32

RENCONTRES DOSSIER ENTREVUES Jacques Doillon revient sur des traits marquants de son cinéma — 38 Nicola Sornaga parle de la nécessité de poésie avec son film Monsieur Morimoto — 44 Bernadette Lafont, fiancée de la Nouvelle Vague, vue avec André S. Labarthe — 46

MAGAZINE Là où le soleil ne se lève jamais on trouve La Grâce de Matthias Glasner — 49 Le cinéma d’Ulrich Seidi s’attaque aux tabous — 50 Le sacrifice de Pier Paolo Pasolini — 52 Le corps, exposé à l’occasion d’Exhibit B. au Maillon et analysé par David Le Breton — 56 Liquidation au TNS avec Julie Brochen — 62 Rencontre avec la nouvelle directrice du CDN Besançon : Célie Pauthe — 64 Mémoire et rapport au présent aux Vagamondes à la Filature — 66 Joël Jouanneau met en scène Gould, Bernhard et Wertheimer avec son Naufragé — 67 Sous les pieds des femmes, le paradis à Pôle Sud — 68 Le journal de bord de Pascal Bastien vous fait fondre Comme Neige au Soleil — 69 Berlin réunifié sous le regard de Bernard Plossu et exposé au CCAM de Vandœuvre — 70 Le Musée des Beaux-Arts de Besançon et le musée d’art moderne de Freiburg exposent Pierre Bonnard — 74 Hans Richter et le cinéma au Centre Pompidou-Metz — 76 Sasha Waltz expose les relations entre corps et espaces au ZKM — 78 Les Meta-Matics de Tinguely au Musée du même nom — 80 Les Fondations Calder et Beyeler consacrent un nouvel espace à Alexander Calder — 81 Ode à la lumière artificielle par Triptic — 82 L’altérité et les contradictions au 19 — 84 Martine Sadion du Musée de l’Image nous révèle les secrets de l’Image d’Epinal — 85 Les archives de l’Italienne d’Elisabetta Benassi au CRAC Alsace — 86 Guillaume Chauvin et Delphine Gatinois joue avec les frontières du réel au CEAAC — 87 Deux coups de cœur dans la programmation GéNéRiQ : Jackson Scott et Fauve — 88 La mort devient absurde sous le crayon de Vincent Vanoli — 90

Selecta Disques — 93

Livres — 95

DVD — 97

ABONNEMENT hors France 6 numéros — 50 euros / 12 numéros — 90 euros DIFFUSION Vous souhaitez diffuser Novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros — 25 euros 1 carton de 50 numéros — 40 euros 3


ENTREVUES BELFORT 28e FESTIVAL DU FILM 30 NOV. — 8 DÉC. 2013 WWW.FESTIVAL-ENTREVUES.COM

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édito Par Philippe Schweyer

C’est le premier soir du festival C’est dans la Vallée. Il est minuit passé et on se retrouve chez Mehdi, dans un petit bar de SainteMarie-aux-Mines. Alors que l’endroit se remplit d’une foule joyeuse, la famille de Mehdi s’active derrière le comptoir pour servir des bières à tour de bras. Habitués, festivaliers et artistes se mélangent, se frottent et se pressent les uns contre les autres, les uns avec les autres. On est entassés comme dans une boîte de sardines, mais l’ambiance est si bon enfant que même les plus claustrophobes font le pari de rester. On attend plus que les musiciens du “Couscous Clan” pour que la fête commence vraiment. Quand Rachid Taha, chapeau vissé sur la tête, se pointe enfin, la température monte encore d’un cran. Dans son dos, Arnaud Dieterlen s’installe tant bien que mal avec de quoi jouer un peu de batterie. Rodolphe Burger est là aussi et on se demande comment il a fait pour fendre la foule jusqu’à sa guitare. Les yeux brillants, il savoure l’instant en parcourant l’assistance du regard. Heureusement, les fenêtres sont grandes ouvertes pour que tous ceux qui n’ont pas pu entrer puissent tout de même assister au spectacle, massés à l’extérieur. En fait, c’est davantage un moment de communion qu’un spectacle dont il s’agit. Rachid Taha se chauffe la voix en hurlant « On en a marre des fascistes ! ». On aimerait croire que tout le monde est d’accord avec lui. On aimerait croire que tout le monde rêve de vivre dans un pays plus accueillant, que tout le monde en a marre des vieilles rengaines déprimantes sur les Roms, l’immigration et la sécurité. Marre du racisme ordinaire. Marre que les plus faibles soient tenus pour responsables de tous les malheurs du monde.

Quand Rachid Taha se met enfin à chanter, le brouhaha fait place aux violons et à la transe : Ya rayah win msafar trouh taaya wa twali / Chhal nadmou laabad el ghaflin qablak ou qabli / Ya rayah win msafar trouh taaya wa twali / Chhal nadmou laabad el ghaflin qablak ou qabli… Capitaine d’un navire qui chavire de bonheur, Mehdi n’en finit pas de sourire. Accueillir Rachid Taha dans son rade, c’est Byzance dans la vallée. La fiesta se poursuit avec une reprise chaotique de Rock the Casbah, un morceau des Clash dont Rachid Taha revendique, non sans arguments, la paternité. Qu’importe, ce soir on a envie de hurler oui à la libre circulation de la musique, de la pensée, des idées et des hommes. Comme Mehdi, on sait déjà qu’on n’oubliera pas cette soirée. Maintenant, c’est au tour d’Izia de se frayer un passage jusqu’au micro. Jeune beauté sauvage, elle hurle de toutes ses forces en escaladant le comptoir. La sœur de Mehdi la regarde amusée, veillant à ce qu’elle ne chute pas. Olivier Cadiot, écrivain génial habitué du festival, a les yeux qui pétillent. Perchée sur le zinc, Izia, de plus en plus possédée, attrape au lasso tous les regards. C’est comme si Tina Turner et Janis Joplin s’étaient réincarnées pour mettre le feu à la vallée. Elle plante ses griffes dans le plafond en balançant des verres de bière à travers la salle. À la jeunesse déchaînée, tout est pardonné. On voudrait que ce soit la même fête aux quatre coins du pays, toute l’année. Mais dans quelques mois, à SainteMarie-aux-Mines comme dans toutes les communes de France, il y aura des élections. Ceux qui étaient chez Mehdi se souviendront de ce moment magique de communion, les uns avec les autres, les uns contre les autres. On ne peut imaginer le contraire. Mais tous les autres ? Ceux qui n’ont jamais eu la chance de vivre une soirée comme celle-là. Saurontils résister aux sirènes fascistes ? Rien n’est moins sûr, mais tout est encore possible. On croise les doigts.



Le monde est un seul

Christophe Fourvel

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Cynthia Ozick et John Williams Pour paraphraser une scène célèbre du film Le Bon, la brute et le truand, il existe deux sortes d’écrivains ; ceux qui brandissent un revolver en nous faisant le coup du hold-up et ceux qui creusent. Intéressons-nous à ces derniers : ceux qui creusent, et aujourd’hui, à deux livres écrits par deux immenses écrivains américains, Cynthia Ozick et John Williams.
 Le premier, écrit par Cynthia Ozick, s’intitule Un monde vacillant. Il raconte l’histoire d’une famille juive allemande exilée aux États-Unis dans les années 30. Lui est un homme de livres. Elle, est presque folle ou tout du moins se réfugiet-elle parfois dans la folie. Ils ont quatre enfants qu’ils ne scolarisent pas et s’adjoignent, sans pouvoir la payer, une employée de maison pour des tâches aux contours incertains ; elle sera par intermittence, secrétaire, garde-malade, dame de compagnie. La maison des Mittwisser (c’est le nom de cette famille chassée d’Allemagne) est un vaisseau dans lequel Rosie (cette employée qui n’est pas payée) a pris place. Elle est là parce que son père fut son père : menteur, volage, joueur ; parce que son cousin Bertram est tombé amoureux d’une pasionaria. Parfois, les êtres demeurent où leur histoire personnelle a choisi de les poser et cette inertie est plus forte que le manque d’argent… Cet argent qui se fait attendre mais qui arrivera bien, comme prévu, grâce au secours d’un homme riche, prodigue par haine de soi et d’une fortune héritée. Qui nuira sans désir de nuire ; et soulagera sans plaisir de soulager. Le livre décrit la promiscuité de ces âmes blessées ; il est un récit veiné de fractures profondes, isolant la mélancolie des personnages en des îlots lentement mobiles, qui vont vers des connivences ou des solitudes plus grandes. Parmi ces fractures, certaines résonnent avec une force historique inouïe. Ainsi, cet abandon imposé par le père de

la langue allemande et à laquelle, seule la mère ne parvient pas à adhérer au point de se trouver condamnée à une vie satellitaire, à distance de sa propre famille. Ainsi encore, ce costume de solitude, taillé à même la peau de Mitwisser, cet universitaire spécialiste d’une pensée juive hétérodoxe dont plus personne ne se souvient : « Chez lui, avant de le flanquer dehors, on l’avait estimé parce que nul ne savait ce qu’il savait. Et ici – désormais – il était méprisé pour la même raison : nul ne savait ce qu’il savait ». Voilà figuré, en une phrase, le contour le plus convaincant de la solitude de l’exilé. Voilà exprimée en une fulgurance toute l’ambition de Cynthia Ozick, née dans le Bronx en 1928 et auteur, entre autres, de livres aussi remarquables que Le Messie de Stockholm ou Les Papiers de Puttermesser. John Williams est né six ans avant, de l’autre côté des États-Unis, dans le Texas. Son roman, Stoner, couvre une période plus large du XXe siècle avec une ambition apparemment plus humble mais tout aussi exigeante. Il raconte la vie intègre d’un enseignant d’université, dans une petite ville de province. Stoner y est d’abord venu pour apprendre des rudiments d’agriculture, comme un complément à un savoir-faire enseigné par son père et qui devait l’aider à reprendre l’exploitation familiale. Mais il trouvera dans la confiance d’un de ses enseignants, le courage de poursuivre ses études jusqu’à un doctorat de lettres. Il épousera une jeune fille de bonne famille et bien qu’ils ne parviendront jamais à se construire réellement une vie à deux (les pages narrant leurs premières nuits sont bouleversantes) ils ne se quitteront jamais. Ils auront ensemble une fille. Il aura une maîtresse. Puis la retraite viendra. Et la fin. Ce roman de quatre cents pages relate une vie sans éclat autre que l’exigence personnelle, sans tragédie si ce n’est intime, sans révolte qui ne soit dictée par le sens moral. Il raconte, en filigrane, un siècle d’histoire américaine et parle magnifiquement, à travers un homme, de tous ceux dont les origines modestes habillent à jamais la destinée. Et sa lecture nous tient en haleine plus qu’un roman à suspense. La magie de la littérature est une chose dont on parle parfois. Qu’est-ce que la magie de la littérature ? John Williams, qui a traversé trois-quarts d’un siècle sur la pointe des pieds, assurément, le savait.

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rainy days 2013 28.11.–01.12.2013 Festival de musique nouvelle Philharmonie Luxembourg www.rainydays.lu 28.11.2013 20:00 «Forever» Studio Lucilin (20a, rue de Strasbourg, L-2560 Luxembourg) 15 € (< 27: 9 €)

29.11.2013 11:00–19:00 «Time out» Cercle Cité Luxembourg, Ratskeller (Place d’Armes / rue du Curé, L-2012 Luxembourg) Entrée libre 18:00 & 23:00 «À la recherche du temps perdu» Philharmonie, Grand Foyer 18:00–23:00 Installationen Entrée libre 20:00 «The never-ending story» Philharmonie, Salle de Musique de Chambre 21:30 «Love songs» Philharmonie, Salle de Musique de Chambre 15 € (< 27: 9 €) forfait journalier

Passe-partout rainy days: 65 € (<27 ans: 39 €)

30.11.2013 16:00–24:00 «Verweile doch, du bist so schön» Abbaye de Neumünster & Église Saint-Jean (Stadtgrund) (28, rue Münster, L-2160 Luxembourg) 20 € (< 27: 12 €) forfait journalier

01.12.2013 11:00–23:00 Installations 12:00–18:30 «The Arditti String Quartet Marathon» Philharmonie, Salle de Musique de Chambre 45 € (<27: 27 €) Menu Slow Food avec des produits régionaux inclus. Inscription au plus tard le 22.11.2013 20:00 «Best Of Slow» Philharmonie, Grand Auditorium 10 / 15 / 25 € (<27: 6 / 9 / 15 €)


Pas d'amour sans cinéma

Catherine Bizern

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Les filles aussi font comme elles peuvent « Comment être aimable tout en restant soimême ? » demandait Louise Bourgeois dans le film documentaire L’araignée, la maitresse et la mandarine de Marion Cajori et Amei Wallach. C’était une interrogation, c’était aussi une façon de rendre hommage à une attitude qui ne rend pas la vie facile à certaines d’entre nous : rester soi-même. Rester soi-même sans le filet de la stratégie ou de la convenance. Rester soi-même et exprimer ses idées fermement, ses sentiments sans détour, dire ce que l’on aime, ce que l’on n’aime pas, affirmer ce que l’on veut et ce que l’on ne veut pas, au plus près de notre vérité, sans craindre les dégâts. Cela provoque quelques excès. Nous sommes alors autoritaires, chiantes. Invivables ? « Comment rester soi-même tout en étant aimable », cette formulation nous inviterait à plus de mesure… mais hélas ce n’est pas celle que nous avons retenue… Nous, moi, mes amies, et quelques (trop rares) héroïnes de cinéma. Par exemple, Elise dans Le Sens de l’humour, le film de Marilyne Canto*, qui traverse d’un pas volontaire et décidé quelques mois de sa vie, entre la mort de son mari et une nouvelle grossesse. Elise est revêche, en colère, et court d’un rendez-vous à l’autre dans les couloirs du Louvre ou dans les rues de Paris, la mâchoire bien serrée comme si cela la tenait debout. Elle ne veut pas. Elle défie à chaque instant Paul, son nouvel amoureux et délicieux amant, de l’aimer telle qu’elle est à ce moment-là : pas disponible, pas amoureuse, odieuse. Elle n’invoque aucune raison, pas le temps de s’épancher, pas la place pour la psychologie (elle a déjà tellement à faire entre son boulot et son fils qu’elle est toujours en retard sinon absente… et la mâchoire bien serrée). Mais sans doute y a-t-il quelque chose comme de la culpabilité, laquelle lui permet de vivre cette nouvelle histoire, ébauchée quelques temps auparavant. Lorsqu’elle dérape totalement, elle ne s’en rend même pas compte. « Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai dit de spécial ? ». C’est un dimanche de brocante, où elle a acheté hors de prix un fauteuil en lambeaux, testant les limites de son compagnon, lui-même brocanteur, à se laisser avoir, juste pour lui faire plaisir. Bien sûr que Paul résiste, que Paul vitupère. Elle peut alors lui envoyer à la figure d’un air calme et

dégouté qu’elle le déteste, que jamais « IL » (son mari) n’aurait parlé d’argent comme cela, que c’est atroce, qu’il est radin. Paul est amoureux, Paul est même « héroïque », Paul a le sens de l’humour. Mais cette fois, il la plante là – dans ce village de la campagne picarde –, lui renvoie ses excuses d’un revers de main et tourne les talons. « Qu’estce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai dit de spécial ? » Il n’y a sans doute aucune limite lorsqu’on a choisi d’être odieuse pour mieux se protéger, pour parer à ses propres angoisses comme au plus pressé et rester malgré tout debout sans fléchir. Aucune autre limite que d’entendre l’autre dire stop et le voir partir. Non, les filles ne sont pas forcément maternantes, gentilles, généreuses, jouant à merveille de leurs émotions ou alors pauvres victimes de leurs grands sentiments. Elles peuvent aussi être cash, directes, égoïstes, cassantes, de mauvaise foi ne sachant que faire du débordement de leurs émois, ne sachant que faire de leur attachement amoureux… Une relation s’esquisse et c’est un danger qui leur fait dépasser les bornes, sans se soucier, sur le moment, des conséquences de leurs actes. Entre liberté et violence, pulsions destructrices et pulsions de vie, en lutte avec ellesmêmes, sans autre stratégie que celle de la lutte avec l’autre. Ces filles font, comme les hommes, elles font comme elles peuvent. Ces filles aiment, ou du moins essaient, elles sont aimées aussi ou du moins il y a des hommes qui tentent de les aimer… c’est qu’elles ont un sens de l’humour et une dose d’autodérision qui les sauvent d’ellesmêmes et les rendent malgré tout extrêmement aimables… envers ceux qui n’ont pas peur. * Le Sens de l’humour premier long métrage de Marilyne Canto, découvert au festival de Locarno 2013. En salle au printemps prochain.

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23e festival international jeune public

Kingersheim du 30 janvier au 10 février 2014

Illustration : Sabine Allard / alphabet Momix : Daniel Depoutot

www.momix.org

ouverture de la billetterie le 2 décembre 2013

CRÉA, scène conventionnée jeune public


Bréviaire des circonstances

Vanessa Schmitz-Grucker

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Le Marégraphe (1) On n’a rien dit de plus que « ce week-end ». Oui, ce week-end là. On était d’accord. Et on a pris la route. Une route que l’on a souvent prise, qu’on a insensiblement traversée comme un long couloir mort-né, qu’on emprunte comme on emprunte un bus, un métro, un radeau ou même un avion. Une route des vacances, une route à laquelle on n’envie rien et qui n’a d’autres intérêts que sa destination finale. Une autoroute lisse et surchauffée sur laquelle on se convainc d’être toujours en sécurité. Une autoroute qui sait toujours mieux que vous ce que vous cherchez et où vous allez, un chemin de pélerinage sur lequel on évolue dans les clous, en rangs serrés. Rien ne presse. Gardons les mêmes habitudes pour ne pas mourir une seconde fois y compris quand toutes les raisons nous donnent tort. Devant nous, il n’y a personne. On voyage à contrecourant, le monde est resté là où il était, préoccupé par le prochain hiver, les prochaines tempêtes, les prochaines pluies, les prochains orages. Jamais le monde ne s’arrête pour nous. Le bruit de ses éoliennes, de ses péages, des vents contraires ne s’arrête pas pour nous accompagner. Il ne ferait même pas un bout de chemin avec nous. Il frappe avec insistance à la vitre. Quand je somnole, il y a toujours un mouvement dehors pour me rappeler à l’ordre, pour m’empêcher de me laisser aller, pour me remettre sur un chemin que je suis malgré moi. Il y a des phrases que je ne supporte plus, des mots que je ne veux plus entendre, des lieux communs réconfortants qui m’accablent. Mes mots aussi, je les cherche mais seules les images me viennent, dans l’ordre qui leur plaît, à l’esprit. Alors je ferme les yeux et je me tais. Je ne dis rien ou juste « Ok pour demain. À 8 heures ». C’est comme ça qu’on a pris la route. Nous étions les seules à pouvoir le faire. Nous nous sommes soudain retrouvées dépositaires d’un testament que nous n’avions pas écrit. Un testament qui nous rappelle que les fautes sont toujours collectives et les rédemptions sans fin.

Le convoi nous suit. Tout a l’air si normal. Il me semble qu’on pourrait parler de ce qu’on va manger ce soir, de l’heure à laquelle on se lève demain, du chemin qu’on fera après le déjeuner, sur la plage. Je pourrais te raconter une histoire ou te proposer un verre. Oui, un verre, c’est mieux que des histoires. Je regarde souvent l’heure. Depuis que tu n’es plus là, le temps s’écoule à l’horizontal. Je n’y comprends plus rien. À la radio, on nous parle des embouteillages sur la route, je n’y comprends plus rien non plus. Chaque cellule, chaque pore de ma chair fait route à part. À force de malentendus, mes cellules sont devenues solitaires. C’est peutêtre pour ça qu’il a fallu attendre une vie entière pour que nous fassions le voyage ensemble.

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THÉÂTRE + MUSIQUE + CINÉMA + ARCHITECTURE + GRAPHISME 6 conférences, 6 rendez-vous avec le monde des arts et ses professionnels à Strasbourg Entrée libre • Infos : 03 69 06 37 86

Image: Renati Des Cartes Principia philosophiae, Descartes René, apud L. Elvezirium (Amstelodami), P.165, 1644.

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Valse de nuit

R. Hawkins House Capriccio, 2009 © Salomé Joineau

Lueur sombre Le Consortium consacre la première exposition monographique à Richard Hawkins, un artiste américain porteur d’une singulière étrangeté qu’on situerait volontiers quelque part entre une fragile dissonance et la force d’un éclatement, un espace d’indécision, en somme, qui devient espace de liberté. Les œuvres présentées sont des œuvres récentes dont l’emblème serait Smut Palace, une pagode de bois et de cartons à l’abandon où le spectateur est invité à regarder les imbrications, les distorsions, les dislocations. Ces découpes sont l’héritage des cut-up de Brion Gysin dont les textes sont découpés et réassemblés de manière aléatoire, une philosophie prônée par toute la Beat generation dès les années 50 dont le célèbre Howl d’Allan Ginsberg qui mettait à l’honneur le monde homosexuel, la pornographie, l’obscénité, thèmes chers à Hawkins. Les liens se dissolvent dans ses collages, le fil se perd au profit de la contemplation d’univers empruntés tantôt à la Grèce antique tantôt au symbolisme d’un Gustave Moreau jusqu’aux maisons hantées, aux zombies et même au lamentable tourisme sexuel. Toutes ces questions s’entremêlent et restent en suspens : en référence à Salomé de Gustave Moreau, une tête lévite, trahie par une prostituée – et donc par son propre désir – mais accrochée à son irrépressible besoin de consommation représenté par la cigarette à ses lèvres. Entre fascination, sensualité et méandres obscurs, l’œuvre de l’artiste devient brillamment ésotérique. Par Vanessa Schmitz-Grucker

Hughie est le gardien de nuit d’un hôtel miteux du West Side. Chaque soir, il bavarde avec Érié, joueur et loser compulsif, qui trouve en ce compagnon d’interzone un miroir bienveillant devant lequel il peut s’épancher, se vanter, fabuler et gagner à tous les coups. Mais Hughie disparaît, et Érié se rend alors compte « qu’il devait l’aimer beaucoup ». À sa place, un nouveau, pas des plus bavards. Notre joueur ne se démonte pas, continue à soliloquer. L’impassibilité du gardien de nuit se fissure peu à peu, la relation entre les deux hommes va s’intensifier, prendre de l’épaisseur ; pour Érié il n’y a aucune raison que celui-ci ne devienne pas son nouveau faire-valoir, le réceptacle de confidences plus ou moins véridiques. Il s’agit juste de capter son intérêt... Jean-Yves Ruf, connu pour ses grandes réalisations au théâtre et à l’opéra, est tombé sous le charme de ce texte d’Eugène O’Neill aux effluves entêtantes de roman noir, des bas-fonds de la condition humaine empreints de solitude, de mensonge, de gouaille et de fragilité. Il met en scène deux silhouettes emblématiques de la nuit newyorkaise : le gardien de nuit campé par Jacques Tresse joue admirablement de la force théâtrale du quasi mutisme, tandis que Gilles Cohen est Érié Smith, porteparole de l’écriture d’O’Neill. Par Benjamin Bottemer — Photo : Julien Piffaut

HUGHIE, pièce de théâtre du 26 au 30 novembre au Théâtre Dijon Bourgogne. www.tdb-cdn.com

RICHARD HAWKINS – GLIMMER, exposition du 12 octobre au 26 janvier 2014 au Consortium à Dijon. www.leconsortium.fr

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La floraison du baroque

Photo-thérapie Capturer l’instant présent est le principe même de la photographie. Pourtant, Léa de Cos de Saint-Barthélemy tente par ses clichés de retrouver des bribes de son passé : « C’est comme si chaque regard cherchait à retrouver une situation déjà vécue, presque dans l’attente d’un souvenir qui se matérialiserait de nouveau sous mes yeux ». La jeune photographe, qui a abandonné ses études de psychologie pour se consacrer pleinement à sa passion, va plus loin que la création de simples images : à travers son travail, elle apprend à explorer sa propre histoire telle une psychanalyse artistique. « Plusieurs fois, des retours sur ma création photographique me renvoyaient à un lien à la guerre, l’exil. Ces retours ne m’avaient pas semblé pertinents, jusqu’à ce que ma grand-mère soit troublée par la découverte de mon travail ». Sa grand-mère a en effet reconnu dans le titre de la série Les incomplets, celui d’un des rares livres traitant de l’exil des Sudètes après la guerre, qu’elle a personnellement vécu dans son enfance. Léa a alors trouvé le fil conducteur de son travail, sa motivation première si profondément enfouie jusque là : « L’image comme outil de révélation à soi et aux autres ». L’artiste a choisi d’intituler son exposition Voir, entendre et se taire, qui n’est autre que la devise familiale : « En en faisant le titre de mon exposition, j’ai voulu asseoir les liens successifs entre ma création photographique et des problématiques transgénérationnelles ». Un travail admirable sur les non-dits et la connaissance de soi. Par Valentine Schroeter

VOIR, ENTENDRE ET SE TAIRE, exposition des photographies de Léa de Cos de Saint-Barthélemy, du 9 novembre au 1er décembre à la galerie des Arcades au Château de Sainte-Colombe-en-Auxois. www.chateau-saintecolombe-arcade.com

Les Arts Florissants, ensemble de chanteurs et d’instrumentistes dirigés par le claveciniste et chef d’orchestre William Christie, explorent depuis de nombreuses années les mélodies baroques. Il y a quelques années, les Arts Florissants interprétaient le sixième livre des madrigaux de Claudio Monteverdi pour la première fois. Cet événement marquera le commencement d’une belle histoire : en effet, la troupe de musiciens, en cohésion parfaite avec les madrigaux, projette alors l’exécution intégrale en plusieurs saisons. Pour la représentation au Granit, le collectif présentera ce même livre qui avait alors signé le point de départ de leur aventure monteverdienne. Les Arts Florissants, guidés d’une main de maître par William Christie, offrent une interprétation poignante du recueil. Notons tout de même que le sixième livre est l’un des plus mélancoliques de la pièce. On y trouve notamment le sublime lamento d’Arianna, œuvre lyrique écrite précedement et elle-même bercée du deuil de l’épouse du compositeur, tout comme Caterina, interprète principale d’Arianna et élève du musicien. Sans sombrer pour autant dans le désespoir, cette œuvre marquée par le deuil n’en est que plus profondément touchante. L’émotion est portée par le contraste entre des mesures a capella grandioses et des solos lumineux. Ce sixième livre, hymne aux muses de Claudio Monteverdi, nous ramène au temps de Lully et Shakespeare grâce au talent incontestable d’un des ensembles musicaux les plus réputés dans le monde. Par Valentine Schroeter

LES ARTS FLORISSANTS, concert le 10 janvier au Granit à Belfort. www.legranit.org

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YUKONSTYLE

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focus

Hector Hanoteau Les pies du bocage, 1884 Huile sur toile, 146 x 200 cm Ville de Decize – ©Ville de Decize/François Billon

Jules-Émile Zingg, Jeux de plage, 1918 Aquarelle – 33 x 41 cm Collection particulière – Photo : C.H Bernardot

Prendre le large

La plasticité de l’être En histoire de l’art, la vision qu’on a de la production picturale est malheureusement obsédée par l’impressionnisme, au point que des pans entiers échappent à notre compréhension. C’est le cas notamment des peintres paysagers qui ne souffriraient pas de la comparaison avec les œuvres d’un Manet ou d’un Cézanne. Or, on le sait très bien aujourd’hui, les uns ne sont pas possibles sans les autres ; Cézanne lui-même puise dans une tradition paysagère, dominante dans les salons ; il s’inscrit en elle, sans chercher à nier une filiation évidente. Son contemporain, le peintre paysagiste Hector Hanoteau (1823-1890) est certes méconnu du grand public, mais a pourtant construit une œuvre d’une grande cohérence, dont l’exposition au Musée Courbet livre quelques clés de lecture sur la base d’un corpus riche d’une quarantaine d’œuvres : des peintures, des aquarelles, mais aussi des sculptures et même des photographies. Loin d’être un suiveur, ce grand ami de Courbet interroge sa pratique picturale avec la même ferveur même s’il emprunte d’autres voies : d’un réalisme déconcertant dans certaines toiles, il s’accorde cependant des détours du côté de l’onirisme. On trouve quelque chose de touchant dans sa manière de s’attacher au motif : ce goût de bien faire dans la représentation qui lui permet de situer, au-delà du paysage, la plasticité – l’incarnation de l’être – de ce qui l’environne. En cela, cet artiste, qui fut renommé en son temps – il a participé à tous les salons de 1847 à 1889 –, initiateur d’une école du paysagisme réputée à Briet, révèle ni plus ni moins sa propre modernité, avec distance et retenue. Par Emmanuel Abela

HECTOR HANOTEAU, Un paysagiste ami de Courbet, exposition du 14 décembre au 21 avril 2014 au Musée Gustave Courbet à Ornans. www.doubs.fr

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Originaire de Montbéliard, Zingg a ouvert dans son œuvre une parenthèse japonisante méconnue du grand public. Entre 1914 et 1930, alors en exil, cet artiste plutôt habitué à sa montagne natale se retrouve face à l’immensité de la mer. Une soixantaine d’œuvres – parmi lesquelles des aquarelles, des fusains, des lavis et des huiles – forme une exposition en plusieurs actes, de la terre à la mer. Des travaux des champs aux horizons marins, il finit par croiser les fondateurs de l’école des Nabis, Paul Sérusier et Maurice Denis. Son œuvre se teinte alors d’Orient et de spiritualité jusqu’à prendre un virage japonisant. La touche de Zingg est là : une facture libre menée par des couleurs vives, un graphisme appuyé et une schématisation des formes héritées de Gauguin. Formé à l’École des Beaux-Arts de Paris, Zingg reviendra à une touche plus réaliste avec une vision de la ligne et de la couleur idéalisée dans un élan pourtant, encore, plus suggestif que descriptif. Jeux de plages est emblématique de ces questionnements esthétiques : la ligne est évasive, souple, flottante, aérienne, les formes esquissées, les couleurs appuyées mais disparates. Jules-Emile Zingg réussit donc une alliance aussi improbable que moderne, celui du Doubs, du Japon et de la Bretagne. Par Vanessa Schmitz-Grucker

JULES-EMILE ZINGG À PERROS-GUIREC, exposition du 18 octobre au 23 mars 2014 au Musée du Château des Ducs de Wurtemberg à Montbéliard. www.montbeliard.fr


Le temps

Hélèna Villovitch

d’une rencontre

La chair qui dit oui À observer de plus près les dernières mises en scène de Laurent Laffargue, nul ne peut nier que l’homme est attiré par la Femme. Paradise codes inconnus 1 monté au théâtre ainsi que Le Couronnement de Poppée et Carmen à l’opéra, explorent la question du désir féminin, dans ce qu’il a de plus vaste et intemporel. Impossible alors pour le metteur en scène de ne pas s’attaquer au mythique monologue de Molly Bloom – dont la réputation sulfureuse n’est plus à faire – retranscrit dans l’ultime épisode du roman fleuve Ulysse de James Joyce publié en 1922. Contenant en son sein les tréfonds d’une pensée féminine exprimée sans tabou, la parole ininterrompue de Molly est le contrepoint nocturne d’une pérégrination entreprise pour son mari Leopold Bloom au fil d’une sinueuse journée à valeur initiatique. Par un essoufflant monologue intérieur, l’écrivain irlandais cristallise en huit phrases longues de 5000 mots chacune les réflexions crues d’une femme aimée, aimante et amante. Céline Sallette (L’Apollonide, De rouille et d’os, Les Revenants,...) donne voix à cette pensée de l’intime imprégnée de fluides et de sentiments, évoluant dans une chambre tamisée tournant sur elle-même. Les retournements labyrinthiques du soliloque de Molly en quête d’absolu renversent les conventions tout comme la scénographie. Et derrière l’individualité de « la chair qui dit oui » se cache une femme, Gaïa, incarnation d’une totalité féconde et régénératrice.

