nUMÉRO 25
07.2013
la culture n'a pas de prix
EXPOSITION
Ousmane
SOW BESANÇON DU 15 JUIN AU 15 SEPT. 2013 CITADELLE
© Béatrice Soulé / Roger-Viollet / ADAGP
MUSÉE DES BEAUX-ARTS ET D’ARCHÉOLOGIE
ours
sommaire NUMÉRO 25 07.2013
Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com u 06 86 17 20 40 Secrétaire de rédaction : Claire Tourdot Direction artistique et graphisme : starHlight Ont participé à ce numéro : REDACTEURS
Édito
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Le monde est un seul / 24, par Christophe Fourvel 07 Pas d’amour sans cinéma / 15, par Catherine Bizern 09 Bréviaire des circonstances / 5, par Vanessa Schmitz-Grucker Plastic Soul / 5, par Emmanuel Abela 12
Cécile Becker, Betty Biedermann, E.P Blondeau, Olivier Bombarda, Benjamin Bottemer, Caroline Châtelet, Sylvia Dubost, Nadja Dumouchel, Nathalie Eberhardt, Anthony Gaborit, Justine Goepfert, Pauline Hofmann, Xavier Hug, Virginie Joalland, Claire Kueny, Nicolas Léger, Stéphanie Linsingh, Guillaume Malvoisin, Stéphanie Munier, Adeline Pasteur, Julien Pleis, Nicolas Querci, Mickaël Roy, Vanessa Schmitz-Grucker, Christophe Sedierta, Claire Tourdot, Fabien Velasquez, Gilles Weinzaepflen.
Focus
PHOTOGRAPHES
Rencontres
Éric Antoine, Vincent Arbelet, Janine Bächle, Pascal Bastien, Aglaé Bory, Oliver Clément, Caroline Cutaia, Marie Flizot, Eléonore Guillon, Stéphanie Linsingh, Marianne Maric, Renaud Monfourny, Elisa Murcia-Artengo, Yves Petit, Marie Quéau, Olivier Roller, Dorian Rollin, Christophe Urbain, Nicolas Waltefaugle, Sophie Yerly.
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L’actu culturelle du Grand Est à vive allure 14 La sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer 17 Un paysage de nature équestre par Bearboz et Sandrine Wymann : Kaputt de Maurizio Cattelan à la Fondation Beyeler à Bâle 31
CONTRIBUTEURS
Dominique A se dévoile dans Y revenir 34 Troy von Balthazar, tea time et temps du bilan 40 Simon Reynolds, le dernier des journalistes musicaux 42 Jacco Gardner, un jeune néerlandais fasciné par Syd Barrett, Love et The Zombies
Bearboz, Catherine Bizern, Blondie, Christophe Fourvel, EM/M, Pierre Périchaud, Chloé Tercé, Fabien Texier, Vincent Vanoli, Sandrine Wymann.
Magazine
COUVERTURE
Photo : Bernard Plossu (Los Angeles, 1974) Retrouvez entretiens, photos et extensions audio et vidéo sur les sites Novomag.fr, facebook.com/Novo, mots-et-sons.com et flux4.eu Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop
Chic Médias u 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 25000 euros u Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane u bchibane@chicmedias.com 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire médiapop u 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 euros u Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer u ps@mediapop.fr 06 22 44 68 67 – www.mediapop.fr IMPRIMEUR
Estimprim ~ PubliVal Conseils Dépôt légal : juillet 2013 ISSN : 1969-9514 u © Novo 2013 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. ABONNEMENT www.novomag.fr
Novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France
6 numéros u 40 euros / 12 numéros u 70 euros
Laurent Joyeux se mesure à l’imposant Ring de Wagner 48 Un vent de jeunesse souffle sur le 66e Festival de musique de Besançon 49 EM/M (http://emslashm.tumblr.com) 50 Neil Young et le Crazy Horse investissent la Rockhal à Luxembourg 52 De passage à Mulhouse, Florent Mazzoleni raconte son Épopée de la musique africaine 54 Une éclaircie dans le ciel musical avec le festival Météo à Mulhouse 57 Hurlements, bière et art contemporain ou quand la culture metal fait son entrée au musée 58 Le train et l’automobile, synonymes de création artistique à Belfort et Montbéliard 63 Partages de savoir encyclopédique avec Susan Vérité au Crac Alsace d’Altkirch 64 Impressions croisées de quatre artistes partis en résidence à la Chaufferie à Strasbourg 65 Mulhouse entre dans l’ère post-photographique avec la première Biennale 66 Daniel Gustav Cramer fait de la photographie le langage de l’interstice à la Kunsthalle Mulhouse Zilvinas Kempinas recherche l’équilibre dans l’illusion au musée Tinguely à Bâle 70 À chaque artiste son portrait ou l’histoire de l’arroseur arrosé au Musée Würth à Erstein 71 La Fondation Beyeler rend hommage au plus prolifique des surréalistes, Max Ernst 72 L’image d’Épinal décryptée sous toutes ses faces au musée de l’Image à Épinal 73 Retour aux origines pour le festival Premiers Actes et sa programmation pastorale 74 Vincent Goethals met à l’honneur ses racines belges pour la saison estivale du Théâtre du Peuple à Bussang 75 Le carnet de Voyage de Caroline Châtelet en Bulgarie 76 Le cinéma de Buñuel oscille entre pulsion de vie et de mort sur ARTE 78 Déclinaison de l’été berlinois par le nouveau cinéma européen 80 Le Roi des mouches de Mezzo et Pirus navigue en eaux troubles dans un monde bicolore 82 Christophe Blain donne naissance au livre-disque fantasmé et fantasmagorique La fille 84
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Les carnets de novo David Lynch, par Vincent Arbelet 94 Movies to learn and sing / 8, par Vincent Vanoli et Fabien Texier Copains d’Avant / 7, par Chloé Tercé / Atelier 25 98
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édito pAR philippe schweyer
night & day Comme chaque année, je me rends à Art Basel, la plus grande foire d’art au monde. Alors que je slalome à vive allure entre les œuvres exposées tout en admirant la plastique impeccable des filles qui, sur leurs stands, attendent le client en tapotant négligemment sur leurs ordinateurs portables, mes pas me guident vers une pièce plongée dans l’obscurité où est présentée une installation de l’artiste brésilien Tunga. Un projecteur 16 mm est posé au sol. La pellicule qu’il projette sur un mur, décrit un grand cercle à travers la pièce. Tunga a filmé un plan-séquence dans le tunnel courbe de Dois Irmãos à Rio de Janeiro et l’a monté en boucle de telle sorte qu’on ait l’impression de tourner en rond dans un tore sans issue creusé dans la roche. Pour accentuer l’effet hypnotique produit par le film, quelques mesures de la chanson Night and Day chantée par Frank Sinatra tournent en boucle au ralenti. Comme les images projetées sur le mur, la bande son se répète à l’infini, déformée, lancinante, absurde. Quelques jours plus tard, je ne peux m’empêcher de repenser à l’œuvre de Tunga. Moi aussi, je tourne en rond, prisonnier d’une page blanche que je me suis condamné moi-même à noircir. Moi aussi, je me répète à l’infini. Moi aussi, je tourne en rond, nuit et jour. Moi aussi, je me répète à l’infini. Moi aussi je tourne en rond, nuit et jour…
Heureusement, le téléphone sonne : – Allo, ça va ? – Non. – Qu’est-ce qui ne tourne pas rond ? – Je tourne en rond… – Tu m’as fait peur. Je croyais que ça ne tournait pas rond ! – Pas du tout, je te dis que je tourne en rond ! J’ai l’impression d’être prisonnier d’un horrible sketch de Raymond Devos. Il est temps que je raccroche. Deux minutes plus tard, le téléphone se remet à sonner : – Allo, ça va ? – Non. – Qu’est-ce qui ne tourne pas rond ? – Je tourne en rond… – Tu m’as fait peur. Je croyais que ça ne tournait pas rond ! – Pas du tout, je te dis que je tourne en rond ! J’ai l’impression d’être prisonnier d’un horrible sketch de Raymond Devos. Il est temps que je raccroche. Deux minutes plus tard, le téléphone se remet à sonner. Cette fois, c’est le rédac-chef de Novo : – Allo, ça va ? – Non. – Qu’est-ce qui ne tourne pas rond ? – Je tourne en rond… – Tu crois que tu vas t’en tirer comme ça ? Dépêche-toi de me torcher un édito qui déchire ! T’as qu’à faire un truc drôle comme la dernière fois… – T’es sûr ? Tu ne trouves pas que je tourne en rond ? – Si, mais si tu t’arrêtes de tourner t’es mort… –… – Allo, ça va ? – Non. – Qu’est-ce qui ne tourne pas rond ? – Je tourne en rond…
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frac franche-comté cité des arts – 2, passage des arts 25000 besançon +33 (0)3 81 87 87 00 www.frac-franche-comte.fr
Photo : Shunk-Kender © Roy Lichtenstein Foundation – conception graphique : Jocelyne Fracheboud
ouvert du mercredi au dimanche de 11 h à 19 h
Le monde est un seul n°- 24 Par Christophe Fourvel Photo Vincent Arbelet
Toute petite contribution pour un monde meilleur La semaine du 8 avril, la poésie a eu son temps de gloire. Elle fit la une ou la quatrième de couverture de certains journaux ; occupa des émissions littéraires qui la cantonnent, habituellement, au dernier strapontin. Ce fut une sorte de gros plan, caméra benoîtement tenue à l’épaule sur le seul livre de Michel Houellebecq : Configuration du dernier rivage. Ceux qui en parlaient disaient pour la plupart avoir aimé, beaucoup aimé, même. Saluaient l’apport de l’opus à la rivière poétique contemporaine, connue pour être sauvage et souterraine, tout en avouant, sans pour autant relativiser leur jugement, ne guère en fréquenter les rives. Autrement dit, ne jamais lire de poésie contemporaine autre que houellebecquienne. Ainsi, comme l’auteur lui-même semble s’être arrêté à Jules Laforgue (mort en 1887...) il y avait là, dans ces étroits couloirs médiatiques où l’on ne se permet habituellement qu’un crawl exigeant, l’opportunité de jolis batifolages dans le bain toujours opaque de l’imposture. Dommage, tout de même, que nos chroniqueurs littéraires ne lisent pas plus de poésie contemporaine, c’est sans doute ce que nous étions quelques-uns à nous murmurer. Et défilaient dans notre tête, un certain nombre de livres nés et morts dans le silence, qui auraient pourtant porté beau dans ces prestigieuses pages. Mais puisqu’il est dit que « la poésie est une arme chargée de futur », nous demeurons non pas amers mais résolument constructifs : voici donc une petite contribution (collective) pour un monde meilleur saisie au gré d’un butinage dans le désordre alphabétique joyeux et les trente dernières années de la production francophone. Sans vouloir faire anthologie et en assumant les inévitables lacunes, nous nous permettons donc de pointer du doigt, ici, quelques rivages plutôt bien
— CARNETS DE NOVO —
configurés qu’il serait heureux de fouler avant de traiter sur une page ou pendant une demi heure d’antenne, du prochain ouvrage versifié de Michel Houellebecq… Claude Esteban, Élégie de la mort violente, Morceaux de ciel, presque rien, La Mort à distance ; Jacques Roubaud, Quelque chose noir ; JeanLuc Sarré, Comme un récit, Bat B2, Affleurements ; Gilles Ortlieb, Poste restante ; Emmanuel Hocquard, Les Élégies ; Henri Deluy, Premières Suites ; Yves Bonnefoy, L’Heure présente ; Franck Venaille, La Descente de l’Escaut ; Jacques Réda, Les Ruines de Paris ; Nicolas Pesques, La Face nord de Juliau ; Christian Garcin, Les Cigarettes ; Pierre Chappuis, Muettes Émergences ; Martine Broda, Poèmes d’été ; Ludovic Degroote, Le Début des pieds, Monologue ; Jacques Lèbre, Dans la conversation ; Etienne Faure, Vues Prenables ; Philippe Jaccottet, L’Encre serait de l’ombre ; Gérard Arseguel, Théorie de l’envol ; Pascal Commère, Vessies, lanternes et autres bêtes à cornes ; Jacques Dupin, L’Embrasure, Ballast ; Jean-Baptiste Para, La Faim des ombres ; Marie Etienne, Le Livre des recels ; Cédric Demangeot, Une inquiétude ; Jean-Pierre Chevais, Précis d’indécision ; Bernard Noël, La Chute des temps ; Mathieu Bénézet, Et nous n’apprîmes rien ; Bruno Berchoud, L’Ombre portée du marcheur ; Thierry Metz, Journal d’un manœuvre ; Ariane Dreyfus, La Terre voudrait recommencer ; Louis-René Des Forêts, Les Poèmes de Samuel Wood ; Jean-Claude Pinson, Fado (avec flocons et fantômes) ; William Cliff, Marcher au charbon ; Hédi Kaddour, Jamais une ombre simple ; Mariette Navarro, Alors carcasse ; Virginie Poitroisson, Il faut toujours garder en tête une formule magique ; Michelle Grangaud, Gestes ; Annelyse Simao, Pas tes mains mais ma bouche ; Carl Norac, Sonate pour un homme seul ; Matthieu Messagier, Les Grands Poèmes faux, La Compil ; Jean-Jacques Viton, Épisodes, Décollage, L’Année du serpent ; Ito Naga, Iro Mo Ka Mo ; André Blanchard, Idéal Portrait ; Edouard Glissant, Poèmes complets ; Aimé Césaire, La Poésie ; Nicolas Cendo, La Verrière ; Jude Stéfan, À la vieille Parque, Prosopopées ; Alain Veinstein, Voix seule ; Albane Gelée, Aucun silence, bien sûr, Je te nous aime ; Valérie Rouzeau, Pas revoir suivi de neige rien ; Jacqueline Risset, Petits éléments de physique amoureuse ; James Sacré, Une fin d’après-midi à Marrakech ; Isabelle Garron, Qu’il faille ; Manuel Daull, Toute une vie bien verticale ; Philippe Denis, Notes lentes, Alimentation générale...
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La Région vous invite à venir découvrir VÉRÉNA VELVET ! créé par la COMPAGNIE ENTRE CHIEN ET LOUP, lauréate de l’appel à projets 2013 Arts Publics. Cette histoire, au travers d’une fiction sonore et d’installations plastiques au cœur de l’espace public, met le spectateur au cœur de tout. En partenariat avec La Transverse, et les festivals Chalon dans la rue et Les Zaccros d’ma rue.
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Photo : Compagnie entre chien et loup / Conseil régional de Bourgogne - 2013
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Pas d’amour sans cinéma n°- 15 Par Catherine Bizern
Emmanuel Devos (Esther) dans Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) d’Arnaud Desplechin
Une jeune femme de 30 ans Ce souvenir est revenu à mon esprit, comme un flash. Je me remémorais cela : je rentrais chez moi, seule, vers minuit, secouée de sanglots. Dans la légèreté de la nuit, je pleurais longuement, et peutêtre même consciencieusement, pour soulager mon cœur lourd d’une immense tristesse. Je sortais du cinéma où j’étais allée voir Comment je me suis disputée (ma vie sexuelle). Fin mai 1996. Je l’avais oublié mais l’étalage de la vie intime auquel Arnaud Desplechin se livrait dans ce film sans pudeur, avait la cruauté d’un miroir tendu à ma propre vie du moment. 30 ans passés, à Paris depuis presque 10 ans, j’avais entamé ma vie active, ma vie d’adulte, sans m’en rendre tout à fait compte, c’est ce que ce film me disait. Et cela m’effrayait soudain : ne pas se rendre compte. Confusément sans doute, les craintes d’Yvan, de Paul et de Jean-Jacques, leurs atermoiements quant à leur devenir professionnel faisaient écho à mes propres doutes quant à mes capacités face à mes désirs. Les doutes que l’on reconnaît ont une prégnance autrement plus grande alors.
— CARNETS DE NOVO —
Et puis il y avait Paul et Esther qui, disait la voix off au début du film, « étaient ensemble depuis dix ans, s’entendaient très mal et tentaient de se débarrasser l’un de l’autre ». Je ne me souviens plus très bien en cette fin du mois de mai 1996, lequel de nous deux, entre mon compagnon et moi, voulait quitter l’autre, lequel de nous deux était à ce momentlà le plus attaché à l’autre. Nous vivions depuis huit ans déjà une relation faite de refus, de frustration et de colère et qui, aussi, semblait impossible à rompre. À cette situation, la relation d’Esther et Paul faisait écho et peut-être plus encore la relation de Jean-Jacques et de Valérie dont le sadomasochisme avait ouvertement une violence et une vigueur qui entraient dans ma chair comme un couteau. Il y avait surtout Esther qui, enfin séparée de Paul, devenait une figure de l’amour absolu, de celui qui est capable d’un bonheur et d’une souffrance aussi vifs l’un que l’autre. Lorsqu’en pleurs au téléphone, elle peut crier à Paul au prix d’un terrible effort « tu es mort pour moi » elle le fait une fois pour toutes, toutes les fois où je n’avais, jusque-là, pas eu le courage de le dire. Et peut-être aussi pour toutes les fois de mes histoires à venir. Vérité de l’instant à vivre, reconnu, attendu, craint, inoubliable, comme tatoué sur le bras. Mais plus que tout, c’est le désenchantement assumé par le film des relations entre jeunes hommes et jeunes femmes qui me faisait pleurer à chaudes larmes. Tout n’était que discours, stratégie, calcul, faux semblants, sentimentalité creuse. Mauvaises raisons d’être ensemble, et de se quitter. Désir des uns et des autres d’avoir le pouvoir « tu veux me mater », « arrête de m’attaquer » et autres amabilités, mais aussi de jouer au plus malin, au moins amoureux, au plus détaché… Et le couple définitivement comme le lieu suprême de l’empêchement. Et c’était vrai : à ce moment-là de ma vie c’était exactement ce que je vivais… Je me souviens avoir pleuré depuis la fin du générique, la sortie du cinéma, dans les rues désertes, les escaliers de mon immeuble. À la porte de mon appartement j’essuyais mes larmes. J’avais été ce soir-là comme brûlée par le film. Il me fallut ensuite une année encore pour quitter mon compagnon. L’autre jour, ce n’est pas le film qui m’est revenu en mémoire. C’est son effet sur moi qui a refait surface, comme le signe qu’il avait cessé définitivement de se consumer en moi. Presque deux décennies plus tard, légèreté de n’être plus une jeune femme de trente ans.
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ILLUSTRATION
© MATTHIEU APPRIOU (TELMOLINDO)
MÉTÉO | MULHOUSE MUSIC FESTIVAL 27-31.08.2013
CHRISTINE ABDELNOUR (FR) / BEÑAT ACHIARY (FR) / JOACHIM BADENHORST (BE) / ANTOINE BERJEAUT (FR) / ALBERTO BRAIDA (IT) / JOHN BUTCHER (GB) / ANTHEA CADDY (AU) / CHRIS CORSANO (USA) / SÉBASTIEN COSTE (FR) / JULIEN DESPREZ (FR) / ISABELLE DUTHOIT (FR) / ENSEMBLE PHOENIX BASEL (CH) / PETER EVANS (USA) / XU FENG-XIA (CHN) / NICOLAS FIELD (CH) / MATS GUSTAFSSON (SE) / ERWAN KERAVEC (FR) / JONAS KOCHER (CH) / KEIJI HAINO (JP) / FRANZ HAUTZINGER (AT) / SYLVAIN KASSAP (FR) / LEE SHIH-YANG (TW) / URS LEIMGRUBER (CH) / HANNES LOESCHEL (AT) / FRANTZ LORIOT (FR) / EDOARDO MARRAFFA (IT) / TED MILTON (GB) / PHIL MINTON (GB) / NORBERT MÖSLANG (CH) / PASCAL NIGGENKEMPER (DE) / JÉRÔME NOETINGER (FR) / EDWARD PERRAUD (FR) / DIDIER PETIT (FR) / JOHN RUSSELL (GB) / FABRIZIO SPERA (IT) / RAYMOND STRID (SE) / CLAYTON THOMAS (AUS) / JOHN TILBURY (GB) / VALERIO TRICOLI (IT) / RAINER TRÜBY (DE) / MICHAEL RÜTTEN (DE) / FRED VAN HOVE (BE) / … FESTIVAL MÉTÉO BP 1335/ F-68056 MULHOUSE CEDEX + 33 (0)3 89 45 36 67
INFO@FESTIVAL-METEO.FR WWW.FESTIVAL-METEO.FR
Bréviaire des circonstances n°- 5 Par Vanessa Schmitz-Grucker
Illustration : Pierre Périchaud
L'impossible été (chap. 9-10)
— CARNETS DE NOVO —
- 10 Viens par là, on joue à chat perché ! Le monde est à nous et toi, tu veux jouer à chat perché !
-9C’était pas une bonne idée de jeter cette gauffre aux marrons à la flotte. C’est peut-être un moindre crime, un crime de seconde zone. Trois fois rien. Trois fois rien c’est déjà beaucoup. C’est rien, rien et encore rien. C’est trois “riens” et c’est trop. Aije d’autres choix, maintenant, que d’expier cette faute en tournant en rond dans des avions rouges et blancs ? Ai-je d’autres choix que d’attendre la translation de la Terre autour du soleil jusqu’à ce qu’il se couche, au sud, derrière la demi-lune de la porte de Belfort ? Ai-je d’autres choix que de regarder la Terre s’ouvrir sous mes pieds ? Qu’est-ce que j’aurais pu faire d’autre ? Qu’est-ce que j’aurais dû faire d’autre ? Le monde crache ses bulles dans ma tête, le vide se remplit sous mes pieds et la lune a cessé de croître sans aucune autre forme de négociation. Et la prochaine sur leur liste, c’est moi. J’n’ai même plus de convictions. J’les ai refilées à un singe de cirque, au coin de la rue, contre trois fils de sucre liquéfié dont je ne sais même pas quoi faire. J’ai des millions d’années suspendues à mes poignets et plus une seule seconde à gagner. Et j’ai connement mis ma vie à prix pour les crashs à venir. Tout ce que je voulais, c’était être libre.
Le monde ? C’est quoi le monde ? Ces quelques arpents de terre prisonniers d’une muraille à l’agonie ? J’en ai fait le tour de ton étoile, moi. J’ai envie d’jouer. Mais non, viens, lève-toi, on s’en va, on... On reste ici. On s’en va. On reste ici. On s’en va. On reste ici. On s’en va voir la mer. C’est loin, la mer. Et je m’ennuie. Et tu m’ennuies. Tu peux jamais te contenter de ce que tu as. Tu parles toujours d’aller voir ailleurs mais notre vie est ici. Pars, elle te rattrapera. J’m’en fous si tu m’crois pas. T’verras bien. M’emmerde pas. J’sens déjà le sable chaud sous mes pieds, le vent iodé dans mes veines, la course sèche des vagues, les dunes immenses à dévaler, les crabes à déterrer. Lève-toi, allez ! J’vois rien, j’entends rien, j’sens rien. Assieds-toi, ça va être l’heure de rentrer. Avec tes conneries, on n’aura même pas joué à chat perché. Mais alors, lève-toi, et regarde, là-bas, au loin, regarde ! Voilà, j’suis debout, et maintenant, hein, j’dois voir quoi ? Un sémaphore. Un sémaphore ? Oui, un phare marit... Oh, ça va, j’sais ce que c’est un sémaphore ! Mais là, à part tes tours bastionnées à la con... Bordel, fais un effort, ouvre les yeux et regarde ce sémaphore, il est là, comme notre étoile, pour nous protéger des ennemis. Il nous appelle. Chuuut. Tu l’entends ? … Il chante. Oui, il chante. Allez, lève toi, on s’en va.
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Plastic Soul n°- 5 Par Emmanuel Abela
Blondie Notebook : La fille au bikini Tous les mômes se retrouvaient dans le petit parc aménagé entre les quatre blocs principaux, au pied de la grande tour qui surplombait ce quartier en construction. Aux alentours, les terrains vagues étaient réservés aux plus aventureux. Moi, je n’en étais pas, et de toute façon, il m’était interdit de sortir du champ de vision de mes parents.
J’avais 7 ans, et la clé autour du cou. L’espace de jeu me semblait d’autant plus immense qu’il n’y avait personne avec qui jouer au cours de l’été. Plongé dans la langueur assommante du mois de juillet, j’errais avec un ballon dont je ne savais que faire. Je craignais de passer trop près du bloc de droite ; mes amis italiens avaient pris l’habitude de nous attraper, de nous conduire à la cave et d’y éteindre la lumière. Généralement, la bataille qui s’engageait avait pour but de libérer les garçonnets enfermés, mais là j’étais seul et un peu inquiet à l’idée de me voir ainsi séquestré. Et pourtant, c’étaient mes amis, les Italiens du bloc de droite, le moins haut des quatre immeubles, celui qui se caractérisait par la présence des vêtements accrochés au balcon – notre petit coin de Naples à nous – et par le bruit des ustensiles de cuisine à l’approche de l’heure du repas. Des fenêtres, on entendait de la musique, du folklore du pays bien sûr, mais aussi des standards signés Frankie Valli & The Four Seasons, Sherry, Candy Girl, la première version de Can’t Take My Eyes Off You ou le magnifique Beggin’. Il m’arrivait de m’asseoir pour écouter ces chansons ; un jour, je fus saisi par la profonde tristesse d’une musique comme je n’en avais jamais entendue. J’ai mis beaucoup de temps à retrouver ce morceau, mais je le sais aujourd’hui, il s’agissait de Caroline No par les Beach Boys, cette plainte nostalgique qu’on trouve à la fin de Pet Sounds, un disque qui m’a été offert plus tard mais que je ne pouvais pas écouter faute de pick-up à la maison. Where did your long hair go Where is the girl I used to know L’été me semblait déjà interminable.
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Au petit matin, de ma chambre j’évaluais les possibilités de jeu avant d’obtenir l’autorisation de sortie, mais le parc était désert. Le seul signe de vie se manifestait par le bourdonnement inquiétant des guêpes à proximité des poubelles. Et c’est pourtant dans cet espace de quasi désolation qu’une petite fille blonde fit son apparition. Je la voyais au bout, là-bas, descendre au pied de son immeuble, s’abritant de la chaleur dans l’entrée. Je ne me souviens pas précisément de l’instant de notre rencontre, mais comme nous étions seuls je pris rapidement part à ses jeux à elle. Nous passâmes des semaines à nous retrouver pour improviser de longues représentations théâtrales dont nous étions nous-mêmes à la fois les exécutants et le seul public. Les épopées s’enchaînaient sur un même mode narratif : elle, dans le rôle principal de la princesse emprisonnée, parfois enchaînée ; moi, dans le rôle très secondaire du chevalier ou du soldat qui venait la délivrer. Les récits étaient décousus, mais je me réjouissais à chaque fois du dénouement et du moment où j’avais le droit de l’enlacer. Le petit bikini jaune qu’elle portait avec insistance tous les jours me donnait la possibilité d’effleurer sa peau dans le dos, sur le ventre, le long de ses bras ou de ses jambes – un instant que j’attendais avec un sentiment de profonde délectation. I remember how you used to say You’d never change, but that’s not true Rapidement, la présence de la petite fille attira les quelques rares jeunes gens des alentours : le bikini jaune n’était pas étranger à l’arrivée de garçons un peu plus âgés, qui s’empressaient autour d’elle. Au cours du mois d’août, la vie reprenait progressivement dans le quartier et dans notre petit parc : les parties de football redevenaient l’occupation principale des groupes de garçons qui se reformaient pour l’occasion. C’était avec regret que je délaissais la fille au bikini. C’est alors qu’entra en scène un garçon plus jeune que moi, trop bien habillé pour participer à des matchs de football dont il se désintéressait ouvertement. Personne ne le connaissait, mais sa beauté angélique attira immédiatement la fille qui l’intégra à ses jeux, un peu comme elle l’avait fait auparavant avec moi. Je ne pouvais que blâmer ma propre décision de rejoindre mes amis footballeurs, mais entre deux tirs au but ratés, il me semblait insupportable de la voir ainsi se livrer à son nouveau libérateur.
Break my heart I want to go and cry J’avais identifié l’animal sournois, ce garçon trop bien éduqué qui ne s’empêchait pas pour autant de farfouiller le corps de la fille au bikini, laquelle avait fini par m’ignorer totalement. La colère grondait et l’idée de mettre fin brutalement à l’idylle naissante germa en moi. J’avais repéré précédemment l’outil dont se munissait mon père pour vérifier le niveau d’huile dans la voiture. La jauge à huile était l’objet de tous mes fantasmes, elle constituait l’épée que je supposais parfaite pour mes combats futurs : noire, fine et souple à la fois. Le garçonnet propret, lui, n’était pas armé, c’était encore plus aisé ; avec beaucoup d’arrogance, il ne comptait que sur son charme naturel, à la manière de Gontran Bonheur dans les comics de Carl Barks, dont je découvrais alors les publications dans Le Journal de Mickey. Cependant, il me fallait l’abattre, et l’arme du crime était désignée : la jauge à huile ! Il ne me restait plus qu’à le guetter, caché derrière un taillis, au détour du chemin qui le conduisait à la porte d’entrée de l’immeuble de la fille au bikini, c’est ce que je fis avec la patience du prédateur dans l’attente de sa proie désignée. À son arrivée, je jaillis en silence et lui plantai la pointe dans le dos, entre les omoplates, le transperçant de part en part avec la vitesse de l’éclair. Un peu craintif, mais avec la conviction du devoir accompli, je retournai dans ma chambre, non sans avoir dissimulé l’arme dans les fourrés, devant la porte d’entrée de mon immeuble. Exténué par la noble tâche, je m’écroulais sur le lit. Could I ever find in you again Things that made me love you so much then Could we ever bring em back once they have gone
Au réveil, je n’osai pas regarder par la fenêtre. La violence de la culpabilité venait de faire son apparition, mais je cherchais à me convaincre que mon acte avait été un mal nécessaire. Je pointais néanmoins le bout de mon nez, là-haut au troisième étage, pour chercher plus bas les traces de mon crime : une ambulance ? Des policiers ? Les premières investigations ? Un attroupement de riverains hébétés par l’horreur de ce crime sanglant ? Le tracé du corps à la craie blanche sur le sol ? En fait non, rien de tout cela, des mômes jouant dans le bac à sable, un gamin de trois ans roulant sur son tracteur en plastique, les plus grands entamant le premier match de football de la journée, une adolescente promenant son chien, des adultes en train de papoter et là-bas, au fond, la fille au bikini et devant elle, son lover en blazer ! Lequel gesticulait avec la même théâtralité agaçante. L’image me semblait insupportable, je sombrais dans l’incompréhension. Que s’était-il passé ? Je finis par comprendre : j’avais rêvé ! De l’intention initiale, fantasme assassin et noir dessein, était né ce songe dont l’enchaînement avait été formulé avec une précision visuelle mécanique. Je me sentais perturbé, mais libéré de ma culpabilité, la haine avait disparu, puis finalement la jalousie aussi. Au fond de moi, la conviction demeurait, j’avais bien éliminé le gamin – la vigueur de l’image de son corps transpercé l’attestait –, je ne me voyais pas me lancer dans cette aventure meurtrière une seconde fois, et il finirait bien par repartir d’où il était venu, le bougre. De toute façon, il était déjà trop tard, l’été arrivait à sa fin, laissant derrière lui la trace diffuse de sa propre mélancolie : la fille blonde au bikini a fini par remettre une robe, et pour moi s’annonçait le retour à l’école.
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1 ~ PLEIN AIR AU BEL AIR Cinéma sous les étoiles du 27/7 au 3/8 dans les jardins du ciné Bel Air à Mulhouse avec : Les Choses de la vie (photo), Habemus papam, De rouille et d’os, Camille redouble… cinebelair.org 2 ~ ANIMALS & ARCHITECTURE La galerie TouTouChic à Metz présente une expo de l’artiste américain Julian Montague à la galerie et à la maison Rabelais à Metz jusqu’au 19/7. letoutouchic.com 3 ~ TRIBU FESTIVAL Du 21 au 29/9, 14ème Tribu Festival à Dijon et en Bourgogne. Les 21 et 22/9, cap sur la cité phocéenne avec Repérages Marseille à Bibracte. Tribu Festival se poursuit à Dijon, à la Vapeur, au Théâtre des Feuillants, à la Ferronnerie, au Consortium... et au Port du Canal pour un week-end festif les 28 et 29 ! tribufestival.com 4 ~ IDEKLIC 24ème festival international pour l’enfant du 10 au 13/7 à Moirans en Montagne (Jura). ideklic.fr 5 ~ UN MÊME MOMENT D’EXISTENCE Un récit intime de la danseuse et chorégraphe Geneviève Pernin publié aux éditions Médiapop. mediapop-editions.fr
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6 ~ VENTRE Après Crocodiles Inc, et A Second Of June, le trio Ventre apporte avec Undressed Morning une nouvelle couleur à l’éventail musical du label Herzfeld. hrzfld.com 7 ~ ENTRE COUR ET JARDINS Le festival Entre cour et jardins se transforme en “Une saison entre cour et jardins, spectacles de saison pour lieux remarquables”. À partir du 30/8 à Barbirey puis à Dijon. ecej.fr 8 ~ LA FORÊT VIVANTE Les photographes de Chambre à Part présentent leurs images grand format de la forêt de Haguenau dans toute la ville. chambreapart.org 9 ~ AFRO SPICY #3 Dancefloor endiablé le 5/7 au Gambrinus à Mulhouse avec Kobal (from Canada), Hamid Vincent et Mambo Jumbo. facebook.com/nosteakhouse 10 ~ FESTIVAL NATALA Hiéro Colmar propose 4 jours pour (re)découvrir des classiques du cinéma revisités par des formations musicales aux noms incongrus : Eraserhead par Cercueil, Invasion Los Angeles par Robert le Magnifique, Le Voyage Fantastique par Geyser et Tom & Jerry par La Terre Tremble. Du 18 au 21/7. hiero.fr
11 ~ JEUDIS DU PARC Du ciné et des spectacles en plein air le jeudi soir à Mulhouse du 27/6 au 8/8 avec Les Demoiselles de Rochefort (photo) le 1/8.
