Les Emblèmes d'André Alciat

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LES EMBLÈMES D’ANDRÉ ALCIAT, à nouveau revus par l’auteur et enrichis des images manquantes. S’ajoutent plusieurs nouveaux emblèmes de l’auteur, accompagnés de leurs images. Lyon, chez Matthias Bonhomme. 1551. Avec privilège

Marque typographique : Persée tenant la tête de la Gorgone, avec le motto ΕΚ ΠΟΝΟΥ ΒΙΟΣ (« de l’effort la vie »), variante de ΕΚ ΠΟΝΟΥ ΚΛΕΟΣ (« de l’effort la gloire »), inspiré d’Eschyle.

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PRIVILÈGE PRIVILÈGE

privilege du roy

I

L ha pleu au Roy nostre Syre, de donner privillege et permission à Guillaume Rouille libraire, et à Macé Bonhomme Imprimeur demourans à Lyon, d’imprimer ou faire imprimer un petit livre intitulé Emblemata Alciati, qu’ilz ont faict dresser et mettre en ordre per tiltres generaulx et lieux communs, pour plus facile intelligence d’iceluy, et adiouster figures nouvelles aux Emblemes que par cy devant n’avoyent esté faictes, n’inventées. Ensemble plusieurs Emblemes nouvelles qu’ilz ont recouvertes dudict Autheur non plus misez en lumiere, digerées en leur ordre, et figurées. Parquoy sont faictes deffences de par ledict seigneur à tous libraires, et Imprimeurs, et autres sur certaines grans peines, de n’imprimer ou faire imprimer, vendre ou distribuer en son Royaulme, pays, terres et seigneuries, desdicts Emblemata Alciati, de telle sorte, ou semblable invention, ordonnance, correction, augmentation, ne contrefaire leurs figures nouvelles en quelque maniere et en quelque volume que ce soit, iusques au temps et terme de six ans prochains, comme plus à plain est contenu es lettres patentes sur ce despeschées à Mascon, le ix. d’Aoust. M.D. xlviij. Signées, Le Chandelier : Et séellées du grand séel en cyre Iaulne, sur simple queüe.

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AD LECTOREM

AU LECTEUR

« au

C

lecteur »

ES BEAUX EMBLÈMES, c’est André Alciat, noble Milanais, le plus éloquent de tous les juristes et le plus réputé juriste parmi les éloquents, homme jamais en vacance des bonnes lettres, puisqu’il ne se donnait relâche de la sévère étude du droit que pour s’ébattre gaillardement aux muses plus amènes de la littérature — c’est donc cet homme qui, par jeu les a jetés sur le papier, en manière de fragments discontinus, à mesure que s’en offraient les sujets, nés autant des circonstances extérieures que de ses propres méditations. Et c’est nous qui les avions ordonnés en lieux communs en les regroupant ou plutôt les reclassant sous un certain nombre de têtes de chapitres, progressant des matières les plus hautes jusqu’aux plus basses. Non pas, certes, dans l’espoir de paraître ou plus diligent ou plus élégant que l’auteur dans l’arrangement de son propre ouvrage : mais pour faire servir ses jeux à l’usage de tous, en en fortifiant la double valence, de plaisir et d’utilité. De plaisir, pour que la structure de l’ouvrage parût plus belle aux yeux de lecteurs qui verraient chaque sujet mis à sa place : l’organisation paraît toujours plus belle que la dispersion, et l’ordre que la confusion. Et

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AD LECTOREM

AU LECTEUR

d’utilité, pour que la recherche des sujets s’en trouvât plus facile et plus rapide : on repère en effet bien plus aisément, quand il est besoin, des choses diverses disposées chacune à sa place, que lorsqu’elles sont toutes jetées pêle-mêle et en désordre. Un mot encore : outre le charme et le plaisir, qui naît de l’agréable nouveauté, outre la briéveté et l’ingéniosité de la sentence, qui chatouille l’âme, la suavité des vers qui caresse l’oreille, la peinture bienvenue des images, dont se repaissent les yeux, les Emblèmes ont encore cette utilité : quiconque désire remplir un vide, orner un sujet nu, donner la parole aux choses muettes, un sens à ce qui n’en a pas, trouvera dans ce livre, comme dans un magasin richement achalandé, de quoi inscrire et peindre sur les murs des maisons, les fenêtres, les rideaux, les tentures, les tableaux, vases, anneaux, habits, tables, armes, épées, bref toute sorte de mobilier ; ce afin qu’en tous lieux se parent d’éloquence et de beauté l’aspect les objets qui servent au commun usage. Et c’est pourquoi Alciat lui-même a voulu donner à ses emblèmes ce nom si approprié. Les emblèmes sont en effet, selon Budé, un ouvrage de marquetterie fait de petites pièces mises adroitement ensemble, comme le montre montre l’origine grecque du mot.