Soutenue par le Centre National du Livre, la 12e édition du festival littéraire Les Petites Fugues est attendue pour les 175 rendez-vous qu’il fixe avec les écrivains et le public. Une quinzaine de rencontres par jour durant lesquels romanciers, comédiens et poètes invités suivront une “feuille de route” itinérante pour vagabonder dans la région Franche-Comté et la Suisse. La mise en relation des spectateurs avec les œuvres se réalisera sous différentes formes : de la lecture musicale aux débats collectifs tout en partageant des échanges chaleureux parmi les convives. Les temps forts des Petites Fugues réuniront l’ensemble des écrivains invités au Centre Dramatique National et à la Rodia de Besançon, à l’Abbaye de Baume-les-Messieurs du Jura, à Mignavillers et dans le village de Charcenne en Haute-Saône. De manière individuelle, les écrivains interviendront dans de nombreuses écoles, bibliothèques, librairies, associations et structures culturelles du territoire. La diversité des propositions de rencontres, dans des contextes si bien urbains que ruraux, les encourageront à nous dévoiler leur sensibilité artistique et les valeurs qu’ils véhiculent tant par la parole qu’à l’écrit. De fait, l’ensemble des lieux est choisi de manière à jouer avec l’espace scénique, en faisant varier cette proximité qu’entretiennent l’artiste et son auditoire… Tout en proposant une structure unique, La Bulle, scène culturelle gonflable, prouve que la littérature contemporaine peut rassembler les publics quel que soit l’espace. Par Jolan Thouvenot — Photo : Catherine Hélie/Gallimard

Par Claire Tourdot — Photo : Brigitte Enguerand

MOLLY BLOOM, d’après le chapitre 18 d’Ulysse de James Joyce, pièce de théâtre le 24 janvier 2014 à MA Scène Nationale à Montbéliard. www.1314.mascenenationale.com

LES PETITES FUGUES, festival littéraire du 18 novembre au 1er décembre en Franche-Comté et en Suisse. www.crl-franche-comte.fr

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focus Frauenkopf, 2006

Le monde de Charlie

La beauté En pénétrant dans le jardin de la fondation Beyeler, j’aperçois Thomas Schütte immobile au pied d’un arbre. Je m’approche sur la pointe des pieds du grand artiste : - Pourquoi regardez-vous cet arbre avec tant d’insistance ? - Simplement regarder un arbre en silence, c’est une nécessité. On ne peut pas regarder tout le temps que des images qui braillent à tort et à travers, vous engueulent ou vous rendent nerveux. - Cet arbre vous donne envie de faire de l’art ? - Il est tout à fait impossible de faire de l’art, l’art a lieu parfois. - Ah… - Et c’est le privilège de l’art qu’on ait la possibilité d’améliorer des choses et le droit d’en inventer. Un peu plus loin dans le jardin, Thomas Schütte a installé un grand lièvre au milieu du bassin. De l’eau coule de sa bouche. Je ne peux m’empêcher de sourire, mais Thomas reste sérieux comme un pape : - Ce qui me frappe, c’est que les choses épouvantables et les choses laides sont beaucoup plus faciles à représenter que les belles. Il est temps de rejoindre les autres au sous-sol pour la conférence de presse. Alors que nous venons à peine de pénétrer dans l’exposition, je tombe en arrêt devant une magnifique tête de femme en bronze couchée sur son socle. Face à tant de beauté admirablement patinée, je vacille sous le coup d’une émotion aussi soudaine qu’incontrôlable. Tout en contemplant ce visage mystérieusement serein présenté comme un trésor provenant d’un monde définitivement englouti, je ne peux m’empêcher de commencer à pleurer. Un peu embarrassé, Thomas Schütte me chuchote à l’oreille d’un ton qui se veut rassurant : - Les belles choses, elles durent. Par Philippe Schweyer

THOMAS SCHÜTTE, exposition du 6 octobre au 2 février 2014 à la Fondation Beyeler à Rihen/Bâle. www.fondationbeyeler.ch

En 1959, Daniel Keyes donne naissance à une nouvelle fondatrice de la littérature américaine contemporaine avec Des Fleurs pour Algernon. L’auteur y conte une histoire intime, celle de Charlie Gordon, attardé mental. Alors que sa vie simple suit son cours, le jeune homme de 30 ans se voit proposer par une équipe de neurologues une opération du cerveau – auparavant testée sur une souris dénommée Algernon – capable de décupler ses facultés mentales. Gérald Sibleyras transpose ce texte à la beauté profonde pour une adaptation sur les planches signée Anne Kessler. Sociétaire de la Comédie-Française depuis plus de 20 ans, la metteuse en scène a fait confiance au talent de Grégory Gadebois pour incarner ce personnage à l’humanité touchante. Le roman épistolaire de Keyes se transforme en monologue polyphonique : le comédien donne voix au narrateur, à Charlie, et à son histoire fantastique au premier sens du terme. Seul sur scène, Grégory Gadebois personnifie l’évolution de l’esprit du jeune homme, du triomphe à la désillusion. Considéré comme un soushomme jusque-là, Charlie est désormais un surhomme capable de rivaliser avec les plus grands esprits du pays... mais cette virtuosité n’est-elle pas éphémère ? À ses dépens, le garçon apprend qu’intelligence n’est pas synonyme de bonheur et peine à atteindre la paix espérée face à un monde déchiré entre le Charlie d’avant et celui présent. Par Claire Tourdot

DES FLEURS POUR ALGERNON, pièce de théâtre d’après le roman de Daniel Keyes le 18 janvier à la Coupole à Saint-Louis. www.lacoupole.fr 18


création

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focus

Vingt ans après C’est dans le cadre des Saisons Afrique du Sud – France 2012 & 2013 que la Filature et la Chambre ont monté Commitment, une exposition qui se déploie en trois lieux (le Maillon, la Chambre et la Filature) pour faire découvrir trois générations de photographes sud-africains. Au cœur de leur travail, la notion d’engagement (commitment) à travers une photographie documentaire et sociale qui s’attache notamment à saisir les mutations de Johannesburg et de Soweto, le township symbole de la résistance noire à l’apartheid. Honneur aux jeunes au Maillon où sont exposés les photographes formés au Market Photo Workshop, une école ouverte aux plus défavorisés fondée en 1989 par David Goldblatt, le “père spirituel” de la photographie sud-africaine. Un photographe essentiel qui s’est intéressé à toutes les strates de la population et dont on découvre à la Filature les paysages qu’il a photographié récemment en quadrillant le pays (Some South African intersections). Entre ces deux générations, deux photographes très importants sont à l’honneur : Mikhael Subotzky à la fois à la Chambre et à la Filature (avec sa série sur Ponte City, une tour autrefois symbole de modernité et aujourd’hui à l’abandon) et Jodi Bieder à la Filature avec Between Dogs and Wolves – Growing up with South Africa, une série en noir et blanc démarrée en 1994 et un travail en couleur beaucoup plus récent sur les habitants de Soweto. Goldblatt, Subotzky et Bieber, tous les trois blancs, n’ont évidemment pas le même rapport à l’apartheid et à l’histoire de leur pays que les jeunes photographes du Market Photo Workshop, mais ils sont tous les trois engagés dans une démarche sans concession, avec la même volonté d’embrasser une réalité complexe et mouvante. Un peu plus de vingt ans après l’abolition de l’apartheid, si leurs images ne cachent rien des difficultés persistantes, elles témoignent avec éclat de la vitalité d’une population désormais tournée vers l’avenir. Par Philippe Schweyer — Photo : © Jodie Bieber (série Between dogs and wolves)

COMMITMENT #1, exposition du 18 octobre au 29 novembre au Maillon à Strasbourg. www.maillon.eu COMMITMENT #2, exposition du 18 octobre au 1er décembre à la Chambre à Strasbourg. www.la-chambre.org COMMITMENT #3, exposition du 5 novembre au 22 décembre à La Filature à Mulhouse. www.lafilature.org

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Snapshot Richard Bellia est de loin l’un des meilleurs photographes rock français. Ce trublion qu’on croise toujours bien placé, à l’affût, tournoyant de manière discrète sur les côtés de la scène ou backstage n’a pas son pareil pour restituer à la fois l’intimité et l’intensité de l’acte rock en lui-même. Il faut dire que cet ancien correspondant du Melody Maker, qui a fait ses armes auprès des plus grands, The Cure – il entretient une relation soutenue avec Robert Smith, dont il a fait quelques uns des clichés les plus marquants –, Blur ou Radiohead, les a tous vus passer soit dans son studio londonien dans les années 80 et 90 soit sur les routes à travers les plus grands festivals européens. On se souvient avec émotion de cette image qu’il a réalisée de Joe Strummer, sans doute la plus belle photo du chanteur du Clash, il en va de même pour bien d’autres tant sa faculté d’établir le lien semble une évidence dans la relation qu’il instaure à son modèle. Il apporte surtout, rieur, cette touche de fantaisie dans un milieu, la photo rock, qui a eu le malheur de s’enfermer progressivement dans ses propres codes. Ainsi, il porte un regard plein d’acuité sur ce qui semble impossible à capter, la musique, et cela bien au-delà de tout gimmick. Plus que sa seule vision de photographe, l’impression corpus d’images qu’il réunit au fil des années nous livre une fascinante histoire du rock. Par Emmanuel Abela

RICHARD BELLIA, UN ŒIL SUR LA MUSIQUE, exposition à partir du 28 novembre au bar Le Gambrinus à Mulhouse. www.legambrinus.com


La mémoire des sols

Ce qui est fait reste à faire On a parfois, devant une œuvre d’art contemporain, un sentiment de « déjà-vu ». Pourtant l’histoire de l’art nous apprend qu’il y a des façons infinies d’interroger une matière, un thème, une image. Julien Amillard et Swann Matthieu ont édité la publication A3 sous la forme d’un cube « qui a pour objectif d’être traité, non pas par sa forme extérieure mais par sa forme intérieure ». Une façon originale de rendre hommage à tout ce qui n’est pas traité, aux échecs, aux projets avortés. 32 moitiés de cubes numérotées seront mises en place et le spectateur sera invité à recomposer le cube. Une façon de repenser et de refaire, en somme, en mettant en avant toutes les possibilités de combinaisons avant de pouvoir acheter l’objet. La question qui se pose également est la façon dont le créateur travaille. Julien Amillard tisse des liens entre son parcours, son acte créateur et sa pensée. Il avoue s’être posé la question « de ce que peut être l’enseignement de l’art à l’heure où l’on peut faire n’importe quoi ». La performance Je cours après n’importe quoi qu’il réalisera pour la deuxième fois le 19 décembre est une « allégorie issue de la conclusion avec des amis plasticiens que la création est une course de fond. Ce n’est pas le meilleur qui gagne à la fin, c’est le plus endurant, celui qui a su maintenir le cap ». Tout reste donc encore à faire. Par Vanessa Schmitz-Grucker

FAIT ET À FAIRE – RÉGIONALE 14, exposition du 29 novembre au 12 janvier à la Kunsthalle de Mulhouse. www.kunsthallemulhouse.fr

C’est une technique enfantine adaptée par Daniel Tiziani, cette façon même dont les enfants frottent une pièce de monnaie sous une feuille pour en garder l’empreinte. Daniel Tiziani utilise un papier souple et du graphite pour réaliser ainsi des bouches à clef ovales, famille des bouches d’égouts et autres plaques au sol dans nos villes. « Des bouches à clef, on est arrivé à Clefs de sol car je relève l’emprunte au sol en frottant. Une fois le relevé fini, je le rehausse de couleurs pour le rendre plus vivant ». Tiziani pratique le frottage depuis une quinzaine d’années déjà, il est allé jusqu’à relever les pavés de sa ville d’origine, en Italie, qui disparaissent au profit de revêts plus modernes. Car là est tout l’enjeu : l’histoire, l’empreinte, la mémoire. « La démarche consiste à mettre en évidence ce que tout le monde voit mais auquel personne ne fait attention ». Dans la même veine, l’artiste avait fait un travail sur les cartes géographiques et les bornes frontières : « Dans les Vosges, il reste des bornes frontières qui délimitaient l’espace entre l’Alsace-Moselle et la France et j’avais réalisé un travail sur ce jeu de bornes que j’ai frotté ». Daniel Tiziani donne à voir ce qui, dans notre quotidien est devenu banal : « À Mulhouse, il y en a partout de ces bouches à clefs ovales et pour le commun des mortels, elles sont toutes identiques. Pourtant, en les observant, j’en ai compté une centaine de différentes ». Une démarche qui s’approche de celle du street art ? « J’aime l’urbanité et j’ai pour projet de produire de fausses bouches à clef de façon très réaliste et de les coller sur des bouches existantes ». Par Vanessa Schmitz-Grucker

CLEFS DE SOL, exposition de frottages de Daniel Tiziani du 15 novembre au 12 janvier 2014 au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse. www.musees-mulhouse.fr

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focus Fausto, Almeria

D’un livre à l’Autre

Péché d’hybris « L’espace n’est que parfum. Si je me souviens d’une terre, je hume le sang de ce parfum et mon âme déplacée me manque » écrit Mahmoud Darwich dans son poème État de siège. C’est en pensant au poète engagé disparu en 2008 qu’Adel Hakim décide de mettre en scène son Antigone. Entouré de 7 acteurs attachés au Théâtre National Palestinien, le co-directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry livre une tragédie grecque en langue arable (surtitrée en français) à la résonance contemporaine. Sur les murs éclatants de blanc percés de centaines de fenêtres, les mots de Mahmoud Darwich défilent grâce à un dispositif de projections, reliant deux temporalités bien éloignées. Il y a 2500 ans, Sophocle écrivait son cycle thébain autour de la figure mythique d’Œdipe et de sa descendance. Troisième volet de l’ensemble, Antigone met en scène la lutte fratricide pour le trône ainsi que l’absurdité des lois ancestrales. Il est question de l’amour qu’un homme peut porter à sa terre d’origine, des déraisons face à un pouvoir autoritaire et de l’amour fraternel. Pris dans une spirale tragique, des personnages à l’hybris démesuré luttent à contre-courant pour la vie dans un monde dirigé par les morts. L’action humaine face à l’univers dans toute son infinie grandeur : un combat en apparence perdu d’avance bien que porteur d’espoir. S’opposant à la volonté céleste, Antigone incarne ce vent de révolte, générateur de transcendance. Et comme une respiration, la mise en scène d’Adel Hakim dévoile une écriture sophocléenne étonnamment moderne, ancrée dans une Palestine contemporaine au temps troublé. Par Claire Tourdot — Photo : Nabil Boutros

ANTIGONE, pièce de théâtre les 18 et 19 décembre à la Comédie de l’Est à Colmar. www.comedie-est.com

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La réputation du Salon du Livre de Colmar n’est désormais plus à faire. Depuis 24 éditions s’y réunissent les passionnés de l’ouvrage : éditeurs, écrivains, imprimeurs, étudiants... tous les acteurs de la chaîne littéraire sans exception. Pour illustrer au mieux l’édition française, le Salon accueille les incontournables des librairies mais également des maisons d’édition et des auteurs moins connus venus de la France entière. Afin de cultiver ce melting pot culturel, l’Autre Salon, événement dans l’évènement, ouvre ses portes et fait valoir la place des publications alternatives dans le paysage éditorial français. La fédération Hiéro, mandatée par la ville de Colmar, s’est vue confier un espace réservé à la microédition. Au programme, des habitués des années précédentes : Vincent Vanoli pour le fanzine Fleshtones, En l’encre nous croyons, mais aussi de petits nouveaux dénichés dans la scène locale, dont de nombreux anciens élèves de la HEAR. La liberté de ces microéditeurs, affranchis des règles du circuit traditionnel, donne naissance à des projets d’autant plus séduisants. Leur seule contrainte : les limites de leur créativité. Les visiteurs pourront également se glisser dans la peau d’un acteur de la microédition, à travers des ateliers de sérigraphie, linogravure ou encore tampons-gommes. Lors de votre visite au 24 e Salon du Livre de Colmar, suivez le thème phare de cette année : passez de l’Autre Côté et venez arpenter les étonnantes allées de l’Autre Salon. Par Valentine Schroeter — Photo : Bernard Plossu, tiré de L'amour de la marche chez Médiapop éditions

L’AUTRE CÔTÉ, 24e édition du Salon du Livre de Colmar les 23 et 24 novembre. www.salon-du-livre-colmar.com


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Mix des genres Pour sa 23e édition, le festival alsacien Momix perpétue le brassage culturel qui fait sa réputation. « Momix s’adresse au jeune public mais aussi plus généralement à toutes les générations : nous souhaitons que les créations soient des moments de découverte autant pour les enfants que pour les adultes » explique Philippe Schlienger, directeur artistique du festival. 40 compagnies venues du monde entier se donnent rendez-vous à Kingersheim et alentours pour offrir aux petits et grands des spectacles de qualité inédits. Cette année, à l’image du spectacle de la compagnie Extremites, qui livre un hymne à la solidarité, Momix déroule le tapis rouge devant le cirque et les arts de rue sans délaisser pour autant la musique, le théâtre et la danse. Notons également la place de choix des arts numériques, qui côtoient marionnettes et acteurs plus coutumiers, ancrant le festival dans l’air du temps. Ainsi, la compagnie italienne TPO présente son spectacle numérique, Bleu, sur le thème de l’eau et nous offre un voyage poétique entre mer et voie lactée. De l’exploration métaphorique de la vie par la compagnie 4Hoog, à la question de l’immigration traitée à travers un casque audio dans un concert de la compagnie Miczzaj, le festival propose des interventions plurielles adroitement ficelées qui adaptent l’actualité aux yeux et aux oreilles d’un public panaché. Un lien fort se crée entre les générations grâce au plaisir simple d’un moment de partage.

LE COLLÈGE DES ARTS Des conférences accessibles à tous sur l’art à travers les époques et les disciplines artistiques (arts plastiques, mais aussi littérature, cinéma, arts de la scène et musique) LE RIRE Ce cycle revient sur quelques-uns des visages d’une grande thématique de la création artistique à travers les siècles : humour, burlesque, distance critique ou pause de la pensée. En partenariat avec l’AMAMCS Mercredi 27 novembre à 19h Satyres, Grèce antique et rire Par François Lissarrague, directeur d’études à l’EHESS. Sur les vases à boire, les artisans athéniens ont multiplié les représentations de satyres. C’est donc une anthropologie pour rire qu’on sera invité à explorer, en image. Mercredi 11 décembre à 19h Physionomie du rire de la Renaissance au Romantisme Par Martial Guédron, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Strasbourg. Quand il sait traduire parfaitement le rendu des expressions, l’artiste peut même, en figurant le rire, le susciter par empathie chez ceux qui contemplent ses œuvres. Entrée libre dans la limite des places disponibles. Réservation conseillée : michele.buckel@strasbourg.eu

MOMIX, festival international jeune public du 30 janvier au 10 févier 2014 à Kingersheim. www.momix.org

Plus d’informations sur : www.musees.strasbourg.eu Auditorium des Musées Musée d’Art moderne et contemporain 1, place Hans-Jean-Arp, 67000 Strasbourg Tél. 03 88 23 31 31

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Trois artistes incompris et mécontents, 1850, Gustave Doré. Photo : Mathieu Bertola. Graphisme : Rebeka Aginako

Par Valentine Schroeter


focus Aurélie Nemours, Angle noir, 1982. Huile sur toile 93 x 74 cm Collection Frac Alsace © ADAGP, Paris 2013.

Anna reprend son souffle

Si j’avais un marteau La relation qu’on entretient à l’art peut également se vivre sur un mode, disons, festif. Et rien de tel qu’une nocturne au Musée pour passer une soirée originale en nous confrontant à la création contemporaine ! D’autant plus que le programme est de toute beauté avec deux rencontres d’exception dans le cadre de workshops : l’artiste breton Yvan Salomone réactualise l’aquarelle, une pratique jugée par certains complètement désuète alors qu’elle porte en elle, historiquement, presque viscéralement, sa propre part de modernité ; puis, le Parisien Richard Monnier, qui multiplie les expériences plastiques, aussi bien en sculpture, en dessin, qu’en photo ou sur support informatique. Avec ces deux artistes, voilà une belle manière d’épouser l’étendue du champ plastique à l’occasion d’échanges nourris. Après, rien de tel que de découvrir l’artiste à l’œuvre, notamment sous la forme d’une performance : Not Every Object used to Nail is a Hammer de Gaëtan Bulourde rend hommage à l’un de nos francs-tireurs les plus féconds dans les années 60, Robert Filliou, et s’annonce comme un instant marquant au cours d’une soirée qu’on pourra allégrement ponctuer de dialogues, comme autant d’impromptus, avec Estelle Pietrzyk, conservatrice du MAMCS et Olivier Grasser, directeur du Frac Alsace, tout en parcourant l’exposition Pièces Montrées – l’occasion par exemple de s’arrêter devant le magnifique Angle Noir d’Aurélie Nemours, entre autres acquisitions –, ou avec des étudiants de l’Université de Strasbourg pendant une pause gourmande au bien nommé Art Café. Par Emmanuel Abela

Pour Anna Calvi, le challenge était de taille : rééditer l’exploit d’un album à la taille de sa première tentative magnifique en 2011. Le risque était double, soit s’appuyer sur une recette qui avait fait le succès aussi bien public que critique de ce disque éponyme, soit se lancer dans une aventure hasardeuse. Bref, on retrouve toute la problématique du second album syndrome, comme disent nos amis anglais. Notre petite britannique a su éviter tous ces écueils, avec un disque qui s’inscrit dans la continuité du précédent, mais tout en lui donnant une tonalité singulière : aux références précédemment invoquées, Jeff Buckley, Nick Cave et Ennio Morricone, il faut rajouter celle de Scott Walker. Quand on lui soumet l’idée, elle pousse un petit rire amusé. Elle raille gentiment l’« évidence », suggérant le fait qu’on ait besoin – ce en quoi elle a entièrement raison – de constamment nous appuyer sur ces références. Et de nous signaler qu’il lui arrive de ne pas bien connaître certaines des influences qu’on lui attribue désormais, Siouxsie and The Banshees notamment. Quoi qu’il en soit, elle confirme bien volontiers ce niveau de confiance qui lui a permis de pousser plus loin ses propres recherches : un jeu cristallin à la guitare et une voix qui s’envole au détour de compositions plus inconfortables, les sublimes One Breath ou Love Of My Life, pour un disque qui constituerait éventuellement la seconde partie d’un diptyque sublime. Qui poursuit en tout cas l’œuvre aujourd’hui sans faute d’une artiste que l’on situe comme l’un des repères incontournables en cette période artistiquement frivole. Par Emmanuel Abela — Photo : Roger Deckker

SOIRÉE AU MAMCS, nocturne avec rencontres, workshop et performance le 22 novembre www.musees.strasbourg.eu

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ANNA CALVI, en concert le 6 décembre à la Laiterie à Strasbourg. www.laiterie.artefact.org


Regards croisés

Water of Life de Barthélémy Toguo, aquarelle sur papier.

Transit(s) Sculptures, peintures, installations, aquarelles ou photographies, Barthélémy Toguo utilise différents médiums pour traduire son regard sur nos sociétés contemporaines. Une société où l’Homme va, vit et devient. Et si le terme d’artiste contemporain était simplement lié au fait de porter un regard sur nos sociétés contemporaines ? Pour Barthélémy Toguo, artiste d’origine camerounaise, cette définition simple prévaut sur l’analyse esthétique. Simple, c’est le mot. L’art de Barthélémy Toguo se veut accessible à tous tant que l’on veut bien lire entre les lignes et y voir ce que cache le monde qui nous entoure. Passé les couleurs vives et chaleureuses présentes dans ses peintures, sculptures, photographies ou aquarelles, on cerne les représentations de nos personnalités changeantes, les inégalités sociales ou les vices des migrations. Barthélémy Toguo né au Cameroun, a transité par Grenoble, Düsseldorf et Paris. Inévitablement il nous parle de voyage en rassemblant des souvenirs ou des histoires croisées, mais il évoque en transparence l’exil vers un monde souvent inconnu, que l’on croit meilleur : « on ne sait pas ce qui nous attend mais on sait ce qu’on laisse derrière ». Derrière ces thèmes universels se croisent déplacement, la solitude, la souffrance, la maladie aussi. Il ose parler de la mort « parce qu’elle fait partie de la vie », notamment à la Fiac de 2010 où il présentait Bitter Life : un cercueil en plexiglas exposant de vrais ossements d’un agriculteur tué par la mondialisation et la chute du prix des matières premières. Le travail de Barthélémy Toguo nous présente des êtres en transit. En transit par ce que nous sommes, par ce que nous deviendrons et par les parties du monde que nous traversons. Par Cécile Becker

BARTHÉLÉMY TOGUO, exposition du 17 janvier au 23 février 2014 à La Chaufferie – galerie de la Hear à Strasbourg. www.hear.fr

À la fin des années 1990, la Belgique met en place une vaste campagne de régularisation des immigrés. Jugées démagogiques, les réformes retentissent fortement dans une nation au passé colonialiste. En réaction aux événements, le comédien et dramaturge Stanislas Cotton élève sa voix de poète et publie Bureau National des Allogènes en 2001. Catherine Toussaint met en scène ce drame burlesque en deux monologues grâce à un dispositif scénique bi-frontal. Car c’est bien la dualité qui est au cœur de la pièce. Deux personnages diamétralement opposés se font face, dans une lutte globalisante à l’issue fatale. D’un côté, Rigobert Rigodon (François Cancelli) est un fonctionnaire employé au service de tri des étrangers à la vie bien remplie. Mais l’ombre de sa culpabilité et de sa compassion pour ceux qu’il voit passer inlassablement dans son bureau l’écrase jusqu’à l’étouffement. De l’autre, Barthélémy Bongo (Joël Lokossou) exprime l’incompréhension des exilés et leur désespoir face à une bataille administrative perdue d’avance. Regroupant dans un même tableau, le thème de l’immigration clandestine et celui de la mauvaise conscience occidentale, Stanislas Cotton place l’humain au centre d’une réflexion brûlante d’actualité. Son écriture poétique et minimaliste se refuse à toute moralisation pour délivrer un message polyphonique, relais des acteurs de notre société. Mais ne vous y trompez pas, Bureau National des Allogènes n’est pas une tragédie, mais bien un questionnement au constat incisif et à l’humour grinçant. Par Claire Tourdot — Photo : Carole Varini

BUREAU NATIONAL DES ALLOGÈNES, pièce de théâtre du 3 au 5 décembre au TAPS Gare-Laiterie à Strasbourg. www.taps.strasbourg.eu

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Au hasard d’une danse

Ne te retourne pas Véritable allégorie de la tristesse, L’Orfeo est joué pour la première fois en 1607 : Claudio Monteverdi vient de composer ce qui deviendra plus tard l’une des plus célèbres tragédies d’amour de l’opéra. On dit de L’Orfeo qu’il est le premier opéra, marquant la frontière entre la Renaissance et l’époque baroque… un monument de la musique classique. L’histoire d’Orphée, rongé par le regret et le malheur, nous fait réfléchir sur les fondements de l’existence humaine, sur cette volonté de toujours vouloir transgresser les lois de la nature en franchissant les frontières de la vie. Claus Guth traite les deux premiers actes avec un réalisme presque cinématographique. Dans cette relation amoureuse, la mort devient une aventure, un véritable voyage. L’histoire est racontée à travers le regard d’Orphée et le metteur en scène en profite pour exploiter la frontière entre un épisode de vie et la fiction. Il rend les spectateurs acteurs de la vie d’un homme jusqu’à leur faire oublier leurs sièges en velours rouge. Avec le minimalisme musical de Monteverdi, les petits moyens utilisés font pourtant de grands effets. La direction musicale est confiée à Christophe Rousset, connu de l’Opéra national de Lorraine et fondateur des Talents Lyriques, ensemble de musique baroque qui accompagne les Chœurs de l’Opéra national de Lorraine. À Nancy, le duo Guth-Rousset a déjà fait ses preuves en 2009 en travaillant sur Le Messie de Haendel. Avec L’Orfeo, à la saga de l’Amour et de la Mort se rajoute le volet « Résurrection ». Ainsi naît l’opéra. Par Gabrielle Awad — Photo : Monika Rittershaus

L’ORFEO, opéra de Monteverdi du 10 au 17 janvier 2014 à l’Opéra national de Lorraine à Nancy. www.opera-national-lorraine.fr

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C’est la tradition, chaque année, avant de partir sur les routes à la rencontre de nouveaux publics, le Ballet de Lorraine présente ses spectacles aux Lorrains. En France et à l’étranger, la compagnie fait découvrir la richesse de son répertoire à un public régulier. Le 9 janvier, ce sera l’ultime répétition avant le départ, le filage en costumes. Deux pièces : In the Upper Room, sur une musique de Philip Glass et une mise en espace de Merce Cunningham, lequel a réalisé la transition conceptuelle entre danse moderne et danse contemporaine, rien que cela. Le premier ballet, 40 minutes d’énergie lancée à plein tube, capte l’urgence et la vigueur du paysage contemporain avec un style unique. Une chorégraphie de Twyla Tharp nous offre un mélange plutôt athlétique. La seconde pièce Fabrication chorégraphie nous renvoie aux significations du verbe « fabriquer » : combiner des éléments pour former un tout, et inventer ou concocter, voire mentir. L’enchaînement des phrases et le nombre de danseurs par phrase sont déterminés par le hasard, certaines se chevauchent même, un joyeux bazar organisé sans contenu narratif qui atteint tout de même une dimension dramatique, mélancolique. Avec Merce Cunningham et Twyla Tharp, nul doute que si tous les deux intègrent une part de hasard dans le déroulement de leurs chorégraphies, l’inattendu est à prévoir. Il faut le voir, pour le croire. Par Gabrielle Awad

IN THE UPPER ROOM / FABRICATION CHORÉGRAPHIQUE, Avant-tournées le 9 janvier 2014 au Centre chorégraphique national – Ballet de Lorraine à Nancy. www.ballet-de-lorraine.eu



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Tapez F5 pour actualiser

L’apparence angélique d’An Pierlé tranche radicalement avec sa manière d’être, ce qu’elle revendique d’ailleurs : « On me voit encore souvent comme une petite elfe mignonne et végétarienne. Mais moi, je mange du boudin, des pieds de porc ! ». Mais cette jolie Belge de 38 ans a dû apprendre à faire preuve d’un peu de douceur à la naissance de sa petite Isadora il y a quatre ans. La chanteuse s’est alors aménagée des horaires pour revenir à la musique, ce qui lui semblait essentiel : « Quelque part, j’avais peur de ne plus faire de musique. Il y avait un besoin de sortir des choses. Simplement une urgence à refaire des chansons, à me retrouver ». Ainsi sont nés ses nouveaux bébés, Strange Ways et Strange Days, albums piano-voix qui sonnent comme un retour aux sources. Découverte en France en 1999 avec Mud Stories, An Pierlé s’était ensuite entourée des White Velvet : « Avec un groupe, tu peux te permettre de jouer très simplement. Mais quand tu te retrouves seule, il faut réapprendre à remplir la musique autrement. C’était un vrai défi ». Défi brillamment mené, avec des arrangements sobres qui laissent la priorité à la voix si particulière d’An Pierlé. Derrière son piano, assise sur son grand ballon rond, An chante l’amour, la guerre et la confiance en soi, notamment avec les paroles du titre Strange Days « Please believe in what you do », phrase qui est devenue son mantra. Autre surprise de ce nouvel album : la reprise d’une grande pureté de It’s A Shame de Talk Talk. Dans ce nouvel album, An Pierlé reste fidèle à elle-même : l’alliance naturelle d’un tempérament bien trempé et d’un talent incontestable.

À l’École nationale supérieure d’art de Nancy, on se pose la question de l’incidence du numérique et de l’Internet dans le champ de la création contemporaine. Et pour le prouver, 12 jeunes diplômés ont eu la lourde tâche de se lancer chacun dans la création d’une œuvre, à une condition : qu’elle nous raconte à sa façon le poids du numérique dans notre quotidien. Réunissant des médiums aussi variés que le dessin, l’installation interactive ou encore la vidéo, l’exposition Fresh << Refresh propose une confrontation de la jeune création aux enjeux de l’ère postInternet, via le prisme du rafraichissement et de la réactualisation permanente. Des vidéos présentées sur iPhone, des jeux de lumière, des GIF animés, tant d’œuvres à travers lesquelles se dessinent en filigrane les problématiques autour de la base de données, de l’archivage, de l’historique et de la mise à jour. L’artiste Antoine Dupuy, propose par exemple une version automatisée d’un dictionnaire Robert dans lequel chaque mot est associé à une image Google. Durant tout le temps de l’exposition, un logiciel transforme l’ensemble des pages d’un ouvrage en images. Dans la galerie, une imprimante travaille en continu et les pages produites par le dictionnaire s’amassent au sol. Dans la galerie NaMiMa, les 12 jeunes artistes exposeront ces œuvres qui nous rappellent que chaque média se trouve accessible à tous, partagé, commenté, réutilisé voire remixé, l’original n’étant plus qu’une version parmi tant d’autres. L’exposition porte plutôt bien son nom. Fresh << Refresh. Comprenez : on peut toujours créer, tout sera vite réactualisé.

