Les gredins

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période : « Certaines des questions susceptibles de lui être posées concernent la période précédant l’élection de 2007 », ont-ils écrit.

Affaire Tapie: Sarkozy snobe les juges PAR LAURENT MAUDUIT ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 27 MAI 2016

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Faisant mine de ne pas comprendre que les juges souhaitaient interroger son client sur les mois antérieurs à l’élection présidentielle, l’avocat a alors soulevé une nouvelle objection, dans un courrier suivant : « Antérieurement à l’élection à la présidence de la République, Monsieur Nicolas Sarkozy a été notamment ministre d’État, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, du 31 mars 2004 au 29 novembre 2004, et c’est dans le cadre de cette fonction qu’il aurait pu avoir connaissance de contentieux apparus notamment entre le CDR et les sociétés du groupe Bernard Tapie. Dès lors la Cour de justice de la République aurait seule compétence pour pouvoir l’entendre. J’observe que la commission d’instruction de cette juridiction, saisie des faits pouvant être reprochés à Madame Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’emploi, du gouvernement de Monsieur Fillon, premier ministre, n’a pas jugé utile de procéder à cette mesure d’instruction. En conséquence, il me semble que cet obstacle de droit constitue, s’il en était, un motif légitime qui empêche mon client de pouvoir répondre à votre convocation. »

Nicolas Sarkozy, le 20 février 2016, au Parc des Princes. © Reuters

Les juges en charge du scandale Tapie ont convoqué Nicolas Sarkozy le 13 avril dernier pour l'entendre comme témoin. Ils voulaient l'interroger sur le soutien que l'ex-homme d'affaires lui a apporté pendant la campagne de 2007 et « l'existence d’éventuelles contreparties ». L'ex-chef de l'État a refusé de se présenter. C'est un rebondissement auquel on ne s’attendait plus dans l'affaire Tapie : selon nos informations, les juges d'instruction ont convoqué Nicolas Sarkozy le 13 avril dernier, sans en faire la moindre publicité, pour l'entendre comme témoin dans une affaire où il a joué un rôle clef. Mais l’ancien chef de l’État a refusé de déférer à cette convocation. La convocation des juges d’instruction a donné lieu à un échange de correspondances entre eux et le conseil de Nicolas Sarkozy. Par un courrier en date du 11 mars, ce dernier, Me Thierry Herzog, a d’abord rappelé aux magistrats « les termes de l’article 67 de la Constitution qui interdisait toute audition sur un dossier que Monsieur Nicolas Sarkozy n’aurait pu connaître qu’en sa qualité de président de la République ». Les magistrats n’ignorant naturellement pas le statut d’irresponsabilité pénale du chef de l’État, ils ont fait un nouveau courrier à l’avocat pour lui préciser que leur curiosité portait sur une autre

En conséquence, Nicolas Sarkozy ne s’est pas présenté le 13 avril devant les juges. Ce dont ces derniers ont pris acte dans un courrier écrit le jour même, dans lequel ils contestent les objections avancées par Me Herzog : « Nous ne pouvons (…) que réfuter l’argument selon lequel seule la Cour de justice de la République serait compétente pour entendre Monsieur Sarkozy, en qualité de témoin, pour la période au cours de laquelle il était ministre. Rien ne s’oppose à l’audition d’un ancien ministre comme témoin par le juge ordinaire et plusieurs ex-ministres ont d’ailleurs été entendus dans la procédure. Au demeurant, l’audition prévue ce jour devait également porter sur les conditions dans lesquelles Monsieur Bernard Tapie a apporté son soutien à Monsieur Sarkozy pour l’élection présidentielle de 2007 et

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l’existence d’éventuelles contreparties, ainsi que sur des réunions tenues postérieurement à sa démission du gouvernement et avant l’élection de mai 2007, période au cours de laquelle il ne bénéficiait d’aucun statut particulier. »

a, pour tout dire, de bonnes raisons de penser que les raisons de cet arbitrage résultent d’un secret que Nicolas Sarkozy et Bernard Tapie ont en partage. Le 14 octobre 2015, les juges ont aussi placé sous le statut de témoin assisté l'ex-secrétaire général de l'Élysée, Claude Guéant, qui a joué un rôle majeur dans l'affaire en organisant dans son bureau, en juillet 2007, les premières réunions qui ont lancé l'arbitrage, puis en se mêlant des négociations autour des indemnités fiscales de Bernard Tapie (lire Comment Woerth a fait un cadeau de 58 millions d'euros à Tapie). Mais si Claude Guéant a fait tout cela, ce n'est vraisemblablement pas plus de son propre chef. C'est sans doute parce que l'ex-chef de l'État le lui a demandé.