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AD LECTOREM

AU LECTEUR

Mais voici que, tandis que nous avions pourvu à tout cela dans la précédente édition, nous arrive un lot supplémentaire d’emblèmes, ajoutés aux précédents par l’auteur lui-même. Je les ai remis en ordre comme les précédents ; je leur ai ajouté, ainsi qu’à certains des premiers qui étaient restés sans image des figures aussi exactes que possible. L’auteur entretemps avait de son côté modifié et amélioré certains des premiers. Toutes ces innovations, nous les donnons dans cette ultime édition réduites à un seul ensemble, d’autant plus parfait qu’il est plus abondant. Ainsi quiconque désirera orner les objets lui appartenant par l’éclat d’une sentence ou la beauté d’une figure, trouvera à foison dans ce livre où prendre tout ce qu’il lui semblera pouvoir accomoder à sa guise, cela en règlant sa pensée avec autant d’aisance que de rapidité sur les sujets disposés en genres et en espèces en fonction de la nature et de l’usage commun. On a joint également un index à l’ensemble de l’ouvrage une fois expurgé des nombreuses fautes qui le défiguraient et entièrement restauré d’après le manuscrit autographe. L’épître au lecteur est attribuée à Guillaume Rouille, pour lequel Macé Bonhomme imprime le volume ; voir, en dernière page, le colophon : Lugduni, Excudebat Mathias Bonhomme.

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EMBLEM. DEDIC. DÉDICACE

préface de l’illustre andré alciat au premier livre des emblèmes, dédié à konrad peutinger d’augsbourg

Quand l’enfant joue aux noix, l’adolescent aux dés Et aux cartes s’oublie l’adulte désœuvré, En ces jours de loisir j’ai frappé ces emblèmes, Figures façonnées par de fameux artistes, Pour servir ou de broche ou d’insigne au chapeau, Bref, servir à chacun d’écriture muette. À César souverain de t’offrir des monnaies Précieuses, ouvragées de la main des Anciens : Un poète au poète fait des dons en papier : Accepte-les, Konrad, en gage d’amitié. [1531]

Titre : Konrad Peutinger, humaniste et antiquaire, conseiller de l’empereur Maximilien. Sur cette pièce liminaire, outre notre préface, voir C. Balavoine, « Archéologie de I’emblème littéraire : la Dédicace à Conrad Peutinger des Emblemata d’André Alciat », dans Emblèmes et devises au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, J. Touzot, 1981, 9-21, ainsi que T. Penguilly, « D’Ambrogio Visconti à Konrad Peutinger », art. cit. v. 1-3. Topos de dédicace (Martial, Xenia, I, 7 : Hæc mihi charta nuces). v. 7 César : l’empereur Maximilien d’Autriche.

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EMBLEM. DEDIC. DÉDICACE

i emblème dédié à l’illustre maximilien, duc de milan, sur la devise de sa duché

Un enfant jaillissant du gosier d’une vouivre Qui se love, c’est là le blason de ta race. Nous savons que le roi de Pella fit frapper Monnaie à cette enseigne, pour vanter sa naissance, Quand il se prétendit le fils d’un dieu, Ammon, Qui sous cette enveloppe aurait trompé sa mère, Accouché par la gueule, comme certains reptiles, Comme Minerve, issue du chef de Jupiter. [1531] revanche, un article d’A. Blanchet [« Note sur la guivre des Visconti », Rivista italiana di numismatica e scienze affini, XXI, 1-2 (1908), 1-12] attire l’attention sur une monnaie antique de Domitien reproduisant la dévoration d’Opheltès par un serpent (Stace, Silves, II, 1, 181-182 et Thébaïde, VI, 223-226), qui serait la source iconographique des armes, des monnaies milanaises et de l’emblème à la biscia ou de la guivre. Source héraldique et, corrélativement, métallique (cf. G. Hill, A Corpus of Italian Medals of the Renaissance, London, 1930, n° 688) : Alciat, De singulari certamine, cap. 43 et Parergôn libri, V, 13 (« De insignibus et armis ») et Paul Jove, Vie des ducs de Milan, attribuent l’invention à Othon, vicomte de Milan, qui, combattant devant Jérusalem dans l’armée de Godefroy se serait emparé des armes d’un Sarazin nommé Volux. À noter que Jove n’écrit pas que le serpent vomit, mais qu’il dévore l’enfant ; une autre tradition, rapportée par Pétrarque, Rerum memorabilium libri, IV, 9, rapporte la même invention à Azzo Visconti, qui aurait trouvé un serpent dans son casque. On n’a pas trace, contrairement à ce que dit ici Alciat, d’une telle monnaie frappée par Alexandre. En 7