Par Valentine Schroeter — Photo : Athos Burez

Par Gabrielle Awad

AN PIERLÉ, concert le 3 décembre aux Trinitaires à Metz. www.lestrinitaires.com

FRESH << REFRESH, exposition du 21 novembre au 19 décembre à la Galerie NaMiMa à l’ENSA Nancy. Vernissage le 21 novembre à 18h. www.ensa-nancy.fr

La petite perle belge

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Wolfgang l’amoureux Benoît Bodhuin Dream, affiche pour le projet collaboratif Miniposterzine Whatever gets you through the night initié par Marc Zenhäusern.

La typo, reflet de la pensée Pour la première exposition de la saison 2013-2014 à la galerie Le toutouchic, Benoît Bodhuin présente une série de réalisation d’affiches et de travaux en tous genre. L’artiste interroge à la fois la nécessité de lisibilité d’une typographie et la créativité du designer. Il rend compte non seulement du sérieux et de la méticulosité de cette discipline, mais il veut aussi révéler des audaces possibles. L’exposition est présentée sur 2 murs : sur l’un, quelques affiches, sur l’autre, une typo en cours dessinée pour l’occasion sur 4 grandes bâches. Une manière d’intégrer au final les visiteurs. Si l’écriture est le vecteur de nos pensées alors est-il possible que ce ne soit pas une discipline consciencieuse ? Si certains designers y passe un temps incroyable et une attention folle, se pourrait-il qu’ils ne prennent pas cet investissement au sérieux ? Benoît Bodhuin est diplômé de mathématiques puis de graphisme, il partage son activité entre l’enseignement de la typographie et des commandes pour une clientèle exigeante et soucieuse de son image. Pas étonnant qu’il se pose autant de questions. D’autant plus que la lecture et ses habitudes imposent non seulement un héritage typographique fort mais aussi le respect d’une personnalité ou d’une entité incarnée. Alors que reste-il au créateur de caractères ? Que peut-il réellement se permettre ? Benoît Bodhuin est formel : tout, bien sûr, tout, tout ! Apparemment à la galerie du Toutouchic, la typo, c’est du sérieux. Par Gabrielle Awad

LA TYPOGRAPHIE C’EST SÉRIEUX ! (?), exposition jusqu’au 6 décembre, à la galerie Le toutoutchic, à Metz. www.letoutouchic.com

L’Arsenal de Metz consacre une soirée à l’un des plus grands compositeurs de l’histoire : Wolfgang Amadeus Mozart. Quelques membres de l’Opéra National de Lorraine interpréteront pour l’occasion des pièces de choix : le Concerto n°4 pour violon, l’ouverture de Cosi Fan Tutte, le Concerto pour flûte et harpe mais surtout la célèbre ouverture des Noces de Figaro. Cette pièce pourrait en fait être considérée comme une métaphore musicale de la vie de Mozart : une existence rythmée de folies contrastées par de sombres mesures, un succès en crescendo de sa naissance à l’apogée de sa carrière et des péripéties chromatiques incessantes. Et dans cette épopée, qu’il s’agisse des aventures de Suzanne et Figaro ou de celles de Mozart, seul l’amour donne le ton. En effet, l’amour, qu’il porte à son père, ses frères et sœurs, son épouse ou ses enfants, a occupé une place plus qu’importante dans la vie du compositeur : « Le vrai génie sans cœur est un non-sens. Car ni intelligence élevée, ni imagination, ni toutes deux ensembles ne font le génie. Amour ! Amour ! Amour ! Voilà l’âme du génie ». Du concerto à la symphonie, du piano au violon, de Constanze à la baronne von Waldstätten, le cœur de Mozart n’a cessé de balancer. Guidé par l’amour, il en parsème ses gammes : « Je cherche les notes qui s’aiment ». Comme une éternelle coda, la ritournelle des sentiments du prodige émane encore aujourd’hui de ses 626 œuvres. Amadeus, celui qui aime Dieu, avait indéniablement été touché par la grâce. Par Valentine Schroeter

DIVIN MOZART, concert le 26 janvier à l’Arsenal de Metz. www.arsenal-metz.fr

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Être de papier

Mère en temps de guerre Et c’est reparti pour un tour ! Produit en 2011 par le NEST – CDN de Thionville-Lorraine et mis en scène par Jean Boillot, Mère Courage et ses enfants repart en tournée sur les routes de l’Est de la France. Classique du théâtre contemporain, la pièce de Bertold Brecht semble réunir en elle tous les éléments de l’œuvre au sujet intemporellement universel. Le propre d’un chef-d’œuvre en somme. Arpentant sans fin les routes d’Europe avec sa carriole, Mère Courage commerce tout et rien sur les champs de bataille de la Guerre de Trente Ans accompagnée de ses deux rejetons. Le point de vue est celui des petites gens, individus en marge des grands événements de l’Histoire, fatalement emportés dans le flot des conflits et oppositions politiques. C’est à l’aube de la Seconde Guerre mondiale que Brecht façonne cette figure de femme au midi de sa vie, capable d’incarner une multitude de facettes de la féminité. Isabelle Royanette donne voix à une personnalité brutale, impulsive et sensuelle, en tous points touchante. Désireux de souligner la vitalité et la modernité de l’écriture brechtienne plus que son aspect pamphlétaire, Jean Boillot a fait appel à Irène Bonnaud pour dégager une nouvelle traduction de la pièce. La parole ainsi revisitée entre en contact avec la partition musicale signée Paul Dessau réorchestrée pour percussions et ordinateurs électro-acoustiques par Jonathan Pontier. De pièce épique à pièce « sonique », Mère Courage et ses enfants reste l’expression d’une condition humaine où notre première bataille est celle pour la survie. Par Claire Tourdot — Photo : V. Castro

MÈRE COURAGE ET SES ENFANTS, pièce de théâtre du 9 au 11 janvier au NEST de Thionville et les 16 et 17 janvier à la Comédie de l’Est à Colmar. www.nest-theatre.fr + www.comedie-est.com

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On peut distinguer deux vies à Camille Claudel. La première est baignée d’amour et de succès : Camille est une sculptrice accomplie, vivant une relation passionnelle avec Auguste Rodin, de 24 ans son aîné. La deuxième est en revanche beaucoup plus obscure : parce que jugée déviante par ses proches qui la voient sombrer dans une profonde dépression après sa séparation avec le sculpteur, elle est internée de force dans une « maison de fou » jusqu’à sa mort. L’année 2013 marque les 70 ans de la mort de cette artiste bousculée par une vie vécue sur le mode de l’intense dans une société où la différence n’a pas sa place. Avec la compagnie les Anges au Plafond, Camille Trouvé rend hommage à cette existence déchirée dans une création intimiste et musicale, où mouvement et corps sont au cœur d’une réflexion sur la condition artistique. En écho à la pratique de la sculpture, l’art de la marionnette permet d’atteindre le monde du toucher, du palpable : on entre dans l’atelier de l’artiste par la porte de derrière à la découverte d’un monde fragile où les personnalités sont façonnées par le papier froissé. Sur scène, critiques d’art, membres de la famille (dont l’écrivain Paul Claudel), colporteurs de rumeurs se succèdent au son du violoncelle de Martina Rodriguez apportant un éclairage polyphonique sur cette histoire de censure. Mais au dessus de ces agitateurs, la voix sensuelle d’Awena Burgess s’élève avec force, façonnant les émotions d’une femme oubliée bien trop vite. Par Claire Tourdot — Photo : Vincent Muteau

LES MAINS DE CAMILLE OU LE TEMPS DE L’OUBLI, pièce de théâtre du 27 au 29 novembre au Carreau de Forbach. www.carreau-forbach.com


Hors Du temps

Un monde meilleur ? L’artiste sud-coréenne Lee Bul a profité de la chute du régime dictatorial à la fin des années 80 pour affirmer son art comme acte de rébellion politique et sociale en utilisant notamment son corps comme vecteur de messages au cours de performances et d’actions artistiques. Les corps deviennent alors des Cybords ou encore des Monster (Black ou Pink) matérialisés par des déformations réalisées dans des matières textiles. Ces extensions presque cauchemardesques du corps humain réactivent des fantasmes de mutations présents depuis les mythes antiques jusque dans nos littératures contemporaines. Utopie et dystopie se font face dans une œuvre qui puise essentiellement son inspiration dans l’histoire politique et culturelle de son pays mais aussi de l’Europe. Le cinéma, la littérature mais surtout l’architecture sont au cœur de son questionnement. Des créations complexes en acier, en chaîne et en verre constituent des architectures qui flottent dans l’espace. Mon grand récit : Weep into stones se veut être la maquette d’une architecture visionnaire et son titre en appelle à la notion de récit – de métarécit – chez le philosophe Lyotard ainsi que la question de la finitude de l’existence chez Thomas Browne. D’autres sont inspirées du traité utopique de l’écrivain allemand Paul Scheerbart qui, disparu en 1915, avait imaginé un monde futuriste où le verre et l’acier seraient prépondérants dans nos architectures. Lee Bul marque, ici, son intention de revenir à la source du progrès qui nous ouvrira peut-être, un jour, les portes d’un monde meilleur. Par Vanessa Schmitz-Grucker — Photo : Remi Villagi

LEE BUL, exposition du 5 octobre 2013 au 9 juin 2014 au Mudam à Luxembourg. www.mudam.lu

Prendre le temps. Le temps d’écouter, de méditer, de s’asseoir et d’aimer. Rainy Days, festival luxembourgeois de musique nouvelle, consacre sa 12e édition à ces instants qui nous échappent, à ces insaisissables minutes qui semblent nous filer entre les doigts. L’espace de quelques jours, des morceaux tantôt longs, tantôt lents suspendront le temps dans d’autres sphères. Du champ de fraises le plus connu, Strawberry Fields Forever, exploré par le Studio Lucilin au bouddhisme zen, Rainy Days vous sort du quotidien si souvent régi par les horaires et le stress qui l’accompagnent. Le festival investit notamment, le temps d’une journée, l’Abbaye de Neumünster, havre de paix du XVIIe siècle. S’y dérouleront sept expériences auditives des plus plaisantes que vous pourrez écouter aussi longtemps que vous le voudrez, assis ou même allongés. Plus qu’une simple démonstration musicale, ce festival luxembourgeois ne vous apprend pas seulement à prendre le temps d’écouter, mais aussi de manger (parce que la détente, ça creuse !) : pour la dernière date de l’évènement, l’Arditti Quartet propose un marathon de 10 pièces spectaculaires et variées entrecoupées de « pauses énergétiques » animées par Slow Food Luxembourg qui nous prouve, à l’aide de savoureux produits locaux, qu’un repas est toujours meilleur lorsqu’on prend le temps de le déguster. Rainy Days est un festival hybride regroupant des instants d’une variété rare et qui a su cette année mêler musique et bien-être. Une cure de remise en forme originale et intense où prendre son temps devient un leitmotiv. Par Valentine Schroeter — Photo : Astrid Karger

RAINY DAYS, festival de musique nouvelle contemporaine du 28 novembre au 1er décembre au Philharmonie Luxembourg. www.rainydays.lu

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Une balade d’art contemporain par Sandrine Wymann et Bearboz

Traversées étrange cohabitation que celle de Claudia Comte et d’Omar Ba. À vrai dire, il est difficile de justifier ce qui les réunit hormis que ces hommes sont tous deux de jeunes artistes suisses talentueux. Mais si la question nous taraude dès la première salle, rapidement l’exposition s’avère convaincante et l’on comprend aisément qu’au fur et à mesure un sentiment d’évidence s’imposera. Tout commence donc par la déclinaison de deux vocabulaires assez éloignés, comme le préambule de deux histoires dans lesquelles on est amené à s’immerger. Claudia Comte et Omar Ba posent les bases d’un travail qu’ils déroulent ensuite indépendamment, dans deux enfilades de salles distinctes.

Il y a d’abord l’aile de Claudia Comte. On entre dans l’exposition comme on commence un voyage. Chaque pièce est utilisée par l’artiste comme autant d’étapes qui lui permettent d’installer une ambiance et de dialoguer avec le visiteur. À la première halte, il faut s’imaginer au centre d’une vaste salle couverte de peintures que l’on interprète comme autant de regards stylisés et graphiques, plutôt drôles et d’inspiration cartoonesque. Des dizaines d’yeux qui nous observent, et nous poussent à quitter la salle par là où la ligne nous attrape, par là où commence un jeu de tracés sur les murs. On pénètre dans l’espace suivant, envahit par des traits qui courent en zigzag du plafond au sol. Ils sont le support d’un jeu de couleur, d’un enchaînement fondu qui démarre par le jaune, glisse vers le vert, puis le bleu continue dans les roses et les rouges avant de laisser la place au noir, couleur finale et définitive. Au centre, deux sculptures posées à même le sol reprennent les mêmes lignes brisées. Elles sont massives, en bois, taillées grossièrement – à la tronçonneuse, lit-on sur les cartels. Leur facture a priori brute est loin de s’opposer à l’environnement qui les accueille, tant la ligne les sous-tend et guide leurs formes allongées qui se meurent en dents de scie. Place à la dernière étape. Nouvelle ambiance, dictée par l’obscurité de la pièce, l’éclairage artificiel et l’atmosphère théâtrale. Ici les œuvres sont présentées, mises en scène. Les sculptures sont polies et soignées, elles sont installées sur des socles conçus pour ces œuvres et qui sont sculptures eux-mêmes. Les lignes ont pris formes et volumes, elles sont en contact direct avec les objets. Le décor et le sujet se rejoignent, l’un est l’autre, ils sont les éléments d’un équilibre physique et esthétique, un rien magique.


L’autre voyage est de nature différente mais tout aussi radical. C’est peut-être là que se rejoignent nos deux artistes, dans leur capacité à nous emmener loin, très loin. Omar Ba nous emmène en Afrique. D’origine sénégalaise, il ne cache ni son origine ni son intérêt pour le continent africain. Ses tableaux s’en préoccupent quasi exclusivement. Il dénonce, convoque l’histoire récente, caricature, prend partie. Les médailles, les avions, les armes sont des motifs récurrents. Le noir est sa couleur dominante. Le foisonnement trahit sa colère. Les allégories délivrent des messages. Mais tout cela n’est pas seulement ce qui caractérise le travail d’Omar Ba. Ses peintures ont un véritable pouvoir, celui de nous happer, elles ont une force d’attraction qui nous lie à elles. On plonge littéralement dans chacun de ses tableaux, on s’y enfonce, on passe les plans. La puissance de son travail réside dans sa maîtrise de l’art de la peinture et de l’utilisation des couleurs. Ses tableaux sont incroyablement légers et voluptueux parce qu’il utilise des rehauts de blancs et de couleurs vives, parce qu’il superpose les images, et qu’il crée un effet de profondeur d’une infinie douceur. La volupté du style contraste avec la rudesse des propos mais n’en atténue pas l’impact. Omar Ba construit ses images, et la matière ou la couleur servent simultanément la peinture et son sujet. Le résultat est à la fois grave et léger, un rien magique... Claudia Comte & Omar Ba, exposition du 15 septembre au 24 novembre au Centre PasquArt à Bienne. www.pasquart.ch


Rencontres

Arto Lindsay 29.09

CRAC Alsace à Altkirch

Par Sylvain Freyburger — Photo : Pierre Chinelatto

Que retenir de l’improbable passage du mythique chanteur et guitariste new-yorkais Arto Lindsay dans la capitale du Sundgau, à l’occasion du « finissage » de l’exposition Susan Vérité, des méthodes au Crac ? On se souvient d’un beau boucan, de sons froissés et anguleux tirés d’une guitare maltraitée qui a fait fuir plus d’un spectateur de la salle de projection de l’ancien lycée. Crac, boum, Arto – beau prénom – n’a rien perdu en radicalité depuis ses débuts au sein du trio DNA, figure coup-de-poing de la scène no-wave new-yorkaise. L’évolution, c’est la prise en compte de ses racines brésiliennes par les interprétations fidèlement suaves de classiques de la samba ou de la bossa-nova, posées sur des barbelés soniques qui semblent tisser des rythmes latino pervertis, du bruit à la place des percus et des notes. Une impression confirmée par l’artiste après sa performance, un peu malade, un œil injecté de sang, cordial et pressé : « That’s the trick », c’est comme ça que ça fonctionne, pour sûr. « C’est une performance que je présente aussi bien dans des galeries que dans des salles rock. »

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Ça fonctionne, étapes suivantes à Florence et à Berlin. Comme Ecstatic, le film diffusé derrière le public pendant le concert – le Christ du Corcovado sous toutes ses coutures depuis un hélicoptère en clin d’œil à la statue de la Liberté filmée de la même manière par Steve McQueen –, l’expo nous fait voyager, alors on se laisse embarquer : Rio en 1960, New York en 1978, Altkirch au début de l’automne.


Kenneth White 9.10

ISBA de Besançon

Par Xavier Hug — Photo : Nicolas Waltefaugle

Avec une foi inébranlable Kenneth White construit une théorie holistique toute personnelle, à la manière de ses hérauts, Friedrich Nietzsche et Arthur Rimbaud. La « géopoétique » est cette dialectique qui cherche à renouer avec l’harmonie, du moins sa potentialité, brisée à l’avènement de la modernité cartésienne. La « géopoétique » n’aspire qu’à retrouver le sens et l’unité axiale de l’humanité à son environnement. Kenneth White est, rappelonsle, poète, non pas essayiste et encore moins politique. D’où toute absence dans son discours de la sempiternelle plainte du « c’était mieux avant ». Il ne prône jamais le retour aux bois, alors que Thoreau et Rousseau restent des références évidentes à ses yeux, pas plus que le réenchantement céleste. Pourtant, il faut bien trouver une issue à la barbarie actuelle car « si nous sommes réduits au contemporain, nous finissons par nous réduire à la première syllabe du mot », lance avec malice le poète.

L’issue semble se trouver dans la réalisation de la prophétie nietzschéenne de la rencontre entre Orient et Occident. Non pas leur confrontation ou leur dilution respective mais leur syncrétisme. Les séjours prolongés de Kenneth White, aux confins du Labrador, là où coule la source des peuples premiers amérindiens, comme aux antipodes du Levant, y puisent justement toute leur force. Relire Kenneth White semble d’autant plus urgent que l’entropie s’accélère et la résignation s’est installée.

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Rencontres

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Ibrahim Maalouf 19.10

Nancy Jazz Pulsations

Par Benjamin Bottemer — Photo : Arno Paul

Ibrahim Maalouf, neveu d’Amin et fils de Nassim, l’inventeur de la trompette à quatre pistons permettant de jouer les quarts de ton, ces intervalles propres à la musique arabe, dont Ibrahim a fait son instrument de prédilection, est l’un des ces musiciens précieux qui allie une formation classique accomplie à un goût prononcé pour l’expérimentation. Très jeune, il joue sur scène aux côtés de son père, élève du maître Maurice André, puis est reçu premier au concours du Conservatoire de Paris après le baccalauréat. Les concours internationaux s’enchaînent. Ce parcours de phénomène occupe toute sa jeunesse : l’exigence, il l’a connue au sein du foyer familial, soumis à une éducation stricte qui se poursuit dans l’univers rigoureux des conservatoires et des concours. Pourtant, cela n’a pas étouffé sa soif de nouveaux horizons : « Parallèlement à ma formation classique, j’ai abordé l’improvisation et la composition en autodidacte, explique Ibrahim Maalouf. Je ne suis pas intéressé par la musicologie, ni par le fait d’avoir des connaissances encyclopédiques en matière de jazz. J’ai mon propre langage ». Il joue aussi bien au sein d’orchestres symphoniques, de chambre et d’ensembles divers qu’avec des artistes populaires comme Matthieu Chédid, Amadou et Mariam, Lhasa de Sela ou Vincent Delerm. Une synthèse totalement décomplexée qu’il appliquera, à sa façon, sur ses trois premiers albums, trilogie frénétique où Ibrahim Maalouf mélange les genres : jazz, électro, musique balkanique, orientale se croisent sur Diasporas, Diachronism et Diagnostic entre 2007 et 2011, déroutant le milieu classique et jazz traditionnel mais faisant la joie des amoureux de musique au sens large. « Cette trilogie a véritablement été une étape thérapeutique, commente Ibrahim Maalouf. La musique a toujours constitué pour moi un échappatoire, dès mon enfance ». En tissant sa toile dans toutes les directions, offrant en trois disques une grande variété d’ambiances et de styles, Ibrahim Maalouf se paye un luxe : tout le monde n’a pas son talent d’instrumentiste pour soutenir l’audace de ses envies artistiques. « Je n’ai pas pour autant enterré ma période classique ; elle constitue la base, les fondations de tout ce que je fais aujourd’hui, poursuit-il. C’est ce que j’enseigne au Conservatoire de Paris : acquérir le maximum de langage pour pouvoir, lorsque l’on entre dans un processus d’expression, détruire tout cela et recomposer les mots à sa manière. Sans cela, on ne crée rien de nouveau, et en plus on ne s’amuse pas ».

Après s’être bien amusé à brouiller les pistes en installant une véritable constellation de radios pirates à la fois urbaine et mondiale, où l’on change de fréquence dans un nuage d’opium et d’excitants musicaux empruntés à tous les clubs enfumés de la planète, Ibrahim Maalouf met tout le monde d’accord avec son quatrième album, Wind. Bande-son du film La Proie du vent de René Clair, enregistré à New York avec le batteur Clarence Penn, le contrebassiste Larry Grenadier, le saxophoniste Mark Turner et le pianiste Frank Woeste, Wind est lancé à la tête des puristes de la jazzosphère : oui, Ibrahim Maalouf sait tout faire. Mais pour lui, le renouvellement du jazz passe par les inspirations d’aujourd’hui : « il n’y a aucune raison de ne pas utiliser les langages que nous avons à portée de main. Par exemple, jazz et hip-hop ont énormément en commun. Des gens comme Oxmo Puccino ne l’ignorent pas ». Son dernier album, Illusions, sorti le 5 novembre, est « clairement une nouvelle étape. C’est le premier album que je vais défendre sur scène, aux côtés des musiciens avec lesquels je tourne depuis des années. Il a été pensé pour le live, c’est l’aboutissement de huit années de tournée ». Grosse claque effectivement : sur scène, Illusions est un hymne épique, libérateur, sonnant terriblement, empruntant au rock son énergie immédiate et fédératrice. On savoure le dialogue entre les musiciens, la complicité qui transpire sur les compositions de ce cinquième opus, qui conjugue la maturité et l’enthousiasme d’un artiste qui a encore plusieurs vies devant lui pour nous surprendre, organisant méticuleusement ses laboratoires sonores pour mieux les faire exploser.

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Doillon Caroline Châtelet — Photos Olivier Roller

cinéaste obstiné

À l’occasion de la sortie de Mes séances de lutte, le festival EntreVues consacre à Jacques Doillon une rétrospective. Intitulée La Fabbrica, celle-ci offre l’occasion de (re)découvrir douze films du cinéaste et d’interroger sa pratique de réalisateur.

Questionnée sur le choix de Jacques Doillon, la directrice du festival EntreVues Lili Hinstin expliquait « C’est un cinéaste qui ne cesse de se remettre en question et qui à chaque film invente et trouve un nouveau geste de cinéma. » Interrogé, à son tour, sur ces qualificatifs le concernant, Jacques Doillon resta évasif, « Non... je fais avec ce qui me passe par la tête... », préférant enchaîner sur les adaptations d’úuvres littéraires au cinéma (auxquelles il s’est peu prêté, trouvant certainement dans l’écriture de ses propres dialogues une plus grande liberté). Si cet exemple peut sembler anecdotique, il n’en est pas moins éloquent. Et derrière la réticence du cinéaste à se prêter de trop près à l’analyse de son travail se dessine une volonté obstinée. C’est cette même volonté qui fait que Jacques Doillon fait des films depuis plus de quarante ans, coûte que coûte. Depuis son premier court métrage (inachevé) tourné en 1966 à l’âge de vingtdeux ans, Doillon tourne, construisant son propre langage. Pour autant, si le cinéaste a bien un vocabulaire, qui lui fait préférer la direction d’acteurs (rigoureuse) aux effets, privilégier la cohérence des langues à la multiplication des décors, l’homme se remet en question, inventant pour chaque film un nouveau geste. Suffit, pour s’en convaincre, de voir Mes Séances de lutte, 39


son dernier opus éminemment charnel et atypique. Réunissant Sara Forestier, comédienne découverte avec L’Esquive d’Abdellatif Kechiche (qui lui valût alors le César du meilleur espoir féminin) et James Thierrée, comédien et petit-fils de Charlie Chaplin, le film met en scène les combats du duo. Ou comment, en vue de comprendre et dépasser l’échec de leur relation amoureuse avortée, le couple va rejouer quotidiennement la scène fatidique, la menant jusqu’à la lutte. Si, ainsi centré sur les acteurs et sur le combat contre les impossibles de la langue, Mes Séances de lutte porte bien les caractéristiques du cinéma de Jacques Doillon, il marque cependant une étape dans l’úuvre du cinéaste. Plus cru, plus abrupt, et nécessitant un engagement extrême des comédiens, le film en appelle à la nécessité impérieuse d’en passer par le corps. Les séances de luttes entêtées non dénuées d’humour et de légèreté ñ, prennent alors le relais de la parole, l’épuisement permettant, peutêtre, de faire émerger autre chose : la possibilité pour ces deux-là de s’aimer... Comment avez-vous reçu cette proposition de rétrospective ? C’est toujours très plaisant, les rétrospectives, ça veut dire qu’il y a encore quelques personnes qui ont de l’intérêt pour mes films. Lorsque j’ai commencé, je n’aurais jamais imaginé que mes films seraient vus vingt ou quarante ans plus tard. D’ailleurs, si j’y avais pensé alors, j’aurais tenté de les coproduire systématiquement afin d’avoir la main dessus par la suite, et les numériser aujourd’hui... Encore que numériser les films, ça coûte cher et je ne sais pas si j’en aurais eu les moyens. Aujourd’hui, malgré quelques aides ponctuelles, faute de numérisation, je ne vois pas comment la plupart de mes films ne va pas disparaître.

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Avez-vous l’habitude de revoir vos anciens films ? Jamais. Peut-être que j’en serai capable un jour et je serai alors un peu ému, voire heureux, mais pour l’instant la question ne se pose pas. C’est sûrement une forme d’orgueil... les scènes qui fonctionnent, ça me paraît normal et ce qui ne fonctionne pas me rend fou... J’ai trop peur de ne voir que ce qui ne marche pas. Le seul que j’ai revu est La Drôlesse, lorsque les Archives Du Film de Bois d’Arcy ont décidé de le restaurer. Au début de la projection, ça m’a été très difficile. À la violence de « revoir » s’est ajoutée une autre violence bien plus grande : Madeleine, qui joue le rôle principal, est morte quelques années après le tournage. Finalement c’était une chance de la voir à nouveau, j’ai regardé le film en me centrant sur elle et c’est devenu très joyeux. Je suis sorti de la projection avec le sentiment que les acteurs étaient parfaits tous les deux, et qu’il n’y avait pas trop de trous d’air, de scènes ratées dans le film, que l’ensemble était tenu. Comment êtes-vous arrivé au cinéma ? Au lycée, il y avait une classe préparatoire à L’IDHEC [Institut des hautes études cinématographiques, ancêtre de la FEMIS, ndlr], et le type formidable qui s’en occupait avait eu l’idée


d’ouvrir le ciné-club à tous les élèves du lycée. Moi qui n’avais vu jusqu’alors que des westerns, des films d’aventures, je n’en suis pas revenu ! Que le cinéma puisse être d’une telle splendeur, d’une telle force d’émotion... des Dreyer, des Mizoguchi, des Fellini, etc. Je n’étais pas capable pour autant de me dire que c’était ce que je voulais faire. Ce n’est qu’après le service militaire et plusieurs petits boulots que j’ai réalisé que ce qui m’intéressait le plus, c’était ça. J’ai réussi à rencontrer le directeur technique d’un laboratoire qui a tenté de me dissuader de m’embarquer là-dedans. Les autres stagiaires ne venaient pas souvent, on m’a pris à la bonne, on m’a donné du travail, et le jour où une monteuse a téléphoné pour proposer un stage, c’est mon nom qui est sorti. Je suis ensuite passé de stagiaire à assistant, d’assistant à monteur, en me

« Lorsqu’un comédien vous émeut à la fin du long travail que constitue une prise, c’est un bonheur tellement inouï que je ne vois pas tant d’autres lieux où un tel enchantement serait possible. »

disant que je pourrais faire des petits films industriels de commande. Puis l’idée m’est venue de faire un premier court métrage de fiction d’après une BD de Gébé, puis un long avec lui, L’An 01. Avec l’argent gagné, j’ai eu envie de faire Les Doigts dans la tête, à partir du fait divers sur ce mitron qui, mécontent de ses conditions de travail, se barricade dans sa chambre avec sa copine, son copain et une jeune fille de passage. Qu’est-ce qui lors de ce premier film seul vous a donné envie de continuer ? Je ne pensais pas pouvoir écrire le film moi-même, aussi j’avais demandé à un ami de l’écrire pour moi, en lui suggérant tout ce que je souhaitais y trouver. Quelques semaines avant le tournage, je me suis aperçu à la lecture de son scénario que ça ne correspondait en rien à ce que j’attendais... Il ne me restait plus qu’à écrire, une scène le matin, une l’après-midi et une autre le soir, pour être prêt pour le tournage... À ma grande surprise, j’ai écrit avec facilité et grand bonheur dans cette urgence. Et sur le tournage, les quelques semaines de travail passées avec ces comédiens qui n’avaient jamais joué ou presque m’ont absolument réjoui. Non seulement je n’avais aucune espèce d’embarras mais j’ai au contraire pris du plaisir à trouver et à donner aux acteurs les indications qui me semblaient susceptibles d’améliorer la scène, prise après prise. La critique et François Truffaut en tête ont célébré le film et le jeu des acteurs. Ce qui est étonnant dans Les Doigts dans la tête, c’est qu’on y trouve déjà l’essentiel de votre vocabulaire, et le fait que chaque personnage a son langage à lui... Trouver la langue forcément un peu singulière de chaque personnage est une des choses les plus difficiles à réussir. Cette recherche m’a toujours intéressé et amusé, sans avoir la certitude d’y parvenir toujours autant que je le souhaiterais. Je vois trop de films où l’ensemble des personnages parle la même langue alors qu’il est évident qu’au-delà des différences d’expression dues aux origines sociales, avec la même éducation, un frère et une súur, par exemple, n’auront pas le même phrasé ni le même vocabulaire...

