BasketNews 598

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édito

PAR LA GRANDE PORTE (DRAPEAU) Par Fabien FRICONNET

Chris Covatta/NBAE via Getty Images

N

ous avons été un peu surpris par la déclaration de Claude Onesta, la semaine dernière, sur le site sports.fr. L’entraîneur à succès de l’équipe de France masculine de handball s’est exprimé ainsi à propos de l’identité du futur portedrapeau de la France aux Jeux de Londres : « J’ai vu que Tony Parker se mettait en avant pour être désigné. Je trouve ça un peu déplacé. C’est quelque chose que l’on attend avec un peu de discrétion, cela ne se réclame pas. » Tony Parker, on l’apprend dans le Journal Du Dimanche du 28 janvier dernier, s’est en effet ouvert de son désir à Jean-Pierre Suitat, président de la FFBB, afin que celui-ci relaye la chose auprès du CNOSF, qui prendra sa décision le 9 juin (*). Il a en outre expliqué – à visage découvert – qu’il avait eu « quelques discussions, qui restent de l’ordre du privé », notamment avec David Douillet, le Ministre des Sports ; l’on conviendra ici que l’on est déjà moins dans le « privé ». C’est sans doute cela – on se refuse à imaginer d’autres raisons – qui a poussé Claude Onesta à exprimer son irritation. À BasketNews, les avis sont partagés. Une solide minorité estime, avec M. Onesta, que la retenue devrait être de rigueur. L’honneur est au-dessus de l’individu, en la matière. Une sorte de pudeur est nécessaire. Ceci posé, nous sommes beaucoup à ne pas bien comprendre la déclaration de M. Onesta, son timing, ses arguments et, le cas échéant, sa motivation. Que Tony Parker souhaite éprouver ce puissant sentiment de porter le drapeau pour son bon plaisir, on l’imagine sans mal, mais doit-on considérer que sa démarche est purement individualiste ? Même à ses détracteurs, il est impossible de ne pas reconnaître au triple-champion NBA, champion d’Europe junior et double médaillé européen (bronze en 2005 et argent en 2011), 117 sélections, ancien pensionnaire de l’INSEP puis de la Pro A, son attachement au maillot bleu. Dire le contraire serait de la mauvaise foi ou de l’ignorance. Parker ne manque jamais une occasion d’ajuster ce drapeau sur ses épaules les soirs de victoire. N’est-il pas à la mode, si l’on a

bien compris, de porter haut les valeurs patriotiques lors d’événements sportifs (mais de surtout se bien garder de le faire dans la vie de tous les jours afin de ne se point faire traiter de nationaliste… ou pire). N’accable-t-on pas à longueur de journée les sportifs français pas assez zélés dans ce domaine ? Oui, Tony a demandé. Impolitesse d’enfant gâté ? Peut-être. Rêve de môme qui a vu Magic Johnson dans cette position en 1992 ? Aussi, sans doute. N’est-ce pas tout simplement sa façon de faire, le moteur de sa réussite, de déclarer puis de prendre, sans attendre que cela lui tombe tout cuit dans le bec ? S’il n’était pas allé chercher ce qu’il a, Tony ne serait pas l’un des sportifs français les plus connus au Monde. En vérité, Tony visà-vis de la NBA, c’est un peu comme le basket français vis-à-vis du statut de porte-drapeau : si tu ne demandes pas, si tu ne te bats pas pour arracher, tu n’auras rien. Cela s’appelle du lobbying. Ce fameux art dont on se plaint continuellement que notre pays ne le maîtrise pas (le CNOSF en sait quelque chose, non ?).

TP n’a jamais manqué l’occasion d’exhiber le drapeau tricolore.

La Chine, la Russie, l’Allemagne, la Lituanie et l’Argentine ne se sont pas posé la question en 2008

Faux-cul La légitimité sportive, Tony Parker la possède. Et l’argument qui consiste à dire que le basket français est très rarement olympique, donc peu légitime, peut être

inversé ainsi : puisque le basket n’est pas souvent aux Jeux, pourquoi justement ne pas en profiter cette fois-ci pour le primer ? Les Chinois (Yao Ming), Russes (Andrei Kirilenko), Lituaniens (Sarunas Jasikevicius), Argentins (Manu Ginobili) et Allemands (Dirk Nowitzki) ne s’étaient pas posé la question en 2008. Tony Parker est-il « représentatif » du sport français ? Si partir de rien et atteindre le sommet, tout en revendiquant un côté franchouillard et l’amour du maillot, n’est pas représentatif du sport français, alors en effet, Tony n’a rien à faire drapeau en main. Et cela en dit long sur le sport français et ses empesées chapelles institutionnelles. Tony Parker représente-t-il trop « l’élite », le sport US dans toute sa splendeur avec ses millions de dollars et ses mariages médiatisés ? Cette image joue-t-elle ? Ne serait-il pas temps de cesser d’être faux-cul et d’arrêter de faire croire que les Jeux sont ce très vertueux rassemblement des saints athlètes de tous les pays, où, une fois tous les quatre ans, l’argent et la culture de la performance sont abolies, dans le jardin des Bisounours ? Les Jeux, en vrai, sont LA compétition d’élite par excellence, pour laquelle il est excessivement compliqué de se qualifier, et qui ne vaut que par la « gagne » (les « minimas », la « perf », le « chrono », le « podium », le « tableau des médailles »… mais aussi les droits télé et marketing pharaoniques). Nous ne sommes pas en train de dire que si Tony n’est pas choisi cela sera un scandale. Rien de tout cela. Choisir un Riner, un Karabatic, un Lemaître, ou d’autres de la même stature, serait totalement légitime. On se prend juste à espérer que TP ne sera(it) pas écarté pour de mauvaises raisons. n (*) C’est une commission de six personnalités qui décidera : Denis Masseglia (Président du CNOSF), Jean-Luc Rougé (Vice-président de l’institution), Bernard Amsalem (président de la Fédération d’athlétisme et chef de mission pour les Jeux), Jacques Rey (Président du collège des fédérations olympiques) ainsi que les sportifs Isabelle Sévérino (gymnastique) et Tony Estanguet (canoë).


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