Evolution de la ville et protection du patrimoine

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Evolution de la ville et Protection du patrimoine L'impact de la rénovation urbaine dans les quartiers centraux historiques d'Istanbul : le projet Tarlabasi 360 Master Architecture et Milieux - ENSA-Montpellier Janvier 2017 Marie CLAUDINOT sous la direction de Jean-Luc LAURIOL

Jury : Jean-Luc LAURIOL Frédéric SAINT-CRICQ Michel MARAVAL Pascale Alazetta



SOMMAIRE

REMERCIEMENTS..................................................................................................................................4 AVANT-PROPOS.....................................................................................................................................5 INTRODUCTION.................................................................................................................................... 6 I/ Contexte théorique......................................................................................................................... 12 1) Une ville aux multiples visages............................................................................................. 12 a- Une ville palimpseste...................................................................................................12 - Une ville construite par couches..........................................................................12 - Les évolutions de la maison traditionnelle.......................................................... 16 b- Une protection du patrimoine contradictoire.............................................................24 - Les instances du patrimoine................................................................................ 24 - Une vision économique du patrimoine............................................................... 29 2) Tarlabasi, un quartier particulier...........................................................................................32 a- Des caractéristiques fortes.......................................................................................... 32 - Un quartier ancien................................................................................................ 32 - Un quartier isolé................................................................................................... 38 b- Analyse générale du bâti............................................................................................ 43 - Analyse urbaine et architecturale du quartier.....................................................43 - Un quartier dans un état de délabrement avancé...............................................46 II/ Les enjeux et risques du projet Tarlabasi 360................................................................................51 1) Une refonte du tissu urbain et des typologies......................................................................51 a- Les objectifs et acteurs du projet................................................................................ 51 - Les objectifs..........................................................................................................51 - Les acteurs du projet............................................................................................53 b- Une évolution urbaine.................................................................................................57 - Un changement dans les fonctions du quartier...................................................57 - Un changement dans le rapport entre espace public/collectif et privé..............60


2) Le patrimoine en péril............................................................................................................64 a- De nouvelles attentes pour la ville................................................................................ 64 - Une apparence nouvelle...................................................................................... 64 - De nouvelles typologies....................................................................................... 66 b- Répondre à de nouvelles influences urbaines et architecturales................................71 - Le néo-ottomanisme............................................................................................ 71 - Une logique de mondialisation............................................................................ 72 CONCLUSION...................................................................................................................................... 78 BIBLIOGRAPHIE...................................................................................................................................82 ANNEXES.............................................................................................................................................86 Annexe 1 : Interview Jean-François Pérouse, Directeur de l'Observatoire d'Urbanisme d'Istanbul (OUI) – Janvier 2016........................................................................................................................... 86 Annexe 2 : Interview Aysegul Cankat, Professeur à l'école d'architecture de Grenoble – Octobre 2016.................................................................................................................................................... 90 Annexe 3 : Grille d'analyse du projet..................................................................................................93



REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier tout d'abord et particulièrement mes amis turcs qui m'ont beaucoup aidée tout au long de mes recherches que ce soit dans ma quête de documents ou dans leur traduction. En effet, je n'aurais jamais pu comprendre de façon si complète les enjeux et les problématiques de ce pays sans leur précieuse aide. J'exprime également toute ma reconnaissance aux Stanbouliotes pour leur accueil, leur gentillesse et leur bienveillance. Ils ont su susciter mon intérêt pour leur culture et leurs modes de vie enrichissants et uniques. Ils sont à l'origine de ma passion pour ce sujet de recherche. De même, je voudrais remercier l'ENSA-Montpellier qui m'a permis de partir étudier à Istanbul dans le cadre du programme ERASMUS, ce qui m'a donné l'envie de m'intéresser et de développer cette problématique très urbaine au travers d'un mémoire. Je voudrais aussi remercier ma mère qui m'a soutenue tout au long de ce travail et particulièrement au cours du travail de rédaction. Je remercie également mon directeur de mémoire et professeur, Jean-Luc LAURIOL qui m'a orientée, conseillée et aidée dans la réalisation de ce mémoire. Enfin, je tiens à remercier le personnel de l'Institut Français d'Etude Anatolienne (IFEA) et particulièrement Jean-François PEROUSE, son directeur, pour m'avoir accueillie pendant une semaine dans ses locaux, donné accès à ses banques de données et su se rendre disponible pour répondre à toutes mes questions. De même, je voudrais remercier Aysegul Çanktat qui m'a consacré une partie de son temps libre pour m'orienter dans certaines de mes recherches. Ce mémoire vient ainsi dignement conclure un séjour inoubliable d'une année à Istanbul.

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AVANT-PROPOS

Ce mémoire a été écrit pendant mon Master à l'ENSA-Montpellier, Master ayant suivi une 3e année de Licence que j'ai passée à Istanbul grâce au programme ERASMUS. Suite de cette expérience très enrichissante dans cette ville, qui, après analyse, se trouve être très lointaine des enjeux et attentes architecturales et urbaines que l'on peut avoir en France, j'ai voulu interroger un phénomène contemporain qui a de grandes conséquences sur la ville : les politiques de rénovation urbaine. La ville d'Istanbul est très exposée aux politiques de rénovations urbaines qui refondent totalement le tissu urbain et donnent un nouveau paysage à la ville. Aujourd'hui on assiste à une opération assez particulière qui soulève beaucoup d'interrogations au sein des différentes instances de Turquie: le projet Tarlabasi 360. Ainsi, ce phénomène a des conséquences multiples ; tant sociales et politiques qu'architecturales. Ayant trouvé peu d'études architecturales sur le projet Tarlabasi 360, j'ai décidé d'approfondir cette question de la rénovation urbaine en analysant ce dernier d'un point de vue architectural et urbain. En effet, bien qu'il s'implante tout d'abord dans un contexte social et politique, il a des conséquences importantes sur l'urbanisme et l'architecture du quartier et, par extension, sur la ville.

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INTRODUCTION

Istanbul, capitale de fait culturelle, économique et financière de la Turquie, s’est considérablement développée et modernisée depuis les années 1980 pour devenir une mégapole d’importance mondiale. En effet, la ville a vu sa population multipliée par 5 en 60 ans pour atteindre, aujourd’hui, plus de 19 millions d’habitants et ainsi s’inscrire au rang des villes les plus peuplées du monde. Cette fulgurante augmentation démographique, due principalement à la période d’exode rurale des années 1945-1950, a donc soulevé, dans un premier temps, le problème du logement. Celui-ci a été réglé par la légalisation de nombreux gecekondu (traduire littéralement “bâti construit en une nuit”, -comprendre bidonville turc-), mais également par la construction d’habitat aux typologies nouvelles aux abords de la ville, repoussant ainsi toujours plus loin les limites de cette dernière. Malheureusement, cette croissance urbaine n’est pas sans risque et confronte la ville à des enjeux de taille. En effet, la ville d'Istanbul se heurte au développement tentaculaire qui l'a amenée aujourd’hui au seuil critique qui pose la question de sa viabilité si elle continue à se développer ainsi. C’est pourquoi la Mairie s’intéresse de plus en plus aux espaces centraux, qui pourraient permettre de loger bien plus d’habitants qu’aujourd’hui. De plus, avec le développement des transports en commun, le centre historique devient plus attractif et reprend sa position centrale dans la ville. Les populations riches le convoitent alors pour ses nombreux avantages, dont celui de la proximité : habiter près de toutes commodités est un atout extraordinaire dans une ville positionnée 3e au classement global 2015 des villes les plus congestionnées du monde 1.

Ce mémoire a donc pour objet de recherche le centre historique d’Istanbul. Ainsi, aujourd’hui, le centre est le principal enjeu de l’urbanisation de la ville, bien qu’il ne représente que 5% de la superficie totale de cette mégapole grande comme Paris plus agglomération. Ce centre attractif pour des raisons économiques et touristiques, est aujourd’hui également attirant pour la capacité de densification qu’il représente. Ainsi, les quartiers centraux anciens sont de plus en plus convoités par les investisseurs privés qui voient alors en Turquie une aire d'opportunité. Ils sont donc soumis à de nombreuses campagnes de rénovation urbaine auxquelles nous nous intéresserons avec l’exemple très particulier du projet Tarlabaşı 360. Ainsi, la rénovation urbaine se définit comme « Le fait de faire du passé table rase pour édifier selon les normes en vigueur (…) La rénovation, alias démolition-reconstruction, se fait presque toujours au détriment des populations en place. Il en résulte d’importants changements de statut fonctionnel et social de l’espace » 2 Ce terme de rénovation urbaine ne doit pas être confondu avec les termes de restauration et de réhabilitation. La restauration désigne « un rapport admiratif ou fasciné au passé qui vise la conservation d’une série de bâtiments et implique une action de reconstruction à l’identique. Avec la montée

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Classement Tom-Tom annuel des villes les plus embouteillées du monde

2 LEVY Jacques, LUSSAULT Michel, Dictionnaire de la géographie de l'espace et des sociétés, 2013

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Illustration 1: Tableau statistique de l'évolution de la population d'Istanbul de 1927 à 2000 On remarque que durant cette période la population a été multipliée par 12 passant de 806.863 à 10.018.735 habitants. SOURCE: Graphique tiré des archives de l'IFEA

Illustration 2: Développement d’Istanbul : de Byzance à nos jours On remarque qu'Istanbul est victime de son accroissement démographique qui engendre une expansion fulgurante de la ville détruisant alors le paysage très vert du Bosphore pour le remplacer par un horizon de gratte-ciels tous plus hauts les uns que les autres. SOURCE: UNSAL Fatma, The evaluation project of typologies in Istanbul; from conspiring dialogues to inspiring trialogues, 43e congrès ISoCaRP 2007

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des pratiques de mise en valeur à des fins, notamment, ludiques et touristiques, la restauration s’insère dans des espaces urbains appréhendés comme décor (…). La restauration est ainsi devenue, à la faveur de la montée en puissance du souci patrimonial, un instrument majeur de l’aménagement urbain (…). Dans un contexte de regain d’intérêt pour les espaces historiques, elle a été (et reste, car son utilisation continue à être intensive) un levier de « gentrification » des périmètres centraux longtemps dégradés et paupérisés et a permis la réalisation d’importantes plus-values immobilières. »3 La réhabilitation, qui se situe entre la restauration et la rénovation urbaine consiste en « une opération de rétablissement d’édifices ou d’un ensemble d’immeubles dans ses capacités à abriter des activités et des habitants. Les principales caractéristiques héritées de l’objet traité sont alors préservées et insérées dans un nouveau fonctionnement mieux adapté au présent. »4 On parle donc de réhabilitation pour toute intervention sur le bâti sans destruction mais avec une amélioration de l’existant sans pour autant reproduire à l’identique le passé.

En Turquie on trouve principalement des campagnes de rénovation urbaine qui modifient drastiquement le paysage de la ville. Ainsi, ces campagnes de rénovation urbaines ont réellement commencées à Istanbul à l'arrivée de Recep Tayyip Erdoğan en tant que Maire de 1994 à 1999. La ville a en effet totalement changé en s'imposant une nouvelle politique urbaine et est alors rentrée dans une phase de modernisation accélérée qui a fait beaucoup de dégâts à l'intérieur du tissu urbain historique. Dès cette époque, le parti de l'AKP dont Recep Tayyip Erdogan fait partie, a voulu redonner à Istanbul sa grandeur et sa magnificence des temps Ottomans, en se fixant l'objectif de l'Hedef 2023, comprendre la célébration des 100 ans de la république turque. Pour atteindre cet objectif qui, concrètement, signifie faire partie des dix premières économies mondiales, ce parti politique aujourd'hui au pouvoir a misé et mise encore sur Istanbul. Les grands projets monumentaux se cristallisent donc dans cette ville qui concurrence totalement la capitale, Ankara, et qui empêche toutes les autres villes moyennes de Turquie de se développer. On peut mentionner que ce changement dans la politique d'urbanisation d'Istanbul et du pays en général est en totale contradiction avec ce qui avait été opéré auparavant avec Mustapha Kemal Ataturk. Ainsi, aujourd'hui, Istanbul génère 40% des recettes fiscales du pays et abrite 1/4 de la population.5 De même, pour propulser la ville au premier plan des villes monde, de grands projets « vitrine » se construisent comme le troisième aéroport international. On assiste donc à la transformation du processus d’urbanisation qui adopte un profil néolibéral. Ce nouveau processus est, entre autre, basé sur la production incontrôlée de bâti soutenant alors l’économie du pays et sur la gentrification des centres. Une des conséquences est alors la création d'une bulle financière installée sur l’économie du bâtiment (30 % du PIB du pays est aujourd'hui créé par l'industrie du bâtiment), bulle risquant à tout moment d’éclater. On peut noter qu'en 2000, l’Institut National des Statistiques a estimé le nombre de logements dans le département d’Istanbul à 3.393.000 unités soit une augmentation de 146,2% depuis les années 1980. De plus, en 2012,

3 Idem 4 Idem 5 MORVAN Yoann & LOGIE Sinan, Istanbul 2023, Collection TERRITOIRES, 2014

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les ventes de logements ont baissé de 26% en raison de la crise économique mondiale et le nombre de logements vacants a atteint les 700.000 en 2010, preuve de l’instabilité de ce processus néolibéral d’urbanisation.6 Finalement, depuis la naissance de la Turquie, la tendance est à la modernisation d'Istanbul pour que le pays trouve sa place sur l'échiquier mondial malgré toutes les concessions urbaines et politiques que ce choix puisse avoir. “Transform Istanbul in a tired city whose glory resided in past history, into a metropolis full of promise for the XXI century” Dalan (Maire d'Itanbul entre 1984 et 1989) 7 Ainsi, la grentrification est un terme qui a été proposé en 1963 par Ruth Glass, sociologue marxiste, pour désigner le processus nouveau observé dans le centre ville de Londres combinant la réhabilitation de l’habitat, l’installation de classes aisées et l’éviction des populations en place. Ainsi, dans son sens premier, la gentrification désigne « le processus à travers lequel des ménages appartenant aux couches moyennes et supérieures s’installent dans des vieux quartiers populaires situés au centre-ville, réhabilitent l’habitat vétuste et dégradé et remplacent progressivement les anciens habitants »8. Le mot “gentrification” vient alors du terme « gentry » qui signifie petite noblesse. La définition de cette notion polysémique ne cesse d’évoluer au cours des années et s’est élargie à d’autres processus comme celui de « revitalisation des centres urbains dégradés et d’élitisation des villes »9, à d’autres espaces (résidentiels, commerciaux, publics) et également à d’autres catégories de populations. Aujourd’hui la notion de gentrification désigne « aussi bien des processus de renouvellement social et de transformation du bâti observables à l’échelle d’un quartier que des politiques mises en œuvre par certaines villes pour attirer en leur centre des élites, dans un triple contexte de restructuration des économies capitalistes, de concurrence inter-villes et de diffusion des nouvelles théories du développement économique local, en recourant parfois pour cela à des opérations de construction neuves, auquel fait référence l’expression récente de new-build gentrification.»10. David Ley, géographe britannique interprète alors ce phénomène en émettant l’hypothèse d’un lien entre la gentrification et les transformations de la société aux niveaux économique, démographique et social. Il explique les évolutions des dynamiques urbaines par la tertiarisation de la ville et par l’apparition d’une classe émergente recherchant une

6 ŞEHIR Ucu Olmayan, « Ekümenopolis, a documentary film about Istanbul », 2012 7 LOPEZ Annabelle, Projet de rénovation urbaine des quartiers de Fener et Balat à Istanbul : Instrumentalisation du patrimoine en vue de re-configurer la péninsule historique,Université Paris-Est Marne-la-Vallée, 2009-2010, p 8 Traduction : Transformer Istanbul d'une ville fatiguée où la gloire réside dans le passé, en une métropole pleine de promesse pour le XXIe siècle. 8 AUTHIER Jean-Yves et BIDOU-ZACHARIASEN Catherine, Editorial: La question de la gentrification urbaine, Espaces et société, 2008, p13-21 9

AUTHIER Jean-Yves et BIDOU-ZACHARIASEN Catherine, Editorial: La question de la gentrification urbaine, Espaces et société, 2008, p13-21

10 Idem

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architecture, un style de vie particulier et une diversité ethnique dans leur lieu de résidence. Cette interprétation est tout à fait différente mais non moins juste que l’interprétation de Neil Smith, lui aussi géographe, qui aborde le phénomène de gentrification en fonction de la théorie du « différentiel de loyer », c’est à dire, en analysant l’offre immobilière et en privilégiant le rôle des acteurs privés et leur recherche de profit « les gentrifieurs seraient attirés par les valeurs foncières les plus faibles qui ont le potentiel de valorisation le plus élevé et leur principale motivation serait le profit. Les gentrifieurs n’iraient jamais investir gratuitement dans des quartiers dévalorisés. »11 Cette dernière analyse pose le phénomène de gentrification complètement dans la dynamique capitaliste qui règne actuellement à Istanbul et qui est la cause de grandes transformations dans la municipalité de Beyoglu depuis quelques années. Le projet Tarlabasi 360 en est l'exemple. En effet, il illustre bien ce qu'on appelle la “new buid gentrification”: un projet « lanceur » impulsant ce phénomène de gentrification dans cette partie de Beyoglu qui n’est pas touchée par la dynamique globale du quartier.

Mais cette nouvelle approche dans la politique urbaine et les politiques de rénovation amène alors à la création de nouvelles typologies qui peuvent mettre en danger le patrimoine urbain existant. Le patrimoine désigne selon le dictionnaire É.Littré, « un bien d’héritage qui descend suivant les lois, des pères et des mères aux enfants. » L’expression patrimoine historique désigne quant à elle « un fond destiné à la jouissance d’une communauté élargie aux dimensions planétaires et constituée par l’accumulation continue d’une diversité d’objets que rassemble leur commune appartenance au passé : œuvres et chefs d’œuvre des beaux arts et des arts appliqués, travaux et produit de tout savoir-faire des humains. Dans notre société errante, que ne cessent de transformer la mouvance et l’ubiquité de son présent, « patrimoine historique » est devenu un des maîtres mots de la tribu médiatique. Il renvoie à une institution et à une mentalité. »12 Ainsi, il est intéressant d'étudier la relation entre évolution de la ville et conservation du patrimoine en Turquie car le pays n'a pas du tout la même approche que celle de la France. En effet, en France, nous sommes plus dans une logique de patrimonialisation car nous nous construisons sur les fondations de notre histoire tandis qu'en Turquie la volonté serait plutôt « d'oublier pour se reconstruire »13. Ainsi, en Turquie, on donne la priorité à l'évolution de la ville qui doit pouvoir s'adapter aux modes de vie. « En Turquie, on préfère cultiver la mémoire plutôt que cultiver le patrimoine. »14 Le projet Tarlabasi 360 servira alors d'illustration pour expliquer cette façon différente d'aborder le patrimoine. Nous allons, par le biais de l'analyse du projet tenter de savoir si la

11 Sous la direction de Gille Pinson, La gentrification: un phénomène urbain complexe et son utilisation par les pouvoirs publics, Cité territoire gouvernance, 2009, p.3 12 LEVY Jacques, LUSSAULT Michel, Dictionnaire de la géographie de l'espace et des sociétés, 2013 13 ABDULLAHI Fellanza, 2010 14 GOMENGIL Kader Kemal, Comment vivre et construire un patrimoine historique dans un contexte métropolitain en forte mutation urbaine ?, OUI, [En ligne] 2003

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notion de protection du patrimoine est réellement adéquate au contexte du projet et plus généralement, essayer de comprendre si cette notion est ou pas un frein à l'évolution de la ville et à son adaptation aux nouveaux modes de vies. En effet, ce projet est particulièrement intéressant à étudier car il s'implante dans un quartier central, historique, de la ville qui a déjà beaucoup évolué depuis la fin du XIXe siècle. Il a donc un statut spécifique au regard de la conservation du patrimoine. De plus, il soulève beaucoup d'interrogations et de critiques. Tout au long de ce travail de recherche, il s’agira donc, dans un premier temps, d'analyser le contexte du projet pour ensuite, dans un second temps, mettre au jour les enjeux du projet Tarlabasi 360 et les risques qu'il fait peser sur la protection du patrimoine. Ce mémoire sera surtout axé sur les notions relatives à l'urbanisme, l'architecture et le patrimoine même si le sujet des rénovations urbaines touche à bien d’autres domaines comme celui des sciences politiques et sociales. En effet, la question de la rénovation urbaine de Tarlabasi ayant déjà été explorée avec un regard sociologique et politique, elle n'a, pour autant, jamais été observée du point de vue d'un architecte, qui est pourtant une personne ayant une place prépondérante dans cette réflexion. C'est pourquoi j'ai fait le choix de me concentrer uniquement sur l'étude architecturale et urbanistique de ce rapport entre rénovation urbaine et conservation du patrimoine pour, d'une part, limiter le cadre de recherche, et, d'autre part, pouvoir soutenir un propos juste et impartial.

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I/ Contexte théorique 1) Une ville aux multiples visages a- Une ville palimpseste Istanbul, ancienne capitale de l'empire Romain (330–395), Byzantin (395–1204 et 1261–1453), Latin (1204–1261) puis Ottoman (1261-1923) est une ville qui s'est construite au fil des conquêtes et des guerres de religion. Ainsi, de part son emplacement géographique, Istanbul était une ville carrefour considérée comme une des plus influentes du monde de l'époque : les différents courants de pensée et artistiques se sont alors rencontrés pour construire une ville aux multiples visages. «Constantinople; il n'y a point de ville sur terre que l'on puisse comparer pour son assiette, ni qui soit située plus avantageusement, pour dominer une grande partie de cet hémisphère »15.