Il y a également le sentiment que les comédiens peuvent improviser alors que tout est très écrit... La question de l’interprétation est sans aucun doute ma préoccupation principale. On ne peut obtenir ce sentiment d’improvisation qu’en travaillant beaucoup, jusqu’à atteindre une fluidité dans ce qui est joué... ça ne peut fonctionner qu’avec une très bonne mémorisation du texte, et des places, et des déplacements. C’est à partir de ce moment, et il faut déjà quelques prises pour en arriver là, que l’on peut réellement commencer à avancer... Ensuite, il faut poursuivre, travailler sur les changements de tempo, sur la durée des pauses et des silences, sur une phrase plutôt chuchotée que dite à un niveau normal, et sur différentes indications propres à chaque scène... On se rapproche alors d’un travail musical, et c’est à partir de là que les qualités d’interprétation et de fantaisie des acteurs peuvent et doivent se faire entendre. C’est un travail de longue haleine qui peut nécessiter quinze ou vingt prises, ou plus, pour que la scène soit parfaitement crédible et émouvante. Travail absolument indispensable qui donne aux acteurs la liberté que vous pouvez prendre pour de l’improvisation. Il y a aussi ce choix de tourner dans des espaces intimes et peu nombreux, proches du huis clos... Les choses de l’intime se jouent dans les chambres et dans les cuisines, pas sur les Grands Boulevards. Je filme là où ça se joue. Par ailleurs, quand on a de si petits budgets, perdre la moitié du temps de tournage à se déplacer d’un décor à un autre est totalement absurde. Par définition, un huis clos est un lieu où l’on n’entre pas, ce qui s’y passe reste secret. Moi j’y entre et je m’y installe. Le huis clos n’existe donc plus puisque les portes ont été ouvertes. C’est un reproche qui revient souvent, aussi couillon que celui sur mes dialogues prétendument littéraires. Je ne suis pas mécontent d’écrire moins pauvrement et d’essayer de mettre des mots au plus juste sur des sentiments ou des sensations. Ce que j’entends dans de nombreux films ou dans le métro, c’est du charabia. Les dialogues de la télé-réalité n’ont jamais excité mon imagination... 41


« C’est pas parce qu’on a écrit une scène qu’on en sait beaucoup plus que ça, elle reste à découvrir, on n’en connaît pas toutes les couleurs. » Quel est pour vous l’intérêt de tourner chronologiquement ? Ça me permet de voir le film avancer, comme une peinture. C’est pas parce qu’on a écrit une scène qu’on en sait beaucoup plus que ça, elle reste à découvrir, on n’en connaît pas toutes les couleurs. En travaillant dans la chronologie, si la logique de la scène amène quelque chose d’inattendu, on peut mettre davantage l’accent sur une humeur, une tristesse ou au contraire une lueur de joie, qui n’étaient pas forcément envisagées à la lecture des dialogues. Je peux alors commencer à tourner la scène suivante en intégrant ce sur quoi on a mis la main précédemment. Tourner en planséquence comme je le fais va dans le même sens, ça me permet d’entendre et de comprendre mieux la scène dans sa durée... je filme « live », c’est pas une émotion qui se fabrique au montage. Ça facilite grandement la vie et le travail des acteurs autant que le mien. 42

Dans ce film, vous abordez la question des rapports amoureux dans une relation utopique... Je ne vois pas en quoi cette relation est utopique. Elle est évidemment singulière, comme toute relation sentimentale. Singulière et complexe car nous sommes des êtres riches, souvent incompréhensibles et « ondoyants », comme le disait Montaigne. Si ça ondoie, ça bouge, et j’ai toujours essayé de filmer ces mouvements intérieurs dans leur plus grande mobilité. Rodin, pas si loin, disait justement : « J’ai toujours essayé de rendre les mouvements intérieurs par la mobilité des muscles ». Le plaisir que vous évoquez est-il toujours le même à chaque film ? Si je ne me goure pas sur le choix des comédiens, le plaisir est bien là. Je regrette seulement de ne pas tourner avec certains acteurs de grande notoriété qui n’en ont pas assez le désir. Si je faisais des films plus populaires, on peut supposer que j’aurais accès à une grande partie de certains d’entre eux. Par ailleurs, je n’ai jamais voulu travailler avec des acteurs qui auraient été payés plus cher que moi. Peut-être que je ne souhaitais pas devenir l’un de leurs employés... Qu’est-ce qui vous intéresse chez un acteur ? Le savoir-faire de beaucoup de comédiens ne me rassure pas du tout. J’aime autant tourner avec des amateurs qu’avec des professionnels, pourvu qu’ils me plaisent et que je crois en leurs possibilités d’incarner le personnage. Il y a aussi des virtuoses qui ont envie de travailler, de progresser à l’intérieur des scènes. C’est le cas d’Isabelle Huppert, par exemple. Faire quinze ou vingt prises ne la rebute pas, c’est quelqu’un qui aime travailler, autrement dit s’améliorer. Dans le film que nous avons fait ensemble, La Vengeance d’une femme, ce sont évidemment toujours les dernières prises qui ont été choisies.


Je ne crois pas qu’un comédien, même doué, puisse tout jouer. C’est ce qui explique que certains de mes castings, où sont mêlés des comédiens de renom et des acteurs n’ayant jamais joué, peuvent paraitre curieux. Qu’est-ce qui vous a intéressé chez Sara Forestier, comédienne dans Mes séances de lutte ? Il y a une demi-douzaine d’années, Sara m’a appelé pour me dire qu’elle aimerait beaucoup tourner avec moi. En 2007 on a fait des essais pour un rôle qui ne lui convenait pas mais ça a confirmé le désir que nous avions de travailler ensemble. Elle est très douée et j’aime son énergie et sa fantaisie qu’il faut savoir contenir. Nous avions bien raison de penser que faire un film ensemble nous plairait infiniment. Vous avez mis en scène en 1998 l’un de vos scénarii, La Vengeance d’une femme. Qu’est-ce qui vous a alors intéressé au théâtre ? C’est une proposition qui n’était pas de mon initiative. C’est une petite chose que j’ai acceptée bien volontiers parce qu’avec le même texte et deux actrices différentes, on allait forcément vers des horizons qui n’étaient pas ceux du film. Et je comprends parfaitement les metteurs en scène de théâtre qui montent les mêmes pièces de Strinberg ou de Shakespeare plusieurs fois dans leur vie. Que vous offre le cinéma que ne vous offre pas le théâtre ? Il me manque certainement deux choses essentielles avec le théâtre : le plan rapproché, voire le gros plan, et le chuchotement. Sans parler de la petite danse avec la caméra. Reste qu’au théâtre comme au cinéma, il s’agit bien de sentiments à jouer et des comédiens pour les interpréter. Faire que ça se frotte, se cogne, se cherche m’intéresserait et m’amuserait aussi beaucoup au théâtre, si seulement on me le proposait. Vous dites « m’amuserait » : cette idée de s’amuser, proche du jeu d’enfant sans que cela soit dénué d’angoisse ñ revient fréquemment chez vous... J’ai trop entendu des metteurs en scènes se plaindre des angoisses et des difficultés surhumaines à tourner un film. Lorsqu’un comédien vous émeut à

la fin du long travail que constitue une prise, c’est un bonheur tellement inouï que je ne vois pas tant d’autres lieux où un tel enchantement serait possible. Et l’amusement qui se combine avec la possible beauté du travail devient une évidence, comme par exemple dans Ponette, la scène où Victoire s’observe dans un miroir... Le cinéma, c’est ce mélange d’inquiétude à ne pas « gagner » la scène et de plaisir à voir les acteurs s’amuser à la jouer « victorieusement ». Ce qui est étonnant, c’est qu’il n’y a pas de résolutions dans vos films, pas de morale... La morale n’a jamais était une question essentielle dans mes films. Il me semble qu’il y a une chose autrement plus importante, qui est rarement dite : le personnage principal est doué d’une force d’élan et d’une volonté qui ne le lâchent guère... Ça serait bien d’arrêter avec ces histoires de huis clos fatalement sombres, et d’en venir aux désirs solides des personnages, évidemment plus lumineux... Vous avez dit lors d’un entretien faire « pas tout à fait » les mêmes films. Comment qualifieriez-vous votre évolution ? Je ne revois pas mes films alors c’est compliqué de vous répondre... J’espère qu’il y a peu de radotage en ce qui concerne les personnages au long de mes films. Je n’aurais aucun plaisir à retravailler autour d’un personnage déjà écrit et filmé. Si je retrace le même sillon, comme je l’ai souvent entendu dire, je ne crois pas le retracer avec les mêmes personnages, et c’est déjà pas si mal. À propos de sillon, il s’agit peutêtre du même champ mais chaque personnage a le sien ! Qu’est-ce qui est à l’origine d’un film, des dialogues, une situation, des personnages ? Ça peut être une question, par exemple autour du fait divers de La Drôlesse, cette fille qui pendant cinq mois avait toutes les possibilités d’échapper à son ravisseur et qui n’a pas essayé une seule fois de s’échapper... Comme je ne comprenais pas les résultats de l’enquête policière, j’ai tenté d’y répondre à ma manière dans ce film. Mais le plus souvent, ce sont des fragments de dialogues qui me passent par la tête... et comme je

ne comprends pas très bien ce qui se dit, et qui le dit, j’écris des scènes supplémentaires pour tenter d’y voir un peu clair... Ce qui veut dire qu’il n’y a ni plan ni sujet préalables. C’est plutôt un fonctionnement de peintre que celui d’un scénariste. Je ne sais pas où je vais et ça me va très bien. Vous n’avez pas l’habitude de retrouver une équipe constituée, qu’il s’agisse des acteurs ou des techniciens et des producteurs. Pourquoi ? Il y a des metteurs en scène de cinéma et de théâtre qui ont besoin de travailler avec leur troupe, et qui se retrouvent de film en film, de pièce en pièce. C’est vrai pour Bergman ou pour Ozu, pour ne citer qu’eux. Je n’ai jamais eu ce goût des rassemblements annuels, je suis d’une grande infidélité avec les techniciens, avec les acteurs, et ça me convient plutôt bien. Je ne prétends pas faire le tour d’un acteur en un seul film mais ça m’amuse davantage, autant que c’est possible, de tourner avec des personnes qui me sont inconnues. Que pensez-vous des commentaires sur votre travail ? Il y a très longtemps que je ne lis plus les critiques de cinéma mais si à la sortie d’un film, je reçois un message enthousiaste d’un ami, ça me va très bien. Entendre parler des films déjà faits m’amuse modérément, c’est le film à venir qui a tout mon intérêt et toute ma curiosité. De temps en temps c’est bien mais je crois plus aux films. D’autant que les gens voudraient croire ce qui arrive parfois de temps en temps ñ qu’on a décidé, réfléchi, qu’on s’est interrogé. Mais en fait on s’est interrogé comme un mécanicien, on est dans la mécanique et il faut que le moteur tourne rond. C’est un peu désarçonnant, les gens parlent « intentions », « pensées », etc., alors que la seule question que je me pose en tournant c’est comment je vais faire ça... ENTREVUES, festival de cinéma, du 30 novembre au 8 décembre, Belfort. www.festival-entrevues.com Les Doigts dans la tête, 1974 Un sac de billes, 1975 – La Drôlesse, 1979 La Femme qui pleure, 1979 La Vie de famille, 1985 – Comédie !, 1987 La Vengeance d’une femme, 1990 Ponette, 1996 – Carrément à l’ouest, 2001 Raja, 2003 – Le Premier Venu, 2008 Mes Séances de lutte, 2013

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Par Cécile Becker

Au fil du

désir

Après son premier long-métrage Le Dernier des Immobiles, construit avec le poète Matthieu Messagier, Nicola Sornaga continue de filmer la poésie du quotidien avec Monsieur Morimoto. Monsieur Morimoto est un voyageur, loin, bien loin de nos préoccupations familières et quotidiennes. Le voyage du film Monsieur Morimoto de Nicola Sornaga a commencé loin, bien loin de toutes préoccupations financières, pour se retrouver six ans plus tard prisonnier d’un système guidé par les recettes. Monsieur Morimoto est un personnage réel mu par le désir de l’art, Monsieur Morimoto est un conte burlesque qui gagnerait à s’inscrire dans la réalité. Comprendre : à vivre en salle. Nouvelle tentative avec la participation de Monsieur Morimoto à la compétition internationale du festival Entrevues. Qui est monsieur Morimoto ? C’est un peintre que j’ai rencontré dans la rue, à Belleville. Il m’a d’abord frappé par son apparence : il a l’allure d’un vieux burlesque américain, à part que c’est un Japonais. Il a tout quitté, sa famille, son travail de postier au Japon pour venir goûter à la capitale des arts, vivre la vie de bohème. Je l’ai vu, assis sur un plot dans une rue, j’ai eu envie d’aller lui parler. Tout est parti de là : on a commencé à tourner avec une toute petite équipe, avec une toute petite caméra, sans demander de sous. Ce devait simplement être un court-métrage présenté en bonus sur le DVD de mon premier film Le Dernier des Immobiles, il a fini, ou plutôt commencé à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.

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Vous dîtes dans Le Dernier des Immobiles que « la seule arme donnée à l’homme pour lutter contre la médiocrité du réel, c’est la poésie ». Dans Monsieur Morimoto, qui est un personnage réel, un univers poétique finit par se dégager, qu’avez-vous voulu faire en faisant se côtoyer ces deux extrêmes ? Depuis petit, j’ai un rapport ambivalent aux marionnettes : j’en ai peur comme j’en suis fasciné. Et puis j’ai rencontré une fille qui a joué dans le film, elle a un théâtre de marionnettes sur les Champs-Élysées. Ça m’a paru évident de lier monsieur Morimoto aux marionnettes : il m’a évoqué quelque chose de l’ordre du miroir de la réalité, un peu impassible, à la Buster Keaton. Il n’a, à priori, rien de psychologique, un peu comme les marionnettes. J’ai traité le rapport entre ces deux niveaux d’observation, entre ce personnage, promeneur solitaire, loin de nous, loin du monde, qui a un côté merveilleux et un côté plus existentiel croisé au fil de ses rencontres excentriques : un roi mérovingien des temps modernes, André S. Labarthe, le marionnettiste, deux filles, l’une très mondaine, l’autre, l’inverse. Tout se lie. Il y a des histoires de désirs, de frustrations, des jeux de projection entre les uns et les autres auxquels Monsieur Morimoto semble échapper muni de son harmonie à toute


épreuve. Il ne veut pas être la marionnette des autres, « il fait feu de tout bois », comme disait Lola, l’actrice qui jouait Lila. J’avais aussi envie de raconter quelque chose sur le rapport à l’autre, je montre comment les gens se croisent et ne se voient pas. Dans ce jeu parisien, avec son lot de malheurs personnels, Vicky le roi et Morimoto sont les seuls à vivre leurs utopies, qui comme chacun sait, n’est pas un désir irréalisable mais un désir pas réalisé. Ce film en lui-même n’est-il pas une utopie aux vues des différentes barrières que vous avez du, et continuez de devoir traverser ? C’est un film qui s’est fait sans production au départ, parti d’une impulsion collective. On a fait ce film sans se poser de questions, comme une fleur qui pousse dans un champ. Le film a été présenté à Cannes en 2008 dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, dans une version de 2h05. Plus tard, il gagne un prix à Bucarest, il était à Genève, l’année dernière il décroche le prix du film en court à Belfort dans une version d’une demi-heure de moins, ça a débloqué des moyens techniques pour arriver à une copie. Et puis il y a eu des soucis de musique, le décès de Lola... Je n’ai toujours pas de distributeurs. C’est dur et ça l’est toujours... J’ai peutêtre eu la naïveté de croire que, le film allant à Cannes, tout serait plus facile. Mais je me suis rapidement rendu compte que le système de production du cinéma français interdit complètement de partir sans avoir fait de demandes de subvention dès le scénario... Là, je me retrouve à Belfort en compétition avec Morimoto dans sa version définitive. Alors que Belfort est le point de départ des films d’auteurs, là, c’est presque une sorte de point d’arrivée. J’ai fait le chemin inverse : Cannes d’abord, Belfort ensuite. Poétiquement parlant, c’est peut-être un juste retour des choses que mon film ait plus sa place à Belfort qu’ailleurs.

La poésie d’un film ne disparaît-elle pas à force de devoir toujours se battre, et aussi longtemps ? Il faut revoir tout le système de financement des films. On a l’habitude de dire que l’argent du cinéma revient au cinéma mais il faut voir de quelle manière et dans quelles proportions : 10% des films représentent 80% des parts de marché du cinéma français. Par ailleurs, la distribution des films est liée à une mise de départ marketing, elle ne va plus de pair avec le désir. On finance et on intervient dès le scénario, de fait, on doit rendre des comptes à tout le monde. À force de mettre le nez dans le scénario, les films deviennent à l’image des producteurs plus qu’à leur imaginaire. On ne prend plus de risques. Faire un film sans financement, pas forcément par choix, mais comme un geste urgent, c’est impossible. Du coup, on se retrouve à faire des films qui mettent six ans à se monter, ce n’est plus la nécessité de faire un film qui prime. Moi, j’ai voulu que ce soit la nécessité et le désir qui priment, et la joie de le faire. Quel espace est-ce qu’on donne à la poésie ? Il faut reconquérir la liberté. Le souci premier c’est de garder ce fil qui nous tient au désir... MONSIEUR MORIMOTO, film de Nicola Sornaga en compétition officielle. Projections les 1er et 4 décembre.

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Par Emmanuel Abela

La femme qui ne pleure pas Elle a incarné la liberté aussi bien au cinéma que dans sa vie. Bernadette Lafont est décédée le 25 juillet dernier. EntreVues lui rend hommage.

Bernadette Lafont est un joyau ! Elle est cette actrice exceptionnelle qu’on n’a pas toujours su ni voulu voir à sa juste valeur. Bien sûr, les cinéphiles vous le diront : elle est l’actrice principale d’un des actes fondateurs de la Nouvelle Vague avec Les Mistons (1958), le premier court métrage de François Truffaut, on la retrouve par la suite dans les films de Claude Chabrol, parmi lesquels Le Beau Serge (1958), Les Bonnes Femmes (1960) ou Les Godelureaux (1961) un film pour lequel elle avoue une affection particulière, et elle clôt la période avec ce qui constitue un dernier acte, La Maman et la Putain de Jean Eustache (1973). André S. Labarthe nous le rappelle bien volontiers : elle est la fiancée de la Nouvelle Vague ; si Jeanne Moreau ou Brigitte Bardot font des apparitions dans certains films, Les 400 Coups (1959), Jules et Jim (1962), puis La Mariée était en noir (1968) pour la première et bien sûr Le Mépris pour la seconde, aucune d’entre elles ne peut se targuer d’une telle fréquence, ni d’une telle présence. Le mouvement naît avec Lafont, vit avec elle et s’achève avec elle. « Elle faisait partie de la famille des Cahiers du Cinéma ; elle a quasiment tourné avec tous les réalisateurs de la Nouvelle Vague, nous rappelle André S. Labarthe, Truffaut, Chabrol, Rivette. Au sein de la Nouvelle Vague, du côté des 46

femmes, mis à part Marie-France Pisier et elle, je ne vois pas grand monde. Les deux personnages principaux de la Nouvelle Vague, c’est Jean-Pierre Léaud du côté des hommes, et c’est elle du côté des femmes. » Il se ravise : « Même si elle n’a tourné ni avec Godard, ni avec Rohmer. » Pourtant très sensible à son charme, François Truffaut se refuse à la comparer à une autre actrice et même à une autre femme, préférant la situer à l’égal d’un Michel Simon dans Boudu sauvé des eaux. Sans doute voyait-il en dehors du corps, cette voix si particulière. « Le fait qu’il voie en elle un Boudu femme est assez vrai ! », admet André. Derrière la voix, il y avait pourtant ce corps, un corps qui se meut dans l’espace avec un naturel déconcertant. Avant de rencontrer Truffaut par l’intermédiaire de son mari Gérard Blain, Lafont ne se destinait pas au cinéma même si à 14 ans, elle jouait à la star de ciné pour les gens de son village dans les Cévennes, mais plutôt à la danse, d’où une gestuelle d’une grande légèreté. « Elle occupe tous les espaces », s’amuse André, faisant ainsi allusion non seulement à sa mobilité, mais aussi à la très grande diversité des rôles qu’elle a pu interpréter. « Elle n’a pas cessé de faire le grand écart. » Il est vrai que sa filmographie fait la part belle aux films d’auteurs, mais qu’elle contient

Les Bonnes Femmes de Claude Chabrol, avec Bernadette Lafont et Stéphane Audran


bon nombre de réalisations extrêmement populaires. Ce qui la distingue sans doute, c’est cette soif d’interprétation, ce « plaisir de jouer » qu’André S. Labarthe transforme en « plaisir de jouir » dans le très beau documentaire qu’il lui consacre avec Estelle Fredet en 2007, Bernadette Lafont, Exactement. Il nous rappelle qu’elle « était à l’aise dans tout type de cinéma. Il ne faut pas oublier qu’elle a fait beaucoup de théâtre et qu’elle a fait des lectures, de Proust par exemple. Elle était ouverte à tout ». Y compris à des formes proprement avant-gardistes comme certaines réalisations de son mari, Diourka Medveczky, Marie et le Curé (1967) ou Paul (1969), un film dans lequel elle a joué aux côtés de Jean-Pierre Léaud et Jean-Pierre Kalfon. Puis, il y a cette étonnante fragilité qui émane d’elle, présent derrière le désir qu’elle suscite sans cesse. Quelque chose d’incroyablement touchant qu’André S. Labarthe résume par ses quelques phrases dans son documentaire, dans une langue qui n’appartient qu’à lui : « Que veut dire François

Truffaut en comparant Bernadette Lafont à Michel Simon ? Ceci peut-être que les stars qui hantent nos nuits n’ont ni le goût ni le sens du temps qui passe. Elles ont oublié leur montre dans leur berceau et se déplacent comme des somnambules dans un temps immobile, inusable, répétitif. Il en va tout autrement de Bernadette Lafont comme de Michel Simon : elle se sait, elle se sent soumise au temps qui l’emporte. Elle ne confond pas la date de sa naissance avec celle de son destin ». Alors qu’elle incarne plus qu’aucune autre femme de sa génération une liberté absolue, artistique bien sûr, intellectuelle et sexuelle, pourquoi n’est-elle pour autant reconnue comme elle le mériterait ? André S. Labarthe nous apporte des éléments de réponse : « Il y a trop d’images qui émanent d’elle. Le public qui va voir Paulette ne connaît pas Les Bonnes Femmes. Ce qui est étrange c’est que Bernadette rassemble toutes ces images-là, mais ces images ne se connaissent pas entre elles ». A-t-elle pour autant brouillé les pistes, malgré elle ? « Non, je ne pense pas. Elle allait vers ce qui lui plaisait. » On a envie d’en savoir plus, on interroge André S. Labarthe sur cette relation amicale qui les liait tous les deux toutes ces années. Retient-il un instant, une image, dans la vie ou au cinéma ? « Il y en a beaucoup ! Nous nous sommes beaucoup baladés. Je me souviens de cette fois où nous nous sommes rendus à Calais, comme ça avec Jacques Rozier. Et puis il y a cette fois où j’ai voulu lui écrire une chanson », nous avoue-t-il avant d’éclater de rire. C’est amusant, parce que justement l’image que nous aurions envie de retenir d’elle c’est ce moment où elle écoute une chanson précisément, dans La Maman et la Putain. Il s’agit des Amants de Paris, à la fin du film. On le sait aujourd’hui, contrairement à ce que l’on croit, Bernadette Lafont ne pleure pas – il lui était impossible de pleurer dans un film –, elle attend, et ça lui ressemble tant. HOMMAGE À BERNADETTE LAFONT, avec le documentaire Bernadette Lafont, Exactement d’André S. Labarthe et Estelle Fredet, et Les Bonnes Femmes de Claude Chabrol, le 1er décembre.

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9 › 11 janvier ThÊâtre en Bois Thionville texte Bertolt Brecht, traduction Irène Bonnaud mise en scène Jean Boillot

A������ 2013

M��� 2014 Mar. 10.12.13 — 20h00

â ‚ Musiques du monde

Š Marco Borggreve

Visuel Kathleen Rousset, graphisme Polo

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BUREAU NATIONAL DES ALLOGĂˆNES POĂˆME DRAMATIQUE DE STANISLAS COTTON MISE EN SCĂˆNE CATHERINE TOUSSAINT LA STRADA CIE – TROYES – CRÉATION 2011

TAPS GARE LAITERIE DU MAR. 3 AU JEU. 5 DÉC. À 20H30

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MĂˆRE COURAGE

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Par Nadja Dumouchel

Au-delà des mots En compétition pour l’Ours d’or à la Berlinale, La Grâce du réalisateur allemand Matthias Glasner frappe par son exactitude psychologique et la mise en perspective de la question du pardon dans un univers où le soleil ne se lève jamais.

Si le titre évoque un concept religieux, le film de Matthias Glasner traite au contraire de l’absence de Dieu. « La Grâce se déroule dans un monde de glace et de neige. Là-bas, l’homme est complètement seul face à la nature, il n’y a rien ni personne en qui avoir confiance, qui pourrait donner un sens aux choses » explique le réalisateur. Tout d’abord, il y a la nuit. Cette nuit polaire interminable qui dure presque la moitié de l’année tout au nord de la Norvège. C’est ici que Niels, sa femme Maria et leur fils tentent de commencer une nouvelle vie, le plus loin possible des escapades extra-conjugales de l’ingénieur allemand. Maria s’intègre à merveille dans son nouvel environnement, elle parle rapidement norvégien et donne tout d’elle-même aux personnes en fin de vie dont elle s’occupe dans l’hospice où elle travaille en tant qu’infirmière. Le fils, quant à lui, se retrouve isolé dans la pénombre de la cour d’école.

Les trois personnages sont seuls, perdus dans les immenses étendues enneigées, peinant à se retrouver, même autour d’un repas. Glasner les met en scène enfermés dans leur cadre, leurs trajectoires ne se croisant jamais, montrant à quel point la vie les a transformés en étrangers les uns aux autres. C’est au moment où la famille a pris ses repères dans ce fonctionnement cloisonné que se produit un accident qui va bouleverser leur vie. Maria, qui enchaîne les heures sup à l’hospice, est hypnotisée par l’apparition d’une aurore boréale sur son chemin du retour. Son attention est détournée pour ce court moment transcendantal lorsqu’un heurt violent la ramène à la réalité. Sous le choc, elle poursuit sa route pour apprendre quelques jours plus tard qu’elle a tué une jeune fille de 16 ans. Cette nuit est le début d’un rapprochement entre elle et son mari, à qui elle fait jurer de garder le secret. Pourtant, l’accident n’a ici pas de dimension moraliste. La question n’est pas que Maria se sente mal ou coupable, mais qu’elle recommence à ressentir quelque chose. La culpabilité n’est pas ce qui intéresse Glasner, les personnages ne luttent pas contre les gouffres de leur conscience comme chez Dostoïevski dans Crime et Châtiment. En se ressentant à nouveau eux-mêmes, ils sont capables de renouer avec les autres. Ils sont alors obligés de transformer l’absence de grâce divine en une grâce qu’ils s’accordent eux-mêmes et les uns aux autres. Selon Glasner, c’est la douleur qui donne de la substance aux êtres : « Je pense que c’est seulement à travers la souffrance que nous devenons capables d’empathie. Rien ne me fait plus peur que les personnes qui n’ont jamais souffert ! » La grâce, film de Matthias Glasner en salle le 6 novembre.

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Par Nadja Dumouchel — Photo : Sepp Dreissinger

Phil/ misanthrope ? Entre intégrisme religieux et tourisme sexuel, la trilogie Paradis-Amour, Foi et Espoir – du cinéaste autrichien controversé Ulrich Seidl, explore les zones obscures d’une société en perte de repères.

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Vous montrez souvent, dans vos films, les lieux les plus tristes au monde, paysages géographiques autant que paysages de l’âme. Cette trilogie auraitelle également pu s’intituler Enfer ? Non, ce titre était là, dès le départ : Paradis, le terme biblique qui illustre la projection de nos rêves et de nos désirs. Le paradis est une région du désir au sens propre et figuré. Je voulais décrire trois femmes en quête de leur propre paradis, chacune cherchant le sien à un endroit bien précis. La première le cherche au Kenya. Je ne trouve pas qu’il s’agit d’un lieu triste. L’Afrique est très belle à certains endroits et terrible à d’autres. Un lieu triste si l’on considère les rapports d’exploitation liés au tourisme sexuel tel qu’il est montré dans Paradis : Amour. C’est l’histoire d’une femme qui va au Kenya pour y trouver un jeune amant. La question est : pourquoi fait-elle cela ? Le sujet, c’est la solitude. Et cela nous ramène à notre société, parce que manifestement, à son âge et avec son physique, il lui est impossible de trouver un amant ici. Cela se termine mal, finalement, parce que c’est trop compliqué. À l’image de cette problématique, le film dresse un portrait de notre société et illustre notre rapport à l’Afrique.


Y a-t-il, selon vous, la possibilité de coexister dignement dans un tel contexte ? Ou doit-il obligatoirement s’agir d’un enfer, vu les rapports de force que vous décrivez ? Je pense que les hommes se créent eux-mêmes leur enfer. Cela apparaît dans les familles ou dans les relations amoureuses là où l’on trouve un manque affectif non comblé, là où le sexe est utilisé pour exercer un pouvoir. Mais au final, mes films montrent la dignité de l’individu. Je veux que le public prenne conscience de ces problèmes et y réfléchisse. L’auteur suédois Stig Dagerman a écrit que « notre besoin de consolation est impossible à rassasier ». Pensez-vous que la consolation que nous recherchons conduit nécessairement à ces rapports d’exploitation ? Oui, et la réalité est encore bien pire que ce que l’on peut voir dans mes films. Et ce, dans toutes les institutions au sein desquelles on trouve des inégalités, par exemple les institutions scolaires, qui réunissent enfants et adultes, ou les institutions religieuses, les institutions de l’Etat, partout. On a l’impression que vos personnages s’enferment volontairement dans ce genre d’institutions, par exemple dans le centre d’amincissement de Paradis : Espoir ou au sein de l’église dans Paradis : Foi. Croyez-vous que les individus se sentent rassurés lorsqu’ils renoncent à leur liberté ? Je crois que beaucoup sont dépassés par leur liberté. C’est triste à dire, mais c’est la vérité. Les gens ont besoin de structure, ils veulent devoir se conformer à un rôle. à notre époque, les rôles traditionnels s’estompent sans pour autant être remplacés par de nouveaux modèles. Je dépeins souvent des personnages captifs de leur propre prison mais qui veulent s’en libérer. Au fond, tout le monde se bat pour vivre dignement. Faut-il une forme de foi pour être heureux ? C’est en tout cas la méthode adoptée par l’héroïne de Paradis : Foi afin de survivre, stratégie qu’elle tente d’imposer aux autres dans son effort d’évangélisation. La foi est également une forme de consolation. J’ai tourné un documentaire, Jésus, tu sais, dans lequel on voit des croyants prier Dieu. On se rend compte, en voyant ce film, que pour beaucoup, Dieu est la seule occasion de se confier à quelqu’un. C’est souvent dans cette perspective qu’est pratiquée la religion : trouver la consolation à tout son désespoir. Les personnages de cette trilogie cherchent à donner un sens à leur vie. Les deux premiers volets, Paradis : Amour et Paradis : Foi se terminent dans le désespoir. Les deux héroïnes devront-elles reprendre à zéro tel Sisyphe, ou sortiront-elles grandies de leurs expériences ? Elles en ressortiront grandies. Il n’y a pas de message de salut du genre « il faut faire comme cela pour aller mieux » ; au centre de mes films, on retrouve les expériences qu’elles vivent et qui, on peut l’espérer, les feront avancer. En même temps, nous savons combien il est difficile d’apprendre. L’humanité n’apprend guère.

Le dernier film, Paradis : Espoir, traite d’adolescents, un âge où il est essentiel d’apprendre. Cette nouvelle génération est-elle pour vous synonyme d’espoir ? Je pense effectivement qu’en général, les jeunes ont un plus grand potentiel d’espoir. En tant que jeune, le monde vous est ouvert, vous avez encore beaucoup de possibilités d’accomplir quelque chose, de faire des choix. Les opportunités sont encore nombreuses, leur chiffre diminue avec l’âge. Vous voulez faire réfléchir le public plutôt que de le divertir. Pensezvous que la fin de la culture va de pair avec l’avènement d’une culture du divertissement, tel que l’écrivait Adorno dans sa Dialectique de la Raison/ Industrie Culturelle ? Il y a de l’humour, dans mes films, et du rire, heureusement. Ce qui m’intéresse toujours, ce sont les recoupements entre l’humour et ces moments qui vous font froid dans le dos. L’humour non pas comme une forme de divertissement, mais comme quelque chose dont on peut et doit rire, mais c’est un rire qui vous reste en travers de la gorge. Votre prochain film s’attaquera-t-il de nouveau à un tabou ? Ce n’est pas ma démarche. Je ne me demande pas quel sujet je pourrais aborder afin de briser un tabou ; je choisis un sujet qui m’intéresse et une histoire que je souhaite raconter. C’est en creusant la réalité qu’émergent des choses précédemment enfouies, brisant ainsi les tabous. AUGENBLICK, festival du cinéma en langue allemande du 13 au 29 novembre en Alsace. www.festival-augenblick.fr

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Par Emmanuel Abela

Voici

l’Homme

Chia, 1973, archivio fotografico Cinemazero, Pordone Italy / Fondo Deborah Beer

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La coïncidence est presque fortuite : Pier Paolo Pasolini se voit consacrer une série de publications, une rétrospective et des rééditions. L’occasion de s’interroger à la fois sur le parcours de cette figure essentielle et sur la dimension sacrificielle d’une œuvre plurielle.