16 ~ FOIRE AUX VINS Asaf Avidan, Justice et Deep Purple (photo) à la Foire aux Vins de Colmar du 9 au 18/8. foire-colmar.com
12 ~ MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE DIJON Inauguration du premier parcours rénové, consacré aux collections du Moyen Âge et de la Renaissance le 7/9. mba.dijon.fr
17 ~ AYE AYE FILM FESTIVAL Le Aye Aye Film Festival de Nancy Lorraine aura lieu du 31/8 au 7/9. ayeayefilmfestival.com
13 ~ ROBERT CAHEN / UNTERLINDEN Les œuvres du musée Unterlinden sous le regard de Robert Cahen. Installation à découvrir au musée d’Unterlinden à Colmar jusqu’au 31/12. musee-unterlinden.com 14 ~ DÉTONATION Musique et arts visuels les 26, 27 et 28/9 à la Rodia à Besançon avec des projections vidéos sous forme de mapping et plus d’une vingtaine d’artistes dont Fauve, La Femme, Son of Kick, Poni Hoax… larodia.com 15 ~ BERTRAND GAUGUET Musicien électro expérimentateur et saxophoniste improvisateur, Bertrand Gauguet sort The Torn Map, un album qui marque une forme d’aboutissement. bertrandgauguet.com
18 ~ MÉTÉO CAMPAGNE La partie « campagne » du festival Météo est devenue un rendez-vous attendu dans le 68. Au programme : une dizaine de concerts où musique rime avec convivialité, rencontres et ruralité. festival-meteo.fr 19 ~ FABIEN LERAT Fabien Lerat expose à la galerie Faux Mouvement à Metz jusqu’en septembre. faux-mouvement.com 20 ~ PATRIMOINE(S) ÉCRITS EN BOURGOGNE Les bibliothèques, archives et musées de Bourgogne s’allient pour proposer, tout l’été, plus de 20 expositions, des projections, ateliers et présentations de documents d’exception. Une occasion unique de redécouvrir l’auteur de Poil de carotte… crl-bourgogne.org
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21 ~ THE GEORGE KAPLAN CONSPIRACY On adore ce trio électropop originaire de Dijon et qui ne devrait pas tarder à conquérir le monde ! Photo : Vincent Arbelet
26 ~ BAD GIRLS Le retour de la bad girl : un choix inédit dans la collection du Frac Lorraine à Metz du 13/7 au 20/10. Visuel : Hito Steyerl. fraclorraine.org
22 ~ MIROIR NOIR Combinant le geste du dessin à son intérêt pour l’architecture, Marie-Jeanne Hoffner invente des espaces que l’on peut rêver, regarder et parcourir au Frac Alsace à Sélestat jusqu’au 28/7. culture-alsace.org
27 ~ LES DIONYSIES Rencontres avec des auteurs, lectures, balades, concerts, expos, gastronomie et dégustations au menu des Dionysies du 4 au 7/7 en Pays du Revermont. crl-franche-comte.fr
23 ~ ECHOS Charles Bontout, Hao Jing Fang, Élise Franck, Lucie Linder, Vivien Roussel et Émilien Sarot jusqu’au 12/8 chez Octave Cowbell à Metz. ocatvecowbell.fr 24 ~ GRIMOIRE DU FUTUR Exposition de Suzanne Treister à l’Espace multimédia gantner à Bourogne (90) jusqu’au 31/8 (voir Novo n°23). suzannetreister.net 25 ~ OBJETS DÉRIVÉS Objets dérivés du plasticien Raphaël Galley est le premier livre édité par La clé à molette, une maison d’édition qui entend investir le champ de l’art contemporain et celui de la littérature. Avec un long entretien entre Célia Charvet et Raphaël Galley. lacleamolette.fr
28 ~ ROBERT CAHEN / MUSICA Installations de Robert Cahen à l’Aubette dans le cadre du festival international des musiques d’aujourd’hui à Strasbourg du 20/9 au 5/10. festival-musica.org 29 ~ MEMOIRES DE VERRE Le musée d’Art et d’Histoire de Montbéliard présente plus de 200 images du début du siècle provenant de différents fonds de photographes locaux et qui dévoilent une vie quotidienne très animée. montbeliard.fr 30 ~ ICI, LÀ, AILLEURS, PARTOUT, LE MÊME, AUTREMENT Les propositions plastiques de Thierry Boucton croisent les textes de Manuel Daull dans un livre publié par les éditions de la maison chauffante. lamaisonchauffante.com
31 ~ LES NOUVELLES BABYLONES Expo collective avec des œuvres de Lara Almarcegui, Jimmie Durham, Adelita Husni-Bey (photo), Stephen Willats, Raphaël Zarka… Au Parc Saint Léger à Pougues-les-Eaux jusqu’au 22/9. parcsaintleger.fr 32 ~ CINÉ À BESANçON C’est la fête du cinéma à Besançon avec l’été du cinéma français au Kursaal et du ciné en plein air dans les quartiers tout l’été. www.besancon.fr 33 ~ ELSASS TOUR Pensé par le Frac Alsace comme une tournée artistique fédératrice, allant à la rencontre des publics, ce programme propose pendant 14 mois plus de 30 expositions et rendez-vous artistiques. culture-alsace.org 34 ~ DIÈSE # 8 8ème édition du festival dijonnais du 3 au 6/7. festivaldiese.fr 35 ~ L’ATELIER CONTEMPORAIN François-Marie Deyrolle fonde une nouvelle maison et une nouvelle revue : L’Atelier contemporain. Au sommaire du 1er numéro mis en vente le 3/10 : dossier “Pourquoi écrivez-vous sur l’art ?”, dossier sur Monique Tello, dossier sur Ann Loubert, carnets d’Alexandre Hollan, hommage à François Dilasser.
36 ~ STEVE McQUEEN Exposition imposante d’un des artistes les plus importants de sa génération au Schaulager à Bâle jusqu’au 1/9. (voir Novo n°24) schaulager.org 37 ~ THE FAMILY OF MAN Réouverture le 5/7 de l’exposition légendaire créée par Edward Steichen pour le MoMA de New York en 1955 et inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Au Château de Clervaux au Luxembourg. wearefamily.lu 38 ~ L’IMAGE PAPILLON Puisant son inspiration dans l’œuvre de W. G. Sebald, l’expo présentée au Mudam jusqu’au 8/9 s’intéresse aux relations complexes qui lient l’image et la mémoire. (voir Novo n°24) mudam.lu 39 ~ IAAB Les artistes alsaciens peuvent désormais participer au programme international d’atelier et d’échange iaab. Inscriptions en ligne jusqu’au 8/7 sur www.iaab.ch 40 ~ L’AMOUR DE LA MARCHE Après Îles grecques, mon amour, Philippe Lutz nous invite à le suivre sur les chemins qu’il aime parcourir le nez en l’air, ouvert à tous les possibles. Souscription en ligne sur mediapop-editions.fr
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Offrezvous le pack weekend opéra + hôtel Le RING à deux, tout compris à partir de 440€* Plus d’informations sur www.operadijon.fr
*Le festival Ring , de Richard Wagner, du 5 au 15 octobre, à Dijon pour 2 personnes en 2e série + 2 nuits d’hôtel 3 étoiles (petit-déjeuner inclus, hors taxe de séjour)
Hôtels partenaires : Sofitel Dijon La Cloche*****| Hôtel Philippe Le Bon**** Holiday Inn Dijon Toison d’Or****| Mercure Dijon Centre Clémenceau****| Hôtel du Nord***
par Caroline Châtelet photo : Salomé Joineau
par Mickaël Roy
DADAMAINO, exposition jusqu’au 29 septembre au Consortium à Dijon. www.leconsortium.fr
THAT’S HOW STRONG MY LOVE IS, exposition d’Hannah Doughert jusqu’au 20 juillet à l’Appartement – galerie Interface + Maison Rhénanie-Palatinat à Dijon. www.interface-art.com
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Traversée et formes
Stand by me
Consacrant une exposition à l’artiste Dadamaino, le Consortium permet de (re)découvrir une œuvre qui a su traverser les mouvements pour trouver sa forme.
En ce 50e anniversaire de l’amitié franco-allemande, l’association Interface s’associe à la Maison Rhénanie-Palatinat pour inviter à Dijon l’artiste Hannah Dougherty.
Pour qui la parcourrait rapidement, l’exposition Dadamaino pourrait sembler uniquement chronologique. Pourtant, et quoique elle débute bien avec les Volumi – série de tableaux où la toile évidée devient volume – réalisés à la fin des années 50, pour se terminer avec Movimente delle Cose, œuvre réalisée en 1990, l’accrochage de certaines œuvres vient démentir ce seul déroulé. Dès les deuxième et troisième salles, un autre Movimente delle Cose, datant, lui, de 1992-1993, rompt le parcours linéaire. Mieux, puisque traversant l’espace, cette pièce, faite d’un long voile de calque ondulé dont les signes évoquent de mystérieux relevés topographiques, raconte à sa façon le parcours artistique de Dadamaino. Car si l’artiste italienne née en 1930 et disparue en 2004 est connue pour avoir participé à plusieurs mouvements d’avant-garde du XXe siècle – les groupes N et T en Italie, le groupe Zéro en Allemagne, Equipo 57 en Espagne, le Groupe de Recherche d’Art Visuel (G.R.A.V.) en France, la Nouvelle Tendance à Zagreb – Dadamaino n’a bien fait que traverser ceux-ci. S’en nourrissant, elle y a puisé pour construire son œuvre et élaborer un alphabet de signes dont les tracés répétitifs, obsessionnels, évoquent graphies, topographies, croquis. L’exposition monographique permet donc ici d’embrasser toute la richesse d’une œuvre qui, en étant marquée par une étonnante fluidité et liberté, travaille le vide, l’espace et les signes pour créer ses formes. D
Artiste américaine établie à Berlin depuis dix ans, Hannah Dougherty travaille au quotidien dans un atelier en partie composé d’un pan du Mur de Berlin. Dès lors, l’on comprend son goût pour le collage, une démarche plastique faite de croisements entre références visuelles inscrites tant dans l’histoire de l’art que dans un registre vernaculaire. Ainsi apparaissent dans cette exposition en deux lieux de nombreux motifs récurrents, clichés pourrait-on dire d’un univers fantasque, imaginaire et populaire : nuages, chevaux, arcs-en-ciel, perruches, aussi communs soient-ils, ils désignent tous de façon métaphorique la réalité d’un monde naturel soumis à l’appropriation – domestication – du genre humain. Les dessins de nuages, juchés sur chevalets, intégrés à des compositions plus vastes ou suspendus en extérieur comme s’il s’agissait d’un décor éphémère, interviennent comme les signes résurgents d’un traitement graphique lié à l’apparition de moyens techniques de reproduction des images. « Cela a modifié d’une certaine manière notre perception de la nature. L’ensemble de nos connaissances sur ce sujet, nous les avons acquises grâce à des supports imprimés et à travers une représentation industrielle de la nature » rappelle l’artiste dont la tentation est de tordre le cou au critère d’originalité dans l’art. Il en va ainsi de la sphère architecturée aux accents utopiques d’un Buckminster Fuller ou encore de ces perruches, qui, représentées dans un montage d’images, évoquent avec nostalgie ce qu’un Otis Redding, auquel est emprunté le titre de l’exposition, aurait pu dire avec force empathie d’un... sentiment amoureux. D
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par Caroline Châtelet
par Julien Pleis
VÉRÉNA VELVET, théâtre de rue les 6 et 7 juillet aux Zaccros d’ma rue à Nevers, du 25 au 28 juillet à Chalon dans la rue à Chalon-sur-Saône et les 21 et 22 septembre à la Tranverse à Corbigny. www.cie-entrechienetloup.net
AUTOMATES, exposition du 12 juillet au 5 janvier 2014 à La Maison de La Vache qui Rit à Lons-le-Saunier. www.lamaisondelavachequirit.com
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Rue en réseau
Automatismeuh
Pour sa quatrième année, le dispositif Arts publics soutient Véréna Velvet, création immersive d’Entre chien et loup, compagnie emmenée par Camille Perreau.
Emblèmes « animés » des évolutions de la publicité, souvent habités d’une forme de poésie décalée, les automates publicitaires sortent de leurs retraites le temps d’une exposition emprunte de nostalgie et d’enfance lointaine.
Parallèlement aux « simples » subventions, les collectivités proposent de plus en plus d’autres types d’aides. En prenant acte du fait qu’au-delà de la signature d’un chèque, des conditions - comme l’aide à la diffusion – sont indispensables à la réussite d’un projet, ces dispositifs ont aussi valeur de reconnaissance. Il y a là un double adoubement, une façon de signaler un intérêt envers une création et d’installer une logique de réseau. Plutôt que de compagnonnage, il s’agit ici de parrainage, comme le démontre Arts publics. Né du constat d’une difficulté pour les jeunes compagnies d’arts de la rue à « « réussir » leur passage dans les grands festivals » – être programmé ne suffit plus pour être vu (sic) –, ce dispositif de la région Bourgogne réunit autant qu’il engage trois partenaires/programmateurs. Ainsi, l’équipe artistique choisie bénéficie des conseils et d’accueils en résidence du festival Chalon dans la rue, du festival Les Zaccros d’ma rue et de La Transverse, avant d’être programmée dans les trois structures. Si, après quatre éditions, il est encore trop tôt pour évaluer l’impact d’Arts publics sur la création régionale, le choix des artistes révèle, lui, une attention au renouvellement des formes. Attention confirmée avec le soutien à Véréna Velvet, création d’Entre Chien et loup qui, en entremêlant dans une forme pérégrine (réadaptée à chaque lieu) et immersive installations plastiques, créations sonores, et « jeu de proximité », est plutôt emblématique de certains questionnements à l’œuvre dans les arts de la rue. D
Compagnie Entre chien et loup
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À partir du 12 juillet, avec l’exposition Automates, La Maison de La Vache qui Rit de Lons-le-Saunier présente une sélection de 42 automates publicitaires, des objets aujourd’hui devenus rares, qui connurent leurs heures de gloire entre la fin du XIXe siècle et les années 1940. Ces mécanismes atypiques, firent leurs apparitions en même temps que les grands magasins comme Le Bon Marché ou le Printemps. Il s’agissait alors de capter l’attention et le désir des passants arpentant les grands boulevards des capitales. Symboles de commerce « moderne », ces rois du marketing venaient marquer les esprits et imprimer de leurs présences le spectacle urbain. Ceux-ci seront présentés selon les grands thèmes qu’ils pouvaient personnifier : les animaux, la nutrition, ou l’habillement. Michel Taeckens, commissaire de l’exposition, a choisi des automates parmi les plus représentatifs, tous issus de collections privées et très rarement, voire jamais, présentés au public. La scénographie de l’exposition développera une amusante « rue », aux vitrines remplies d’automates, pour une immersion totale dans cet univers disparu. Visant une expérience de visite ludique, ainsi qu’une programmation stimulante pour tous, La Maison de La vache qui Rit s’attache depuis son ouverture en 2009 à développer une approche thématique en adéquation avec les valeurs de la marque qu’elle représente : créativité culinaire, monde de l’enfance et responsabilité sociétale. D
par Mickaël Roy
par Adeline Pasteur
AUX DEMEURANTS, exposition collective du 6 juillet au 15 septembre au Château de Neublans-Abergement. http://neublans.tumblr.com/
TACET / LES PLÉIADES, 30 ANS DES FRAC, exposition et célébration, jusqu’au 8 septembre au musée des Beaux-Arts de Dole. www.frac-franche-comte.fr
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La part manquante
Entre les silences
À l’issue de deux semaines de résidence de création, dix-huit artistes investissent une demeure privée pour en révéler une mémoire vive.
À l’occasion de leurs 30 ans, les FRAC ont proposé à des créateurs d’imaginer des expositions ou des dispositifs autour de leurs collections. Pour la Franche-Comté, Francis Baudevin a imaginé « TACET », l’accrochage d’une quarantaine d’œuvres qui décloisonnent les styles et les techniques.
À une trentaine de kilomètres de Dole, à la limite de la FrancheComté et de la Bourgogne, le château de Neublans-Abergement s’ouvre temporairement, avec la complicité de ses propriétaires à une expérience artistique exceptionnelle. Jeunes diplômé(e)s des écoles d’art de Paris, Strasbourg et Nice, les artistes et designers graphiques rassemblés pour l’occasion, s’emparent d’un espace chargé d’une histoire qui a forgé autant le bâti que l’atmosphère du lieu, « source d’une inspiration primaire » ainsi que le rappelle Viviana Birolli, commissaire de l’exposition. Inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques, cette bâtisse néo-classique fondée sur des vestiges médiévaux, connut un instant de rupture à la Révolution française. De cette cassure à la marche d’une aventure familiale et politique, les plasticiens font leur matière à penser pour s’établir dans les coulisses du site, en tant que fondations toutes métaphoriques de souvenirs enfouis, et rétablir ainsi indirectement la part manquante d’une narration sujette à l’oubli. Né d’une envie de composer avec l’armature de ce château du XVIIIe siècle, le projet s’est construit autant in progress, au gré des rencontres entre les artistes et les pierres vieillies des sous-sols et dépendances, qu’in context, en regard des éléments si présents dont il était impossible de s’abstraire. Cave, cuisine, cheminée, chambre froide et couloirs s’offrent ainsi en tant que référents d’un imaginaire et supports d’un récit à entrées multiples propices aux compositions picturales, plastiques, sonores et sculpturales destinées à renforcer l’esprit du lieu. D
Le nom TACET fait écho au terme musical qui indique le silence continu d’un instrument pendant un long extrait ou un mouvement entier, dans une composition sonore. Appliqué à cette exposition, il évoque les intervalles, les « interstices entre les œuvres », ainsi que le présente Francis Baudevin. Le peintre suisse a imaginé une exposition qui mélange les courants et les techniques artistiques, de manière à créer un univers singulier pour le visiteur. Il a conçu l’accrochage comme une partition au sens chorégraphique, en tenant compte des déplacements du public et de l’espace – le vide, le silence – entre les œuvres. Il a également pris le parti de ne pas communiquer sur le nom des artistes exposés, au profit des seuls titres des œuvres, un principe selon lui « plus ouvert, plus prospectif et, en termes d’intrigue, plus étrange ». En s’appuyant sur la collection du FRAC Franche-Comté, Francis Baudevin a pris comme point d’ancrage une photographie de James Welling, Greenhouse I, acquise en 2002, qui interroge poétiquement sur la notion de reflet. Il a ensuite articulé d’autres œuvres, qu’il a voulu « ouvertes à la réalité ». L’artiste explore une question qui lui est chère : qu’est-ce qui vient avant le silence et qu’est-ce qui lui succède ? La fluidité et la transition entre chaque pièce ont été pensées dans le prolongement de cette question. D
Fumel (47), 1999 Photographie couleur © Frédéric Lefever – Collection du FRAC Franche-Comté
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par Vanessa Schmitz-Grucker
par Vanessa Schmitz-Grucker et Nordine Bouguerine
COURBET / CÉZANNE, LA VÉRITÉ EN PEINTURE, exposition du 29 juin au 14 octobre au musée Courbet à Ornans. www.musee-courbet.fr
La Trilogie française, un road-movie de Philippe Terrier-Hermann qui passera par Besançon et Dole ce été, avec la complicité du Frac Franche-Comté. www.terrier-hermann.com + www.frac-franche-comte.fr
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Ni Dieu ni maître
Jurassic Cartes
Le musée Courbet consacre une exposition inédite qui met en parallèle l’œuvre de Courbet et de Cézanne. Une cinquantaine d’œuvres confrontent les artistes épris de Beau, de “réalisme” et de “réalisation”.
La Trilogie française est une série de 62 photographies réalisée par Philippe Terrier-Hermann, avec 25 comédiens dans 6 régions françaises, qui interrogent les rapports entre cinéma, paysages et représentations.
Si Courbet flirte avec la vérité de l’art et de la peinture dans ses œuvres, ce n’est pas seulement en raison de son approche réaliste pour laquelle il est célébré. Courbet, sans révolutionner le genre, fait voler en éclat les conventions et notamment la notion du Beau. Ce réalisme dur, cru, qui s’apparente au Siècle d’Or espagnol, fait polémique. De sa première période romantique, avant son retour à Ornans, en 1849, il a gardé le goût de la sensualité vraie, brute, sauvage et parfois triviale. La peinture hollandaise, les couleurs de la Renaissance vénitienne ne lui sont pas étrangères. De cet héritage, il fait une peinture résolument moderne dans laquelle il s’engage sans compromis ce qui lui vaut d’être à l’origine de thèses psychanalytiques actuelles sur "l’absorbement" du peintre dans la toile. Courbet n’est pas un homme de concession. Il a, d’ailleurs, construit sa carrière sur le scandale. Républicain et socialiste sous l’empire de Napoléon III, il est condamné par le régime pendant le soulèvement de la Commune. Ses toiles confisquées, il s’exile en Suisse et refuse, par solidarité avec les Communards, de revenir en France. Cet esprit de rébellion, ce besoin d’authenticité, de sincérité, de loyauté, transpirent dans la vérité de sa peinture. Cézanne n’aura de cesse de se réclamer de l’héritage de cet homme qui aura su emmener le public avec lui en jouant habilement des critiques pour lancer le débat, répondre en bon théoricien et imposer sa vérité. D
Gustave Courbet Environs d’Ornans, 1872 - Huile sur toile, 73 x 92 cm Budapest, Museum of Fine Arts © Museum of Fine Arts, Budapest
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Aux mauvaises langues qui diront qu’on parle cartes postales parce que c’est l’été – non mais est-ce que c’est le genre de la maison ? –, je les prierai de bien vouloir relire Novo 23 où je parlais, déjà, de cartes postales (et je remercie d’avance ceux qui auront suivi). Cette fois, on y va sérieusement. Le projet est un appel du CNAP pour « renforcer la présence de la photographie dans l’espace public et au cœur de la société ». Dans la série de Philippe Terrier-Hermann, La Trilogie Française, la fiction s’invite via le cinéma : on retrouve des cadrages et des éclairages empruntés aux codes cinématographiques qui transforment le réel en décor inspiré de l’esthétique du roman-photo. Ces cartes sont disponibles gratuitement dans les lieux partenaires. Et, pour tout vous dire, ça m’fait quelque chose parce qu’il se trouve que, fin juillet, je pars en vacances dans le Jura [Ne le dites pas à Manu, merci !] vers une destination que je garde jalousement pour moi et pour une fois, ma maman n’aura pas sa carte « Chat roule dans le Jura », mais une carte, une vraie avec Charles Berling, le regard inquiet, la main délicate sur ses douces lèvres, ou celle de Pauline Jacquart, un béret sur la tête, immortalisée avec ses biquettes à Baume-les-Messieurs, se demandant comment elle s’échappera du frigo de maman sur lequel elle est plaquée par un aimant Haribo. C’est beau la vie ! D
par Adeline Pasteur
par Adeline Pasteur
OUSMANE SOW / LES PETITS NOUBA, rétrospective et exposition du 15 juin au 15 septembre à la citadelle et au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon. www.musee-arts-besancon.org
PLATFORM #13 SHANGAI, exposition de l’œuvre de Cédrick Eymenier jusqu’au 19 juillet au Pavé dans la Mare à Besançon. www.pavedanslamare.org
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Hommes d’ici et d’ailleurs
Capturer la ville
Les sculptures ethniques d’Ousmane Sow font une dernière halte en France, à Besançon, avant leur retour au Sénégal, où elles seront exposées dans le nouvel espace culturel de l’artiste. Des effigies plus grandes que nature, à mi-chemin entre la statuaire occidentale et les pratiques rituelles africaines.
Le photographe et cinéaste Cédrick Eymenier a capturé les vibrations urbaines de Shanghai, où il vient d’achever une résidence. L’occasion pour lui de réaliser l’opus n°13 de sa série « Platform », actuellement présenté à Besançon.
Le parcours d’Ousmane Sow est aussi hors du commun que ses œuvres. Réfugié en France après avoir fui les faubourgs les plus « chauds » de Dakar, il est devenu kinésithérapeute, réservant la sculpture à ses seules heures perdues. À chaque déménagement, il détruisait ou abandonnait toute sa production. Ce n’est qu’à cinquante ans qu’il décide de vivre librement de son talent. Son métier lui a donné un sens aigu de l’anatomie, que l’on perçoit dans les moindres détails de ses personnages hors normes. Mais c’est surtout l’Afrique qui teinte son travail. Ousmane Sow se passionne pour les ethnies ; sa première création, Les Nouba (1984) ouvre ensuite la voie aux Masaï, Zoulou et Peulh. En 1999, il crée les trente-cinq pièces de La bataille de Little Big Horn, accueillies en partie par le Whitney Museum de New York en 2003. Le dénominateur commun de toutes ses œuvres est la matière, une savante alchimie de sa création, qu’il applique sur une ossature de fer, paille et jute. Besançon a noué des relations étroites avec Ousmane Sow depuis 2002. Son Victor Hugo, créé à l’occasion du bicentenaire de sa naissance, trône sur le parvis de la mairie. Il vient par ailleurs d’installer sa statue de l’Homme et l’Enfant sur le nouveau monument aux morts de la ville. L’exposition bisontine présente un florilège de ses œuvres sur les ethnies, ainsi qu’une récente série sur les Grands Hommes, intitulée Merci.D
Platform, c’est une série de treize vidéos, réalisées depuis 2002 par Cédrick Eymenier au fil de ses tribulations dans les grandes métropoles internationales : Paris, Tokyo, Rotterdam, Londres, Chicago, Miami… Il prend le pouls de ces villes et transmet, en image, une idée du rythme auquel elles évoluent. C’est à la fois le tableau de vastes paysages urbains, et le portrait instantané de notre société. L’architecture est valorisée mais n’est que le théâtre d’une pièce encore bien plus monumentale : le ballet de l’activité humaine qui gravite et crépite autour d’elle. Cédrick Eymenier met en perspective les flux de personnes et de véhicules, fuyants et immédiats, et la temporalité lente et immobile des édifices de ces mégapoles. Pour chacune de ses créations, il confie la bande-son à de grands noms de la scène électronique internationale qui, recevant le film définitivement monté, apportent leur contribution sonore à partir du son brut enregistré lors du tournage, pour le retraiter, le réinterpréter et lui ajouter d’autres éléments sonores. Ainsi, Sébastien Roux, Fennesz, Vladislav Delay, Taylor Deupree, Akira Rabelais, Oren Ambarchi ou encore Cats Hats Gowns ont-ils collaboré à ces créations. Pour Plaform#13, Cédrick Eymenier a fait appel à Steve Roden, artiste californien spécialisé justement dans les « paysages sonores ».D
Platform # 13 Shanghai (47 mn / HD / 2013)
Le lutteur, Béatrice Soulé / Roger-Viollet / ADAGP, Paris 2013
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par Caroline Châtelet photo : Thierry Laroche
par Mickaël Roy
LES DÉBOUSSOLADES, festival de théâtre et de musique de rue les 5, 6 et 7 septembre à Lons-le-Saunier. www.lamuserie.com
AU PLUS PRÈS + MAUVAIS GENRE ?, exposition jusqu’au 25 août au 19, Crac de Montbéliard. www.le19crac.com
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Le sens de l’art
In front of
Festival de théâtre et de musique de rue, les Déboussolades affirment la confiance d’une collectivité en des artistes pour porter un projet adapté à un territoire.
Pour sa réouverture après travaux, Le 19, Crac de Montbéliard présente deux expositions qui interrogent le rapport de l’art à la représentation du réel, tantôt avec distance, tantôt avec frontalité.
Avec la décentralisation et leur autonomie croissante, les collectivités locales ont pris une part grandissante dans les politiques culturelles, investissant dans des équipements ou choisissant de se doter de festivals. Si l’on peut s’interroger sur les liens existant entre la nette tendance à la festivalisation de la culture et l’instrumentalisation politique de l’art – car quitte à faire un geste, autant qu’il soit visible –, les réussites de ces manifestations sont discutables. Et au-delà de la fréquentation et des retombées économiques revient, lancinante, la question du sens du projet : comment éviter le catalogue de spectacles censés séduire le plus grand nombre ? Comment donner une identité artistique à l’ensemble ? Comment se prémunir de l’animation et nouer un dialogue réel avec un territoire ? Au Conseil général du Jura, c’est en confiant les clés à une équipe artistique que l’on résout le problème. Ainsi, initiateur des Déboussolades, le département, en partenariat avec la ville de Lons, sollicite à la direction artistique le Théâtre Group’, compagnie de théâtre de rue alliant à une reconnaissance nationale un travail au long cours sur le territoire jurassien. Une démarche de délégation intelligente, qui évite à la programmation l’aspect Foir’fouille. Et quoique leurs esthétiques varient, la vingtaine de spectacles des Déboussolades partagent un même goût pour la dérision (parfois cinglante), l’ironie et l’humour (potache ou mordant). Des traits emblématiques du Théâtre Group’. D
D’un côté, Au plus près. De l’autre, Mauvais genre ? A priori disjointes tant l’accrochage segmente chacune des propositions dans des espaces définis, le visiteur ne peut cependant s’empêcher d’établir des passerelles entre des œuvres de factures éloignées. Dans la première exposition, les photographies de Philippe Gronon archivent de façon clinique un corpus d’objets chargés d’une symbolique du flux et du passage, tandis que les toiles monumentales de Sylvie Fajfrowska ménagent un sentiment dérangeant face à la désincarnation de la figure humaine. Voilà donc deux attitudes plastiques qui décrivent un état-limite de la représentation. Alerte ? La seconde exposition poursuit le discours sur ces images en surface qui s’emparent du pouvoir de creuser le précipice du sens. Ainsi de l’efficace travail d’Ana Gallardo, qui, à travers un seul dispositif de projection d’une performance où une chanteuse transsexuelle évoque le drame de la prostitution infantile, parvient avec une légère gravité à replacer l’impératif du Bien dans un monde saturé par le Mal. Une spirale infernale, au sens propre comme figuré, reprise dans l’environnement abyssal proposé par Lisa Sartorio, où de multiples lais de papier peint tentent de dissimuler à notre attention les motifs décuplés, tragiques et polémiques, qui les composent. Quand s’approcher du réel répond à l’injonction d’une esthétique de la confrontation. D
Sylvie Fajfrowska, Trophées, 2008
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par Mickaël Roy
par Claire Tourdot
MONSIEUR SURLEAU ET LE CYCLOPE, exposition jusqu’au 15 septembre au musée du château des ducs de Wurtemberg, Montbéliard www.montbeliard.fr
PANORAMA, spectacle de danse de Philippe Découflé le 28 septembre à la Mals de Sochaux. www.1314.mascenenationale.com
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Drôles de couples
Découflez-vous !
à l’occasion de l’ouverture du Frac Franche-Comté, les Musées de Montbéliard proposent une exposition d’œuvres anciennes et contemporaines qui cohabitent dans des face-à-face sensibles.
Déjà 20 ans que la compagnie DCA fondée par Philippe Découflé étonne sans relâche le monde de la danse. Avec Panorama, elle revisite sa propre histoire et confirme sa virtuosité dans une création (dé)composée sans dessus dessous.
Avec un titre aux accents volontiers surréalistes, l’exposition Monsieur Surleau et le Cyclope invite à un parcours construit à partir d’une sélection de collages choisis dans la collection Beaux-arts des Musées de Montbéliard et dans celle du nouveau FRAC Franche-Comté, à Besançon. Jouant sur les associations, juxtapositions, décalages, et même suspensions, l’accrochage mène le public à faire l’expérience intuitive des rapprochements et des contrastes qui réunissent et/ou opposent les vingt-deux couples (ou trio) d’œuvres rassemblées – peintures, sculptures et photographies bien souvent figuratives. L’objectif ? Que chaque corpus participe de l’activation du dialogue fécond qui naîtra de la rencontre, sous les yeux des visiteurs, d’une scène mythologique sulfureuse et d’une figure d’extase ou d’une chambre d’amour et d’un lendemain de bal... Si l’exposition s’écrit avec une franche liberté au-delà de toute chronologie, le choix de certaines œuvres parfois mineures n’éclipse nullement la démarche utilement didactique d’aborder les genres récurrents de l’histoire de l’art, le portrait, le paysage, la nature morte, la scène de genre et la peinture d’histoire, à l’aune d’une création contemporaine qui regarde les motifs d’hier en les traitant avec l’acuité du monde d’aujourd’hui. À la façon d’un couple, dans lequel la complémentarité se nourrit de l’écart permanent, les sujets de l’art demeurent, tandis que les intérêts des hommes évoluent. Sans rompre avec le passé et en composant avec le présent. D
Auguste Sage Le sommeil d’Antiope, vers 1869 Huile sur toile – 198 x 125 cm Collection musées de Montbéliard Cliché Marc Cellier
Philippe Découflé fait partie de ces personnages qui ne sont plus à présenter : metteur en scène du défilé des célébrations du bicentenaire de la Révolution française en 1989, organisateur des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux Olympiques d’Albertville en 1993, son curriculum-vitae exhibe aussi les noms pointus du festival de Cannes, du Crazy Horse et du Cirque du Soleil. Sa légende s’étend jusqu’à l’invention du néologisme de « decoufleries » : entendez par là un art particulier de la rencontre entre le cirque, l’image et la danse. Avec sa compagnie DCA, il construit en toute désinvolture un univers composite fait de détournements en tout genre, où humour et poésie sont les mots d’ordre d’une chorégraphie réussie. Survient désormais le temps du bilan, et quoi de mieux qu’un best-of pour signifier cette géniale profusion créatrice ? Panorama revisite un vaste répertoire allant de l’encyclopédie imaginaire de Decodex, à l’abracadabrantesque Shazam, en passant par le voyage cinématographique de Sombrero. Les références se superposent pour donner naissance à une vue d’ensemble expérimentale : en 28 tableaux, les séquences les plus vibrantes d’une œuvre en constant renouvellement sont réinterprétées par sept danseurs. Costumes transformables, projections vidéo, mises en abîme, esthétiques du cinéma, etc. Panorama accumule les clés du succès de la compagnie DCA. Du grand Découflé. D
Istvan Balogh Out and out (Ecstasies), 2002 C Print contrecollé sur aluminium – 150 x 100 cm Collection Frac Franche-Comté © Adagp, Paris
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par Claire Tourdot photo : Olivier Roller
par Claire Tourdot photo : Clément Puig
LES 20 ANS DE LA FILATURE, anniversaire de La Filature du 13 au 15 septembre à Mulhouse. www.lafilature.org
SCÈNES DE RUE, festival des arts de la rue du 18 au 21 juillet à Mulhouse. www.scenesderue.mulhouse.fr
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Celebrate (come on !)
Scène, street & sun
La Filature souffle sa vingtième bougie ! À la croisée de la France, l’Allemagne et la Suisse, la scène nationale arbore une identité de centre névralgique pour les créations pluridisciplinaires et multiculturelles européennes.