- Une ville construite par couches Cette histoire bien spécifique a engendré un urbanisme très particulier. On peut alors définir Istanbul (anciennement Byzance ou encore Constantinople), comme une ville palimpseste, c'est à dire, une ville qui s'est construite par couches qui se sont superposées ou complétées sans qu'aucune ne vienne totalement effacer la précédente. Le mot palimpseste désigne, selon le dictionnaire Larousse, les “manuscrits sur parchemin d'auteurs anciens que les copistes du Moyen Age ont effacé pour recouvrir d'un second texte.” En architecture, ce terme désigne un bâtiment ou dans un sens plus large, un quartier, dont l'état actuel peut laisser supposer et apparaître des traces d'une architecture passée. D'une façon générale, toute grande ville, toute mégapole peut-être considérée comme une ville palimpseste mais à des degrés différents. “La ville est à l’image d’un palimpseste urbain : elle est une stratification à la fois temporelle et spatiale, mais aussi sociale (Mongin, 2005). Elle implique des logiques duales entre reproduction et anticipation (Roncayolo, 2002), entre permanence et substitution (Devillers, 1998) ou encore entre sédimentation et modernité (Masboungi, 2001). Cette ville, en tant que palimpseste urbain, traduit la résistance de l’habiter face à l’acte de projeter et de construire (Younès, 2001). Cette permanence est celle de la mémoire, de la sédimentation ancienne de la ville, alors que la substitution concerne le changement et le renouvellement de la ville.”16

15 LE ROY, Julien-David. Les ruines des plus beaux monuments de la Grèce, 1758

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Ainsi, malgré les catastrophes urbaines qu'Istanbul a traversé et qui ont détruit une partie du tissu urbain ancien, on peut dire que la ville est une ville palimpseste. En effet, on peut tout d'abord citer l'exemple de nombreux monuments qui se sont vus transformés pour être utilisé par chaque civilisation au cours des siècles comme, par exemple, Aya Sofia (Sainte Sophie) qui s'est vue convertie d'Eglise en Mosquée. Mais bien plus que des monuments, la ville est à elle seule un palimpseste où chaque quartier se répond, se contredit en fonction de l'époque où il a été construit. Ceci est du principalement au fait que la ville soit très étendue et qu'elle s'est construite petit à petit. De même, à l'intérieur de chaque quartier, il n'est pas rare de voir différents styles, différentes époques côte à côte se mêler. Ainsi, on peut souvent observer des bâtiments qui ont été agrandis par la construction d'annexes sur le toit : le but étant de densifier le centre-ville, on construit la ville sur la ville. Egalement, il n'est pas anormal de voir se construire, dans les interstices urbains, des projets démesurés qui confrontent passé et futur. La ville finie par perdre son style architectural ottoman qui en faisait sa réputation et sa particularité, pour se transformer en un vaste capharnaüm dû au mélange des styles. Cette hétérogénéité architecturale de la ville en fait alors sa réputation. « Athènes, Rome, Constantinople, Paris, constituent des idées de villes qui transcendent leur forme physique, aussi bien que leur permanence; c’est en ce sens que nous pouvons parler de villes dont il ne reste que très peu de signes. »17

Historiquement, Istanbul a gardé des vestiges du passé de chaque période qu'elle a traversée. La Constantinople médiévale, par exemple, conservait des vestiges de l'antiquité. Mais à cette époque on remarquait quelques manques dans l'urbanisation du aux réglementations que s'imposaient la ville pour conserver ces derniers. En effet, la Constantinople médiévale était constituée d'une agglomération très éparpillée où l'on trouvait plus d'espaces vides que construits car les monuments historiques conservés étaient souvent entourés d'une zone de « non-droit » où rien ne pouvait être planifié. On constate donc, que, jusqu'à aujourd'hui, l'évolution d'Istanbul ne s'est jamais faite dans une logique de « tabula rasa »18 mais plus sur la base d'une lente évolution prenant en compte les contextes politiques, économiques et culturels. « On pourrait affirmer en vérité qu'aucune ville n'est entièrement ancienne ni entièrement nouvelle. Les villes anciennes ont toujours subi au cours des siècles des rénovations substantielles et les villes nouvelles naissent presque toujours à partir d'un noyau pré-existant dans le prolongement d'une vie urbaine entamée longtemps auparavant. »19

16 DEJOLIVET, Les logiques duales d'une ville stratifiée, Temporalité, [En ligne] 2013 17 ROSSI Aldo, L'architecture de la ville, Archigraphy, 2001 (Traduction Françoise Brun), p.175 18 Le terme de Tabula Rasa est un terme latin venant de l'antiquité pouvant désigner, dans un sens contemporain, le fait de faire du passé table rase. 19 GIOVANNONI, Gustavo, L'urbanisme face aux villes anciennes, 1998

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Malheureusement, aujourd'hui, ce principe de ville palimpseste est remis en question. En effet, le pays a du mal a se référer à son passé multiple et ne voit donc pas l'intérêt de sauvegarder tous les apports historiques laissés par chaque civilisation ayant occupé Istanbul. De plus, le patrimoine est vu différemment par la société turque : le passé doit pouvoir servir le présent, sinon celui-ci peut disparaître pour laisser place à la modernité. Ainsi, quand il s'agit de construire un nouveau bâtiment dans le tissu historique, le plus souvent, toute l'historicité du quartier n'est pas préservée : tellement d'époques se chevauchent qu'il est difficile de les respecter toutes. Malgré tout, et selon les préceptes actuels de protection du patrimoine imposés par l'ONU, il faudrait tenter de toutes les protéger car ce sont elles qui donnent leur authenticité à la ville. Malheureusement, les projets prennent souvent des raccourcis qui mettent en danger certains apports historiques, surtout le patrimoine minoritaire, pour mettre en exergue le patrimoine ottoman et servir la vision capitaliste de la ville. Cette façon capitaliste de voir la ville au détriment du patrimoine est la raison qui a engendré les émeutes de Gezi Park en 2013. En effet, c'est avec le projet de la place Taksim que les habitants ont compris qu'ils n'avaient pas de pouvoir sur la ville et que seules les administrations décidaient de l'évolution de cette dernière. Ainsi, de nombreux habitants sentent aujourd'hui leur urbanité menacée par l'emprise croissante de grands projets menés par un système néolibéral qui ne leur laisse pas les moyens d'agir et de choisir la façon dont ils voudraient que la ville évolue. En effet, la Turquie fait face à un gouvernement tout puissant qui utilise les terrains et les domaines de construction pour promouvoir et vendre Istanbul à l'international. Mais cette production néolibérale de l’habitat contribue à creuser les inégalités dans la population. Une des conséquences est la tertiarisation de la ville qui remet alors en question le principe de droit à la ville : le pauvre n'a plus sa place à Istanbul (d'autant que la ville veut faire augmenter les prix du m² pour les alignés à ceux des grandes capitales européennes), on l'évince du centre en lui construisant des cités dans l'agglomération. Le projet Tarlabasi 360 en est le parfait exemple. “It is very likely that these will end up like the banlieues in France," said Adanalı” dans The Guardians20. Le terme de droit à la ville a été défini par Henri Lefebvre en 1968 pour expliquer en partie les émeutes et les raisons de la grogne de cette année là en France. Il exprime l'idée que chacun doit pouvoir avoir une emprise sur l'urbanisation de sa ville et avoir un pouvoir de décision. Aussi, plus qu'un droit à la ville, c'est un droit à un choix de mode de vie que ce terme défend. Le droit à la ville touche donc aussi à la notion de protection du patrimoine et à toutes notions ayant un impact sur l'urbanisation et sur la vie des personnes dans la ville. En conséquence, si le concept de ville palimpseste n'est pas respecté en son entier, ce droit à la ville peut également être remis en question. “[A propos des émeutes de Gezi Park]En Turquie, ce droit à la ville passe par une

20 LETSCH Constanze, Turkey's giant construction projects fuel anger of Istanbul residents, The Guardians, [En ligne] 7 Juin 2013 Traduction: Il semble vraiment que cela va finir comme les banlieues en France, dit Adanali

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lutte contre la standardisation des espaces publics, qu’il s’agisse des parcs ou des malls, tous deux standardisés et répétés partout, présentés comme les symboles de la salubrité et de la réussite sociale. Pour les manifestants les plus conscientisés, la ville ne doit pas être un simple espace stratégique d’accumulation du capital (ce qui est le cas du mode de production actuel de la ville en Turquie) mais un espace de vie à habiter, et à habiter bien, en ayant un accès raisonnable à tout ce qui est nécessaire pour mener une vie urbaine décente. Selon Purcell, une des marques du droit à la ville est le droit d’appropriation, c’est-à-dire le droit à être physiquement présent dans un espace matériel déjà existant (Purcell, 2008). Les manifestants en Turquie ont cherché par tous les moyens à occuper l’espace public, à se l’approprier pour revendiquer leur droit à l’occuper. Occuper l’espace physique en premier lieu, en campant sur le place Taksim, en manifestant dans les rues, en discutant sur des marches ; mais également occuper l’espace visuel (drapeaux, lumières) et l’espace sonore (concert de casseroles), les trois principaux éléments constitutifs de l’espace public perçu. Boire un verre d’alcool dans la rue à la nuit tombée en chantant avec ses amis est ainsi devenu une marque de défiance au pouvoir et un acte fort de résistance par l’appropriation totale de l’espace public.“21 Ainsi, la question du droit à la ville se pose actuellement avec le projet Tarlabasi 360 par la remise en question du concept de ville palimpseste. En effet, ce projet est accusé de vouloir détruire le patrimoine du quartier pour homogénéiser la zone avec le reste de la ville. Istanbul n'est pas une ville palimpseste figée comme pourraient l'être certaines capitales européennes qui protègent leur patrimoine jusqu'à la muséification. Istanbul est dynamique et évolue chaque jour grâce à son passé qu'elle adapte au présent pour pouvoir construire son futur. La vision turque du patrimoine permet donc à la ville d'être le reflet de l'évolution de sa société. En effet, le monde change très vite et c'est dans la cité que l'on peut remarquer le plus facilement ces changements. L'urbanisme et l'architecture peuvent alors être les témoins de ces évolutions qui permettent de créer de nouveaux espaces urbains mais aussi de nouvelles pratiques urbaines qui imposent alors de nouvelles façons de vivre la ville. L'évolution des typologies architecturales et des fonctions urbaines, sont des exemples possibles de cette évolution. Elles sont souvent dues aux projets de rénovation urbaine qui, actuellement, pullulent dans tout Istanbul. Ces projets font donc partie de cette dynamique qui permet d'éviter à la ville de tomber dans l'écueil de la « ville musée ». Néanmoins, Istanbul a failli tomber dans cet écueil en 2010, lorsqu'elle a été désignée capitale de la culture. A ce moment là, de grandes campagnes de restauration ont été lancées mettant alors en danger le patrimoine urbain. En effet, la mairie d'Istanbul préférant un tissu urbain neuf reconstruit à l'image de l'ancien qu'un tissu urbain original montrant les marques du temps, la ville a bien failli perdre totalement son historicité au profit du formalisme et du mimétisme, sujet que nous développerons plus en détail par la suite.

21 MONTABONE Benoit, Droit à la ville et contestation de l’ordre moral urbain en Turquie, EchoGéo, [En ligne] 2013

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« La protection de ce patrimoine ne se fait pas correctement dans la mesure où la restauration et le fac-similé ont parfois fait disparaitre des usages qui participaient à donner de la valeur au patrimoine. On essaye alors de reconstruire le patrimoine même si celui-ci n'a jamais existé. »22

Finalement, Istanbul, à force de vouloir lutter contre cette tendance à la muséification qui sévit dans toutes les villes d'Europe, perd l'essence même de son patrimoine en le mettant à la merci des promoteurs qui veulent faire de la ville un produit économique à vendre au plus offrant. Cette vision de la ville néo-libarale permet d'attirer des investisseurs étrangers qui trouvent en Turquie une aire d'opportunité. Ce processus ouvre donc la ville à la spéculation immobilière qui créé une urbanisation en ilots très répétitive, appauvrissant alors le style et les typologies architecturales, contribuant à détruire le paysage urbain et constituant un danger environnemental : pour construire et étendre la ville on rase les forêts et on prend beaucoup de risques avec les sources d'eau.

- Les évolutions de la maison traditionnelle Laisser la ville évoluer permet au bâti et donc aux typologies d'habitat de s'adapter aux changements de mode de vie des habitants. Ainsi, la typologie de la maison ottomane a beaucoup évolué depuis le XIIe siècle. Traditionnellement, la maison ottomane était une construction large et profonde, généralement en bois et torchis avec de nombreux décrochés en façade dus aux encorbellements sur rue, chapeautée par une toiture débordante et implantée dans un tissu urbain aéré sur une grande parcelle irrégulière et végétalisée. La maison ottomane ne communiquait pas directement avec la rue qui était souvent très réduite : l'espace public n'étant pas un lieu de vie commun à l'époque. Une cour privée, le plus souvent desservie par une impasse, venait toujours créer un espace tampon entre les espaces publics et privés. Aussi, la maison ottomane respectait les préceptes islamiques : les maisons étaient orientées en direction de la Mecque. L’organisation de la ville répondait également à ces préceptes : les déplacements des hommes et femmes étaient organisés selon les rites religieux ce qui amenait une multiplication des impasses. « The islamic principle of privacy of women (hence privacy of the family) was another important factor in the formation of the neighborhood structure. The search for the maximun segregation of individual houses within a dense urban setting led to the organisation of residentian pockets around dead-end streets, which acted as semipublic paths. » 23

22 CANKAT Ayşegül, Le mythe du patrimoine minoritaire, Séminaire "Mémoires et mobilités urbaines", 2011, archives de l'IFEA 23 ÇELIK, Zeynep, The remaking of Istanbul : Portrait of an ottoman city in the nineteenth century, Paperback, 1993, p.8 Traduction : Le principe islamique de respect de la vie privé de la femme (et par conséquent de celle de

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Illustration 3: Evolution du plan de la maison ottomane Ce qui a changé en premier dans le plan de la maison ottomane est la circulation entre le collectif et le privé et donc la forme du sofa. SOURCE : PINON Pier et BORIE Alan, Portrait de Ville : Istanbul, Cité de l'architecture et du patrimoine/Institut français d'architecture 2010c

la famille) était un des facteurs importants dans la formation structurelle du voisinage. La recherche de la partition maximum de la maison individuelle, malgré la forte densité du quartier, a mené à la création de poches résidentielles autour des impasses agissant comme des chemins semi-publics.

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Le rez-de-chaussée des maisons était construit en moellon et l’étage en bois. L'étage était le plus souvent à encorbellement. Le rez-de-chaussée était destiné aux employés de maison. On accédait à l’étage par un escalier extérieur. A l’intérieur, les pièces étaient distribuées par un salon central (sofa). Il y avait des fenêtres hautes avec vitrages pour la lumière et des fenêtres basses avec volets pour la ventilation et la vue. Mais cette typologie n’était pas la seule en vogue à l'époque. En effet, les maisons grecques « phanariotes » étaient également très présentes. Ces maisons en brique et pierre, elles aussi à encorbellement, disposaient d’une cour arrière où se faisaient les circulations. Ces maisons étroites et profondes, ont résisté aux incendies grâce à leurs matériaux de construction et certaines existent encore aujourd’hui. Les modifications de la maison ottomane se sont d'abord principalement observées sur la façade. Les modénatures se sont transformées pour prendre des motifs occidentaux de style classique, grec, renaissance puis art nouveau. De même, la façade donnant sur la rue s’est progressivement percée avec des fenêtres mais aussi des portes pour relier directement la maison à l’espace public. Cette modification dans le rapport à la rue a donc beaucoup contribué à l’évolution du plan intérieur. Les plus gros changements dans la typologie traditionnelle de la maison ottomane se sont alors observés à partir du XIXe siècle. En effet, durant la période des Tranzimats24 l’organisation de la maison et son architecture ont évolué pour différentes raisons. La première raison est l'avancée dans la reconnaissance des minorités. En effet, l'empire ottoman, à cette époque, reconnaît et donne tous leurs droits aux minorités, dont celui d'exercer le métier d'architecte. Les architectes grecs et italo-levantins vont alors intégrer au style turc-ottoman leurs influences culturelles. La deuxième raison est le développement des contacts entre les pays grâce aux voyages, aux invasions et aux guerres, ainsi que les échanges entre universités qui permettent aux populations d’aller voir ce qui se passe dans toute l’Europe et qui contribue alors à l'évolution du style. On assiste donc, à cette époque, à une occidentalisation de la maison ottomane, principalement visible dans les quartiers de Péra, Galata et Tarlabasi qui abritaient l'élite turque. En effet, d'un point de vue architectural, ces quartiers riches étaient des laboratoires de développement de style pour les architectes de l'époque. La troisième raison est la diversification des commanditaires. En effet, les commanditaires ont toujours joué un grand rôle dans la modification des styles et des programmes architecturaux. Ainsi, l'empire ottoman étant bien plus enclin à accueillir les minorités, beaucoup de gens venant de toute l'Europe s'installent à Istanbul et révolutionnent les typologies d'habitat en demandant à se faire construire des logements sur le modèle de ceux se construisant dans leurs pays d'origine. De même, les programmes architecturaux évoluent avec des commandes pour la construction de musées, de banques, de gares. La quatrième raison est le commencement de la planification urbaine à partir de 1848. En effet, de grands changements dans l’aménagement urbain ont contribué à moderniser la ville et à

24 Les Tranzimats sont une période de grandes réformes s'étendant de 1839 à 1876. Ces réformes visaient à moderniser et à ouvrir l'empire sur l'extérieur et principalement sur l'Europe pour lutter contre le déclin de l'empire ottoman. Mais ces réformes ont échouées et ont finalement contribué à la chute de l'empire.

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Illustration 4: Une maison de ville Avec ces lotissements, c'est une toute nouvelle typologie d'habitation qui apparaît à Istanbul. SOURCE : PINON Pier et BORIE Alan, Portrait de Ville : Istanbul, Cité de l'architecture et du patrimoine/Institut français d'architecture 2010

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faire évoluer les typologies urbaines. Les rues ont été retracées de façon orthogonale, plus larges, plus lumineuses, pour limiter l’insalubrité. L'arrondissement de Beyoglu (6e) est alors devenu l'un des plus riche d'Istanbul. Pour correspondre à cette image riche et moderne, la mairie de l'arrondissement a fait paver les rues, construire des trottoirs, installer l'éclairage public, aligner les immeubles sur la rue… Ainsi, les tendances en urbanisme ont été modifiées par la création de grandes places, la percée de grands et larges boulevards. Le percement de ces nouvelles rues, plus larges (9,50m – 7,60m ou 6m de large) et sans impasse pour permettre une intervention rapide en cas d’incendie a permis la densification ce qui a finalement contribué à l'asphyxie du centre-ville. Ainsi, avec la densification, les maisons se sont resserrées les séparant quand elles étaient construites en bois, permettant ainsi de bloquer les flammes en cas d’incendie. Ces maisons intégraient de grandes modifications typologiques par rapport à la maison traditionnelle. En effet, ces maisons perdaient leur cour séparatrice avec la rue pour se confronter directement à celle-ci grâce à une façade inspirée des façades haussmanniennes. A l’intérieur, l’organisation et la circulation changeait, l’espace se réduisait. Aussi, à cette époque, on voit apparaître des maisons de type à « sofa traversant » : maisons ayant une distribution en enfilade entre les pièces secondaires (distribution très occidentale). De même on voit apparaître une typologie de logement plus petites : le studio (en turc, odalar, qui littéralement signifie « une pièce »). Ce logement, à destination des hommes non mariés venant à la capitale pour trouver du travail, était le plus souvent détaché physiquement de la maison principale, mais relié à cette dernière par une cour arrière. La dernière raison est la catastrophe urbaine que constituent les grands incendies. Ainsi, à partir du milieu du XIXe siècle, les matériaux de construction changent afin que les maisons et la pierre, mais aussi parfois par le béton. Ces changements dans les matériaux ont fortement contribué à modifier l’image de la ville. Effectivement, avec l'interdiction du bois les porte-à -faux ont été bien plus compliqués à réaliser. Les façades ont alors perdu leurs encorbellements et se sont simplifiées. Les incendies ont donc joué un grand rôle dans le renouvellement d'Istanbul. Les quartiers totalement détruits ont été reconstruits sur la base de lotissements modernes, inspirés des principes hygiénistes haussmanniens. Tout ceci a été rendu possible grâce à la loi d'expropriation des terrains incendiés de 1856 qui a permis le remembrement. Ainsi, avant la période républicaine, la réflexion urbaine ne se faisait qu’à travers ces plans de lotissements ; les lotissements après incendie constituant le meilleur moyen pour renouveler le tissu urbain. De même, cette typologie a été utilisée pour l’extension de la ville. Ces îlots tramés rectangulaires créés grâce au regroupement du parcellaire pour former des lots plus larges (entre 30 et 40m de large et 50 à 200m de long), ont alors uniformisé le découpage d’Istanbul. Il en a résulté un urbanisme en damier plus ou moins bien tracé, mal raccordé et sans continuité ou hiérarchisation des réseaux ce qui a posé un énorme problème au moment de la modernisation de la ville. Ces lotissements ont également contribué à la densification du centre-ville et à la modification des modes de vies. En effet, ces bâtiments atteignant 3 à 4 étages étaient divisés en appartements. Ainsi, la typologie de l'appartement était, à l'époque, nouvelle et rompait totalement avec la manière traditionnelle d'habiter : habiter dans une maison ottomane unifamiliale. Cette typologie répondait à l'afflux de personnes qu'il fallait alors loger dans a ville. Grâce à ces lotissements, certaines familles ont pu s'enrichir. En effet, certaines familles pouvaient posséder un commerce en rez-de-chaussée, leur habitation au 1er étage et au-dessus un futur logement pour leur fille quand elle serait mariée et/ou un appartement à louer pour disposer d'une rente. Ces lotissements étaient caractérisés par une

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division parcellaire en bande de 30 à 40m2, ce qui rompait également avec le style et l’organisation de la maison traditionnelle qui était implantée sur une grande parcelle végétalisée. Ces lotissements étaient souvent ornementés de modénatures de style classique. On peut noter que les modifications typologiques se sont tout d'abord observées dans les quartiers de Péra et Galata à cause du grand incendie de Beyoglu en 1870, qui a détruit plus de 3000 habitations entre Tunel et Taksim. Il a alors fallu reconstruire une grande partie du tissu urbain par la construction de lotissements principalement. De nouvelles mesures pour la reconstruction du quartier ont donc été instaurées par la municipalité : des travaux d'infrastructure et d'aménagement permettant la mise aux normes de Beyoglu par plusieurs interventions ont été pensés. Malheureusement, ces interventions n'ont pas toutes été bénéfiques pour le patrimoine. On a alors assisté à la destruction de l'enceinte de Galata datant de l'époque des Génois, dont la Tour de Galata est aujourd'hui le seul vestige présent dans le quartier. “Le plus grand obstacle qui se dressait devant ce pillage c'était naturellement les anciens édifices, rues et places de la ville. Le tissu urbain ancien d'Istanbul, les maisons en bois constituaient un obstacle devant une armée d'avides. Ils ont commencé par les incendiées une par une. Mais dans le pays, l'opposition commençait à s'organiser, le tourisme à se développer, les étrangers venaient voir ces maisons, ces vieilleries, et l'on comprit que les oeuvres anciennes pouvaient rapporter. Avec le soutien de certains intellectuels éveillés, l'on trouva de nouvelles façons pour démolir. De fausses oeuvres anciennes : des immeubles, dont l'extérieur était recouvert de boiseries mais dont l'intérieur n'était que béton armé, ont envahit les quatre coins de la ville. Une fois les apparences sauvées, l'on continua à anéantir le véritable patrimoine.” 25 Une autre des conséquences de ces grands incendies a été la mise en place de plans d'assurance identifiant les parcelles assurées contre les risques d'incendie, comme ceux de Goad de 1905 qui définissent aussi la largeur des rues, la taille des parcelles et celle des bâtiments ou encore ceux de Pervitich, plus précis, qui ont été dessinés de 1920 à 1940 en précisant les matériaux de construction de chaque bâti. Ces plans constituent la principale source de connaissance de l'évolution du tissu urbain dans les quartiers historiques d'Istanbul. Le parcellaire défini par ces plans a, en effet, très peu évolué. Finalement, au XIXe siècle, l'Empire Ottoman a décidé de faire évoluer Istanbul d'une ville ottomane au style turco-islamique à une ville moderne. Les régulations après incendie apparaissent alors comme un outil au service de cette modernisation. Les grands incendies ont en effet joué le rôle d'accélérateur des transformations urbaines qui étaient indispensables pour suivre les changements des modes de vies des habitants mais aussi permettre de s'adapter aux changements de la société et à l'évolution de la famille : après le passage d'un système de famille élargie à un système de famille nucléaire, on voit apparaître de plus en plus

25 RIFAT, Samith, Requiem pour une ville perdue (Traduit par Sierra Yilmaz) La beauté d'Istanbul est chantée et écrite dans “Istanbul un monde pluriel, Méditerranée, n°10, Paris, MSH, 1997-98

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Illustration 5: Plan d'assurance de Goad de la zone de Tarlabasi (1904-1906) En rouge : dĂŠlimitation de la zone du projet Tarlabasi 360 SOURCES : Atelier de cartographie de l'IFEA (assemblage personnel)

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Illustration 6: Plan d'assurance Pervitich de la zone de Tarlabasi (1943-1950) Les plans de Pervitich sont une mise à jour détaillée des plans de Goad. En effet, sur ces plans on trouve les caractéristiques de construction de chaque bâtiment (structure, matériaux). En rouge : délimitation de la zone du projet Tarlabasi 360 SOURCES : Atelier de cartographie de l'IFEA (assemblage personnel)

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de divisions à l'intérieur de la grande maison ottomane. La demande de maisons en bande et d'immeubles divisés en appartements s'impose alors, d'où la construction de lotissements. Malheureusement, cette modernisation a été très préjudiciable pour le tissu urbain qui s'est vu alors totalement bouleversé. « La ville va perdre l’intégralité de son caractère turco-islamique sans réussir à acquérir une nouvelle identité » 26

Pour conclure, on peut s'interroger sur le fondement de la protection du patrimoine aujourd'hui à Istanbul. En effet, le tissu historique ottoman a été presque déjà totalement détruit à cause de l'évolution de la ville et des différentes catastrophes urbaines. Pour autant c'est le patrimoine ottoman que le gouvernement essaye de le plus de protéger et de reconstituer. En effet, “début juin 2013, plus de 200 demandes d’autorisation de reconstruction de bâtiments ayant existé à l’époque ottomane ont été déposées dans le seul département d’Istanbul.”27 On peut donc aisément soutenir que l'on assiste à “une réécriture physique de l'histoire urbaine”28 qui a pour but de donner une autre signification aux lieux. De plus, la ville, dans son histoire, a toujours adapté son ancien tissu urbain pour le faire correspondre aux nouveaux modes de vie, seuls les monuments étaient conservés comme le témoignage du passé. Faut-il donc aujourd'hui protéger ce tissu urbain coûte que coûte ou accepter son évolution pour que lui aussi puisse s'adapter au monde contemporain ?

b- Une protection du patrimoine contradictoire La protection du patrimoine en Turquie est une notion assez nouvelle qui est apparue avec l'occidentalisation des mœurs et de la politique turque. Ainsi, la protection du patrimoine n'est pas une notion innée dans le pays et, aujourd'hui, les instances s'occupant de cette protection ont beaucoup de mal à faire entendre leur voix à cause de la position contradictoire que le gouvernement adopte par rapport au patrimoine.

