Insert, Design et éducation populaire

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Design et éducation populaire

insert

- entretien

Pour tenter de me faire une opinion sur cette question, je me suis entretenue avec Perrine Boissier. Issue d’une formation de design, elle revendique les valeurs de l’éducation populaire à travers les projets qu’elle mène à L’Office, avec Pauline Guignes, diplômée de Sciences po Toulouse en sociologie et expertise culturelle et Emmanuel Vergès ingénieur informaticien.

«

L’office est une structure qui accompagne les transitions culturelles, sociales, éducatives et économiques, d’une société « en régime numérique » vers une société « des communs » . Nous menons des projets de manière collective (avec des collectivités, structures associatives et/ou indépendantes, usagers et habitants) pour expérimenter et faire ensemble à l’échelle locale.1

»

Pour commencer, je lui demande si et comment, selon elle, le design et l’éducation populaire parviennent actuellement à dialoguer.

« J’ai l’impression qu’il y a pas vraiment beaucoup de chose encore. C’est pas stratégique de parler d’éducation populaire parce que ça véhicule beaucoup de choses un peu... dépassées... Souvent les gens se sont enfermés dans des méthodes, qui n’ont plus vraiment de sens pour eux et qu’ils ne réinterrogent pas vraiment. » L’éducation populaire serait donc un mot non employé pour cause de

ces connotations « vieille école ». Même si ses valeurs authentiques sont revendiquées par un designer, ou une personne engagée quelque qu’elle soit, il ne l’appellera donc pas forcément ainsi. Perrine m’affirme qu’on assiste actuellement à un renouveau de l’éducation populaire qui tente d’en redéfinir les valeurs. L’Office, quant à elle, défend son caractère militant. « Mais quand tu dis ce mot là auprès de pleins d’acteurs, notamment auprès d’acteurs de politique publique, ça ne résonne pas du tout comme ça pour eux... Pour moi c’est le même combat que de dire que le designer ne fait pas que des meubles quoi. Quand tu fais de l’éducation populaire, t’es pas juste animateur de colonies de vacances. » Elle souligne bien sûr que le mot « design » lui aussi est galvaudé, et doit être déconstruit. « En fait, c’est vraiment des choix de positionnement. »

A-t-elle déjà rencontré d’autres designers qui adoptent cette même posture, cette implication dans l’éducation populaire, mais peutêtre sans la nommer ainsi ?

Les cultures, « ce qui est défendu dans les valeurs, les logiques de partage, et d’apprentissage,... » Voilà ce qui pour Perrine révèle un engagement, plutôt que l’emploi de termes plus ou moins galvaudés. Elle perçoit la culture de l’éducation populaire « chez ANIS, chez Simon Sarrasin » car « c’est tout ce qui se développe autour des communs. » « Même s’ils n’utilisent jamais ce mot là, concrètement, ils vont dans le même sens. C’est pour ça que je me dis que c’est plus intéressant de regarder qu’est ce qui... les valeurs un peu de... de noyau, de cœur de la notion d’éducation populaire. Le truc non négociable. » Cette échelle de valeurs varie selon les individus. Elle va entraîner dans leurs pratiques, des choix de formes, d’actions, d’interlocuteurs, etc. « Il y a des designers de services, comme moi, à qui ça tient vraiment à cœur, qui mettent ces valeurs et cette démarche au cœur de leurs

pratiques. Et puis, y’en a pour qui c’est pas du tout une priorité. » Les positionnements d’un designer peuvent être, bien sûr, multiples, mais à des degrés différents. Il s’agit donc de savoir sonder et déchiffrer l’interlocuteur pour percevoir à quels niveaux se situent chacun de ses engagements. Design et éducation populaire sont deux démarches distinctes. « On voit

qu’il y a des racines différentes. »

L’Office se nourrit des deux pour mener ses projets. « Je m’inspire beaucoup des méthodes de l’éducation populaire et des outils qu’ils mettent en place. Et je pense que je me les approprie pour les travailler sous des formes différentes ou, en tout cas, leur donner des formes... » Voici un exemple. « La petite fabrique de projets » propose à des acteurs de la culture et à des travailleurs sociaux de s’associer et croiser leurs disciplines dans des projets où ceux-ci vont de paire. L’Office accompagne l’association « Culture et départements » dans cette démarche. Douze chantiers

sont lancés, interrogeant chacun des questions différentes. « On prend des techniques de l’éducation populaire pour proposer de formuler des sortes d’affirmations clivantes et... ça c’est vraiment des outils que nous on tire de l’éducation populaire. Des idées reçues qu’on formule de manière un peu volontairement provocante pour faire réagir. » L’Office propose ensuite différentes formes de livrables « avec des techniques d’intelligence collective que moi je tire plutôt du design de services ». Boite à outils, espace ressources mêlant les médium, caméra, tablette, outils de montage rapide, matériels pour découper, coller, etc. L’Office présente également des plateformes libres disponibles pour co-élaborer, pour co-écrire, etc. « La contrainte, c’était qu’en gros ils puissent partir de ces deux jours de workshop avec un truc qu’ils puissent présenter à leurs collègues d’une manière ou d’une autre. » Vidéo, règle de jeu, jeu de cartes, etc. Les formes sont multiples et variées

selon les projets et les personnalités. « Je suis attachée à l’idée qu’ils arrivent à mettre en forme quelque chose qui soit utilisable directement. Et ça par exemple, c’est pas du tout un truc que tu retrouves dans l’éducation populaire. » Les outils de l’éducation populaire et du design s’entremêlent tout au long du workshop ; même si ceux de l’éducation populaire permettent plutôt de créer le débat et les outils du design le mettent en forme et permettent d’en rendre compte à posteriori. « Il y a plein de choses qui sont plus du design de services pour visualiser, pour mieux comprendre. Par exemple, on va faire de la cartographie, des jeux de cartes... En fait, on a une petite boite à outils qu’on propose à pleins de gens de s’approprier d’une manière ou d’une autre. C’est des outils qu’on sollicite pour pleins de situations et de contextes différents. » Quand je lui demande comment elle se positionne en tant que designer, Perrine me répond...

« J’ai l’impression que c’est pas

vraiment intéressant de se poser la question de qui est dans quel champs, mais par contre de pouvoir vraiment observer qu’est-ce qui est de l’ordre d’une culture commune. » L’individu construit lui-même ses propres méthodes de travail, les tirant d’un champs ou d’un autre. Il compose, il adapte, il s’approprie. Il faudrait plutôt se demander à quels moments, dans quelles situations estil pertinent d’utiliser le design, plutôt de se cantonner à cela pour cause de son statut de « designer ». « C’est avant tout des outils que je mobilise quand ils ont du sens pour moi. » Ses propos me permettent de relativiser la question récurrente « en quoi tu es designer ? ». La question à se poser serait donc plutôt quel designer es-tu ?

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