Temps fort incontournable de l’été mulhousien, le festival Scènes de Rue est de retour ! Véritable laboratoire à ciel ouvert, la programmation pluridisciplinaire mêle artistes confirmés et émergents pour des moments toujours plus festifs et en toute gratuité.
Lieu de spectacles, de festivals et d’expositions au cœur de la ville de Mulhouse, La Filature a su se forger au fil des années une réputation d’innovatrice dans le domaine de la scène. Après 20 ans de bons et loyaux services, l’heure est venue de célébrer ce beau parcours le temps d’un week-end. Dès le vendredi soir, l’exposition Figures du pouvoir par Olivier Roller ouvrira le bal. Sa fresque photographique dépeint l’incarnation du pouvoir au XXIe siècle à travers une série de portraits polymorphes. Sur un ton plus léger, l’Orchestre symphonique de Mulhouse explorera le sentiment amoureux : du Siècle des Lumières jusqu’au Romantisme élégiaque il s’agira d’Aider les amants à s’aimer. Les interventions de la compagnie de théâtre de rue La Machine enflammeront la journée du samedi. Inspirée de la tradition foraine, une kermesse pyrotechnique et culinaire animera le parvis de La Filature suivie d’une soirée habillée de lumières : lanternes volantes, murs de bougies et feux d’artifice feront battre cette rêverie sonore et visuelle. On en profite pour se faire guider théâtralement dans les locaux par le metteur en scène David Lescot et les chanteurs de l’Opéra Studio. Les célébrations s’achèveront magistralement dimanche après-midi avec la reprise des Variations Goldberg par le Ballet de l’Opéra national du Rhin dirigé par Heinz Spoerli. Happy Birthday to you, La Filature ! D
Depuis maintenant 5 ans, les chemins mulhousiens voient surgir au beau milieu de l’été d’étranges personnages. Clowns, jongleurs, acrobates, comédiens, plasticiens,... des artistes à la croisée des genres prennent possession des espaces publics pour le bonheur des passants. A l’affiche cette année, une sélection de spectacles audacieux et surtout éclectiques. Une trentaine de compagnie sont invitées à présenter leurs créations en plein air et gratuitement : l’occasion de faire tomber les barrières qui séparent trop souvent public et artistes. En substituant les lieux de représentation traditionnels – la scène, la piste de cirque,... – au cadre de la rue, c’est un tout nouveau rapport à l’autre qui prend forme. Au cœur des emblématiques Bains Municipaux, l’Orchestre symphonique de Mulhouse accompagne les danseurs de la Compagnie Pernette pour une visite guidée incongrue. Place Franklin, dix-sept voltigeurs issus du grand collectif XY renouvellent le genre du porté acrobatique, revendiquant leur identité humaniste et poétique. Pour les plus petits, direction le Jardin des senteurs où les gallinacées de la compagnie des Plumés évolueront dans le poulailler imaginé par la créatrice Lili Aysan. Cité à taille humaine, Mulhouse se prête véritablement au jeu des arts urbains : à chacun de rencontrer, de découvrir et s’émerveiller. D
Jules César
Be Claude, Compagnie 1 Watt
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par Claire Tourdot
par Claire Tourdot
WANDERUNG-PROMENADE, exposition du 28 juin au 20 octobre au CEAAC de Strasbourg (fermeture estivale du 28 juillet au 3 septembre) et du 30 juin au 6 octobre à la Städtische Galerie d’Ofenburg. www.ceaac.org + www.museum-offenburg.de
L’USAGE DU MONDE. PROJECTIONS, exposition de photographies et de vidéos du 28 juin au 22 septembre à la galerie Stimultania à Strasbourg. www.stimultania.org
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Chemin faisant
Around the world
Que diriez-vous d’une petite promenade de part et d’autre du Rhin ? Le Centre Européen d’Actions Artistiques de Strasbourg et la Städtische Galerie d’Offenburg organisent main dans la main une exposition croisée, rassemblant 25 artistes français et allemands.
Partir à la découverte des usages du monde. Voilà comment résumer le beau projet de trois photographes en devenir originaires de Strasbourg et de Lyon. À mi-chemin entre cliché artistique et reportage documentaire, bienvenue dans l’intimité d’hommes et de femmes en marge.
Par définition, la promenade invite à marcher en extérieur, en suivant un itinéraire défini ou non, de façon à effectuer un trajet. Marquée par la temporalité, cette trajectoire induit une certaine maturation de l’espace comme de la pensée. C’est ce rapport entre la promenade et la disponibilité mentale nécessaire au jaillissement de nouvelles idées que met en avant la double exposition du CEAAC et de la Städtische Galerie. Guidés par les paysages forestiers environnants, artistes français et allemands puisent dans les éléments organiques et naturels pour construire leurs œuvres. Peinture, photographie, sculpture, installation, vidéo, performance... tous les supports sont bon pour exprimer ce lien ancestral qui uni nature à création. Plus que la qualité plastique, la puissance constructrice des végétaux attise l’esprit d’invention. Côté français, le pionner de la vidéo, Robert Cahen présente les Cicatrices de l’invisible créé en 2004 à mi-chemin entre projection expérimentale et recherches paysagistes. Soulignant lui aussi l’organique, Yannick Demmerle photographie les forêts d’Allemagne orientale empruntes d’une inquiétante étrangeté. Côté allemand, on s’attarde sur les clichés de plein air signés Pierre Filliquet ou la réappropriation des gravures de randonnées du XIXe siècle par Valérie Gaftiaux. Une excursion en pleine nature, surprenante et déroutante. D
Trois artistes. Trois destinations. Trois visions du monde. De la Russie à la Wallonie, mille et un destins particuliers se dessinent. Guillaume Chauvin, Laureen Machu et Chloé Meunier rendent hommage, à travers leurs photographies, à la marginalité assumée et revendiquée. Soutenu par le Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines de Strasbourg, Guillaume Chauvin a choisi de s’envoler pour la glaciale Sibérie, « qui faisait peur même aux russes ». Ce Far Ouest de plus de vingt fois la France abrite une réalité surréaliste faite de métissages, d’une temporalité et d’une rationalité bien différentes de la nôtre. Loin des clichés misérabilistes, un portrait brut d’actualité est brossé par le photographe. Laureen Machu n’a eu qu’à franchir la frontière pour rencontrer les accros du « reborning » ou l’art d’utiliser des poupons en kit pour pallier à un besoin affectif. Sentiment malsain et curiosité s’entrechoquent à la vue de ces reproductions quasi parfaites : rien ne différencie l’enfant perdu du substitut en plastique. C’est aussi en Belgique que Chloé Meunier est entrée dans l’intimité de Marylin, vieillard travesti de plus de 60 ans. Fétichiste de lingeries féminines, il mène une existence « à côté » de la société dont les seuls instants de délivrance sont vécus sur la scène des cabarets. Des histoires qui se croisent et s’éloignent, pour un bel hommage à la singularité universelle. D
Série Forêt Rhénane, 2011
Guillaume Chauvin, série Entre Sibèrie et aujourd'hui
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par Vanessa Schmitz-Grucker
par Cécile Becker
ÉQUIVOQUES, exposition de l’œuvre d’Haegue Yan du 8 juin au 15 septembre à l’Aubette 1928 et au MAMCS à Strasbourg. www.musees.strasbourg.eu
ÉTÉ COUR ÉTÉ JARDIN, saison estivale du Taps du 16 juillet au 23 août aux TAPS Gare-Laiterie (10, rue du Hohwald) et TAPS Scala (96, route du Polygone) à Strasbourg. www.taps.strasbourg.eu
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Sage rébellion
De la cour au jardin
L’exposition qui s’ouvre en deux temps à l’Aubette 1928 et au MAMCS est la première exposition institutionnelle de l’artiste coréenne. L’œuvre d’Haegue Yang s’inspire des avant-gardes de la première moitié du siècle.
Pas de saison creuse pour les expressions musicales, le théâtre et les textes. Grâce à la saison estivale des TAPS et à une programmation des plus éclectiques entre spectacles classiques et modernes, l’été se fait culturel à Strasbourg.
Ses œuvres performatives appellent à l’interaction avec le public. Ses Sonicwears et ses Dress Vehicles sont à la disposition du public qui s’appropriera à la fois ces œuvres contemporaines et l’espace réalisé par le trio Van Doesburg, Jean et Sophie Arp à l’Aubette. L’intérêt du propos est là, dans la réappropriation d’un langage, qu’il soit issu de l’avant-garde européenne du début du siècle ou de la crise post-moderne dans laquelle grandit cette jeune artiste, née en 1971 et formée en Allemagne. Le motif géométrique qui croise le mouvement impose une dynamique de et dans l’espace. Le mouvement est magnifié, gigantesque dans ses sculptures mobiles de stores vénitiens, de macramé, de tricot et de clochettes et infime dans les gouttes qui ruissellent sous l’effet de condensation des bouteilles sorties du congélateur. Cette condensation, l’artiste l’a déjà expérimentée dans d’autres projets. Il s’agit d’évoquer des espaces cachés et, ici, au Foyer-Bar, de tisser des liens intangibles avec l’artiste Sophie Taeuber-Arp. Élément récurrent dans son œuvre, le store vénitien se décline, ici, de façon mobile dans les Dress Vehicles et comme structure de l’espace architecturale, au MAMCS, dans Blind Curtain Flesh behind Tricolore. Des avant-gardes, Haegue Yang a hérité un esprit de rébellion duquel elle a toutefois évacué presque toute référence politico-sociale. Dans Non-Indépliable, le séchoir à linge, pratique et utilitaire est exploité pour ses qualités plastiques et formelles et déplace l’action de la sphère publique vers la sphère privée. D
Haegue Yang, Blind Curtain - Flesh behind Tricolore, 2013 stores vénitiens en aluminium, cadre en aluminium, 460 x 700 x 150 cm Courtesy de la Galerie Chantal Crousel, Paris, France Vue de l’exposition, MAMCS, Strasbourg, 2013 Photo : Musées de la Ville de Strasbourg, Mathieu Bertola
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En été, le temps culturel s’allège : place aux siestes, aux voyages et aux lectures sous les rayons de soleil. À part le farniente, que faire ? Flâner de la cour au jardin des TAPS qui sévissent tous les étés à Strasbourg et nous permettent de continuer à penser musique, théâtre et littérature. Ainsi, tous les mardis, des lectures musicales auront lieu, les mercredis, place aux soirées classiques et à leurs musiciens inspirés, les jeudis seront consacrés aux enfants pour finir avant le week-end avec les concerts des vendredis. Les notes, les images, le théâtre et les marionnettes se partagent la vedette autour de spectacles célébrant la légèreté de l’été. De la nature et des fleurs des champs avec Il y a quelqu’un dans le vent, spectacle pour les enfants créant des parallèles entre les paysages et les personnalités, un peu de Beat Generation avec Beat It ! où l’on verra Ginsberg et Burroughs croiser l’énergie d’une guitare rock, un peu de Bach, Bartók ou de Chopin dans un concert évoquant le pouvoir de la musique populaire ou encore de la chanson Klezmer entre joies et peines avec Amerika !. De quoi rester actif sous un lourd soleil d’été, mais aussi d’occuper les têtes blondes toujours en manque d’activités. Autre argument : tous les spectacles sont gratuits à condition de réserver ses places à la Boutique Culture de Strasbourg ! Qui a dit qu’en été il ne se passait rien à Strasbourg ? D
par Claire Tourdot
par Vanessa Schmitz-Grucker
PIERRE JAMET, exposition à la Chambre du 28 juin au 4 août à Strasbourg. www.lachambre.org
GEORGES BRAQUE : L’ARTISAN, exposition du 29 juin au 15 septembre au musée Georges-Braque à Saint-Dié.
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APPROCHE DU CUBISME. LES HÉRITIERS DE BRAQUE, exposition du 12 juillet au 15 septembre au musée Pierre-Noël à Saint-Dié. www.saint-die.eu
Douce France
Braque l’héritage
Humaniste dans la voix comme dans l’objectif, Pierre Jamet immortalise dès 1930 les années d’insouciance de l’avant guerre et de la paix retrouvée. Résultat : une France en noir et blanc aussi pétillante que nostalgique.
Saint-Dié commémore les 50 ans de la mort de Braque (1882-1963) en lui consacrant deux expositions, l’une au musée Braque, l’autre au musée Pierre-Noël, les deux à l’été 2013.
Formidable touche-à-tout, Pierre Jamet revêt au cours de son existence une foule de costumes : danseur, radio dans la marine marchande, directeur de colonie de vacances, et... photographe. Séduit par l’idéologie gauchiste, il s’engage à l’aube de la Seconde Guerre mondiale dans la chorale de l’AEAR (Association des écrivains et Artistes Révolutionnaires) et intègre l’ensemble vocal des Quatre Barbus. De part et d’autre de l’hexagone et toujours accompagné de son appareil photo, il fixe sur pellicule la douceur de vivre « à la française ». L’amour des autres et le désir de rencontres font de lui un témoin de son siècle : il photographie Jacques Prévert, pilier de l’AEAR, ainsi que le président d’Hachette Daniel Filipacchi et les musiciens Marcel Mouloudji et Henri Crolla encore mômes. Proche de Robert Doisneau et de Willy Ronis, il est spectateur d’une nation portée par sa jeunesse, aussi modeste que créative. Le fugitif et l’instantané sont l’essence de ses clichés brûlants de vie. Et derrière l’apparente insouciance, se détache en filigrane une certaine mélancolie, le spleen d’une temporalité inatteignable : « Si j’aime tant la photographie, ce doit être, outre le plaisir de l’émotion et de la forme, pour le désir de prolonger l’éphémère, de sauver l’instant ». Des pavés parisiens au sable de Belle-Ile en mer, des vendeurs de glaces ambulants aux déjeuners dominicaux, Pierre Jamet jette sur la quotidienneté, les plaisirs simples et les instants de vie, un regard bienveillant. D
À la question « qu’a peint Braque? », Louis Vauxcelles répondit « des petits cubes ». Le cubisme était né. Un an après Les demoiselles d’Avignon de Picasso, Braque s’impose, avec ses Maisons à l’Estaque, comme un père fondateur de ce mouvement d’avant-garde. C’est une figuration nouvelle dont la stylisation géométrique est poussée jusqu’à ses extrêmes limites. Si cette période cubiste est l’une des plus connues, cette commémoration met à l’honneur l’artiste dont l’œuvre va au-delà du cubisme. Cette période, qu’il achève à la Première Guerre mondiale en rompant avec Pablo Picasso, ne doit ni faire oublier ses œuvres impressionnistes et fauves ni le retour à la réalité qu’il opère dans les années 1920. Il ne perd pas de vue ses recherches sur la forme mais introduit davantage de couleur, de réalisme et de matière. La dernière partie de son œuvre s’ancre dans le quotidien, dans la réalité la plus proche. Symbole de paix et d’évasion, l’oiseau fait une apparition marquée dans ses recherches. Sous un aspect très stylisé, il permet à Braque d’être le premier peintre vivant à entrer au musée du Louvre en décorant le plafond de la salle étrusque sur le thème de l’oiseau. Cette œuvre multiple, féconde, d’un homme discret engendre un héritage au-delà de l’expression plastique à l’image du poète Francis Ponge qui lui consacre des essais directement inspirés de sa peinture. D
Pierre Jamet, Échec, 1961
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par Benjamin Bottemer
par Betty Biedermann photo Christophe Brachet
VOYAGE EN ITALIE, théâtre du 24 mai au 12 juin à la Chapelle des cordeliers à Nancy. www.renaissancenancy2013.com
TRAITS D’UNION, installation permanente de Robert Stadler à partir du 4 juillet et tout l’été à l’Ensemble Poirel à Nancy. www.poirel.nancy.fr
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L’Italie en trois actes
Renaissance de la pierre
De la Renaissance à Rossellini, le voyage en Italie constitue un vieux fantasme. Michel Didym adapte et met en scène son propre Voyage en Italie, à partir des souvenirs de Montaigne, dans le cadre de Renaissance Nancy.
Riche d’une tradition Arts Déco, la ville de Nancy tient à encourager les projets de design. Cette volonté s’illustre dans le choix de faire intervenir un designer de renom pour la valorisation de l’Ensemble Poirel, dans le cadre de la commande publique.
Montaigne entreprend en 1580 le grand voyage de sa vie. Il partira de sa ville de Bordeaux pour la Lorraine et ses villes d’eaux afin de s’y soigner, avant de se diriger vers l’Italie. De Rome à Lucques, il découvre les mœurs, les femmes, la foi. Bien qu’adapté du Journal de voyage du philosophe, le Voyage en Italie de Michel Didym introduit quelques éléments absents de l’œuvre originale : si cette dernière s’ouvre sur le récit du secrétaire de Montaigne avant que celui-ci ne reprenne la main, utilisant le « Je » pour la première fois de l’Histoire des Lettres, la pièce s’ouvre quant à elle sur Montaigne évoquant ses Essais, avant que son secrétaire ne tente de les comprendre dans une seconde partie. « J’ai voulu mettre en résonance l’humanité de son récit avec ses Essais, qui constituent une antichambre de sa pensée, explique le metteur en scène nancéien. Montaigne s’y décrit comme paresseux, n’ayant pas une très haute idée de lui-même. C’est très sain de travailler sur l’œuvre d’un homme tel que lui ». Apparaîtront sur scène des objets issus de la collection du Musée lorrain. « Des objets remarquables de la vie quotidienne, que Montaigne aurait pu utiliser lors de son voyage, précise Michel Didym. J’aimerais aussi utiliser ce que j’ai vu dans les réserves du Musée lorrain : notamment des images d’une salle remplie de statues ». D
Voyage en Italie de Roberto Rossellini
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L’objet de cette commande à Robert Stadler était de mettre en valeur un patrimoine architectural, et de poser un jalon annonçant la renaissance topologique et artistique de l’Ensemble Poirel et de son environnement. En effet, le quartier de la gare de Nancy est en pleine mutation et offre de nouvelles perspectives à l’Ensemble Poirel. Celui-ci en profite pour introduire dans ses galeries une programmation d’art contemporain plus pointue, et au moins un rendez-vous design chaque saison. Au premier regard, l’intervention Traits d’union du designer Robert Stadler à l’Ensemble Poirel est très discrète. Mais discrétion n’est pas invisibilité, et ces travaux se jouent en deux parties distinctes et raffinées : plusieurs modules circulaires et lumineux agrémentent la façade et une série de bancs vient s’implanter dans et devant le bâtiment. Le support en aluminium des cercles reflète la luminosité ambiante et teinte leurs motifs rotatoires qui reprennent avec une exactitude frappante les tons de l’édifice. Dès la tombée de la nuit, les LED implantées au dos de ces cercles créent des éclipses poétiques sur la façade, transformant une intervention discrète en installation captivante. Moulures agrandies au point de devenir habitables, le mobilier imaginé par Robert Stadler pour rehausser le lieu est également inspiré de la structure nancéenne typique du bâtiment. La roche utilisée est la même que celle de l’édifice, et la continuité intérieur/extérieur de l’œuvre fait s’étendre le bâtiment qui semble déployer d’accueillants bras de pierre de taille sur son environnement. Le designer mise sur une appropriation naturelle du projet par le public, symptôme d’une renaissance réussie du lieu. D
par Julien Pleis
par Betty Biedermann
LA MOUSSON D’ÉTÉ, festival du 23 au 29 août à l’Abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson. www.meec.org
SALINA, exposition du 21 juin au 29 septembre, musée départemental du Sel de Marsal. www.cg57.fr
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Songe d’une Pluie d’Été
Sombres caméléons
Depuis sa création en 1995, La Mousson d’Eté s’est fixé pour objectif de créer des passerelles entre de nouveaux auteurs et un public diversifié, pour un renouveau permanent du théâtre contemporain.
Plus qu’une installation, les œuvres de Samuel François et François Génot sont une infiltration au sein des collections du Musée du Sel. Ils déposent leurs contributions sur les murs, mais aussi dans les vitrines et sur les sculptures.
Sous l’impulsion du Directeur du Théâtre de la Manufacture de Nancy, Michel Didym, la Maison européenne des Écritures contemporaines [MEÉC] répond aux préoccupations du théâtre contemporain : faire se rencontrer de nouvelles écritures, de nouveaux auteurs, de nouveaux publics. En presque 20 ans, ce sont plus de 320 textes inédits français et étrangers qui ont été présentés à l’Abbaye des Prémontrés. Pour l’année 2013, les temps forts seront les pièces Botala Mindele du dramaturge Remi De Vos (Fr), Sweet Home Europa de l’italien Davide Carnevali et le spectacle À Portée de Crachat de Taher Najib. Le parti pris des organisateurs est de ne pas se focaliser sur le cursus, l’âge, la formation, ou l’origine d’un dramaturge, mais sur son aptitude à l’étonnement et au questionnement. À travers ce mode de sélection iconoclaste, c’est tout le processus d’écriture scénique qui se voit renouvelé et renforcé, ainsi que la compréhension. Car il s’agit bien ici de compréhension, celle de notre société, de notre monde (jusque dans sa globalité), de nos peurs, mais aussi de nos idéaux et de nos accomplissements. Mais les scènes et théâtres peuvent ne pas avoir accès à ces « écritures émergentes » si elles ne circulent pas ou si elles ne sont pas traduites. C’est pourquoi, la MEÉC entend favoriser cette diffusion au moyen d’une Université d’Eté au cours de laquelle les auteurs, les professionnels de la scène et les étudiants peuvent échanger. D
Markus Ork, Femme de chambre ©Isabelle Porte et Henri-Paul Korchia
Une fois leurs interventions découvertes, vous ne verrez plus qu’elles. Les artistes ont réussi le coup de force de camoufler des objets aberrants au cœur des salles de l’exposition permanente. Trouverez-vous les citrons ? La banane ? Les fossiles de téléphones ? Ce décalage ne doit pas être uniquement réduit à de l’humour insolite. En effet, il questionne le consensus autour de l’expérience muséale et réactive en deux temps une perception usée des objets d’exposition. Tout d’abord nous réapprenons à observer pour capter les irrégularités dans un étalage d’artefacts historiques et archéologiques que nous connaissons par cœur. Ensuite nous nous prenons à questionner le sens de ce décalage : pourquoi ceci est-il considéré comme une œuvre et cela comme un déchet ? À partir de quelle durée de vie un objet devient-il admirable ? Mis à part une ou deux interventions baroques, l’ensemble est poétique et sobre. Les artistes utilisent des branchages et créent des formes organiques à partir de matériaux. L’excellent usage du noir – profond, sensé, mesuré – est réjouissant. Les œuvres se déploient à plusieurs niveaux de visibilité, de la miniature à la sculpture imposante, en utilisant parfois les dispositifs d’exposition comme les miroirs pour démultiplier leurs présences. La complexité des objets présentés se dessine par la corruption et la destruction, nous laissant supposer des rapports prédateur-proie à toutes les échelles de l’exposition. D
Cadre 1 : Elle, 2012 Sérigraphie encadrée 50x70cm
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par Julien Pleis
par Betty Biedermann
LES VENTS DES FORÊTS, exposition du 13 juillet à fin septembre à Fresnes-au-Mont. www.leventdesforets.com
CÉRAMIQUE 40’ 50’ 60’, exposition du 26 juin au 3 novembre au Musée de la Faïence de Sarreguemines. www.sarreguemines-museum.com
focus
La forêt enchantée
Délicats ensembles
Dans les forêts de la Meuse, il ne pousse pas que des champignons, des fougères et des arbres centenaires ! Au détour des pistes boisées, on peut depuis 1997, également découvrir d’énigmatiques œuvres d’arts qui ont éclot au milieu de cet écrin de verdure.
Les collections du Musée de la Faïence sont constituées principalement de pièces issues de l’industrie. La démarche complémentaire de cette nouvelle exposition, qui présente des petites séries et des œuvres uniques, est bienvenue !
À l’initiative de six villages de la région, Le Vent des Forêts invente un projet humain et culturel audacieux, où chaque année, de nouveaux artistes viennent renouveler les œuvres d’art de cette forêt qui prend des atours mystiques et féeriques. Cet espace d’art contemporain à ciel ouvert, situé dans l’arrondissement de Commercy engendre une alchimie rare entre la population, les 70 bénévoles de l’association et les artistes. Le projet dessine une nouvelle façon de vivre la ruralité et de présenter les créations contemporaines, pour un public curieux qui peut fureter à loisir à travers les sept sentiers balisés (45 km en tout), proposant jusqu’à 5 heures de marche. De juillet à fin septembre, ce sont plus de 90 installations et sculptures qui sont visibles à ce jour, conçues avec des artistes à l’écoute du contexte forestier. Les 13 et 14 juillet seront inaugurées les sept nouvelles œuvres qui viennent enrichir la collection existante, une occasion exceptionnelle pour les exposants et les promeneurs de se confronter de plain-pied aux questions du développement durable et de la défense de la nature. à cette structure pérenne, se greffent des animations ponctuelles comme les concerts des 12, 13 et 14 juillet dans les églises des villages de Ville-devant-Belrain, Nicey-sur-Aire et Dompcevrin. Familles, club de randonneurs, écoles, amateurs d’art, visiteurs frontaliers ou vététistes... : le contexte du Vent des Forêts permet de rassembler une moyenne de 25000 visiteurs par an et crée une dynamique liée au tourisme vert. D
Ingrid Luche, Le belvédère, 2011. Courtesy Air de Paris.
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Les collectionneurs Jean-Jacques et Bénédicte Wattel prêtent au Musée plus d’une centaine de pièces remarquables des années 40 à 60, issues de choix intransigeants. En résulte une exposition rafraîchissante, loin des clichés colorés des années d’après-guerre. Une seule pièce à l’esprit pop est à découvrir, le reste de l’exposition présente des objets plus discrets relevés parfois de rouge intense (le pot de Klaus Schultze) ou de compositions étonnantes (les Cancanières de Vassil Ivanoff). La force et le contraste du corpus présenté tiennent dans la traditionnelle dichotomie dessin/couleur : plusieurs œuvres arborent un décor très graphique alors que d’autres sont principalement des études de couleurs et de revêtements. Ainsi, vous pourrez admirer une bouteille aux dessins délicats de Jacques Innocenti, et quelques pas plus loin, des vases de l’atelier Madoura à l’émail bleu ciel qui happe le regard par ses nuances. La primauté du décor laisse peu de place aux personnages, mais le SaintGeorges terrassant le dragon de Jean Derval est remarquable, ainsi que le chevalier de Perrot. Dans la salle, les œuvres sont disposées de façon à se répondre selon des critères esthétiques. On regrettera le manque de classement chronologique, scientifique ou stylistique clair, mais l’ensemble reste dynamique et harmonieux. Cette exposition saura réjouir par l’exceptionnelle qualité des œuvres présentées auxquelles un souffle de liberté créatrice d’après-guerre aura profité. D
Une balade d'art contemporain Par Sandrine Wymann & Bearboz
Warum kaputt?
Un paysage de nature équestre En arrivant à la Fondation Beyeler, il faut d’abord traverser l’exposition Max Ernst avant d’arriver à celle de Maurizio Cattelan, dépasser les paysages surréalistes avant de découvrir une œuvre à peine plus réaliste et pas moins extraordinaire. Dans une grande salle aux murs blancs, cinq chevaux, fichés dans le mur, sont figés en plein mouvement, dans des postures identiques, côtes à côtes et plus vrais que nature. Voilà KAPUTT, l’œuvre-exposition de Maurizio Cattelan.
à la manière d’un tableau réaliste En entrant dans la pièce on fait face aux chevaux installés au centre du plus large des murs. Les bêtes, imposantes et magnifiques sont mises en scène dans un sorte de parodie du tableau classique et réaliste. Elles apparaissent un peu comme une peinture à la gloire d’une bataille longue et difficile, de ses héros et de leur montures. Les chevaux sont là, centraux et triomphants et la vigueur de leur corps dégage une force qui fait oublier, dans un premier temps, l’étrangeté de l’installation. Tout est suggéré, le cadre, la composition, le sujet, le cavalier mais les vrais héros du tableau sont les montures et Cattelan s’est contenté de leur intense présence.
L’œuvre est provocatrice, impressionnante et par ailleurs, ouvertement référencée. Francesco Bonami, critique, curator et ami de Cattelan, signe un texte qui accompagne l’œuvre et révèle d’où vient cet étrange titre d’exposition. Kaputt est une correspondance de guerre de Curzio Malaparte, un roman pendant la seconde guerre mondiale, dont la première partie est intitulée « les chevaux ». « Carl Hill, dis-je, peignait les chevaux comme s’ils étaient des paysages. Il y a véritablement quelque chose d’étrange dans la nature suédoise : la même folie qui se trouve dans la nature des chevaux. Et la même noblesse, la même sensibilité morbide, la même imagination libre et abstraite. » Le réalisme et la cruauté de l’écrivain, Maurizio Cattelan l’a faite sienne et cet ensemble de cinq chevaux n’est pas son premier hommage à Malaparte.
Mais que regardent-ils? La brutalité de l’installation réside dans le fait que ces animaux ne sont pas montrés dans leur intégrité. Ils sont décapités, dépourvus de têtes et donc de regards. Ils ne sont que des choses, sans vie, accrochées au mur. Un peu comme des trophées dont la face cachée se révèle, là encore, au détours du récit de Malaparte, dans une étrange scène de chevaux pris dans un lac gelé et dont seules les têtes émergent des glaces pour servir occasionnellement de siège aux soldats au repos. Cette histoire sordide accompagne l’installation mais n’est en rien figurée par Cattelan. Ses chevaux sont dépouillés de tout environnement, ils sont seuls dans leur étrange et déconcertante position. Petit à petit, l’œuvre se laisse apprivoiser et la surprise passée, on se range du côté du cheval. Alors, on succombe à un vil sentiment de curiosité qui renvoie de l’autre côté du mur.
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Une balade d'art contemporain
Kaputt de Maurizio Cattelan Exposition à la Fondation Beyeler à Bâle (Riehen) jusqu’au 6 octobre 32
Créd Cré C Cr réd rré éd édiitt ph hoto hot ho oto oot tto o : © IIG IGN GN G N 20 201 2 01 0 13
WANDERUNG / PROMENADE 28 juin 20 octobre 2013
28. Juni 20. Oktober
Amand-Goegg-Str. 2, Kulturforum D-77654 Offenburg Tel. 0049 781 822040 www.galerie-offenburg.de
30. Juni 6. Oktober 2013
STÄDTISCHE GALERIE OFFENBURG 30 juin 6 octobre
Avec / Mit : Patrick Bailly-Maître-Grand, Diethard Blaudszun, Axel Bleyer, Robert Cahen, Yannick Demmerle, M. Dréa, Pierre Filliquet, Julie Fischer, Angela Flaig, François Génot, Armin Göhringer, Valérie Graftieaux, Marianne Hopf, Claudie Hunzinger, Anja Luithle, Patrick Meyer, Rainer Nepita, Fernande Petitdemange, Pascal Henri Poirot, Martin Sander, Werner Schmidt, Nicolas Schneider, Robert Stephan, Gruppo Sportivo, Gabi Streile, Stefan Strumbel.
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Steve McQueen, Charlotte, 2004, Filmstill, Courtesy the Artist © Steve McQueen
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10/06/13 15:59:56
Revenir à Dominique A Rencontre à la Vapeur à Dijon avec Dominique A, auteur d’une dizaine d’albums et de Y revenir, un récit dans lequel il raconte par petites touches son rapport à la ville de son enfance et les sentiments éprouvés alors qu’il enregistrait ses premières cassettes.