- Les instances du patrimoine Pour veiller à la protection du patrimoine, quelques instances gouvernementales ont été désignées, mais leur mission est très difficile à accomplir. En première ligne on trouve la

26 La muraille terrestre d’istanbul ou l’impossible mémoire urbaine, Jean-François Pérouse, Patrimoine et politiques urbaines en Méditerrannée, Rives méditerranéennes, 2003 27 Citation de Jean François Pérouse lors d'une interview pour le Petit Journal. Folie des grandeurs – Jean François Pérouse : “Le gouvernement veut faire d'Istanbul la vitrine de la Turquie”, 2013 28 Idem

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chambre des architectes qui a aujourd'hui énormément de mal à se faire entendre sur le projet Tarlabasi 360. Ainsi, pour situer historiquement les débuts de la protection du patrimoine en Turquie, on peut souligner que les premières préoccupations en matière de protection datent de 1869 (date du premier décret évoquant la protection du patrimoine) ce qui est assez tard comparé à la France qui a vu naître la notion de patrimoine durant la révolution. En 1869 on créé donc la Charte des Oeuvres anciennes qui ne concerne alors que le mobilier et les œuvres archéologiques. En effet, à l'époque ottomane, on considérait que les constructions n'avaient pas besoin d'être protégées car elles étaient habitées et/ou utilisées et donc, pour la vision de l'époque, protégées de la meilleure façon. Mais, à la fin de l'empire ottoman, aucune considération n'étant donné à ce patrimoine urbain, il se voit alors détruit par les opérations de mise en valeur des monuments. Pour exemple, l'urbaniste Agache, au début des années 1920, a proposé de nettoyer les environs des monuments pour les mettre en valeur et ceci grâce à la destruction des vieux bâtiments qui les entouraient. S'en suivrait alors la création de parcs à l’image de ceux qui existent à Rome ou de grandes avenues mettant en perspective ces monuments. Cette proposition a malheureusement été suivie au niveau du quartier du Sultanahmet où la Mosquée Bleue et la basilique Aya Sophia se font face, positionnées à chaque bout d'un grand parc. “ [A propos de la place Sultan Ahmet] Les places ouvertes entre les deux joyaux uniques que sont ces mosquées sont des éléments disproportionnés qui jurent par rapport à leur environnement. Il n’y a pas d’exemple plus probant de l’échelle propre à la culture turque de nos villes, qui ne peut être mêlée avec l’échelle européenne totalement inadaptée.”29 Ce n'est alors qu'à partir de la période Républicaine, sous Mustapha Kemal Atatürk, que la protection s'étend aux biens immobiliers. En 1933, les lois de protections sont même étendues aux alentours des monuments historiques. Ainsi, à cette époque, même si l'envie était de créer un nouveau patrimoine républicain et laïc, cela tombait sous le sens de ne pas oublier les origines du pays. Dans la convention proclamant la République, écrite en 1923, un article met même en évidence la protection du patrimoine. “Le patrimoine est une affaire de nation et d’amour envers sa nation. La conserver et lui permettre un voyage à travers le temps afin de la faire découvrir aux futures générations est le devoir de tout citoyen turc.”30 Malheureusement, à l'époque, ce patrimoine immobilier ancien est déjà, le plus souvent, abandonné et très difficile à protéger : les maisons issues du patrimoine culturel du pays sont

29 YERASIMOS Stéphane, Le discours sur la protection du patrimoine en Turquie des Tanzimat à nos jours, European Journal of Turkish Studies [En ligne], 2014 30 GOMENGIL Kader Kemal, Comment vivre et construire un patrimoine historique dans un contexte métropolitain en forte mutation urbain ?, OUI, [En ligne] 2003

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vouées à la perte et à la dégradation. Malgré tout, on veut les protéger mais sans réellement savoir comment s’y prendre du fait des nombreux enjeux économiques, urbains et politiques qu'ils représentent. De plus, avec le manque d’expérience des architectes et des politiciens sur les questions de sauvegarde il est très difficile de garder ce patrimoine en bon état. Sans le vouloir, le patrimoine urbain disparaît alors peu à peu, ce qui est aujourd'hui une des causes de la difficile appropriation et régénération du patrimoine en architecture. Ainsi, pour améliorer la protection du patrimoine, en 1973, on modifie la Charte des œuvres anciennes pour lui intégrer la notion de site dont celle de site urbain. La notion de site est définie par « une zone nécessitant une protection et se composant des villes et fragments de villes qui témoignent de caractéristiques sociales, économiques, architecturales ou analogues, de civilisations datant des temps préhistoriques à nos jours, de lieux où se sont déroulés des évènements historiques importants et de lieux classés en raison de leur caractéristique naturelle. »31 Ensuite, en 1983, la loi 2863 est créée et met en place le système actuel de protection du patrimoine bâti. Cette loi renforce alors le rôle des documents d'urbanisme et donc la planification de la ville qui doit maintenant prendre en compte, par des dispositifs spéciaux, la protection des monuments et leurs alentours. Un plan d'urbanisme de protection doit même être pensé par les municipalités pour chaque zone où se trouve un site classé. Ainsi, c'est le Comité Régional de Protection des Biens Culturels qui a pour mission de désigner ces sites à classer au patrimoine du pays. Toutes décisions prises par ce comité suspend alors les effets du plan d'urbanisme en vigueur, ce qui oblige la municipalité à réaliser un plan d'urbanisme de protection. Malgré cette organisation en faveur du patrimoine, il est assez rare que les municipalités se conforment à leurs obligations de rédiger un plan d'urbanisme de protection. Les difficultés de la protection du patrimoine en Turquie sont liées à la trop grande institutionnalisation des procédures mais aussi au peu de moyens accordés qu'ils soient humains ou financiers. De même, ces difficultés sont aussi dues au peu d'éducation que la population a envers ce patrimoine. En effet, ce n’est qu'à partir de 1978, quand l’UNESCO a commencé à s’intéresser à la Turquie et à classer certains monuments, certaines zones, comme patrimoine mondial, que le pays s’est rendu compte de la valeur de son architecture et de ses villes. Malheureusement, cette pratique, très occidentale, de classer les monuments et les sites n'a fait qu'aggraver les choses. Pour exemple, en 1979, le premier quartier à avoir été classé, a été le quartier de Süleymaniye à Istanbul. A partir de ce moment-là, les gens y habitant n’ont plus eu le droit d’entretenir comme ils le voulaient leur maison : tous travaux devaient être déclarés et soumis à autorisation. La population s’est donc retirée du quartier car elle voulait rester maître de son habitat et tous les travaux d’entretien étaient devenus très chers voir même, pour certaines familles, insurmontables. Les quartiers protégés ont alors peu à peu été abandonnés et ont perdu toutes valeurs pour la population turque. De plus, en fonction des époques, certains quartiers ont été déclarés comme « à préserver » puis ont été abandonnés par les lois de préservation et inversement : des quartiers n’ayant pour personne une valeur

31 Extrait de la loi 2863, Kültür ve Tabiat Varliklarini Koruma Kanunu traduite par Annabelle Lopez dans Projet de rénovation urbaine des quartiers de Fener et Balat à Istanbul : Instrumentalisation du patrimoine en vue de re-configurer la péninsule historique,Université Paris-Est Marne-la-Vallée, 2009-2010, p.36

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patrimoniale ont été soumis à des lois de conservation. Ainsi, ces protections ont toujours été imposées à la population qui n’a jamais eu une culture, une éducation concernant la conservation et le patrimoine.32 “ Les problèmes de protection en Turquie ont des fondements totalement différents de ceux des pays occidentaux. Nous prétendons que les pays occidentaux protègent leurs vestiges historiques comme les signes tangibles de leur unité nationale et de leur permanence. Or la Turquie est encore indécise quant à ses origines culturelles. Doit-elle les référer au concept de turcité, à l’Islam ou bien à la culture anatolienne considérée comme une synthèse de différents apports ? (...) D’un autre côté, il nous faut sensibiliser notre peuple, enclin depuis si longtemps à croire que l’ancien est sans intérêt, et que le neuf et le moderne, même s’il s’agit d’imitations, sont bien plus intéressants. Dans ce contexte, une politique de conservation menée avec cohérence par l’État et une continuité dans l’application de cette politique sont des atouts indispensables.”33 Aujourd'hui, même le gouvernement se désintéresse de la protection du patrimoine urbain. Ainsi, une loi faisant concurrence à la loi 2863 a récemment été votée. Cette nouvelle loi 5366 autorise la destruction de tous les bâtis ne répondant pas aux nouvelles normes anti-sismiques. En effet, la Turquie se trouve sur une faille sismique et plusieurs tremblements de terre ont déjà détruit des villes, des quartiers entiers et tué des milliers de personnes. Pour autant, aucun effort n'est fait pour la protection du bâti historique qui pourrait, grâce à des opérations, certes très coûteuse, être consolidé. Il est tout simplement détruit pour pouvoir être remplacé par des constructions modernes ne comportant aucun risque pour la population. Cette situation est paradoxale au regard des engagements que la Turquie a pris en signant certains traités qui régissent encore aujourd'hui la protection du patrimoine du pays : la convention de Paris sur la « protection de l'héritage naturel et culturel mondial » datant de 1972 et le traité de Grenade sur la « protection de l'héritage architectural Européen » datant de 1983 en font partie. De plus, certaines zones historiques d'Istanbul ont été inscrites en 1985, à la demande de la Turquie, sur les listes du patrimoine mondial de l'UNESCO. Finalement, malgré les avancées en matière de protection du patrimoine, la situation reste complexe. En effet, on remarque un décalage entre les discours d'intentions affichés et les actions concrètement menées ce qui ne permet pas encore l'efficacité d'un système d'action pourtant urgent à mettre en place.

32 Interview avec Aysegul Çanktat, professeur à l'école d'architecture de Grenoble. Cf. annexes 33 YERASIMOS Stéphane, Le discours sur la protection du patrimoine en Turquie des Tranzimats à nos jours, European Journal of Turkish Studies, [En ligne] 2014

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Illustration 7: Les acteurs de la protection du patrimoine en Turquie SOURCE : LOPEZ, Annabelle, Projet de rénovation urbaine des quartiers de Fener et Balat à Istanbul : Instrumentalisation du patrimoine en vue de reconfigurer la péninsule historique,Université Paris-Est Marne-laVallée, 2009-2010

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- Une vision économique du patrimoine La protection du patrimoine est d'autant plus difficile à mettre en place que la Turquie a une vision économique de cette notion : le gouvernement ne porte attention qu'à ce qui peut lui rapporter de l'argent par le biais du tourisme. Ainsi, nous pouvons mettre à jour la version de 1994 de Léniaud proposant trois critères initiant le processus de patrimonialisation : « (Le patrimoine regroupe)tout ce que nous décidons de préserver, de réutiliser ou de transmettre. (…) Dans les faits l’opération de patrimonialisation des ressources héritées du passé relève de l’application de trois critères (Léniaud, 1994) : – Le critère de communication : Un objet devient patrimoine parce qu’il est lourd de sens pour une collectivité. Son existence devient le moyen de symboliser une histoire ou de faire partager des valeurs. – Le critère de scientificité: Un objet devient patrimoine parce qu’il se voit reconnaître au milieu d’autres objets une grande valeur historique ou artistique, un caractère irremplaçable. Ce critère est souvent utilisé, à l’encontre du précédent, pour maintenir le caractère patrimonial d’un objet ou d’un monument alors que plus personne ne voit sa valeur de communication. – Le critère économique: Un objet devient patrimoine parce qu’il présente une valeur économique et que sa disparition pourrait constituer une perte pour la collectivité. Ainsi des matériaux rares et de valeur incorporés à un monument ancien pourront-ils le sauver. Là encore on se doit d’être prudent: le critère est rapidement réversible car on pourrait aussi conclure à la destruction d’un monument pour en retirer les quelques ressources économiques qui s’y trouvaient incorporées sans utilité vénale effective ! La délimitation du patrimoine est conventionnelle : ce qui est valable à un moment donné ne le sera pas à un autre, d’autant plus qu’il s’agit le plus souvent de conventions de fait qui n’ont de sens que si les investissements correspondants les valident. » 34 En effet, nous pouvons rajouter à cette définition, dans le critère économique, le fait que le patrimoine peut rapporter de l'argent par le biais du tourisme. Ainsi, Istanbul est une des villes les plus visitées du monde (8e au classement global 2016 avant Barcelone et Rome35). On constate même une croissance telle dans le domaine du tourisme, qu'il se place aujourd'hui au deuxième rang des secteurs les plus porteurs de l’économie du pays (après l’automobile), générant 5% du produit national brut et fournissant 15% des emplois36. Le patrimoine sert alors d’outil pour développer le tourisme et ainsi relancer l'économie du pays qui, malgré qu'elle ait moins souffert de la crise internationale que celle d'autres pays, à un fort taux de chômage. Aussi, avec l'explosion du tourisme, l'idée de

34 GREFFE Xavier, Le patrimoine comme ressource pour la ville, les annales de la recherche urbaine n°86, 2000, p.31 35 Selon le rapport “Global City Index” de Mastercard 36 MALLET Laurent, Le tourisme en Turquie : de la manne financière aux changements de mentalités, Hérodote, 2007 (n° 127), p. 89-102.

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protéger le patrimoine dans le but de favoriser l'économie s'est donc peu à peu imposée. En 1982, la loi pour l’Encouragement du Tourisme confirme même l’utilisation économique de l’héritage patrimonial. Finalement, il est intéressant de souligner que le patrimoine, qui est censé refléter une identité nationale répondant à une histoire nationale, est en fait fortement influencé par la variable économique. « Arzu Öztürkmen rappelle ainsi que le tourisme intérieur, thème de la littérature nationaliste, est vu comme un moyen de développer le sentiment national (Öztürkmen 1994: 169-170) (…) Perçu comme une ressource dans l’action publique pour le développement local, le tourisme, au-delà de son aspect économique, est en outre un «miroir» des constructions identitaires (Cousin 2011) : la pratique des lieux par les touristes peut contribuer à les patrimonialiser, les ériger en lieux de mémoire, à les marginaliser parfois quand ils sont à l’extérieur des circuits touristiques ou jugés non conforme à l’image de l’altérité attendue. Le tourisme apparaît être le versant, peut-être plus trouble, de la construction d’un récit national et au-delà de la construction de stratégies identitaires. la pratique des lieux par les touristes peut contribuer à patrimonialiser ou à marginaliser ces lieux. Ainsi, le touriste apparaît comme un maillon de la construction du récit national et au-delà un maillon de la stratégie de développement identitaire. » 37 On peut alors avancer que le régime d'Erdogan est entrain de recréer une identité turque par l'utilisation du tourisme. Pour cela il a aussi mis en place une nouvelle politique urbaine pour permettre un rayonnement de la culture turque dans le monde. En effet, pour être considéré comme une ville mondiale, objectif annoncé depuis les années 1980, il faut avoir un certain rayonnement culturel. Ainsi le master plan de cette année là montre un grand changement dans les politiques d'urbanisme de la ville. En effet, le master plan propose une totale désindustrialisation d'Istanbul pour amener à une tertiarisation de la ville (caractéristique des villes dirigeantes mondiales). De même, il propose que la cité se concentre sur son potentiel touristique pour pouvoir rayonner dans le monde. Ces objectifs ont largement été atteints aujourd'hui. En effet, la ville d'Istanbul n'abrite plus aucune industrie, la plupart de ses industries ayant même été transformées en musées comme Santral Istanbul qui était la plus ancienne zone industrielle de la Corne d'Or et qui est aujourd'hui convertie en musée contemporain. «Une ville peut être qualifiée de mondiale si à l'échelle mondiale, elle est connue de tous, si elle exerce un pouvoir d'attraction et d'influence en raison de son patrimoine historique par exemple et si elle est en mesure de se qualifier pour se positionner dans la hiérarchie des villes accueillant les flux touristiques.»38

37 GIRARD Muriel, Ce que nous apprend le patrimoine de l’État et de la société turcs : vue d’ensemble sur ce numéro double, European Journal of Turkish Studies [En ligne], Juin 2015 38 GHORRA-GOBIN Cynthia, À l’heure de la « deuxième » mondialisation, une ville mondiale est-elle

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Aussi, pour donner un nouveau coup d'élan au tourisme et s'imposer parmi les puissances mondiales, la mairie d'Istanbul avait pour objectif d'accueillir les Jeux Olympiques en 2020. Pour cela il fallait qu'elle montre au monde entier qu'elle était une ville moderne et développée apte à relever les challenges d'évènements internationaux tels que celui-ci. C'est cet objectif qui a valu un grand nettoyage du centre historique pour éloigner le plus loin possible la pauvreté pour que les touristes n'y soient pas confrontés. C'est dans ce contexte que s'installe le projet Tarlabasi 360. « Au niveau symbolique, les nouveaux aménagements tendent à effacer la mémoire et l’appropriation populaire des lieux, renforçant ainsi l’exclusion des anciens habitants »39

Pour conclure, nous pouvons affirmer que le patrimoine, qu'il soit monumental ou urbain est aujourd'hui en danger à cause d'une protection du patrimoine incomplète et trop largement influencée par le caractère économique. Ainsi, on peut noter que le processus de croissance urbaine des années 1980 a changé profondément la morphologie urbaine de la ville. Cela a alors remis en question les instances du patrimoine qui n'ont pas su indiquer comme répondre à cet afflux de population tout en protégeant le patrimoine urbain et ont alors laissé la ville à a merci des promoteurs. Ces mutations ont eu des conséquences surtout sur le centre historique qui a perdu son statut de référence pour s'engager dans un processus de dégradation et de paupérisation. Ce processus, encore actif aujourd'hui, a toutefois été infléchi par l'engagement de différents acteurs extérieurs aux instances de protection du patrimoine gouvernementales, comme les associations locales, l'UNESCO ou les lobbies du tourisme qui ont influé sur la politique de valorisation du patrimoine stambouliote et le développement d'une réglementation plus efficace qui, pour autant, n'a pas été suffisante dans le contexte du projet Tarlabasi 360.

forcément une ville globale ? , Confins, [En ligne] 2009 39 FLEURY Antoine & CLERVAL Anne, Politiques urbaines et gentrification, une analyse critique à partir du cas de Paris, L’espace Politique, [En ligne] 2009

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2) Tarlabasi, un quartier particulier a- Des caractéristiques fortes Tarlabasi se trouve sur la colline de Péra, colline se trouvant de l'autre côté de la Corne d'or, en face du Sultanahmet. Cette colline était une zone très sauvage que l'homme a colonisée, petit à petit, à partir du XVe siècle. Ainsi, l'urbanisation s'est d'abord remarquée le long du Bosphore et de la Corne d'Or. Le reste de la colline était réservé à l'agriculture. On retrouvait donc seulement quelques maisons de campagne mais aussi le palais d'été du sultan. Ce n'est qu'à partir du XVIe siècle que la zone s'est réellement urbanisée et qu'elle s'est étendue au-delà des remparts pour coloniser toute la colline. Cette urbanisation était faite de maisons plutôt riches de style turco-ottoman.