Pier Paolo Pasolini a vécu toute sa vie avec la prémonition intime de sa propre disparition. Est-ce le confinement avec sa mère et l’assassinat de son frère Guido à la fin de la guerre qui l’amenèrent au « sentiment perpétuel de [son] propre cadavre » ? Rien n’est sûr. Quoi qu’il en soit, il mesurait « le risque, continuel, de perdre la vie », et de la perdre dans des conditions atroces. Dans les cahiers autographes qu’il signe entre l’été 1946 et l’automne 1947, il précise la nature de ce risque, un fantasme formulé plus tôt, sans doute avant la puberté : « Je crois que [ce fantasme] fut suscité par l’image d’un Christ crucifié. Ce corps nu, juste recouvert d’une bande étrange sur les flancs provoquait en moi des pensées qui n’étaient pas ouvertement illicites. (…) Puis, dans mes rêveries, apparut le désir urgent d’imiter Jésus, dans son sacrifice pour les autres hommes : le désir d’être condamné et tué, malgré mon innocence totale. Je me voyais crucifié. (…) Ce martyre public finit par devenir une image voluptueuse ; et, progressivement, je me retrouvai cloué, le corps entièrement nu. (…) Les bras ouverts, les pieds et les mains cloués, j’étais sans défense, perdu. » (Douce et autres textes, Actes Sud, p.22) Dans la scène saisissante de la Crucifixion dans L’Évangile selon St Matthieu (1964), ça n’est pas la mort du Christ qu’il met en scène, mais c’est bien son propre sacrifice sous les yeux de sa mère, Susanna, dans le rôle de Marie au pied de la Croix. Dans le documentaire qui accompagne la réédition du film en DVD chez Carlotta, il effectue des repérages pour un éventuel tournage sur les lieux mêmes des événements relatés dans les Évangiles : le Jourdain, le lac de Tibériade, Capharnaüm, le Golgotha. Il est frappé par la vision première d’un paysage « industriel et moderne » qui lui

rappelle l’Italie, avant de découvrir un « monde biblique archaïque » qui le fascine. « Ici, j’ai eu la sensation d’une grande modestie, de petitesse, de grande humilité », dit-il en voix off, avec douceur. Mais que cherche-t-il au juste qu’il ne connaisse déjà ? Cette forme de désolation, il l’a déjà rencontrée dans des lieux abandonnés de la Calabre ou des Pouilles ou dans les terrains vagues de la proche banlieue de Rome. Il cherche les traces d’une figure, absente, envolée, mythifiée, dont il ne reste que la parole évanouie. Quand dans Mon cher Journal, Nanni Moretti s’aventure spontanément à Vespa sur la route en bord de mer n’en fait-il pas autant ? Loin de chercher à fétichiser le lieu d’une mise à mort, sur la plage d’Ostie, près d’un terrain de foot – ce sport que Pasolini affectionnait tant –, il situe la permanence d’une voix : une voix rugissante qui exprimait la rage ; une voix rayonnante en quête de réel ; une voix généreuse qui nous rapprochait du sacré. une voix meurtrie qu’on a cherché à faire taire par la violence, mais qui émerge avec la même force pour nous rappeler à la vigilance. Une exposition et une rétrospective à la Cinémathèque, des rééditions aussi bien au cinéma qu’en DVD, de nouvelles publications, nous disent l’urgence de cette voix-là qui nous parlait hier, mais qui continue de nous parler aujourd’hui encore. L’exposition tout d’abord, à la Cinémathèque à Paris, qu’il semblait presque aventureux de baptiser Pasolini Roma, tant on associe la ville éternelle à Fellini et au titre du film qui s’y apparente – c’est naturellement occulter le fait que le fameux Fellini Roma reprend lui-même les éléments du titre Mamma Roma (1962). Deuxième constat : on n’associe guère Pasolini à la ville de Rome. Il y a vécu bien sûr, mais il est loin d’être un cinéaste de la ville, même si ses images des quartiers populaires qui environnent les ruines Caracalla, on ne les doit qu’à lui. Et puis, il reste cette dernière image de Mamma Roma, qui oppose, après la “crucifixion” de son fils, une Mater Dolorosa face à l’immensité de la ville, face à sa destinée aussi. Pasolini est le cinéaste de la périphérie et d’un peuple qui le passionne : il y a cette jeunesse désœuvrée qui erre dans la banlieue, mais il y a aussi cet « homme moyen italien » pour lequel il exprime « un amour inconditionnel ». Dès lors, la ville lui sert de cadre pour ses premiers films Accatone (1961) et Mamma Roma qu’il situe lui-même dans la continuité du néo-réalisme de Vittorio de Sica, avec d’emblée ce basculement vers le sacré, qu’il explore dès L’Évangile. 53


L’exposition s’attache à la diversité des approches de cet artiste pluriel : poésie bien sûr, cinéma, peinture, théâtre et journalisme. Elle situe les lieux mêmes de la création, que ce soit Via Fonteiana ou Via Giacinto Carini à la fin des années 50 ou plus tard, dans la maison qu’il partage avec Alberto Moravia à Sabaudia, à proximité de Rome, ou dans celle qu’il se fait construire contre la tour médiévale de Chia, une ruine qu’il avait filmée dans L’Évangile. Elle livre sa part de trésors, notes, lettres, photos de tournage et instants d’intimité comme ces images de Pasolini photographié par Henri Cartier-Bresson dans le quartier du Mandrione. À elle seule, cette dernière résume ce qui anime Pasolini : un profond amour de l’homme et sa lutte pour la reconnaissance de ce qu’il appelle le sous-prolétariat. Dans une autre image qu’on retrouve dans le catalogue publié chez Skira Flammarion – superbement mis en page ! –, le cinéaste se mêle en costume aux Ragazzi di vita, d’après le titre de son premier roman, pour une partie de football engagée sur l’un des terrains vagues de la Borgata Quarticciolo. Autour de lui, les adolescents rient, sans doute amusés de voir un citadin si bien habillé ne pas résister à l’appel du ballon. La scène est touchante, elle porte pourtant en elle un drame latent. Pasolini n’est cependant pas seulement un homme de la ville. Il n’a d’ailleurs cessé de la quitter pour explorer d’autres espaces dans des films comme Œdipe Roi (1967) ou Médée (1969) : des espaces vierges – le Maroc où ils sont restés deux mois pour Œdipe – qui contiennent leur propre part de mythe. Pasolini y développe plus encore ce « cinéma de poésie », qu’il enrichit de ses connaissances en linguistique ; il tend vers le sacré mais dans un mouvement inverse il retourne à la source, l’enfance. Dès Mamma Roma, il évoque cet amour immodéré pour sa mère, tout en faisant référence à l’interdit, mais il cherche autre chose : ce sentiment de pureté absolue qu’on retrouve dans certains de ses poèmes de jeunesse, au moment où il cherchait à représenter ce qui l’environnait dans le Frioul : le monde primitif pastoral. Et pourtant, derrière l’innocence le drame sourd avec la mort de son frère, assassiné le 12 février 1945, et dont le sacrifice est lui aussi associé à la figure du Christ.

Pasolini photographié par Henri Cartier-Bresson, Rome 1959, Biblioteca Nazionale Centrale di Roma

Et voilà, ce monde N’est pas pour toi, Il est pour nous. Et tu n’es pas pour toi-même Mais pour nous. Et cette différence est trop grande Pour pouvoir être jamais pensée : Et nous restons comme l’herbe dans le pré Et les nuages au ciel. Ô frère, Tu restes, pour nous : Si nous ne pouvons plus toucher ton corps, Que savons-nous de toi ? Ton martyre, ton amour, ton sang, Oh Christ. (Chœurs pour la mort de Guido dans Adulte ? Jamais, p.61)

Ou plus loin, dans un poème découpé en Incarnation, Passion, Mort et Résurrection : Aussitôt la mort limite Le temps, la lumière, le soir. Une petite feuille tombe, Le monde entier se meurt. (À mon frère, p.67)

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Les poèmes de cette époque sont également traversés par la haine du père, figure autoritaire qu’il renvoie au fascisme honni, et par la tentation œdipienne irrépressible, qui s’appuie sur une farouche inclinaison protectrice : se sauver soi, et sauver sa mère. Qu’ai-je fait enfant dans la mousse noire Dans la peau moite et morte du soleil ? Tué mon père et embrassé ma mère Dans le sein noir de Casarsa l’étouffante ? (Casarsa, p.73)

Et puis, il y a le corps, ce corps plein de vitalité qui dicte sa propre loi, dans un joyeux mouvement. Ce corps que Pasolini n’a eu de cesse de magnifier dans ses poèmes, mais aussi dans ses films. Ce corps dont il a souhaité se libérer de la contrainte au point de lui consacrer un cycle entier, la Trilogie de la Vie, Le Décaméron (1970), Les Contes de Canterbury (1971) et Les Mille et Une Nuits (1973). Dans un texte célèbre, reproduit intégralement dans le catalogue Pasolini Roma, il fait un

étrange aveu, celui d’avoir été instrumentalisé. S’il admet la « sincérité » dont il a fait preuve dans sa manière « de représenter les corps, et leur symbole principal, le sexe », il voit dans la libération sexuelle l’un des avatars désastreux de la société de consommation, et situe clairement les enjeux politiques sous-jacents de ce qu’il considère comme une « fausse tolérance ». D’où son Abjuration de la Trilogie de la Vie, finalement publiée quelques jours après sa mort dans le journal Corriere della Sera. Entre-temps, il a tourné Salò et les 120 Journées de Sodome, en soi un film qui abjure non seulement ses réalisations précédentes, mais aussi une partie de son œuvre, insistant pour l’occasion sur le drame de sa vie toute entière : la résurgence du fascisme. En cela, Salò ne peut être envisagé qu’en regard des Écrits Corsaires, une série d’articles polémistes que Pasolini a publiée entre janvier 1974 et février 1975 dans le Corriere della Sera : il y expose sa vision d’une société occidentale, embourgeoisée, qui court à nouveau à sa perte au point d’embrasser les nouvelles formes de l’idéologie fasciste. Ce qu’il montre dans Salò n’est pas tant un retour sur le passé – même si le poids demeure – que l’annonce de temps futurs. La démarche était courageuse, certains diraient suicidaire ; elle a conduit à la mise à mort du poète, telle qu’il la fantasmait lui-même. En cela, sa venue à Ostie pour y retrouver son “assassin” de 17 ans, le jeune Giuseppe Pelosi, est plus qu’un simple signe du destin, elle constitue en soi un sacrifice conscient sur l’autel de l’Italie et de l’humanité toute entière. Ah ce n’est pas pour moi cette beauté de cristal, ce printemps amer : un cri, même de joie, et je serais vaincu. (Je referme les volets et laisse le monde seul, avec son ciel d’argent). (Dal Diaro dans Je suis vivant, p.37)

PASOLINI ROMA, exposition du 16 octobre au 26 janvier à la Cinémathèque, à Paris ; catalogue co-édité par Skira Flammarion et la Cinémathèque. www.cinematheque.fr Pier Paolo Pasolini, Adulte ? Jamais, Poèmes choisis, présentés et traduits par René de Ceccatty, Points Mamma Roma, Médée, Salò ou les 120 Journées de Sodome, au cinéma en copies restaurées, L’Évangile selon St Matthieu, réédition en DVD augmentée du documentaire Repérages en Palestine.

Pier Paolo Pasolini, Autoritratto con fiore in bocca, 1947

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Par Claire Tourdot & Emmanuel Abela Photos : Bernard Plossu

De corps

et d’âme Objet de représentations, le corps est de nos jours un écran identitaire (sur) exposé. À l’occasion de la performance Exhibit B, de l’artiste sud-africain Brett Bailey au Maillon, David Le Breton, anthropologue et spécialiste des mises en jeu du corps, éclaire les dérives et possibilités de notre corporalité. Dans le Nouveau Testament, on peut lire « ceci est mon corps ». Ne serait-ce pas là le point de départ de la culture de l’image en Occident ? Le premier corps montré, parce qu’incarné, ne serait-ce pas celui du Christ ? C’est une question immense ! Il faut dire qu’il y a un statut très différent du corps dans la tradition juive et dans la tradition chrétienne. Dans la tradition juive, on peut dire que le corps n’existe pas, il n’y a pas de mot pour désigner le corps dans la langue originelle de la Bible. C’est par contre dans la traduction grecque que cette notion va apparaître. Le christianisme opère la descente et l’incarnation d’un dieu sur terre, l’imposition et la résurrection de la chair. Il y a une sorte de concrétude dans la figure de Jésus qui impose le corps avec « ceci est mon corps », « ceci est mon sang ». Et puis le Christ est aussi le corps d’un homme qui naît, qui vit, qui mange, qui boit, qui souffre, qui meurt... infiniment proche du nôtre ! C’est une résurgence du dualisme qui va opposer le corps à l’esprit.

Ce corps-là on l’exhibe ! C’est en effet un corps exhibé qu’on a tous vu dans nos salles de classe, les églises, les cimetières, à l’entrée des villages... on y retrouve d’innombrables croix ! Notre société occidentale baigne dans cette image douloureuse du corps qui a engendré un certain dolorisme de la tradition chrétienne. Ceci dit c’est un dolorisme qui avait ses raisons d’être à une époque où il n’y avait aucun autre moyen de juguler la douleur qu’en s’en remettant à Dieu. On peut critiquer le dolorisme du christianisme et particulièrement du catholicisme à partir du moment où on invente d’autres manières de soulager sa douleur. Mais avant cela, la symbolique engendrée par la mort du Christ sur la croix était d’une prodigieuse efficacité. En attestent les grands textes de Blaise Pascal dont la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies. Loin de se lamenter sur son sort, Pascal nous dit combien il est heureux de souffrir parce que cela le rapproche de Dieu. On voit bien combien il pouvait y avoir une forme d’antalgique symbolique dans le fait de se représenter à l’image de Dieu et dans le sentiment de prendre sur soi, d’alléger la souffrance du Christ.

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On donne au corps « exhibé » sa pleine dimension au cours du XXe siècle. Comment s’est opéré ce basculement entre corps jusque là caché puis exposé ? C’est une histoire qui commence au début du XXe siècle avec les surréalistes et Tristan Tzara. Il y avait un certain interventionnisme social : ces hommes aimaient faire des démonstrations au regard des autres et Tzara faisait ce qu’on peut appeler aujourd’hui des performances. C’est véritablement à la fin des années 50 que naît la forme de performance contemporaine avec Jackson Pollock. L’artiste se jette sur sa toile et soudain le corps fait irruption dans l’histoire de l’art. Peut-on expliquer cette nécessité de laisser apparaître le corps dans l’art et que ce corps fasse œuvre à lui tout seul ? Il y a avant tout une volonté de renouvellement de la scène artistique avec le sentiment qu’énormément de choses ont déjà été faites. Durant les années 50, la Beat Generation va préluder à la mouvance hippie et donc aussi à une certaine réinvention du corps. Des hommes comme Jack Kerouac, Neal Cassady, Allen Ginsberg vivent intensément leur sexualité. La Beat Generation est une époque de décrochage, une volonté de se réapproprier son existence à la première personne dans un contexte politique particulier avec la guerre du Vietnam, la lutte pour les droits civiques sous Kennedy, le féminisme, les droits homosexuels,... D’ailleurs, « mon corps, mon choix, ma liberté » est un slogan féministe ! Orlan met cela en pratique au début des années 60 en bouleversant l’image de la femme bonne épouse avec des performances magnifiques à mes yeux comme le fameux Baiser de l’artiste quand Orlan accepte d’être embrassée par n’importe qui moyennant cinq francs. D’autres artistes sont plutôt tournés vers les notions de limite, du risque et de la mort comme Chris Burden. Dans Shoot, il se fait tirer dans le bras par un de ces amis. On retrouve là l’idée de créer une œuvre instantanée, que l’œuvre ne soit pas cantonnée à une toile mais se répande dans la vie et qu’elle contribue à la transformer. Le corps devient en quelque sorte un objet de la vie courante parmi les autres... Chez Burden, Orlan ou encore les actionnistes viennois c’est véritablement le cas. Ils s’adonnent à des orgies sur scène, ils boivent de la pisse, se maculent de merde, se masturbent ou ont des relations sexuelles entre eux. Ils vont très loin dans la mise en danger de soi, dans l’utilisation de leur corps comme un pur objet. Ainsi, Burden se dissocie de son corps et le jette en pâture au public. La prise de risque est très présente dans le Body Art tout comme le jeu avec la douleur. Dans les années 1970, Gina Pane considérait qu’elle devait prendre toute la souffrance du monde sur elle, que les artistes étaient des guérisseurs. Ses performances dénonçaient la violence faite aux femmes en mettant les spectateurs à mal. Quand elle se maquille avec des lames de rasoirs elle veut montrer la souffrance que subit une femme qui est contrainte de veiller en permanence à son apparence. L’homme, lui, s’en fout complètement mais va par contre juger une femme qui n’est pas suffisamment maquillée à ses yeux.

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Tous ces exemples nous montrent que le corps peut être instrumentalisé. On peut user de son corps pour parvenir à ses fins, mais qu’en êtes-il d’user de celui des autres ? Comme le disait Antonin Artaud, chacun est libre de la douleur qu’il est susceptible de s’infliger. Je crois que l’on n’a pas à juger cela mais en revanche il y a une limite fondamentale quand il s’agit d’intervenir sur le corps des autres. C’est celle de la responsabilité, du consentement de la personne qui prête son corps comme un objet. Dire que les prostituées sont libres de vendre leur corps cela me paraît être une extrême violence faite à la majorité des prostituées. Ce n’est pas parce que quelques unes font cela pour le plaisir ou pour l’argent que l’ensemble des femmes est dans cette circonstance. Je crois qu’il y a une majorité de personnes qui sont dans l’oppression à cet égard. La notion de consentement me paraît contestable selon les performances. Par exemple chez Brett Bailey dans Exhibit B, on a affaire à des hommes qui sont volontaires, qui acceptent des situations incommodes pendant des heures et sont rémunérés pour ça. C’est leur boulot et ils le revendiquent. L’art est une pratique périlleuse ! Le danger fait partie de l’art puisque l’art a toujours été une prise de risque. Il faut distinguer la prise de risque physique que prend Gina Pane ou Burden de la prise de risque symbolique. Un artiste qui fait une performance court le risque de se tourner en ridicule, de n’avoir aucun succès : il risque son estime de soi ! On a vu des hommes et des femme sombrer dans des déprimes sans fin parce qu’ils n’avaient plus de succès, parce qu’ils avaient l’impression que leur talent leur échappait. Tout artiste est profondément exposé. Aujourd’hui on vit dans l’omniprésence du corps à la télévision ou sur Internet. Certains artistes craquent face à cette surexposition, ils revendiquent leur droit à l’intimité. Bon nombre d’artistes se reconnaissent bien dans cette démarche là, ils y gagnent en notoriété mais d’autres peuvent craquer. On a l’exemple du suicide de Lolo Ferrari, une femme extrêmement émouvante, beaucoup plus fine que l’image qu’on peut avoir


d’elle. C’était quelqu’un d’enfermé dans son personnage tout comme Marylin Monroe. Certains artistes vont se briser face au sentiment de vieillissement alors que d’autres comme Madonna ou Catherine Deneuve vont parfaitement jongler avec leur image et le temps. On peut penser au film Boulevard du crépuscule de Billy Wilder qui reste légendaire sur le sujet de la difficulté de vieillir quand on a été une star adulée. Le succès, la reconnaissance ne suffisent pas toujours. On ne peut pas généraliser : tout le monde n’a pas la sagesse d’une Jeanne Moreau. La question du regard – et du regardeur – a aussi son importance. Un artiste est en permanence sous le regard des autres. Ce sont des hommes et femmes publiques qui sont plus exposés que d’autres, plus vulnérables. Ils vivent finalement grâce à ce regard extérieur et quand celui-ci cesse, ce peut être le début d’une chute libre. Est-ce à partir de ce moment là où l’individu n’est plus sous le regard des autres qu’on peut parler d’existence niée ? Bien sûr, mais il faut toujours rappeler l’ambivalence de la condition humaine. Dans les mêmes circonstances on a

des personnes qui s’effondrent mais d’autres vont développer une sorte de sagesse. Tout dépend de notre faculté de résistance : il faut être tendu devant les événements et ne pas seulement se laisser porter par son destin. Il y a un effort à faire sur soi, une manière de transformer le malheur en chance. Même au cœur de l’abîme, rien n’est jamais fini, il y a toujours quelque part une façon de rebondir. Dans le cadre du théâtre, l’identité du comédien est troublée puisque il est lui-même une personne mais joue aussi un personnage. Comment expliquer ce dédoublement corporel dans l’espace scénique ? Ce dédoublement est aussi présent dans la vie réelle puisque certaines personnes sont d’habiles manipulateurs. Le comédien est donc une sorte de professionnel de ce que nous vivons de manière intuitive dans la vie courante. Il a appris des techniques du corps et des techniques d’expressions des émotions qui en font à mes yeux un formidable sociologue du corps. Il a parfaitement compris que pour exprimer un sentiment il faut avoir telle mimique, tel mouvement ou intonation. L’art du comédien est de nous faire voir des émotions qu’il ne ressent absolument pas en nous

en donnant tous les signes extérieurs. Nous, spectateurs dans la salle, sommes bouleversés ! Alors que si tout à coup le comédien oublie son texte ou fait un faux pas, l’illusion se dissipe complètement. L’enchantement du théâtre vient du fait que l’acteur inscrit son jeu dans les codes sociaux de sa société. Le visage est une partie du corps qui fait le lien entre l’intériorité et la corporalité. Pouvez-vous nous expliquer cette ambivalence ? Le visage est le lieu de notre identité, le lieu où nous nous reconnaissons et où les autres nous identifient à un sexe, un âge, une qualité de séduction, à une couleur de peau,... mille choses qui nous catégorisent d’emblée dans l’interaction avec l’autre. Le visage est aussi à la fois amour et haine. Quand on tombe amoureux de quelqu’un, c’est le visage de l’autre qui nous émeut et un certain nombre d’écrivains ont dit que faire l’amour c’était essayer de rejoindre le visage de l’autre beaucoup plus que de rejoindre son corps. Le visage est donc le lieu de l’âme mais d’un autre côté, ce n’est pas pour rien que le racisme est une profanation du visage, une réduction de l’autre à un portrait robot. Il y a là une mise à mort symbolique ! Emmanuel Levinas dit que le visage 59


est ce qui nous interdit de tuer et en même temps on peut dire que c’est ce qui provoque la mort d’énormément de gens aux quatre coins de monde à travers les massacres ethniques, la typification d’emblée. Voilà le danger du visage : il est notre extrême singularité et notre extrême fragilité. Et puis, la difficulté de vieillir et de ne plus se reconnaître dans son visage est un moment très douloureux dans la vie d’un homme. Au fil du temps, on a l’impression de devenir une personne autre. Chez des écrivains comme Proust, on retrouve souvent un moment de bascule que marque la rédaction de textes autobiographiques, comme une manière de faire renaître le « visage de référence ». Celui dans lequel on s’est reconnu au fil de son existence, celui qui disparaît doucement.

Finalement, le corps comme apparence joue un rôle considérable dans notre société contemporaine. L’image qu’on donne aux autres est décisive de la manière dont on est reconnu. Elle alimente notre statut social de même que l’intériorité est souvent mise à mal par cette puissance de l’extériorité. Aujourd’hui, les gens se mettent tellement à l’extérieur d’eux-mêmes à travers leur look qu’effectivement leur intériorité est quelque peu vacante. La présence permanente du portable, notamment chez les nouvelles générations, est une manière d’éjecter l’intériorité parce qu’on ne veut pas se plonger en soi-même. On est dans un monde de remplissage et on oublie de s’interroger sur le sens de notre présence au monde. Il y a peut-être un équilibre à atteindre entre corps et esprit ? Ce serait une forme de sagesse du quotidien de ne jamais oublier notre incarnation et la saveur du monde au sens métaphorique où on aime la vie, où on goute la vie, où on a la vie dans la peau d’une certaine manière. En même temps pour moi, l’existence est une pensée permanente sur notre présence au monde : l’énigme de la nuit, de la pluie, le bonheur de plonger dans un lac et de se demander d’où ça va, d’où ça vient,... autant de questions qu’on peut se poser qu’on soit croyant ou non. C’est ça la spiritualité ! Etre à l’écoute du monde et non dans le remplissage permanent. Un retour en arrière ou un inversement des valeurs serait-il possible ? C’est difficile de penser en terme de pendule car la condition humaine est beaucoup plus compliquée. Il y aura toujours un certain nombre de gens qui seront dans l’exhibition de leur corps, dans le narcissisme mais d’innombrables autres personnes auront une volonté de discrétion. C’est cela la pluralité du monde : tout coexiste ! Ce qui est fondamental, c’est que chacun puisse continuer à vivre selon ses idées sans entraver celles des autres. La démocratie c’est la libre circulation des différences et non l’imposition d’une différence aux autres. Le corps est donc aussi universel qu’il est déclinable ! Oui, le mot « corps » s’écrit au pluriel tout comme « voix » d’ailleurs ! C’est tout à fait étonnant que des hauts lieux de notre identité s’écrivent comme ça. Cela montre que nous n’avons pas le même corps de la naissance à la mort. Chaque être humain a des milliers de corps possibles que seules actualisent des circonstances précises. Et si on se balade d’une société à une autre cela devient absolument fabuleux : il y a des milliards de manière d’avoir un corps ou d’être son corps. CORPS MONTRÉ, EXHIBÉ, INSTRUMENTALISÉ JUSQU’AU DÉNI D’EXISTENCE, conférence par David Le Breton le 25 novembre à 20h30 au Centre Mounier à Strasbourg. www.maillon.eu Ouvrages à consulter : L’adieu au corps, Métailié, 2013 Anthropologie du corps et modernité, PUF, 2013 Une brève histoire de l’adolescence, Béhar, 2013 Éclats de voix. Une anthropologie des voix, Métailié, 2011 La saveur du monde. Une anthropologie des sens, Métailié, 2006

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Par Caroline châtelet — Visuel : Sofie Knijff

Exhibit B Avec Exhibit B, Brett Bailey interroge l’histoire passée et contemporaine de nos sociétés postcoloniales. En juillet dernier, lors du Masque et la plume – émission de France Inter consacrée à la critique, qu’elle soit cinématographique, littéraire ou dramatique – enregistré au festival d’Avignon, les critiques dramatiques ont évoqué Exhibit B de Brett Bailey. Parmi les points de vue sur cette installation inspirée des expositions coloniales, celui de Vincent Josse tranchait : « c’est épouvantable, (…) je trouve ça monstrueux, c’est TFI qui vous présente l’esclavage. C’est un raccourci, une absence totale de perspective historique. On vous culpabilise. (…) Des institutions comme le Quai Branly essaient de faire des mises en perspective, d’expliquer des cultures différentes en prenant moult précautions (...) là on nous fait des tableaux humains avec des noirs en cages. (…) Ce spectacle est dégueulasse, (…) c’est du tire-larmes et de la manipulation d’émotions ». Audelà d’un accord ou d’un désaccord avec Vincent Josse, ses arguments sont éloquents et disent bien à quel point Exhibit B appuie là où ça fait mal. Le rejet du journaliste – fondé sur un refus de la culpabilisation et un sentiment d’agression –

rappelle à quel point l’histoire coloniale est un sujet sensible. Annoncé comme présentant un « ensemble d’œuvres qui se concentre sur l’histoire coloniale de divers pays européens », utilisant les codes de la muséographie, des cimaises aux cartels en passant par les gardiens, Exhibit B a les atours d’une exposition lambda. Sauf qu’installer des personnes d’origine africaine dans des situations renvoyant à des cas réels de la colonisation, de la domination, de l’extermination et de l’exploitation des populations africaines par les européens n’a rien d’anodin. Au rapport de pouvoir de fait – le visiteur décidant du temps consacré à chaque œuvre – les figurants opposent une interpellation silencieuse et dévisagent méthodiquement tout spectateur passant à leur proximité. Mais la culpabilisation éprouvée par Vincent Josse n’existe que pour celui qui la prend comme telle : oui, ces figurants nous observent, mais n’est-ce pas le moins qu’ils puissent faire ? Libre à chacun d’interpréter ce regard, comme une accusation muette, ou comme un rappel de la position de force établie entre le visiteur et eux… La réussite d’Exhibit B réside d’ailleurs dans l’ambiguïté qui traverse l’ensemble. Le ton froid et cynique des cartels (« trophées ramenés en Europe du Congo français. Techniques mixtes : cartes, divers trophées, tête d’antilope, deux pygmées (artefacts culturels), vitrines, accessoires anthropologiques, spectateur(s) ») – incluant dans leur dispositif la place du spectateur – tout comme l’indéniable beauté formelle viennent contrebalancer la seule émotion. Œuvrant comme une redoutable caisse de résonance, la maîtrise esthétique et l’ironie grinçante évitent le moralisme et rappellent que la violence faite aux étrangers se fonde sur des pensées extrêmement élaborées et soignées. Qui sont loin d’avoir disparu, comme le prouve les « objets trouvés » jalonnant l’exposition : réfugiés africains en attente ou en cours d’expulsion. EXHIBIT B, théâtre-performance du 3 au 7 décembre à la brasserie Schutzenberger à Schiltigheim. www.maillon.eu

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Propos recueillis par Sylvia Dubost — Photo : Pascal Bastien

L’espoir

Julie Brochen, directrice du TNS, s’empare de Liquidation d’Imre Kertész, écrivain hongrois et prix Nobel de littérature en 2002. Un récit polyphonique autour du personnage de B, écrivain suicidé, rescapé d’Auschwitz, dont l’éditeur et ami est persuadé qu’il a laissé un chef d’œuvre. Un texte dense et indispensable, qu’il lui paraît crucial de partager.

Il paraît que ce livre vous est tombé dessus… Ça, c’est la version romanesque ! Cela fait trois ou quatre fois que j’ai besoin de relire Être sans destin. C’est un texte qui m’a soutenu. Je considère Kertész comme un auteur magistral du XXe et XXIe siècle. Quand j’ai repris Être sans destin, Liquidation est tombé de l’étagère, donc je l’ai relu aussi. Ce petit texte m’est apparu comme une nécessité au moment où j’ai eu besoin de me recentrer sur l’essentiel. Il concentre les faisceaux des choses les plus primordiales et met la littérature au centre de nos vies. « L’homme vit comme un ver mais écrit comme un Dieu », dit l’un des personnages. Je suis très proche de ce qui est dit dans ce texte sur la littérature : ce sont les textes qui me font aimer le monde dans lequel on vit. Je me sens dans la nécessité de descendre dans la mine et de me confronter au charbon des mots. Et puis c’est un texte qui parle de théâtre, dont Kertész voulait faire une pièce sans y parvenir, alors je suis heureuse qu’il revienne finalement au théâtre. Et en le relisant, je voyais toute la troupe dedans.

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Liquidation est une quête métaphysique. On ne peut s’empêcher de lire Kertész dans le personnage de B. Lui se défend du côté autobiographique. Tout est une fiction, ce qu’il croit est plus vrai que ce qu’il vit. J’adore sa position par rapport à la fiction, il lui donne un sens premier. On a tendance dans le langage à considérer les fictions comme secondaires, dans un souci de réalité qui est faux. Mais la réalité a plus à voir avec la fiction et la poésie que des formes réalistes en demi-teinte. Ce roman dont il est question dans le texte existe parce qu’on croit qu’il existe. C’est un texte très court, très dense, mais aussi très sombre… Ce qui est sombre c’est l’expérience d’Auschwitz, mais ce qui est incroyable c’est sa position d’auteur. Pour moi sa parole est aussi forte que celle de Kant, de Jankelewicz. Kertész écrit œuvre à partir de cette expérience, et son écriture me saisit totalement et profondément : j’ai envie que tout le monde le lise. Il faut qu’on arrive à construire notre vie commune à partir de cette histoire de destruction. En même temps, ce bébé qui nait dans un camp de concentration, si ce n’est pas un espoir… Ce bébé c’est B et il finit pas se suicider… Peut-on encore parler d’espoir ? Le suicide est une béance. Je pense que c’est un choix, qui laisse tout le monde dans une absence de sens, et il devient fascinant pour les gens de théâtre. Kertész questionne notre humanité la plus profonde, notre capacité d’imaginaire, notre capacité de révolution. B a envie de se libérer en se donnant la mort. Et tous les personnages le portent en eux, comme on porte un auteur. La lucidité de Kertézs n’est pas du tout sombre, elle est rayonnante ; sa parole n’est pas nihiliste, elle porte un espoir.