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Rencontres par Philippe Schweyer photos Vincent Arbelet
J’ai écouté ton dernier album en fonçant sur l’autoroute entre Mulhouse et Dijon. Est-ce que tu écoutes la radio en voiture ? Je n’ai pas de voiture et je n’ai pas le permis [rires], mais c’est principalement quand je suis sur la route que j’écoute de la musique. J’ai de plus en plus de mal à en écouter chez moi. Quand j’ai du temps chez moi, je lis beaucoup. J’écoute surtout des disques quand je suis en déplacement en train ou en camion avec les gars. J’aime bien cette idée d’accompagnement du paysage par de la musique. C’est une espèce d’isolation par rapport à ce qui se passe par ailleurs, par rapport au voyage, et quand le disque me plaît le paysage s’imprime un peu sur le disque. J’aime ce rapport là. Je n’ai pas d’iPod, mais j’ai toujours un Discman avec moi. J’aime l’idée de me contraindre au track listing de l’artiste ou du groupe. C’est une façon de remettre le nez dans des disques qui dorment chez moi. Avant de partir, au dernier moment j’emporte des trucs que je n’ai peut-être pas écouté depuis dix ans, comme Elysian Fields ou Philippe Poirier. Je préfère une vraie réécoute de mes disques que d’aller piocher sur le Net… Es-tu du genre à réécouter plein de fois le même disque ? Pas du tout. Un disque que j’aime bien, je vais l’écouter quatre ou cinq fois. Et je vais le réécouter cinq ou dix ans après. Généralement, quand j’aime vraiment un disque j’ai rarement des déceptions et l’émotion reste quasiment figée. Il y a des disques qui me plaisent tellement que je n’ai pas envie de trop les écouter pour ne pas les déflorer complètement, pour ne pas m’en dégoûter. J’écoute un disque comme on regarde un film. Bien écouter un disque une seule fois peut me suffire. Je n’aime pas survoler un disque si je sens qu’il va me plaire. Je ne suis pas très pop par rapport à ça. Dans ton livre, tu racontes que gamin tu lisais Best et Rock & Folk. Est-ce que tu continues à lire la presse musicale ? Je fais vivre la presse musicale à moi tout seul ! J’achète beaucoup, même s’il y a certaines revues auxquelles j’ai renoncé, notamment Rock & Folk… J’ai envie de me tenir informé, de connaître une partie des choses qui sortent. Ça peut encore m’arriver d’acheter un disque sur la foi d’une chronique. Je peux me planter ! J’aime me retrouver dans cette espèce de virginité comme quand j’étais gamin et que je fantasmais sur le nom des groupes. Que j’achetais un disque d’Octobre parce que ça s’appelait Octobre ou un disque d’Opposition parce que ça s’appelait Opposition. On était… Ah non, on n’était plus sous Giscard ! [rires] Te souviens-tu des gens que tu lisais à l’époque ? Oui, je me souviens très bien ! À Best il y avait Dordor,
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Si en plus d’écouter de la musique anglo-saxonne comme tout le monde, je lisais des bouquins anglo-saxons, j’aurais l’impression d’être totalement colonisé. Embareck, Bar-David, Bill Schmock, Jean-Éric Perrin… À Rock & Folk je lisais surtout Michka Assayas, Gorin, Manœuvre, Chalumeau, Feller, Vassal… Tout ça c’est de la préhistoire pour les gamins ! J’ai un rapport à la musique qui passe par le discours sur la musique. Avant, la musique était presque légitimée par le discours. Quand tu réécoute certains disques qui étaient défendus bec et ongles par certains rock-critics, il y a de quoi être un peu sceptique ! [rires] Mais il y a une beauté parce que ça reposait sur une vraie mauvaise foi, qui est l’autre nom de la passion dans certains cas. Chalumeau pouvait tartiner six pages sur La Souris Déglinguée et te convaincre d’acheter l’album. Aujourd’hui, quand j’écoute le premier album de la Souris je vois ce qu’il voulait dire. Tout ce dont il parlait est dedans ! Es-tu également friand de bios de musiciens ? As-tu lu le livre de Patti Smith ? Non pas trop. Je n’ai pas lu le Patti Smith même si on m’en a dit le plus grand bien. Je trouve qu’il y a tellement de livres sur cette planète et tellement de littérature intéressante. Si en plus d’écouter de la musique anglo-saxonne comme tout le monde, je lisais des bouquins anglo-saxons, j’aurais l’impression d’être totalement colonisé. J’ai envie de découvrir autre chose. Tu me mets sur la table deux bouquins, un albanais et un américain, je vais aller vers l’albanais. Sinon, j’ai l’impression d’être un pion. Mais tu n’achètes pas de musique albanaise ? Non ! Ce qui est bien, c’est que les choses vont évoluer. La musique populaire sera peut-être indienne dans cinquante ans, ou sénégalaise, ou chinoise… L’hégémonie de la musique anglo-saxonne est toute récente et elle prendra bien fin un jour. Tu pourrais faire un album avec des musiciens africains ? J’y ai pensé. J’avais entendu un disque de percussions turques et je m’étais dit qu’il fallait que j’enregistre avec eux et puis j’ai oublié le nom des musiciens et l’idée m’est passée. Je suis dans un registre qui est quasiment celui de la world musique puisque c’est de la chanson française ! Aux yeux du monde, à part pour les français, c’est de la world music ! Je vais déjà essayer de bien faire une musique que je comprends
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et avec laquelle j’ai un rapport viscérale. J’ai tout de même l’impression d’emprunter dans mes disques. Dans Tout sera comme avant qui n’est pas mon disque le plus réussi, il y a des musiques venues d’ailleurs, des sons qui sont empruntés. Pourquoi dis-tu que ce disque n’est pas le plus réussi ? Il y a des choses très réussies sur le plan des arrangements, mais il n’est pas tenu vocalement. La voix est bien en deçà de l’ambition musicale du disque. Tout sera comme avant qui pourrait être une grosse pièce, qui pourrait être un morceau phare, ne l’est pas parce qu’il n’est pas porté par un chanteur. Je pense que c’est lié à mon attitude par rapport à ce qu’on m’apportait sur un plateau. C’était aussi une question de disponibilité d’esprit. Avec un peu plus de bouteille, j’aurais fait un bien meilleur disque. Et si tu le réenregistrais ? Je taillerais dedans parce qu’il est trop long, je l’oxygénerais. Mais j’aime bien l’idée d’offrir un truc consistant. J’ai l’impression d’être un peu rapiat si je me limite à 40 minutes. J’expurgerais quelques parties musicales qui sont un peu trop empesées, et surtout, je le chanterais de façon plus volontaire et moins crispée. Mais ce qui est fait est fait. Il y a des morceaux très réussis comme Bowling ou Les Éoliennes, mais l’album manque d’homogénéité. Tu parlais des disques des autres qui restent… Est-ce la même chose pour tes chansons ? Est-ce que certaines chansons se révèlent sur le tard ? Non, il y a deux ou trois piliers sur un disque et je le sais quand il sort. Souvent ce ne sont pas les singles. Par exemple sur le dernier album, Le Convoi est un des morceaux qui va m’accompagner, c’est le cas de le dire… J’aime beaucoup jouer Rendez-nous la lumière, mais je sais très bien que c’est un morceau accessoire qui aura le rôle qu’a eu le Twenty Two Bar. Rendez-nous la lumière m’a permis d’avoir un beau parcours avec ce disque et tout au long de la tournée, mais peut-être que dans deux tournées je ne le jouerai plus alors que Le Convoi ou Par les lueurs sont des morceaux qui me suivront encore quelques années. Les morceaux du premier album dont on me parle encore sont ceux que j’aimais par-dessus tout à l’époque. Sous la neige, Va-t-en, Le Courage des oiseaux et L’Écho, c’est ceux-là dont on me parle. On me parle aussi de Février, mais celui-là je l’aime moins. Te souviens-tu du moment où tu as écrit le Courage des oiseaux ? Je me souviens du moment où l’idée m’est venue, du moment où j’étais dehors et où j’ai tout simplement constaté que les oiseaux chantaient dans le vent glacé. Un des thèmes les plus problématiques et déterminants de mon existence a été celui du courage. Ça l’est un peu moins, mais c’est vrai qu’adolescent et enfant ça l’était… Tu étais peureux comme tu le racontes dans ton livre ? Oui et je n’étais pas heureux d’être peureux. Je n’avais pas envie de le revendiquer… J’ai un peu de mal avec l’espèce de dévirilisation de notre génération. Ce côté « nous sommes des hommes fragiles et nous l’assumons ». Évidemment qu’on est fragiles, mais ce n’est pas la peine d’en rajouter ou au contraire d’en faire une arme de séduction. La peur ou le manque de courage ne sont pas du tout séduisants. La chanson Le
Courage des oiseaux est arrivée parce que pour moi c’était un vrai enjeu d’arriver à traduire ça, ma peur, le manque de courage, et en même temps je ne voulais pas jouer sur ça pour me faire remarquer. C’est un thème qui me taraude. Aujourd’hui encore, je m’interdis de mettre le mot courage dans certaines chansons. C’est un mot que je n’ai pas rechanté depuis Le Courage des oiseaux. Ce n’est plus possible, je ne peux plus le chanter. Je ne peux plus chanter le mot lumière ou le mot courage. C’est impossible, sinon c’est la casserole ou la caricature… As-tu conscience des thèmes qui reviennent dans tes chansons ? Les thèmes qui reviennent ce sont les obsessions, ça prouve une forme de cohérence. Ce que je cherche à éviter, c’est la répétition de certains mots ou de certaines tournures. Il y a des moments où j’accepte une certaine dose de laisser-aller dans l’écriture quand ça fonctionne bien avec la musique. Je laisse passer des trucs, mais il y en a d’autres qui ne passent pas. C’est très intuitif. Il faut vraiment que le ressassement ne soit pas synonyme de rabâchage. Ressasser est une activité presque noble alors que rabâcher c’est faire chier son monde, c’est radoter… Quand tu écris, tu te donnes un thème ? Ce sont des phrases qui viennent. Dès que je veux faire une chanson à thème, je me plante. Je pars d’un mot, d’une situation, d’une image… Je me laisse guider par ça. Souvent il y a des thèmes qui apparaissent, mais qui ne sont pas prémédités, qui n’ont pas cette pesanteur… Il y a un truc que je ne supporte pas et que j’entends souvent chez les chanteurs français, c’est ce côté moraliste. J’aimerais vraiment me dégager de ça, mais j’ai du mal ! Quand je l’entends chez les autres, je ne le supporte plus. Au départ, Rendez-nous la lumière n’était pas une chanson moraliste, c’était une chanson d’exaspération, de colère, une chanson liée à un sentiment d’étouffement. Je n’ai pas l’impression d’avoir délivré un message très puissant, mais c’est une chanson qui touche les gens. Ce qui est bien, c’est quand tu ne le sens pas venir. Immortels est venue d’un bloc et cette chanson-là, que l’on n’arrive pas à jouer sur scène alors que c’est une chanson simple, a suscité des réactions très fortes. Il y a des gens qui passent des deuils avec cette chanson… C’est une lourde responsabilité… Au contraire, c’est une récompense. Pour moi, c’est surtout la preuve par A + B que ce que je fais n’est pas glauque, pas sinistre, puisque ça aide des gens dans des moments difficiles. Les gens ne sont pas masochistes. Dans ces moments-là, tout ce qui est de l’ordre de la légèreté, d’un certain esprit hédoniste, te semble insupportable et tu as besoin de te tourner vers des choses qui te semblent plus chargées de vérité ou au moins d’une volonté de parler de choses fondamentales. Un jour de deuil, tu ne vas pas écouter Wonderwall !
Aujourd’hui encore, je m’interdis de mettre le mot courage dans certaines chansons.
Tu ne veux pas être moraliste, mais tu as une image de chanteur plutôt sérieux et qui fait les choses avec une certaine gravité… Oui, j’en ai conscience. On m’a tellement parlé du décalage entre ce que je fais et ce que je suis au quotidien… Je peux avoir ce côté très austère dans ma façon de faire, dans ma façon de prendre des décisions. Je peux avoir des points de vue assez tranchés et prendre des décisions assez radicales artistiquement. C’est un trait de caractère. Au-delà de ne pas décevoir les gens, je veux ne pas me décevoir moi-même. Je sais très bien que je ne suis pas un chevalier blanc, je lâche du lest, je ne suis pas quelqu’un qui ne fais pas de concessions, j’en fais tout le temps, quand tu arrives à faire de la musique pendant vingt ans et que tu n’es pas dans la marge, c’est que tu as fait quelques concessions au passage, ça c’est clair. Il n’y pas de concessions dans ta musique… Non, les concessions c’est après ! [rires] C’est dans la façon d’aller vers les gens. Tout ce que je veux, c’est être dans un rapport de justesse et de bien-être physique avec ce que je chante, notamment sur scène. Il y a beaucoup de clichés sur le moment de vérité qu’est la scène, mais c’est vrai que quand tu chantes quelque chose que tu n’aimes pas ou qui ne te ressemble pas, le moment est affreux. Chaque fois que je force ma nature sur une chanson, le moment de vérité c’est le moment où je chante devant des gens. Des fois ce n’est même pas sur scène, mais simplement devant des gens qui me connaissent. Je n’ai pas fait de concessions parce que, même s’il y a des chansons que je n’aime plus du tout, je crois que pour chacune je savais ce qu’elle faisait sur le disque. Aujourd’hui, il y en a deux qui sont inchantables : Pignolo et Mes lapins. Des chansons que j’ai insérées sur mes premiers albums, parce qu’autour de moi on me poussait à les mettre… Autour de toi il y a un échange ? Oui et je suis à l’écoute. Il y a plein de gens qui ont travaillé avec moi pendant des années en aimant ce que je fais, mais qui sans me le dire ne croyaient pas que ça marcherait un jour. Ça leur fait d’autant plus plaisir que ça marche un peu aujourd’hui. Non seulement ils ont tenu, ils m’ont soutenu, et en plus finalement ils ont eu raison puisque ils ne se sont pas rétamés… Ce n’était pas non plus un pari fou… Il y a toujours eu un public et une super presse, mais quand tu travailles avec des gens sur le long terme dans le monde du disque ou des tournées, au bout d’un moment ils attendent que ça marche. Pendant un moment c’était stationnaire et tu peux facilement entrer dans une routine qui n’est bien pour personne. Tout ce qui s’est passé cette année m’a fait un bien fou. Ça ne m’a pas sorti le cul des ronces, mais ça m’a apaisé. J’ai senti un vrai soulagement parce qu’il y a un tel écart entre les dithyrambes autour de mon travail et l’écho restreint qu’il suscite. Je sais très bien que mes chansons ne s’adressent pas au plus grand nombre, mais j’avais tout de même l’impression qu’il y avait un public intermédiaire vers lequel je n’arrivais pas à aller. Je peux facilement devenir parano par rapport à ça. Je m’imaginais plutôt que tu n’en avais rien à faire de la Victoire de la musique… Ah non, ça m’a beaucoup touché. La semaine où le disque est sorti, j’ai eu une sensation de plénitude parce que je me disais que la bonne réception faite au disque saluait aussi l’ensemble du travail puisqu’on
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Quand tu fais l’amour avec quelqu’un que tu aimes, tu te souviens surtout des circonstances, mais le moment, tu le vis. venait de ressortir tous les albums. J’ai eu la sensation à ce moment-là d’être libéré d’un poids. Je me suis dit qu’on allait peut-être arrêter de me dire « C’est dommage » donc ça m’a soulagé et ça fait du bien à mon ego. Je suis très sensible à ça, je suis comme tout être humain, j’aime être reconnu pour ce que je fais. Pas pour ma gueule, mais parce que je produis un travail. Que ce travail soit reconnu, c’est une vraie satisfaction. Les médailles en chocolat, je les prends maintenant, elles sont importantes et elles vont me permettre de faire des choses dans un contexte sinistre pour la création. Chaque euro est âprement négocié pour faire des choses à un point que ça devient vraiment insupportable. Je sais que d’avoir eu une
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récompense et un disque qui a bien marché va faciliter les choses pour le prochain. Si le même disque s’était planté, ça aurait été plus difficile pour moi de réaliser certains fantasmes de production. Je serais revenu tout de suite à quelque chose de plus autarcique et je n’ai pas envie de me dire que je reviens à un truc plus autarcique uniquement pour des raisons de pognon. Si je reviens à un truc plus autarcique, j’ai envie que ce soit un choix artistique comme pour La Musique, où je savais que ça ne coûtait pas trop cher et où j’avais demandé un temps de mixage beaucoup plus long et un mastering à Londres dans un gros studio qui coûte des ronds. C’était un choix artistique d’être en autarcie. La reconnaissance, c’est un plus grand crédit que tu gagnes pour continuer à faire des choses. C’est presque un système de cinéaste hollywoodien…
Tu es le Cassavetes de la chanson française… [rires] Je suis tout à fait “virable” de ma maison de disques si je fais un disque qui se plante… Je t’assure ! Il y en a eu d’autres. As-tu envie de continuer à écrire? Oui, j’ai envie de faire plein de livres. J’ai fait des tentatives de fictions, mais les chansons me suffisent. Je me suis dit pendant longtemps que je n’écrirais jamais de bouquin sur la musique parce que c’est trop proche de moi et puis finalement si, j’ai envie de faire un truc qui sera encore basé sur l’autobiographie, mais pas sur mon activité. Ce sera plus sur mon rapport à certains disques, français notamment, parce que je me rends compte que les disques qui ont été les plus importants pour moi, ce sont les disques français de gens qui étaient pétris de culture anglo-saxonne. Je voudrais parler des obscurs comme WC3, parler de copains qui ont fait des disques comme Perio… C’est un travail de passeur ? Un peu… J’ai envie de faire un truc qui soit littéraire. Ça ne sera pas une anthologie. Il faut que j’arrive à faire se croiser les choses. Ça va me prendre au moins un an, parce que l’écriture c’est vraiment de l’orfèvrerie. J’aime beaucoup ça, mais je freine des quatre fers quand je repense au boulot que m’a demandé mon premier livre, tout minuscule soit-il. Je ne suis pas très Cecil B. DeMille. J’aime bien les trucs qui vont vite… Tu n’avais pas de nègre ? Non ! Mais mon éditrice a été très importante, elle m’a guidé, elle m’a aidé à trouver le vrai propos de mon livre. La forme était là, mais elle m’a dit l’importance de débroussailler. Tu as une si bonne mémoire ou il y a des choses un peu romancées ? Je n’ai pas une bonne mémoire, mais il y a des choses qui m’ont marqué. Tu t’es censuré par rapport à tes copains ou tes parents ? Il y a eu cette question-là par rapport à la famille. Mais je me suis dit que ce n’était pas le sujet du bouquin de parler de la famille. Le bouquin parle du rapport au lieu. Comme c’est autobiographique, il faut parler de l’héritage familial par rapport au lieu, de la sensibilité par rapport au lieu. À un moment donné, je commençais à aller sur des terrains où il y avait un peu d’aigreur, mais j’ai coupé court parce que ce n’était pas le propos et que je ne voulais blesser personne.
ressentir des choses. Il y a toujours un petit truc, une appréhension, mais le gros trac n’est pas là tous les soirs. Il est là de temps en temps. J’ai fait un concert en solo il n’y a pas longtemps où je n’ai pas trop fonctionné sur les boucles comme je fais d’habitude. Je voulais faire un truc plus minimal et reposant moins sur l’énergie. J’étais assez tendu et j’ai ressenti un gros trac avant de monter sur scène parce qu’il y avait des tas de morceaux que je n’avais quasiment jamais joués. Tu te souviens des concerts ? Non, tout se mélange. Je me souviens de l’avant et de l’après dans le meilleur des cas. Le concert, c’est un moment d’intensité. Quand tu fais l’amour avec quelqu’un que tu aimes, tu te souviens surtout des circonstances, mais le moment, tu le vis. Pour moi, la scène c’est très proche, parce que c’est un rapport physique. Pendant que tu chantes, penses-tu à des trucs ? Oui, comme quand tu fais l’amour ! [rires] Dans le pire des cas je peux me dire que j’ai envie de pisser. Ça arrive très rarement, mais ça peut arriver. Je peux penser à autre chose, c’est même recommandé pour ne pas penser aux paroles et ne pas me planter. Les idées de chansons peuvent arriver n’importe quand ? C’est plus dans les moments où je suis en période d’écriture. Les idées, il faut quand même aller les chercher. Il y en a qui arrivent toutes seules… Celles-là, c’est alléluia ! Est-ce que l’idée de laisser une trace est importante ? Oui, c’est idiot parce que je ne serai pas là pour en profiter. Passer son temps à prêcher dans le désert avec la perspective de laisser une trace, c’est insupportable. Je suis déjà heureux que dans le temps présent mon existence d’artiste soit validée, soit appréciée par des gens… Tu disais que c’était difficile d’écrire un livre, pourtant tu veux continuer… Oui, mais s’il y a bien un truc dont je suis sûr, c’est que ce que je fais ne laissera aucune trace sur le plan littéraire. J’essaye juste de faire que ce soit digne, honorable, lisible, mais je n’ai pas de prétention littéraire. Je ne suis pas nul, mais ce n’est pas comme la chanson. La chanson, c’est viscéral et je peux espérer que certaines chansons existeront encore dans quarante ans. Un bouquin, c’est juste cette envie et ce plaisir paradoxal que j’éprouve à le faire quand je suis immergé dedans. J’adore la concentration que ça demande, j’adore l’exercice, la satisfaction de courte durée que j’ai à boucler un paragraphe, à trouver les mots et à savoir ce que je pense en cherchant les mots. J’adore ces moment-là. La postérité, je ne la destine éventuellement qu’à la musique parce que je sais que c’est mon vrai domaine. La littérature, c’est un pas de côté. Je suis facilement contournable en littérature et j’aime trop les livres pour avoir des illusions. ❤
Tu pourrais raconter l’histoire d’un chanteur en tournée… Non ! J’aime beaucoup être en tournée et je suis toujours partant, mais il n’y a rien à dire. Ça t’excite encore de monter sur scène ? Des fois, je ne ressens pas grand chose en montant sur scène parce que je l’ai quitté vingt-deux heures plus tôt. C’est un peu court pour
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Rencontres texte et photo par Stéphanie Linsingh
Troy Von Balthazar, artiste à fleur de peau, a sillonné l’Europe avec son dernier opus …is with the démon, un album à la noirceur éblouissante. Nous avons rencontré l’Hawaïen au Fiacre, à Liège. Une tasse de thé à la cassonade et il se livrait à nous avec une sincérité des plus touchantes.
I am the tiger, you are the pigeon Entre les premières parties de Nirvana avec Chokebore et vos concerts en solo dans de petites salles, vous faites en quelque sorte le grand écart. Vous avez raconté avoir vécu dans votre voiture. Qu’en est-il de votre vie aujourd’hui ? Aujourd’hui, j’ai beaucoup de musique en moi, je suis donc heureux intérieurement. À l’extérieur, c’est une autre histoire… [rires] En dehors de ma vie musicale, je ne suis pas aussi satisfait. Je ne vis pas vraiment de ma musique, mais ça vaut le coup car j’y prends du plaisir et j’y pense chaque jour, toute la journée. Je préfère faire de la musique, être libre, faire des tournées, qu’avoir une nouvelle voiture ou aller au cinéma chaque week-end. Il y a une grande part d’autobiographie dans vos morceaux. Vos paroles sont sombres, elles parlent de nostalgie, de regret, d’alcool, de pauvreté… Lors de chaque journée, j’ai des moments de profonde tristesse, comme je peux ressentir de vrais instants de béatitude. Cela dépend de ce que je fais, de ce qui m’entoure et de la chimie de mon cerveau… De manière générale, je ne pense pas être une personne extrêmement triste, mais je n’ai pas peur d’explorer cette part de moi-même.
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La dernière fois que je vous ai vu, vous m’aviez dit : « Music is like love ». Mais quand on lit vos interviews, on a l’impression que c’est plus que cela, que vous auriez pu dire « Music is love », non ? Oui, certainement, l’amour est temporaire et illusoire, tout comme la musique. Vous ne pouvez jamais l’attraper ; je n’arrive jamais à écrire la chanson parfaite, je compose un morceau qui est presque comme je l’aimerais, je ne suis jamais satisfait. J’espère un jour écrire une très belle chanson, c’est mon but. Vous n’êtes pas fier de vos morceaux ? Il y a deux nuits, j’étais allongé sur mon lit, j’essayais de dormir et pour la première fois je me suis dit : « Je devrais être fier de mes chansons, je devrais être fier de moi ». Je n’y avais jamais pensé auparavant. Vos instruments récupérés, faits de bric et de broc, font que votre style est reconnaissable entre mille. Je suppose que toutes les idées viennent du désir d’écrire quelque chose d’intéressant pour moi-même, pour ne pas être ennuyé par ma propre musique. J’aime essayer de nouvelles choses. Je suis honnête dans ma musique, c’est pourquoi cela sonne comme moi et moi seul. Je ne veux pas que ma musique rappelle celle de quelqu’un d’autre. Préférez-vous travailler seul ou en groupe, comme avec Chokebore ou The Black Pine, lors d’une tournée ? Ça dépend… Quand tu joues avec un groupe, tu es avec tes amis et tu te sens plus détendu. Mais si, un soir, le batteur est fatigué, le concert peut en pâtir ; tu dépends des autres musiciens... Quand tu joues seul, tout le monde te regarde, cela te rend très nerveux, mais ça augmente les frissons et l’intensité chaque soir. Il me semble que c’est ce que je
préfère dans tout cela. Dans ma vie de tous les jours, je n’aime pas que les gens me regardent – je ne suis pas une personne très sociable – ; aux fêtes, je ne danse pas devant les gens, mais lors des concerts, je me retrouve subitement debout sur la scène avec le public qui me fixe, c’est comme si je faisais des montagnes russes : je me sens effrayé et en même temps très excité. En marge de vos albums, vous avez composé des musiques de films, vous écrivez des livres. Est-ce une envie d’ailleurs ? J’ai pris beaucoup de plaisir à réaliser ces musiques de films. C’était un défi, mais j’ai trouvé cela très naturel. Je pourrais faire ça tous les jours. C’était très facile pour moi, je n’ai rencontré aucun problème. En ce qui concerne les livres, c’est l’inverse, c’est très pénible à écrire. Parce que c’est une grande part de vous-même ? Oui, parce que c’est très personnel. C’est vrai, on dirait presque un journal intime… En quelque sorte, oui. C’est très intime et c’est donc très difficile. Mais si je fais tout cela – la musique, les albums, la musique de film –, c’est uniquement pour justifier mon existence. J’ai besoin de savoir qu’il y a une raison pour laquelle j’existe, je veux me justifier de respirer autant d’air, j’ai besoin de donner quelque chose en retour. Et quels sont vos projets pour les prochains mois ? J’essaie d’écrire un roman. Je vais me concentrer sur ça. Et je suis impatient à l’idée de commencer à écrire mon prochain album. Je vais m’y mettre dès la fin de cette tournée.
Un roman et un album ? Si je ne suis pas occupé, je m’ennuie et je me sens inutile. Comme je l’ai dit, j’ai besoin de justifier mon existence, c’est un désir profond. Pour le prochain album, j’ai vraiment envie de puiser plus profondément en moi et dans ma musique. Mais j’ai lu quelque part qu’un roman vous effrayait… C’était le cas jusqu’à ce que j’écrive ce dernier recueil de poésie. Quand je l’ai fini et que j’ai vu le résultat entre mes mains, je me suis dit : « Ok, maintenant, fini la poésie, je veux quelque chose de plus grand. » Vous ne craigniez pas d’être insatisfait de vos premières pages ? Si ! [rires] Mais c’est normal, c’est pareil avec les albums. Quand je finis un disque, c’est à ce moment que je me dis que j’aurais dû changer ceci et ne pas changer cela. Je l’entends enfin distinctement et j’ai envie de tout changer. Mais c’est une bonne chose d’être obligé d’arrêter de modifier les choses. Vous pouvez changer certains détails pour les concerts… Oui, durant les concerts, on peut changer des choses. C’est d’ailleurs ce que je fais, je modifie mes morceaux pour le live. En général, en tournée, j’effectue les changements en répétitions, beaucoup de choses bougent, mais j’en fais quelque chose de plus solide. Puis, j’emmène cette solidité avec moi sur la route car j’aime savoir où va une chanson, comment elle se termine… ❤
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Rencontres par Cécile Becker photos Christophe Urbain
This Charming Man La pop serait définitivement morte (Retromania), la dance aurait été le dernier mouvement d’ampleur à révolutionner la musique (Energy Flash), le post-punk aurait existé sans le punk (Rip It Up and Start Again). Derrière cette plume parfois autoritaire, il y a de vrais concepts. Simon Reynolds, écrivain pessimiste certes, mais aussi, peut-être, le dernier journaliste musique. Bring the Noise le montre : pas de purisme, osons tout, mais engageons-nous.
Commençons par le début, d’où vous est venue cette envie de devenir journaliste ? Mon père et ma mère étaient tous deux journalistes. Mon enfance a été rythmée par les écrits : ma mère lit énormément et m’a initié à la lecture. Mon père, lui, me disait toujours qu’il n’y a rien de tel dans la vie que de voir son nom imprimé à la fin d’un article. Ça a dû m’affecter... Mais au début je voulais écrire des livres pour enfants, puis je suis passé par la comédie : j’aurai voulu écrire des romans de la trempe des émissions des Monty Pythons. Enfin, il y a eu la science fiction, mais la musique a fini par balayer toutes mes autres obsessions. Par l’intermédiaire de la presse musicale, j’ai découvert un monde fascinant : les magazines se livraient des guerres sans merci, les journalistes voulaient être les meilleurs. Je suis devenu accro aux disputes autour de la musique : on la célébrait, on la critiquait, on en parlait très négativement. C’était un espace d’expression très excitant à l’époque.
La presse musicale vous a entraîné à une certaine gymnastique intellectuelle aussi... À l’époque, on traçait des parallèles avec la philosophie française, cela correspondait aux premières traductions des œuvres de Barthes, Foucault ou Derrida. Je lisais ces auteurs et je retrouvais des fragments de leurs pensées dans les articles que je lisais, de manière assez malhonnête parfois. Je me souviens d’un article sur The Fall écrit par Barney Hoskyns, mon héros. Il commence par une citation de Foucault sur l’éclatement du visage de l’homme dans le rire, et le retour des masques et continue en parlant du sourire magnifique de Mark E. Smith et de son aura... C’était génial, je n’avais jamais été face à ce genre de réflexion. Ça a largement contribué à mon éducation. J’ai appris sur Nietzche en lisant la presse musicale par exemple ! C’est quelque chose que vous avez perpétué en quelque sorte ? Je le fais un peu moins aujourd’hui que je ne le faisais à mes débuts parce que j’ai fini par construire mes propres idées. Mais je continue de lire beaucoup de choses. Je travaille par exemple en ce moment sur un livre sur le glam rock, et je m’inspire beaucoup de Baudelaire et du dandysme d’Oscar Wilde aussi, qui est une grande influence pour les artistes glam. Je continue d’utiliser ces références lorsque ça fait sens, mais il fût un temps je le faisais alors que je n’en avais pas vraiment besoin [rires]. J’avais cette envie inouïe de lier la musique et la littérature. Ce n’était pas pour me la raconter, je le faisais parce que tout trouvait des résonances. Je me souviens, je lisais beaucoup Deleuze et Guattari à
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un moment qui correspondait à Can, aux prémices de la jungle et de la drum’n’bass : la musique et ce qu’ils écrivaient semblaient naturellement coller. La découverte du punk par l’intermédiaire de votre frère a complètement changé votre vie, j’aimerais comprendre comment ? J’étais intéressé par la pop mais pas obsédé, jusqu’à ce que mon petit frère me joue ses disques de punk... Ce qui m’a frappé c’est surtout la brutalité du langage. Deux groupes m’ont marqué en particulier : les Sex Pistols bien sûr, mais aussi Ian Dury & The Blockheads. Il y a une chanson Wake Up and Make Love With Me, un peu osée, mais pas obscène. À ce moment-là, je me suis dit : « Waow, alors c’est ça d’être adulte ! ». Ce que j’aimais aussi, c’était découvrir l’artwork autour des groupes de punk et un milieu complètement différent. Je me souviens d’une série d’articles sur Malcolm McLaren où il parlait des situationnistes. Au début, je pensais qu’il parlait d’un groupe de musique appelé The Situationists. [Rires]. Tout ça pour dire que le punk m’a ouvert à un pan de la culture que je ne soupçonnais pas. À l’époque, un groupe, un genre était une fenêtre ouverte sur des sous-cultures incroyables : la littérature américaine, la peinture, le cinéma... La presse musicale actuelle paraît bien triste à côté de cet âge d’or... Il y a beaucoup de très bons écrits, mais tellement de musiques que ça devient difficile de se concentrer. Quand il n’y avait que quelques magazines, si tu arrivais à y entrer, tu pouvais avoir beaucoup d’influence. Je suis sûr que le prochain Lester Bangs existe déjà, mais peu importe le talent. Aujourd’hui, il est question de bien décrire un groupe ou un disque, d’être juste, neutre, l’arrogance qui me plaisait tant n’existe plus. J’adorais lire un article d’un journaliste qui pensait détenir la vérité. J’aime l’écriture rhétorique, en forme de manifeste. On se souvient toujours de sa première interview, la vôtre ? Je n’en ai jamais parlé car ça ne s’est pas très bien passé. [Rires]. A l’époque, je travaillais pour un fanzine et on m’a chargé d’interviewer ce mec, Ted Milton, leader d’un groupe de post-punk : Blurt. J’étais vraiment fasciné par ce type qui, dans sa période pré-Blurt a écrit des singles comiques complètement délirants. Mais quand je l’ai rencontré, il ne voulait pas vraiment donner d’interview. Je n’avais pas d’enregistreur, j’avais une boombox... Je suis certain qu’il a pensé : « Pourquoi je me fais interviewer par ce fanzine, par ce gosse qui ne sait même pas ce qu’il fait ? » Il m’a entraîné dans tout Londres et on s’arrêtait dans tous les cafés qu’on trouvait, du coup, je n’avais jamais le temps de m’installer et de faire partir l’enregistrement. Je n’ai rien eu, c’était une perte de temps. Mais ça reste un souvenir amusant...
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Y a-t-il une interview, une personnalité qui vous a réellement déçu au point de ne plus pouvoir écouter sa musique ? Je ne crois pas. J’ai rencontré des gens pas très plaisants, qui ne veulent rien te donner, qui sont ennuyés, qui ne veulent rien échanger. J’essaye toujours de les amadouer ou de les secouer un peu, sans les brusquer. Mais heureusement, j’arrive à séparer mes rencontres du plaisir que m’apporte l’écoute d’un disque ou un concert. Et puis, il ne faut pas oublier que la plupart des bons musiciens sont souvent des débiles ! [Rires]. Quand on vous lit, on a l’impression que vous êtes un spécialiste de toutes les musiques, est-ce possible de tout maîtriser ? Il y a des gens qui savent bien plus de choses que moi sur le hip-hop, ou sur l’électronique, ou le reggae. Le savoir est important, mais pour moi ce qui compte c’est l’honnêteté et aussi les connexions que l’on peut faire. Quand j’ai commencé à écrire sur le hip-hop dans les années 80 par exemple, je me suis rendu compte qu’on n’avait jamais écrit sur le truc le plus évident : le rapport à l’argent. On parlait de classe oppressée, mais il s’agissait surtout d’hyper-capitalisme. J’ai simplement essayé de parler de ce que je voyais : la compétition, le matérialisme et l’obsession pour l’argent. Si j’avais été trop dans le milieu, peut-être que je n’aurai jamais pu voir ce que j’ai vu ? Avoir une distance avec les choses c’est en distinguer les formes, c’est tout aussi important que le détail. À l’inverse, j’étais vraiment très ancré dans le milieu de la dance, mais j’ai toujours essayé de prendre du recul pour avoir une photographie plus large de ce que ce mouvement signifiait. Je n’ai de toute façon jamais aimé le purisme. Vous reconnaissez aussi vos erreurs, notamment dans votre recueil d’articles Bring the Noise, ce qui est rare dans le milieu du journalisme. J’écris depuis longtemps et j’ai beaucoup écrit. Tu écris et deux ans plus tard, ce que tu as écrit n’a plus aucun sens... C’est à toi de reconnaître que tu as pu te tromper, pourquoi faire ce métier si ce n’est pas pour être surpris ? Une chose m’a frappée : le tout premier article repris dans Bring the Noise, parle de l’état de la pop, une thématique que vous avez poursuivie dans le livre Retromania : tout a déjà été fait, on pioche dans nos références, plus rien ne sera inventé. Est-ce une obsession d’être pessimiste ? C’est drôle parce qu’après Retromania, on m’a reproché de vieillir. [Rires] Mais j’avais oublié qu’en fait, j’avais déjà ce genre de discours sur la perte de vitesse de la pop quand j’avais 20 ans ! J’étais déjà très pessimiste, ce doit être un état naturel. Quand j’ai découvert la musique, c’était objectivement une époque géniale : le punk, le post-punk... Tout était très dynamique. Même les débuts d’MTV étaient intéressants ! Dans le milieu des années 80, tout s’est aplani, mais tout le monde le constatait. John Peel a dit quelque chose comme : « Je n’aime même pas les disques que j’aime ! » La musique est devenue aléatoire, insignifiante. Je peux aimer de nouveaux groupes mais je ne comprends pas vers quoi va la musique. Peut-être suis-je démodé ? Je ne sais pas. Mais lorsque les gens de ma génération aimaient un groupe, ils voulaient que celui-ci contrôle le monde ! On défendait vraiment quelque chose. J’étais un grand fan des Smiths, et j’attendais chaque nouveau disque comme le meilleur, je voulais qu’ils explosent ! On parlait beaucoup d’eux mais en terme de ventes, c’était catastrophique. Simple Minds vendaient beaucoup plus...