- Un quartier ancien Les quartiers de Péra, Galata, Tarlabasi et Karaköy sont assez anciens. Ils ont été créés après que Constantinople ait été prise par les ottomans. En effet, à ce moment là, le sultan a invité de nombreuses minorités à venir s'installer dans la capitale. Pour la plupart, elles ont décidé de s'installer sur la rive droite de la Corne d'or et de créer un autre quartier sur la colline de Péra. Ce nouveau quartier, peuplé majoritairement par des génois, s'est très vite développé économiquement grâce au commerce du port de Karaköy. La zone est alors rapidement devenue l'endroit le mieux fréquenté de tout Constantinople. Plus tard, même la très ancienne communauté Juive habitant de l'autre côté de la Corne d'or est venue s'y installer. Ces quartiers étaient donc principalement peuplés par “l'intelligentsia” turque et étrangère qui travaillait dans les ambassades implantées dans le quartier de Péra ou par les commerçants faisant fonctionner le port de Karakoy. Le quartier avait des lois différentes de celles qui s'appliquaient aux musulmans habitant Constantinople. Ces lois donnaient l'autorisation de vendre de l'alcool par exemple et donc autorisaient l'ouverture de bars et de cafés, ce qui permettait de créer une vrai économie à l'intérieure de la zone. Mais, avec la période républicaine (à partir de 1923), les quartiers de Péra se sont paupérisés drastiquement. En effet, à cette époque, les activités économiques et les ambassades se déplacent dans la nouvelle capitale (Ankara) désignée par Atatürk pour limiter la surpopulation d'Istanbul, et délaissent donc les quartiers centraux de la ville. Les quartiers de Péra où se trouvaient toutes les ambassades se voient alors désertés car la plupart des gens qui y habitaient, travaillaient dans ces ambassades. De plus, avec toutes les modifications de la ville, le centre historique perd de sa centralité et donc sa faculté à accueillir un CBD (Central Business District) qui se déplace alors plus au Nord d’Istanbul (Sisli, Maska), suivant l'extension de la ville. Cette migration du centre décisionnel et économique a été accélérée plus tard par la construction de deux ponts sur le Bosphore, en 1973 et 1998. Aujourd'hui cette migration continue toujours plus au nord avec la construction du troisième pont sur le Bosphore inauguré en 2016. Avec cette redistribution géographie, l'évolution s'est faite très rapidement ce qui a engendré de graves conséquences sur le centre historique. En effet, les classes dirigeantes turques ont

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Master plan de la ville d'Istanbul On remarque bien le développement de l'urbanisation sur la colline de Péra de 1450 (date approximative de la création du quartier) à 1764. SOURCE : Atelier cartographique de l'IFEA

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Master plan de la ville d'Istanbul Dans la continuité, on peut observer le développement du quartier de 1885 à la veille de l'époque républicaine en 1922. SOURCE : Atelier cartographique de l'IFEA

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migré dans le nouveau centre décisionnel ou dans la banlieue plus verte d'Istanbul car le centre devenait de plus en plus saturé et étouffant. L'intelligentia étrangère, et surtout arménienne et grecque a, elle, été invitée à quitter le sol turc en raison des différentes tensions politiques. Le quartier Tarlabasi, qui nous intéresse particulièrement, faisant partie du centre historique, a donc été très touché par ces changements de populations et est alors tombé peu à peu en ruine. En effet, les populations partant très vite dans leur pays d'origine ont laissé derrière elles leurs biens non vendus. Leurs appartements sont alors devenus une manne pour les marchands de sommeil qui se sont accaparés ces biens et les ont loués à des prix défiant toute concurrence aux populations ouvrières turques arrivant de l'Est pour travailler dans les industries d'Istanbul. C'est cette situation qui aujourd'hui facilite les expropriations pour pouvoir construire le projet Tarlabasi 360. En effet, ces appartements n'ont toujours pas de propriétaires officiels bien que certaines familles y habitent depuis très longtemps. Le redécoupage administratif de 1984 a effacé les noms historiques des quartiers tels que Galata, Péra ou Tarlabasi, et donc un peu de cette histoire particulière. Aujourd'hui, tous ces quartiers ont été regroupés dans un même arrondissement appelé Beyoglu. Bien que cet arrondissement ait perdu sa fonction économique, pour les raisons que nous avons évoquées précédemment, il garde une forte attractivité touristique. Beyoglu s'étend sur 8,96 km2, sur la partie européenne d'Istanbul faisant face à la péninsule historique. Cet arrondissement est divisé en 45 quartiers où résident 241.520 personnes 40. « Istanbul est composée de 33 arrondissements, «ilce» en turc. L’arrondissement est une structure composée de plusieurs «quartiers », et même de plusieurs « faubourgs », c’est une limite physique importante pour une ville comme Istanbul. Elle dépend de la mairie du Grand Istanbul, mais elle a un budget et une organisation interne indépendante. C’est elle qui régit les différents problèmes urbains, économiques, sociaux, politiques de son arrondissement. Elle prend les initiatives urbaines concernant son arrondissement tout en consultant l’avis de la mairie du Grand Istanbul. Chacun de ces arrondissements qui composent la ville d’Istanbul, dégage une atmosphère et une ambiance qui leur est propre. Ces ambiances sont en quelque sorte le reflet des activités qui s’y développent, et qui permettent de les identifier et de leur donner une image, sorte de repère urbain pour les habitants de la ville. Par exemple, l’arrondissement d'Eminönü est totalement différent de celui de Beyoglu, mais chacun a une activité qui lui permet une identification particulière, et ce, bien évidemment afin de servir les attentes de l’ensemble de la population. En fonction de ces attractivités, on trouve une catégorie sociale représentative et une architecture qui renforce le milieu et la catégorie sociale qui y vit. »41

40 Estimations au 31 décembre 2014 selon www.citypopulation.de 41 GOMENGIL, Kader Kemal, Comment vivre et construire un patrimoine historique dans un contexte métropolitain en forte mutation urbaine ?, IFEA, 2003, p.46

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Tarlabasi est une zone faisant partie de l'arrondissement de Beyoglu. Depuis le redécoupage administratif, Tarlabasi n'est plus un quartier au sens légal du terme (“mahalle” en turc) mais plutôt un lieu-dit, une aire de voisinage (“semt” en turc) bien que la définition de “mahalle” lui aille à merveille. C'est pourquoi nous continuerons d'utiliser cette dénomination de « quartier » pour introduire Tarlabasi dans ce mémoire. Ainsi, dans sa définition, le “mahalle” correspond à une réalité urbaine qui désigne entre autre une culture urbaine bien spécifique au quartier. L'appropriation de l'espace ne se fait donc pas de la même façon partout à Istanbul, et Tarlabasi a, lui, une manière bien particulière de vivre son urbanité. Par exemple, dans cette zone il y a une façon très caractéristique de s'approprier la rue comme nous le verrons ultérieurement. Tarlabasi est donc une zone à part de la ville d'Istanbul avec sa propre ambiance. Chaque ambiance urbaine est souvent due à la structure sociale du quartier, aux comportements et aux agissements de ses habitants. Transformer le tissu urbain d'une zone peut donc avoir de graves conséquences sur la vie du quartier et sur la population qui l'habite et inversement. Ainsi, avec le projet Tarlabasi 360 cette ambiance de quartier propre à Tarlabasi va disparaître pour tenter une homogénéisation avec le reste de Beyoglu. Tarlabasi se distingue aujourd'hui du reste de Beyoglu surtout par sa fréquentation. Ainsi, on peut identifier plusieurs périodes qui ont marqué l'évolution du quartier. En effet, après le deuxième plan d'urbanisme, proposé par Luigi Picciano dans les années 1960; dans lequel il propose de déconcentrer Istanbul en externalisant les pôles industriels et les ports; la population ouvrière quitte la Corne d'or où se trouvaient principalement les industries pour se diriger dans la banlieue d'Istanbul où ces dernières avaient été transférées. Le quartier Tarlabasi se trouvant à proximité des quartiers industriels de la Corne d'Or a alors une nouvelle fois vu son développement s'arrêter brusquement. Ainsi, les populations ouvrières ont été remplacées par des populations le plus souvent immigrées, très pauvres ou exclues de la société. C’est à partir de cette période que Tarlabasi se paupérise vraiment et devient un des quartiers les plus populaires d’Istanbul. Ainsi, le quartier à majorité turque dans les années 1970 devient peu à peu un quartier à majorité kurde (immigrés venant de l'Est de la Turquie). Aujourd'hui, les kurdes représentant plus de 25% de la population de la zone. « [...] Dans les années 1960, quand je suis arrivé à Tarlabaşı pour la première fois, cette zone d’habitation comprenait en général des Grecs, des Arméniens et un peu de Turcs. Parmi les Turcs, ceux de Erzincan et de Sivas étaient en majorité. Ça a continué comme ça jusqu’aux années 1970. (...) Jusqu’aux années 90, jusqu’à à peu près la moitié des années 90, il y avait encore des personnes originaires de Erzincan et de Sivas ; à présent, avec le phénomène de la migration venue du SudEst, ce quartier est devenu un quartier de Mardin, un quartier de Siirt et de Mardin. Je disais qu’au début [dans les années 6070] les Grecs et les Arméniens étaient minoritaires parmi les personnes originaires de Erzincan, de Sivas, de Tunceli, de Ordu ; eh bien, à présent, ce sont elles qui sont devenues minoritaires parmi les personnes originaires de Mardin et de Siirt. Il y aussi des migrants d’autres villes de l’Est comme Diyarbakır, Batman et Ağrı. » 42

42 YILMAZ Bediz, Migration, exclusion et taudification dans le centre ville d'Istanbul: étude de cas de Tarlabasi, 2006, p.195

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Situation du projet Ce lieu-dit est délimité par le Boulevard Tarlabasi au Sud, la rue Ömer Hayyam à l’Ouest, la rue Dolapdere à l’Est et la rue Kurtulus Deresi au Nord. SOURCE : Captures écran de la vidéo du Projet Tarlabasi 360

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De plus, dès les années 1980, d'autres minorités sont venues s'installer à Tarlabasi: des populations tziganes, africaines etc. En effet, après les rénovations urbaines dans l'arrondissement de Beyoglu, une partie de ces populations marginales, minoritaires et modestes a été contrainte de quitter les zones en rénovation. Elles sont alors venues s'installer à Tarlabasi, unique endroit qui n'était pas encore en proie aux politiques de rénovation urbaine. Plus récemment, ce sont les transsexuels et les réfugiés syriens qui sont venus s'installer dans le quartier. Le quartier est alors devenu un espace de transit qui rassemble une population extrêmement pauvre et pas vraiment intégrée à la société. La plupart des habitants de Tarlabaşı n’ont pas de papiers et logent illégalement dans le quartier. Les trafics de drogue et la prostitution ne contribuent pas non plus à donner une belle image à la zone. Cette situation est finalement la cause du lancement du nouveau projet de rénovation urbaine Tarlabasi 360. En effet, la mairie tient à redorer l'image de ce quartier central déshérité où les touristes sont susceptibles de se perdre.

- Un quartier isolé Anciennement appelé la petite Péra, Tarlabasi a toujours été une zone un peu plus pauvre que les anciens quartiers de Péra et Galata. En effet, l'arrondissement de Beyoglu, étant construit sur l'une des 7 collines d’Istanbul, les pentes raides - allant jusqu'à 13% 43 - et les ruptures brusques ont entravé l'étalement continu du tissu urbain, créant un tissu médiocre et incohérent. Ainsi, Tarlabasi signifie en turc “le sommet des champs”. Au sommet de la colline, on trouvait alors la bourgeoisie latine installée dans de belles maisons dominant le Bosphore et plus on descendait, plus on trouvait des bâtis modestes. Cette topographie a donc joué un rôle de fracture au sein même du quartier car elle ne facilitait pas l’installation de commerces ni de logements luxueux. Ce terrain en pente constitue la première source d'isolement du quartier car il engendre de fortes contraintes dans son urbanisation. Ainsi, avec la destruction presque totale de la zone après le grand incendie de 1831, la nouvelle urbanisation tramée de lotissements a du s'adapter au terrain. Ces ilots ont été construits, le plus souvent, de façon parallèle à la pente, permettant alors aux rues de diriger l'eau jusqu'au point bas de la colline où se trouvait certainement un ruisseau avant l'urbanisation totale de la ville. En effet, la rue Kuturlus, qui se trouve au point bas, est coincée entre deux collines aux pentes très abruptes : elle est équipée aujourd'hui d'un système de récupération d'eau assez impressionnant évitant alors tout risque d'inondation sur cette voie très passante. Les îlots au bord du boulevard sont eux perpendiculaires à la pente pour répondre aux bâtiments de l'autre côté. En effet, on remarque que le boulevard forme une sorte de fracture au milieu de ce bâti : si le boulevard n'existait pas, il y aurait une continuité des îlots. Ce boulevard, qui est la résurgente de l'agrandissement de la rue Tarlabasi en 1986-1988, constitue la seconde limite physique entre le quartier éponyme et le reste de Beyoglu. Il forme une telle frontière qu'il a été comparé avec le Mur de Berlin « séparant le bien et le mal, la

43 Entre le sommet de la colline de Péra se trouvant à 84m au dessus du niveau de la mer et le bas de la colline, il y a 60m de dénivelé sur seulement 700m.

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Illustration 11: Coupe de terrain de la zone de projet Cette coupe représente les étages vides (en rose) et les étages occupés (en violet) des bâtiments actuels faisant partie de la zone de projet. De plus, cette coupe met bien en évidence le fort dénivelé que l'on trouve dans le quartier. SOURCE : Site web de l'agence d'architecture Tures en charge d'une partie du projet

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belle et la bête »44. On peut tout de même souligner que la rue Tarlabasi marquait déjà, à l'époque, la séparation entre les quartiers bourgeois de Péra le long de l'avenue Istiklal et les anciens quartiers latins plus populaires dont le quartier Tarlabasi faisait partie. Mais depuis l'agrandissement de cette voie, le quartier se trouve à présent totalement isolé de la forte dynamique donnée à tout l'arrondissement par la place Taksim et la rue Istiklal à quelques mètres de là. Le boulevard Tarlabasi, a été planifié avec le premier plan d'urbanisme d'Istanbul datant de 1933, demandé par Atatürk et pensé par l'urbaniste français Henry Prost. Ce plan prévoyait entre autre de créer une place centrale - la Place Taksim - qui serait reliée à un grand Boulevard - le Boulevard Ataturk - par l'agrandissement de la rue Tarlabasi. Ainsi, le master plan d'Henry Prost, qui a finalement été choisi parmi plusieurs master plan, avait pour but principal de reconnecter les différentes parties d'Istanbul grâce à un solide réseau viaire inspiré du renouvellement urbain de Paris organisé par le baron Haussmann. En effet, on peut souligner qu'à l'époque, il était très rare de sortir de son quartier du fait de la difficulté que représentait le transport. De même, la circulation en voiture était presque impossible car le tissu urbain ancien n'avait pas été planifié pour ce type de déplacement. Istanbul était donc une superposition de différents mondes qui s'ignoraient. Mais l'agrandissement du boulevard a surtout été la conséquence de la modification de la zone de Taksim dans les années 1980. En effet, après que la rue Istiklal ait été totalement rendue piétonne pour laisser place aux commerces, un gros problème de circulation entre la péninsule historique et le nouveau centre économique d'Istanbul s'est posé. C'est pourquoi, le boulevard a été agrandi malgré les avis contraires de la chambre des architectes qui a soulevé la perte urbaine extraordinaire que cet élargissement représentait. En effet, en 1972 et 1983, le quartier a été classé site protégé. Malgré tout, cela n'a pas empêché les destructions des îlots aux abords de la rue. Ainsi, l'agrandissement de la rue en boulevard a permis la construction d'une voie rapide. La construction de cette voie rapide a elle aussi été confrontée au fort dénivelé. En effet, les voies rapides devant avoir des pourcentages de pente peu élevé pour permettre une circulation fluide, sont souvent construites hors sol. Le boulevard n'échappe donc pas à la règle et a été construit par endroit totalement hors sol, ce qui accentue cet effet de frontière infranchissable. Quelques rues passent quand même sous ce boulevard permettant ainsi de relier Tarlabasi au reste de l'arrondissement, mais ces passages sont souvent mal traités et inspirent rarement confiance.

44 “Built between 1986 and 1988, the 8 lane Boulevard is like a Berlin wall within central Istanbul, separating the good and the bad, the beauty and the beast. Uphill, on the eastern Side, is Taksim, the trendy and sleepless cultural heart of the city. Downhill, on the western side, is the Tarlabaşı neighborhood, Istanbul’s infamous ghetto associated with crime, drugs, prostitution and extreme poverty.” PINAR Fatih, Plongée dans un quartier d’Istanbul : Tarlabasi, Turquie européenne, 2011 Traduction : Construit entre les années 1986 et 1998, ce boulevard de 8 voies est comme le mur de Berlin en plein centre d’Istanbul, séparant « le bien du mal », « la belle et la bête ». En montant du côté Est, se trouve Taksim, le centre culturel et branché de la ville, qui ne dort jamais. En descendant la colline, du côté Ouest, c’est Tarlabasi, les ghettos infâmes d’Istanbul associés aux crimes, à la drogue, à la prostitution et à l’extrême pauvreté.

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Illustration 12: Plan d'amĂŠnagement de Henry Prost (1937) SOURCE : Atelier de cartographie de l'IFEA

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Photos des travaux d'élargissement du boulevard Tarlabasi SOURCE : Archives visuelles de l'IFEA

« In the second half of the 1980's, when 350 buildings among which were the ones with historical values were planned to be destroyed in order to enlarge Tarlabaşı Caddesi and turn into it an avenue, there could not be found any owners to be payed off expropriated price for the most buildings.»45

45 Historique du quartier tarlabasi sur le site du projet Tarlabasi 360 (www.tarlabasi.com/en) Traduction : Pendant la seconde moitié des années 1980, quand 350 bâtiments parmi lesquels certain avaient une valeur historique ont été détruit à cause de l'élargissement de la rue Tarlabasi transformée en boulevard, il n'a pas été possible de trouver les propriétaires à qui verser l'indemnisation d'expropriation pour la plupart des bâtiments.

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De même, on peut souligner que le boulevard, au niveau de la zone de Tarlabasi, afin de limiter les différences de niveau entre le tissu existant et la nouvelle topographie créée, est construit sur 2 niveaux séparés d'environ 1m50 : ce boulevard de 3 fois 3 voies est séparé en deux par un mur empêchant alors la traversée piétonne. Finalement, le projet Tarlabasi 360 s'implantera le long de ce boulevard, à l'endroit où le bâti et le boulevard sont au même niveau, pour rendre l'endroit plus agréable et ainsi tenter de redynamiser le quartier. L'objectif très ambitieux annoncé étant de transformer cet endroit en une sorte de « Champs-Elysée » turc. Cet objectif pose alors question. D'une part, on peut se demander quelle idée se fait réellement la ville des Champs-Elysées français. En effet, pour eux, l'avenue des Champs-Elysée est seulement une avenue commerçante rassemblant de riches enseignes et des appartements ayant de riches propriétaires. Alors que, finalement, cette avenue n'est pas caractérisée seulement par le commerce, mais aussi par l'artère de circulation qu'elle représente, qui n'est actuellement en rien comparable à l'artère que constitue le boulevard Tarlabasi, qui, finalement, ne débouche même pas sur la place Taksim, point d'orgue de l'urbanisation de Beyoglu, mais l'évite en passant en dessous. D'autre part, à quelques kilomètres de la zone de Tarlabasi se trouve le quartier de Nisantasi dont la principale avenue est déjà considérée comme étant l'équivalent des Champs Elysée grâce à sa fréquentation et ses enseignes

Pour conclure, le quartier de Tarlabasi est historiquement un quartier qui ne fonctionne pas et n'a jamais fonctionné comme Beyoglu (ou Péra). Il est même particulièrement isolé à l'intérieur même de cet arrondissement. Le projet Tarlabasi 360 va donc tenter de réintégrer ce quartier avec le reste de l'arrondissement mais le pari est risqué car le projet pourrait avoir l'effet totalement inverse et devenir alors une catastrophe urbaine. En effet, comme nous le verrons par la suite, le projet à de gros risques de se transformer en une gated-communitie qui morcellera alors le quartier qui est pourtant relativement homogène pour le moment.

b- Analyse générale du bâti Tarlabasi se distingue également par son architecture. En effet, le bâti du quartier est un bâti particulier, qui diffère de celui que l'on peut trouver aujourd'hui dans le reste de l'arrondissement de Beyoglu, du fait de l'histoire particulière du quartier, mais aussi car la zone n'a encore jamais été soumise à une opération de rénovation urbaine. Il est donc resté le même depuis le XIXe siècle.

- Analyse urbaine et architecturale du quartier Au niveau des typologies et de l'activité du quartier, on constate que Tarlabasi est une

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zone majoritairement résidentielle. Ceci est du principalement au terrain très en pente qui empêche l'installation de grandes rues commerçantes qui sont alors situées plus haut dans la zone d'Istiklal. On retrouve quand même beaucoup de bâtiments « mixtes » où les rez-dechaussée sont dédiés à la production ou à la vente (petits ateliers ou commerces de proximité). En effet, le quartier est constitué principalement de lotissements, typologie qui intègre en rezde-chaussée des espaces de ventes ou de production. Ces espaces de production ou de commerces se concentrent principalement sur le boulevard Tarlabasi et sur la rue Turan (seconde rue principale du quartier). Dans les autres zones, ces rez-de-chaussées ont le plus souvent été convertis en logements. Ainsi, la typologie du lotissement se caractérise par un plan en couloir où, à l'intérieur, les circulations se placent sur l'axe longitudinal de la parcelle avec, en coeur de bâti, une colonne de circulation de façon à ce que l'escalier desserve deux appartements de part et d'autre de son axe par l'intermédiaire d'un pallier. Les logements sont divisés en plusieurs pièces organisées autour d'un noyau central où se trouve la cuisine et la salle à manger. Les pièces sont généralement assez grandes : les chambres atteignant le plus souvent une quinzaine de mètre carrés. Chaque logement dispose d'un bow-window, qui est une des caractéristiques principales de l'architecture ottomane. « Mostly settled by middle class non-muslims and Levantens, Tarlabaşı models Pera dwellings in the person of İstiklal Caddesi as far as it can. At the both side of Tarlabaşı Caddesi, having nearly same style with Pera but much more modest blocks of flats started to rise together with the 1870's. Towards the 1880's while there were only 17 houses, first blocks of flats giving characteristics to the district began to rise as double sided within approximately 40 years. As to the 1910's, it became known as block of flats neighbourhood. Aesthetic values and trim richness of the dense pattern and structure stock would be accepted as, one of the best examples in İstanbul's 19th century city modernisation. All houses in the district were maximum three-storey. Nearly all settlement units constitutedin those years were structurized as masonry in gardens. » 46

Grâce aux plans de Pervitich datant de 1943-1945 (c.f illustration 7 p.29) et aux plans plus récents d'analyse structurelle faits par la mairie, on peut analyser les différents matériaux que l'on retrouve dans le quartier. Il y a principalement des bâtiments avec des structures en

46 Description de tarlabasi sur le site du projet Tarlabasi 360 (www.tarlabasi.com/en) Traduction : Principalement occupé par une classe moyenne non musulmane et Levantine, Tarlabasi prit modèle sur les habitations de Péra en se calquant autant que possible sur le style des maisons présentes le long de la rue Istiklal. De chaque côté de la rue Tarlabasi, on retrouvait le même style qu’à Péra mais avec des appartements plus modestes qui se sont construits sur la base du lotissement dans les années 1870. Vers les années 1880, alors qu’il n’y avait que 17 maisons, les premiers lotissements donnant aujourd’hui leurs caractéristiques au quartier, permirent de doubler le nombre de logements en 40 ans. Dans les années 1910, le quartier était connu pour être un quartier de lotissements, un des meilleurs exemples au XIXe siècle de la modernité d’Istanbul. Toutes les maisons du quartier s’élevaient sur 3 étages maximum et étaient construites en maçonnerie, entourées de jardin.

