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Santé
La fin du cauchemar?
Se réveiller angoissé, en sueur, en alerte: chacun l’a déjà vécu. Mais certaines personnes en font si souvent l’expérience que leur quotidien en est affecté. De nouvelles méthodes de traitement existent, et elles pourraient être utiles dans d’autres cas.
Texte: Ariane Gigon
Un cauchemar environ une fois par année? Ce n’est pas grave, même si c’est un très mauvais moment à passer. «Le cauchemar, c’est un mauvais rêve sans résolution émotionnelle, précise Lampros Perogamvros, privatdocent à l’Université de Genève, chef de clinique scientifique au Département des neurosciences fondamentales. Dans les rêves, le négatif est souvent transformé en positif, tandis qu’un cauchemar reste comme bloqué sur le négatif. Il y a un climax et on se réveille.» Il y a pire: certaines personnes subissent un cauchemar au moins une fois par semaine. Leur proportion est estimée à 4%. «On parle de maladie du cauchemar, explique Geoffroy Solelhac, chef de clinique et spécialiste du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV, lorsqu’il y a une souffrance significative chez les patients, et que leur quotidien, social ou professionnel, est altéré.» Des médicaments existent, mais ils ne sont pas spécifiques et ont des résultats mitigés.
Mais les médecins du sommeil ont aujourd’hui de quoi soulager cette souffrance. Grâce à la thérapie dite «par répétition d’imagerie mentale» (Imagery rehearsal therapy, IRT), la fréquence et l’intensité des cauchemars diminue. L’idée: le patient est invité à écrire une histoire permettant de transformer son cauchemar, ou l’un d’eux, en histoire positive. «Il est important que le patient utilise son imagination en passant par des canaux sensoriels, explique Geoffroy Solelhac. Ils peuvent visualiser une plage, entendre une musique ou sentir des odeurs agréables.» Les malades doivent ensuite lire cette histoire au moins deux fois par jour, dont une avant d’aller se coucher, pendant plusieurs semaines. «Les résultats sont très bons, révèle le praticien du CHUV, et ils sont souvent durables. Nous permettons aux patients d’être euxmêmes actifs avec leur maladie. Ils perdent aussi la peur d’aller dormir qui s’est parfois mise en place, aggravant souvent un problème d’insomnie, car ils reprennent confiance et ils savent qu’ils ont un outil à disposition.»
Amélioration genevoise Mais la méthode ne fonctionne pas pour tous. C’est pourquoi la nouveauté développée par une équipe autour de Lampros Perogamvros, à l’Université et aux Hôpitaux universitaires de Genève, intéresse les professionnels et leurs patients: les patients ont écouté de la musique, en l’occurrence un accord majeur, toutes les dix secondes, pendant qu’ils écrivaient leur récit positif. «La nature du stimulus n’a pas d’importance, précise Lampros Perogamvros, cela peut être un son, une odeur. Ce qui compte, c’est d’associer l’imagerie positive avec ce stimulus.» Le son a ensuite été rejoué à chaque phase de sommeil paradoxal, moment des cauchemars, détecté grâce aux électrodes d’un bandeau de sommeil. Résultat: appelé «méthode de réactivation de mémoire ciblée» (TMR), ce renforcement sensoriel améliore les résultats de l’IRT. De plus, les bénéfices subsistent des semaines après l’expérience. «Peutêtre ce traitement pourrait-il aussi aider les personnes souffrant de phobies ou d’anxiétés», précise Lampros Perogamvros. Son équipe va désormais mener d’autres études avec des patients dont les cauchemars sont liés à des traumatismes. Geoffroy Solelhac applaudit: «Les migrants traumatisés sont très touchés et nous pouvons les aider, parfois en leur proposant d’imaginer des histoires positives sous forme de dessins, comme on le fait avec les enfants, aussi.»
Ne pas banaliser Les deux médecins insistent: il est important de prendre les cauchemars au sérieux. Répondre à un patient «Vous savez, moi aussi, je fais des cauchemars» ne l’aide pas, au contraire. «Parfois, indique le médecin du CHUV, les gens consultent pour insomnie, et on passe à côté des cauchemars…»
S’en préoccuper est d’autant plus important que des études ont mis en évidence un lien avec le risque suicidaire chez des patients présentant des maladies psychiatriques. C’est aussi le sommeil dans son ensemble qui est devenu source d’inquiétude, rappelle Lampros Perogamvros. «Nous sommes en dette chronique de sommeil, à cause des appareils électroniques, du stress au travail, des mauvaises nouvelles de l’actualité, etc. Or, le sommeil est une fonction très importante pour le bien-être et nous devrions le protéger.» MM

«Les patients perdent la peur d’aller dormir»
Geoffroy Solelhac, chef de clinique en Médecine du sommeil au C H U V
Rêves et cauchemars
Nous rêvons tous, même si nous ne nous en souvenons pas toujours. Pourquoi rêvons-nous? Il n’y a pas (encore) de réponse unique. «Une hypothèse est que le rêve régule les émotions», explique Geoffroy Solelhac. Les rêves permettraient de fixer les souvenirs, mais aussi, selon une étude japonaise, d’éliminer un tropplein d’informations! «Dans leur contenu , ils conservent souvent une partie en lien avec la réalité, avec ce qui a été vécu précédemment», ajoute le médecin.
Les cauchemars – à ne pas confondre avec les terreurs nocturnes touchant surtout les enfants – ne sont pas graves s’ils sont occasionnels. Survenant la plupart du temps, comme le rêve, dans les phases de sommeil dit «paradoxal» (le cerveau est en activité pendant le sommeil), ils peuvent avoir de nombreuses causes – fortes émotions, stress, anxiété, mais aussi médicaments, repas copieux ou arrosés ou mal-être dont on n’a pas encore conscience. Ils peuvent donc avoir une fonction d’alerte bénéfique.