J’ai l’impression qu’à l’époque, il était plus facile de passer du rock au hip-hop, ce qui est devenu plus compliqué dans les années 90, en tant qu’auditeur surtout. On défendait un genre, un style, un mode de vie... Dans les années 80, les fans d’indie m’énervaient vraiment. Ils avaient, c’est sûr, un disque de New Order, mais étaient complètement anti dance alors que New Order adorait ça ! C’est un non-sens. Tout ce qui n’incluait pas de guitares était nul. Quel ennui... Cette attitude a toujours existé. Le machisme, l’hyper-masculinité du hip-hop a toujours énervé les fans de rock. J’ai l’impression qu’aujourd’hui ça va beaucoup mieux : Pitchfork chronique maintenant des disques de R’n’B ou d’électro minimale. Il y a eu un moment, c’était tendance de dire qu’on aimait Beyoncé ou Nicki Minaj, ou même Britney Spears : son album Blackout est vraiment bien. À chaque génération, il y a des gosses qui abandonnent la pop pour aller vers quelque chose de plus sophistiqué, de progressif, mais ils reviennent toujours vers la pop. C’est un cycle. Je n’ai jamais été irréductible. Quand j’ai commencé à m’intéresser à la musique, Johnny Rotten disait qu’il aimait la disco ! J’ai toujours aimé Chic, Michael Jackson ou Donna Summer, et au final, la plupart des groupes que j’aime sont influencés par la disco ou le funk.
Y a t-il quelque chose que vous voulez encore découvrir ? J’espère toujours découvrir quelque chose que je n’ai jamais écouté avant, ou quelque chose qui m’amène de nouvelles idées. Ce qui est difficile aujourd’hui, c’est que l’on n’a plus la sensation de découvrir quoi que ce soit : d’une part parce qu’il y a énormément de groupes, beaucoup de blogs et d’autre part que la musique circule très rapidement. Du coup, les journalistes ne sont plus les premières personnes qui écoutent un album ou une chanson, ils ne sont plus les principaux curateurs de notre culture. C’est bien dommage. Mais j’aimerais découvrir quelque chose de nouveau, oui, tous les jours. Je me penche sur des formes plus anciennes : j’aimerais découvrir le jazz dans ses moindres recoins : chercher du côté de Miles Davis, de la Nouvelle-Orléans. J’ai écouté beaucoup de fusion, j’aimerais en connaître les racines. J’aimerais aussi comprendre la musique classique. C’est le travail de toute une vie. Le seul truc que je ne veux pas découvrir c’est la country. [Rires] ❤
Vous dîtes que la musique doit toujours avoir une autre accroche que celle strictement sonore. Il y a toujours un point de vue presque sociologique dans vos écrits. Pourquoi ? J’aime aussi les musiques superficielles, les rythmes efficaces qui te restent dans la tête sans raison. Tant qu’il y a de la créativité, ça me parle. C’est plutôt une question de signification : qu’est-ce que cette musique me dit de la société dans laquelle je vis ? Quand on trouve des réponses à ça, il faut absolument écrire. J’aime aller plus loin, chercher une idée qui découlerait de la musique que j’entends et développer.
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Rencontres par Cécile Becker photos Christophe Urbain
Jacco in Wonderland Écouter Cabinet of Curiosities, l’album de Jacco Gardner, c’est s’imaginer dans un monde écrit comme un conte de fées. Un monde d’un autre temps, et s’il fallait choisir, ce serait les 60’s. Rien d’anodin à tout ça : ce jeune néerlandais est un enfant éternel fasciné par Syd Barrett, Love et The Zombies.
Avec son chapeau bien enfoncé sur la tête, Jacco Gardner pourrait bien ressembler au personnage de ses propres histoires. Un visage poupin, un regard innocent, une démarche naïve et toujours, en toile de fond, cet émerveillement caractéristique des grands enfants. Un gamin, peut-être, mais aussi un musicien qui a la fougue, la créativité et la détermination de ses aïeux : « J’ai cherché à un moment de ma vie à échapper au monde dans lequel j’évoluais, explique t-il. Les 60’s m’ont montré la voie : c’est une période qui transpire l’innocence et qui apporte une vision très enfantine du monde. C’est ce à quoi j’aspire. Je déteste la normalité, je veux sans cesse faire des choses différentes, que mes idées soient issues du passé ou du futur, peu importe. Je renie le présent ». Jacco
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Gardner puise ses inspirations dans le répertoire des Zombies ou de Love. Des premiers, il garde l’instrumentation mais aussi, de manière assumée, la voix et les manières de Colin Blunstone. Des seconds – selon lui « l’un des meilleurs groupes jamais entendus » – un amour démesuré pour les sons psychédéliques qui poussent à l’imaginaire. Lorsque ce petit génie compose son album, il pense à une exposition de curiosités psychédéliques, mais aussi à Alice au pays des merveilles : « J’ai voulu collecter toutes ces créatures, qu’elles soient inquiétantes ou joyeuses ». La forme paraît joyeuse, mais qu’on ne s’y trompe pas, ce petit génie nous dit aussi chercher la noirceur à la manière d’un Syd Barrett, icône qui l’ouvre à la musique 60’s après une période plutôt métal : « Dès l’instant où j’ai entendu sa musique, j’ai été happé. J’ai commencé par écouter ses albums solos enregistrés en 1969 et 70, ça m’a donné envie de me plonger dans sa carrière, j’ai voulu comprendre pourquoi il a été autant sous l’influence du LSD. Tout ce que fait Syd Barrett, il le fait en réaction au monde extérieur, mais toujours avec cette envie de jeu ». Toujours ce jeu. Ce jeu, « cette touche enfantine, cet effet Peter Pan » qui lui font préférer la période qui précède Dark Side of The Moon du Floyd. Jacco Gardner voit la lumière au plus sombre, toujours. Alors non, décidément, il ne nous fera pas croire que sa musique en forme de pop de chambre est noire. Il pourra néanmoins continuer d’affirmer que plutôt que cette contradiction, ce qui l’intéresse, c’est l’inconnu, l’imprévu. Ni blanc, ni noir, avec l’insouciance d’un enfant. ❤
et l’Abbaye des Prémontrés présentent
Direction Michel Didym
SAISON 2013-2014 Alfred Jarry
Ubu roi
Declan Donnellan 15 > 19 octobre 2013
Nancy Jazz Pulsations 5 > 8 novembre 2013
TGP Frouard 18 > 21 février 2014
Bertolt Brecht
Mère Courage Jean Boillot
25 > 28 février 2014
Didier Manuel
P.I.G.S.
CRÉATION
Body Building
21 > 30 mars 2014
13 > 30 novembre 2013
Siegfried et L'anneau maudit
La S.O.U.P.E. Compagnie
Hervé Blutsch
Richard Wagner
L'Emprunt Edelweiss
Opéra National de Lorraine 26 > 29 mars 2014
19 > 23 novembre 2013
Le Roi Lear
Tennessee Williams
Chatte sur un toit brûlant
13 mai > 6 juin 2014
17 > 20 décembre 2013
Alexandre Vialatte
Dominique Simonnot
Comparution immédiate Michel Didym
Frédéric Sonntag
Charles Tordjman
George Kaplan
7 > 18 janvier 2014
29 mai 2014
Thomas Bernhard
Musique Action
Le Naufragé
Sans doute
Joël Jouanneau
Jean-Paul Delore
21 > 24 janvier 2014
12 > 15 juin 2014
Olivier Py
Angela Dematté
28 janvier > 8 février 2014
Jon Fosse
Matin et Soir CRÉATION
Christine Kœtzel 4 > 8 février 2014
Jon Fosse
Ylajali
Gabriel Dufay Théâtre de la Manufacture 10 rue Baron Louis 54014 Nancy cedex Location 03 83 37 42 42 www.theatre-manufacture.fr
au programme dans cette 19e édition
lectures, spectacles, conférences, débats, concerts, spectacle de rue, l’université d'été Européenne
20 > 23 mai 2014
Résumons-nous
Miss Knife
université d’été européenne et rencontres théâtrales internationales à l’Abbaye des Prémontrés de Pont-à-Mousson – Lorraine 03 83 81 20 22 – www.meec.org
10 > 18 avriI 2014
3 > 20 décembre 2013
Michel Didym
du 23 au 29 août 2013
Christian Schiaretti
Festival RING
Savoir-Vivre
écrire le théâtre d’aujourd’hui
William Shakespeare
Claudia Stavisky
Pierre Desproges
la mousson d’été
J'avais un beau ballon rouge
avec notamment la présence de Sonia Chiambretto (France), Rémi De Vos (France), Caroline Dumas de Rauly (France), Claudine Galéa (France), Julie Rossello (France), Davide Carnevali (Italie), Franz-Xaver Kroetz (Allemagne), Nicoleta Esinencu (Moldavie), Maria Miró (Catalogne), Yannis Mavritsakis (Grèce), Penelope Skinner (Angleterre), debbie tucker green (Angleterre), Zinnie Harris (Angleterre), Lucy Kirkwood (Angleterre), Naomi Wallace (USA) en partenariat avec La Maison Antoine Vitez, France Culture, le Centre national du Théâtre et Le Royal Court Theatre
Michel Didym
et aussi des spectacles
19 > 21 juin 2014
À portée de crachat
Fête de la Manufacture
de Taher Najib / mise en scène Laurent Fréchuret avec Mounir Margoum
Marché de la poésie
à l’Espace Pablo Picasso à Blénod-les-Pont-à-Mousson
Une rencontre
texte de Rémi De Vos / conception Woudi Tat
spectacle de rue itinérant installé sur le site de l’Abbaye des Prémontrés et dans les rues des villes de Pont-à-Mousson et Blénod-les-Pont-à-Mousson
programme complet sur www.meec.org
• conception graphique www.juliencochin.fr
8 > 12 octobre 2013
DER RING DES NIBELUNGEN, opéra du 5 au 15 octobre 2013 à Dijon. www.opera-dijon.fr
Joyeux face à Wagner pAR Guillaume Malvoisin
PHOTO Gilles Abegg / Opéra de Dijon
Qu’est-ce qui peut pousser un directeur d’opéra à tailler sa première mise en scène dans le flanc d’un monstre comme Wagner ? Si les explications intimes tiennent de la danse païenne dans les cavernes nordiques, Laurent Joyeux, patron de l’Opéra de Dijon, nous livre les raisons exprimables de sa relecture d’un Ring ramené à taille humaine.
Reich est stupide et n’a plus de force aujourd’hui. J’aimerais aller chercher l’importance poétique du livret de Wagner au-delà de la charge politique, que nous conservons, bien entendu. J’aimerais aussi que nous puissions continuer de rendre des personnages comme Wotan et Siegfried à leur ambivalence.
Comment avez-vous pu vous résoudre à rapiécer la musique de Wagner ? Bien que ce soit un opéra, je considère avant tout le Ring comme un poème écrit par Wagner. Je laisse une grande place à sa puissance. Étrange idée que d’associer un autre compositeur à Wagner, non ? D’une part, Brice Pauset compose les sutures entre les coupes faites en travaillant dans le style de Wagner pour qu’il n’y ait pas de ruptures musicales. D’autre part, il a composé un prélude à chacune des deux journées dans son propre langage.
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Rester dans le formol ne m’intéresse pas, quitte à bousculer quelques puristes. On peut redécouvrir Wagner en écoutant Brice Pauset, c’est le second pari de ce Ring. Quel serait le premier pari, celui que vous avez fait aux portes de ce chantier ? Chéreau a révolutionné, dans un scandale total, la lecture du Ring à Bayreuth en 1976. Il a sorti Wagner des culottes de peau et des peaux d’ours. Il y a eu depuis des réussites mais aussi des excès qui ont éloigné Wagner de son œuvre. Simplifier Wagner en le connectant au Troisième
Faites du neuf !, enjoignait Wagner. Peut-on encore répondre à cette injonction aujourd’hui ? On peut encore réinventer les personnages du Ring, il faut les aimer tout en restant très critique à leur égard. Nous avons travaillé à partir des notes de Wagner sur l’évolution de ses personnages, de leurs parcours et de ses pensées révolutionnaires. Cela aide à reconsidérer le Crépuscule des Dieux hors du pessimisme coutumier : est-ce un monde meilleur qui s’ouvre ? Une catastrophe majeure qui se termine ? Wagner ne tranche pas, nous ne le ferons pas non plus. Je préfère le ramener près de l’univers d’un Rimbaud ou d’un Baudelaire qui écrivent à la même époque. Ces connexions m’intéressent énormément, notamment dans ces moments qui semblent en apesanteur. À l’opéra, ils sont trop rares. i
FESTIVAL DE MUSIQUE de BESANÇON FRANCHE-COMTÉ, du 13 au 28 septembre à Besançon ; Marc Coppey, en concert le 14 septembre à la salle du Parlement. www.festival-besancon.com
Ticket to ride pAR Emmanuel Abela
PHOTO Adrien Hippolyte
À l’occasion du 66e Festival de musique de Besançon Franche-Comté, en marge des grands concerts symphoniques, les cordes sont à l’honneur, aussi bien en quatuor qu’en solo. Le violoncelliste Marc Coppey y interprète trois suites de Bach ainsi qu’une pièce du compositeur Bruno Mantovani créée en 2012.
Depuis ses débuts f lamboyants, en remportant à 18 ans les deux plus hautes récompenses du concours Bach de Leipzig – ce qui lui vaut d’être remarqué par l’immense Yehudi Menuhin, lequel le sollicite pour interpréter avec lui le Trio de Tchaïkovski –, Marc Coppey n’hésite pas à brouiller les pistes. Que ce soit avec Maria João Pires, Peter Laul ou Michel Portal, entre autres illustres instrumentistes, il explore en passionné de musique de chambre un répertoire éclectique, dans lequel Jean-Sebastien Bach ou Johannes Brahms côtoient les œuvres concertantes d’Henri Dutilleux. Il n’hésite pas non
plus à interpréter en première audition des pièces contemporaines qui ont été spécialement composées pour lui par Marc Monnet, Eric Tanguy ou Jacques Lenot. Sur son violoncelle Matteo Goffriller (Venise 1711), il fascine par son élégance et cette capacité à s’élever de manière quasi explosive – robuste et légère à la fois –, magnant le geste dans une délicate chorégraphie. Un concert de Marc Coppey s’écoute à peu près autant qu’il se regarde ; en cela, la forme des Suites pour Violoncelle n°1, 3 et 5 de Bach inspirée par des suites de danse, danses lentes et pièces égayées, lui suggère une approche généralement
expressive, qui alterne les instants de profonde retenue et de lyrisme. L’occasion pour lui d’exprimer toute sa maestria. Et comme le bougre n’en est pas à une pirouette près, il s’attaque volontiers le même soir au One-way pour violoncelle seul du compositeur contemporain Bruno Mantovani, une courte pièce d’un quart d’heure tout en contraste créée par Marc Coppey aux Dominicains de Guebwiller en mai 2012, à l’occasion du festival Les Musicales de Colmar. Alternant les passages mélodieux et rageurs, le violoncelliste met à contribution toute sa virtuosité technique au service d ’une œuvre qui ravive la dimension “chantante” de son instrument : une manière pour lui de travailler directement avec vigueur, mais aussi délicatesse, la matière elle-même comme si la relation exclusive qui le lie à son violoncelle le ramenait aux origines du son et de la musique. Il est peut-être l’un des seuls à pouvoir faire ainsi le grand écart du mélodique et du sonore, à concilier Bach et une création contemporaine, sans que la collision ne s’opère, avec beaucoup de naturel, et toujours en point de mire la musique, rien que la musique. i
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NEIL YOUNG & CRAZY HORSE, en concert le 11 juillet à la Rockhal, à Luxembourg. www.rockhal.lu
Neil Young, à l’époque de Buffalo Springfield, pris en photo à Boston par Linda Eastman, future McCartney.
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Une conviction dans son approche qu’elle soit acoustique ou électrique et une voix demeurée intacte font des rendez-vous avec Neil Young, le Loner finalement pas si solitaire puisque accompagné du Crazy Horse, un instant de confrontation aussi bien à l’histoire qu’à l’actualité de la pop éternelle.
La théorie du terrier pAR emmanuel abela
Neil Young fait sans doute partie des personnages les plus insaisissables de l’histoire de la pop ; bien sûr, on en connaît quelques uns qui ont cherché à brouiller les pistes, avec plus ou moins de bonheur, et d’autres qui ont cultivé leur singularité – le parcours de David Bowie est symptomatique dans les deux cas ; on en connaît d’autres, parmi les artistes de sa génération, qui ont pu sombrer dans le dépit, mais lui rien de tout cela : il n’avait vocation ni à se situer en marge, ni même en pionnier, et il a conservé cette volonté de pousser sans cesse plus loin les limites du rock, son rock, loin de tout intellectualisme, avec une ferveur déconcertante. Il a cherché à lui restituer sa part d’animalité, quelque chose de l’ordre de la sensation primitive, aussi bien dans ses plus belles ballades folk que dans ses exercices hautement électrifiés. « Si tu veux chercher le lapin, s’amuse-t-il parfois, il faut le chercher dans le trou ! ». Au-delà de la trivialité du propos et du double sens facétieux en rapport avec Lewis Carroll, sa conviction est clairement exprimée. Elle intime l’artiste – tout autant que l’auditeur –, à retourner à l’essence même de soi, de sa propre primitivité, pour appréhender le vaste champ de la créativité.
Ce qui peut surprendre chez Neil Young, c’est l’immense diversité de ses tentatives. On le cite rarement parmi les artistes caméléons – peut-être parce qu’il n’y a pas volonté chez lui de changer pour s’adapter –, mais entre surf, folk, country, soul, rock et expérimentations électroniques, il a emprunté bien des voies, d’où la dimension pionnière qu’on lui attribue notamment dans son incroyable faculté à mélanger les genres, sans chercher la fusion. Je reste aujourd’hui tout à fait sidéré à l’écoute de The Old Laughing Lady sur son premier album solo, entre autres chefs d’œuvre nombreux : le passage de la ballade subtilement orchestrée à la rythmique presque hip-hop qui marque l’instant soul central – lequel est annoncé précédemment à la batterie – prouve la maestria d’un artiste en capacité de tout faire et d’un arrangeur qui n’a rien à envier aux maîtres du genre, les Phil Spector, Brian Wilson et autre Lee Hazlewood. Il en va de même pour chacune de ses tentatives dès ses débuts avec The Squires, Buffalo Springfield, puis avec le Crazy Horse et même au sein de Crosby, Stills, Nash and Young. À chaque étape, à chaque contribution, il creuse un peu plus loin son terrier, atteignant des sommets – ou se rapprochant du fond de sa quête, c’est selon ! – en donnant cependant le sentiment que ça n’est pas tout, et qu’une fois posés les éléments, il est déjà en partance plus loin. D’où certains malentendus parfois sur une carrière qui rétrospectivement semble cependant d’une extrême cohérence : à ce titre, l’immense reconnaissance de l’album
Harvest en 1972 ne pouvait que susciter dans la foulée frustration et mécompréhension de la part d’un public qui avait catalogué ce qui ne constituait qu’un instant parmi d’autres. L’histoire donne raison à Neil Young, notamment quand il entame son ascension électrique au milieu des années 70 vers une forme d’abstraction sonore, qui ne devait rien ni au heavy metal dominant, ni encore moins au punk, si ce n’est son énergie primitive – l’influence de Devo est attestée pour Hey Hey, My My, comme un retour au surf d’origine –, mais qui annonçait aussi bien Sonic Youth que Pearl Jam la décennie suivante. Rarement, n’avait-on vu un artiste explorer sa face la plus sombre, sans verser dans le gimmick et surtout sans perdre en créativité ; la disparition de Danny Whitten, le guitariste du Crazy Horse, le grave handicap de son fils et l’addiction à la cocaïne sont avancés comme les arguments d’une forte dépression qui le conduit vers d’autres voies esthétiques, notamment avec le magnifique Tonight’s The Night en 1975, mais la tentation était là depuis le départ – Cowgirl in the Sand en 1969 n’a rien à envier à l’électricité de Rust Never Sleeps. Tout juste creuse-t-il plus profond encore, à la recherche du fameux lapin, de manière en apparence plus ordonnée, avec la force d’une rage décuplée. Ceux qui voient Neil Young aujourd’hui sur scène sont surpris par cette force inaltérée et cette conviction demeurée intacte, tout comme sa voix. Celle-ci fait le lien entre les périodes. Dans toute sa pureté, elle nous rappelle la stature de l’artiste qui se présente sur scène pour des shows avoisinants les 2h30 ou les 3h, avec alternance de ballades acoustiques et longs développements improvisés. Naturellement, le spectateur n’échappe pas à ce moment de choc qui le confronte à l’histoire en direct, mais qu’importe les dates, 1968, 1972, 1978, 1995 ou 2013, Neil Young est là, et bien là. Comme le rock’n’roll, il est décidé à rester. i
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L’épopée des musiques africaines, Florent Mazolleni, Hors Collection
Think Africa pAR Xavier Hug
PHOTO Eléonore guillon
Florent Mazzoleni a écrit pendant des années sur la musique populaire, mais il est surtout connu pour l’immense travail qu’il mène sur les musiques africaines, lesquelles sont fondatrices de l’émancipation des peuples. Ce mélomane, collectionneur et défricheur inlassable était invité par le Afro Spicy Crew pour une party et pour la réouverture de l’auditorium de la bibliothèque de Mulhouse à l’occasion de la publication de sa somme, L’épopée de la musique africaine.
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Peux-tu revenir sur l’émergence et la formation d’une musique populaire africaine où le terme d’ « authenticité culturelle » joue un rôle majeur ? Au cours des années 1930-1950, les goumbé, ou bals poussières, n’avaient pas droit de cité aux oreilles des autorités coloniales et les musiques dites traditionnelles étaient formellement interdites au sein de l’espace francophone. Avant 1945, au moment de la naissance de la musique moderne au Congo, toutes les musiques jouées à Léopoldville, du sanza au likembé, n’étaient pas plus tolérées par la société belge. Avec la démocratisation des instruments conjuguée à celle des moyens de reproduction et de diffusion, l’époque des premiers 78 tours et de la radio à ondes courtes, cette musique a été davantage diffusée à travers toutes les couches sociales. Au moment des indépendances, sous l’impulsion du président guinéen Sékou Touré, elle touche un public africain, urbain et éduqué. Ce ne sont plus des musiques de domestiques ou confinées au silence. C’est là le mouvement déclencheur qui forge la musique africaine moderne dans le sens de « l’authenticité culturelle » chère à Sékou Touré qui, en bon communiquant, avait compris très tôt l’intérêt de parler le langage de son temps pour y coller au plus près. Il faut bien voir que ce mouvement englobait tous les aspects culturels : cinéma, radio, télévision. La régie étatique Syliphone était une idée révolutionnaire fondée sur la mise en avant nationaliste de la Guinée. Sékou Touré aimait à répéter que son pays n’avait pas de fusils, mais une culture, idée qui a influencé beaucoup d’autres pays continentaux. Les sept grands orchestres nationaux, aux noms engagés comme le Bembeya Jazz ou l’Horoya Band, jouaient alors dans toute l’Afrique, voire le monde entier, comme vecteur propagandiste. Lorsque le Syli Orchestre de Guinée, qui rassemble les meilleurs musiciens, joue au premier Festival Panafricain d’Alger en 1969, les archives montrent à l’envi la force déployée en l’honneur d’une Guinée à l’image positive. Les musiciens, habillés en costume comme les jazzmen, se réapproprient les thèmes du passé, parfois très politiques, tout en utilisant les codes occidentaux.
Au-delà de la Guinée, il est cet épisode cocasse où le général De Gaulle a utilisé la radio de ce qui était alors le Congo français pour mobiliser et informer les forces de la France libre. Les ondes courtes ont pu, une fois la guerre achevée, servir aux populations autochtones. Effectivement, c’est par la radio que les places de villages d’alors s’animaient et c’est ce média qui a assuré la diffusion d’une musique vernaculaire propre au continent. Au temps de la guerre déjà, de la musique était diffusée, essentiellement de la variété française et de la musique afro-cubaine. Autrefois, les épopées étaient transmises oralement par les griots, détenteurs du verbe et de la parole, alors que la radio a installé de suite une sorte de révolution pop. Très vite, des musiciens se sont accaparés les musiques afro-cubaines pour les retranscrire. Ce mouvement a d’abord touché les cotes atlantiques avant de se diffuser plus lentement dans les terres. Dans les années 1950, un marchand d’appareils électroménager, Froument, a lancé à Dakar la Radio Africaine qui était un minuscule studio aménagé dans son arrière boutique où furent enregistrés ensembles coloniaux, les premiers salseros comme le gambien Laba Sosseh. Il se passait alors la même chose aux États-Unis. Fats Domino ou Little Richard ont commencé au studio J&M à La Nouvelle-Orléans, cachés à l’arrière d’une épicerie dans un contexte où cette musique n’était pas médiatisée, jouée de préférence par et pour les domestiques. Toutes ces musiques africaines sont encore nimbées d’une grande part de mystère. Les succès mondiaux de Fela Kuti et de la rumba ne masquent-ils pas toute cette richesse ? C’est l’image de l’iceberg où ce qui est intéressant, au-delà de la partie immergée, c’est d’aller voir ce qui se passe au fond. Bien sûr, Fela reste merveilleux, un formidable poing levé où chaque album est un journal de ce qui se passait alors au Nigeria. Chaque pays de l’Afrique avait son Fela mais tous n’ont pas eu le soutien d’une grosse compagnie de disque, EMI, ni la chance d’appartenir à la vieille noblesse, pour connaître ce succès. Contrairement à l’immense Franco par exemple, un gamin des rues dont la mère vendait des beignets sur le marché, Fela avait un excellent vernis social : éducation soignée, études
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Sékou Touré aimait à répéter que son pays n’avait pas de fusils, mais une culture supérieures à Londres, où il fréquente d’autres musiciens africains comme le ghanéen Ebo Taylor ou l’éthiopien Mulatu Astatke, qui sont également devenus connus. Il s’agit de remettre en place les morceaux d’un vaste puzzle et redécouvrir ceux qui n’ont pas pu accéder à la célébrité. Mon travail est donc une tâche passionnante. Passionnante et colossale quand on estime à plusieurs milliers les bandes inédites aujourd’hui peu accessibles. Graeme Counsel a numérisé près de 6 000 morceaux en Guinée, tandis que Syliphone a publié environ 800 morceaux. Ce genre de trésors extraordinaires existe dans de nombreux pays francophones et anglophones. Malheureusement, pour avoir récemment visité un de ces locaux à Bobo-Dioulasso, j’ai trouvé une pièce de 20 m2 remplie du sol au plafond de bandes mélangées qui nécessiteraient un travail titanesque de catalogage pour commencer. On pourrait ainsi découvrir des musiques inédites qui n’existent plus aujourd’hui. Toutes ces bandes ont pu être enregistrées,
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souvent dans d’excellentes conditions grâce au travail professionnel d’ingénieurs compétents formés par l’ORTF qui donnait également du très bon matériel. Pour moi, un des génies de la musique africaine n’est pas artiste mais ingénieur du son. Boubacar Traoré, qui a enregistré tous les orchestres maliens entre 1968 et le début des années 1980 et grâce à son professionnalisme, est un des personnages clés dans le façonnage de la musique malienne à une époque où les prises de son n’était pas facilitées par l’informatique. C’est ce qui a permis à la musique africaine d’avoir ce côté généreux, chaleureux, authentique, qui fait passer des émotions qui soient débarrassées de contraintes commerciales, et de se souvenir peu à peu des anciennes épopées. Lorsque Sékou Touré demande au Bembeya Jazz d’enregistrer Regard sur le passé, épopée mandingue, ce titre fait le tour de l’Afrique pour redonner une fierté à tout un peuple. Je reviens sur Sékou Touré pour bien insister sur cet aspect éclairé qu’il avait d’un panafricanisme renouvelé qui passerait par les arts et la culture. Lui-même était influencé par le Ghana, premier pays à accéder à l’indépendance en 1957 un an
avant la Guinée, d’où venait le high-life dont les cuivres détournaient l’interprétation des marches militaires et des valses pour donner une sorte de jazz qui était la porte d’entrée à une élévation sociale et une revendication nationaliste. À mon sens, le Ghana, le Congo et la Guinée ont été les trois pays décisifs pour la musique africaine moderne. Et tout de suite après l’Ethiopie, mais c’est un pays particulier qui ne se considère pas comme africain, aussi étrange que cela puisse paraître… A l’époque, on ressentait dans les grands blues éthiopien, appelés tezeta, les influences arabes. Très vite cependant, cette musique devient, avec l’usage de la langue amharique, une musique hors du temps, à l’image des hauts plateaux du pays, une musique assez hermétique en somme, contrairement à ce qui se passait ailleurs sur le continent où tout le monde s’écoutait et s’influençait réciproquement. Avant Internet, toute cette musique circulait déjà, animée par des artistes libres… mais libres de se faire avoir également puisque bon nombre d’entre eux sont tombés dans l’oubli suite à des contrats iniques avec les maisons de disque. Est-ce qu’aujourd’hui les populations du continent se désintéressent de cet héritage, alors qu’on vient de voir quel rôle moteur ces musiques ont joué dans l’émancipation africaine ? Mes écrits sont des livres d’histoire et j’ai l’impression de mener un travail patrimonial. A chaque fois que je fais des conférences en Afrique, on commence par me dire que j’écoute des vieilleries qui n’intéressent plus personne, mais dès que je fais écouter des extraits, on se remémore le bon vieux temps. Ce n’est donc pas que ça ne les intéresse pas, mais en Afrique il y a d’autres contingences, d’autres priorités que de conserver la musique. Il n’y a pas cette nostalgie sur des musiques perdues qui est le fait d’un luxe occidental finalement. En dehors du Ghana, de l’Ethiopie, de la Guinée et de la Tanzanie, il n’y a pas de travail d’archivage. Il faudrait des Ministres de la Culture lucides mais quand on sait que le budget annuel de celui du Togo est de 40 000 €, moins que l’Institut Français du pays ! Déjà du temps où j’écrivais sur le rock, ce qui m’a toujours le plus intéressé, c’est de révéler ce qui se situe à la marge, comme en littérature ou en cinéma, tout en menant un travail auquel j’attribue une vocation patrimoniale. i
FESTIVAL MÉTÉO, du 27 au 31 août à Mulhouse et à Bâle www.festival-meteo.fr
Belle éclaircie pAR Emmanuel Abela
Pour sa 30e édition, le festival Météo, anciennement Jazz à Mulhouse, offre un nouvel éclairage sur les musiques d’aujourd’hui, avec un focus cette année sur la voix et le saxophone.
Cela fait 30 ans que Météo s’attache à libérer les genres musicaux, les métisser pour s’approcher d’une forme nouvelle, immédiate et sensorielle. Jazz, rock, électro, musiques expérimentales et contemporaine, tous ont ici leur place, surtout s’ils se croisent. Le festival, sans doute le plus dense de la région, invite chaque année une centaine de musiciens. Laissant comme toujours la place à la jeune garde et aux écritures contemporaines, le festival se concentre cette année sur le premier des instruments, la voix – et qui mieux que Phil Minton, performer vocal tout à fait incroyable pour éprouver toutes ses possibilités, du murmure au cri ? –, et sur l’instrument l’un des plus identifiés au jazz, le saxophone. En ce qui concerne les saxophonistes, les grandes figures seront au rendez-vous, avec Sylvain Kassap, John Butcher et Mats Gustafsson, tout comme la nouvelle vague des musiciens. Ensemble, ils composent un programme Météo qui s’annonce une nouvelle fois particulièrement sonique, avec en point d’orgue la rencontre du rappeur Mike Ladd et Antoine Berjeaut, qui aboutit à un sommet entre noirceur et mélancolie. i
Phil Minton → 27 août au Théâtre de la Sinne, à Mulhouse
Blurt → 29 août à 21:00 au Noumatrouff, à Mulhouse
Il n’a sans doute pas d’équivalent en ce qui concerne la pratique de la voix dans le domaine du jazz. L’organe de Phil Minton lui permet de produire un matériau brut, dissonant, qu’il triture à l’envi de manière facétieuse, passant des graves aux aigus avec beaucoup d’aisance.
Depuis plus de 35 ans, Ted Milton de Blurt se partage entre chant et souffle décapant, pour un propos art-punk intact. Les concerts de ce jusqu’au-boutiste se vivent comme une expérience unique, forcément mémorable.
Antoine Berjeaut “Waste Land” feat. Mike Ladd → 27 août au Théâtre de la Sinne, à Mulhouse Quand le rappeur Mike Ladd, qui a ré-impulsé avec Saul Williams la pratique du spoken word, croise le souffle du trompettiste Antoine Berjeaut, avec un certain Julien Lourau au saxophone, le jazz nous ouvre vers des expériences sensorielles inouïes.
East-West Trio + Sylvain Kassap → 30 août à Sud, à Bâle Le saxophoniste et clarinettiste Sylvain Kassap, qui a croisé le chemin de Michel Portal et John Surman n’a eu de cesse que d’ouvrir une voix singulière pour le jazz en direction de la musique contemporaine, mais aussi des musiques traditionnelles, d’Europe centrale notamment.
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ALTARS OF MADNESS, exposition jusqu’au 15 septembre au Casino Luxembourg www.casino-luxembourg.lu LES EUROCKÉENNES DE BELFORT, du 4 au 7 juillet à la Presqu’île de Malsaucy www.eurockéennes.fr
Expendable Youth 58
Depuis plus de quatre décennies, la culture metal tend à l’expansion, avec ses codes et ses usages, comme en témoigne l’exposition Altars of Madness au Casino Luxembourg. Kevin Muhlen, le commissaire, et Claude Lévêque situent pour nous les relations entre art et metal. Les Australiens d’Airbourne, eux, reviennent aux fondamentaux : bière, hurlement et électricité.