Titre : Maximilien, neuvième duc de Milan, intronisé en 1512 ; voir infra (Emblème CXXXIII) l’hommage à Gian Galeazzo, premier duc, mort en 1402. v. 4. Le roi de Pella : périphrase pour Alexandre le grand (Pella était la capitale du royaume de Macédoine). Plutarque (Vie d’Alexandre 2-3) et Justin (livre XII) rapportent que la femme de Philippe, mère d’Alexandre, Olympias aurait été fécondée par Jupiter sous la forme d’un serpent. v. 6. Ammon ou Jupiter Ammon : divinité dont l’oracle était situé dans le désert de Lybie. v. 7. Pline (Hist. Nat., VIII, 23) et Solin (Polyhistor, 30) rapportent que certains serpents accouchent par la gueule. v. 8. Hésiode, Théogonie, v. 895-896.


EMBLEM. DEDIC. DÉDICACE

ii milan

Le mouton note Bourges et l’Eduen la truie : Deux peuples dont l’union a fondé ma patrie Dévouée à la vierge et qui Milan se nomme, C’est ainsi que son nom en vieux français se dit. On y servait Minerve et Thècle lui succède, Sur le parvis du temple de la vierge Marie. C’est un porc porte-laine qui lui sert de symbole, D’un côté rude soie, de l’autre toison molle. [1546]

Source : Alciat, Antiquitates mediolanenses, ms. de Dresde, fol. 5v°, où cette inscription (fictive), ouvre le recueil, accompagnée d’un commentaire qui, à l’étymologie traditionnelle du nom de Milan (notamment Sidoine et Claudien : Quasi dicas media parte laniatum) acceptée encore par l’auteur dans les Rerum patriæ, 9 et les Paregôn libri, 6, 13, figurée sur un relief conservé au Palazzo della Ragione (A. Calderini, Storia di Milano, Milano, 1953, 218-219), et reprise d’une voix par tous les commentateurs anciens et modernes, à l’exception de Johann Thuille, substitue pour la première fois la double racine celtique, medel (la jeune fille) et lan (la région). Cf. P. Laurens, « L’invention de l’emblème », CRAI, avril-juin 2005, 883-910 et F. Vuilleumier Laurens, P. Laurens, L’Âge de l’inscription La rhétorique du monument en Europe au xve au xviie siècle, coll. « Le Cabinet des images », Paris, 2010, 89-112 (part. 109-111). v. 5. Thècle : sainte et martyre, convertie par Paul.

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EMBLEM. DEDIC. DÉDICACE

iii ne jamais remettre à demain

L’Élan de la famille Alciat soutient les armes, Portant à son sabot les mots : « Ne rien remettre ». On conte qu’Alexandre, à qui lui demandait Comment il entassait si jeune tant d’exploits : « En n’ajournant jamais », dit-il. C’est ce qu’exprime L’élan, dont la vigueur le cède à la vitesse. [1546]

Source : Alciat (dont on dérive le nom du petit village d’Alzate), près de Milan, joue sur l’homophonie avec le nom grec de l’élan, alcè, animal dont Pline (Hist. Nat., VIII, 16) relève la grande vélocité, pour en tirer un blason familial, avec le « mot » Μηδὲν ἀναβαλλόμενος (« En ne différant rien »), réponse d’Alexandre à qui lui demandait comment il s’était rendu maître du monde : l’apophtegme est cité par Érasme au commentaire de l’Adage 3400 « Nunc tuum ferrum in igni est » : « C’est ce que rapporte le commentateur du chant 2 de l’Iliade d’Homère [ad Il. 2, 345-346]) ».

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DEVS SIVE RELIGIO

DIEU OU LA RELIGION

iv se réjouir en dieu

Vois comme un peintre habile a feint l’enfant d’Ilion Enlevé jusqu’au ciel sur les ailes de l’aigle. Mais qui croira que Zeus fût épris d’un jeune homme ? D’où vient cette fiction du vieillard méonien ? – Qui cultive sagesse, esprit et joie en dieu, On croit qu’il est ravi près de l’être suprême. [1531]

Source : Xénophon (Conu., VIII, 26-30), appuyant son interprétation spirituelle de l’amour de Jupiter pour l’enfant troyen sur l’étymon du nom de Ganymède tiré de deux passages du poème d’Homère, invoqués très librement : γάνυται δέ τ᾿ ἀκούων (Il., XX, 405 : « Il se réjouit d’entendre) et πυκινὰ φρεσὶ μήδεα εἰδώς (Il, XVIII, 325 : « Roulant mille pensées en son cœur »). Titre : citation de Paul, Phil., IV, 4 ; le philactère γάννυσθαι μήδεσι (se réjouir en pensée), reprenant les mots grecs d’Homère, décompose le nom du héros. v. 1. L’enfant d’Ilion : Ganymède. v. 5. Le vieillard méonien : Homère

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