« D’éventuelles contreparties »… D’une formule rapide, les juges d’instruction évoquent donc les questions de fond qui constituent l’énigme non encore résolue de cette affaire Tapie : si le cours de la justice ordinaire a été interrompu au profit d’un arbitrage, n’est-ce pas parce que Nicolas Sarkozy voulait rendre service à Bernard Tapie ? Et dans cette hypothèse, quels secrets les deux hommes ont-ils en partage ? Quel service Bernard Tapie aurait-il pu rendre à Nicolas Sarkozy qui justifie un pareil renvoi d’ascenseur ?

On comprend donc la démarche des juges. On la comprend d’autant mieux que, s’ils ne peuvent pas interroger Nicolas Sarkozy pour les instructions qu’il aurait pu donner en faveur de l’arbitrage du temps où il était président de la République, ils peuvent parfaitement lui demander de témoigner sur les mois précédant l’élection présidentielle, comme ils l’observent dans leur courrier. Or, le premier semestre 2007, juste avant l’élection présidentielle, est précisément une époque charnière dans l’histoire du scandale Tapie. D’abord, comme la justice l’a établi, Bernard Tapie rencontre Nicolas Sarkozy à de nombreuses reprises, alors que le candidat Sarkozy avait sans doute, en pleine campagne présidentielle, des tâches plus urgentes à accomplir que d’avoir des rencontres à répétition avec Bernard Tapie, lequel n’avait plus le moindre poids dans la vie politique, pas plus que dans la vie des affaires.

Il faut, certes, observer que les juges d’instruction ont procédé dans leur relation avec Nicolas Sarkozy avec beaucoup de précautions, car même si, dans ce courrier, ils évoquent « d’éventuelles contreparties », ils ne veulent entendre Nicolas Sarkozy que comme témoin – et pas comme témoin assisté ou encore moins mis en examen –, c’est-à-dire qu’ils estiment ne disposer d’aucun élément à charge contre lui. Et pourtant, cette formule sur les « éventuelles contreparties » pointe le problème majeur auquel la justice est confrontée : va-t-elle seulement sanctionner l’arbitrage frauduleux ? Ou bien va-t-elle parvenir à remonter la chaîne de commandement et sanctionner, si elle les identifie, les commanditaires de cet arbitrage frauduleux ? Or, jusqu’à présent, c’est seulement la première hypothèse qui s’est vérifiée : la justice n’est pas remontée très haut dans la chaîne de commandement. En tout cas, pas jusqu'au sommet de l'État.

Et puis, avant même l’élection présidentielle, c’est l’époque où s’accélèrent des préparatifs secrets (dont Mediapart a tenu ici le récit) en vue de lancer l’arbitrage, en cas de victoire de Nicolas Sarkozy : le Consortium de réalisation (CDR – la structure publique en procès avec Tapie) se dote d’un nouvel avocat, Me Gilles August, qui à la différence de ses confrères est favorable à un arbitrage. Lequel Gilles August rencontre secrètement le client de son adversaire… Bernard Tapie ; un mystérieux

Dans ses filets, elle a ainsi pris Christine Lagarde, et a renvoyé pour « négligence » l’ex-ministre des finances de Nicolas Sarkozy devant la Cour de justice de la République. Or, même si l’actuelle patronne du Fonds monétaire international (FMI) a toujours prétendu qu’elle n’avait jamais reçu d’instructions de l’Élysée pour décider d’aller vers l’arbitrage, on a naturellement de bonnes raisons d’en douter. On

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amendement est au même moment soumis au vote du Parlement pour rendre légal le recours à l’arbitrage pour les établissements publics.

assez logique que les magistrats cherchent à recueillir le témoignage de Nicolas Sarkozy sur cette époque décisive de l’affaire.

Bref, si la justice est sur les traces d’une « bande organisée », la fameuse « bande » est sans doute entrée en action dès le début de 2007 ; de nombreux indices laissent même à penser que des conciliabules ont commencé dès l’automne précédent. Il est donc

Maintenant que Nicolas Sarkozy a refusé de se rendre à leur convocation, reste à savoir ce que vont faire les magistrats. Vont-ils le contraindre à se présenter devant eux ? Dans le dernier courrier, ils disent juste qu’ils prennent « acte » de son refus.

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