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Illustration 14: Carte d'utilisation des ĂŠtages 2005

SOURCE : Site webde la mairie de Beyoglu (www.beyoglu.bel.tr)

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béton ou en maçonnerie avec un intérieur traité en bois massif. On trouve également quelques structures en béton armé mais c'est assez rare. Par contre, il n'y a aucune structure en bois car toute la zone a été victime des incendies au XIXe siècle. Les bâtiments sont donc en matériaux non inflammables. On remarque que les bâtiments en structure béton sont majoritaires dans les zones proches de grandes voies de circulation car c'est dans ces zones qu'il y a eu le plus de densification, donc la construction de bâtiments plus haut. Ainsi, au milieu du quartier on trouve des bâtiments plus traditionnels avec des intérieurs en bois et des structures en maçonnerie. Ces bâtiments sont plus bas car ils se situent à la limite du quartier et sont donc moins intéressants dans l'objectif de la densification urbaine. Les façades des bâtiments sont en pierre, brique ou bois mais elles sont généralement recouvertes par des enduits colorés. Elles sont à encorbellement avec des fenêtres disposées de chaque côté de l'encorbellement, le tout donnant une impression très modeste du fait du peu de moulures ou de décorations. Finalement, la faible hauteur des bâtiments, l'harmonie des façades, les encorbellements, le mélange des matériaux (pierre, brique, bois) et les murs colorés font la spécificité urbaine et architecturale de la zone. Ainsi, de nombreux bâtiments sont inscrits ou classés pour conserver ce paysage urbain particulier (environ 65% du bâti dans tout le quartier). De même, de nombreux monuments religieux, culturels ou éducatifs sont protégés car ils rendent compte de la population cosmopolite fondatrice du quartier : la Mosquée Centrale, les églises orthodoxes Saint Constantin et Sainte Hélène datant de 1861, l'Eglise grecque catholique de la Sainte Trinité, le temple protestant Saint Jean datant de 1861, le Musée polonais Adam Mickiewicz, l'hôpital catholique Jeremia datant de 1881, le temple protestant allemand datant de 1843 etc.47 En théorie, le projet s'insérant dans un tissu urbain historique et protégé, devrait respecter le patrimoine et donc l'organisation spatiale du lieu où il s'implante mais, malgré les volontés affichées de la mairie de restaurer ces bâtiments historiques qui sont aujourd'hui en mauvais état, on remarque que ces bâtis vont êtres démolis. Les bâtiments classés vont, eux, être conservés mais vont être totalement étouffés dans le nouveau projet.

- Un quartier dans un état de délabrement avancé Aujourd'hui la zone est dans un état de délabrement assez avancé (seulement 27% des bâtiments sont en bon état tandis que 62% des bâtiments sont délabrés et 11% en ruine 48). Les bâtiments aux abords du boulevard sont les plus délabrés. Ils se sont taudifiés à tel point qu'il ne reste aujourd'hui plus qu'une seule solution : les détruire. La chambre des architectes accuse la mairie de s'être désintéressée du problème jusqu'à présent pour être sûre de pouvoir tout raser sans que personne ne puisse lui opposer aucune résistance. En effet, aujourd'hui, la rénovation urbaine ne peut être évitée aux vues de l'état des bâtiments qui ne respectent même plus les normes relatives aux tremblements de terre et donc qui en deviennent dangereux pour la population qui y réside, mais également, pour toutes les personnes

47 Site d'informations sur Istanbul istanbulguide.net 48 Etude sous la direction de Alper Ünlu, Université Technique d’Istanbul, 2000

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Carte d'analyse structurelle

SOURCE : Site webde la mairie de Beyoglu (www.beyoglu.bel.tr)

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Répartition des bâtiments inscrits et classés dans la zone du projet Tarlabasi 360 La zone de rénovation du projet Tarlabasi 360 comporte 210 bâtiments historiques inscrits et trois monuments religieux historiques classés. SOURCE : Plan directeur de la zone de conservation, Site Mairie de Beyoğlu (www.beyoglu.bel.tr)

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fréquentant le quartier. La restauration du bâti est impossible ou extrêmement coûteuse. Ainsi, cette deuxième destruction arrive 30 ans après la première catastrophe urbaine et patrimoniale que Tarlabasi aie connue : la destruction des parcelles le long de la rue éponyme pour permettre son élargissement. Plusieurs raisons ont engendré la taudification de ce quartier. La première raison est que l'on retrouve à Tarlabasi une forte concentration de bâtiments anciens qui ont besoin d’entretiens spécifiques qui peuvent se révéler très coûteux pour les populations pauvres occupant actuellement le quartier. Les propriétaires et les familles considérées comme « squateurs » laissent donc se dégrader leurs habitations, faute de moyen pour les entretenir. Parfois, les habitants ne voient même pas l'utilité de tels travaux et préfèrent donc entretenir comme ils le peuvent et le veulent leur bâtiment plutôt que de se lancer dans une opération de réhabilitation dans les règles de l'art. La seconde raison de se délabrement est le réaménagement illégal des bâtis existants pour augmenter la capacité d'hébergement et/ou multiplier les espaces commerciaux et de production. On remarque de plus en plus une adaptation personnelle des typologies des espaces existants pour répondre à l'évolution du quartier. Ce phénomène assez récent est du à l'afflux de personnes dans la zone : le plus souvent immigrés et de passage, elles ne sont pas très regardantes sur le confort de leur logement. Des subdivisions ou des ajouts sont donc effectués sans l'accord d'aucune instance de protection du patrimoine. Trois types d'aménagements peuvent être observés : • La subdivision de grandes pièces en plus petits espaces pour pouvoir loger plus de familles ou augmenter le nombre de chambres à louer et donc la rente des propriétaires. • L'ajout d'espace par l'utilisation et le détournement des espaces extérieurs privés tels que les terrasses ou les balcons en espaces intérieurs. • La construction illégale d'étages additionnels sur les bâtiments existants. Finalement, ces modifications personnelles de typologies sont aujourd'hui dues à un besoin. Bien qu'elles défigurent le paysage urbain, il serait intéressant, pour les architectes, de les étudier pour comprendre les nouvelles attentes de la population habitant le quartier. En effet, les typologies doivent s'adapter à un mode de vie. Celles du quartier n'ont pas évoluer depuis les grands incendies, en 1870, elles sont donc sûrement aujourd'hui obsolètes et doivent être revues et adaptées en fonction des nouveaux besoins. Selon la mairie, un des objectifs le plus important du projet Tarlabasi 360 est donc de renouveler toutes les infrastructures et les bâtiments en ruine en construisant de nouveaux blocs multi-usages adaptés aux envies et besoins de la génération actuelle.

Pour conclure, le quartier Tarlabasi est aujourd'hui un quartier très particulier, avec une histoire urbaine spécifique. Malheureusement à cause du manque d'entretien de ce patrimoine, le quartier est aujourd'hui entrain de tomber en ruine. Le gouvernement préfère donc le reconstruire en créant cette opération de rénovation urbaine que constitue le projet Tarlabasi 360, plutôt que d'investir de l'argent pour réhabiliter le quartier.

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RelevÊ photographique de la zone du projet Photo personnelles – janvier 2016

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II/ Les enjeux et risques du projet Tarlabasi 360 1) Une refonte du tissu urbain et des typologies a- Les objectifs et acteurs du projet Le projet Tarlabasi 360 est un projet novateur car il est le premier projet de rénovation urbaine mené dans ce quartier.

- Les objectifs Le quartier Tarlabasi a longtemps été délaissé par les politiques urbaines de la ville d'Istanbul, tant bien qu'il s'est construit son propre réseau et fonctionne aujourd'hui comme un village dans la ville. Malheureusement, l’État ne parvient pas à endiguer les activités illégales et la pauvreté qui y règnent. C'est pourquoi le projet Tarlabasi 360 a été lancé pour mettre un point final a ces décennies de laisser aller dans le quartier et pour qu'il renoue avec le reste de l'arrondissement. En effet, ce dernier se veut le relanceur du dynamisme passé du quartier en réintégrant cette zone, aujourd'hui totalement délaissée, à la forte dynamique de la municipalité de Beyoglu accueillant le coeur de la vie stanbouliote. Le projet vient donc en réponse à la destruction du quartier qui a engendré le délitement rapide du patrimoine urbain. En effet, la taudification à Tarlabasi est plus importante qu'ailleurs à cause de sa fréquentation : les populations pauvres ne peuvent entretenir leur habitat comme il le faudrait et ce par manque d'argent. C'est pourquoi, aujourd'hui, la municipalité veut attirer des populations plus riches. Elle espère donc, grâce à son nouveau projet se concentrant seulement sur neuf ilots de la zone dégradée, créer un « effet boule de neige » : avec la fréquentation d'une nouvelle population plus aisée, la réputation du quartier changera, des personnes ayant des moyens financiers plus importants réinvestiront alors l'espace et peut être rachèteront d'autres lots aux alentours du projet pour les restaurer et ensuite les habiter ou les louer. La mairie espère également que les actuels propriétaires de lots aux alentours du projet, sentant la situation évoluer, envisageront des travaux pour améliorer leur bâti afin de pouvoir louer leurs appartements plus chers. Ainsi, on peut dire que l'objectif principal du projet est de produire de la gentrification. La gentrification est souvent une conséquence plus ou moins malheureuse d'opération de rénovation urbaine, mais ici, dans notre cas, la gentrification est clairement un objectif. Ainsi, actuellement, les classes moyennes et riches ont fui la zone de Tarlabasi et tous les quartiers du centre en général en raison de leur vétusté et de leur trop grande agitation. De même, les investisseurs étrangers n'investissent pas en premier lieu à Tarlabasi car c'est un quartier ayant une mauvaise réputation, malgré son fort potentiel touristique du à son tissu historique. « Being one of the important regions of Istanbul in terms of historical values, Tarlabaşı is a place having construction stock that does not meet the contemporary needs with its small-parcel structure and not being reached due to narrow streets

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and car parking and an area where landholders cannot make investment due to bad environmental conditions and a place covered with non-renewal constructions due to high project cost and long term procedure »49 Il faut donc donner envie à ces investisseurs d'acheter ici, et pour cela, il est nécessaire de « nettoyer » le quartier gangrené par les activités illégales. Ce « nettoyage » est actuellement en cours et se fait assez violemment. Malgré tout, il ne permettra pas de supprimer durablement les activités illégales qui s'y développent en raison du niveau de vie très bas dans le quartier. Ces actions ne font que les déplacer un peu plus loin. “À quelques centaines de mètres de Taksim, le projet de rénovation de Tarlabaşı – neuf îlots ont été rasés fin 2012, la population en majorité non propriétaire expulsée et le parcellaire radicalement recomposé – fait le lien entre transformation urbaine et révisionnisme historique. Faire une «vraie place » – selon les objectifs annoncés –, c’est aseptiser et surtout interdire les appropriations jugées déviantes et dérangeantes pour l’économie urbaine et morale dominante.”50 Finalement, l'idée du projet est de ne renouveler qu'une petite partie du tissu urbain pour lancer le processus de gentrification. Cette gentrification aura de graves conséquences sociales. En effet, en amont de la gentrification, on observe souvent des phénomènes de ségrégation et de ghettoïsation de certains groupes. La zone de Tarlabasi peut être considérée comme un ghetto où toutes les populations déshéritées d'Istanbul se retrouvent. Ce quartier accueille entre autre des communautés aujourd'hui en conflit avec l'état pour leur reconnaissance et pour leurs droits : les kurdes et la communauté homosexuelle principalement. Les autorités voudraient donc bien voir disparaître ou dispersé aux abords de la ville ces groupes de populations pour éviter tous conflits d'importances près des zones touristiques. Cette dispersion passe alors tout d'abord par le démantèlement des squats (environ 30 % des habitants de Tarlabasi ont été identifiés comme squatteurs par la mairie de Beyoglu) où se trouvent principalement les immigrés clandestins, puis par les expropriations. Les immeubles se trouvant dans la zone de Tarlabasi ont rarement des propriétaires ce qui permet d'expulser facilement les familles, considérées comme squatteur, habitant à l'intérieur (40 % des bâtiments concernés par le projet n'ont pas de propriétaire selon la mairie de Beyoglu). Malheureusement, avec le projet, ces familles sont souvent laissées à la rue ou

49 Site du projet Tarlabasi 360 (www.tarlabasi.com/en) Traduction : Tarlabasi est une des zones les plus importantes d'Istanbul du point de vue de sa valeur historique. Malgré tout, c'est une zone ayant un tissu urbain qui ne répond plus aux attentes contemporaines, avec de petites parcelles difficilement accessibles à cause des rues étroites et du manque de parking. C'est un endroit ou les propriétaires ne peuvent faire d'investissements du fait des mauvaises conditions environnementales. De plus, c'est une zone pleine de constructions non renouvelables car le coût pour leur réhabilitation est trop élevé et soumis à des procédures trop longues. 50 Citation de Jean François Pérouse lors d'une interview pour le Petit Journal. Folie des grandeurs – Jean François Pérouse : “Le gouvernement veut faire d'Istanbul la vitrine de la Turquie”, décembre 2013

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relogées dans des cités aux franges de la ville. Cette dispersion pourrait alors avoir comme conséquence le regroupement de ces communautés pauvres et donc la création de villes satellites déshéritées, mais cette fois en dehors du centre-ville et donc cachées du tourisme. Cet éloignement est souvent une catastrophe pour ces populations qui vivent, le plus souvent, de revenus issus des activités engendrées par le centre-ville : chauffeurs de taxi, petits marchands d'objets à destination des touristes, éboueurs de rues etc. Dans les franges de la ville on ne retrouve aucune économie. Il sera alors beaucoup plus compliqué de gagner de l'argent pour ces populations. Malgré tout, la mairie soutient faire un plan d'envergure plus social qu'urbain, dans le but de reloger des habitants du quartier aujourd'hui vivant dans des conditions inhumaines. Mais en faisant cela, volontairement ou non, elle détruit tout un réseau de connaissance et d'amitié lié à l'intérieur du quartier et transforme alors la zone en un endroit impersonnel et sans vie tout comme les nouvelles cités qui se construisent aux abords de la ville pour reloger les habitants. « Mustafa Özalp, a 45-year-old taxi driver who moved to Kayaşehir from the lowincome neighbourhood of Sultangazi, says he misses the familiarity of his old street. "I have no ideas who my neighbours are here. We never meet. There is no community." He explains that he moved to the satellite city because apartments were affordable compared with other parts of Istanbul. "Life in a high-rise is not for me, but what can I do?"»51

- Les acteurs du projet Le projet Tarlabsi 360 est également novateur car c'est le premier projet de rénovation urbaine qui sera mené par le secteur public dans le but d'attirer des investisseurs privés pour qu'ils entament eux aussi, de leur côté, la rénovation de leurs biens investis se trouvant dans le quartier. Ainsi, le projet a été mené conjointement par des acteurs publics et privés, chose encore jamais vue en Turquie. Les acteurs publics ont donc eu le rôle d'initiateur et de planificateur du projet. Ils sont constitués par : • le gouvernement • la mairie d'Istanbul (Buyuk Sehir Belediyesi)52 • la municipalité de Beyoglu (Beyoglu Belediyesi)

51 Turkey's giant construction projects fuel anger of Istanbul residents, The guardians, Juin 2013 Traduction : Mustafa özalp, un chauffeur de taxi de 45 ans qui a du déménagé du quartier pauvre de Sultangazi à Kayasehir, dit que l'ambiance familiale de son ancienne rue lui manque “Je n'ai aucune idée de qui sont mes voisins ici. Nous ne nous voyons jamais. Il n'y a pas de communauté.” Il explique qu'il a du déménager dans cette ville sattellite car les appartements étaient moins chers comparés à d'autres quartiers d'istanbul. “La vie augmente, ce n'est plus pour moi, mais qu'est ce que je peux faire?” 52 La mairie du Grand Istanbul est l’organisme public qui gère l’organisation de l’ensemble de la métropole. Elle supervise tous les dossiers quelle que soit l'autorité administrative auquel il se rattache. Elle est une sorte de médiateur entre l’Etat et les mairies d'arrondissement qui composent le territoire d'Istanbul.

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indirectement TOKI 53

Le projet nécessitant des fonds assez importants, les acteurs privés ont aussi joué un rôle majeur. Ils sont constitués : • de gros investisseurs, comme Çalik Holding qui est le principal actionnaire du projet. Il permet d'aider la mairie à racheter les îlots. • de l'entreprise de construction GAP Insaat désignée comme ayant le monopole sur la construction du projet • des sous-traitants, • des agents immobiliers De même, 54 architectes, urbanistes, académiciens et sociologues ont participé au projet. Il est divisé en neuf lots qui ont été partagés entre neuf agences d'architecture dont Tures, MTM, Sepin, Duru.54. Seul un bureau étranger fait partie du projet, en effet, peu d'agences étrangères interviennent en Turquie en raison de la trop grande différence de point de vue par rapport à l'architecture entre la Turquie et surtout l'Europe, ce qui empêche la coopération internationale dans les projets. Les propriétaires et habitants du quartier font également partie des acteurs du projet mais uniquement de façon officieuse. En effet, ils ont vite été mis à l'écart. Ils subissent donc la situation et ne peuvent que très rarement donner leur opinion. Les associations locales et internationales jouent par conséquent un rôle important permettant de défendre les intérêts des habitants et de créer des sortes de collectifs pour regrouper les victimes du projet et leur donner des conseils juridiques. Elles sont donc d'une grande aide pour certains habitants qui ne peuvent se défendre car ils ne parlent pas turc ou sont illettrés. Ainsi, on peut souligner qu'en 2010, une association a déposé un dossier auprès de l'UNESCO pour que la zone du projet soit protégée et ainsi annuler le projet de rénovation urbaine. Malheureusement, cette demande n'a pas abouti. « En revanche, les associations qui se sont créées en réaction à l’annonce du renouvellement du quartier, imaginé sans aucune concertation des habitants, semblent trop différentes pour prétendre à des caractéristiques communes. L’étonnante organisation de l’association défendant les droits des habitants de Tarlabaşı donne des raisons de penser que le projet de la mairie de Beyoğlu sera très vite suspendu par les tribunaux saisis par les avocats de l’association. Il est facile de voir que l’association de Tarlabaşı a concentré ses efforts sur deux stratégies : celle du contact et du dialogue avec les responsables municipaux chargés de modeler le projet de rénovation des quartiers ; et celle de l’action juridique par la construction par étape d’un dossier qui peut être introduit au

53 TOKI est l'équivalent de nos agences HLM françaises malgré qu'elle ait un rôle plus flou du fait de sa variété d'actions. En effet, son rôle principal est de répondre aux besoins de logements de classes inférieures et moyennes mais elle est accusée, pour atteindre ces objectifs d'être responsable de la spéculation immobilière en cours à Istanbul. 54 Tarlabaşı 9 ünlü mimara emanet, Hurriyet, Juillet 2008

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tribunal en cas de rupture de dialogue avec la mairie. Ces initiatives permettent surtout de garder toujours une longueur d’avance sur les responsables du projet qui semblent ne pas avoir de réponses à toutes les questions posées. Celles-ci sont, très brièvement, le devenir des locataires, les garanties aux commerçants qui quittent le quartier à une étape où l’aboutissement du projet n’est pas encore évident, les centaines d’enfants inscrits dans les écoles à proximité qui devront quitter le quartier au milieu de l’année scolaire, etc.»55 De plus, on peut noter que des organisations internationales comme Amnesty International essayent de défendre les habitants en dénonçant les pratiques que met en place la Mairie pour arriver à ses fins. En effet, dans le cas du projet, il y a violation des droits de l'homme. L'association accuse donc les autorités d'avoir été négligentes dans la mesure où aucune étude concernant les conséquences que ce projet pourrait avoir sur les habitants du quartier n'a été faite. D'autre part, le projet a été très peu présenté avant son acceptation en 2005 : les premières annonces publiques ont été faites en 2012 grâce à de grandes affiches ventant les mérites du futur projet. Ainsi, le projet a été décidé sans que les habitants sachent ce qu'il se passait et donc sans leur accord, ce qui engendre aujourd'hui une grande colère à l'intérieur des communautés vivant à Tarlabasi. « Many locals feel overwhelmed and shunted aside by the ongoing makeover, which they view as focusing on profit for the privileged while ignoring the majority. They see disappearing green spaces, overpriced apartments, forced evictions, endless commutes, vast corruption and – in contrast with America- the sudden ubiquity of that 1980s retail relic, the shopping mall. »56 Les médias jouent également un très grand rôle. En effet, le projet faisant polémique, leurs reportages, souvent partiaux, peuvent, dans certains cas, servir la municipalité ou, au contraire, la mettre en accusation. Ainsi, par ce biais, chacun des acteurs peut manipuler la population turque. Par contre, on remarque que les institutions et les organisations œuvrant pour la protection du patrimoine en Turquie sont les grands absents parmi les acteurs, ce qui se ressent fortement sur la conception du projet. En effet, comme nous allons pouvoir le développer ultérieurement, le projet ne garde en rien la valeur historique du quartier : il opère une totale refonte de ce dernier en oubliant les différents styles et inspirations architecturales qui définissent

55 Le projet de renouvellement de Tarlabaşı en 50 questions, publication de l'OUI, Mars 2008 56 Article, Bloomberg.com, Erdogan Eye on ‘Crazy Projects’ Links Turkey Scandal to Builders, Janvier 2014 Traduction : De nombreux habitants se sentent accablés et exclus par le relooking mis en oeuvre, qu'ils voient se concentrer sur le profit des classes supérieures tout en ignorant la majorité. Ils voient leurs espaces verts disparaitre, le prix de leurs appartements augmenter, ils se voient forcés de partir, de prendre d'interminable navettes, ils assistent à une vaste corruption et – au contraire de l'Amérique assistent à la soudaine apparition omniprésente de la relique du commerce des années 1980, le centre commercial.

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Organigramme des différents rôles des acteurs du projet Tarlabasi 360 SOURCE : GUIGNARD, LUCE, Le processus de fabrication du patrimoine architectural et urbain d'une mégalopole gouvernée par la politique et l'économie locale et internationale, Exemple de la ville d'Istanbul et du projet de rénovation urbaine de Tarlabasi, Mémoire, ENSA-Marseille, 2015

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actuellement la zone. Finalement, le projet Tarlabasi 360 a convoqué des acteurs variés dans l'objectif de créer un méga projet qui pourra mettre en avant les capacités de la Turquie à l'international. Ainsi, le projet est très important pour le gouvernement qui le défend alors avec conviction malgré toutes les critiques. Aussi, il a récemment été récompensé dans la catégorie des projets de rénovation urbaine par le « European Property Award » de 2013.

