Des racines et des pelles : sur les traces de mon sapin de Noël

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DES RACINES ET DES PELLES EXPÉRIENCE Parce que nous avons voulu offrir un autre destin à notre sapin, nous l’avons replanté chez lui, dans le Morvan. Et en avons profité pour découvrir la région.

MATHIAS CHAILLOT

MARGUERITE BORNHAUSER / HANS LUCAS POUR NEON

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Parce que c’était lui ; parce que c’était moi.

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ès le premier frôlement quand ils n’abreuvent pas les superde branche, j’ai su que ce marchés (près d’un sapin sur trois vient serait lui, four ni et de la grande distribution). Agé de 6 ans, touffu, perdu au milieu Michel est dans la tranche 1,20 m-1,50 m. de ses immenses et fiers Après deux ans en nurserie pépinière, concurrents. Oh, au premier abord, il il a été planté une première fois puis pouvait paraître rude : un peu de guin­repiqué deux ans plus tard. La plupart gois, il pique dès qu’on le touche mais, de ses frères arrivent chez nous plus au moins, il sent bon. Normal : c’est un âgés, entre 8 et 10 ans. épicéa. Rien à voir avec ces vulgaires Michel tintinnabule des boules, Nordmann originaires du Caucase, frémissant d’impatience doux peut-être, solides sûrement, mais sans odeur. Dans les années 2000, souPour retrouver son origine, c’est facile : tenu par la com sur « le sapin qui ne Jean-Christophe est aussi producteur, perd pas ses aiguilles », Nordmann a installé à Montsauche-les-Settons pris le dessus. Pourtant plus cher – il (Nièvre), où il possède une des grosses pousse plus lentement –, le roi des fo­exploitations de la région. « Je demanrêts représente 60 % des sapins achederai à mon fils de vous aider pour tés, loin devant les épicéas à 20 % et les mettre un coup de pioche », promet-il Ça roule vieille branche ? sapins artificiels – trahison ! – à 17 %. alors que j’enlève son rejeton à épines.

Mais contrairement à ses camarades qui Dans le stand d’à côté, Nadine, des scievont aller défraîchir avec des marmots qui leur tirent les branches, ries Brizard, me félicite. Elle a aussi des plantations dans la région Michel le sapin – oui, il s’appelle Michel – est en pot (90 % d’entre et connaît bien la qualité de son concurrent. « Et les enfants eux passent par la case tronçonneuse). Il a évité un premier drame. ­Bonoron, ils sont comme ça, ajoute-t-elle en levant le pouce.

Pour qu’il passe lui aussi le plus beau des Noël, je lui promets de ­Sérieux et bien élevés. » Allons vérifier : je fais une beauté à ­Michel le ramener auprès des siens. Il passera les fêtes branches au vent, (guirlande lumineuse, boules et étoile à paillettes) et zou. 80 % replanté dans les paysages mystiques du Morvan. des sapins vendus en France sont produits sur le territoire (le reste J’ai rencontré Michel à Rungis, au stand de Jean-Christophe provient surtout du Danemark et de Belgique), et un sur cinq Bonoron, pour le moment occupé à négocier un arbre de quatre pousse dans le Morvan (Bourgogne-Franche-Comté), LA région mètres pendant que sa femme, béret sur la tête, tient la caisse. De des sapins. Ça va, Miche-Miche ? Bien sanglé à l’arrière de la là, les arbres partent vers les fleuristes et jardineries de la ­région, ­voiture, il tintinnabule des boules, frémissant d’impatience.

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Les vallons du Morvan, terre natale de Michel.

En deux heures, nous quittons la région Sébastien. Il y aurait eu une grande bataille « ICI, CE MATIN, parisienne pour nous enfoncer dans les avec des chevaliers, qui l’ont ­emporté sur ON A COUPÉ terres morvandelles empreintes de mythes les fantassins de l’enfer. Nous pourrions et de rites celtes, avant de disparaître dans des légendes du Morvan pendant des LE SAPIN DE L’ÉLYSÉE, parler les vallons mangés par la brume. heures, mais Michel en a ras le tronc de ces 12 MÈTRES. » Après Villiers-les-Potots, nous descenhistoires qu’il a déjà trop entendues. Il est dons à Magny et empruntons la rue des temps de reprendre la route.

Fiottes (vrai de vrai !) avant d’atterrir chez Francine Vignaud, proMême pas le temps de passer par la roche aux Fées, nous rouductrice de miel. « Ici, nous avons la “Marque Parc”, un label lié lons jusqu’à chez Pierre, 27 ans, et son père Alain Marchand, deuaux parcs naturels », détaille-t-elle. Il garantit un produit écolo, xième et troisième générations de sabotiers à Gouloux. ­Devant un respect du territoire et une qualité contrôlée. Un miel de ronce le musée familial, on tombe d’ailleurs sur leur grand œuvre, un typique de la région sera parfait pour le thé devant la cheminée sabot de trois mètres de long pour deux tonnes et demie, homo(attention, prévient Francine : mettre du miel dans une boisson logué en son temps plus grand du monde par le Guinness des retrop chaude lui fait perdre ses propriétés). cords. Ils en produisent toujours 1 500 à 2 000 paires par an, mais le business est désormais ailleurs, notamment dans les pieds de Dans ces terres de forêts et de légendes, sapin (débités à la chaîne dans des cousins bouleaux ou peupliers les morts défient les chevaliers à raison de 20 000 par jour), des jardinières en bois pour mettre Pendant ce temps, devant la porte, Michel sapine patiemment. le bouquet de houx de mémé ou les arbres floqués. En période Je le reprends sous le bras jusqu’à Quarré-les-Tombes, où nous de fête, c’est soixante à quatre-vingts heures de travail hebdo. décidons de déjeuner. Michel, retrouvant l’odeur de sa terre ­Lever à 4 h 30. Un chiffre d’affaires annuel à réaliser en trois mois. ­natale, regarde le village en clignotant au milieu du brouillard.