Comment travaille-t-on un tel texte ? Avec humilité. J’ai peur d’être en deçà de ce qui est écrit. Trouver des idées est ce qu’il y a de plus facile. Il faut faire attention à ne pas en faire une chose didactique. Kertész n’est jamais dans la plainte, parce qu’il raconte certaines choses de manière très pragmatique. Il faut avoir une distance pour pouvoir le jouer. Et si on commence à avoir un avis, à chercher à éclairer le texte, on va être en deçà de ce qu’il propose. Quel sens cela a-t-il de monter aujourd’hui ce texte, alors que vous allez bientôt quitter le TNS ? Je n’ai pas monté ce texte pour faire un effet. C’est un hasard qui n’est pas pour me déplaire mais ce n’est pas la raison. Cela n’a pas de sens particulier, si ce

n’est le fait d’accomplir quelque chose avec la troupe : j’avais envie de la troupe entière dans ce texte. C’est une déclaration d’amour à cette équipe car ils ont portés toutes les histoires pendant six ans et ils l’ont fait merveilleusement. Je suis très fière du travail qu’on a fait ici. Est-ce que c’est plus difficile que d’autre ? Non, chaque projet a son évidence, sinon il ne faut pas le faire. Je me suis mise au service de ce projet, je n’en ai pas douté un moment. Je n’aurais rien pu faire d’autre. Cela ne m’effraie pas que ce ne soit pas un texte de théâtre. C’est la rencontre avec des écritures qui décide des projets. Tout est possible au théâtre, dans la mesure où il y a nécessité de le faire. LIQUIDATION, pièce de théâtre du 29 novembre au 19 décembre au Théâtre National de Strasbourg. www.tns.fr

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Par Caroline Châtelet — Photo : Marc Cellier

Renouveau théâtral

Âgée de trente-huit ans, Célie Pauthe a pris en septembre la tête du Centre Dramatique National (CDN) de Besançon. Rencontre avec une metteuse en scène désireuse de partage.

Pour qui n’a pas eu vent des troubles ayant secoué le CDN de Besançon – et qui se sont soldés par le départ du directeur Christophe Maltot un an et demi après son arrivée – l’éditorial de cette saison peut sembler étrange : pourquoi diable Vincent Adelus, directeur par intérim ayant préparé la saison 13-14, répète-t-il par sept fois « nous allons aimer » ? Peut-être parce que au-delà de son côté méthode Coué, cet optimisme insistant énonce la fin de la crise liée à l’épisode Maltot. Comme le revendique la nouvelle directrice Célie Pauthe, il importe désormais d’aller de l’avant : « L’équipe est attachée à ce théâtre, à ses missions et est désireuse d’une nouvelle aventure. Sans mettre cette histoire sous le tapis, j’ai envie de considérer qu’elle est derrière nous. Comme Vincent Adelus l’a dit, cette crise était humaine et relationnelle, mais en aucun cas politique, économique ou artistique ». Une précision rappelant que ni l’existence du lieu, ni le cœur du projet du CDN – la création –, n’ont été remis en question. C’est d’ailleurs cette mission essentielle qui est à l’origine du désir de Célie Pauthe de diriger un théâtre. Artiste associée au Théâtre national de la Colline, à Paris, depuis 2010, elle y a découvert « comment la force d’une équipe, le partage artistique au sein d’un lieu, le croisement de différents artistes sont fructueux et dynamisant pour la création ». Quant à l’envie de postuler à Besançon, ce souhait plus intime se fonde « sur un faisceau de raisons. Comédien, mon père a travaillé ici lorsque j’étais pré-ado à la fin des années 80. Il a notamment

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créé un spectacle à la scène nationale, à Planoise, et a été acteur un ou deux étés dans la troupe du Château de Joux. J’ai toujours aimé cette région et son histoire philosophique, politique, architecturale, sociale ne m’est pas du tout indifférente. Beaucoup de souvenirs en revenant se ravivent... ». Un lien personnel qui a même précédemment contaminé son travail de metteuse en scène : marquée enfant par la Saline Royale d’Arc-etSenans, Célie Pauthe s’est pour sa mise en scène de Quartett d’Heiner Müller en 2003 inspirée « des plans de Ledoux et de son dispositif panoptique pour la cité idéale de Chaux ». Quant au Centre dramatique, venue en 2008 y présenter S’agite et se pavane d’après Ingmar Bergman, elle garde un « très beau souvenir de l’équipe, de l’accueil, du rapport scène-salle. C’est un théâtre qui me donne envie de faire du théâtre ». Nommée fin juin pour une prise de fonction en septembre, Célie Pauthe a plongé dans le bain de la saison. Qualifiant avec humour la découverte de son poste de « pédagogie par immersion », celle qui souhaite « faire du Centre dramatique un vivier, un foyer de création ouvert sur la ville et la région », ne vient pas seule. Outre l’arrivée en janvier à la direction adjointe de Claire Devins, directrice de production de sa compagnie Voyages d’hiver, des artistes rejoignent le projet, à travers différents m o d e s d’a c c o m p a g n e m e n t . L’ u n consiste en l’accueil pendant quatre ans de Maud Hufnagel. « Travaillant sur des frontières mouvantes entre arts plastiques, manipulation d’objets, construction », Maud Hufnagel sera, entre autres, partie prenante de projets en région. Autre accompagnement,


l’accueil en résidence annuelle « d’une compagnie ou d’un artiste impliqué dans la saison via des actions en direction du public ». La première à bénéficier de ce dispositif pour la saison 14-15 est Irène Bonnaud – dont les mises en scène sont passées à Dijon, Besançon, Thionville, Strasbourg. Enfin, le CDN disposant d’espaces de répétition, Célie Pauthe souhaite « donner à des équipes des outils. Le temps est une chose précieuse et pour se régénérer, s’inventer, notre art doit bénéficier de temps de recherche ». Une ouverture adressée également aux artistes francs-comtois, auxquels Célie Pauthe prête une attention particulière. « Un Centre dramatique doit générer

une vie artistique forte en région. Dès cette saison nous souhaitons aider en termes d’accueil, de prêts de salles, en administration. Aussi parce que c’est le meilleur moyen de se rencontrer ». Voilà pour le lieu. Mais qu’en est-il des projets de la metteuse en scène ? Voire, comment ses responsabilités de directrice vont-elles modeler son travail au plateau ? Si Célie Pauthe demeure prudente, elle a en tête pour une prochaine saison Ciment d’Heiner Müller. « C’est un projet qui nécessite du souffle, du temps, et il aurait tout son sens dans l’histoire d’un théâtre : ce pourrait par exemple être l’occasion de stages préparatoires, de rencontres avec des acteurs, de partenariats ». D’ici là, et avant Aglavaine et Sélysette, pièce de Maurice Maeterlinck créée en avril 2014 à Reims qui jouera au CDN la saison prochaine, les spectateurs peuvent découvrir en décembre Yukonstyle de l’autrice québécoise Sarah Berthiaume. Racontant la rencontre de personnages aux confins du Canada, ce texte a « des résonances avec ce qu’on vit, ce par quoi notre société est traversée. Sarah Berthiaume a une lecture fine, lucide et lumineuse, et il était urgent de faire découvrir son écriture ». Lorsqu’on lui fait remarquer que tous les textes qu’elle monte, de Müller à Thomas Bernhard, d’Eugène O’Neill à Ingmar Bergman, sont rares, Célie Pauthe répond : « Je n’y ai pas tellement réfléchi. Franchement, je mentirais en disant que c’est un choix politique ou stratégique. Ce sont des chemins, des rencontres et les auteurs, même morts, sont des compagnons. Étant assez lente, j’ai besoin de m’immerger dans une œuvre et les pièces constituent des portes d’accès à un continent littéraire. Après, je me suis rendue compte que plusieurs textes interrogeaient la figure de l’artiste, posaient la question du sauvetage par l’art. De quoi l’art peut-il nous sauver ? Le peut-il ? Pour moi l’art, la littérature, sont des sauvetages de l’esprit, de l’intelligence, du cœur. Les auteurs que je monte s’engagent tous dans l’acte d’écriture, et même s’ils s’affrontent à la mélancolie, à la dépression, au fond, ils partagent une pulsion de vie immense. C’est cela que j’ai envie de partager ». YUKONSTYLE, pièce de théâtre du 18 au 20 décembre au Centre dramatique national de Besançon. www.cdn-besancon.fr

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Par Caroline Châtelet — Photo : Mani Lotfizadeh

Mémoires au présent

Pour sa deuxième édition, le festival pluridisciplinaire les Vagamondes confirme, dans une programmation interrogeant en creux les questions de la mémoire et de son rapport au présent, toute son attention aux cultures méditerranéennes.

Parmi les projets mis en œuvre par Monica Guillouet-Gélys lors de son arrivée à la tête de la Filature à Mulhouse, les Vagamondes occupent une place à part. À part, oui, car qu’il s’agisse de leur rythme – offrant une grande densité de propositions sur un temps court –, de leur organisation – la Filature tissant à cette occasion plus avant des liens avec ses partenaires –, ou de leur programmation, les Vagamondes bousculent une poignée de jours la Scène Nationale. Et si ces caractéristiques, permettant de brasser différemment les genres et les gens, sont celles de tout bon festival voulu par une structure culturelle à la programmation saisonnière, les Vagamondes ont aussi leurs spécificités. Celle, d’abord, de l’aire géographique à laquelle ils se dédient et qui embrasse largement le bassin méditerranéen, de l’Italie à l’Iran en passant par l’Espagne, la Syrie, le Liban, l’Algérie ou Israël. Puis, celle émergeant de chaque programmation, ou comment des lignes de force se dégagent des diverses propositions réunies. À ce sujet, le directeur de la communication et conseiller artistique international Renaud Serraz explique que « l’édition 2013 avait en sous-titre “l’insolente créativité des pays du Sud”. Les créations étaient inquiètes et se faisaient en partie l’écho des luttes et révoltes à l’œuvre dans ces régions. Cette année, c’est au fil de la programmation que nous nous sommes aperçus que des thématiques se dessinaient. L’édition 2014 est moins ouvertement politique, elle se fonde plus sur l’héritage méditerranéen. Tous les spectacles partagent la question de la mémoire, une mémoire qui se cherche au présent, et les artistes interrogent à leur façon les liens entre tradition et modernité. » Parmi les propositions réunies qui vont du théâtre à la danse, en passant par les musiques du monde, le tango, le flamenco ou la photographie – Bernard Plossu étant notamment exposé – citons Timeloss (temps perdu) d’Amir Reza Koohestani. Là, le jeune auteur et metteur en scène iranien part de Dance on Glasses, l’une de ses précédentes pièces

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en partie autobiographique racontant la séparation d’un jeune couple. Une œuvre qui a eu lors de sa création en 2001 un fort retentissement, Koohestani précisant : « Encore aujourd’hui, quoique j’ai monté d’autres pièces, beaucoup de personnes souhaiteraient que j’écrive un texte comme celui-là. Mais je ne veux pas. Je ne sais pas exactement pourquoi. Peut-être ai-je honte de gagner de l’argent en étalant ma vie privée. (…) Le seul titre Dance on Glasses me terrifie. J’ai acquis ma notoriété, gagné de l’argent avec cette pièce, mais elle a eu l’effet d’une bombe et a dissout notre groupe [d’acteurs avec qui le spectacle a été créé, ndlr] pour toujours. C’est pourquoi je n’aime pas ce spectacle. » Se décidant plus de dix années après de revenir à ce projet, Koohestani confronte des comédiens au plateau à la captation vidéo de Dance On Glasses. Ce faisant, ce sont toutes les questions des obsessions d’un artiste – les siennes et celles que d’autres lui prêtent –, de la mémoire personnelle – comment oublier l’autre et se reconstruire – et du rapport du théâtre à sa propre mémoire que Timeloss promet de déployer. LES VAGAMONDES, festival des cultures du Sud du 14 au 23 janvier à la Filature, Scène Nationale de Mulhouse. www.lafilature.org


Par Benjamin Bottemer – Photo : Mario Del Curto

Titanic intime

Il aura fallu la rencontre avec le comédien et ex-futur virtuose du piano Armel Veilhan pour convaincre Joël Jouanneau de remettre Thomas Bernhard en scène. Le monologue de notre Naufragé oscille entre rage et rire, autour de l’impossible quête de l’absolu artistique, du génie et de la tentation du suicide.

Trois pianistes se rencontrent à l’occasion d’une masterclass dispensée par le maître Vladimir Horowitz : l’un d’eux s’appelle Glenn Gould et deviendra l’un des plus grands pianistes du XXe siècle, avant de faire le choix de l’isolement. Wertheimer, désemparé et dépassé par le génie de celui-ci, en viendra à se suicider. Le Naufragé est notre mystérieux narrateur, surnommé « Le Philosophe » par Gould ; c’est donc le verbe qui sera sa seule musique (ou presque) pendant une heure de monologue ininterrompu. « Je pense que Thomas Bernhard s’est introduit dans chacun de ces trois personnages, explique le metteur en scène Joël Jouanneau. Gould est un virtuose du piano comme Bernhard de la machine à écrire, Wertheimer représente ses doutes, et le narrateur la survie, avec cet éclat de rire toujours présent chez Bernhard ». Pour conserver la force du texte, il était indispensable pour le metteur en scène de le préserver de tout artifice : un piano, une chaise et une corde à laquelle est suspendue la redingote du narrateur constituent les seuls éléments de

décor. « Le Naufragé parle de déséquilibre, du moment où la chaise tombe et où les pieds sont dans le vide » note le metteur en scène. Le souffle, celui qui fit tant souffrir Thomas Bernhard, décédé des suites d’une maladie pulmonaire, est au cœur du texte, véritable « apnée faite de phrases en spirale qui ne se terminent pas » selon Joël Jouanneau. Celui-ci a trouvé en Armel Veilhan le comédien dont l’histoire personnelle entrait en résonance avec l’œuvre de l’auteur autrichien : « Jusqu’à 21 ans, je me destinais à une carrière de pianiste virtuose, raconte Armel Veilhan. Pour moi, la musique était de l’ordre de l’obéissance ; le choix du théâtre m’a fait désobéir, et grâce à Joël Jouanneau j’ai exploré le dénuement du seul en scène, tout en ayant l’impression qu’il était toujours présent à mes côtés. C’était une grande rencontre, un rêve de théâtre qui se concrétisait ». Et quand le comédien finit par faire courir ses mains sur le clavier, c’est pour celui-ci la résurgence d’une « langue de l’enfance » qui crédibilise, pour le metteur en scène, le récit de la souffrance et des errances artistiques décrites par le narrateur. Échange entre un metteur en scène et un comédien, entre un artiste, son piano et ses compagnons disparus, naviguant entre un rire et une noirceur qui rappelle irrésistiblement les entretiens céliniens, le Naufragé – dont le titre original est Der Untergeher : le perdant – est aussi la dernière mise en scène de Joël Jouanneau, qui, à l’image de Glenn Gould, exprime « un besoin de me retirer de l’activité collective et sociale que constitue la mise en scène pour aller au bout de l’écriture ». Le Naufragé n’est pas un testament, mais au contraire « un oui coriace à la vie ». LE NAUFRAGÉ, pièce de théâtre du 7 au 18 janvier au Théâtre de la Manufacture à Nancy. Rencontre avec Joël Jouanneau et Armel Veilhan le 7 janvier après le spectacle. www.theatre-manufacture.fr

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Par Emmanuel Abela — Photo : Agathe Poupeney

Et Dieu créa la femme

La mère, la sœur, la fille, la femme aimée, la femme est magnifiée dans Sous leurs pieds, le paradis, une chorégraphie à la portée universelle, et en cela essentiel. Thomas Lebrun ont composé une pièce solo, avec la volonté d’explorer la figure maternelle dans toute sa majesté, en insistant sur une trop injuste répartition des tâches. « Il existe une différence entre la paternité et la maternité. La première ne constitue pas une fatigue corporelle pour l’homme qui ne met en œuvre que son instinct et son désir ; alors que la seconde constitue une tâche lourde et expose la mère au danger. C’est elle qui entretient l’enfant, qui le nourrit de tout son corps et aux dépens de sa santé qui s’expose au danger lors de l’accouchement et de l’allaitement, ce qui entrave sa liberté et réduit l’espace de son mouvement », nous explique Radhouane qui a décidé de danser sur l’intégralité des 55 minutes d’Al Atlal (les “ruines”), un poème chanté pour la première fois par l’illustrissime cantatrice et actrice égyptienne Oum Kalthoum en 1966 : Donne-moi ma liberté, lâche mes mains Moi j’ai tout donné, il ne reste rien Ah tu as fait saigner mon poignet avec tes chaines Pourquoi les garderais-je, elles ne me tiennent plus Je garde le souvenir de ces promesses que tu n’as jamais respectées Je suis fatiguée de cette prison J’ai le monde pour moi.

« Tu es ma petite sœur, tu es ma fille, tu es ma mère. – J’aurais bien voulu aussi être ta femme. » François Truffaut, Domicile Conjugal

À un moment où les droits élémentaires des femmes sont de plus en plus niés à travers le monde, et notamment en Orient, certains artistes ont compris qu’il est bon de leur consacrer toute leur énergie créatrice. En partant d’une phrase prophétique – magnifique phrase ! –, « Le paradis est sous les pieds des mères », Radhouane El Meddeb et

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Sur le rythme de ce qui constitue l’une des plus saisissantes chansons d’amour en langue arabe, il évolue avec grâce et conviction – malgré le short et le t-shirt bleus informes –, emprunte à la mère sa maestria gestuelle et révèle la langue complexe des mains pour exprimer avec beaucoup de sobriété solitude, douleur et révolte ; il fait ainsi fi de sa masculinité pour épouser l’éternel féminin. « Ma danse se veut un hommage aux héroïnes, à nos mères, à nos sœurs... C’est un signe vers les femmes qui m’entourent et m’ont entouré, mais aussi vers la femme qui est en moi, vers ma propre féminité. En la dévoilant, je dévoile ma fragilité, ma perception de la sensualité et du courage dans le même temps. Ce dévoilement se conçoit sans travestissement. Se mettre dans la peau d’une femme, ce n’est pas se vêtir comme une femme, se revêtir de féminité, mais bien puiser en soi, profondément, pour trouver la générosité et la sensualité ». SOUS LEURS PIEDS, LE PARADIS, spectacle de danse les 26 et 27 novembre à Pôle Sud à Strasbourg, dans le cadre du festival Strasbourg-Méditerranée. www.pole-sud.fr


Par Valentine Schroeter — Photo : Pascal Bastien

Ces souvenirs qui nous font fondre

En piochant dans les archives de ses clichés 6x6, Pascal Bastien retrace à l’argentique le journal de bord d’un an de sa vie, ponctué de délicieuses rétrospectives. De ce projet est né Comme neige au soleil, narration imagée, fil rouge d’une exposition à la Librairie Kléber. Qui n’a pas en mémoire les repas du dimanche chez mamie, les étés caniculaires, les jeux enfantins et les sombres journées d’hiver ? Tous ces instants simples, ces petits plaisirs qui parcourent notre quotidien et nos souvenirs. Pascal Bastien, talentueux photographe et reporter strasbourgeois, les a immortalisés dans un livre touchant : Comme neige au soleil. À travers des flashbacks et des instants de vie, il nous emporte dans un tourbillon d’émotions qui paraissent déjà si familières. À Tanger, les effluves d’agrumes nous chatouillent les narines, à Marseille, le chant des cigales berce nos promenades et à Strasbourg, notre visage est tiraillé par le froid d’un hiver sans fin... Pascal Bastien raconte ses clichés carrés avec tant de subtilité et de vérité que ses propres souvenirs deviennent nôtres : « Au delà d’un album de famille, j’espère que ça peut raconter une histoire, que les gens vont pouvoir rentrer dans leurs souvenirs par le biais de ce livre ». Tout en confiant élégamment ses plus intimes instants « ma vie avec mes mômes, mon travail, ma passion pour le cinéma... », il nous fait rire, nous émeut, nous transporte. Les photos s’enchaînent avec une fluidité déroutante. Happés par l’histoire, la fin du récit sonne pour nous comme le réveil après un beau rêve. On range les bons souvenirs du photographe pour être immanquablement rattrapés par les nôtres. Certaines photos correspondent directement aux lignes qui les accompagnent, mais pour d’autres le lien avec la narration est moins flagrant. Pascal Bastien nous laisse en fait vivre ses pensées, ses interrogations comme il les a vécues lui-même : le récit sur sa rage de dent est ainsi accompagné d’un cliché de salle d’attente et un voyageur à capuche

illustre un trajet en TGV... Pascal Bastien va donc bien plus loin que le livre d’images, et s’éloigne également des réflexes d’un photographe de presse en restant ancré dans l’accessible quitte à briser certains mythes. Sur un de ses clichés, un homme, dans la cour de son pavillon, est debout face à un énorme tyrannosaure en plastique. La photo est décrite par ces lignes : « Steven Spielberg ne fera plus jamais un film de 1h27, c’est impossible ». « J’avais l’idée de parler d’un rêve, explique Pascal Bastien, du cinéma de Spielberg par exemple, et il fallait que je trouve une photo qui pourrait coller. Un photoreporter qui se respecte aurait aimé avoir une photo de Spielberg. Mais là il y a un petit côté démystificateur, j’aime bien ». Tantôt drôle, tantôt émouvant, le photographe a concrétisé un projet qu’il laissait murir depuis longtemps et nous plonge dans un récit aussi frais que solaire. COMME NEIGE AU SOLEIL, de Pascal Bastien aux éditions Médiapop www.mediapop-editions.fr Exposition au mois de novembre à la Libraire Kléber à Strasbourg. Rencontre de finissage le 28 novembre à 18h30 en salle Blanche.

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Par Claire Tourdot

En 2005, Bernard Plossu capture au 50 mm le visage d’un Berlin réunifié. La galerie Robert Doisneau du CCAM de Vandœuvre accompagne la publication de ces clichés, révélateurs d’une capitale tournée vers l’avenir. Rencontre avec un explorateur du paysage urbain.

berlin années 00

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« C’est une photo d’un lieu célèbre, la Postdamer Platz. Ce qui m’est apparu est le contraste fort entre le noir et le blanc. C’est ça, la photographie, une lumière qui parle... »

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En 2005, vous vous rendez à Berlin dans le cadre d’une exposition, était-ce votre premier séjour dans cette ville ? Berlin correspondait-il à l’image que vous vous en faisiez ? Oui, c’était mon premier séjour, je n’y étais jamais allé. Et même, je ne connaissais pratiquement pas l’Allemagne où je n’étais allé que deux fois pour une expo à Brême et une commande de neige au Tyrol ! Et ça ne ressemblait pas du tout à ce que j’attendais ! Il n’y avait aucun pathos, en tout cas pour moi, de l’ex-Allemagne de l’Est. C’était plutôt comme une grande ville américaine toute blanche, presque un sosie de Century City, ce quartier neuf de Los Angeles. Et le soleil chaque jour, rendant tout blanc, m’a fait penser à Los Angeles tout le temps ! Le mur de la honte était déjà d’une autre époque... Quand je pense que des jeunes, juste parce qu’ils voulaient vivre libres, se faisaient tirer dessus par des garde-frontières, ça m’écœure...

On a plutôt l’habitude de vous retrouver aux États-Unis ou en Amérique du Sud : qu’êtes-vous allé chercher là-bas ? Je suis rentré des pays américains en 1985 : l’Europe me fascinait de plus en plus. Je suis d’abord beaucoup allé dans le sud – Italie, Espagne, Grèce, Portugal – y ayant mes racines italiennes et ma femme étant andalouse. Puis un voyage en hiver a transformé ma vie : la Pologne ! Là aussi, enfin libérée du joug soviétique ! Les gens si sympathiques et ouverts et la poésie du pays m’ont parlé fort et du coup, quand on m’a proposé une expo à Berlin, ne connaissant pas j’ai répondu : oui. D’ailleurs, depuis je me suis rendu spontanément à Düsseldorf, Cologne, Vienne, pour voir. Et certes c’est très différent du continent américain, mais quel plaisir de voir les choses du passé, de l’histoire si vieille dans toute l’Europe ! Qu’avez-vous essayé de capter à Berlin ? Face à Berlin, je me suis laissé aller sans projet précis. J’avais juste une dizaine de rouleaux et j’en ai acheté sur place une vingtaine tant ça m’a plu. On ne réfléchit pas en photo, on se laisse aller ! C’est le projet qui vous construit petit à petit, pas le contraire !

« C’est ma photo de Berlin préférée : on nage en pleine science-fiction ! Car c’est une ville de science-fiction que j’ai vu, et comment ! Tellement que ça fait presque comic book des années 30, mais ici pour de vrai ! Cette image a tous les ingrédients de la ville du futur ».

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« C’est sans doute à midi, les Berlinois travaillent beaucoup, à l’américaine, adorant leur pays. Le moment de paix du rapide repas de la mi-journée crée ce genre d’ambiance : des gens lisent, d’autres profitent de ce beau temps si rare ! Ils sont assis, là, entre deux moments de bureau sans doute. Chacun pour soi, un petit arrêt dans le temps... » L’atmosphère de ce Berlin Ouest semble aride et froide, dénuée de poésie... Pourquoi ne pas vous être aventuré dans l’autre versant de la ville ? L’Est de Berlin a déjà été beaucoup photographié : je n’aurais rien à ajouter de nouveau. Ça a déjà été très bien vu, notamment par notre maitre de la modernité, René Burri dans son livre Les Allemands, publié en même temps que Les Américains de Robert Frank ! Et puis mon cri de révolte antityrannie faisait que je ne voulais pas aller voir ces lieux où les tyrans régnaient en monarques absolus. Enfin les gens étaient libérés de tout ce drame ! Le noir et blanc caractéristique de votre travail est ici sublimé. Il y a une lumière éclatante de blancheur et des ombres particulières sur ces clichés... Cette lumière ensoleillée n’est pas si habituelle de Berlin que ça, je me doute qu’il ne fait pas toujours beau dans cette ville : là, c’est tombé comme ça, le destin. Il faisait beau, je ne pouvais tout de même pas changer le climat pour faire de la nostalgie ! Et cette lumière m’a finalement parlé et peut-être est–ce cela qui m’a fait photographier autant, me rendant compte qu’il se passait quelque chose d’étrange. Berlin semble ici être une ville hypermoderne en mutation et tournée vers le futur : comment l’humain peut-il trouver sa place dans ce paysage urbain? Mais il y a des gens ! Ce n’est pas la peine en photographie de

faire du gros plan pour montrer à qui ressemblent les gens d’une ville ! On voit bien l’ambiance dans laquelle ils vivent ! Certes c’est « trop » moderne, je l’ai senti ça, puisque je l’ai photographié, mais c’est un peu une sorte de XXIe siècle de science-fiction ce Berlin-là, non ? Certes c’est pas humain au sens poétique, mais que faire ? Rester dans l’ambiance Est où les VoPos vous tiraient dessus ? Ne pas avoir le droit de porter des jeans et d’écouter Elvis Presley ? Alors si les allemands ont réagi ainsi en créant une ville trop moderne, c’est justement pour tout changer et vivre avec leur temps. BERLIN, exposition de Bernard Plossu du 29 novembre au 31 décembre à la galerie Robert Doisneau du CCAM de Vandoeuvre-les-Nancy. www.centremalraux.com BERLIN 2005, de Bernard Plossu et Jean-Christophe Bailly aux éditions Médiapop www.mediapop-editions.fr

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Par Vanessa Schmitz-Grucker

La méthode

Bonnard Au musée d’art moderne de Freiburg, les œuvres de Pierre Bonnard dialoguent avec celles d’Hermann Scherer quand le Musée des Beaux-Arts de Besançon lui consacre un accrochage de quatre pièces. Narration d’une réhabilitation très attendue. Réhabilitation, le mot est faible. En 1947, Christian Zervos, alors directeur des Cahiers des Arts posait la question : « Pierre Bonnard est-il un grand peintre ? ». La réponse, un non catégorique, a scellé le sort du peintre rejeté pour son absence de modernité qu’appuie le qualificatif de « peintre bourgeois ». Si « réhabiliter » s’avérait maladroit, il faudrait au moins s’attacher à proposer une nouvelle lecture d’une œuvre qui, même si elle n’est pas moderne, n’en est pas moins originale et novatrice. Oui, Bonnard était en marge des avant-gardes. Il était même la bête noire de Picasso parce que, oui, Bonnard était un peintre coloriste, un chantre de la lumière et du regard. Mais Bonnard n’est pas pour autant le peintre « décoratif » qu’a voulu nous faire croire le XXe siècle. On ne se posera donc pas la question de savoir si son œuvre est résolument antimoderne, ni celle de sa position au sein de ladite modernité ni celle de savoir s’il revendiquait sa position marginale.

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Ce qui est en jeu, c’est sa méthode, ou disons plutôt comme Georges Roque sa « stratégie ». Aussi surprenant cela soitil, Bonnard, qui prônait l’empirisme et se tenait loin des théories, a presque fait de cette posture anti-théorique, une théorie. Il dit à ce sujet : « Un jour, les mots et les théories qui étaient les fonds de nos conversations : couleur, harmonie, rapport de lignes et de tons, équilibre, ont perdu leur signification abstraite pour devenir quelque chose de très concret. Brusquement, j’avais compris ce que je cherchais et comment je pourrais l’obtenir ». Bonnard se méfie donc du dogme mais laisse naître de sa pratique une théorie personnelle qui lui a valu sa position marginale plutôt injustifiée, par ailleurs, si l’on analyse ses compositions. En effet, les principes esthétiques qu’il adopte sont finalement proches de ceux des Nabis. Il s’est toujours refusé à adopter l’art non-figuratif mais prônait une approche par la couleur et non par la ligne. Le cas du célèbre Nu dans la baignoire est évocateur. La couleur est vaporeuse, les lignes se confondent, se chevauchent, les plans se brisent. D’après Fabrice Hergott, il s’agit « d’un des chefs-d’œuvre de Bonnard. Il introduit quelque chose d’ambigu, de l’ordre du rêve et de l’érotisme dans un sujet d’une très grande banalité ». Il serait, ainsi, tentant d’y voir un héritage de l’impressionnisme. Mais le Musée d’art moderne de Freiburg a fait le choix d’un nouvel éclairage en mettant son œuvre en regard avec celle d’Hermann Scherer, peintre et sculpteur allemand, dont l’œuvre est classée parmi celle des expressionnistes. Ce dernier cherche à exprimer quelque chose de l’ordre du brouillon, du premier jet, de la spontanéité jusque dans ses célèbres sculptures de bois. La ligne, également, lui importe peu, il se concentre sur la couleur et la surface. Contrairement à Bonnard, Scherer fut largement encensé par les critiques de son époque. Est-ce à dire que l’accrochage de Freiburg tente une réhabilitation par la simple caution ? Pas si sûr. Il est vrai que les deux artistes ne se sont pas croisés de leurs vivants. Au premier abord, les liens pourraient même nous échapper. Scherer, aussi, fuyait les dogmes et les étiquettes. Il se voulait marginal tant il pensait qu’aucune esthétique, aucune spiritualité n’était possible dans une vie humaine si brutale et revêche. C’est peut-être cet aspect inclassable de leurs œuvres qui unit, en tout premier lieu les artistes. Leurs touches, leurs pattes sont


Pierre Bonnard, Marthe à sa toilette, Musée des Beaux-Arts de Besançon © Denis Trente-Huittessan

pourtant similaires : prépondérance de la couleur, plutôt vive mais pas fauve, enchevêtrement des plans, flous mais non cubistes, lignes vives et nerveuses mais pas dadaïstes. Et si l’on pousse l’analyse au sujet, on a tôt fait de voir que ces deux artistes ont sublimé le quotidien, le banal. Ils ont traité des sujets que nombre de peintres modernes ont délaissés. Le point clef de la réhabilitation de Bonnard reste toutefois sa maîtrise de la composition, de la surface et de la profondeur relayée par la récurrence des motifs à carreaux, des motifs en damier. L’aplat n’est pas, ici, synonyme d’absence de profondeur. L’illusion de la tridimensionnalité est bien présente. À la lecture, on ne saisit, donc, plus bien les griefs faits à ce peintre maudit. S’il en est, ce serait de s’être fourvoyé dans les arts décoratifs. On comprend bien à quel point cet argument perd en crédibilité face à l’œuvre, immense, de Bonnard. PIERRE BONNARD, exposition du 20 septembre au 26 novembre au Musée des Beaux-Arts de Besançon. www.mbaa.besançon.fr RENCONTRE AMICALE : LA COLLECTION HAAS ET LE MUSEE D’ART MODERNE, du 28 septembre au 6 janvier 2014 au Musée d’art moderne de Freiburg-im-Breisgau. www.freiburg.de

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Par Vanessa Schmitz-Grucker

Écrire et filmer

l’art

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Le titre annonce d’emblée le rythme de cette monographie. La Traversée du Siècle resitue l’œuvre dans son contexte historique, culturel et social. 50 ans durant, Hans Richter a côtoyé les plus grands et écrit, à lui seul, tout un pan de l’histoire de l’art. Les collaborations avec Jean Arp, Alexander Calder, Max Ernst ou encore Man Ray ont laissé leurs empreintes dans l’œuvre de cet artiste américain d’origine allemande, méconnu du grand public, mais acteur majeur de la scène artistique du XXe siècle. Ses peintures s’inscrivent dans la droite lignée des mouvements d’abstraction géométrique tel que celui impulsé par Mondrian, De Stijl. Incisive, acérée et vive, chacune de ses œuvres, qu’elle soit picturale, sculpturale, ou cinématographique interroge la modernité de son époque. Et cette époque, il l’a bien connue : de la Première Guerre mondiale et la révolution spartakiste à la montée du nazisme, la vie de Hans Richter est marquée par ses événements historiques et son œuvre en témoigne. Son goût de l’historicisation l’a mené du trait dada à la peinture expressionniste, des collages surréalistes aux sculptures constructivistes. Il a ainsi largement contribué aux bouleversements de la scène artistique de l’Europe et des États-Unis et via ses écrits, ses publications, son enseignement, il a accompagné la modernité de l’entre-deuxguerres. De ses pérégrinations, l’autre volet de l’exposition a voulu retenir trois villes : Berlin, Moscou et New-York. Six vidéos sont exposées, d’auteurs qui font autorité en la matière : László Moholy-Nagy, Eugène Deslaw, Peter Hutton, Paul Strand & Charles Sheeler, Walter Ruttmann, Mikhail Kauffman. L’artiste lui-même a été pionnier en accordant dans son système d’art une place déterminante au cinéma. Ainsi, Ghosts for Breakfast s’inscrit dans la droite lignée esthétique surréaliste : photogramme et solarisation – que pratiquaient Man Ray et László Moholy-Nagy – se mettent au service d’une séquence où les fenêtres s’ouvrent et se ferment mystérieusement, où l’eau coule à l’envers, où les fils s’enroulent et où les hommes, courant après trois chapeaux autonomes, disparaissent – par un effet de montage astucieux –, à l’angle d’un réverbère. L’humour et l’insolite sont convoqués par le biais d’homme à quatre pattes qui avancent au rythme d’une horloge. Ce vaste corpus artistique se veut à l’image de trois grandes villes côtoyées par l’artiste.