Pour conclure, le projet Tarlabasi 360 est un projet jamais vu en Turquie tant par l'objectif qu'il vise que par la façon dont il est administrativement monté. Il pourra alors ouvrir d'autres pistes de réflexions à la mairie et aux investisseurs privés. Ainsi, il ne serait pas surprenant de voir apparaître un nouveau projet similaire, dans une autre zone d'Istanbul dans quelques années.

b- Une évolution urbaine Le projet est d'autant plus novateur et spectaculaire qu'il va totalement transformer les modes de vie dans le quartier et ce pour plusieurs raisons.

- Un changement dans les fonctions du quartier Aujourd'hui, on trouve principalement dans la zone de Tarlabasi des logements avec quelques commerces de proximités et quelques ateliers. Le projet gardera cette majorité résidentielle mais va également intégrer d'autres fonctions en convertissant les petits commerces et les ateliers en zones commerciales ou en bureaux. Ainsi, en modifiant les fonctions de la zone, le projet Tarlabasi 360 s'installe dans la continuité du processus général de tertiarisation d'Istanbul et principalement de son centre-ville, qu'il veut rendre plus attractif pour le tourisme. Le projet, permettra donc d'étendre la zone d'influence de la place Taksim qui se situe juste à côté et qui est aujourd'hui principalement entourée de tours de bureaux et d'hôtels. Cette zone se transformera alors, peu à peu, en vitrine d’Istanbul ou seuls l’élite et les touristes évolueront. Mais ces changements de fonctions sont aussi dus à la volonté d'homogénéiser l'arrondissement. On remarque en effet que la mairie d'Istanbul souhaite que chacun de ses arrondissements ait une identité propre. Tarlabasi est considérée comme une zone à part de Beyoglu. La mairie veut donc l'unifier avec le reste en changeant ses fonctions qui sont actuellement différentes de celles que l'on peut trouver dans le reste de l'arrondissement. “ While it constitutes a nostalgis athmosphere in Tarlabaşı with streets and roads, art galleries, chick stores and food courts among 9 blocks, landscape drawer painters and musicians will make actual lived street concept. Starting to breathe newly with social renewal process and living buildings, Tarlabaşı is making an

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Istanbul dream coming into true with this giant Project. Established on totally 20.000 m² area with 150.000 m² construction area, 94.000 m² salable field and 360, 220 m. frontage, Tarlabaşı has been heralding already now that will be one of Istanbul’s constant trademarks. Taking place at Tarlabaşı 360 is to be in traditional architecture’s atmosphere and in the place life flows. It is being at the exact centre of the city and living Istanbul. Being in the distance of 540 m to Taksim Square which is deemed as city centre exactly, Tarlabaşı 360’s being close to Istiklal Caddesi is a strong determinative opportunity. As pedestrian it is advantageous to reach Taksim Funicular and Underground system. “57 Ainsi, le projet Tarlabasi 360 se compose officiellement de: • 52% de résidentiel • 12% de commerces (160 magasins), • 17% de structures touristiques, • 14% de bureaux. Ces fonctions sont bien divisées par blocs et non plus par parcelles. Elles ne se mélangent pas, bien que les rez-de-chaussées soient destinés à accueillir des fonctions de services et/ou de commerces. Ainsi, grâce à cette organisation de bâtiments mixtes, les logements pourront bénéficier de toutes les commodités aux alentours proches, et donc les habitants n'auront pas besoin d'aller fréquenter d'autres zones aux alentours. L'ensemble s'apparente alors plus à une « gated-communitie » qu'à des immeubles s’intégrant au quartier. Malheureusement, aujourd'hui, la forme urbaine de la « gated communite » est la forme urbaine dominante dans les nouvelles constructions d'Istanbul. Ces espaces, entourés de murs physiques ou virtuels, sont les marques d'un ordre nouveau basé sur la ségrégation sociale. Cette nouvelle forme urbaine prolifère tellement qu'elle met sous pression l'espace urbain par la privatisation de rues et d'espaces publics. La forme urbaine de la gated communitie se définit par « des quartiers résidentiels dont l'accès est contrôlé, interdit aux non-résidents, où l'espace public (rue, trottoirs, parcs) est privatisé. »58 Ainsi, avec la redéfinition du parcellaire et sa division par fonction, le projet supprime définitivement le caractère hétérogène des activités propres à la zone de Tarlabasi. La

57 Citation tiré du site du projet Tarlabasi 360 (www.tarlabasi360.com/en) Traduction : Tandis que les rues et les routes, les galeries d'art, les oiselleries et les magasins d'alimentation s'étalant sur 9 blocs constitueront une atmosphère nostalgique à Tarlabasi, les peintres, dessinateurs de paysage et les musiciens animeront la rue contemporaine. Commençant à respirer de nouveau grâce au processus de renouvellement social, Tarlabasi fait du rêve stanbouliote une réalité grâce à ce gigantesque projet. Installé sur 20.000m2 d’une superficie construite de 150.000m2 dont 94.000 m² de surface commerciale et 220 m de vitrine, Tarlabasi sera une des marques déposées d'Istanbul. S'installer à Tarlabasi 360 c'est être dans une atmosphère architecturale traditionnelle et dans un endroit où la vie s'écoule paisiblement. C'est être aussi en plein centre de la ville et de la vie d'Istanbul. C'est ce positionnement à 540m de la place Taksim qui est désigné comme l'exact centre ville. Tarlabasi 360, proche de la rue Istiklal, est une grande opportunité. En tant que piéton, il est très facile de rejoindre le funiculaire de Taksim et le métro. 58 LE GOIX Renaud, La dimension territoriale des gated communities aux Etats-Unis, La clôture par contrat, cercles 13, [En ligne] 2005

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Illustration 19: Plan d'organisation du projet Tarlabasi 360 Chaque fonction est bien identifiĂŠe sur chacun des blocs. SOURCE : Livret de prĂŠsentation du projet Tarlabasi 360

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nouvelle organisation spatiale implique alors un changement d'échelle dans les fonctions : les commerces ne seront plus des petits commerces de proximité mais de grandes enseignes regroupées dans des centres commerciaux. La partie résidentielle rencontre tout de même des difficultés pour trouver des acquéreurs. Ce blocage est dû principalement aux prix prohibitifs (avec la chute du prix du baril de pétrole les investisseurs venant de la corne arabe ne sont pas au rendez-vous comme espéré) mais aussi à la réputation sulfureuse du quartier qui reste dans tous les esprits. En effet, seul 9 blocs vont être transformés mais ils resteront entourés par un tissu urbain en mauvais état où la prostitution et la drogue font rage. Le parc résidentiel prévu dans le projet est alors en train de se modifier pour se tertiariser et évoluer en hôtels ou appart-hôtels ce qui annonce la mort de cette zone. En effet, si plus personne n'y habite les activités seront beaucoup moins lucratives, les commerces fermeront pour se réinstaller sur les hauteurs de Beyoglu. Les stanbouliotes ne fréquenteront alors plus le quartier et continueront à passer leurs temps libre du côté de la rue Istiklal : le coeur de la zone festive et commerciale d'Istanbul. Finalement, la mairie essaye d'homogénéiser les fonctions du quartier Tarlabasi en mettant en place une opération de tertiarisation pour l'apparenter au reste de l'arrondissement de Beyoglu. Mais cette opération de rénovation urbaine effacera toutes les particularités et l'histoire du quartier, ce qui est très regrettable. En effet, le changement des fonctions va aussi modifier la fréquentation du quartier : les personnes qui font actuellement l'âme de cet endroit ne fréquenteront plus la zone et Tarlabasi sera alors foncièrement transformé. Ces changements dans les fonctions servent aussi l'objectif de gentrification affiché par la mairie. La décision concernant le choix des différents programmes que le projet accueillera n'est, bien sûr, pas prise par les architectes mais plus par la mairie et les instances politiques qui veulent faire d'Istanbul une grande puissance économique à l'égal d'autres capitales européennes. Le programme peut tout de même être critiqué car, le fait de transformer les commerces de proximité et les ateliers où les gens du quartier allaient travailler en grand espaces de vente et de production tertiaire (bureaux), va supprimer tous les liens sociaux qui dynamisaient la zone et qui en faisait un quartier si spécial. A mon avis, le programme architectural aurait dû respecter le contexte du quartier et ne créer que du résidentiel et des locaux pouvant mieux accueillir les activités aujourd'hui en place dans le quartier.

- Un changement dans le rapport entre espace public/collectif et privé Le nouveau projet est entrain de créer une « gated communtie », que ce soit par le changement de fonctions de la zone, que par le traitement de l'espace public qui va rapidement se transformer en un espace collectif. En effet, dans le projet, à l'extérieur, les bâtiments n'ont pas de recul sur la rue où l'on peut s'arrêter comme c'est le cas aujourd'hui. Actuellement, l'articulation entre l'espace public et l'espace privé se fait via la rue où des petits porches, avec quelques marches reliant cette dernière à l'intérieur de la maison, rythment l'espace public. Nous allons ainsi assister à une

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Plan du Bloc 361 ĂŠtage du jardin

SOURCE : Dossier de projet du projet Tarlabasi 360. Site web du projet (www.tarlabasi.com/en)

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aseptisation de ce territoire, qui, aujourd'hui, est très important car il constitue l’entre deux entre la vie intime de l’appartement et le lieu de travail. Il n'y aura donc plus de place pour les activités et autres discutions. Le projet rompt alors avec cet espace public qu'est la rue et avec la vie même de Tarlabasi : la vie de rue est une des dynamiques centrales du quartier. L'identité sociale de la zone va donc être fortement remise en question, voir supprimée au profit d'une nouvelle identité plus en adéquation avec les attentes des touristes. En effet, aujourd'hui, les typologies présentent dans le quartier (petits commerces de proximité, ateliers de production artisanaux, entrepôts) permettent une certaine appropriation de la rue : les petits commerces mettent leurs étals sur le trottoir, les habitants discutent devant le pas de leur porte, les ouvriers fument une cigarette à leur pose assis dehors. Avec la suppression de ces différentes fonctions dans le quartier, c'est la possibilité d'appropriation de l'espace urbain et d'échange à l'intérieur de celui-ci que l'on supprime, et donc par là même, la vie de quartier propre à cette zone. De plus, avec ce projet, les rues vont devenir totalement carrossables et l’espace piéton va fortement diminuer. Ainsi, les acteurs du projet ne vont pas profiter des travaux pour aménager l'espace public et le végétaliser, ils vont plutôt le supprimer au profit d'un espace collectif : la cour intérieure des blocs, réservée aux habitants et aux clients des commerces positionnés en rez-de-chaussée et donnant sur cette cour. Les montées d'escaliers seront elles aussi positionnées dans ces cours intérieures pour limiter les accès sur rue et donc limiter les possibles intrusions. Les seules communications par la rue seront réservées aux services, aux voitures et aux consommateurs voulant accéder aux magasins. Tout ceci accentue alors l'effet de gated communitie : l'espace public n'étant pas traité, les personnes n'ayant rien à faire dans le quartier ne viendront pas errer aux alentours du projet, la ségrégation se fera alors naturellement car seules les personnes riches consommant dans les commerces ou habitant là, fréquenteront la zone. De même, à l'intérieur des bâtiments on remarque un changement de rapport entre l'espace collectif et l'espace privé. En effet, on retrouve de petites circulations desservant les appartements : de petits paliers reliés à des couloirs optimisés. Ceci est la conséquence entre autre de la réduction des surfaces et de l'optimisation des espaces collectifs pour limiter les charges. De même, ces paliers desservent des appartements qui parfois ne sont même pas dotés d'espace d'entrée et ouvrent directement sur les espaces de nuit (donc très privés) des habitations. Dans les étages, on remarque également que les habitants disposent de balcons ou de terrasses, ce qui est assez nouveau dans les typologies d'habitat en Turquie. De façon surprenante, ces balcons et terrasses donneront le plus souvent sur les rues et non sur les cours intérieures malgré l'agitation et le bruit qui se dégagent des rues. Finalement, on peut souligner que d'une façon générale, à Istanbul, le paysage urbain est très peu mis en valeur à cause du manque de traitement accordé aux espaces publics. Ce qui à mon avis, est plutôt regrettable. En effet, la construction du projet aurait pu permettre la création d'espaces publics de meilleure qualité qui, aujourd'hui, se définissent principalement par des trottoirs étroits. Qui plus est, le projet supprime même les quelques qualités de l'espace public existant en supprimant tous les recoins et porches qui permettent aujourd'hui aux personnes de s'approprier l'espace en s'y asseyant par exemple. Ainsi, tous les efforts se

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sont concentrés sur les espaces collectifs qui sont fermés au public. Ces cours intérieures sont intéressantes et utiles pour permettre une certaine densification mais auraient dû être plus ouvertes pour permettre de créer ces espaces verts qu'Istanbul rêve d'avoir. En plus ces cours auraient pu former un réel point de rencontre entre les habitants du quartier. Des activités auraient donc pu être organisées à cet endroit pour permettre de créer des liens de voisinage. Malheureusement, on remarque que le projet, volontairement ou non, s'applique à détruire tous les liens sociaux dans le quartier sans même essayer d'en recréer.

Pour conclure, le projet Tarlabasi 360 va modifier le paysage urbain de façon assez profonde mais seulement sur une toute petite partie du quartier, remettant ainsi en question l'harmonie générale de la zone. Le projet donnera alors l'impression d'avoir été parachuté au bord du boulevard sans aucune étude urbaine préalable. Il montre également une volonté d'homogénéisation que ce soit urbaine comme dans les fonctions. En effet, le projet vise à redinamyser le quartier mais, malheureusement, il pourrait avoir l'effet inverse à cause du fort risque de créer une « gated-communities ». Cette zone très particulière d'Istanbul va donc se transformer, comme beaucoup d'autres quartiers de la ville déjà touchés par des politiques de rénovation urbaine, en un endroit impersonnel dénué de toute vie de quartier ce qui est assez exceptionnel. Effectivement, chaque quartier fonctionne comme un village où l'on retrouve des cafés dans lesquels les riverains se retrouvent régulièrement et discutent toute la journée, voir même la nuit. Ainsi, certaines personnes âgées ne sont jamais sorties de leur quartier : elles y sont nées, y ont travaillé, s'y sont mariées et on eu tous leurs loisirs au sein de la même zone. On retrouve donc un esprit très familial mais toujours ouvert à l'étranger dans tous les anciens quartiers d'Istanbul.

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2) Le patrimoine en péril a- De nouvelles attentes pour la ville Ce paysage urbain, totalement transformé, pose alors la question de la protection du patrimoine dont on a l'impression qu'elle n'a pas été prise en compte dans l'élaboration du projet. Ainsi, le projet répond plus à une logique d'évolution et d'adaptation aux modes de vies plutôt que de conservation.

- Une apparence nouvelle Nous allons en premier lieu, assister à une densification de la zone géographiquement impactée. En effet, Istanbul se trouve dans une phase de densification de son centre-ville dont Tarlabasi fait partie. Actuellement la zone de Tarlabasi abrite des immeubles ne permettant pas la densification. Après la rénovation, les neuf îlots sélectionnés vont pouvoir accueillir des bâtis allant jusqu'à huit étages et prolongés en sous-sol avec deux voir trois étages de parking. De même la morphologie des immeubles et le rapport plein/vide va changer. En effet, on va passer de bâtiments verticaux implantés sur des parcelles étroites à des bâtiments horizontaux construits sur un seul bloc/parcelle. Le nouveau bâti sera implanté tout autour de la parcelle pour laisser place à une cour intérieure dans l’îlot. Ainsi, le ratio entre les espaces vides et les espaces construits sera amélioré ce qui permettra de rendre les espaces plus vivables et de créer des respirations dans le quartier malgré l'augmentation de la hauteur des constructions. Les travaux vont donc créer des bâtiments plus hauts et plus larges tout en gardant le réseau de voiries actuel bien qu'il soit déjà très critiqué à cause de son étroitesse donnant un sentiment d'insécurité. On peut alors se demander si l'augmentation de la hauteur des bâtiments le long de ces ruelles est opportune pour ce que l'on appellera “l'ambiance de rue”. En effet, ces ruelles étroites et sombres ne vont pas être très attirantes pour les riverains et vont former une frontière entre les blocs rénovés et l'actuel tissu urbain. D'autre part, avec l'augmentation de ces hauteurs sans règle de prospect (seule un projet respecte les règles de prospect), le droit au soleil à l'intérieur de chacun des bâtiments va être sérieusement remis en question. De même, une autre des conséquences de ce changement de proportion dans le bâti du quartier est l'augmentation de l'effet venturi. Effectivement, les ruelles vont se transformer en couloir de vent ce qui n'améliorera pas « l'ambiance de rue ». L'effet bloc va également être accentué par le traitement de la toiture qui formera une sorte de chapeau homogène et droit alors que actuellement le bâti s'adaptait parfaitement à la pente. Certains projets essayent quand même de minimiser cet effet bloc, par la division des grandes façades en plusieurs parties, peintes de couleurs différentes, mais cette astuce n'est pas vraiment efficace. Ainsi, les façades seront recouvertes avec un enduit de couleur beige ou blanc et le plus souvent, des motifs rendront l'ensemble plus bourgeois. Les fenêtres seront placées différemment, elles seront plus nombreuses et plus grandes, avec des formes et des proportions différentes. Leurs menuiseries seront en bois. Les façades donnant sur les cours intérieures seront, elles, plus modernes, souvent en verre

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Illustration 21: Perspective du bloc 386 Les blocs vont passer de 4 à 8 étages. L'effet bloc sera accentuer par le toit en zinc qui chapeautera le tout sans différence de hauteur. SOURCE : Dossier de projet du projet tarlabasi 360. Site web du projet (www.tarlabasi.com/en)

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avec des gardes corps ou des persiennes en métal ou en bois. En façade, on passera alors d'une architecture assez simple et répétitive, à une architecture très complexe et peut être même trop ornementée. On peut tout de même noter que certaines façades sont protégées, le projet ne doit donc pas les supprimer. Mais pour pouvoir augmenter le nombre d'étage, ces façades sont comme enveloppées dans le bloc qui vient alors les étouffer en leur enlevant l'importance qu'elles méritent. Elles ne peuvent donc plus aider le quartier à garder son historicité. On peut également observer une modification dans les matériaux utilisés et une différence dans leur mise en œuvre. En effet, les matériaux utilisés dans le nouveau projet seront différents de ceux que l'on peut voir actuellement dans le quartier. Les structures répondront aux normes de prévention des risques de tremblement de terre et d'incendie, elles seront donc en béton armé. Les murs ou cloisons intérieurs seront eux en béton, en brique ou en plâtre en fonction de leur emplacement. Ils seront parfois recouverts par du contreplaqué dans les espaces accueillant du public (hors résidentiel) ou alors par du plâtre. À l'intérieur, les sols seront en pierre et les plafonds en contreplaqué pour les espaces accueillant du public, en carrelage et plâtre pour les logements. Les portes seront elles aussi en bois. Finalement, le projet va s'adapter aux nouvelles exigences de la ville qui est soumise à un afflux de personnes incontrôlé mais également au risque de tremblement de terre. Ainsi, le projet va changer drastiquement le paysage urbain mais seulement sur une toute petite partie du quartier. Pour autant, il ne va pas essayer de s'adapter au contexte physique existant. Il va alors rentrer en totale contradiction avec celui-ci, ce qui est très regrettable car le charme du quartier va s'en retrouver perdu. Par contre, on remarque dans les différentes descriptions des projets, une certaine harmonie entre tous les matériaux utilisés dans les différents blocs mais ces matériaux luxueux rompent totalement avec les matériaux utilisés à traditionnellement à Tarlabasi.

- De nouvelles typologies Ce renouvellement urbain se fait également par la construction de nouveaux blocs d'immeubles qui ne suivent en rien les typologies actuelles. Dans le projet, on trouve donc des logements en simplex, duplex ou triplex et même quelques penthouse avec des balcons ou des terrasses en fonction de l'emplacement des logements. Ce type de typologie n'est pas nouveau à Istanbul : on remarque en effet, en étudiant d'autres projets actuellement en construction dans la banlieue de la ville, qu'ils sont pourvus de la même variété de typologies considérées aujourd'hui comme modernes. Ainsi, le projet répond aux demandes et envies de l'élite turque. Ces nouveaux logements sont donc bien plus adaptés aux envies et désirs des personnes voulant accéder à tout le confort et à toutes les technologies modernes. Malheureusement, les nouveaux bâtiments sont loin de respecter les normes de construction occidentales (BBC, HQE) alors que les anciennes typologies étaient, elles, bien plus efficaces du point de vue environnemental, car le plus souvent traversantes. Les nouveaux logements en projet sont, eux, en général, non traversants et mono-exposés bien qu'une cour intérieure ait été percée au centre. On aurait alors pu imaginer que les logements auraient un accès plus grand à la

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Illustration 22: Façades côté rues et cours du bloc 361 On remarque que les façades côté cours (première image) sont d'un style bien plus moderne que les façades côté rues (deuxième image) qui sont bien plus simples. SOURCE : Dossier de projet du projet Tarlabasi 360. Site web du projet (www.tarlabasi.com/en)

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Analyse des façades de la zone et projet Traduction de la légende : Orange : Façades protégées, plans peuvent être réinterprétés Gris : Bâtiments a reconstruire en accord avec l'original Jaune : Bâtiments n'ayant aucune valeur historique, peuvent être réinterprétés On remarque que la plupart des façades de la zone du projet devraient être conservées ou reconstruites mais dans la réalité ces façades sont noyées dans le projet et ne sont pas du tout mises en valeur.

SOURCE : Site web de l'agence Tures

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lumière, chose assez difficile à avoir aujourd'hui à cause de la surdensité du quartier. Ces nouveaux logements seront donc difficilement vivables en été sans air conditionné, compte tenu du climat très chaud d'Istanbul. Ainsi, aujourd'hui, dans le projet, on retrouve une organisation avec des appartements ayant une typologie rectangulaire ou carrée et non en couloir comme la typologie des lotissements actuellement en place dans le quartier. Ce changement est dû à la nouvelle organisation basée autour de la cour intérieure qui rompt avec cette logique de logement en bande. Les appartements sont également plus petits, ils n'ont qu'une ou deux chambres qui ont une dimension de 10 à 12 m², ce qui est relativement petit pour une chambre dans un appartement à Istanbul. La circulation et les pièces communes ne sont plus centrales comme cela a toujours été le cas dans les typologies ottomanes. Ces appartements ne sont pas vraiment adaptés aux modes de vie turcs. En effet, même si la famille turque à tendance aujourd'hui à se réduire, elle reste quand même assez grande : l'actuel président à récemment appelé les femmes, dans un de ses discours, à faire au moins 3 enfants. Par ailleurs, le fait de vivre seul n'est pas un marqueur de la culture turque. Même les étudiants arrivant à Istanbul ne vivent pas seuls. Ils habitent avec leur famille (qui peut être très éloignée) ou avec des colocataires. Les personnes âgées, quant à elles, vont vivre chez leurs enfants quand elles ont perdu leur conjoint. Finalement, on peut se demander pour qui ces appartements ont été pensés, et par qui ils seront habités. En effet, ces nouvelles typologies imposeront une nouvelle organisation spatiale totalement opposée aux pratiques urbaines actuelles dans cette zone d'Istanbul. Ainsi, on peut avancer le fait que la population turque a évolué et que la nouvelle classe moyenne et dirigeant, pour qui ce projet est vraisemblablement conçu, est demandeuse de ces nouvelles typologies à l'occidentale. En effet, la population d’Istanbul est très jeune, plus de la moitié des turcs sont nés après 1980. Jean François Pérouse qualifie alors cette population de « largement dépolitisée et modérément religieuse ». De même, elle est en majorité urbaine mais aussi résolument européenne, consommatrice et plus en phase avec la culture mondiale. Ainsi, on peut soutenir que la Turquie se désorientalise.