On connait Kevin Mulhen comme directeur artistique du Casino où il insuffle depuis 2009 du dynamisme à un milieu parfois trop figé, trop statique. Avec Altars of Madness, il dévoile une autre facette de sa personnalité, tournée vers l’extreme metal, en laissant carte blanche aux deux commisssaires, Damien Deroubaix et Jérôme Lefevre En tant que directeur artistique du Casino et guitariste dans des groupes d’extreme metal, avaistu déjà songé à une exposition qui unirait ces deux thématiques ? Pas du tout ! J’avais tendance à séparer ce que je faisais, d’un côté, musicalement et, d’un autre côté, dans le milieu de l’art contemporain. Du coup, je n’ai pas forcément cherché à rejoindre les deux, même s’il y avait parfois des choses souterraines qui se passaient. J’étais, par exemple, intéressé par le travail de Damien Deroubaix parce que c’est un univers qui
m’est familier mais il est vrai que je n’avais jamais creusé davantage ni cherché des artistes qui évoluaient dans ce domaine-là. Quand Damien et Jérôme m’ont parlé de ce projet, j’ai sauté sur l’occasion pour partager quelque chose qu’habituellement je ne laisse pas spontanément transparaitre. C’est un univers marginal duquel découlent beaucoup de clichés. Il y avait une intention, un message quelconque dans le propos pour contrarier les idées reçues ? On n’est pas là pour casser tous les clichés ni pour faire un travail de persuasion mais c’est intéressant de montrer que derrière cette musique qui est perçue par beaucoup comme du bruit, comme agressive, difficile à écouter voire insupportable pour certains, il y a quand même des réflexions, un univers, des idéologies. Il y a quelque chose qui se passe, et pas seulement musicalement. Les idées sont aussi transposées visuellement. On voulait faire découvrir le milieu via un autre médium, via le médium plastique. Les commissaires invités avaient carte blanche. Quel regard portes-tu sur leur projet ? On était sur la même long ueur d’ondes. J’ai vite vu que les œuvres et les artistes qu’ils proposaient constituaient un ensemble pertinent, quelque chose de profond, et pas juste des références simplistes au metal ou à quelque chose de choquant. Il n’y a pas ce côté gratuitement provocateur. C’est réfléchi, les choix sont justes au point que les liens ne se font pas toujours directement, il y a des liens subtils aussi dans les choix et ça c’est vraiment une belle approche. Il ne s’agit pas juste de prendre les choses de manière frontale mais de créer des thématiques qu’on retrouve aussi dans la musique. On a échangé sur ce qui fonctionne ou non dans les lieux. C’est
sur ce point que j’ai pu les conseiller, je sais comment les visiteurs se comportent dans l’espace, comment ils tracent leurs parcours dans les expositions. C’est là que j’ai pu travailler avec eux de manière rapprochée. La pièce de Damien sur le grand mur vue de l’entrée était importante car elle synthétise très bien l’esprit de l’exposition. À l’étage les quatre salles, peintes en gris, racontent une histoire. On y a travaillé sur le lien. Oui, il y une narration mais aussi une dimension presque historique avec la présence de Theodor Kittelsen... J’ai trouvé intéressant de tisser un lien, de tirer un trait, de montrer qu’il y a une tradition de cette esthétique même si Kittelsen est loin du black metal. Mais il montre justement qu’il y a un côté romantique dans tout ça. Ce ne sont pas juste des croix inversées et des gens maquillés à outrance. Ce sont des artistes qui ont grandi face à des paysages romantiques. Il y a tout un héritage dans la tradition picturale norvégienne. On aurait pu faire les mêmes liens avec le death metal et les memento mori ou les vanités mais on ne voulait pas tomber dans le didactique non plus. Avec cette dimension historique, on n’a un peu cassé les habitudes. La confrontation entre l’art classique et le contemporain est intéressante. Souviens-toi, à la dernière biennale de Venise, il y avait des peintures de Tintoret. C’est une manière de casser le nombrilisme de l’art contemporain et ça n’est pas plus mal des fois ! Est-ce que le public se retrouve dans ce décalage ? Pour l’instant, les retours sont très positifs. Au vernissage, les gens étaient enthousiastes, y compris ceux qui sont étrangers au monde du metal. Donc, c’est déjà un pari réussi quand t’arrives à intéresser les gens à une thématique qui ne leur est pas familière. Et puis, beaucoup étaient heureux de voir de la peinture. Il y en a très rarement au Casino. Je n’y suis pas fermé mais il faut le bon contexte et le bon choix et là c’était le cas. À l’inverse, j’ai vu des gens que je n’avais jamais vus auparavant, qui pensaient que l’art contemporain, ce n’était pas pour eux mais ces références qui leur sont familières leur ont donné une certaine confiance et ont cassé cette barrière, cette distance. i pAR Vanessa Schmitz-Grucker PHOTO Kevin Mulhen pAR Marc Wilwert Luxemburger Wort
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Au tour des franges les plus radicales du metal de s’inviter dans la danse. L’exposition Altars of Madness dresse un portrait bigarré de toute une scène aux expérimentations audacieuses…
AUTELS DÉMENTIELS
Torbjørn Rødland, Fenriz n°2, 2001 Courtesy of Air de Paris, Paris and Nils Stæek, Copenhagen
pAR Xavier Hug
Dans la théorie de la communication, le bruit est perçu comme l’élément qui brouille la réussite de l’entente entre émetteur et récepteur. Déplacée à la musique, cette théorie exclurait d’emblée toutes les musiques dites de métal extrême qui connaissent aujourd’hui l’adoubement institutionnel. Nous nous trouvons donc face à une contradiction : comment des musiques qui prennent le bruit comme fondement peuvent transmettre des informations ? C’est précisément ce que se sont attachés à montrer les commissaires de l’exposition Altars of Madness en mettant l’accent sur la politique comme position centrale de la plupart des musiciens originels de ces mouvements et, partant de celle des plasticiens qui s’emparent aujourd’hui des mêmes thèmes générateurs.
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En détournant la traditionnelle bouteille de lait déposée quotidiennement sur les paliers anglais en simili cocktail Molotov, Nik Bullen distille l’idée que la servitude volontaire des masses reste fragile et que le colosse coercitif repose sur des pieds d’argile. Gee Vaucher, affiliée à Crass, mythique groupe anarcho-punk de 1977-84, présente quant à elle une série de collages qui renvoient à l’absurdité d’un monde basé sur une morale bourgeoise hypocrite, néocolonialiste et misogyne. Ailleurs, le gauchisme du grindcore est délaissé au profit du death metal, traité ici comme réactualisation du memento mori classique. Si la mort fascine et effraye tout à la fois c’est bien par son caractère inéluctable ; toutes les vanités du monde ne sauraient y remédier. Le death metal irrigue par exemple les travaux de
Maël Nozahic qui traitent de l’insoutenable vérité – le thème de la vivisection est régulièrement abordé – comme du voyeurisme et de la violence sourde qui se campent au plus profond de chacun de nous. Enfin, les paysages folkloriques de Theodor Kittelsen trouvent une résonance sans fard dans les clichés naturalistes de Torbjørn Rødland qui évoquent une Norvège éternelle, païenne et libre. Mais cet aspect n’est que l’arbre qui cache la forêt du black metal, formidable machine à penser sur tout ce que la civilisation occidentale a perdu suite à la christianisation forcée à l’ultra libéralisme. i
Claude Lévêque et les élèves de l’école Pierre Budin Seasons in the abyss, 2012 Installation in situ, appartement de fonction, école Pierre Budin, Paris Conception sonore en collaboration avec Gerome Nox Photo : Fabrice Seixas © ADAGP Claude Lévêque. Courtesy the artist and Kamel Mennour, Paris
Scratch the surface pAR Vanessa Schmitz-Grucker
Claude Lévêque, figure majeure de l’art contemporain, nous relate la relation intime qui le lie au metal. Le Forum d’art contemporain met le metal à l’honneur dans sa dernière exposition Altars of Madness. C’est un univers qui ne t’est pas étranger... Le metal fait partie des musiques que j’écoute, à cause de l’énergie instantanée qu’il dégage mais aussi de la posture. J’écoute donc du metal, et ce qui en dérive. Ceci dit, je suis très ouvert, j’écoute beaucoup de musique classique et de freejazz, le blues n’en parlons pas, c’est le départ de tout, mais le punk est un mouvement qui a marqué mon univers parce que je suis un artiste de cette génération-là, de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Les Dead Kennedys et les Ramones sont des groupes mythiques mais il y a aussi toute la new wave comme Pere Ubu, PIL, Fad Gadget, Einstürzende Neubauten, c’est de la musique majeure pour moi. Après, si on
pousse plus loin dans le metal, il n’y a pas grand chose que j’aime sauf Slayer qui est un groupe vraiment important pour moi. Sur la scène new-yorkaise d’aujourd’hui, il y a Sick of It All, Hybrid et Agnostic Front. Et Napalm Death bien sûr, Napalm Death, référence clef dans la posture et dans les textes ! Dans quelle mesure l’univers du metal interagit avec ta pratique artistique ? Il n’y a pas qu’au monde du metal que j’emprunte. Les titres chapeautent un peu mes projets, ils viennent donc comme ça mais ils peuvent aussi venir du cinéma, d’un lieu commun du langage courant ou d’un titre de chanson, pas forcément du metal mais c’est vrai que j’emprunte beaucoup à Slayer. L’exposition Seasons in the Abyss
[5 e album de Slayer, ndlr] évoque l’enchevêtrement d’objets, la perte de repères, la notion d’abîme dans la succession des pièces de l’appartement. Mais les liens sont plus indirects, moins importants que chez Damien Deroubaix par exemple, qui fait un travail plus en phase, formellement, que moi, et dont l’univers est vraiment directement lié au metal. i
Playlist Slayer, Seasons in the Abyss Napalm Death, Human Garbage Dead Kennedys, Too Drunk To Fuck Pere Ubu, Final Solution Ramones, Blitzkrieg Pop PIL, Flowers of Romance Fad Gadget, Insecticide Einstürzende Neubauten, Schwarz Sick of It All, Scratch the Surface Hybrid, Growing Misanthropy
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Let there be rock Le metal a pris bien des détours depuis les années 70, mais les Australiens d’Airbourne reviennent à la source. À découvrir lors de leur prochaine venue aux Eurockéennes.
On n’aura beau chercher à contourner l’évidence, mais les faits sont là : les quatre d’Airbourne sont australiens, ils composent des brûlots hard en retournant à l’essence même du blues et du boogie. L’allusion à AC/DC s’impose d’elle-même et personne ne se prive de leur asséner comme une litanie. Eux-mêmes ne cherchent plus à nier ; quand on les interroge, tout au plus, font-ils mine de ne pas bien comprendre là où on pourrait les entrainer. Airbourne cultive cependant un paradoxe : les amateurs de metal pourraient ne voir en eux qu’une sorte de monstre préhistorique revitalisé de manière artificielle comme s’il sortait tout droit de Jurassic Park, une sorte de “back to basics” qui nierait l’évolution même du genre metal, les autres pourraient eux aussi se poser la question de cette énième groupe de hard, caricatural jusqu’à l’extrême. Et pourtant la magie opère comme aux plus belles heures de leurs brillants compatriotes, en 1978 ! La raison de ce succès qui fédère aussi bien
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pAR Emmanuel Abela
les amateurs de metal que les autres ? Airbourne fait du rock, et si le groupe ne nous épargne pas quelques gimmicks – l’ascension des pylônes métalliques sur le côté de la scène, avec solo de guitare à une main en tirant la langue –, il évolue cependant dans la plus pure tradition du genre, avec un savoir-faire sans égal, écartant au passage tous les laborantins et exégètes aux cheveux gras. L’effet est saisissant, notamment quand il atteint le point de non-retour sonore. Les frères O’Keeffe n’ont pas connu la déflagration sonique de groupes comme Led Zeppelin ou Deep Purple première époque, ni même celle de leurs grands cousins d’AC/DC, mais sans doute s’en rapprochent-ils vraiment. Ce qui les caractérise, c’est un charme naturel presque désarmant : on a affaire à des mômes qui, loin de se prendre la tête, partent d’un fou rire quand ils avouent jeter leur « number 2 » [expression anglaise désignant la merde, ndlr] sur les voitures qui ont le malheur de s’approcher de leur
tour bus sur l’autoroute, ou de se fracasser le crâne sur scène avec des canettes de bière métalliques – au point de se choper une migraine tenace des semaines durant –, avant d’avouer comme s’ils cherchaient à se justifier, que tout cela n’est pas très sérieux, que ça n’est que du rock finalement. i
Sélection hard et metal aux Eurockéennes Airbourne, Australie, le 5 juillet, Grande scène, 18h50 Graveyard, Suède, le 7 juillet, La Plage, 16h45 Kvelertak, Norvège, le 7 juillet, Club Loggia, 17h45 Mass Hysteria, France, le 7 juillet, La Plage, 18h45 Neurosis, USA, le 7 juillet, La Plage, 23h30
KILOMÈTREs / HEURE : UTOPIES AUTOMOBILES ET FERROVIAIRES (1913-2013), exposition jusqu’au 14 octobre à la Tour 46 de Belfort et au Musée du château des ducs de Wurtemberg à Montbéliard. www.ville-belfort.fr + www.montbeliard.fr
Echappées belles pAR Mickaël Roy
À la faveur d’une nouvelle exposition commune, les Musées de Belfort et de Montbéliard s’associent pour interroger un siècle de création artistique motivée par l’omniprésence du train et de l’automobile dans un monde synonyme de vitesse.
1913-2013. Entre longues distances et nouveau départ, c’est à une plongée – bien plus qu’à une leçon – dans une histoire croisée de l’industrie et de l’art moderne et contemporain qu’invitent les musées de Belfort et de Montbéliard. Mais prévenons d’emblée le visiteur qui penserait venir assister à un hommage rendu aux épopées industrielles régionales d’Alstom et de Peugeot : l’exposition pensée par Aurélie Voltz et Nicolas Surlapierre prend précisément le contrepied d’une lecture locale en emmenant la réflexion du côté de la rencontre bien plus universelle, passionnante et passionnée, du geste artistique et du geste mécanique, entre le rêve de la belle forme et l’utopie (réalisée) de la fonctionnalité. Entre deux mondes donc, celui de l’imagination et de la rationalité, l’exposition Kilomètres/heure installe un espace de dialogue où l’évolution de l’art adopte et concurrence le rythme des révolutions techniques. Par un parcours chronologique qui sait laisser place si nécessaire aux errances de la pensée, la scénographie prend des allures tantôt de plateau de cinéma ou d’atelier de photographe, tantôt de cabinet d’un créateur de génie ou de garage de mécanicien, au profit d’un scénario où les acteurs – tels Marcel Duchamp, Fernand Léger, Man Ray, Sonia Delaunay, Arman, Jean Tinguely, Bernard Plossu ou Robert Cahen –, les décors et les péripéties participent d’une même intrigue : celle du record, de la vitesse, du dépassement et de la performance. On ne sera pas surpris alors de voir défiler, décennie après dé-
cennie, un florilège d’attitudes artistiques contradictoires variant de l’observation à la déconstruction, de la concurrence à l’enthousiasme, de l’espoir à l’utopie inachevée et critiquée. Et d’assister au fil du parcours, à la mue de la défiance présupposée entre les deux univers de la technique et de l’émotion en une empathie respective, quoique distancée, du règne industriel pour celui de l’art et vice versa. Le Cheval du sculpteur Raymond Duchamp-Villon qui ouvre l’exposition à Belfort en est à ce titre symptoma-
tique : figure de locomotion, elle est un instantané du développement d’un mouvement continu dans l’espace qui intègre la force de la vitesse ferroviaire à celle de la course de l’animal. Fascination. Tandis que la vidéo de David Maljkovic présentée à Montbéliard, vient rappeler que l’homme peut être la proie de toute invention moderniste soumise à sa propre obsolescence. Lassitude. Entre ces deux extrêmes, l’exposition tisse des liens inextricables à la faveur d’une esthétique des limites repoussées pour donner à voir le panorama d’une accélération aussi culturelle que technique : à voir à toute vitesse ! i
Ivan Seal, Prototype to get out n° 25, 2012, huile sur toile © Galerie Raeber von Stenglin, Zürich - Galerie Carl Freedman, Londres
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SUSAN VÉRITÉ Des méthodes, exposition du 13 juin au 29 septembre 2013, au Crac Alsace, à Altkirch www.cracalsace.com
Encyclopédie buissonnière pAR Claire Kueny
Au Crac Alsace, ancien lycée au passé architectural encore fortement présent, Elfi Turpin, commissaire de l’exposition Susan Vérité et les dix artistes exposés nous invitent à partager nos savoirs, sans convention, sans condition.
En rachâchant de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet Fiction - France, 1982 - 07'00" - 35 mm - Noir & blanc
Ce ne sont plus des chaises en bois, mais des hamacs, venus tout droit du Brésil, qui occupent les anciennes salles de classe et invitent à prendre le temps, de réfléchir, de regarder, de s’évader ou simplement de paresser. Finis les tableaux en ardoise, place à des vidéos, des installations, des photos, des livres, photocopiés et recomposés comme ceux de Julia Rometti & Victor Costales ou celui en cours, conçu sans mot à partir de maquettes et de performances de Benjamin Seror. Nous ne sommes plus face à des professeurs érudits, mais nous voici tous maîtres et ignorants à la fois. Susan Vérité, c’est une exposition, une femme, une allégorie peut-être, mais surtout, une communauté, composée par les artistes, mais aussi par vous, nous, réunis. Une communauté qui partage des savoirs, qui les transmet, de manière ludique, politique, poétique, esthétique et artistique. Une communauté qui ne cherche aucunement l’exhaustivité, l’objectivité, l’exactitude scientifique, mais qui fait place à d’autres méthodes, qui ouvre d’autres regards. Quant aux connaissances, elles vont de la botanique à l’Histoire (Sophie Nys), passant par l’anthropologie ou la littérature. Elles se répandent de l’Amérique latine à la Chine et à la Lituanie, de -4000 av. J.-C. à aujourd’hui. Ainsi, Kristina Solomoukha reprend le système des contrats réalisés en Mésopotamie avant l’invention des tablettes, pour présenter ses propres contrats passés avec des éditeurs et des galeries, véhiculant ainsi, à travers des objets précieux, symboliques, poétiques et anachroniques, tout un pan de savoirs. Ces connaissances voyagent, comme les mots, comme les denrées, comme les cultures, ainsi que le présente
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Amilcar Packer, dans sa cartographie qui relate de manière atypique les relations de l’Amérique latine avec d’autres parties du monde. Comme les plantes encore, qu’un spectateur est amené, chaque jour, à (dé) placer dans le Crac selon un protocole établi par Packer et qui constituent un fil vert de l’exposition. C’est avec Marguerite Duras enfin, figure tutélaire qui plane dans les œuvres de David Lamelas et de Jean-Marie Straub & Danièle Huillet, que nous pouvons faire le parcours. Elle qui nous invitait, dans Le monde extérieur à « sortir au-dehors »,
à dépasser les frontières, les limites, que nous (nous) imposons. Nous voici plongés dans un lycée idéal, lieu de transmission des savoirs pour chacun, de l’hétéroclite, d’une pensée en arborescence, de la jeunesse et de la naïveté, des tâtonnements et des rêves, des premiers groupes de rock (Deimantas Narkevicius) et des amitiés fortes, de la découverte et de la création. i
ON ÉTAIT TELLEMENT AILLEURS, exposition du 14 juin au 12 juillet à la Chaufferie à Strasbourg. www.esad-stg.org/chaufferie
IMPRESSION, SOLEIL LEVANT pAR claire kueny
Présentée à la Chaufferie cet été, l’exposition On était tellement ailleurs qui réunit le travail des quatre artistes ayant participé à la résidence croisée entre les villes de Strasbourg et de Stuttgart, livre un recueil d’impressions.
« Puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression », affirmait le journaliste Louis Leroy dans son article de 1874 « l’école des impressionnistes », qui donna son nom au mouvement éponyme. Avec le travail de Solène Bouffard, Claude Hortsmann, Joséphine Kaeppelin et Julia Wenz, il est aussi question d’impressions – mais non liées à la peinture – dans la ville où séjourna Gutenberg. Ces impressions mentales et sensitives passent par des techniques, dessins, œuvres numériques, éditions, photographies, sérigraphies, gravures et autres arts de l’empreinte, donnant à voir la matérialité, le geste, la composition, un processus, etc. Au rez-de-chaussée, chaque artiste occupe un espace qui lui est propre, affirmant sa singularité dans l’unité du groupe, où prennent place des œuvres englobantes, à l’instar de la phrase de Solène Bouffard qui figure sur le mur tout entier : « je ne discerne plus l’espace, la lumière entre [dans l’espace de vide], rythme vertical, saccades photographiques ». De même, Screen de Joséphine Kaeppelin – mise en abyme d’une photographie de son écran d’ordinateur photographiée à répétition, puis imprimée sur bâche – produit un motif esthétique qui devient une sorte de paysage abstrait et fugitif. Julia Wenz, quant à elle propose, un mur de repères bousculés et désorientés, dans lequel le spectateur est amené à se mesurer, à prendre place. L’étage, transformé pour l’occasion en cabinet de dessin, présente des œuvres plus intimes, favorisant les dialogues et confrontations les unes entre les
Claude Horstmann, mur, 2013, C-Print sur papier, éd. 3+1 e.a., 89 x 129 cm
autres. Les mots, les réalités brouillées, les récits partagés, les paysages abstraits, les profondeurs et trous noirs deviennent dans le bout de papier trouvé, agrandi et sérigraphié par Claude Hortsmann, des univers à explorer et des images favorisant l’errance. Ces échanges qui se sont opérés entre les artistes depuis 2011, ces langages communs et singuliers qu’elles partagent, sont amenés à se poursuivre. Chez nous-mêmes d’abord – des affiches réalisées par chacun peuvent être emportées –, car une impres-
sion, c’est encore une trace, un vecteur de transmission, une invitation à poursuivre l’expérience de l’œuvre tellement plus longtemps, tellement ailleurs… i
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Biennale de la photographie de Mulhouse, expositions du 15 juin au 15 septembre, à Mulhouse www.biennale-photo-mulhouse.com (+ d'infos : hors-série n°8 de Novo → www.novomag.fr)
Roxane et Samuel, lors de l'expérience de photo d'aura vision de Dorothée Baumann, Musée des Beaux-arts.
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Le jeu De la vérité pAR Sylvia Dubost
Directrice artistique de l’association L’agrandisseur et de la Biennale de la photographie de Mulhouse, Anne Immelé nous éclaire sur les enjeux de la manifestation. Quels rapports Mulhouse entretientelle avec la photographie ? Mulhouse a en effet une histoire avec la photographie depuis le XIXe siècle, en lien avec son passé industriel, notamment grâce à Adolphe Braun. Il avait développé une entreprise de reproduction de photos : les fleurs servaient de motifs pour les tissus, et les œuvres d’art étaient éditées en cartes postales. Depuis les années 50, la photographie a joué un grand rôle dans l’éducation populaire, notamment avec l’AMC, dirigée par Paul Kanitzer. Et puis la programmation photo de La Filature est reconnue au niveau national. D’autre part, les politiques culturelles de la ville se sont orientées depuis plusieurs décennies vers l’art contemporain, avec l’école supérieure d’art, Mulhouse 00, la Kunsthalle, la commande publique autour du tram. La Biennale s’inscrit donc dans ces deux perspectives.
Comment compose-t-on la première édition d’une Biennale ? Une première édition est un manifeste, il s’agit de poser les grands axes des prochaines éditions : inviter des photographes internationaux ; exposer des photographes émergents, et si possible organiser leur première exposition en France (c’est le cas cette année avec Dorothée Baumann) ; choisir des œuvres qui proposent une réflexion sur la photographie et s’inscrivent dans le champ de l’art contemporain ; défendre une dimension esthétique forte en même temps qu’un regard lucide et critique sur la société et la production d’images ; attirer un public national et international, tout en touchant tous les Mulhousiens. C’est pour cette dernière raison qu’on a invité Michel François, qui va produire des affiches disséminés dans l’espace public : dans le quartier des Coteaux, au Nordfeld, où on va travailler avec les écoles, les collèges, les lycées et les jardins familiaux. Nous voulons aborder des questions artistiques mais que cela touche aussi la ville. Et ce ne serait absolument pas possible sans la synergie entre les lieux qui accueillent la Biennale.
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Pourquoi alors ce thème, Play & Replay, pour cette première édition ? Le choix des œuvres et des artistes se veut une réflexion sur l’usage actuel de la photographie. La thématique permet de poser la question de l’ambivalence photographique, d’interroger la manière dont les artistes s’approprient ce médium. À travers les expositions et projections, nous allons montrer les images d’une nouvelle génération de photographes, influencée par l’esthétique du web mais dont certains revisitent l'histoire de la photo argentique. Le but est de questionner le médium lui-même et le monde dans lequel il s’inscrit, dans une dimension critique mais aussi avec une part ludique. Il y a ainsi une dimension politique forte chez Dorothée Baumann, qui travaille à partir d’une banque d'images scientifiques (les IAPS). Laura Martin pose la question des communautés de São Paulo et des gestes qui font le lien entre elles. À Mulhouse, cette question du vivre ensemble se pose aussi.
Isabelle Le Minh, Les Liseuses, courtesy galerie Christophe Gaillard, Paris
Que nous dit cette édition de la photographie d’aujourd’hui ? Elle pose la question du statut documentaire, de son authenticité. On entend beaucoup parler de post-photographie, à cause de la révolution numérique. Ce terme renvoie aussi à ces étapes de création qui ont lieu après la prise de vue, qui permettent de retoucher et de se réapproprier les images. Ces procédés ne sont pas nouveaux : les Surréalistes et les Situationnistes les ont beaucoup utilisés. Aujourd’hui ils sont encore plus présents, l’image se modifie facilement. Isabelle Le Minh joue avec cette idée, en renvoyant à une icone de la photo argentique : Henri Cartier-Bresson. Elle efface une partie de ses images et leur donne une temporalité différente. La post-photo est aussi le fait de ne pas produire ses propres images mais de puiser dans un corpus. Joachim Schmid collecte et s’approprie ainsi des photos existantes. La photo amateur, la photo banale, souvent détruite, qui porte une trace affective forte, est ici fétichisée par l’artiste. Mais est-ce encore de la photo ? Cela pose une vraie question : qu’est- ce que la pratique photographique ? Je fais partie de ceux qui pensent que la prise de vue est essentielle, mais que les étapes de la sélection et de l'agencement des images le sont tout autant. à tel point que certains photographes issus d'une pratique photographique classique vont s'affranchir de l'étape de la prise de vue. Ce qui est très important aujourd’hui, c’est la question du choix. Dans la pratique classique, face à la planche contact, le photographe y était aussi confronté. Aujourd’hui, le choix se fait dans un déluge d’images. La question de la photographie choisie, de ce qu’elle véhicule, de la manière de l’utiliser dans un processus plus large se pose de manière plus aiguë. Le titre de cette édition suggère aussi l’idée de jeu. Comment apparaît-elle ? Dans le travail de ce couple d’artistes, Matthias Bumiller et Nathalie Wolff, qui montre l’absurde qui surgit dans le réel et va créer un flip-book spécialement pour la Biennale. Edouard Boyer a créé un site web sur lequel il demande aux internautes de lui donner des
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consignes, qui viennent parasiter le cours de sa vie quotidienne et à partir desquelles il produit des photographies. Le titre Play & Replay renvoie aussi au rapport au temps : la photo joue avec l’instant, et on peut répéter, différer, rejouer. L’approche thématique ne limitet-elle pas les possibilités de montrer des coups de cœur ou des artistes dans leur singularité ? Il y a des coups des cœurs, forcément ! Cette thématique est plutôt une problématique, d’ailleurs, pour laquelle je voulais montrer une variété d’approches, sans en montrer trop, pour que chaque artiste
puisse avoir une exposition individuelle. Et chaque travail est singulier ! Marie Quéau a photographié des parties de paint ball qui reconstituent des batailles historiques. Ces images sont ambivalentes : elles paraissent authentiques – et inquiétantes –, et pourtant c’est un jeu. Celles de Michel François ont une dimension anthropologique, poétique et politique. Je veux montrer des images qui interpellent de toutes les manières possibles. i
Daniel Gustav Cramer, Ten works du 31 mai au 25 août 2013 à la Kunsthalle www.kunsthallemulhouse.com
L’invisible, à saute-moutons pAR Mickaël Roy
Le centre d’art contemporain de Mulhouse invite cet été l’artiste allemand Daniel Gustav Cramer. Pour sa première exposition personnelle en France, il présente un ensemble de dix œuvres dont certaines font la part belle à l’utilisation de la photographie comme langage de l’interstice.
Tales (Lago Maggiore, Isola Bella, Italy, August 2012), 2013 - 2 C-prints, each 25 x 20.5 cm, framed
On se souvient de Daniel Gustav Cramer pour l’installation de piles de livres renfermant des histoires de fantômes présentée en 2011 à La Kunsthalle lors de l’exposition Salons de lecture. Le propos s’intéressait alors à rendre lisible la façon dont l’emploi de l’écriture dans l’art contemporain pouvait faire œuvre. De retour à Mulhouse, cette fois-ci pour investir la totalité de l’espace d’exposition, Daniel Gustav Cramer ne se détache pas de l’intention intrinsèquement narrative qui irrigue toute œuvre ou tout groupe d’œuvres dans son travail. C’est ainsi que le format même de l’exposition est ici envisagé par l’artiste comme l’espace possible de rencontres entre des fragments d’objets visuels ou sensibles, en attente d’une (ré)conciliation. Par l’action d’une écriture – virtuelle – qui s’emploierait à tisser des liaisons entre chacun d’entre
eux, là où les séparations se font discontinuités au gré des voyages de Daniel Gustav Cramer. Les photographies qui en résultent, saisies instantanément et le plus rapidement possible, dans un temps étendu, découpent une réalité anonyme devant, derrière et à côté desquelles peut s’écrire une histoire encore invisible et latente. Car le spectre de suggestion de l’image photographiée est envisagé par l’artiste non pas dans un face-àface avec l’objet représenté mais à l’égard de sa charge toute suggestive. À l’image d’une photographie de maison prise de front qui vaut d’avantage pour ce qu’elle dira de sa périphérie et de ses marges, de ce qui n’est pas donné à voir et qui disparaîtra, déjà et toujours, dans le motif vu. Daniel Gustav Cramer défend l’idée selon laquelle le regardeur, en prise à l’impossibilité d’établir un récit tout à fait littéral, est invité à s’em-
parer de l’environnement de perceptions qui s’organise sous ses yeux. Qu’il soit soumis à recompositions, à combinaisons, et à constructions elliptiques, le schéma narratif s’accommode du vide, des silences et des respirations, de tous ces temps propres à produire les rêveries d’une promenade solitaire. En somme, Daniel Gustav Cramer ne fait pas de la photographie comme un photographe. Il écarte, comme un sculpteur. Et ce faisant, he minds the gap. i
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ZILVINAS KEMPINAS. SLOW MOTION, exposition du 5 juin au 22 septembre au musée Tinguely à Bâle. www.tinguely.ch
L’énergie du minimalisme pAR Vanessa Schmitz-Grucker
PHOTO Catalina Kulczar
L’artiste d’origine lituanienne, formé dans la ville cosmopolite de New York loin de l’austérité de l’ex-URSS, s’impose depuis 2007 sur la scène artistique internationale jusqu’à représenter la Lituanie à la Biennale de Venise en 2009. Le musée Tinguely rassemble quelques-unes de ses œuvres dans une exposition titrée Slow Motion. Minimalisme et cinétisme sont la base du travail de Kempinas. Les pièces de cet artiste dont l’art consiste à « mettre en mouvement un espace et exploiter toutes ses potentialités » résonnent naturellement avec celles de Jean Tinguely. Ses pièces, qu’il revendique comme cinétiques reposent sur des flux d’airs que l’artiste observe ou crée. Si le rythme d’un motif géométrique peut être la base de ce mouvement, l’effet de l’air, naturel ou artificiel, semble primordial. L’apesanteur s’abolit dans Airborn alors qu’une ligne noire flotte dans l’espace, animée par des ventilateurs hors-champs qui maintiennent le minimalisme de la vision. Bien qu’installé
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aux USA, Zilvinas Kempinas reste proche des avant-gardes qui ont marqué la Russie dont le constructivisme mené par Antoine Pevsner. Il construit autour et à partir du vide. Son travail est radical, souple, flexible mais surtout, comme l’œuvre de Tatline, autonome : « Une installation possède une forme d’autonomie et de pureté en tant que forme artistique visuelle. L’œuvre a son existence propre ». L’artiste a eu carte blanche pour occuper l’espace du musée. Avec Slash, il l’a saturé en superposant des lignes horizontales jusqu’à perdre la notion de profondeur et d’espace même. Les effets d’optiques l’intéressent dans la mesure où
« le temps et l’espace sont le cadre commun de l’humanité, l’endroit où les hommes peuvent se rencontrer ». L’exposition s’ouvre, par ailleurs, sur une œuvre qui questionne la notion de temps : Timeline joue avec l’architecture de Mario Botta d’une part et le flux du Rhin d’autre part. La question du point de vue est posée d’emblée dans la lignée d’un Alexander Calder dont il admire « l’équilibre de l’œuvre ». Cet équilibre, l’artiste lituanien le cherche dans l’illusion. L’illusion de la lumière, l’illusion de la profondeur, l’illusion de l’abolition de la gravité, le tout sur le mode du jeu et de la légèreté. i
ART FACES, exposition au musée Würth à Erstein (67) jusqu’au 5 janvier 2014. www.musee-wurth.fr
FACE-À-FACE pAR philippe schweyer
L’exposition Art Faces au musée Würth à Erstein présente une impressionnante collection de portraits d’artistes. À chaque image son histoire et ses mystères.
