La révolution de 1905 dans la presse française

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journaux conservateurs tentent plutôt d’éviter tout lien entre les deux questions, précisément pour ne pas alarmer son lectorat. Les articles sur la guerre russo-japonaise font plus largement référence aux finances que ne le font les articles sur la situation intérieure. Globalement, au début de la période, le Figaro se contente de quelques froides dépêches pour rendre compte des troubles. Ce retrait, l’Humanité l’analyse comme un consentement, un manque de courage, et une « servilité » au tsar, le 24 janvier. Le Petit Parisien n’évoque pas du tout les questions financières, même au sujet de la guerre russo-japonaise et ses conséquences. Nous l’avons vu, le discours tend plutôt à minimiser l’ampleur du phénomène, et de ses éventuelles conséquences. Ce n'est que le 12 janvier 1906 que l’emprunt est le sujet d’un long article dans le Figaro, à l'occasion d'un entretient avec M. Kokovtsev, ministre des finances. Georges Bourdon n’évoque la situation intérieure du pays que pour la relativiser : [Kokovtsev] juge passagères les agitations de ces derniers mois […] Pétersbourg ne bouge pas. Moscou est calme. De même, les grandes villes. En Lituanie et dans les provinces Baltiques, la situation s'améliore de jour en jour les communications télégraphiques sont rétablies, les chemins de fer circulent. 171 D’autre part, G. Bourdon cherche à faire taire les rumeurs sur l’ajournement de la Douma d’empire, qui serait la preuve d’un mépris des demandes constitutionnelles du peuple de la part du gouvernement. Kokovtsev affirme : Douma est devenue, pour le gouvernement lui-même, à qui elle fournira une garantie et une base, une nécessité politique. […] donnera à' la société russe des satisfactions' légitimes et marquera le début loyal d'un nouveau régime. Ainsi, après cette description d’un pays où le calme est revenu, le ministre des finances explique longuement la gestion du budget du pays, et incite la France à apprécier l’intérêt de l’investissement en Russie : Mais il importe que l'on sache bien que l'on s'alarmerait à tort sur la puissance financière de la Russie, et, je vous le dis en toute sincérité, si j'étais Français et que j'eusse un placement à faire, je ne vois pas vraiment quels fonds étrangers m'offriraient plus d'avantages et de sûretés que les fonds russes. La crise derrière elle, la Russie redevient l’alliée fidèle et solide dont la France a besoin. À cet article s’enchaîne un entrefilet présentant en détail les conditions légales proposées aux particuliers intéressés par l’achat de titres. La position du Figaro est donc celle de l’apaisement. Elle cherche à rassurer son lectorat en présentant l’image d’une situation qui, bien que troublée durant 1905, revient progressivement à la normale au début 1906. Dans ces conditions, plus rien n’empêche alors d’investir en Russie. Cette tranquillité apparente n’est pas uniquement due au soutient que la France doit à son alliée en période difficile. Il faut rappeler qu’à l’époque, la Russie espère beaucoup de la France et du prêt auquel elle a consenti. Dans ce contexte, et afin de resserrer les liens diplomatiques, le ministre Kokovtsev, par l’intermédiaire d’Arthur Raffalovitch, cherche à acheter la docilité de la presse française. Le scandale éclate quelques années plus tard, lorsqu’en 1920, L’Humanité publie la correspondance de M. Raffalovitch. Ce scandale est toutefois à remettre dans un contexte particulier : en pleine période électorale, L’Humanité cherche alors à discréditer les personnalités politiques gouvernantes. L’impact médiatique de cette affaire est alors indéniable, et l’on parle longuement de cette « vénalité de la presse française». A posteriori, il faut relativiser l’importance de ces financements. En effet la majorité de ce budget va directement aux annonceurs publicitaires, dans le but de promouvoir l’emprunt lui-même. L’argent touché par les journalistes et la rédaction reste de portée minime. Il correspond d’après Patrick Eveno, tout au plus à 20% de la somme totale dépensée172.

171 172

Le Figaro, 12 janvier 1906, « L'emprunt russe chez m. Kokovtzoff » EVENO Patrick, L'argent de la presse française des années 1820 à nos jours, Paris, éd. Du CTHS, 2003 p.70 -81-


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