Berlin Walter Ruttman est avec Hand Richter, pionnier dans l’abstraction filmique. Dans Berlin, symphonie d’une grande ville, il multiplie les surimpressions et les cadrages obliques ainsi que le décentrement pour manifester l’ubiquité de la ville moderne. Dans l’œuvre de Deslaw, les enseignes lumineuses ouvrent sur une dimension poétique, qualifiée même de « ciné-poème », rendant la nuit mystérieuse et dévoilant ses autres facettes. Les nuits électriques témoigne de la fascination des contemporains de Hans Richter pour les progrès techniques et la mécanique. Chez Ruttmann, l’abstraction plastique se lie visuellement à une figuration inattendue : aux traits qui brouillent l’écran succèdent les barrières des passages à niveau ferroviaire. Quant à László Moholy-Nagy, sa vision de Berlin est davantage politisée : il filme le prolétariat urbain dans les taudis de la République de Weimar. Il multiplie les contreplongées et les diagonales afin de géométriser son champ. Les variations de lumière accentuent l’aspect humanisant du documentaire.

Moscou C’est à Moscou qu’Hans Richter entame Mettall. Il rejoint le Kinok, un collectif soviétique de cinématographes mené par Dziga Vertov. Dans leur manifeste, ils clament que le cinéma du futur est un « cinéma des faits », un cinéma qui enregistre et rend compte du monde réel. Le frère de Vertov, Mikhail Kauffmann, tourne, en 1927 Moscou. Dans une esthétique constructiviste, il dresse un portrait quasi documentaire de la ville socialiste moderne. Il prône le rationalisme documentaire et dresse le portrait de la vie quotidienne à Moscou avant d’être censuré en 1930 par le régime stalinien et d’être mis au service de la propagande.

New-York Le film de Paul Strand et Charles Sheeler est considéré comme le premier film d’avant-garde des États-Unis. Il est tourné sur plan fixe pour exploiter la verticalité de la métropole. Le film est diffusé par Tristan Tzara au cours de la fameuse soirée du « Cœur à barbe ». De même l’œuvre de Peter Hutton, plus tardive, fin des années 1970 début des années 1980, filme la ville sur plan fixe pour souligner la pureté plastique de l’image en noir et blanc. Ainsi, l’œuvre de Hans Richter est un condensé de ses expériences, une restitution d’un vécu riche et polymorphe qui a donné naissance à une œuvre hétéroclite mais rationnelle. HANS RICHTER - LA TRAVERSÉE DU SIÈCLE, exposition du 28 septembre 2013 au 24 février 2014 au Centre Pompidou à Metz. www.centrepompidou-metz.fr

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Par Sylvia Dubost

C(h)or/ espaces

Au cœur de son travail, la chorégraphe allemande Sasha Waltz a placé les rapports entre le corps et l’espace. Son 50e anniversaire coïncide avec les 20 ans de sa compagnie, et sa ville natale, Karlsruhe, lui rend hommage avec une exposition magistrale. C’est l’une des artistes contemporaines les plus importantes. Depuis ses débuts dans les années 90, elle a enchaîné les pièces marquantes, d’abord en héritière de la danse-théâtre de Pina Bausch, avec des chroniques sociales très berlinoises (Allee der Kosmonauten), puis avec son cycle sur le corps, dont le magistral Körper. Depuis, elle se frotte aussi à l’opéra (avec Didon et Enée, opéra-ballet aquatique) et à l’architecture, avec une passionnante série d’Architectural Dialogues créés pour des espaces bâtis par d’autres, comme le Maxxi de Zaha Hadid à Rome ou le musée du Judaïsme à Berlin. Co-directrice de la Schaubühne de 1999 à 2004 avec Thomas Ostermeier, Sasha Waltz est une créatrice d’images saisissantes, dans des espaces scénographiques impressionnants où se croisent l’harmonie et la destruction. Pour la première fois, un musée présente des installations issues de ces pièces, comme le fameux mur de corps de Körper devenu sculpture vidéo. Une exposition que viennent régulièrement habiter des performances, courts objets extraits de ses pièces. Cela n’aurait pu être qu’un collage, mais Sasha Waltz a su créer une vraie dramaturgie qui met les objets et les corps en tension et révèle toute la dimension plastique de son œuvre.

Au commencement était l’espace : estce vrai pour chacune de vos pièces ? Oui, il est toujours premier et toujours décisif. Parfois, je peux partir d’une musique, mais il n’y a pas de danse tant qu’il n’y a pas d’espace scénographique. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce projet d’exposition ? Je travaillais à ces « objets » – des scènes de Médée, Didon et Énée et Körper transformées en installations – depuis plusieurs années. Je ne savais pas comment montrer ce que je voulais montrer, alors je les laissais et les reprenais régulièrement. Pour Körper, j’avais cette vidéo, et je voulais retrouver les dimensions des corps et de la scène mais je ne trouvais pas de solution. En discutant avec Peter Weibel, le directeur du musée, j’ai trouvé intéressant de développer une véritable exposition, ce que je n’avais jamais fait. Et cela m’a poussé à terminer plusieurs de ces installations. Le rapport à l’œuvre n’est pas le même dans une exposition que dans une salle de spectacle, face à des corps vivants. Avez-vous essayé de le retrouver ? Je trouvais passionnant qu’on puisse éprouver ici aussi bien les espaces que les corps. Il y a par exemple cette salle où

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Extrait de Körper, photo Bernd Uhlig

le sol est en éruption. D’autres œuvres traitent du corps, d’autres enfin du mouvement. On a là toutes les facettes de mon travail, de l’espace jusqu’à la danse. Mais toutes ces séquences ont un aspect sculptural, je n’ai pas utilisé d’éléments purement chorégraphiques. Considérez-vous les performances comme des objets ? Non, pas exactement. J’ai développé les Hängenden (les sus-pendus, où les danseurs sont accrochés au plafond) pour une pièce. Mais cela ne fonctionnait pas dans le temps et l’espace du théâtre. Alors je l’ai reprise pour le Maxxi. C’est une sculpture, avec des corps vivants presque raides mais qui respirent et bougent légèrement. Dans l’espace d’exposition, il y a une grande proximité avec le spectateur, ce qui crée une attention par rapport à son propre corps que ne permet pas la grande distance de la scène. Cela demande aussi un autre travail de la part des danseurs : il n’y a pas de narration, et cela souligne le caractère « d’installation » de la danse. Vous travaillez avec certaines de vos danseurs depuis très longtemps. Comment les choisissez-vous ? C’est très intuitif. Lors des auditions, ils doivent m’intéresser. Je suis attirée par ce que je ne comprends pas forcément, qui m’est étranger mais aussi ce qui m’est proche. Leur langage me rend curieuse, et la technique n’est pas primordiale. Qu’est-ce qui initie le dialogue avec un espace architectural ? Souvent, ce sont les particularités qui m’intéressent. Ce peut être la composante historique ou alors la vision de l’architecte, comme dans le Maxxi de Zaha Hadid, qui a quelque chose d’organique. C’est un peu la même chose qu’avec les danseurs : je cherche quelque chose de « différent », qui m’inspire. Quelle place prend la beauté dans votre travail ? Je dirais que j’essaye de tordre, de distendre ce concept. Quand j’ai présenté Körper en Russie, on m’a dit que mes

danseurs sont vieux et mes danseuses moches. Je trouve qu’il y a de la beauté dans fragilité, dans la douleur, mais aussi dans l’harmonie. Je travaille la symétrie mais aussi son opposé : il y a toujours ces deux pôles dans mon travail. C’est vrai que je me confronte régulièrement à cette question, et ce qui est sûr, c’est que la beauté normée ne m’intéresse pas. Sasha Waltz. Installationen Objekte Performances, exposition, du 28 septembre 2013 au 2 février 2014 au ZKM de Karlsruhe. Performances tous les mercredis, vendredis, samedis et dimanches www.zkm.de

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Par Xavier Hug — Photo : Daniel Spehr

Retour vers le futur

Le Metamatic Research Institute, fondé à l’initiative d’un couple de collectionneurs, est un programme transversal focalisé sur les Meta-matics de Tinguely. Le musée homonyme dévoile une partie de l’héritage qu’a suscité ce travail.

João Simões, NTSC, 2012 Interaktive Installation All Art Initiatives, Amsterdam © João Simões

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Les Méta-matics n’ont guère de précédent dans l’art si ce n’est les ready-mades de Marcel Duchamp, artiste dont Tinguely a toujours cherché l’adoubement. Satire ironique du tachisme qui saturait la scène parisienne à la fin des années 1950, les Méta-matics sont pour lui une réflexion sur la relation hommemachine : « Si nous respectons les machines et entrons dans leur essence, nous sommes en mesure de faire une machine joyeuse, et par “joyeuse” j’entends “libre”. N’est-ce pas une idée merveilleuse ? ». Les œuvres présentes dans l’exposition, à l’image de ce qui est observable ailleurs, laissent penser que notre culture se répète à l’envi. Art de la citation et facilité créative se conjuguent dans un monde où les machines sont devenues « libres » le 11 mai 1997, lorsque l’ordinateur Deep Blue d’IBM battait le champion d’échecs Garry Kasparov. Depuis, plus personne ne conteste l’em-

prise des écrans dans nos vies, illustrée comme la porte ouverte à l’aliénation technologique dans The Web, installation labyrinthique de Jon Kessler, ou la paresse intellectuelle conduisant les citoyens à s’abreuver d’un flot d’informations au contenu interchangeable (Nisse TV du duo Pors & Rao). En 50 ans, les technologies sont passées du statut mécanique électrique à l’informatique électronique où les impulsions numériques dirigent et orientent les comportements comme le montrent les installations interactives de Brigitte Ziegler et Ranjit Bhatnagar. Cette transformation s’est accompagnée de bruits générés par la multiplication des formats, normes et systèmes souvent incompatibles entre eux. NTSC de João Simões, vidéo fonctionnant grâce à ces disparités, en plus d’être une œuvre réussie formellement, est également celle qui résonne le plus justement avec l’héritage de Tinguely. Il se dégage en effet de l’ensemble un goût d’inachevé. À l’exception parcellaire de Thomas Hirschorn, aucune proposition ne mentionne le fait essentiel pour qui veut comprendre aujourd’hui les relations homme-machine, à savoir l’autonomie (« liberté » ?) que ces dernières ont pris sur les premiers. Éclairer l’œuvre passée d’un artiste doit se faire à la lumière du présent ; se contenter de l’exercice de la citation ne peut se suffire à lui-même. Fort heureusement, les curieux pourront s’abreuver aux paroles directes des artistes grâce à une série de discussions courant tout au long de la durée de l’exposition. Metamatic Reloaded, exposition du 23 octobre au 26 janvier 2014 au Museum Tinguely à Bâle. www.tinguely.ch


Par Vanessa Schmitz-Grucker

De la machine au vent Les Fondations Calder et Beyeler consacrent un nouvel espace à Alexander Calder et à ses œuvres destinées à interagir avec le champ extérieur.

Depuis 2012, dans le Berower Park qui ceint la Fondation Beyeler, une œuvre intrigue : une pièce noire, géométrique qui, de loin, semble stabilisée au sol, mais qui, de près, se meut au gré des éléments extérieurs. The Tree est un des plus monumentales stabiles-mobiles de l’artiste américain. À Beyeler, il est un emblème du lieu, le symbole du goût des fondateurs pour la nature qu’avait retrouvée Calder lui-même en retournant vivre dans une ferme aux États-Unis. Il y avait, d’ailleurs, plus exactement trouvé un intérêt pour les espaces dans lesquels évoluaient ses pièces. L’espace extérieur devint donc un élément clef de sa réflexion. Au mouvement mécanique de la période parisienne, « Abstraction-Création », se substitue un mouvement naturel. De ces formes géométriques, abstraites, mécaniques, cinétiques, on oublierait presque l’aspect surréaliste. Des ombres surgissent réinterrogeant le fondement des théories qu’elles appellent. Et ces stabiles-mobiles valent pour ce qu’ils sont : seuls leurs propres mouvements les font exister, ils n’ont d’autre existence que celle-là. Il y a toutefois une dimension qui la dépasse : la forme, le trait, l’équilibre créent une analogie avec la nature qui s’inscrit ouvertement dans le titre des œuvres. The Tree est le fruit d’un projet qui remonte à 1958. Les deux barres horizontales soutiennent quatre feuilles polygonales qui semblent désigner, comme un doigt, l’horizon. L’axe vertical fait office d’axe de rotation. Cette œuvre répond à la galerie consacrée au sein de la Fondation Beyeler. Bien qu’enfermés, ces stabiles-mobiles continuent de se mouvoir dans l’espace et de faire sens ensemble. Ils ne sont plus absorbés par l’environnement mais forment ensemble cet environnement auquel ils réfèrent. L’œuvre semble hermétique, le fil de la pensée de Calder pourrait se perdre s’il n’y avait pas cette vidéo, des années 20, du Cirque de Calder. À la sortie de

la galerie, on découvre la fascination de l’artiste pour les arts circassiens. Sur un cirque en modèle-réduit, des automates et de petits personnages s’animent sous la main de l’artiste. Dans cette performance, les instants à venir dans son travail sont déjà présents : le mouvement, la mobilité « hasardeuse », le fil de fer, l’automatisme, tous ces éléments qui nous font penser, encore une fois, au dogme surréaliste. C’est, d’ailleurs, à cette période, qu’il s’était rapproché des avant-gardes parisiennes et avait rencontré des artistes comme Léger et Mondrian. Il a alors abandonné la sculpture figurative au fil de fer qu’il pratiquait pour radicaliser sa pratique et développer un langage abstrait, un langage qui désigne l’abstraction.

Alexander Calder beim Montieren von Nine Discs (1936) in Roxbury, CT, 1938 Calder Foundation, New York © 2013, Calder Foundation, New York / ProLitteris, Zürich Foto: Herbert Matter

ALEXANDER CALDER. ARBRES – DÉSIGNER L’ABSTRACTION, exposition du 8 juin au 12 janvier 2014 à la Fondation Beyeler à Bâle. www.fondationbeyeler.ch

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Par Valentine Schroeter Paysages de lumière fait partie de la programmation de Triptic – Échange culturel dans le Rhin Supérieur

En pleine

lumière Aujourd’hui, la lumière est traitée comme un objet à part entière : la matière impalpable prend véritablement vie dans l’art, le design ou encore l’architecture. Avec Lightopia, le Vitra Design Museum est le premier à consacrer une exposition à cette évolution de l’éclairage artificiel.

« Toujours à la recherche d’une clarté plus vive, l’homme s’est évertué, passant de la bougie à la lampe à pétrole, du pétrole au bec de gaz, du gaz à l’éclairage électrique, à traquer le moindre recoin, l’ultime refuge de l’ombre » affirmait le romancier japonais Tanisaki dans son livre Éloge de l’ombre. L’invention de la lumière artificielle, qui fait partie des plus grandes avancées du siècle passé, demeure aujourd’hui encore en constante mutation. Au-delà du simple fait d’éclairer, la lumière se retrouve intégrée depuis le début du XXe siècle à l’œuvre plastique. Il en va ainsi des expériences plastiques menées par László Moholy-Nagy et son fameux Modulateur Espace-Lumière (1922-1930). Entre autres exemples, nous pourrions citer le travail de Michel Verjux qui s’est fait connaître avec ses projections géométriques de lumière ou l’artiste minimaliste américain Dan Flavin qui a fait du néon son outil de travail. La banalisation du phénomène lumineux comme éclairage a donc ouvert le champ aux artistes, designers et architectes qui octroient désormais à la lumière une dimension esthétique et dépassent l’utilitaire. Dans Lightopia, 300 œuvres, dont de nombreuses pièces majeures de la collection du Vitra Design Museum encore jamais dévoilées au public, retracent l’histoire du design lumineux des débuts de la société industrielle aux visions qui modèleront notre futur. « Lightopia s’attache à toutes les différentes facettes du design lumineux, les rassemble et les lie aux débats actuels » décrit Jolanthe Kugler, commissaire de l’exposition. À travers quatre sections bien distinctes, le spectateur est amené au fil des galeries à s’interroger sur le rôle de la lumière dans son quotidien. 82

Dans une première partie, on pointe du doigt la nécessité de l’éclairage artificiel dans les espaces publiques, les bureaux ou encore dans la transmission de données numériques tout en ne perdant pas de vue les problèmes que cela soulève (surconsommation d’énergie, pollution lumineuse...). Y sont également présentées les solutions à ces problématiques comme les LED et OLED, récentes innovations. Cette première approche place la gestion de l’éclairage dans le cadre politique avec par exemple l’interdiction récente des lampes à incandescence. L’exposition effectue dans un second temps une rétrospective du développement du luminaire et prouve que la « domestication » de la lumière a toujours constituée un défi pour l’homme. C’est ainsi que sont nées des créations comme le plafonnier de Gerrit Rietveld datant de 1922 ou la fameuse lampe de chevet Bauhaus de Wilhelm Wagenfeld datant de 1923-1924. Après ce focus sur le design lumineux s’ouvre un troisième espace réservé cette fois à la lumière elle-même. On y appréhende son rôle dans la création d’ambiance, sa capacité à raconter une histoire, pas seulement dans nos intérieurs mais dans toute manifestation ou création humaine, de la cathédrale de lumière d’Albert Speer en 1934 lors des grands rassemblements nazis – perçue en son temps comme une « cathédrale de glace », par l’ambassadeur britannique – à l’ouverture des Jeux Olympiques de 2008. Le rôle de la couleur et son impact sur l’éclairage sont également abordés, et s’appuient notamment sur l’œuvre de Carlos CruzDiez Chromosaturation (1965) qui explore les caractéristiques physiques de la lumière et de la perception des couleurs. La dernière partie de cette exposition considérable porte sur la lumière de demain : quelles innovations vont voir le jour ? Quelles sont celles qui existent déjà ? Un thème fait peu à peu surface et semble constituer un premier élément de réponse : l’éclairage artificiel


László Moholy-Nagy, Licht-Raum-Modulator 1922 – 30 © VG Bild-Kunst 2010

La lumière n’est-elle qu’affaire de nuit ? L’intervention de Berger&Berger, Dr Jekyll & Mr Mouse, programmée par La Filature en partenariat avec la Kunsthalle se présente sous la firme d’une architecture qui se décline de façons distinctes que l’on soit la nuit justement, mais aussi le jour : la nuit, paradoxalement, l’intensité lumineuse dissimule ; le jour, l’espace se neutralise, et expose le visiteur dans un espace public. Deux temps, deux perceptions, et un rôle majeur exercé par la lumière ! DR JEKYLL & MR MOUSE, installation en entrée libre jusqu’au 15 décembre, à la Fonderie, à Mulhouse. TRAVERSÉE LUMINEUSE, journée sur le thème de la lumière le 23 novembre à partir de 15h à la Filature, avec départ en bus au Vitra Design Museum ; installation Tous les soleils, en présence de Laurent Pernot www.lafilature.org

s’appuie de plus en plus sur la lumière naturelle. Les lampadaires détectent le coucher du soleil, certains architectes comme realities:united se servent de l’éclairage artificiel pour créer un lien entre l’intérieur et l’extérieur, des recherches sont même en cours pour créer de l’énergie grâce à l’éclairage. Finalement, les lueurs naturelles que l’homme semblait bouder, obnubilé par sa quête de la lumière parfaite, deviennent l’un des ingrédients principaux des projets futurs. Une chose est sûre,

nous avons appris à domestiquer la lumière, naturelle ou artificielle, afin d’en tirer tous les avantages. Mais comme le demandait Kazimir Malevitch : « Le moment peut-il arriver où l’homme sera satisfait de la lumière ? ». Seul l’avenir nous le dira. LIGHTOPIA, exposition du 28 septembre au 16 mars 2014 au Vitra Design Museum à Weil am Rhein en Allemagne. www.design-museum.de

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Par Vanessa Schmitz-Grucker

Comme chien et chat

Marc Cellier, Sans titre, issu de la série Entre chien et loup, 2008-2011

Comme chien et chat, entre obscurité et lumière, entre paysages urbains et paysages naturels, 8 artistes interrogent les aspects rugueux de l’altérité, ce qui divise et ce qui rassemble.

Sept vidéastes, photographes et un peintre se sont aventurés à la limite des zones d’ombres, dans cet instant d’indécision où tout peut basculer. C’est ici qu’entre en jeu le lecteur, celui dont la perception fera évoluer le sens des contrastes que propose une œuvre comme celle de Pierre-Yves Freund, celle-là même qui trouve un écho dans des propos de l’artiste minimaliste Tony Smith : « C’était une nuit sombre et il n’y avait pas d’éclairage ni de signalisation sur les côtés de la chaussée, ni de lignes blanches, ni de glissières de sécurité, ni quoi que ce soit, rien que l’asphalte qui traversait un paysage de plaines entouré de collines au loin, mais ponctué par des cheminées d’usines, des pylônes, des fumées et des lumières colorées ». Ce sentiment d’indétermination se traduit plastiquement par des œuvres bancales, en suspens, suspendues ou présentes-absentes. À moins que la fracture ne soit matérialisée par une ligne centrale, à la fois horizon et symétrie dans le travail de Mikko Paakola ou bien par les retournements d’angles de prises de vue chez Lauri Astala qui nous pressent et nous oppressent dans des espaces qui devraient nous être familiers. Cézanne disait déjà : « Ce que j’essaie de vous traduire est plus mystérieux, s’enchevêtre aux racines mêmes de l’être, à la source impalpable des sensations ». Et ces interrogations rejoignaient aussi celles de MerleauPonty dans sa Phénoménologie de la perception où, « toute conscience est conscience perceptive » (et non plus « conscience de quelque chose », formule de Husserl). Ainsi est affirmé le primat de la perception. C’est pourquoi dans les paysages d’Yves Robuschi, l’image est tantôt présente tantôt absente. Tout un langage culturel, sociologique, philosophique même phénoménologique qui atteint son apogée chez le célèbre Pierre Huyghe qui présente une vision nocturne de deux barres HLM, analysant le rapport au temps, à la mémoire

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collective, au réel et à la fiction. Cette œuvre avait marqué les esprits en 2001 à la Biennale de Venise. Entre les lumières qui s’éteignent et s’allument au gré de la vie de ses habitants, un langage proche du morse s’instaure entre les deux tours. Elles flottent dans un brouillard nocturne, comme des objets inanimés, privées d’âmes autant qu’elles exigent d’être présentes au monde par le biais de la communication. L’œuvre dialogue avec les photographies de Rosanna Schoijett où la lumière urbaine commande, met en forme nos espaces de déambulations et nos façons même de déambuler. Injonction à la consommation des enseignes donc, mises en scène théâtrales d’animaux sauvages sous les éclairages publics par Marc Cellier, qui dira encore que la nuit, tous les chats sont gris ? ENTRE CHIEN ET LOUP, exposition du 7 décembre au 2 février 2014 au 19 CRAC de Montbéliard. www.le19crac.com


Par Emmanuel Abela

Images premières

La tour Eiffel, 1889, Pellerin. Zincographie. Coll. Musée de l’Image, acquisition 2010 avec l’aide du FRAM et du fonds du patrimoine

Cartes à jouer, architectures de papier, théâtres, l’image d’Épinal nous est familière, même malgré nous. S’appuyant sur un corpus considérable, Martine Sadion nous en livre les secrets dans un bien bel ouvrage.

Avec l’avènement de la gravure, les images en feuille volante circulent à travers toute l’Europe, reproduisant notamment les œuvres telles qu’elles apparaissent dans les collections naissantes ou dans les églises. On ne soupçonne guère à quel point cette diffusion a favorisé la notoriété des grands maîtres italiens de l’époque maniériste et baroque, mais aussi des artistes flamands et de l’Europe toute entière. En France, elles sont produites dès le début du XVIe siècle dans les nombreux centres français, à Paris, mais aussi à Orléans, Chartres, Lille ou Toulouse. Or, ce sont celles imprimées à Épinal qui vont s’installer dans la mémoire collective au cours de la seconde moitié du XIXe. La raison principale ? La vraie distinction qui s’opère, et ce dès la fin du XVIe à l’initiative du Duc de Lorraine Charles III, est celle du papier pour la fabrication de cartes à jouer. C’est ce que nous relate Martine Sadion, conservatrice en chef du Musée de l’Image à Épinal dans l’ouvrage qu’elle vient de publier aux Éditions de la Martinière. Une lignée de cartiers naît de cette décision : ils fabriquent des jeux de cartes qui font la renommée de la Lorraine mais pas seulement. Très vite, ils diversifient leur production. C’est peut-être ce qui permet d’asseoir la réputation des images qui commencent à circuler. Il est vrai que rétrospectivement l’imagerie d’Épinal se distingue par la multiplicité des scènes et des motifs : à parcourir les pages de l’ouvrage, on se surprend à naviguer au cœur d’une foultitude de thèmes religieux, politiques ou plus ludiques qui sont autant de portes d’entrée – avec parfois un souci quasi journalistique – qui permettent une compréhension de cette période qui précède l’avènement de la photographie au XIXe siècle par exemple, à un moment où la peinture n’a pas encore pour vocation de se confronter au réel. L’image d’Épinal vaut pour ce qu’elle représente, mais également pour ce qu’elle raconte. Une pleine page comme Le Miroir du Pêcheur de 1825 par exemple en dit plus long sur

l’extrême piété populaire rencontrée dans les campagnes qu’un exposé historique sur la question. L’iconographie a pour vocation, comme dans la peinture, de donner une ligne de conduite, mais elle a ceci de conditionnant qu’elle s’inscrit dans le cadre étonnamment familier de l’image volante qu’on peut sortir, observer et commenter. La naïveté de certains traitements est souvent compensée par une forme qui laisse libre cours au génie de l’imagier, lequel épouse certains codes esthétiques spécifiques pour donner plus de force au support final. Martine Sadion en profite pour rendre hommage à certains d’entre eux, Jean-Charles Pellerin ou le dessinateur Charles Pinot qui invente des images d’architectures à découper. Il paraît aujourd’hui étonnant que notre période, celle du tout image, fasse passer au second plan l’image d’Épinal, c’est surtout ingrat quand on sait que l’image en tant qu’illustration journalistique naît précisément là. Il reste cependant quelque chose, comme la trace d’une modernité, qui se diffuse ainsi rétrospectivement et nous maintient éveillés, l’œil grand ouvert, et même parfois émerveillés. C’EST UNE « IMAGE D’ÉPINAL », exposition du 18 mai au 16 mars 2014 au musée de l’Image à Épinal. www.museedelimage.fr Images d’Épinal de Martine Sadion (avec une préface d’Anna Gavalda), Éditions de la Martinière.

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Par Stefano Chiodi — Photo : Aurélien Mole

Une nouvelle histoire

Le CRAC Alsace propose une exposition d’Elisabetta Benassi, une artiste italienne qui s’intéresse aux archives, notamment photographiques.

Les barreaux métalliques d’une cage : un gorille, l’expression un peu résignée, les bras levés en l’air qui saisissent un pneu de voiture suspendu de façon incongrue au-dessus de sa tête. Ainsi, avec cette image singulière, commence le parcours de l’exposition d’Elisabetta Benassi au CRAC Alsace, un regard sur sa production des cinq dernières années que Elfi Turpin, directrice du centre d’art d’Altkirch, a axé sur un thème central dans l’œuvre de l’artiste italienne : l’ambivalence des dispositifs de mémoire, qu’ils soient des archives photographiques, des documents ou des appareils obsolètes. Il y a toujours en effet une démesure, un conflit latent entre les images, les histoires, les témoignages, les reproductions, les systèmes de classification et le monde, entre la grande histoire et les faits infimes de la vie, une distance à la fois ironique et tragique ; lorsque l’artiste fait réaliser deux tapis traditionnels agrandissant des célèbres télégrammes du XXe siècle, elle fait précisément se heurter temporalités et formes de vie différentes, montrant les contradictions, la fragilité, la nature complexe, imprévisible et irréductible de toute action humaine. Ainsi, le gorille, attraction pathétique d’un zoo américain, joue avec un pneu de la voiture d’Hitler, comme nous raconte le « dos » de la vieille photo que Benassi a agrandie et transformée en affiche. Et d’histoires aussi inattendues, d’écarts entre images et descriptions, est riche l’archive photographique que l’artiste compose depuis des années, un recueil dont le caractère distinctif est de présenter, à la place des images, les légendes, les cachets, les traces matérielles de leur utilisation dans les journaux, toutes méticuleusement reproduites à l’aquarelle. Pour l’artiste l’élément temporel de l’image n’est donc jamais unique, son parcours n’est jamais linéaire, mais plutôt stratifié et dialectique : les « dos » visualisent de façon palpable, immédiate, la nature anachronique de l’image, comme dirait Georges Didi-Huberman. Un vieux lecteur de microfilms (Memorie di un cieco, 2010) rassemble enfin cette archive en la « lisant » de manière aléatoire, automatique, comme si la machine ne parvenait pas à incorporer la bande transparente et était en quête d’une nouvelle façon de dérouler le « film » du temps.