David Hockney photographié en 1977 par François Meyer
Adolescent, François Meyer ne se passionne pas plus pour les études que pour la Société Alsacienne d’Aluminium créée par son grand-père. Plus attiré par la photographie que par les affaires, il apprend le métier dans l’atelier de Paul Boissonnas à Genève. Après avoir réalisé l’iconographie d’un ouvrage sur l’art baroque au Brésil, il décide de voler de ses propres ailes et rejoint New York en 1975 avec l’idée de photographier les acteurs de la scène artistique. Connaissant son père, lui même grand collectionneur d’art, le galeriste Leo Castelli lui ouvre son fabuleux carnet d’adresses et le voilà introduit chez les plus grands maîtres du Pop Art qu’il photographie de préférence dans leurs ateliers. C’est ainsi qu’il enchaîne les rencontres, photographiant Andy Warhol, Roy Lichtenstein, Tom Wesselmann, Alex Katz, David Hockney ou Richard Serra. Derrière chacun des portraits qu’il réalise alors, il y a une rencontre dont il n’a oublié aucun détail quarante ans plus tard. Celle avec Andy Warhol n’est sans doute pas la moins étonnante. Sur la planche contact présentée pour la première fois dans l’exposition, on voit Andy Warhol assis à sa table de travail tandis que Victor Hugo fait joujou avec son gros joujou derrière lui… De retour en Europe, François Meyer photographie Soulages, Christo et bien d’autres avant de passer à autre chose, en collaborant notamment aux magazines L’Œil, Connaissance des Arts, Architectural Digest et Elle décoration. Ce n’est qu’à la fin des années 90 qu’il ressort
ses photographies de ses tiroirs. Quand sa femme Jacqueline découvre qu’elle est atteinte d’un cancer, le couple décide de bâtir une collection de portraits d’artistes pour la revendre au profit de la lutte contre le cancer. C’est ainsi qu’ils achètent des portraits d’artistes importants du XXe siècle (Picasso, Bacon, Chagall, Arp, Matisse, etc.) réalisés par une quarantaine de photographes (Michel Sima, Gisèle Freund ou Herbert List). Et c’est finalement une collection de plus de 250 portraits en noir et blanc que François Meyer vend à Würth après le décès de Jacqueline. L’exposition présentée à Erstein permet de découvrir les portraits réalisés par François Meyer luimême, mais aussi de revoir des images archi célèbres comme le portrait du facétieux Dali photographié par Jean Dieuzaide en pleine baignade métaphysique. Certains
photographes sont particulièrement inspirés par les artistes qu’ils rencontrent (la photographie très “baconienne” de Francis Bacon par Jean-Christophe Bourcart). Quant aux artistes, la plupart se prêtent au jeu. Même Piet Mondrian se laisse photographier par Arnold Newman dans une mise en scène en forme de clin d’œil. Quant à Cindy Sherman photographiée par Benjamin Katz, elle est si naturelle que l’on se demande si c’est vraiment elle. Un splendide gros plan du visage de Hans Hartung par Philippe Bonan, un portrait de JeanMichel Basquiat avec un chat sur les genoux par James van der Zee, des photographies de Giacometti, Fernand Léger, Henri Matisse, Picasso, Man Ray et Marcel Duchamp par Michel Sima ou encore des portraits de Joseph Beuys, Calder, Chagall, Cocteau, Dubuffet et de la magnifique Niki de Saint Phalle… Derrière chaque image se cache un merveilleux mystère que rien, pas même le face-à-face intime avec le photographe, ne semble pouvoir percer. i
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MAX ERNST, exposition jusqu’au 8 septembre à la Fondation Beyeler à Riehen (Bâle). www.fondationbeyeler.ch
L’Œdipe fait roi pAR emmanuel abela
En féru de psychanalyse, Max Ernst n’a jamais cherché à tuer le père. Pourtant aujourd’hui, on le sait, avec toute sa candeur, il a été roi ! À Beyeler, rétrospective de l’un des plus grands artistes du XXe.
Dorothea Tanning et Max Ernst avec la sculpture en ciment “Capricorne”, Sedona, Arizona, 1948 © 2013, ProLitteris, Zurich Photo : Documentation Max Ernst, Deutsches Forum für Kunstgeschichte, Paris / John Kasnetzis
Parmi les surréalistes, Max Ernst a toujours tenu une place à part. Sans doute était-il l’artiste le plus doué de cette génération, en tout cas l’un des plus prolifiques. Peintures, collages, sculptures, rien n’échappait à son envie sans cesse renouvelée de pousser plus loin les limites de sa propre création. De ses débuts dadaïstes à Cologne à ses développements new-yorkais, en passant par sa période parisienne, il a toujours fait figure de pionnier, multipliant ses sources d’inspiration que celles-ci soient plastiques ou même textuelles. Ses
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tentatives innovantes, frottage, grattage, décalcomanie et oscillation, manifestaient une soif de découverte que ne peut lui envier que le grand Picasso lui-même. Bien sûr, l’histoire très officielle le place dans l’ombre de figures comme Salvador Dalí ou Marcel Duchamp, et le grand public doit encore se familiariser avec un corpus infini, mais Max Ernst rivalise d’ingéniosité et de vivacité avec ces deux piliers de l’art du XXe. Peut-être même ajoute-t-il cette touche de générosité et d’espièglerie – en éternel gamin – qui le rend aujourd’hui encore si attachant, si souriant.
À la Fondation Beyeler, la grande rétrospective qui lui est consacrée, avec plus de 170 peintures, collages, dessins, sculptures et livres illustrés, permet d’épouser l’immensité de son œuvre. On y découvre un artiste qui tente de situer l’image au-delà de l’image, dépassant les problématiques de perspective et de plan – ce choix qui s’opère entre les 2 ou les 3 dimensions de la représentation – et nous conduit dans un espace mental parfois sidérant – en lien avec son amour de la psychanalyse, mais aussi de la philosophie, de l’ethnologie et de l’astronomie –, un espace dans lequel l’esprit peut se plonger, voire s’attarder. On reste parfois fasciné par sa capacité à nous entraîner dans un ailleurs plastique, mêlant sur une même toile tant de techniques, toujours avec virtuosité. Max Ernst, dans le domaine du jazz, serait un band à lui tout seul, pratiquant les soli de saxo, de piano ou de batterie avec le même génie et la même énergie. Et pourtant, rien de démonstratif dans sa manière de faire : juste l’impulsion de l’instant qui le conduit à confronter et éprouver sa propre pratique avec la même opiniâtreté, loin de toute convention esthétique, au profit de la créativité pure. Cette exposition permet de mesurer l’immense héritage de Max Ernst, et la saisissante actualité de son œuvre. i
C’EST UNE « IMAGE D’EPINAL », exposition jusqu’au 16 mars 2014 au musée de l’Image à Épinal. www.museedelimage.fr
À l’occasion des dix ans du musée de l’Image à Épinal, l’équipe rend en une exposition le fruit de ses recherches autour de « l’image d’Épinal ». À quoi ressemblent ces images ? Comment sont-elles devenues un genre ? Source de clichés, ce terme cher au patrimoine lorrain, cache de fausses affirmations...
Sage comme une image pAR Cécile Becker
Il suffit d’allumer la radio ou tout simplement de suivre quelques discussions quotidiennes pour entendre le terme « image d’Épinal » émerger. Entré dans le langage populaire, il est souvent lié à des clichés et
décèle parfois même une signification négative. L’image en question, initiée avec la sortie de cartes à jouer en 1664 par Claude Cardinet, a progressivement donné lieu à cette expression, puis s’est transformée en genre, a inondé le marché mondial jusqu’à être copié. Il est aujourd’hui synonyme d’images légères et est devenu un tic de langage. Il ne faut néanmoins pas oublier que les images d’Épinal nous disent quelque chose d’une société révolue où utiliser des symboles communs, compréhensibles par tous aidait à l’éducation tout comme à la politique. Martine Sadion, conservatrice au musée de l’Image explique : « C’est notre regard contemporain sur ces images anciennes qui fait qu’on les trouve un peu naïves, bécasses mais, à leur temps, elles étaient complètement
modernes. Il faut se garder d’avoir un regard d’aujourd’hui lorsqu’on regarde ce genre d’images, il faut se réadapter à l’époque. Pourquoi faisait-on des images de petites filles sages ? Parce que les mamans les achetaient pour éduquer leurs filles... ». Mais c’est peut-être en regardant les images de propagande diffusées par l’Empire et réalisées par l’imagier Pellerin que l’on peut mieux comprendre l’image d’Épinal. Martine Sadion continue : « Il y a cette série marquante d’environ 1830 qui raconte les faits et gestes de Napoléon et qui est diffusée en France entière. À partir de cette série, l’image d’Épinal essaime au point de devenir un genre, un genre qui a notamment contribué à la restauration de l’Empire. L’Empereur travaille son image et décide d’investir les campagnes les plus profondes à travers l’imagerie populaire. C’est le début de la communication ». Contrairement à une idée reçue, l’image d’Épinal n’est pas seulement réservée au peuple, mais parle à toutes les couches de la société : Alfred Jarry ou Guillaume Apollinaire en étaient de fervents admirateurs. Esthétiquement, ces images se déclinent en jeux, en devinettes mais sont souvent sur une seule planche et présentent des couleurs vives. Anachroniques oui, naïves peut-être, mais l’image d’Épinal nous ramène à un temps que l’on peut redécouvrir avec plus de précision... i
Poupée à habiller. Planche 2. DENIS SPORTSMAN, chromolithographie dessinée par Maréchaux, éditée en 1936 par l’Imagerie Pellerin, Épinal, Coll. Musée de l’Image
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PREMIERS ACTES, festival de créations contemporaines du 15 au 28 août à Munster, Metzeral, Soultzbach-les-Bains, et au Petit Ballon. www.premiers-actes.eu
Poétique du panorama pAR claire tourdot
PHOTO Vincent Arbelet
Virage à 180° pour le festival Premiers Actes. Dénué de subventions et de soutiens, Thibaut Wenger donne carte blanche à la nouvelle génération des metteurs en scène européens et les invite à s’exprimer aux confins des campagnes de la vallée de Munster. La sixième édition du festival Premiers Actes affiche des airs de jeune débutante. Nouveaux lieux pour un nouveau concept, la programmation 2013 est resserrée dans un format des plus intimistes. Les douillettes salles de La Filature et de la Comédie de l’Est laissent désormais place aux ciels ouverts et aux grands espaces : la faute à une politique culturelle en constante recentralisation... Un mal pour un bien comme dirait l’autre, puisque l’événement trouve un élan créateur au sein des vallées
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de Haute-Alsace : « Nous avons eu ce désir de revenir à la campagne » explique Thibaut Wenger, instigateur du festival, « il fallait se jouer du fait que nous n’avions plus de “maison” en entamant un nouveau cycle et en demandant aux artistes d’intervenir dans le paysage même ». Car c’est dans et avec le paysage qu’ont été imaginées les créations à l’affiche. Neuf jeunes metteurs en scène se sont vus offrir une carte blanche, pour des performances théâtrales et performatives
en toute simplicité. Eléments du décor, de la scénographie, sujets d’inspiration autant que d’angoisse, le pastoral est au cœur de ces travaux en devenir. Dans la Cour des Anciens Thermes de Soultzbach-les-Bains, Douce Mirabeau pose Une Équation à partir d’éléments organiques tandis que Thibaut Wenger donne voix au discours du Méridien du poète Paul Celan. Le Théâtre de la démesure propose quant à lui un Temps de pose en compagnie de Rainer Maria Rilke, Yves Klein et Caravage. Munster sera le lieu de toutes les expérimentations : Stéphane Arcas met en scène trois personnages perdus face à leurs identités dans la Forêt (vert presque vert), Boris Dambly défie l’apesanteur dans One trip/One noise. Au Petit Ballon, le film d’Alain Guiraudie Du soleil pour les gueux est adapté sur les planches par Nicolas Luçon : ce conte bucolique confronte les mondes parallèles d’une coiffeuse citadine et d’un berger en quête de son troupeau. Mais c’est au bord du lac du Schiessrothried à Metzeral que la problématique du festival prend tout son sens : la Promeneuse Céline Ohrel y engage une conversation avec Henry David Thoreau. Reclus dans une cabane, l’écrivain américain prône un retour à la nature dès 1854 dans son essai Walden ou la Vie dans les bois. Au gré des chemins alsaciens, Thibaut Wenger a su tracer, pour cette nouvelle édition des Premiers Actes, une véritable carte aux trésors. i
THÉÂTRE DU PEUPLE, saison estivale du 13 juillet au 25 août à Bussang. www.theatredupeuple.com
Jaune Bussang pAR claire tourdot
PHOTO Laurenzo chiandotto
Pour la 118e année (!), le Théâtre du Peuple de Bussang ouvre ses portes à un public estival. Dirigée par Vincent Goethals, cette nouvelle saison placée sous le signe de la Belgique célèbre une culture dramatique généreuse et intrépide.
« Par l’art pour l’humanité » peut-on lire sur le cadre de scène du Théâtre du Peuple. Fondé par Maurice Pottecher, ce haut lieu de la culture populaire défend depuis 1895 des valeurs sociales de partage et d’égalité, comme alternatives au théâtre bourgeois parisien des années 1900. Plus d’un siècle s’est écoulé depuis ce tour de force protestataire mais le théâtre de Bussang défend toujours ses vertus, en y injectant une certaine dose de modernité. Le lillois Vincent Goethals, nommé à la tête de l’établissement l’an passé, a été l’élément déclencheur d’une vague régénératrice, apportant un élan de créativité par ses initiatives saluées : organisations de weekend citoyen, de concerts d’ouverture et de clôture, d’une tournée d’hiver... Désormais familiarisé avec les lieux, il met à l’honneur pour cette nouvelle saison estivale sa patrie de cœur, la Belgique : « Mon nom a des sonorités flamandes et ma vraie famille théâtrale c’est en Belgique que je l’ai trouvée ! ». Chaleureuse, généreuse, gourmande, audacieuse, la culture flamande a tout pour plaire à un public hétéroclite toujours grandissant.
Tradition oblige, l’après-midi est rythmé par la représentation de 15h30. Au programme, une pièce phare du dramaturge belge Fernand Crommelynck, La jeune fille folle de son âme. Michael Delaunoy met en scène cette tragi-comédie écrite en 1929 à la sauce shakespearienne, entre raffinement et truculence. Plus que le langage (pourtant savoureux !), c’est le corps qui guide ce récit initiatique sur le désir et la sexualité : le soir de leur nuit de noce, Carine et Frédéric sont invités à participer à un bal masqué mettant à mal leur fidélité. Auteur associé à cette édition, Stanislas Cotton aime lui aussi brouiller les pistes jusqu’à atteindre
une théâtralité exacerbée dans ses pièces courtes. Clod et son Auguste campe le portrait d’un clown démuni sans emploi interprété par Baptiste Roussillon tandis que le Roi Bohème relate l’histoire d’un vendeur de soulier fou d’amour pour une parfaite inconnue. La création du soir laisse place au cabaret politico-satyrico-social Et si nos pas nous portent... Sur la musique de Pascal Sangla, Stanislas Cotton imagine des bribes de vies comme des « nouvelles théâtrales », ouvrant la porte de l’intimité de deux couples et par là même de l’universalité. Le même musicos, clôturera les festivités entouré de ses complices de toujours avec On accélère, une chanson française teintée de pop-rock. Convivial, déterminé et accessible, le Théâtre du Peuple a des allures de figure immortelle. i La jeune fille folle de son âme
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Retour à zéro pAR caroline châtelet
En Bulgarie, à Varna au bord de la mer noire, se tient depuis vingt et un ans le Varna Summer, festival international de théâtre. L’occasion d’un séminaire pour jeunes critiques et d’une traversée du pays.
→ Mardi 4 Revenir dans un lieu où l’on a vécu, même brièvement, procure une étrange sensation, car les conditions, les lieux et ce qu’on peut en espérer ont évolué. De passage en Bulgarie neuf années après y avoir travaillé une centaine de jours, difficile d’ignorer que ce voyage contient en lui-même son propre échec. Quoi que j’espère, je sais qu’il me sera impossible de capter en si peu de temps les évolutions de ce pays – entré en 2006 dans l’Union européenne. Pourtant certaines choses demeurent... Ainsi, dans le bus menant de l’aéroport au centre-ville de Sofia, personne ne moufte lorsqu’un jeune homme cherche des noises à un passager voulant composter son ticket. Comme si tout le monde savait à l’avance qu’à la descente, il dévoilerait ostensiblement une arme dans sa ceinture.
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Donc ok, la mafia est bien toujours présente, gangrenant tous les niveaux de la société. Mais de cela comme de la politique, les bulgares que je croiserai parleront peu, se révélant extrêmement désabusés sur ces sujets. Ema, amie sofiote avec qui je passe la soirée, est la première à énoncer cette désillusion. Non, les élections législatives anticipées organisées mi-mai, suite à la démission du premier ministre conservateur Borissov, n’ont rien changé. Et la nouvelle coalition, qui réunit le Parti socialiste bulgare et le parti de la minorité turque, n’augure pas de grands changements en dépit de son aspect inédit. → Mercredi 5 Sofia–Varna. S’il est dense, le réseau ferroviaire bulgare est toujours aussi vétuste et il faut six à huit heures pour relier les deux villes. Conséquence, quoique le train coûte moins cher, nombre de bulgares lui préfèrent les compagnies privées de bus. Mais le train permet d’accéder à d’autres
paysages. Ainsi, se succèdent des dizaines d’éoliennes, ces dernières remplaçant les ruines de bâtiments inachevés, cicatrices désormais disparues de la crise de la fin des années 90. Le soir, à Varna, découverte de trois spectacles. Seul le dernier, Medea, my mother créé par le Théâtre Sfumato, l’une des rares compagnies bulgares à être connue en France, se révèle intéressant. Avec un humour grinçant, le spectacle pointe violemment la politique du pays à l’égard de la minorité Rom. Un « sujet totalement inhabituel et tabou » confie Sonia, salariée du festival. → Jeudi 6 En nous rendant à un théâtre, nous croisons des personnes distribuant des tracts. Silvia, coordinatrice du Festival, m’explique qu’il n’y a plus de maire à Varna depuis plusieurs mois – ce dernier a dû démissionner suite à des affaires de corruption – et qu’aucun des trois suppléants successif n’a tenu. Un chaos local à l’image du national...
La beauté des ruines ? Celle de ne servir à plus rien. La douceur du passé ? Celle du souvenir, parce que s’en souvenir est le faire présent alors qu’il ne l’est ni ne peut l’être – l’absurdité, mon amour, l’absurdité.
Fernando Pessoa, Livre de l’inquiétude
villes. Ce sont désormais des tracteurs rutilants et des concessionnaires qui rythment le paysage. → Mardi 11 Retour à Sofia, où je retrouve Ema, sa sœur Yva et des amis. Sur les cinq bulgares présents, et quoique la majorité aient fait des études littéraires ou artistiques, tous ont actuellement « un travail pour l’argent » et travaillent pour des boîtes étrangères. C’est que la Bulgarie, en tant que pays le plus pauvre de l’Union européenne, accueille nombre d’entreprises délocalisées. Pour autant la crise est là, la misère sociale existe, et il y a eu depuis février sept immolations par le feu. « Très peu relayées par la presse bulgare », précise Diana, seule la presse étrangère s’en faisant l’écho... → Vendredi 7 Vu deux spectacles, passionnants par la réflexion qu’ils soulèvent sur la réception d’un travail et le public à qui ils s’adressent. Car si Immurement, création du théâtre de marionnettes de Plovdiv qui met poétiquement en scène une légende archaïque balkanique n’est compréhensible que des spectateurs « locaux », L’Orage d’Ostrovski joué par le Théâtre national de Ljublana, offre, lui, un travail à l’esthétique maîtrisé et au jeu impeccable. Mais qui 1) pourrait être vu n’importe où en Europe et 2) pourrait aussi bien être joué par des comédiens de Paris, Berlin, Bruxelles ou Naples... → Samedi 8 Samedi, c’est double peine version vidéo, avec Void Story, spectacle paresseux des britanniques de Forced entertainment, et Monocrossing, projet d’une compagnie bulgare dont le seul objet semble être l’utilisation du multimédia. À la sortie,
Milena, critique sofiote, tente de nous convaincre de l’intérêt de ce dernier, arguant qu’« en Bulgarie, très peu de spectacles utilisent la vidéo. Ici, c’est un travail novateur. » La « nouveauté » : est-ce une raison suffisante pour un spectacle ? → Lundi 10 Fin du stage pour jeunes critiques et visite de Nesebar et Sunny Beach, deux villes balnéaires. Tandis que l’une, classée au patrimoine mondial de l’Unesco est une bonbonnière où les boutiques de souvenirs alternent avec les vestiges (thraces, byzantins, ottomans), l’autre, créée de toutes pièces, constitue l’une des premières destinations touristiques européennes. Pourtant, ce sont bien deux faces d’une même médaille, les touristes passant quasiment indifféremment de l’une à l’autre. Le soir, je prends le bus pour Plovdiv et saisis ce qui en neuf ans s’est renouvelé : le parc automobile ! Adieux charrues et chevaux dans les champs, Trabants dans les
→ Mercredi 12 Mikhail, dramaturge travaillant au théâtre national Ivan Zavov me fait visiter le bâtiment. Baptisé en hommage à un grand poète, le théâtre compte deux cent soixante salariés dont une soixantaine de comédiens. Emblématique de Sofia avant-guerre – qui avant d’être bombardée en 1945 était surnommé « la petite Vienne » – le lieu impressionne par son lustre. Si les spectacles sont variés, le succès est variable et Mikhail cite l’échec d’Angels in America, pièce de Tom Sheppard traitant de la drogue et de l’homosexualité. Pour la subversion, il faudra repasser... → Jeudi 13 Dans le taxi pour l’aéroport, j’interroge le chauffeur sur la politique et l’arrivée de l’ancien ministre des Finances Plamen Oresharski à la tête du « gouvernement technique ». « Les gens ne sont pas contents et cela ne va pas les arrêter », dit-il sommairement. Vision sommaire, mais concrète, puisqu’à ce jour, les manifestations quotidiennes appelant à la démission du gouvernement et à une nouvelle Constitution continuent. i
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Luis Buñuel, cycle du 1er au 19 juillet sur ARTE www.arte.tv
ENTRE EROS ET THANATOS pAR Nadja Dumouchel
Le cinéma de Buñuel se situe aux deux pôles de toute existence : la vitalité et le mortifère. À l’occasion du 30e anniversaire de la mort du réalisateur, ARTE rend hommage à la pulsion de vie et de mort dans une rétrospective brûlante de désirs.
Un nuage passe sur la lune, tandis que la lame du rasoir, guidée par la main du maître, traverse l’œil de la jeune femme. L’histoire du cinéma raconte qu’à travers ce geste, le célèbre réalisateur espagnol a voulu imposer au spectateur une nouvelle manière de voir. Le regard de Buñuel porte sur la vision d’un monde qui transgresse les frontières du réel. Dans ses films, comme ici dans le court métrage surréaliste Un chien andalou, il explore les rêves et désirs les plus souterrains. L’œuvre de Buñuel nous secoue encore aujourd’hui par sa dimension onirique et son approche violemment absurde du monde. Le cinéaste avait le don de filmer la relation étroite entre le désir et la mort comme une danse entraînante d’Eros et Thanatos : « Pour des raisons qui m’échappent, j’ai toujours trouvé dans l’acte sexuel une certaine similitude avec la mort, un rapport secret mais constant. J’ai même tenté de traduire ce sentiment inexplicable en images, dans Un chien andalou, quand l’homme voit les seins nus de la femme, et que tout à coup son visage devient celui d’un cadavre ». Buñuel s’est trouvé « victime de la plus féroce oppression sexuelle que l’histoire ait jamais connu » ayant grandi dans une Espagne ultra-catholique. Le plaisir sexuel était un plaisir maudit, puisque considéré par la société comme un péché mortel.
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Ainsi, Buñuel n’aura de cesse d’explorer les désirs érotiques comme autant d’exemples de frustrations tout au long de sa carrière de cinéaste. Dans Un chien andalou (1929), l’homme se révolte contre lui-même en tuant son double. Niant ainsi sa propre nature, il rend impossible la réalisation de ses désirs et voue toute relation passionnée à l’échec. La femme, libre et insatiable, se tourne vers un nouvel amoureux. Mais l’érotisme de la liaison naissante est bientôt rattrapé par l’inévitable force paralysante de la mort. Le film se termine sur la métaphore d’un marasme érotique fatal : une image des amants enlisés jusqu’au cou dans le sable, prisonniers de leurs propres pulsions. L’Âge d’or (1930), le deuxième film de Buñuel, commence avec un documentaire animalier sur les scorpions et leurs instincts agressifs. Ceux-ci sont par la suite mis en perspective au cours d’une course poursuite amoureuse abracadabrante. Un homme et une femme se trouvent
irrésistiblement attirés l’un vers l’autre lors de la pose de la première pierre de Rome. Tels deux larves paléolithiques, les amants se roulent dans la boue dans une étreinte instinctive, nullement gênés par l’assemblée des notables conviés à la cérémonie. Mais cet amour fou se voit entravé par les nombreuses contraintes imposées par l’ordre de la société, tels que la décence et les règles à respecter lors des mondanités. L’homme, frustré dans ses désirs, traduit son agonie charnelle par des pulsions violentes. La femme réagit au manque en se jetant dans les bras d’un vieil homme, évoquant ainsi le fameux thème pictural de la jeune fille et la mort. Si dans l’Age d’or les personnages sont, tels des pantins, encore pris en otage par les mécanismes incontrôlables de leur inconscient, trente ans plus tard, Buñuel met en scène la sublime et déterminée Belle de Jour, interprétée par Catherine Deneuve. Celle-ci prend en main ses fantasmes masochistes inavoués, frustrée
de ne pouvoir éprouver de plaisir auprès de son mari. La jeune femme décide de se prostituer dans un bordel pour vivre les aventures humiliantes dont elle rêve secrètement. Elle trouve le plaisir de « la petite mort » auprès du jeune rebelle Marcel. Mais celui-ci est incapable de contrôler son agressivité réveillée par la jalousie... Le comédien incarnant le plus grand nombre de personnages masculins condamnés à subir les éternelles tortures de la chair dans les films de Buñuel est Fernando Rey. Dans Viridiana – on le retrouve également dans Le charme discret de la bourgeoisie et Cet obscur objet du désir en 1977 –, il interprète un homme qui a perdu sa femme
la nuit de ses noces. Don Jaime fait un transfert amoureux sur sa jeune nièce, lui demandant de revêtir pour lui la robe de mariée de sa défunte épouse, il lui fait boire un somnifère afin qu’elle soit à sa merci... Buñuel avait, à quatorze ans, rêvé d’une aventure érotique similaire avec la reine d’Espagne Victoria endormie. Le film sera interdit dans l’Espagne franquiste mais aura une reconnaissance internationale en se voyant décerner la Palme d’Or. Le désir, dans l’œuvre entière de Buñuel, fait écho à l’idée de Georges Bataille de l’érotisme comme acceptation de la vie jusque dans la mort. L’homme apparaît comme un être qui se focalise sur la réalisation de ses désirs plutôt que de les
sublimer. Ses pulsions l’entraînent dans une spirale tragique, le heurtant inévitablement à l’ordre de la société. Malgré cela, Buñuel est loin d’être une personnalité fataliste. Au contraire, il croyait fervemment en l’amour, même si son univers cinématographique ne le traduit pas. Dans son autobiographie Mon dernier soupir, il se souvient de cette force immense qui l’a guidé : « Au temps de notre jeunesse l’amour nous semblait un sentiment puissant, capable de transformer une vie. Le désir sexuel, qui lui était inséparable, s’accompagnait d’un esprit de rapprochement, de conquête et de partage qui devait nous élever au-dessus du terre-à-terre et nous rendre capables de grandes choses ». i L'Âge d'or
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À Berlin, l’été est synonyme de nuits presque scandinaves, où le soleil se couche tard et se lève tôt. Le jour et la nuit ne font plus qu’un, un rythme parfait pour les aventures les plus folles. Dans la vie comme au cinéma.
Un été et tout pour changer pAR Nadja Dumouchel
Au cours de ses errances picaresques dans Berlin, c’est à une ville en pleine “boboïsation” que Niko, l’antihéros attachant du film Oh Boy, se retrouve confronté. Il y est devenu impossible de boire un simple café, sinon uniquement bio et avec du lait de soja s’il vous plaît, et ce pour pas moins de 3,50 euros – un prix qui fait bobo à tous les niveaux. Ce n’est pas le paysage urbain d’aujourd’hui qui a inspiré Jan-Ole Gerster, jeune réalisateur de 34 ans, pour ce film tendre et mélancolique : « Je suis arrivé à Berlin en 2000 et c’était pour moi le plus beau lieu de la terre. En filmant les quartiers de l’est, j’ai choisi des décors qui n’ont pas trop bougé au niveau du street art et des cultures underground. Avec la musique jazzy intemporelle en toile de fond, j’ai voulu suspendre le temps un moment. » Comme Niko, son personnage presque trentenaire et un peu paumé, Jan-Ole Gerster a ressenti à un moment de sa vie un détachement de la société, une impossibilité de se relier au monde. Ce sentiment d’aliénation, il l’a traduit par une odyssée à travers la ville
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qui dure 24h dans le film. La précarité commence pour Niko le jour où son père arrête ses versements mensuels, après avoir compris que son fils avait abandonné les études depuis longtemps. Le luxe de l’oisiveté terminé, le jeune homme se retrouve face à un Berlin beaucoup moins tolérant : la ville, tout à coup, lui renvoie une image de looser en marge d’une société qui va en s’embourgeoisant. Plusieurs rencontres au fil de ses flâneries, entre autre celle d’une figure paternelle après la rupture avec son propre père, le font grandir et donnent un sens à ses galères. Tourné dans un noir et blanc minimaliste et caméra à l’épaule, cette comédie à tout petit budget a raflé six Lolas lors de la cérémonie du Prix du cinéma allemand au mois d’avril, battant ainsi largement le très attendu Cloud Atlas du réalisateur allemand Tom Tykwer (Cours, Lola, cours) et des frères Wachowski (Matrix), dont le budget était de 100 millions de dollars. Pour ce premier film très personnel, Jan-Ole Gerster cite plusieurs sources d’inspirations, avant tout
la Nouvelle Vague française et en particulier le personnage Antoine Doinel de Truffaut. En deux semaines, près de 30 000 personnes sont allées voir son film en salle dans l’hexagone. Lors du Festival Premiers Plans d’Angers de cette année, Oh Boy avait reçu le Prix du public et le prix spécial du Jury, une satisfaction toute particulière pour JanOle Gerster qui avait accroché un flyer du festival dans sa salle de montage pour se donner du courage. « La France est un pays de rêve. Ici les gens sont curieux, ils sont capables de faire la queue sous la pluie devant un petit cinéma Art & Essai pour voir le premier film d’un inconnu. C’est inimaginable en Allemagne ! » Le réalisateur a en effet le projet de s’installer à Paris. Une raison de plus : son prochain film sera une histoire francoallemande. Friederike Jehn, une jeune réalisatrice allemande de la même génération, a elle
Oh Boy
aussi traversé la frontière l’année dernière pour vivre quelques mois en France. La sortie de son film Dehors c’est l’été est prévue en salles pour début septembre. À l’inverse des tons monochromes de Oh Boy, la réalisatrice nous emmène dans un univers très coloré, dans lequel l’été devient une entité palpable – « Je voulais créer une atmosphère gaie et légère, où tout serait possible » – qui contraste avec l’histoire d’une famille en reconstruction. Celle-ci déménage en Suisse pour tenter un nouveau départ. Les trois enfants y sont confrontés à un environnement auquel ils sont étrangers et au désamour de leurs parents. Maria Dragus, repérée dans le film de Michael Hanneke Le Ruban blanc,
incarne le personnage de Wanda, l’aînée de la fratrie, âgée de 15 ans. Son coming of age est empreint d’une mélancolie profonde face à l’enfance qu’elle doit quitter, mais aussi d’un désir fort d’indépendance. Ce deuxième film de Friederike Jehn avait attiré l’attention du distributeur f r a n ç a i s Yo h a n n C o r n u ( Da m n e d Distribution) au festival de San Sebastian : « L’approche subtile et émouvante des membres d’une famille qui se retrouvent en pleine crise nous révèle une réalisatrice qui sait toucher juste. Le film est une belle démonstration du jeune cinéma allemand, à la fois sensible et inventif ». La nostalgie d’une famille intacte est symbolisée par des scènes oniriques dans lesquelles Wanda se voit à l’intérieur
d’une énorme montgolfière multicolore. Friederike Jehn se souvient de son coup de cœur pour le réalisme poétique du scénario de Lara Schützack, avec qui elle a co-écrit le film : « Il était important pour moi de laisser beaucoup d’espace aux personnages et de respecter leurs secrets personnels, de ne pas tout raconter ». Son expérience de tournage en Suisse lui a beaucoup plu. Pour son prochain film, la réalisatrice souhaite à nouveau trouver des partenaires de coproduction dans les pays voisins. Aujourd’hui, elle se voit comme cinéaste allemande mais s’inscrit volontiers dans un mouvement plus large : « Les collaborations internationales ont beaucoup évolué ces dernières années dans le monde du cinéma. Et qui sait, peut-être qu’un jour nous nous définirons comme cinéastes européens. Ce serait extraordinaire ! ». i
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Le Roi des mouches, par Mezzo et Pirus, en trois tomes parus chez Drugstore/Glénat. Nos remerciements à la librairie Hisler BD à Metz, qui a rendu cette rencontre possible.
A History of violence pAR Benjamin Bottemer
Avec le Roi des mouches, le dessinateur Mezzo a passé dix ans à salement trifouiller dans les entrailles de la psyché humaine aux côtés de son complice Michel Pirus. Dix ans à tailler dans la matière noire des figures hiératiques en négatif pour cet auteur fortement empreint de culture populaire américaine, qui s’attaque aujourd’hui à un ouvrage autour du bluesman Robert Johnson. À peine avais-je embarqué Mezzo que les références commencent à poindre le bout de leur nez. Garés près d’une colonne Decaux, on rigole sur la dernière bouse cinématographique en date, pour dévier par je ne sais quel truchement vers un chef d’œuvre : Apocalypse now, un métrage dont la violence rentrée et la lente descente dans la folie transpirent du dernier travail de Mezzo sur le Roi des mouches, véritable monument d’une BD française qui navigue en eaux troubles, profondes, dérangeant et fascinant. « La violence psychologique a beaucoup plus d’impact sur les gens car ils savent qu’ils en sont capables eux-mêmes, analyse Mezzo. Ils en ont probablement déjà fait usage ou en ont été les victimes. Dans le Roi des mouches, la violence n’est ni libératoire ni ludique : on creuse dans l’esprit humain ».