Pour conclure, le projet Tarlabasi 360 est un projet de grande envergure qui va modifier profondément le quartier. Il répond alors à une logique de “Tabula Rasa” où le nouveau tissu urbain remplace l’ancien bâti avec la construction ex-nihilo de nouveaux blocs. Cette transformation urbaine est très préjudiciable pour le patrimoine urbain d'Istanbul, ville qui ne s'est finalement jamais construite sur cette logique de son plein gré. Ainsi, bien que le projet soit parti de l'intention louable de modifier le tissu urbain pour l'adapter aux nouveaux modes de vie, il ne répond pas à la logique de la ville qui voudrait que le projet respecte un peu mieux le tissu urbain où il s'implante. Le projet devrait donc, tout d'abord, ne pas modifier autant le tissu urbain par la création de blocs ne s'adaptant pas au terrain. Istanbul doit se densifier pour pouvoir accueillir plus de monde, ce n'est pas pour autant que le bâti doit se construire hors du contexte physique, patrimonial et social de la zone. Ensuite, le projet ne devrait pas venir réinterpréter certains marqueurs du style ottoman (bow-window, fenêtres, moulurations) par la modification des proportions, car cela ne rentre dans aucune logique, ni

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Illustration 24: Evolution des typologies d'habitat de la maison ottomane à aujourd'hui SOURCE : Montage personnel de plans tiré du livre de PINON Pier et BORIE Alan, Portrait de Ville : Istanbul, Cité de l'architecture et du patrimoine/Institut français d'architecture 2010 et du site internet de la mairie de Beyoglu (beyoglu.bl.tr)

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de protection du patrimoine, ni de modernité. Ainsi, le projet montre qu'il n'a pas l'intention de se conformer à la protection du patrimoine mais les acteurs se sont vu quand même obligés de respecter certains préceptes comme la conservation d'un style ou de certaines façades. Malheureusement, la protection du patrimoine ne peut pas se faire à moitié dans notre cas. En effet, comme on peut le voir avec la problématique des façades qui doivent être protégées, elles se retrouvent étouffées à l'intérieur du projet et perdent alors toute utilité et crédibilité. Le projet aurait donc dû choisir son parti pris, ou foncièrement moderne tout en s'adaptant au contexte, ou « patrimonialement » correct en respectant le contexte et toutes les influences patrimoniales du quartier.

b- Répondre à de nouvelles influences urbaines et architecturales Le patrimoine architectural et urbain du quartier est d'autant plus mis en danger qu'il est soumis au phénomène assez récent de néo-ottomanisation qui sévit dans tout Istanbul, mais aussi par le phénomène global de mondialisation.

- Le néo-ottomanisme Depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP, le patrimoine minoritaire est en danger. En effet, on remarque que la Turquie a aujourd'hui une volonté affichée de renouer avec son passé ottoman, que ce soit dans sa politique internationale comme dans sa politique urbaine. Ce phénomène est appelé néo-ottomanisme. « Le concept de « néo-ottomanisme » est souvent appliqué à la Turquie, depuis qu’elle est gouvernée par l’AKP, la formation post-islamiste de Recep Tayyip Erdoğan, qui a été reconduite au pouvoir pour la troisième fois consécutive, en juin 2011. Cette inclination s’observe dans nombre d’analyses de la nouvelle politique étrangère d’Ankara. Rompant avec le rapport privilégié qu’elle entretenait depuis les débuts de la guerre froide avec les Occidentaux, la diplomatie turque, qui a développé des relations soutenues avec son voisinage, et renoué notamment avec le monde arabe, serait mue désormais par une stratégie néo-ottomaniste, qui viserait à recomposer une influence impériale perdue depuis les débuts du 20e siècle. En fait, selon certains experts, au moment où sa candidature à l’Union européenne s’enlise, la Turquie se tournerait à nouveau vers l’Orient.”59 Ainsi, avec cette nouvelle doctrine on remarque que l'accent est particulièrement mis sur la protection et la réhabilitation du patrimoine tangible et intangible ottoman au détriment du patrimoine minoritaire qui est parfois mis en danger. Par exemple dans le projet Tarlabasi 360

59 MARCOU, Jean, Le néo-ottomanisme, clef de lecture de la Turquie contemporaine ?, Les clefs du Moyen Orient, [En ligne] 2012

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on remarque que l'église assyrienne Meryem Ana, qui se trouve au milieu de la zone de projet, va être étouffée par la construction des nouveaux bâtiments : aucun périmètre de mise en valeur ou de protection n'ayant été respecté. Ainsi, ce projet soutenant vouloir redorer l'image du quartier Tarlabasi pour le ramener à un idéal de cosmopolitisme et de richesse datant de la période ottomane ne respecte pas pour autant le patrimoine non-ottoman existant déjà durant cette période. “Tarlabaşı was Istanbul’s one and only with its colourful and multi-identity structure, intimate and warm neighbourhood relations and its distinctive architecture.“60 Ainsi, aujourd'hui, une différenciation est faite entre le patrimoine ottoman et le patrimoine minoritaire. Mais nous pouvons nous demander si cette différenciation est réellement légitime. En effet, le terme de minorité n'est évoqué qu'à partir de 1923 dans le pays avec le traité de Lausanne et fait ses premières apparitions dans les textes de loi seulement à partir de la fin des années 1920. Avant la période républicaine, on ne faisait donc pas référence aux minorités qui étaient considérées comme l'égal de la population ottomane. Le patrimoine n'était donc pas non plus différencié car chaque culture et chaque religion était acceptée. Le processus de patrimonialisation historique de cet héritage minoritaire est alors aujourd'hui en décalage avec la valeur historique architecturale et urbaine de la ville. Finalement, on cloisonne le patrimoine minoritaire en le différenciant et en le mettant à distance grâce à cette nouvelle doctrine appelée néo-ottomanisme. Cet éloignement des minorités par rapport aux turcs sert l'idéologie politique en place et met à jour de grandes problématiques sociales. Ainsi, dans le quartier, nous allons assister à une homogénéisation culturelle. Aujourd'hui le quartier est une des zones les plus multi-culturelle d'Istanbul. Avec ce nouveau projet, cette notion de multi-culturalité va certainement disparaître. En effet, le projet est a destination d'une population aisée, c'est à dire une seule et même classe, ce qui ne correspond pas du tout à la population actuelle du quartier. Le projet va donc éloigner les populations les plus pauvres et immigrées pour les remplacer par un groupe de population très différente et assez homogène.

- Une logique de mondialisation Nous pouvons souligner que le patrimoine minoritaire n'est pas le seul patrimoine menacé en Turquie. En effet, aujourd'hui, on assiste, et ce dans tous les domaines, à un phénomène appelé « mondialisation ». La mondialisation selon le dictionnaire Larousse désigne « un processus, celui de la construction au niveau mondial, d'un niveau de société commun à tous les hommes.[...] » Ce

60 Citation tirée du site web du projet Tarlabasi360 (www.tarlabasi360.com/en) Traduction : Tarlabasi était le seul et unique quartier d'Istanbul avec de telles couleurs et une telle structure multi-identitaire, avec des relations de voisinages intimes et chaleureuses et une architecture particulière.

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terme est souvent utilisé pour définir un nouveau mode d'échanges économiques, mais la mondialisation est un terme global ayant des impacts sur la société entière et ce, non seulement, dans le cadre de l'économie mais aussi de l'architecture. La mondialisation en architecture consiste en une transformation ou même en un remplacement des architectures vernaculaires par un style commun au monde entier. Ce phénomène impose une notion du beau, de l'utile et du fonctionnel qui amène alors à une standardisation de l'architecture menaçant jusqu'à la diversité culturelle de chaque pays. Ainsi, on remarque une standardisation de la ville et de ses aménagements : l'espace de la rue est devenu un standard imposé à l'imaginaire collectif que l'on reconnaît dans le monde entier. De même, les nouvelles typologies urbaines et architecturales sont victimes de cette uniformisation : les gratte-ciel ou les centres commerciaux n'ont aucune base culturelle et traditionnelle dans aucun pays. On a donc imposé, depuis quelques années, ces nouvelles typologies à la ville sans laisser la moindre possibilité d'appropriation de style ou de fonction. Aussi dans les années 1990, la volonté de faire à tous prix d'Istanbul une ville mondiale et moderne, a engendré la construction de grands centres commerciaux et de nouveaux quartiers résidentiels basés sur la typologie mondialement connue du gratte-ciel. C'est donc ce phénomène de mondialisation de l'architecture, basé dans une société capitaliste qui transforme les villes et les quartiers comme Tarlabasi. En effet, grâce aux analyses précédentes, on remarque que le projet Tarlabasi 360 s'inspire grandement des canons de l'architecture moderne en vogue dans la majorité des pays, que ce soit en plan comme en façade. « The project was created by watching renewal works in many Europeancountries. Renewal experiences and methods in London, Edinburg, Paris have parallelism with Tarlabaşı. »61 C e constat et les conséquences qu'il engendre sont très alarmants. En effet, ce projet très occidentalisé ne vise qu'une élite. On peut s'inquiéter des conséquences urbaines et sociales qu'il aura dans le quartier. Le projet, implanté seulement sur neuf ilots et ne dialoguant pas avec le reste du quartier, va petit à petit créer une zone ghetto qui se fermera pour devenir ce que l'on appelle une « gated communitie » ou « enclosure » où les riches s'enfermeront par peur des pauvres. De même, avec cette occidentalisation, on constate la perte de l'architecture vernaculaire. On peut alors s'inquiéter de l'avenir architectural et urbain d'Istanbul. En effet, on assiste aujourd'hui à une uniformisation des quartiers qui subissent le mode de pensée unique. Ce mode de pensée agit comme un rouleau compresseur urbain. L'architecture que l'on voit aujourd'hui fleurir dans toute la ville est donc le reflet du monde contemporain mondialisé.

61 Citation tirée du site du projet Tarlabasi 360 (www.tarlabasi360.com/en) Traduction : Le projet a été créé en regardant les opérations de rénovation dans beaucoup de pays d'Europe. Les opérations de rénovation à Londres, Edimbourg, Paris ont une certaine ressemblance avec celle de Tarlabasi.

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Le patrimoine ottoman est donc victime du formalisme et du mimétisme architectural influencé par la mondialisation de l'architecture. C'est toute la problématique actuelle de l'architecture en Turquie et ce depuis le XXe siècle. En effet, avec toutes les différentes influences, la Turquie n'a pas su garder un style propre et s'est laissée influencer par les différentes façons de penser l'architecture. Aujourd'hui, la malheureuse conséquence est qu'il est impossible de garder les influences ottomanes d'un tissu urbain historique quand il est soumis à des opérations de réhabilitation : il se trouve directement détruit par les réinterprétations modernes des architectes turcs. Cette trop grande influence moderne est due au manque de connaissance de l'architecture traditionnelle turque et ottomane, très peu enseignée à l'université : seul ceux ayant choisi de travailler dans la protection du patrimoine ont quelques notions. Malheureusement, le plus souvent, ce ne sont pas eux qui sont en charge de ce genre de projet qui ne sont pas encore réellement considérés comme des projets de type patrimoniaux du fait qu'aucun monument n'est à restaurer. “Les efforts qui sont faits en termes de réhabilitation et de valorisation du patrimoine existant, ne sont peut-être pas à la hauteur de cette richesse considérable”62 Ainsi, sur les façades du projet Tarlabasi 360, on remarque que les bâtiments tentent de garder une inspiration ottomane tout en l'adaptant au goût du jour, c'est à dire en modifiant les proportions de ce qui fait la caractéristique principale du style ottoman, soit l'encorbellement. On remarque alors que les façades principales donnant sur le Boulevard Tarlabasi n'ont rien à voir avec les façades que l'on peut trouver habituellement dans le quartier : les façades sont très modernes avec des lames de bois décoratives disposées comme sur les bâtiments que l'on trouve aujourd'hui un peu partout dans le monde ou encore bien plus imposantes avec des inspirations haussmanniennes. Par contre, les façades sur les rues secondaires, elles, ressemblent aux façades traditionnelles mais sont bien plus complexes, avec des compositions rythmiques et des propositions différentes (des bow-window plus grandes et des fenêtres plus larges) et une multiplication des moulurations. Le nouveau projet essaye alors de copier l'ancien tout en utilisant des matériaux bien plus luxueux. On retrouve donc un mimétisme dans la forme pour garder cet aspect ottomanisant du quartier. Mais on peut noter que, pour le projet Tarlabasi 360, tous les avis convergent pour dire qu'il ne rappelle en rien Istanbul ou l'empire ottoman. Il est en effet à la frontière entre le style contemporain, le style ottoman et le style haussmannien, ce qui lui fait perdre tout attrait et crédibilité. Ce n'est pas la première fois que les architectes ont recours au mimétisme dans des projets en centre urbain. En effet, tout le quartier de Beyoglu, bien que sa réhabilitation ait été mieux pensée que celle de Tarlabasi, a été victime de ce mimétisme de formes mais cette fois avec une inspiration directement tirée de l'époque haussmannienne : la rue Istiklal en est le parfait exemple. « D’un autre côté, il nous faut sensibiliser notre peuple, enclin depuis si longtemps

62 Citation de Jean François Pérouse lors d'une interview pour le Petit Journal. Folie des grandeurs – Jean François Pérouse : “Le gouvernement veut faire d'Istanbul la vitrine de la Turquie”, 2013

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à croire que l’ancien est sans intérêt, et que le neuf et le moderne, même s’il s’agit d’imitations, sont bien plus intéressants. Dans ce contexte, une politique de conservation menée avec cohérence par l’État et une continuité dans l’application de cette politique sont des atouts indispensables. »63 Finalement, ce positionnement architectural et urbain dans la reconstruction de la ville est du à une double peur. A la fois à la peur d'être jugée comme une ville du tiers-monde si les bâtiments actuels sont laissés comme tel, mais aussi à la peur de la perte du patrimoine qui, aujourd'hui, constitue une manne économique pour la municipalité d'Istanbul. Ainsi, Istanbul se caractérise à l'heure actuelle comme une ville capitaliste qui veut rentrer dans le cercle très fermé des villes dirigeantes mondiales. L'architecture et l'urbanisme doivent donc s'adapter à ce nouvel objectif. On remarque alors une standardisation de la ville, du bâti et de l'atmosphère qui remet en question le patrimoine.

Pour conclure, nous pouvons noter que la population turque ne s’est jamais réellement identifiée à un patrimoine urbain ou architectural. Elle est d’ailleurs très rarement sensibilisée à ces questions qui ne font pas partie de sa culture. Le pays n’ayant pas, à l'origine, cette notion de patrimoine, connait donc quelques difficultés à se construire une identité forte dans le contexte mondial actuel créé par la globalisation. Effectivement, la Turquie n’a jamais vraiment su où se placer à cause de son histoire chaotique mais riche en apports culturels divers. La création de l'Etat turc a laissé beaucoup de zones de doutes dans le processus d'identification à un patrimoine précis. De plus, avec la période républicaine, l'héritage ottoman a été mis de côté pour permettre la création d'un nouveau patrimoine moderne, laïc et républicain. En effet, la volonté kémaliste était de moderniser et de structurer la ville en proposant une rupture par rapport à certains héritages ottomans, ce qui a engendré le retour en arrière opéré par l'AKP (Parti de la Justice et du Développement) que l'on peut observer aujourd'hui.

63 YERASIMOS Stéphane, Le discours sur la protection du patrimoine en Turquie des Tranzimats à nos jours, European Journal of Turkish Studies, [En ligne] 2014

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Images du projet SOURCE: Captures ĂŠcran de la vidĂŠo du projet tarlabasi 360, montage personnel

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Avant-Après les travaux Après les travaux, la rue est aseptisée et homogénéisée : les façades colorées propres à la zone de Tarlabasi ont disparue. SOURCE : Photos : archives photographiques de l'IFEA Perspectives du projet : Site de la mairie de Beyoglu (beyoglu.bel.tr) Montage personnel

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CONCLUSION

L'objectif de cette étude était de discuter de l'évolution de la ville en la confrontant avec la protection du patrimoine et ce, sur un terrain bien particulier : Istanbul. Pour ceci, nous avons étudié un projet de rénovation urbaine aujourd'hui en cours de construction dans le centre historique : le projet Tarlabasi 360. La rénovation urbaine n'est pas un mode de construction nouveau de la ville, mais ce qui a été intéressant d'étudier dans ce mémoire, c'est la rénovation urbaine dans le contexte d'une mégapole d'un pays en développement. Ainsi, la ville d'Istanbul est encore entrain de se construire : les limites de la ville ne cessent d'être repoussées. Au moment où les politiques urbaines se concentrent principalement sur ces franges de la ville pour régler les problèmes de transport et d'habitat illégal alors que les budgets des municipalités sont plutôt faibles, réinvestir le centre ancien via des projets de rénovation en partenariat avec des groupes privés apparaît alors être une idée salvatrice. Ainsi, on peut constater que le projet Tarlabasi 360 n'est pas le premier projet de rénovation urbaine dans le centre historique d'Istanbul, beaucoup d'autres ont été menés dans la Corne d'or ou même à Beyoglu : en 2011, 47 zones étaient visées par des projets de rénovation urbaine. On assiste donc à une réelle réécriture de la ville. « In a report from 2006, UNESCO also expressed concern regardind the quality of reconstruction being done as well as the tendancy to demolish and rebuilt in the style of the old with concrete clad by wood, in imitation of the Byzantine timber house aesthetic. »64

Pour analyser ce projet d'envergure, nous avons dans un premier temps, exploré le contexte du quartier en définissant les caractéristiques d'Istanbul. En effet, si aujourd'hui la ville est aussi intéressante c'est grâce à son contexte particulier qui est du à son histoire. Pour comprendre la ville, il fallait donc l'étudier depuis sa création et prendre en compte tous les différents épisodes qui ont permis sa construction et son expansion. Régulièrement au cours de ce mémoire, des références au passé ont donc été faites et expliquées afin de pouvoir situer chaque question dans son contexte urbain et social, ce qui a permis de bien comprendre tous les tenants et les aboutissants d'une telle problématique. S'interrogeant sur la façon dont le patrimoine est aujourd'hui protégé en Turquie, il est aussi apparu nécessaire de définir plus précisément la notion de patrimoine en prenant en compte le rapport du pays à son passé et à son histoire. C'est un des aspects qui a rendu ce travail original et intéressant.

64 IVANOFF Alexandra, Istanbul's Tarlabasi, a symbol of urban renewal, 2013 Traduction : Dans un rapport de 2006, l'UNESCO a exprimé sa crainte à propos de la qualité des reconstructions faites, de même que de la tendance à démolir et à reconstruire dans le style de l'ancien, avec du béton recouvert de bois, en imitation de l'esthétique des maisons Byzantine en bois.

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Ainsi, nous avons pu constater que dans le monde, deux grandes tendances s'affrontent sur la notion de protection du patrimoine. La première, celle plus européenne, considère que le patrimoine est constitué de biens inestimables qui ne doivent en aucun cas être mis en danger par le développement de la ville. La seconde tendance qui règne actuellement en Turquie (mais aussi ailleurs), considère le patrimoine comme un ensemble de biens témoignant du passé et pouvant être réutilisés dans le développement des générations futures. La conservation du patrimoine n'est donc pas prioritaire sur le développement de la ville : le tissu urbain est considéré comme un tout constitué de logements où les gens vivent, il doit donc pouvoir s'adapter à son temps et aux modes de vie des personnes y habitant. Ces logements doivent donc rester adaptables en toutes circonstances sans obligation de protection. « Je veux seulement affirmer ici que le processus dynamique de la ville tend plus vers l’évolution que vers la conservation, et que dans l’évolution, les monuments se conservent et constituent des éléments propulseurs du développement lui même. »65

Nous avons donc pu identifier plusieurs phénomènes qui peuvent aujourd'hui expliquer la différence dans l'approche que les Turcs ont avec le patrimoine. La première raison est historique. En effet, on peut souligner qu'au moment de la période républicaine, la société turque à trouvé ses repères identitaires non pas dans le passé ottoman mais dans un passé plus lointain. C'est pourquoi aujourd'hui le passé relatif à l'Empire est davantage glorifié avec l'AKP qui entame un retour en arrière par le développement d'une nouvelle doctrine : le néo-ottomanisme. Cette nouvelle doctrine met alors en danger le patrimoine non ottoman dont le patrimoine minoritaire fait partie. La deuxième raison est culturelle. En effet, en Turquie, la protection du patrimoine n'est pas innée, mais, aujourd'hui, imposée par les organismes internationaux comme l'ONU. Ainsi, la protection du patrimoine ne concerne réellement que des biens qui sont à valoriser et à protéger séparément, soit les monuments. Le tissu urbain n'est donc pas vraiment concerné par cette notion, bien que ce dernier soit nommé et considéré dans les lois de protection du patrimoine. Ainsi, les autorités publiques lui privilégie la restitution d'un faux patrimoine ottoman avec ses caractéristiques particulières plutôt que de rénover le tissu urbain existant. La dernière raison est plus politique. En effet, on remarque en Turquie une certaine instrumentalisation par le gouvernement de ce patrimoine qui est vu comme un outil au service du tourisme, lui-même porteur d'une manne financière. Ainsi, dans ce cas, les intérêts économiques priment sur la protection du patrimoine. Le patrimoine à restaurer et conserver est donc conditionné par le tourisme. Dans un second temps, nous avons donc analysé le projet Tarlabasi 360 pour étudier les transformations tant urbaines qu'architecturales qu'il allait faire subir au quartier. En effet,

65 ROSSI Aldo, L'architecture de la ville, Archigraphy, 2001 (Traduction Françoise Brun), p.60

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ce projet va quelque part effacer la mémoire du lieu pour créer un nouveau fait urbain 66 majeur dans la zone. La ville évolue tous les jours, et cette réécriture de la ville ne serait pas si choquante et inquiétante si on ne remarquait pas que le projet remet largement en question les modes de vie du quartier en repensant les fonctions mais aussi les typologies des habitations. Malheureusement ce projet de rénovation urbaine va avoir des conséquences irrémédiables sur la protection du patrimoine, mais aussi sur la population. En effet, ce projet va engendrer la ségrégation sociale et la constitution d'une nouvelle typologie urbaine partiellement responsable de la rupture des liens dans la ville : la gated-communitie. En effet, grâce à un montage de projet différent intégrant les entreprises privées, les opérations, bien qu'elles deviennent moins coûteuses pour la mairie, engendrent de nouveaux problèmes urbains. Effectivement, en intégrant dans le processus de fabrication du projet des entreprises capitalistes, le projet rentre alors totalement dans la logique néolibérale qui sévit actuellement à Istanbul et qui est responsable de nombreuses catastrophes urbaines. Le projet Tarlabasi 360 est alors en passe de ne pas réussir à atteindre les objectifs de rassemblement et d'homogénéisation qu'il s'était fixé. Ainsi, le quartier Tarlabasi va perdre son unité et être défiguré à cause de ce nouveau projet aux styles multiples (ottoman, haussmanien, moderne). Finalement, il apparaît que, d'une part, la position turque n'est pas totalement dénuée de sens. En effet, le tissu urbain doit pouvoir évoluer au gré des besoins de la population. Depuis des siècles la ville évolue et ce n'est que depuis quelques décennies que l'on prend vraiment en compte la conservation du patrimoine urbain. On peut donc se demander si cette optique est légitime. En revanche, on peut réellement s'inquiéter pour le patrimoine turc bien qu'il soit protégé par des instances et des lois relatives à la protection du patrimoine. En effet, il risque de peu à peu disparaître à cause de la construction néolibérale de la ville influencée par la mondialisation qui fabrique une ville impersonnelle permettant des profits énormes mais pas forcément une amélioration de la qualité de vie de ses habitants. Ainsi, on remarque une tendance mondiale qui transforme la ville en un produit économique qui perd alors peu à peu sa fonction principale, soit celle de loger les habitants de façon acceptable. En même temps, la ville perd alors de son âme et de son historicité pour la création d'un patrimoine touristique permettant le gain financier. On peut donc se poser la question de savoir si la protection du patrimoine n'est finalement pas le dernier rempart permettant à la ville de se protéger de cette nouvelle tendance destructrice.