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Depuis le début des années 2000, Elisabetta Benassi a travaillé à rouvrir ce que l’Histoire semblait avoir définitivement livré au passé ; elle a ainsi fait revivre sur l’écran vidéo la figure de Pier Paolo Pasolini, elle a conduit sa voiture dans les rues de Rome, pour renouveler et réactiver une mémoire collective dispersée. Ou bien elle a recueilli une série de cas contradictoires, où l’histoire réclame sa part à l’utopie et se montre dans toute sa violente ambiguïté : c’est le cas de la cellule – reconstruite en taille réelle – où la peinture abstraite moderniste se transforme pendant les années de la guerre civile espagnole en instrument de torture psychologique (Torture-Morte, 2013). En définitive, ce que l’artiste met en évidence c’est précisément la différence entre savoir et voir, entre récit et mémoire, volonté et inconscient : c’est cette tension qui redonne matérialité à l’image et visibilité à ce qui était caché, qui donne corps aux fantômes en réinventant chaque fois une nouvelle histoire. Du reste, a dit un philosophe, « nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité ». SMOG A LOS ANGELES, exposition d’Elisabetta Benassi du 27 octobre au 26 janvier 2014 au CRAC Alsace à Altkirch. www.cracalsace.com


Par Cécile Becker

(Dé)mystifier

On ne ramène pas simplement des images d’une résidence. D’un voyage de travail, les artistes nous amènent à questionner un pays, ses clichés, sa culture. En quelque sorte à casser notre réel. Une affirmation qui vaut pour Delphine Gatinois et Guillaume Chauvin qui exposent tous deux au CEAAC.

Submergés par les images, on ne se rend pas forcément compte à quel point la photographie a pu bouleverser notre vision du réel. D’un cliché, on tire les fils d’une réalité indéfectible et l’on peut tout aussi bien construire un imaginaire fondé sur du palpable. C’est peut-être sur cette notion que se retrouvent les travaux de Delphine Gatinois et Guillaume Chauvin. Elle évoque les mythes et légendes d’une culture très attachée à la spiritualité, il ramène d’une culture fantasmée une vision plus réaliste. Delphine Gatinois était déjà très attachée aux liens entre texte et image. De fait, ses photographies racontent des histoires et questionnent la contradiction entre fiction et réel, passant de l’un à l’autre. Avec Proies, série de photographies réalisées lors de sa résidence au Mali, elle matérialise ce qu’il y a par-delà la conscience humaine, les croyances et

les rites, et porte un regard nouveau sur les relations entre l’homme et la nature. Corps et nature ne font plus qu’un. Là, un homme masqué se mélange avec le soleil et l’arbre, plus loin, on ne sait plus très bien si ces jambes habillées appartiennent à un homme ou un animal, ailleurs, une cérémonie se prépare sous le regard impassible d’un homme peint. La force de ce travail réside dans le fait que le spectateur touche du doigt le réel mais peut ressentir d’un coup d’œil les liens surnaturels de l’homme avec son environnement. De l’image contrôlée d’une société, Guillaume Chauvin a lui choisi de mettre le réel en lumière. À la frontière du photojournalisme et de l’art – il est d’ailleurs régulièrement publié dans la revue 6 mois et dans le quotidien Le Monde – il documente la vie, la vraie d’habitants de la Russie. Partant d’un rapport peur/fascination à ce pays, il est d’abord surpris par « les normes surréalistes, la multi-nationalité insoupçonnée et les paradoxes historiques ». Il explore le folklore d’une nation ramenée au quotidien : Oleg pose en uniforme dans son champ de pommes de terre, des élèves d’un corps de cadets finissent leur bal pour nous faire passer de la rigidité de l’autorité à un moment de détente où ils s’esclaffent entre copains, des HLM s’élèvent d’une zone enneigée où des gamins s’amusent. Le pays blanc côtoie l’urbanisme, les marques de l’armée sont ramenées à des instants plus existentiels. Entre Sibérie et aujourd’hui est un reportage parsemé d’art dans l’esthétique très marquée, parfois dure des images. Alors que Delphine Gatinois mystifie le Mali, Guillaume Chauvin démystifie la Russie. Deux travaux qui se répondent et qui ont tous deux été le point de départ d’une relation approfondie avec leurs pays de résidences. DELPHINE GATINOIS ET GUILLAUME CHAUVIN, exposition du 7 décembre au 5 janvier 2014 au CEAAC à Strasbourg. www.ceaac.org

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Par Cécile Becker & Emmanuel Abela

Plaisirs

intimes En quelques années, GéNéRiQ s’est imposé grâce à l’intimité que crée le festival entre les artistes et leur public. Aux côtés des grands noms, Christophe, Bertrand Belin ou Mickey Green, focus sur deux coups de cœur, Jackson Scott, jeune pousse de la nouvelle scène psychédélique américaine et Fauve, révélation française 2013.

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Jackson Scott Dans l’ouverture de Melbourne, le premier album de Jackson Scott, une guitare s’échappe d’un tunnel, elle vacille, s’appuyant aux murs comme à son propre écho. Prenant un peu de confiance sur Evie, elle patronne la voix de Jackson, aussi douce que disgracieuse. Tout juste sorti de l’ingratitude adolescente, la vingtaine toute fraîche, l’Américain au visage dur, au regard tantôt appuyé tantôt fuyant, nous amène sur les chemins tortueux d’une assurance acquise au risque de ses propres sautes d’humeurs. Il explique : « Quand j’ai écrit cet album, j’étais dans un état d’esprit global assez étrange, parfois très heureux, parfois très anxieux. J’ai musicalement voulu transmettre ces antagonismes comme ils sortaient pour que le résultat soit authentique. Du coup, il y a des chansons très faciles d’accès et d’autres moins. Mais au moins elles témoignent de ce que j’ai été à ce moment précis. Ce que je veux, c’est que les gens passent par les mêmes états que moi lorsque j’enregistrais ». Une certaine urgence se dégage alors de cet album délicieusement foutraque, que l’on passe du primitivisme punk (Never Ever) à des ballades très immédiates (Sandy, Any Way) en passant par des interludes surréalistes (Wish Upon). Jackson Scott, c’est une amourette garage vécue sur un champ de coquelicots, décuplée par les effets de quelques cachetons hallucinogènes. Difficile alors de coller une étiquette sur ce son encore en construction, ce que le jeune homme consent : « C’est difficile pour moi de choisir, j’aime tellement de styles différents que je ne sais pas vraiment si un seul genre pourrait coller à ce que je fais. Mais si je devais essayer de définir ma musique, je dirais simplement que je fais du rock’n’roll ». Priorité aux sentiments, peu importe qu’ils soient difformes. Et si ce côté est définitivement assumé, il provient sûrement de l’insouciance de la jeunesse : « Il y a certainement chez moi un manque d’inhibition qui fait que je permets à ma musique d’aller dans tous les sens. Je suis peut-être moins conscient de moi-même que d’autres artistes, je ne sais pas ». Toujours est-il que cette spontanéité est appréciée par ses pairs, et même adoubée par le roi de l’instant présent : Bradford Cox, grand manitou de Deerhunter et Atlas Sound. Lorsque Jackson Scott met en ligne ses morceaux, la blogosphère sort ses tentacules au point de toucher le batteur de Deerhunter qui en parle à ses acolytes. Rapidement, Jackson

Scott et ses musiciens se retrouvent à assumer les premières parties du groupe. Un choix sensé, puisque la musique des deux formations s’assemble : automatique donc, rêveuse, psychédélique, sur le fil. Jackson Scott continue : « J’ai récemment compris que ce qui me touchait le plus dans une chanson était la mélodie, et Bradford Cox excelle vraiment là-dedans. J’aime leur son presque drogué. Ils savent où ils vont et ce qu’ils veulent faire de leur musique, et c’est ce vers quoi je tends ». Tendre et s’étendre mais toujours garder cette oreille attentive, quitte à s’inspirer « des chansons merdiques qui passent à la radio ». Jackson Scott est perméable. Il peut trouver son compte : une petite chose, un rythme, un son, une tonalité, dans toutes les chansons glanées n’importe où, « même celles de Britney Spears ». Que Jackson Scott grandisse, oui, mais qu’il conserve cette ouverture honnête et bienvenue. (C.B)

Fauve Fauve ne laisse pas indifférent : on les aime, on les déteste, avec sans doute la même mauvaise foi. Si ces Parisiens suscitent ainsi de telles réactions, c’est qu’ils se situent très loin de ce que le rock Made in France a pu produire ces dernières années. Il faut remonter aux débuts de Bérurier Noir, NTM ou Noir Désir pour retrouver une telle puissance dévastatrice. Le buzz est un faible mot quand on mesure l’impact d’une ascension aussi fulgurante en quelques mois. Le collectif lui-même se montre surpris par la ferveur qui lui est manifestée. « Ça n’est pas facile à gérer, admet-on au sein du groupe. On ne s’y attendait pas du tout, et surtout ça a généré un niveau d’attente qui semble démesuré par rapport à la maturité du projet ». Mais avec lucidité, il ne se laisse pas embarquer et maintient le cap de son approche rock et électro sans concession. « Si nous nous attachons à notre propre ambition artistique, c’est surtout parce que nous ressentons ce besoin-là, dans le cadre d’une démarche thérapeutique : entre passion et obsession, Fauve est vital pour chacun d’entre nous ». Avec un phrasé emprunté à la fois au hip-hop et à la scène pop indépendante française, il formule de manière crue et directe les maux d’une jeunesse en mal de transition. « Ce qu’on livre dans ces chansons, c’est de l’ordre de la confidence. On le dit comme nous le dirions à un pote, de manière utile ». (EA.) JACKSON SCOTT, en concert le 23 novembre aux ateliers Zone Art à Besançon. www.zone-art.org FAUVE, en concert le 20 novembre au Noumatrouff à Mulhouse et le 21 novembre à la Vapeur à Dijon. www.noumatrouff.com www.lavapeur.com

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Par Emmanuel Abela

Culde-sac

La dernière bande dessinée de Vincent Vanoli, Max et Charly, pose la question de l’être. Sans détour, l’auteur aborde le thème de la mort avec un goût prononcé pour l’absurde. Dans sa quête de sens, il nous livre un sourire.

Vous évoquez cet instant où vous vous « retranchez du monde quand vous dessiniez ». J’aimerais que vous nous racontiez cet état de « retranchement ». À l’adolescence, et notamment quand je faisais mes premières armes dans ma chambre après le lycée, je m’isolais. Peut-être exprimais-je une difficulté à me confronter au monde ? Ce retranchement était une forme de défense. Des années après, je me retranche de la même manière. On suppose un cheminement intérieur qu’on retrouve à la lecture de Max et Charly. Dans mes histoires, c’est toujours affaire de glissement. Je ne suis pas un spécialiste du scénario, des rebondissements et de tout cela, mais j’aime développer une forme d’atmosphère dans laquelle l’histoire devient un prétexte à ce glissement vers quelque chose d’autre. Moi-même, je glisse de la vie normale vers cet autre univers que je crée. Vous accordez-vous une part d’improvisation au moment de l’écriture et du dessin ? Oui, absolument ! Quand je commence, je situe clairement le motif que j’ai en tête, et je commence à dessiner. Au bout de quelques semaines, je constate que l’idée était bonne ou pas. C’est un peu comme si je prenais la voiture avec la volonté d’aller quelque part, mais en m’accordant la possibilité de prendre une bretelle et de bifurquer. Mes histoires sont comme un road-movie. À un certain stade de l’histoire, je m’arrête et je choisis la route qui s’ouvre à moi. Dans Max et Charly, j’ai commencé par le passage au barrage hydroélectrique, puis j’ai entamé une autre histoire avec l’idée d’un train qui ne s’arrête jamais. Puis, je me suis rendu compte que les deux personnages principaux devaient se croiser. Ils se retrouvaient tous deux avec leur boîte. Visiblement ils allaient quelque part. Dès lors, s’est imposée l’idée d’un territoire inconnu, vaste et désertique.

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Vous opposez à la volonté de connaître le dénouement un rythme lent qui installe le lecteur dans quelque chose de contemplatif. Pour vous, grand amateur de musique, la BD est aussi affaire de tempo. La question du rythme est importante pour moi, mais tout autant qu’à la musique c’est lié au cinéma. Je pense notamment à certains Fritz Lang, et certains de ses films très courts : un modèle de concision. Dans Max et Charly, le rythme est soutenu, mais je m’accorde la possibilité d’explorer des moments de silence, avant de réembarquer le lecteur dans une mécanique. Lui, il se laisse entrainer par ce drôle de tempo, même si ça peut créer de sa part beaucoup d’incompréhension, notamment parce que la BD se termine de manière abrupte. Je ne sais pas, mais c’est peutêtre une perversion de ma part de lâcher ainsi le lecteur et de tout casser au moment où il avait fini par bien se rôder à ma forme de récit.


Il est vrai qu’on situe un brin de malice derrière tout cela. Les situations sont graves, elles nous confrontent au thème de la mort, mais le sourire reste présent. C’est bien que vous me disiez cela. Généralement, on me signale que c’est noir, et même parfois négatif, alors que ça n’est pas mon intention. Si on lit d’une certaine manière, et tout cela dépend bien sûr de la sensibilité du lecteur, on découvre dans la gestuelle des personnages quelque chose d’un peu grotesque. Max et Charly sont des figures antinomiques, le grand barbu sec et le gros insouciant, qui cherchent à trouver du sens, avec un arrière fond l’idée du déclassement social. Bien sûr, je m’inspire de choses qui ont déjà existé du côté de l’absurde, avec la présence de ces deux personnages. C’est le cas chez Beckett, mais aussi chez Kafka, dans Le Château par exemple. C’est une forme d’humour qui interroge l’absurdité même de l’existence. Ce qui est appréciable, c’est que vous ne cherchez à rien démontrer ni surtout à tirer la moindre conclusion du récit. Vous confrontez le lecteur à ses propres angoisses, ce qui n’est pas simple pour lui. Oui, c’est comme dans un road-movie initiatique, on chemine et le plus souvent on finit par avoir appris quelque chose. Mais parfois on se retrouve face à un mur, et c’est naturellement dramatique.

Là, je n’ai pas de grande idée à faire passer. Dans Max et Charly je ne vois pas ce que les personnages vont pouvoir apprendre au bout d’eux-mêmes ; ils sont constamment face au vide qu’ils essaient de combler pendant l’histoire. Ils cherchent à surmonter l’errance, mais se retrouvent coincés au fond de l’impasse. Je ne veux surtout pas proposer une fin qui s’apparente à une solution ou à une recette de vie. C’est contraire à ma sensibilité… MAX ET CHARLY, bande dessinée de Vincent Vanoli aux éditions L’Association. www.lassociation.fr

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audio

CASS MCCOMBS

HARLEIGHBLU

Il nous avait littéralement scotchés en 2011 avec l’enchaînement de Wit’s End et Humor Risk, deux disques qui se situaient effrontément au-dessus de la mêlée. Cet Américain surdoué réédite l’exploit avec non pas un album, mais deux sous la forme du double LP, ce qui lui permet d’installer de belles atmosphères sur la durée, avec des sommets et de délicats instants d’intimité. La maturité du projet et la qualité des orchestrations tranchent avec l’état d’esprit indie : avec un goût prononcé pour la ritournelle, ce songwriter émérite tend à une forme de classicisme pop que ne renieraient, et de loin pas, certaines formations 60’s, les Byrds ou Buffalo Springfield. (E.A.)

Derrière les mastodontes ronflants du R’n’B, souffle un vent de révolte qui tente de renouer avec le son soul des origines. C’est dans la collection de sa mère qu’une gamine de 7 ans, Harleighblu, a puisé sa connaissance du genre, en se confrontant à ses idoles aussi bien à l’école que dans le studio du centre associatif de sa ville, Nottingham. C’était dit : elle serait chanteuse ! Aujourd’hui, soutenue par la fine fleur des producteurs, dont Don Letts, la jeune femme livre un premier opus qui situe sa voix distinctive, appuyée par une orchestration d’orfèvre, dans la lignée des plus grandes. Avec un titre d’album comme Forget me not nul doute qu’on s’en souviendra ! (E.A.)

BIG WHEELS AND OTHERS DOMINO

VAN MORRISON MOONDANCE / WARNER

Il est évident que quand un artiste atteint des sommets d’emblée, il lui semble plus difficile d’enchaîner. Il faut dire qu’après avoir écrit le standard Gloria à 18 ans, et enregistré Astral Weeks à 22, on est presque en droit de s’arrêter. Ça n’était bien sûr pas l’intention de Van Morrison, mais le challenge semblait insurmontable : maintenir le cap de l’excellence. Notre Irlandais du Nord possédait cependant une arme incroyable, la chaleur de sa voix, et c’est bien sur elle qu’il s’appuie pour construire une suite au chef d’œuvre que constituait sa première tentative en solo. Moondance qu’il publie en 1970 ne se situe pas forcément en-deçà ; il se distingue de son illustre prédécesseur par une tonalité plus enjouée qui le rend immédiatement plus accessible, d’où son succès. Mais les thèmes sont là, Crazy Love ou Into The Mystic constituent autant de pépites à forte charge sensuelle, dont les versions inédites publiées dans ce magnifique coffret 4 CD soulèvent enfin l’intime part de mystère. Un classique à redécouvrir jusque dans ses moindres recoins. (E.A.)

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MIDLAKE

ANTIPHON / BELLA UNION Dans l’histoire du rock, on dénombre quelques groupes qui ont survécu au départ du chanteur ; ça a été le cas avec Pink Floyd, Genesis, et naturellement de manière bien plus dramatique avec Joy Division. Pourtant, il n’apparaissait pas évident que Midlake puisse surmonter le départ de Tim Smith. Il a fallu 6 mois pour que le groupe se récrée sous la houlette d’Eric Pulido. À l’écoute de son nouvel album, on se dit qu’il a bien fait : on retrouve la qualité qui nous avait ému à l’époque de The Trials of Van Occupanther, avec cette dimension progressive supplémentaire qui marche de manière fascinante parfois sur les traces de classiques du genre, Soft Machine ou King Crimson. (E.A.)

FORGET ME NOT – TRU THOUGHT DIFFER-ANT

ROGER ROGER THE FALL EP

À une époque où les jeunes groupes ont tendance à diriger leur frêle embarcation droit sur l’écueil du gimmick, la conviction artistique de Roger Roger peut surprendre. Il fallait bien du courage pour graver dès le premier EP ces trois chansons qui paient leur tribut pop aux meilleurs formations britanniques du moment. Il fallait même un brin d’inconscience pour tenter le pari audacieux d’une forme quasi progressive qui les rapproche autant de Van der Graaf Generator que de Wire ou Radiohead, tout en conservant cette approche mélodique qui rend ces compositions si délicatement équilibrées. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’on attend la suite avec impatience ! (E.A.)


JOOKO CONNEXION

De la sénégalité dans l’art contemporain

Frottages de Daniel TIZIANI Musée des Beaux-Arts

Musée des Beaux-Arts

4, place Guillaume Tell, Mulhouse

4, place Guillaume Tell, Mulhouse

Exposition du 16 novembre 2013 au 5 janvier 2014 Entrée libre tous les jours (sauf mardis et jours fériés) de 13h à 18h30

Exposition du 21 novembre 2O13 au 12 janvier 2O14 Tous les jours (sauf mardis et jours fériés) de 13h à 18h3O

29.11.2013 — 12.01.2014 ENTRÉE LIBRE Tél : 03 69 77 66 47 www.kunsthallemulhouse.com

Conception : médiapop + TUBS★MJHIU

N° de licence entrepreneur du spectacle : 1050935 - 936 - 937 ~ Conception : tubs★mjhiu ~ Photo : © Pascal Ito

Entrée libre

SAM. 18.01

20:30

DES FLEURS POUR ALGERNON Par l’atelier théâtre actuel

lacoupole.fr

03 89 70 03 13


lectures

UN MONDE AVANT

LA BIBLE DU BOUDOIR

À l’ère du tout image et du tout numérique, on rencontre ceux qui pestent, on en rencontre d’autres qui nous font vivre des instants insoupçonnés : un livre, un site Internet, pourquoi les opposer alors qu’il est bon de les faire dialoguer ? C’est la très bonne idée de Claude Eveno qui nous propose des voyages intérieurs à travers la peinture. Sur la base de thématiques précises, la religion, l’histoire, la nature etc., son ouvrage nous offre des allers-retours entre les mots et les images. Un flashcode, et en instant nous voilà plongés au cœur d’une base de donnée de 600 images. Lesquels n’hésitent pas à nous livrer leur pleine matérialité, avec intelligence et sensualité. (E.A.)

Du cul, oui, mais du cul décomplexé. Plus qu’un Kâma-Sûtra des temps modernes, Betony Vernon soulève notre couette pour nous inviter à pénétrer un monde merveilleux fait d’échanges de fluides et de découvertes. Mesdames, osez regarder ce qui se cache sous votre mont de Vénus à l’aide d’un miroir, Messieurs, n’ayez pas peur d’un innocent doigt dans l’anus qui décuplera le moment T. Ne lésinez pas sur les jouets et laissez-vous l’un et l’autre vous faire dominer. De l’exploration et du plaisir qui passent par autre chose que des rapports génito-centrés pour atteindre le Nirvana. Une bible à conserver sur votre table de nuit qui casse les tabous – toujours en vigueur ! – avec beaucoup de tendresse. (C.B.)

DE CLAUDE EVENO / CHRISTIAN BOURGOIS

AVEC LA GUITARE DE RODOLPHE BURGER / BAYARD

L’exercice est périlleux, mais Rodolphe Burger s’y est livré avec beaucoup d’enthousiasme : il est parti à la rencontre des enfants dans le cadre des « petites conférences » de Gilberte Tsaï ; il leur a parlé de son instrument de prédilection, la guitare, de manière documentée et intime. Cette petite publication n’est autre que la retranscription de cet échange nourri. L’ex-Kat Onoma en a profité pour relater moult anecdotes sur l’histoire de la guitare, l’apparition de la 6e corde en 1789 de cet instrument forcément révolutionnaire, mais aussi des choses plus personnelles comme cette commande inopinée, à l’âge de 11 ans, de sa première guitare dans un magasin strasbourgeois. Au final, on apprend bien des choses, y compris techniques, sur la relation qu’il entretient à un instrument qui a su s’imposer pour finalement devenir l’élément dominant face à son concurrent direct, instrument-roi pendant des siècles, le piano. (E.A.)

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L’AMÉRIQUE, OU LE DISPARU

DE BETONY VERNON / ROBERT LAFFONT

LA PETITE MORT

DE RÉAL GODBOUT / LA PASTÈQUE

DE DAVY MOURIER / DELCOURT

S’attaquer à Kafka demandait soit un brin d’audace soit un brin d’inconscience. L’univers kafkaïen si impénétrable, si obscure peut-il se prêter à la bande-dessinée, lui qui n’est jamais sorti des archives de Fellini ? Avec Réal Godbout, la réponse est oui. Il suffit d’avoir été marqué, comme l’auteur il y a 35 ans, par ce chef-d’œuvre inachevé pour lui donner cette rigueur, voire cette froideur, plastique et faire la part belle au récit qui colle à la peau du roman. 7 ans, c’est le bel âge, c’est le temps qu’il a fallu à l’auteur pour apprivoiser Kafka et restituer dans cette BD dense toute la suffocation, l’angoisse mais aussi l’émotion d’un Kafka. (V.S.G.)

On vit notre relation à la mort comme on peut. Davy Mourier, lui, a décidé de la vivre avec beaucoup d’humour. Il donne vie à La Petite mort, fait vivre le personnage sous nos yeux, l’envoie à l’école. On s’attache à lui, avec sa petite faux quand il s’ennuie, s’offusque quand il est raillé et s’attendrit quand il affirme sa vocation dans la vie : devenir fleuriste. L’esprit de cette BD singulière est naturellement grinçant – on pense à l’univers crypto-gothique ô combien fascinant de Billy Brouillard –, mais on ne résiste pas à l’envie de confronter nos jolies têtes blondes au questionnement universel sur l’existence, la vie et la (petite) mort. (C.B.)


VLADIMIR SKODA MIROIR DU TEMPS du 8 novembre 2013 au 12 janvier 2014

Espace d’Art Contemporain André Malraux 4 rue Rapp 68000 COLMAR tél. 03 89 20 67 59 adm. 03 89 24 28 73 artsplastiques@ville-colmar.com. ENTREE LIBRE Du mardi au samedi de 14h à 19h, le dimanche de 14h à 18h.

DRAC Alsace

Ill : Vladimir Skoda - Sans titre, 1980 - 1988, acier forgé, acier inox poli miroir © Franta Barton

Sans titre-1 1

Lauris Paulus, Recueil, 2011

C E N T R E

05/11/2013 14:35:51

E U R O P É E N

D ’ A C T I O N S

A R T I S T I Q U E S

C O N T E M P O R A I N E S

Le Paravent de Salses Doppelgänger 3/3

Avec : Félicia Atkinson, Jérémie Bonnefous, Julien Crépieux, David Lamelas, Stéphane Le Mercier, Lauris Paulus, Chloé Quenum et Kijû Yoshida. Commissaire de l’exposition : Vincent Romagny

Exp E posi o tion présentée du 7 décembre au 16 février 2013 Ouv Ou O uvveert u rrttur ure ure r d du mercredi au dimanche de 14h à 18h FFe erm méé le less 2 25 & 26 décembre et le 1er janvier. Entrée libre. Pro PPr ro ojec je eeccti tio on du film « Passion ardente » de Kijû Yoshida le mardi 21 janvier à 18h. Aud Au A ud udiito to toriu riu um de la HEAR, 1 rue de l’Académie à Strasbourg. Entrée libre. Préésse Pré sen en e ta tat attio i par Mathieu Capel, docteur en études cinématographiques. ion 7, rue de l’Abreuvoir - 67000 Strasbourg +33 (0)3 88 25 69 70 communication@ceaac.org www.ceaac.org


dvd

RÉCITS LE FILS UNIQUE CINÉMATOGRAPHIQUES DE YASUJIRO OZU / CARLOTTA Avec ce coffret de neuf DVD, on redécouvre l’œuvre cinématographique du pape du Nouveau Roman qui réinterprète la grammaire cinématographique en mettant en scène un univers sadomasochiste hanté par le mystère et les fauxsemblants. C’est après avoir signé le scénario de L’Année dernière à Marienbad, que Robbe-Grillet passe à la réalisation. Sont ici rassemblés L’immortelle, Trans-Europ-Express, L’Homme qui ment, L’Eden et après, Glissements progressifs du plaisir, Le Jeu avec le feu, La Belle captive et C’est Gravida qui vous appelle avec en bonus des “préfaces” de Catherine Robbe-Grillet et des entretiens avec Alain Robbe-Grillet par Frédéric Tadéï. (P.S.)

Ce qui est désarmant chez Ozu, c’est l’extrême sobriété qu’il associe aux sentiments de ses personnages principaux, et pourtant le drame est de taille : une mère se sacrifie pour que son fils puisse se rendre au lycée ; quelques années plus tard, elle lui rend visite à Tokyo et constate qu’il vit avec sa femme et son enfant quasiment dans le dénuement. La déception qu’elle cache difficilement est à la hauteur des espoirs qu’elle avait placés. À quelques années de l’entrée en guerre du Japon, l’on découvre un pays qui n’a pas encore opéré sa transition culturelle avec une séparation dramatique entre la ville et la campagne, ce qui rend le cadre et les personnages de ce récit encore plus bouleversants d’expressivité. (E.A.)

49e PARALLÈLE

LE MÉPRIS

DE MICHAEL POWELL / CARLOTTA

DE JEAN-LUC GODARD / CARLOTTA

La guerre est forcément l’objet de mises en situations, parfois en temps réel, qui permettent soit de mobiliser la population, soit de galvaniser les troupes. Faut-il voir dans le récit de ces officiers nazis, contraints après la destruction de leur sous-marin dans la baie d’Hudson, de trouver refuse sur la côte canadienne l’occasion pour le duo britannique Michael Powell et Emeric Pressburger de régler ses comptes par films interposés, alors que l’Angleterre vit le Blitz depuis des mois ? Rien n’est sûr… Les circonstances les conduisent surtout à interroger la complexité de la nature humaine et à créer un grand film d’aventures. (E.A.)

« Tu les vois mes pieds dans la glace ? », interroge Brigitte Bardot sur une musique de Georges Delerue. On connaît la suite, Michel Piccoli aime sa femme Camille « totalement, tendrement, tragiquement », ce qui ne l’empêchera pas de commettre l’irréparable ; il l’aime surtout en couleurs pour que ce drame plastique d’inspiration antonionienne prenne sa pleine dimension. 50 ans après la sortie de ce chef d’œuvre, l’émotion reste intacte. Alors, pourquoi bouder notre plaisir à l’occasion de cette réédition en coffret qui réunit le Blu-ray, le DVD du film restauré avec suppléments, le roman d’Alberto Moravia, la bande originale et même l’affiche du film ? (E.A.)

DE ALAIN ROBBE-GRILLET / CARLOTTA

LA PORTE DU PARADIS DE MICHAEL CIMINO / CARLOTTA

Gouffre financier qui précipita la chute de United Artists et échec commercial à sa sortie en 1980, La Porte du paradis s’inspire très librement de la vie de James Averill et plus précisément de sa participation à la « guerre » du comté de Johnson qui, en 1890, dressa de pauvres immigrants venus d’Europe de l’Est contre les riches propriétaires de bétail du Wyoming. Kris Kristofferson, Isabelle Huppert et Christopher Walken incarnent les héros de cet épisode méconnu (pour une fois, ce ne sont pas les indiens qui se font massacrer) qui se déroule dans des paysages grandioses somptueusement filmés par Michael Cimino. Le réalisateur a travaillé pendant un an pour sortir une version restaurée et intégrale de ce western néo-marxiste désormais disponible en DVD. (P.S.)

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soirée au mamcs SOUS LE SIGNE DE LA CRÉATION CONTEMPORAINE EN PRÉSENCE D’YVAN SALOMONE ET RICHARD MONNIER

MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN 1 PLACE HANS-JEAN-ARP TÉL. + 33/(0)3 88 23 31 31 PROGRAMME COMPLET SUR : WWW.MUSEES.STRASBOURG.EU

Yvan Salomone, B BXIRLIRLIRLI, 2001-2003, collection Frac Alsace © Adagp, Paris 2013 / Photo Klaus Stöber. Graphisme : Rebeka Aginako

VENDREDI 22 NOVEMBRE 2013 DE 18H À 22H

DE L’AUTRE CÔTÉ

24e SALON DU LIVRE DE COLMAR 23 & 24 NOVEMBRE 2013

RAUSCH

17.12 — 20:00 18.12 — 20:00 ���� �� �����, ������������ :

en allemand surtitré en français

PARC DES EXPOSITIONS SAMEDI 9H À 19H — DIMANCHE 9H À 18H ENTRÉE LIBRE PARKING, ATELIERS ET SPECTACLES GRATUITS WWW.SALON-DU-LIVRE-COLMAR.COM

© Sebastian Hoppe

Falk Richter & Anouk van Dijk

renseignements et réservations : +33 (0)3 87 84 64 34 | billetterie@carreau-forbach.com | www.carreau-forbach.com

Numéros de licences – Entrepreneur de spectacle catégorie I – 1049874 – catégorie II – 1049875 – Catégorie III – 1049876 – n° siret – 40791040500015 – Code APE – 9002Z | Graphisme : Bureau Stabil


Bagarre

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01

Chloé Tercé / Atelier 25



METAMATIC Reloaded

23. 10. 2013 — 26. 01. 2014

1 2 3 4

5 6 7 8

Marina Ranjit John Olaf

Abramovic´ Bhatnagar Bock Breuning

Thomas Hirschhorn Aleksandra Hirszfeld Jon Kessler Pors & Rao

123 /4

9 João Simões 10 Brigitte Zieger

Marina Abramovic´ , MAI-Prototype, 2012 © 2013, ProLitteris, Zurich, Photo: Dusan Reljin

Olaf Breuning, Home 3, 2012 Filmstill: Olaf Breuning

John Bock, Jon Kessler, Concerto Grosso ‹Lecker Puste›, 2012 The Web, 2012 Photo: Roland Wetzel Photo: Andrew Ohanesian

Ranjit Bhatnagar, Singing Room for a Shy Person, 2012, Photo: Ranjit Bhatnagar und William Ward

Thomas Hirschhorn, Diachronic-Pool, 2012 © 2013, ProLitteris, Zurich, Photo: Marc Domage

Aleksandra Hirszfeld, Information Absorber, 2012 Photo: Agata Kawecka

João Simões, NTSC, 2012

Musée Tinguely, Bâle Mardi-Dimanche 1 1 –18 h


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