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Après deux histoires orientées polar aux côtés du scénariste Michel Pirus, les Désarmés et Deux tueurs, les personnages du duo lâchent les flingues pour mieux se torturer. Au sein d’un no man’s land rassemblant des environnements faisant songer tantôt à la banlieue américaine, tantôt à notre province française, ils nous trimbalent dans leurs petites vies faites de frustrations, de lâchetés et de cruautés ordinaires, qui parfois tournent au drame, sans émouvoir grand monde. Le texte de Michel Pirus, qui nous plonge directement dans les pensées de toute une galerie d’antihéros, et la vue subjective parfois utilisée par Mezzo renforcent l’immersion. « On met en scène des gens ordinaires pour une violence ordinaire, résume Mezzo. Une violence qui fait partie de l’hypocrisie humaine ; on a tous vécu ça. Je crois que le Roi des mouches est en fait une œuvre sur le mensonge, sur lequel j’ai travaillé comme pour une adaptation : mon rôle
était d’étayer le texte de Michel ». Construit comme un puzzle, sans début ni fin, « un peu à la Raymond Carver » indique Mezzo, le Roi des mouches fait de nous des voyeurs d’une violence domestique et sentimentale, dans une atmosphère de dépression insidieuse, de sexe froid et d’usage de drogues tout sauf récréatif. « C’est un scanner cérébral du monde qui nous entoure : les surprises sont toujours mauvaises. » Comme dans un énorme vitrail, auquel le découpage très sévère des pages fait d’ailleurs penser, les figures composées par Mezzo et Pirus se détachent littéralement sous le pinceauscalpel du dessinateur, que l’on a souvent comparé à Charles Burns pour son travail sur les ombres et les pointes. « On a une culture commune c’est sûr, mais son style est plus médical » commente Mezzo à propos de l’auteur de Black Hole et de Toxic. Si le texte de Pirus est extrêmement puissant et dérangeant, le dessin de Mezzo cogne dur
sur nos rétines : il trace des personnages figés et robotiques dans leurs gestes comme dans leurs comportements, aux faciès impassibles. « La chair a un attrait puissant sur le lecteur, pour qui la BD s’imprime image par image, sur lesquelles il peut s’attarder autant qu’il le souhaite. Je m’inspire de toute une scène des photographes américains de années 60 : Robert Frank, Garry Winogrand... » Les objets ont également un rôle essentiel dans le Roi des mouches, une présence presque magique ; ils sont les pivots de certaines des situations les plus fortes du récit. « L’objet est un acteur au même titre qu’un personnage, déclare Mezzo, comme dans le cinéma américain, où l’objet a une place très importante, contrairement à la France où le cinéma est très théâtral. Pour la quille du Roi des mouches par exemple, on a pensé à la valise à la fin d’En quatrième vitesse de Robert Aldrich. »
Rock’n’roll, punk , avec même une période psychédélique, le Roi des mouches est imprégné de cette culture traversée par ses auteurs. Avant sa rencontre avec Pirus, Mezzo, fan des Stones, d’Iggy Pop, de rock garage et de rhythm’n’blues des années 50 et 60, est attiré par les pochettes d’album des années 60 et 70, illustre pour Rock en stock, publie dans Métal Aventure. Actuellement c’est la vie du musicien de blues Robert Johnson qui l’intéresse avec Love in Vain [un morceau repris par les Stones sur Let It Bleed]. « Après dix ans dans un tas de charbon, j’y ai pris un plaisir surprenant, raconte Mezzo. Pour le scénario, j’ai travaillé avec JeanMichel Dupont, qui est aussi journaliste musical. » Après un Roi des mouches superbement colorisé par Ruby, il s’interroge sur le retour au noir et blanc pour ce nouvel ouvrage consacré à une icône de la musique du diable. En attendant, partez à la rencontre des démons intérieurs du Roi des mouches et de ses sujets. En chemin, il ne fait aucun doute que vous y croiserez votre diable personnel, à l’image du récit qu’en fait Robert Johnson dans son Cross Road Blues. i
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La Fille, Gallimard Christophe Blain & Barbara Carlotti
LA LANGUE D’HERCULE pAR Emmanuel Abela
En partant d’un hommage à Guy Pellaert et à sa BD culte Pravda, la survireuse, Christophe Blain a tenté l’aventure du livre-disque. Il a sollicité pour l’occasion Barbara Carlotti qui a écrit des chansons et prêté sa voix au personnage principal, ainsi qu’une poignée d’amis, dont Blutch et Arthur H. La fille, un drôle d’objet, lui permet d’aller au bout de ses fantasmes.
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La Fille se présente sous la forme d’un livre-disque. Cette forme particulière s’est-elle imposée comme une évidence dès le départ ? Oui, tout de suite ! J’ai commencé par les planches que j’ai publiées dans Pilote pendant près de deux ans. J’ai eu envie de développer cette histoire et j’ai opté pour la forme du livre-disque parce que j’en rêvais depuis longtemps. Ce livre-disque, vous le co-signez avec la chanteuse Barbara Carlotti. Au moment où je travaillais avec Arthur H, j’ai découvert les disques de Barbara Carlotti et il se trouve que Benoît Mouchard, directeur artistique d’Angoulême, était un ami de Barbara. Fin 2008, Barbara est venu à mon spectacle avec Arthur H, et dès que nous nous sommes rencontrés, je lui ai proposée ce projet. Ça a mis un certain temps avant de se mettre en place puisque nous avons commencé à nous y consacrer
l’album. Nous voulions que chaque partie soit quasiment auto-suffisante pour qu’on comprenne bien l’histoire, tout en essayant de faire en sorte qu’elles ne soient pas redondantes les unes par rapport aux autres. Un petit décalage se crée entre les dessins et le disque parce que ce dernier apporte un niveau d’information supplémentaire, ce qui crée un espace de mystère que le lecteur ou l’auditeur peut combler à sa manière : il reste une part de non-dit, d’imaginaire qui laisse libre court à l’interprétation.
qu’il y a environ un an, soit plus de 3 ans après notre rencontre. Dans un premier temps, nous avons travaillé chacun de notre côté, avant de nous retrouver pour une collaboration qui a duré 8 mois au total. Vous avez entièrement écrit les textes. Est-ce que cette collaboration vous a conduit à changer des éléments du récit ? Bien sûr ! L’histoire était la colonne vertébrale du livre, et Barbara en était la récitante. Je lui apportais régulièrement les textes pour voir ce qui sonnait bien ou mal. Elle avait un regard très critique et pointu là-dessus et grâce à ces bases textuelles, elle pouvait commencer à placer les chansons. Après quelques essais d’enregistrement, elle a intégré le rythme de l’histoire et n’a finalement pas attendu tous les textes définitifs pour composer. Barbara et Benoît de Villeneuve – son réalisateur arrangeur – aimaient beaucoup
voir les dessins, ça les inspirait. Nous avons énormément échangé, c’était un vrai travail de partage et de confiance. J’ai beaucoup d’admiration pour elle, et globalement elle a vu juste sur toute la ligne. Elle a réussi à créer quelque chose qui va au-delà de mes fantasmes, qui surpasse les rêves que j’avais faits pour ce projet. Elle a fourni un vrai travail d’auteure, et s’est émancipé du projet de base dans le sens où les chansons produites marchent très bien toutes seules, elles contiennent leur part de mystère. Justement, ce qui surprend, c’est que dans la forme finale, les textes, les dessins, les voix et les sons constituent un tout alors que chaque élément peut vivre indépendamment. On décèle parfois des décalages narratifs, tout en ayant le sentiment d’un ensemble cohérent… Tout à fait ! C’est exactement le but qu’on poursuivait tout au long de la création de
Au final, on obtient un objet intrigant, qui assume ses propres références. La BD s’inscrit dans une narration pop, du coup on a fait un disque pop qui rappelle une époque pop. Je suis parti d’un hommage à Guy Peellaert et de son auteur Pascal Thomas [publié dans Pilote pour le 40 e anniversaire de mai 68], mais avec Barbara, nous ne voulions pas sombrer dans la facilité du pastiche musical en nous inspirant des Doors ou de Jimi Hendrix pour la bande son. La musique de Barbara restitue les contours musicaux de l’époque des road movies de la fin des années 60, tout en restant en cohérence avec l’idée du conte intemporel ; pour cela, elle est allée chercher dans des sonorités des années 80. Moi, graphiquement, je joue beaucoup sur les époques, non pas sur le style, mais sur la technique, je ne contourne aucun gimmick. Ma fascination pour cette époque vient de l’enfance ; jusqu’à présent je n’avais jamais exprimé ça franchement ou alors de manière tout à fait détournée. Là, j’y vais de manière directe, j’ouvre totalement les vannes ! Pour Barbara, c’est comme lorsqu’elle reprend A Rose for Emily des Zombies, elle part d’une balade sixties pour en faire une chanson d’aujourd’hui en français. Absolument ! Sa reprise est intemporelle. Barbara a une personnalité très forte, elle a une voix étrangement belle, glamour, avec un mélange de douceur, de distance et d’acidité ! Ses chansons sont énergisantes. Sur le disque, on y écoute des chansons, mais l’environnement sonore fait intervenir des voix, les vôtres, celles d’Arthur H, de Blutch et de quelques actrices... J’avais un modèle en tête, les livresdisques pour enfants de Fred et Dutronc qui sont malheureusement très difficiles à trouver. L’un de ces livres s’appelle
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Le Sceptre et la voiture au clair de Lune ; Dutronc faisait toutes les voix et bruitages. La loufoquerie assumée, m’a inspiré pour mon propre projet. J’avais envie que La Fille soit aussi débridé, tout en gardant sa logique. Nous sommes partis sur quelque chose qui semble “lâché”, mais monté de façon très précise et réaliste. Les bruitages, par exemple, sont très fidèles à la réalité, quelque chose de trop stylisé aurait apporté trop de distance. Au départ, je souhaitais que Barbara et moi-même nous nous chargions de toutes les voix, en les déformant, comme le faisait Dutronc à l’époque, mais Barbara a pensé que ce serait plus intéressant qu’il y ait plusieurs voix. J’ai longuement hésité à demander à Arthur H d’interpréter ce personnage, Barbara m’a convaincu de l’appeler. Tout de suite, il a accepté, et il a interprété ce personnage à la perfection : il a tout de suite compris que le texte avait été écrit pour lui, et en une prise c’était fait. Puis un ami, Matthieu Sapin, m’a soufflé le nom de Blutch. Je n’osais trop y croire. Quand je l’ai appelé il m’a dit : « Je veux bien si tu ne me fais pas dire des grossièretés du type “enculé” » [l’imitation était saisissante, ndlr]. Mais il a accepté de suite ! Il a réussi à reproduire la qualité des livres-disques de l’époque, avec cette étrangeté exagérée dans la voix, qui séduit l’auditeur. Et quand il a fallu dessiner les personnages, j’ai abandonné l’idée de leur dessiner des visages de science-fiction, et j’ai dessiné Blutch et Arthur H, en les grimant avec des perruques notamment. Pour les actrices qui interviennent sur le disque, j’ai cherché l’effet du doublage de certains films américains en français – on oublie qu’il y avait une vraie tradition du doublage avec des acteurs incroyables. Comme j’avais du mal à trouver des actrices, une collaboratrice m’a suggéré de chercher parmi les filles spécialisées dans le doublage. De là, je suis parti sur les films de Tarantino. Au final, j’ai casté toutes les filles qui ont participé au doublage de Boulevard de la mort, ce qui donne un bel effet à l’ensemble. Ces voix donnent du réalisme à l’ensemble, tout en insistant sur cette dimension intemporelle que nous évoquions précédemment à propos de la musique. Dans un premier temps, la lecture se fait au premier degré ; c’est le cas avec l’élément central du récit, l’histoire d’amour : les
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Barbara a réussi à créer quelque chose qui va au-delà de mes fantasmes.
personnages tombent amoureux l’un de l’autre, ils résistent en fuyant et finalement, leur attraction charnelle est trop forte… Le contexte est celui de 1969 mais je lui rajoute des éléments de science-fiction : les hommes sont devenus des êtres « mous » et les femmes des êtres particulièrement agressifs. Ils se posent tous la question : comment réagir face à cette fille libre ? On se situe dans un univers parallèle. C’était amusant de jouer avec les notions de temps, d’époque, de relativité, tout en le faisant avec une grande précision. On retrouve là quelques une de vos obsessions en termes de narration… Ce que j’aime le plus, c’est de raconter des histoires, et la question que j’aime me poser quand je crée une histoire, c’est celle des armes que je peux utiliser pour les raconter. Les armes de la BD sont des armes que j’explore, mais il y en a tant d’autres ! Un texte nu sans dessins par exemple, c’est très compliqué à produire pour moi. J’ai passé un mois et demi, voire plus, à écrire sans dessiner. D’ailleurs, quand j’ai voulu m’y remettre, je me suis rendu compte que j’avais perdu ma faculté à dessiner. C’est revenu assez vite, mais j’étais perturbé.
Pour ce récit, on évolue dans des espaces oniriques, parfois à la limite de l’absurde, mais quelque chose se dégage de l’ordre de la mélancolie latente et d’une profonde sensualité… Au-delà de l’aspect érotique, la sensualité est un élément essentiel de mes histoires. Dans mes dessins, j’ai spontanément envie qu’on sente à quel moment de la journée on est, le temps qu’il fait, qu’on ressente l’attitude des personnages. J’aime travailler les détails de la perception des choses. Je suis toujours dans la contemplation, j’adore le goût des choses, regarder, observer les gens, savoir où je suis, déceler les détails de la vie, etc. J’ai envie qu’on ressente ça dans mes histoires, et qu’on décèle les sentiments que dégagent mes personnages. Même les sentiments incertains, il y a une part d’interprétation et de mystère qui n’est pas la même pour l’auteur que pour le lecteur, mais en tout cas j’aime essayer de retranscrire au plus près ce genre d’élément. Après, la voix de Barbara, typiquement glamour et érotique, a largement contribué à cela. Ce livre est sincère, comme tous mes ouvrages, mais au final celui-ci me semble spécial : il regroupe des fascinations d’enfant que je n’avais pas encore pu exprimer… i
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Théâtre actuel et public de Strasbourg
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Saison 13 — 14 Israel Galván @ei[\ DWZ` =[eh][i BWlWkZWdj 7d][b_d Fh[b`eYW` B[ Jh_e @ekXhWd $$$
Audioselecta
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LLOYD COLE STANDARDS / TAPETE – DIFFER-ANT
Nous ne pouvons que le constater : cela fait près de 30 ans que les enregistrements de Lloyd Cole ponctuent les instants marquants de nos vies. Depuis Rattlesnakes en 1984, ce natif de Buxton, dans les Midlands de l’Est en Angleterre, n’a eu de cesse de rééditer son exploit initial, avec des bonheurs divers et parfois la volonté d’en faire trop. Et pourtant, depuis quelques années, notamment depuis sa signature sur le discret label de Hambourg, Tapete Records, on le sent très éloigné de toute considération commerciale. Il renoue ainsi avec l’essence même de son art : la pop-song britannique enlevée, délicate et acidulée. Son dernier album, le bien nommé Standards, se ressent de cette sérénité nouvelle et du plaisir de jouer. À l’image de son compatriote Robyn Hitchcock, il évolue avec une fraîcheur retrouvée, celle de ses débuts flamboyants. (E.A.) i
THE PASTELS
JON HOPKINS
SLOW SUMMITS / DOMINO
IMMUNITY / DOMINO
Les come-backs peuvent suggérer bien des réactions : joie ou dépit, c’est selon. En ce qui concerne les Pastels, on ne peut que se réjouir de retrouver ce groupe écossais parmi les plus azimutés de sa génération. Le mix de l’ex-Tortoise John McEntire à Chicago et la contribution des membres de To Rococo Rot n’y changent cependant rien : les pop-songs du groupe restent bancales. Avec leurs structures branlantes, fragiles à souhait, elles menacent de s’écrouler – comme certaines figures sculptées de Giacometti – mais elles finissent toujours par être rattrapées sur le fil, avant de délivrer leur part de lumière. (E.A.) i
Brian Eno a fait bien des émules avec ses albums ambiants, mais rares sont ceux qui peuvent s’enorgueillir de pousser plus loin son propos. Le britannique Jon Hopkins, producteur et collaborateur de Brian Eno justement, a réussi à s’inscrire dignement dans la filiation. Avec Immunity, son quatrième album solo, il change de cap et oriente sa musique comme si elle était destinée au dancefloor. Qu’on ne s’y méprenne pas cependant, celle-ci reste ouvertement contemplative, comme la musique d’un danseur immobile. Lequel, au mieux, se laisse bercer par la douce mélancolie de l’ensemble qui atteint son sommet avec le sublime Abandon Window. (E.A.) i
ABOUT GROUP BETWEEN THE WALLS / DOMINO
Quel parfait contre-emploi que celui d’Alexis Taylor, le chanteur et clavier de Hot Chip, au sein d’About Group. Et pourtant, sa collaboration avec l’ex-This Heat et Camberwell Now, le batteur Charles Hayward, figure du jazz d’avantgarde, semble une évidence, à l’écoute de leur troisième album commun : le premier pose la structure des morceaux, le second déconstruit dans des passages hautement improvisés, et finalement les rôles s’inversent à merveille dans un équilibre constant. Il résulte de leurs échanges nourris un disque complexe, entre pop 70’s et soul-jazz psychédélique, dont la forme reste souvent indéterminée, mais dont l’addiction se fait ressentir d’emblée. (E.A.) i
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MIKAL CRONIN MCII / MERGE RECORDS – DIFFER-ANT
La jeune scène psychédélique californienne est vivace, et dans l’ombre de Ty Segall, Thee Oh Sees ou White Fence, évoluent de jeunes pousses qui affirment leur propre vision. Ça avait été le cas l’an passé avec les magnifiques Allah-Las, c’est également le cas de Mikal Cronin. Ce dernier s’était déjà fait remarquer avec un premier album prometteur dans une veine lo-fi. Mais c’était en 2011, un autre temps, celui de ses études à Los Angeles. Depuis son déménagement à San Francisco, le jeune homme soigne son niveau d’écriture et exprime ses craintes avec plus de vigueur, dépassant les poncifs du genre avec une maturité troublante, comme en témoigne son Piano Mantra final, digne du grand Van Dyke Parks lui-même. (E.A.) i
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66e Festival de musique Besançon Franche-Comté
53e Concours international de jeunes chefs d’orchestre Un air de jeunesse
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GERD ALBRECHT
artiste associé et président du jury
MISATO MOCHIZUKI
compositrice en résidence
BERLINER SYMPHONIKER MOSCOW CITY ORCHESTRA ORCHESTRE NATIONAL DE LYON ORCHESTRE NATIONAL DE LORRAINE PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG NICHOLAS ANGELICH VIKTORIA MULLOVA GAUTIER CAPUÇON
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DVDselecta
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L’HOMME DE RIO LES TRIBULATIONS D’UN CHINOIS EN CHINE DE PHILIPPE DE BROCA / TF1
Les deux films de Philippe de Broca n’ont pas toujours eu bonne presse auprès des cinéphiles. Ils restent souvent perçus comme faisant partie d’un sous-genre, entre comique, aventure et cascade. Et pourtant, le réel travail formel du réalisateur, pas si éloigné des préoccupations graphiques de Jacques Tati, les méandres narratifs, la richesse des dialogues et la musique de Georges Delerue devraient nous inciter à revaloriser ce qui s’apparente au final à des petits bijoux d’invention. Trouve-t-on meilleur hommage à l’univers d’Hergé – avec moult citations du Secret de la Licorne, des Sept Boules de Cristal, du Temple du Soleil, etc. – que dans les pérégrinations de Jean-Paul Belmondo aussi bien au Brésil qu’au Tibet ? Spielberg ne s’y est pas trompé quand il s’est inspiré de ces films pour créer le personnage d’Indiana Jones. Et puis, il y a Ursula Andress, et mieux encore la trop rare Françoise Dorléac… (E.A.) i
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SOUS LE SOLEIL DE SATAN
PIRANHAS
DE MAURICE PIALAT / BLU-RAY GAUMONT
On surprend ce magnifique éditeur, Carlotta, à s’aventurer sur de bien drôles de terrains. Mais à revoir le Piranhas de Joe Dante avec le recul nécessaire on comprend mieux. Derrière l’extrême misère des situations pointe quelque chose de surprenant, une sorte de do it yourself cinématographique qui ne cherche pas à s’embarrasser d’efforts inutiles – et surtout pas à faire croire à la réalité des choses –, mais d’aller droit au but avec le plaisir de la sensation immédiate. Il en résulte une forme attachante à bien des égards, étonnamment militante avec un arrière-fond crypto-écolo amusant, qui anticipe sur le cinéma d’auteur des années 80, indépendant, à faibles moyens, mais qui renoue avec une envie cinématographique pure. (E.A.) i
On pourra s’interroger indéfiniment sur le scandale provoqué par l’attribution de la Palme d’Or à ce chef d’œuvre de Maurice Pialat en 1987. Nul film ne pouvait se situer à la hauteur de ce modèle indépassable : la rencontre d’une œuvre, le roman de Bernanos, d’un cinéaste qui interprète l’un des rôles principaux dans le film, et de deux acteurs exceptionnels à leur meilleur niveau, Gérard Depardieu bien sûr et Sandrine Bonnaire. L’édition de l’œuvre de Pialat en Blu-ray nous confronte une nouvelle fois à la sécheresse de cet auteur incomparable, à cette forme de renoncement qui marque toute quête, et surtout à ce sommet cinématographique qui s’obstine à chercher la lumière au travers de l’obscurité. (E.A.) i
IDENTIFICATION D’UNE FEMME DE MICHELANGELO ANTONIONI / GAUMONT
Sept ans après Profession : reporter, Antonioni revient en Italie et à ses thèmes de prédilection : l’absence et l’errance. Niccolò, un cinéaste renommé qui voudrait capter l’image des femmes et les observe jouir pour tenter de percer leur mystère, rencontre Mavi, une mystérieuse aristocrate. Mavi disparaît et Niccolò part à sa recherche avec Ida, une jeune comédienne. Le film qui prend la forme d’une enquête policière sans action ni dénouement, vaut pour le remarquable travail pictural d’Antonioni qui filme magistralement une route perdue dans le brouillard, mais également comme miroir de l’Italie du début des années 80. (P.S.) i
DE JOE DANTE / CARLOTTA
ROCKSHOW DE PAUL MCCARTNEY & WINGS / EAGLE VISION
L’instant s’apparenterait-il au pire de ce qu’a produit Paul McCartney ? La question peut être formulée autrement : le succès américain de ce live résulte-t-il de la tentative de reconquête du terrain perdu depuis la fin des Beatles, six ans auparavant ? Pas forcément, et puis il y a cette histoire de deux gars qui ont perdu leur mère, qui ont formé la plus belle paire de songwriters ever, qui se sont séparés quand ils ont trouvé leurs âmes sœurs respectives. Des compagnes qu’ils ont décidé d’emmener avec eux sur scène. La présence de Linda McCartney a ceci de touchant qu’on n’est pas vraiment sûr qu’elle avait décidé de s’y rendre. (E.A.) i
Lecturaselecta
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RENCONTRE AVEC JOHN ET YOKO
DE JONATHAN COTT / CHRISTIAN BOURGOIS
Chroniqueur historique du magazine Rolling Stone, Jonathan Cott s’est attaché à mener des entretiens avec des grandes figures du siècle, Karlheinz Stockhausen ou Glenn Gould, des personnalités qu’il n’était pas forcément aisé d’interviewer mais qu’il a su apprivoiser. Quand il a envisagé de mener un premier entretien avec John Lennon en septembre 1968, il s’est attaqué à un sérieux client, au moment où celui-ci opérait un virage décisif au sein des Beatles avant le début d’une carrière solo, dont les contours se dessinaient peu à peu, en compagnie de Yoko Ono. De ce premier entretien cordial est née une série de rencontres, souvent intimistes, qui s’est achevée le 5 décembre 1980, soit 3 jours avant l’assassinat de l’ex-Beatle. De ce recueil, il résulte un portrait affiné de l’artiste, bien moins fantasque que dans d’autres interviews : on redécouvre avec émotion une figure lumineuse qui s’égaye au contact de sa muse et inspiratrice. (E.A.) i
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LA PEAU DURE
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DE FERNANDA GARCÍA LAO / LA DERNIÈRE GOUTTE
DE E.E. CUMMINGS / LA NERTHE
Violeta, la quarantaine, un enfant à charge, est comédienne. Délaissée par sa famille, ses amis, sa ville toute entière, elle subit un morne emploi de vendeuse et passe ses soirées à répéter pour un metteur en scène exécrable. Un jour, après un accident des plus banales, elle perd sa main droite et trouve paradoxalement un sens à son existence. Son membre greffé, « Compatible » comme elle l’appelle, guide ses agissements, semble doté d’une personnalité propre. Sur le ton de l’enquête burlesque, la plume latine de Fernanda Garcia Lao interroge la difficulté d’apprivoiser le corps étranger et les pulsions de chacun face à l’inconnu. (C.T.) i
Depuis quelques années, La Nerthe mène un séduisant travail d’édition des œuvres d’E.E. Cummings qui vient compléter les traductions que propose Jacques Demarcq, chez d’autres éditeurs comme Clémence Hiver, Nous ou Seghers. Après XLI et &, deux recueils de 1925, c’est au tour de 1 x 1 [une fois un] de faire l’objet d’une belle version française. Publié en 1944, ce petit ouvrage regroupe tout ce qu’on aime chez cet auteur singulier : la sensualité de l’agencement graphique et l’affirmation de soi contre toute idée reçue. Une belle manière de patienter avant la nouvelle édition anglaise de l’intégrale de ses poèmes en septembre. (E.A.) i
LA FOSSE AUX OURS
L’HISTOIRE DES SLITS
D’ESTEBAN BEDOYA / LA DERNIÈRE GOUTTE
Rêves et voyages, voici les deux lignes conductrices de ce recueil de nouvelles qui se joue au cœur d’une Amérique latine pleine de croyances païennes et de sensualité. Esteban Bedoya y raconte l’initiation aux plaisirs charnels face aux forces du sacré, et pose la question de la bestialité : ne suisje qu’un monstre pour désirer, ou juste un être fasciné par la beauté du monde qui m’entoure ? Entre rêveries enfantines, fantasmes d’adultes et contes d’antan, ses textes nous transportent dans un univers empreint de culture et d’onirisme où les sortilèges de la beauté rendent parfois difficiles à distinguer la réalité et l’illusion. Le face-à-face de l’homme, et de ses propres démons. (J.G.) i
DE ZOË HOWE / RYTRUT
Les Slits méritaient leur bio ! Ce groupe punk exclusivement féminin – une caractéristique qu’elles partagent avec les magnifiques Raincoats – a réussi à intégrer, bien avant d’autres, des éléments dub, jazz ou afro, pour obtenir un son post-punk pionnier et étonnamment influent. La regrettée Ari Up, Viv Albertine et leurs comparses l’ont fait avec beaucoup de naturel, dans le cadre d’enregistrements épiques ou de tournées rocambolesques. En interrogeant les filles elles-mêmes, mais aussi le DJ Don Letts, leur premier manager, et d’autres musiciens de l’époque, Zoë Howe ne nous construit pas seulement une belle saga, elle situe un tournant essentiel dans la compréhension du combat que menaient les femmes dans le domaine du rock. (E.A.) i
Deux expos exceptionnelles sur Georges Braque, le festival des Arts en Liberté, des marchés, des concerts, des fêtes à la pelle... 250 rendez-vous en tout.
L’été brille à Saint-Dié-des-Vosges ! Georges Braque Artisan du 29 juin au 15 septembre Tour de la Liberté
Approche du Cubisme Les héritiers de Braque du 12 juillet au 15 septembre Musée Pierre-Noël
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MO U L I N DE L A BL I ES Du 21 juin au 24 novembre 2013
EXPRESSIONS J É R Ô ME G A LV I N
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MOULIN DE LA BLIES -125 av. Blies - 57200 Sarreguemines De 10h à 18h. Du mardi au dimanche www.sarreguemines-museum.com
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David Lynch, chaosmos Photo Vincent Arbelet
— CARNETS DE NOVO —
« Il n’y a qu’un “chaosmos” d’images qui se rencontrent et s’organisent en monde. Ce qui est d’ailleurs la raison pour laquelle on ne meurt pas chez Lynch : on disparaît de l’image, on est exclu d’un certain dispositif visuel certes, mais c’est pour mieux réapparaître dans un autre. » Eric Dufour, David Lynch : matière, temps et image, Vrin, 2008, page 109
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Photo prise le 5 avril dernier à l’occasion de l’hommage rendu à David Lynch dans le cadre du Festival du film policier à Beaune.
Sylvie FAJFROWSKA Philippe GRONON à l’occasion de l’ouverture du Fonds Régional d’Art Contemporain de Franche-Comté à Besançon
mauvais
GENRE? Ana GALLARDO A Boca de Jarro
Zanele MUHOLI Faces and Phases
Lisa SARTORIO XpuissanceX
Espace Gandhi, Audincourt, tel. 03 81 36 37 85 29 MARS - 12 AVRIL 2013
Le 19, Centre régional d’art contemporain de Montbéliard I www.le19crac.com I +33 (0)3 81 94 43 58 © Sylvie FAJFROWSKA, Les rencontres n°8 (détail), 2012, colle et cire sur toile Le 19, Centre régional d’art contemporain de Montbéliard I www.le19crac.com I +33 (0)3 81 94 43 58
Et comment, comment l’enfant Ernesto envisage-t-il d’apprendre ce qu’il ne sait pas encore ?
Tiens mais c’est vrai.
En ra-châ-chant !
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Une nouvelle méthode. *
SUSAN VÉRITÉ Des méthodes
Exposition ouverte du mardi au vendredi de 10 h à 18 h. Exposition du 13 juin Le week-end au 29 septembre 2013. de 14 h 30 à 19 h. * « En rachâchant », de Jean-Marie Straub & Danièle Huillet, 1982.
CRAC Alsace 18 rue du Château F-68 130 Altkirch +33 (0)3 89 08 82 59 www.cracalsace.com
Daniel Gustav Cramer
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Tél : 03 69 77 66 47 www.kunsthallemulhouse.com
Conception : médiapop + TUBS★MJHIU
AU PLUS PRÈS
Daniel Gustav Cramer, Three Sheep, 2013 – Serie of 10 photographies – Courtesy Boltelang, Sies & Höke, Vera Cortes and the artist. ©Daniel Gustav Cramer
Le 19, Crac
JUSQU’AU 25 AOÛT 2013
Movies to learn and sing n°- 8 Par Vincent Vanoli & Fabien Texier
— CARNETS DE NOVO —
Always look on the Bright Side of Life (1979), Eric Idle & the Golgotha Boys Monty Python : La Vie de Brian (1979), Terry Jones
Pour leur second (vrai) long métrage, produit grâce au Beatle George Harrison, les Monty Python ont appris un truc sur leurs films : ils nécessitent une musique pompeuse et basique. Sacré Graal les avait ainsi vu préférer, suite à des screen tests désastreux, un ready-made épique tiré d’une library music à une création originale déjà enregistrée rien que pour eux. On ne retient donc pas grand chose de la fonctionnelle musique péplum de la B.O. de Brian. L’inepte Brian Song du début, chantée façon Goldfinger par Sonia Jones, disparaît un peu derrière les animations de Terry Gilliam. Peut-être se souviendrat-on vaguement du thème space opera clin d’œil à Star Wars, sur des effets spéciaux du même Python, au milieu du film. C’est donc Always look…, qui l’emporte dans l’esprit et le cœur du spectateur. Always look on the bright side of life... (I mean - what have you got to lose?) (You know, you come from nothing - you’re going back to nothing. What have you lost? Nothing!) Un curieux mélange de nihilisme et de fighting spirit qu’Éric Idle considère commun à tous ceux qui ont vécu (il est né en 1943) le Londres de la Seconde Guerre mondiale. Selon lui cet esprit nous vaudrait le final chanté « lumineux », juste après la mort du commando suicide (en recherche vidéo, tapez Otto+Life+Brian pour trouver d’outrageantes scènes coupées au montage). C’est peut-être pourquoi les Anglais ont pris l’habitude de la chanter dans les stades et aux enterrements, jusque dans la Guerre des Malouines, où elle a été reprise par l’équipage naufragé du HMS Sheffield attendant les secours.
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MÉMOIRES DE VERRE
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n o i sit
o s p e x t e ma o Rétrospective d’automates publicitaires
À découvrir également : UN ŒIL DANS LA MAISON | Une installation de Miguel Palma pour La Maison de La vache qui rit | Commissariat : Laurent Fiévet et Silvia Guerra pour Lab’Bel, Le Laboratoire artistique du Groupe Bel | Exposition du 12 juillet au 11 novembre 2013.
LA MAISON DE LA VACHE QUI RIT 25, rue Richebourg / 39000 Lons-le-Saunier / +33 (0)3 84 43 54 10 contact@lamaisondelavachequirit.com / www.lamaisondelavachequirit.com
PREMIERS ACTES Cartes blanches dans le paysage vallées de Munster & Saint-Amarin — Alsace
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Ville de Munster
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Photo couverture : Vincent Arbelet
15 r 25.08 2013
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t u A
Copains d'avant n°- 7 Par Chloé Tercé / Atelier 25
— CARNETS DE NOVO —
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La Filature fête ses 20 ans ! d u 1 3 au 1 5 S e p t e m b r e
kermesse et performance de feu par la Cie La Machine, visites guidées théâtralisées, concert et fanfare, exposition, table ronde, bal guinguette…
e t t o u t au l o n g d e l a S A I S O N 1 3 -1 4
Richard Maxwell Joël Pommerat David Lescot Rachid Ouramdane Olivier Dubois Philippe Quesne Mark Tompkins Cécile Backès Handspring Puppet Company Gisèle Vienne
Aurélien Bory Boris Charmatz Christian Rizzo Wajdi Mouawad Mylène Benoit Rocío Molina Pippo Delbono Michel Schweizer Stanislas Nordey e t b i e n d ’au t r e s encore…
L a F i l at u r e S cèn e n at i o n a l e Mulhouse T +33 (0)3 89 36 28 28 www.lafilature.org
ŒUVRE PERMANENTE À PARTIR DU 4 JUILLET
RENAISSANCENANCY2013
TRAITSD’UNION DE ROBERT STADLER, DESIGNER COMMANDE PUBLIQUE ARTISTIQUE ENSEMBLE POIREL / NANCY
7737 - Studio Robert Stadler
DANS LE CADRE D’UNE COMMANDE PUBLIQUE DE LA VILLE DE NANCY AVEC LE SOUTIEN DU MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION, TRAITS D’UNION DU DESIGNER ROBERT STADLER, FAIT DIALOGUER L’ART CONTEMPORAIN, LE DESIGN ET LE PATRIMOINE SUR L’ENSEMBLE POIREL, HAUT LIEU DE LA CRÉATION ET JOYAU DU PATRIMOINE HISTORIQUE NANCÉIEN.
W E B M O B I LE
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Sous la maîtrise d’ouvrage de la Ville de Nancy, Traits d’union a reçu le soutien du ministère de la Culture et de la Communication et de la Communauté urbaine du Grand Nancy.