66 Selon Aldo Rossi, un fait urbain est un évènement physique majeur dans la ville. Un monument historique est par exemple un fait urbain premier. Ainsi, la ville est constituée de faits urbains comme un édifice est constitué de murs et de colonnes.

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BIBLIOGRAPHIE Ouvrages - Dictionnaire de la géographie de l’espace et des sociétés, directeur d’ouvrage Jacques LEVY éd. BELIN, 2013 - Istanbul 2023, Yoann MORVAN & Sinan LOGIE, Collection TERRITOIRES, 2014 - L'architecture de la ville, Aldo ROSSI, Archigraphy, 2001 (Traduction Françoise Brun) - L’allégorie du patrimoine, Françoise CHOAY, 1992 - L’urbanisme face aux villes anciennes, Gustavo GIOVANNONNI, Préface par Françoise CHOAY, Points Essais, 1998 - La méditerrannée à l’heure de la métropolisation, Territoires méditerranéens, coordonné par Nicolas DOUAY, 2009 - Les ruines des plus beaux monuments de la Grèce, Julien-David LE ROY, 1758 - Portrait de ville : Istanbul, Pierre PINON & Alain BORIE, Cité de l’architecture et du patrimoine/ Institut français d’architecture, 2010 - The remaking of Istanbul: Portrait of an ottoman city in the 19th century, Zeynep ÇELIK, Paperback, 1993 - The tourist : a new theory of leisure class, Dean MACCANNEL, Paperback, 2013

Mémoires et Thèses : - Comment vivre et construire un patrimoine historique dans un contexte métropolitain en forte mutation urbaine ?, Kader Kemal GOMENGIL, OUI, 2003 - Enjeux et dynamiques de la gentrification à Istanbul, Etude des quartiers anciens et centraux de Beyoğlu et de Tarlabaşı, Charlène MOUSSE, Université François Rabelais Tours, 2014-2015 - Istanbul's Tarlabasi, a symbol of urban renewal, Alexandra IVANOFF, 2013 - La dimension territoriale des gated communities aux Etats-Unis, La clôture par contrat, Renaud LE GOIX, cercles 13, 2005 - La gentrification: un phénomène urbain complexe et son utilisation par les pouvoirs publics, Sous la direction de Gille Pinson, Cité territoire gouvernance, 2009 - Le mythe du patrimoine minoritaire, Séminaire "Mémoires et mobilités urbaines", Ayşegül CANKAT , 2011, archives de l'IFEA - Le néo-ottomanisme, clef de lecture de la Turquie contemporaine ?, Jean MARCOU, Les clefs du Moyen Orient, 2012 - Le processus de fabrication du patrimoine architectural et urbain d’une mégapole, gouvernée par la politique et l’économie, locale et internationale. Exemple de la ville d’Istanbul et du projet de rénovation urbaine de Tarlabaşı, Luce GUIGNARD, ENSA-Marseille, 2015 - Le rôle des pratiques culturelles dans les dynamiques urbaines, Elsa VIVANT, Thèse de Géographie : Université Paris VIII Vincennes Saint Denis : 2006. - Migration, exclusion et taudification dans le centre ville istanbouliote : etude de cas Tarlabaşı, Bediz YILMAZ, 2006 - Programmes pilotes dans le cadre de l’harmonisation de l’Union Européenne, projet de réhabilitation de la zone de dépression de Beyoglu, Alper ÜNLÜ, ITU Centre de recherche et de planification urbaine et environnementale, 2003 - Projet de rénovation urbaine des quartiers de Fener et Balat à Istanbul : Instrumentalisation

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du patrimoine en vue de re-configurer la péninsule historique, Anabelle LOPEZ, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, 2009-2010 - Urbanisme néo-libéral et politique de gentrification : main basse sur le quartier de la gare TGV à Bruxelles, Mathieu VAN CRIEKINGEN, ULB

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- Politiques urbaines et gentrification, une analyse critique à partir du cas de Paris, Antoine FLEURY & Anne CLERVAL, L’espace Politique, 2009 - Requiem pour une ville perdue (Traduit par Sierra Yilmaz) La beauté d'Istanbul est chantée et écrite dans “Istanbul un monde pluriel, Samith RIFAT, Méditerranée, n°10, Paris, MSH, 1997-98 - Tarlabaşı 9 ünlü mimara emanet, Hurriyet, Juillet 2008 - The evaluation of project typologies in Istanbul: From conspiring dialogues to inspiring trialogues, Fatma UNSAL, Antwerp 43e ISoCaRP Congress, 2007 - The face of urban renewal and preservation in Istanbul, Michelle YOUNG, Untapped Cities, 2011 - Turkey’s giant construction projects fuel anger of Istanbul residents, Constanze LETSCH, The Guardians, 7 juin 2013

Filmographie - ŞEHIR Ucu Olmayan, « Ekümenopolis, a documentary film about Istanbul », 2012 Webographie http://www.archives.saltresearch.org http://www.ifea-istanbul.net http://www.tarlabasi360.com http://www.beyoglu.bel.tr http://www.istanbulguide.net

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ANNEXES Annexe 1 : Interview Jean-François Pérouse, Directeur de l'Observatoire d'Urbanisme d'Istanbul (OUI) – Janvier 2016 - Quel est le but de ce projet de rénovation urbaine ? Avec ce projet on essaye, selon la mairie, de réintégrer une mixité dans le centre en réinjectant des populations plus aisées. Le projet de rénovation est donc majoritairement basé sur un programme résidentiel. Le but de ce projet n’est pas de totalement évincé la population pauvre car il existe une micro économie dans le quartier de Tarlabasi qui rapporte beaucoup et qui rend service à la Mairie (récupération de déchets, trafic de drogue, maisons closes). L’objectif de cette rénovation urbaine est seulement socio-économique et est réalisée dans le but de relooker le quartier et de le redynamiser en espérant un processus de « gentrification par le haut », c’est à dire que le projet attire une population très aisée dont la présence contribuera à embourgeoiser le quartier.

- Pourquoi le processus est-il si long ? La mairie est actuellement endettée notamment à cause des procès de certains propriétaires. Le projet fait face aux résistances, aux problèmes de propriétés mal définies, à l’annulation du Plan d’urbanisme pour non conformité. De plus, les constructions ne trouvent pas d’acheteur car elles sont trop chères.

- Dans les projets de rénovation urbaine, les lois d’urbanisme relatives à la protection du patrimoine et à l’implantation du bâti (droit au soleil, vis-à-vis) sont-elles respectées ? Il y a des lois d’urbanisme mais elles ne sont pas souvent respectées et encore moins celles relatives à la protection du patrimoine du fait des récentes lois adoptées.

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Tout est fait pour densifier et caser le plus de monde au détriment de la qualité de vie. On trouve très peu de parcs et de respirations dans la ville par exemple. Toute nouvelle construction se fait en R+6, 7 minimum …

- Le plan d’urbanisme d’Istanbul a donc été modifié et les plans de protection aussi pour pouvoir construire le projet de Tarlabasi. Comment est-ce possible ? Oui. On se confronte à une administration toute puissante à laquelle personne ne peut faire face. Les politiques créent des lois pour permettre de contourner d’autres lois comme par exemple les lois de protection du patrimoine qui sont plus ou moins neutralisées voire complétées par les lois relatives à la prévention des risques sismiques.

- Beyoglu était inclus dans le projet de 2004 « Istanbul Ville Musée ». Pourquoi y a t il alors des opérations de destruction du bâti à Tarlabasi une dizaine d’année plus tard? Le projet de « Istanbul ville musée » de 2004 est aujourd’hui bien loin et oublié. Aujourd’hui, on travaille plus pour 2020 (Jeux Olympiques) ou pour 2023 (Hedef) même si sans ces événements le gouvernement aurait quand même rénové le centre pour l’ouvrir à une autre population plus riche (nouvelles classes et étrangers). La mairie veut transformer Istanbul en vitrine de la Turquie. Avec le projet de ville musée en 2004 on est passé très près d’une ville muséifiée, vivant seulement pour le tourisme, ce qui aurait été une catastrophe. Aujourd’hui, dans la municipalité de Beyoglu on vise plus un tourisme d’affaire et commercial que culturel (appart-hotel).

- Où en sont les réflexions sur le patrimoine en Turquie ? Il n’y a pas de patrimonialisation à Istanbul. Le projet de Tarlabasi, patrimonialise un nom, une idée mais pas le bâti en lui même. Le projet de tarlabasi 360 s’étend jusqu’en bas du quartier : on assiste là aussi à une destruction du bâti car il n’est pas patrimonial. Seule la partie vers le boulevard est soumise à une intervention globale qui vise à réintégrer le quartier tarlabasi à la dynamique de Beyoglu et du quartier Istiklal avec une sorte de réflexion sur le patrimoine ottoman. Mais rien à voir avec ce que l’on pourrait observer en France.Par exemple, le projet de Tarlabasi 360 n’intègre pas les bâtiments historiques qu’il ne peut détruire, il construit autour et les étouffe. Le projet de Tarlabasi est axé sur la reconstruction d’un patrimoine « fake », la reconstruction d’un tissu urbain ex-nihilo avec une refonte du parcellaire en recréant des parcelles plus grandes pour s’adapter aux critères de beauté et de confort d’aujourd’hui et pour avoir une capacité de logements bien plus grande. On peut retrouver une préservation des façades mais seulement pour certaines parties. Cette préservation n’est pas complète car les façades ottomanes sont recréées sans pour autant en garder les proportions.

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On applique principalement les principes de constructions à l’européenne car les modes de vie changent et s’internationalisent. La maison ottomane ne correspond plus obligatoirement aux envies des turcs mais encore moins aux envies des étrangers pouvant venir s’installer à Istanbul. De plus, aujourd’hui, il y a une réelle anomalie dans les prix du m2 habitable à Istanbul car il se trouve être très inférieur aux autres capitales européennes. Istanbul veut donc s’aligner sur les prix des autres villes européennes, et cela implique la modernisation du parc immobilier et l’exclusion d’une population trop pauvre.

- Est-ce possible d’atteindre un objectif si fou ? Cet objectif est possible mais il aura de graves conséquences pour la mixité de la population dans cette ville qui ne sera alors que pour les riches et très riches. En effet le salaire moyen turc est nettement inférieur à celui des autres pays européens. Istanbul devient un produit que ne pourront s’offrir que ceux qui auront les moyens. Istanbul est mise en vente par les pouvoirs publics. Avec cette nouvelle façon de voir la ville, la mairie participe à une dénégation des réalités sociales que même Amnesty internationale défend. La ville exclut les gens et ne permet pas la mixité ce qui constitue un danger pour son développement. On risque de voir apparaître, à terme, les mêmes problèmes que donnent aujourd’hui les cités aux abords des villes en France. De même, le droit à la ville n’existe pas, ou seulement pour les riches. On fait face à des pouvoirs publics tout puissants.

- Le Projet d’aménagement de la Place Taksim et le projet de rénovation du quartier Tarlabasi sont-ils des projets connexes? Ces deux projets ne sont pas liés dans le temps ni dans la volonté mais ils le sont par l’esprit. Ils fabriquent tous les deux du « fake ». Le projet de la place taksim produit un « fake » de l’ancienne place au XIXe siècle qui est très loin des réalités écologiques et soutenables d’aujourd’hui. De plus, la place, qui aujourd’hui est soumise à un traitement paysagé très peu réfléchi, ne sera pas plus que ça relié au boulevard Tarlabasi que l’on voit pourtant comme les nouveaux Champs-Elysées turcs. Mais ces Champs-Elysées ne transmettent en fait que l’idée du commerce et de la fréquentation par certaines classes sociales. On ne refera pas le boulevard, on ne réfléchira pas à une autre possibilité de circulation pour limiter la fracture qu’il forme. On ne veut pas concurrencer Istiklal qui restera l’avenue commerciale primaire.

- Qui a participé à la réflexion sur le projet Tarlabasi 360 ? Le projet de Tarlabasi 360 a été réfléchi par plusieurs bureaux qui se sont partagés les lots (9 îlots) : on va assister à un patchwork de projet. Un bureau anglais a aussi participé à la

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réflexion, mais c’est le seul bureau étranger. Souvent les projets architecturaux d’Istanbul sont menés par des bureaux d’architectures turcs car les bureaux étrangers ne sont pas dans la même logique que la Turquie qui n’a pas encore des préoccupations écologiques et soutenables. Les principaux acteurs du projet sont les architectes et les sous-traitants, bien sûr mais surtout la mairie, qui, avec l’aide de sociétés (GAP et CALIK HOLDING) a racheté les îlots.

- Peut- on parler de gentrification à Tarlabasi comme dans le reste de Beyoglu? Le projet de réaménagement de Tarlabasi n’est pas global. Seulement une petite partie va être modifiée par la mairie. Le reste est à l’initiative d’autres acteurs qui ont senti le vent tourner dans le quartier et qui ont décidé de faire des travaux pour améliorer leurs propriétés et ainsi pouvoir vendre ou louer bien plus cher. C’est pourquoi on ne peut pas vraiment parler de gentrification dans ce quartier car ce ne sont pas des particuliers qui ont décidé de modifier leurs lieux de vie pour les rendre meilleurs. Les travaux sont une opération spéculative de la part de la mairie de Beyoglu. On pourra parler de phénomène de gentrification mais plus tard quand des habitants auront décidé de rénover leurs maisons pour rendre leur patrimoine de meilleure qualité.

- Vous avez dit à Charlène Mousse, lors d’un entretien, que les logements avaient du mal à trouver acquéreurs du fait des prix prohibitifs et pourraient se transformer en bureaux ou en Hôtels. Si ce type de programme devient majoritaire quelles pourraient être les conséquences sur le quartier ? On assiste à une tertiarisation du centre historique qui n’est même plus vraiment destiné à l’habitat. On vise l’international : le centre historique deviendra la vitrine pour attirer des investisseurs internationaux mais cette logique de construire des centres commerciaux à tout va (plus de 100 à Istanbul) arrive à sa fin à cause de la chute du prix du baril de pétrole. Les populations riches du Moyen-Orient étant visées n’investissent plus dans les centres commerciaux et ne viennent plus consommer. Nous allons peut être assister à la fin de cette bulle spéculative qui aura de grandes conséquences sur l’urbanisation d’Istanbul.

- Y a t il eu des gecekondu dans le quartier de Tarlabasi ? NON on ne peut pas parler de gecekondu mais plutôt de squat.

- Est ce que l’on peut penser que tarlabasi deviendra une « gated community » ? Tarlabasi ne se transformera pas en « gated community » seuls les immeubles d’habitation seront fermés mais pas tout le quartier.

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Annexe 2 : Interview Aysegul Cankat, Professeur à l'école d'architecture de Grenoble – Octobre 2016 - Istanbul a connu différentes périodes dans son histoire qui ont modifié sa perception du patrimoine. Aujourd’hui, peut on dire qu’il y a une réelle identification à un patrimoine particulier dans la population ? La population turque ne s’est jamais réellement identifié à un patrimoine urbain ou architectural. La population est d’ailleurs très rarement sensibilisée à ces questions de patrimoine qui ne font pas réellement partie de sa culture. C’est seulement à partir de 1978, quand l’UNESCO a commencé à s’intéresser à la Turquie et a classé certains monuments, certaines zones, comme patrimoine mondial, que la Turquie s’est rendu compte de la valeur de son architecture et de sa ville. En 1979, le premier quartier à avoir été classé, a été le quartier de Sulmanye. A partir de ce moment là, les gens y habitant n’ont plus eu le droit d’entretenir comme ils le voulaient leur maison : tous travaux devaient être déclarés et soumis à autorisation. La population s’est retirée du quartier car elle voulait rester maître de son habitation et tous les travaux d’entretien étaient devenus très chers et pour certaines familles les montants étaient même insurmontables. Les quartiers protégés ont alors peu à peu été abandonnés et ont perdu toute valeur pour la population turque. Le fait est qu'en fonction des époques, certains quartiers ont été déclarés comme à préserver puis ont été abandonnés par les lois de préservation et inversement : les quartiers n’ayant pour personne une valeur patrimoniale ont été soumis à des lois de conservation. Ces protections ont toujours été imposées à la population qui n’a jamais eu une culture, une éducation concernant la conservation et le patrimoine.

- Aujourd’hui avec les différents projets de rénovation urbaine peut on dire que l’on assiste à une remise en question du patrimoine urbain d’Istanbul? Avec le projet Tarlabasi 360, il y a une réelle remise en question du patrimoine urbain que ce soit dans les formes urbaines comme dans les typologies architecturales. Ce projet est un désastre. Avec ce projet, on remarque un changement dans les modes de vie mais aussi dans les relations avec la rue. Il y a un grand changement dans le rapport à la rue, dans les transitions et les articulations entre privé et public. Aujourd’hui, les transitions se font grâce à l’avancée d’un petit porche abritant souvent 3 marches. Le projet efface totalement ce rapport très fin avec l’espace public. On ne retrouve plus d’accès direct avec la rue, seul les espaces de services, les

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commerces et les voitures communiquent directement.

Pour ce qui est des nouvelles typologies de logements, ces typologies ne sont pas forcément destinées à une population étrangère et occidentale mais tout simplement à une population turque riche et quelque peu bourgeois-bohème. En effet, même si le projet se trouve dans une zone très touristique se serait trop simplifier le problème que de décréter qu’il est réservé à une population étrangère. En effet, ces typologies de lofts, de duplex, se retrouvent facilement dans les nouveaux projets qui se construisent à Istanbul et particulièrement ceux le long de la mer de Marmara aux anciennes places des industries et ceux menés par TOKI. On peut donc en déduire qu’elles répondent à une nouvelle demande assez forte venant de la population turque. Ainsi, même si le projet accueille assez largement des hôtels et appart hôtels, cela ne suffirait pas pour soutenir financièrement le projet. En plus, Istanbul étant aujourd’hui une zone de vigilance orange pour le tourisme, un seul attentat de plus pourrait faire basculer le pays. Pour ce qui est de la conservation du patrimoine. On assiste à une opération de façadisme. La protection du patrimoine ce n’est pas seulement de préserver une moulure ou un encorbellement mais plutôt une proportion, des dimensions, des rapports pleins-vides. Les parcelles sont aujourd’hui assez fines et longues mais avec le projet, le parcellaire est totalement détruit pour construire par blocs.

- Dans le même sens, ces différentes rénovations urbaines mettent-elles en péril le patrimoine considéré comme minoritaire ? Je ne verrais pas les choses de façon si cartésienne. Le patrimoine dit minoritaire est pour moi aussi en danger que le patrimoine ottoman qui lui est soumis au fake. De plus, je ne pense pas que ce soit une volonté de la mairie de Beyoglu d’étouffer ce patrimoine. Pour la mairie, ces églises ne sont pas plus un patrimoine à conserver que le tissu urbain qui les entoure. On peut aussi souligner qu'après les grands incendies, Istanbul s’est largement et très rapidement densifiée, certaines mosquées se sont alors elles aussi retrouvées étouffées à l’intérieur du tissu urbain. 30% de l’économie est liée à la construction et donc il y a une forte spéculation à Istanbul qui met de côté toute considération pour les monuments.

- Peut-on considérer qu'avec toutes ces rénovations, la Turquie est entrain de se chercher, de se construire une nouvelle identité ? La Turquie n’ayant pas réellement cette notion de patrimoine a certaines difficultés à se construire une identité forte. Le pays n’a jamais vraiment su où se placer. Pour ce qui est de l’occidentalisation, je ne suis pas d’accord et je nuancerais plus le propos en parlant de modernisation plutôt que d’occidentalisation. En effet, après les grands incendies, on a reconstruit Istanbul sur la base de lotissements qui était une typologie toute nouvelle à Istanbul à l’époque. Mais on remarque que au même

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moment, Paris se transformait aussi grâce au baron Haussmann et que d’autres pays étaient aussi en pleine évolution vers la modernité. Pour moi, dire qu’Istanbul s’est inspirée de l’Europe pour se moderniser c’est dire qu'Istanbul ne fait pas partie de l’Europe alors que c’est une ville foncièrement européenne et donc c’est se placer avec un point de vue très colonialiste. Je pense que, à cette époque comme aujourd’hui, Istanbul continue son processus de modernisation sans pour autant s’inspirer d’un endroit particulier.

- Le projet Tarlabasi 360 peut il être considéré comme une gated communities? Le projet correspond totalement à l’idée de la gated communitie même si ce n’est pas le nom qu’on veut lui donner. On retrouve une seule entrée contrôlée par un gardien. Cela confirme donc que le projet est destiné à une seule et même population qui montre le désir de vivre ensemble : vivre entre riche. Ainsi, le projet a sûrement un peu de mal à se vendre car il ne se positionne que sur 9 ilôt entourés par des ilôts abritant une population déshéritée. Le quartier souffre donc toujours de sa réputation sulfureuse avec ses trafiquants de drogue et sa prostitution, ce qui expliquerait la réticence de certaines personnes à venir investir dans ce quartier.

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Annexe 3 : Grille d'analyse du projet

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NOTES

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