Ici, le sapin, c’est tout. Le marché est d’ailleurs le premier pour« Quarré vient de “carrefour” car c’était un grand croisement », voyeur d’emplois saisonniers de la région. Et là, lors de la visite m’explique Sébastien, le patron du Quarré Crème, où nous nous de l’usine, horreur. Des branches de sapins découpées en guirréchauffons autour d’un café. Et les tombes ? Sébastien montre landes de verdure pendent la tête en bas dans des chambres la place centrale du village : « Ici, avant, c’était le cimetière. » Dans froides. D’autres arbres sont recouverts de coton coloré et de l’église, on trouve encore des sarcophages millénaires. Les vieilles colle en spray pour être floqués en blanc, rose ou doré. « Le rouge bâtisses, tout autour, portent aussi les légendes de la ­région dans et le bleu nuit marchent toujours très bien, mais cette année, c’est leurs pierres grises. Il se dit qu’elles ont été construites à partir le fuchsia », détaille Pierre. Au milieu de ses frères momifiés, des ruines d’un château, un peu plus haut, après que le village a ­Michel tremble de toutes ses épines et, d’un coup de rameau, me été rasé autour de l’an mil. Rasé par qui ? « Par les morts », s’amuse supplie de quitter la scène du crime.

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C’est l’heure des adieux. Epicéa, et pis c’est tout.

Quelques kilomètres plus loin, nous arrivons sur les terres de JeanChristophe Bonoron. C’est Louis, le fils, qui me reçoit alors qu’il prépare des sapins prêts à être expédiés. A 21 ans, il étudie le commerce, alors que ses petits frères sont plutôt dans l’horticulture.

En travaillant ensemble, la fratrie pourra reprendre l’exploitation, un jour. Pour l’heure, on gère l’urgence : début décembre, il faut livrer les derniers sapins. La coupe a commencé un mois plus tôt avec les arbres de plus de 2,50 mètres, plus résistants. Les ­petits et les épicéas, plus fragiles, attendent quelques semaines pour garder leur fraîcheur. En pot, Michel nécessite de l’attention pour être replanté après les fêtes : gardez-le si possible à l’extérieur et rentrez-le quand Noël approche, en évitant les coins chauds. Une pulvérisation d’eau sur ses branches et un verre quotidien lui permettront de tenir en attendant des jours meilleurs. Michel, lui, n’a plus qu’à compter sur le climat de sa région natale et l’entretien de ses propriétaires, bien sûr : chaque sapin est taillé une à trois fois par an pour garder sa belle forme conique.

L’économie de la région tout entière est suspendue à la multiplication des petits pins Sur les petites routes qui mènent à l’un des nombreux champs de la famille, guidés par Louis, nous passons devant une immense souche. « Ici, ce matin, on a coupé le sapin de l’Elysée, 12 mètres », me montre Louis. Une des fiertés du producteur, et de la région tout entière. Chaque année, Jean-Christophe Bonoron en coupe et replante 40 000 (la fameuse multiplication des petits pins). Pourtant, ils sont loin d’envahir nos maisons : seuls 22 % des foyers achètent un sapin chaque année, quand les ­Allemands ou les Suisses sont 75 %. Michou agite ses branches au milieu des vallons : là ! Des bébés Miche-Miche à perte de vue,

tout frétillants de bonheur. Le soleil se couche sur les collines gelées pendant que nous creusons. La pointe tordue par la voiture (et les chambranles de portes qu’il s’est mangés), Michel a un peu les boules qui partent en couille et la guirlande de traviole. Mais il s’en fout. Il est chez lui. Sauvé. Michel passera Noël scintillant de mille feux, au milieu de ses frères nus. Je le laisse sans me retourner alors qu’il plonge ses racines dans sa terre nourricière. Comme il a été sage, peut-être même que le Père Noël viendra déposer un joli cadeau au pied de son humain.

VISITER LE MORVAN AVEC VOTRE MICHEL Emmenez votre Michel faire du rafting ou de l’hydrospeed sur la Cure (de mars à septembre), ou rendez-vous directement au rallye de la Cure (septembre-octobre).

Profitez-en pour découvrir le pittoresque saut du Gouloux et passez sous « le pont de la rivière enchantée ».

Faites peur à Michel en découvrant les légendes du Morvan, par exemple dans la forêt du mont Beuvray aux arbres tordus et tortueux qui poussent sur les ruines (et les corps ?) de villages gaulois.

Finissez à Poil, où vous trouverez des cosmétiques bio au lait de jument (Bio Bibracte) et repartez avec un caleçon au Poil, un sous-vêtement made in Bourgogne idéal pour garder les boules de Michel au chaud.

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